Circoncision : nouvelles et radicales incompréhensions

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Circoncision : nouvelles et radicales incompréhensions
actualité, info
point de vue
Circoncision : nouvelles et
radicales incompréhensions
Les enfants ont-ils un droit à leur
intégrité physique ? Formulée
ainsi la question ne semble guère
poser problème. Qui oserait dire
non ? C’est précisément cette for­
mulation qu’utilise le Conseil de
l’Europe1 pour justifier une initia­
tive qui commence à faire grand
bruit. Une initiative aux confins
du droit et de la médecine, de la
philosophie et de la diplomatie.
Une initiative qui réveille toutes
les passions que peut nourrir la
pratique rituelle de la circoncision.
L’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe (APCE) rap­
pelle que ces dernières décennies
de nombreuses mesures législa­
tives et politiques ont été prises
par les Etats membres du Conseil
pour «améliorer le bien-être des
enfants et leur protection contre
toute forme de violence». Elle ob­
serve néanmoins que sur le Vieux
Continent des enfants «sont encore
victimes de violence dans de
nombreux contextes différents».
Les membres de cette assemblée
se disent «particulièrement préoc­
cupés par une catégorie particu­
lière de violations de l’intégrité
physique» – des violations que les
tenants de ces pratiques «pré­
sentent souvent comme un bien­
fait pour les enfants, en dépit
d’éléments présentant manifeste­
ment la preuve du contraire». Ces
pratiques comprennent «notam­
ment», selon eux : les mutilations
génitales féminines, la circonci­
sion de jeunes garçons pour des
motifs religieux, les interventions
médicales à un âge précoce sur
les enfants intersexués, ainsi que
les piercings, les tatouages ou les
opérations de chirurgie plastique
qui sont pratiqués sur les enfants,
parfois sous la contrainte.
Attribution du Prix Jean-Paul Studer
Eté 2012, Jean-Paul Studer, une
voix forte et une très belle plume
au service du généralisme, nous a
quittés : ce médecin de 68 ans,
installé à Peseux, est emporté par
une maladie terrible et sournoise,
après un combat auquel il a su
donner sens et qui a profondé­
ment marqué sa famille, ses amis,
ses collègues et ses patients, qui
sont venus très nombreux lui dire
un dernier adieu dans la Collégiale
de Neuchâtel. Tous et toutes se
souviendront de sa passion pour
son métier, au service de la per­
sonne souffrante et, peut-être plus
encore, des plus vulnérables.
Pour beaucoup d’entre nous,
Jean-Paul restera un pionner de
l’enseignement du généralisme,
cette médecine qui allie les exi­
gences du soin singulier avec
celles de l’engagement social.
Un groupe d’amis généralistes a
souhaité que sa mémoire reste
vivan­te parmi nous : ils ont réuni
les fonds nécessaires pour propo­
ser à la Faculté de biologie et mé­
decine (FBM) de Lausanne d’attri­
buer un prix à un étudiant ou à
un(e) jeune médecin qui marche
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sur les traces de Jean-Paul.
Sur la proposition d’un jury com­
posé de quelques enseignants de
l’Institut universitaire de médecine
générale de la FBM et de deux
étudiants, dirigé par le Pr Thomas
Bischoff, le prix Jean-Paul Studer
sera décerné pour la première fois
le 29 novembre 2013 à M. Rainer
Tan , étudiant en 6e année (mas­
ter) à la FBM , lors de la cérémo­
nie annuelle de remise des prix.
M. Rainer Tan est âgé de 28 ans.
Né au Canada, étudiant à Ottawa,
instigateur de plusieurs démar­
ches de soins et prévention dans
des pays africains, M. Rainer Tan
est un citoyen du monde. Il faut
dire qu’il a commencé sa forma­
tion universitaire au Canada par un
bachelor suivi d’un master en santé
et développement international. Il
a vécu alors, comme beaucoup
d’autres, le dilemme entre santé
publique et soin singulier : il choi­
sira ce dernier, décision liée, dit-il,
par le besoin d’une activité plus
proche de la personne humaine. Il
choisit alors de devenir généra­
liste. Mais on n’oublie jamais ses
premières amours : il commence
Référence est faite ici à la Conven­
tion des Nations Unies, relative
aux droits de l’enfant (CNUDE).
Dans toutes les décisions qui
concernent les enfants (toutes les
personnes âgées de moins de dixhuit ans), les Etats doivent agir
pour protéger ces derniers contre
toute forme de violence, atteintes
ou brutalités physiques ou men­
tales. Le Conseil de l’Europe
s’emploie à promouvoir active­
ment et les droits des enfants et la
protection de l’enfance : depuis
2006 il applique sa «Stratégie
pour les droits de l’enfant » –
dont l’un des quatre grands objec­
tifs est de «supprimer toutes les
formes de violence à l’encontre
des enfants».
L’Assemblée elle-même a adopté
de nombreux textes qui appellent
l’attention sur diverses formes de
violence infligées aux enfants avec
l’intention de nuire (violences
sexuelles dans différents contextes,
violences à l’école, violences à la
maison, etc.). Elle continue de
combattre différentes formes de
violences infligées aux enfants en
organisant des activités et des
campagnes de promotion (vio­
des études de médecine à Lau­
sanne, et, simul­tanément il pour­
suit des projets et des réalisations
non seulement en Tanzanie, Bénin
et au Gabon, mais également sous
nos latitudes, dans le cadre de la
FBM ! C’est dans la FBM qu’il crée,
avec quelques amis étudiants, le
«METI­S» pour «Mouvement des
étudiants travaillant contre les iné­
galités d’accès à la santé». Sous
son influence, ce groupe s’étoffe
et recrute plus d’une quarantaine
d’étudiant(e)s qui s’investissent
dans des activités en faveur des
populations vulnérables de notre
pays : développement de l’inter­
prétariat dans la consultation
médi­cale, «GPS» pour «Global
Patien­t Support» auprès de patients
VIH positifs, «Breaking the silence»
pour l’aide à l’interaction médicale
avec les patients malentendants,
organisations de conférences à
lence domestique, violence
sexuelle). Pour autant, elle ne
s’était encore jamais penchée sur
les «violations médicalement non
justifiées de l’intégration phy­
sique des enfants qui peuvent
avoir une incidence durable sur
leur vie». Et c’est précisément ici
que le bât commence à blesser.
Prolongeant son propos, l’Assem­
blée du Conseil de l’Europe
«recom­mande vivement» aux
Etats membres de sensibiliser
davan­tage leurs populations «aux
risques potentiels que peuvent
Lausanne données par des per­
sonnes revenant de pays actuelle­
ment en guerre. Et cette liste n’est
pas exhaustive. En fait, lorsque
Rainer Tan prend sa place dans le
milieu des étudiants lausannois,
son expérience de vie, sa pré­
sence , son charisme, font que
grâce à lui et ses compagnons de
la première heure, un nombre
croissant de futurs médecins vont
s’intéresser de façon pratique, aux
déterminants de la santé, aux diffi­
cultés d’accès aux soin et saux
populations vulnérables.
Avec Rainer Tan, Jean-Paul Studer
serait heureux de savoir que son
nom sera associé à un généraliste
de demain, passionné, généreux,
ayant une vision de la médecine et
capable de la transmettre à d’autres.
Pr Alain Pécoud
L’IUMG / la faculté décerne le prix IUMG «Jean-Paul Studer» chaque
année à un médecin ou futur médecin dont l’engagement, l’action ou
l’ouvrage fait grandir l’humanité de la médecine de famille.
Jean-Paul était un médecin de famil­le humaniste et engagé. Il a donné
beaucoup de lui-même pour révéler la parole de l’être souffrant, aussi bien
dans sa pratique qu’au travers de ses écrits, de l’enseignement et du par­
tage avec ses pairs. Il laisse un message (un regard) de tendresse envers
le patient et un exemple pour les futurs médecins de famille.
Montant du prix : CHF 2000.–
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 13 novembre 2013
11.11.13 11:37
CC BY Lasse Jensen
présenter certaines des pratiques
susmentionnées pour la santé
physique et mentale des enfants,
et de prendre des mesures législa­
tives et politiques qui contribuent
à renforcer la protection des
enfan­ts dans ce contexte». On
peut dire les mêmes choses autre­
ment : cette assemblée invite les
Etats membres à examiner dans
leurs pays respectifs la prévalence
de différentes catégories d’opéra­
tions et d’interventions médicale­
ment non justifiées ayant une
inci­dence sur l’intégrité physique
des enfants ainsi que les pratiques
qui leur sont associées, et à les
étudier attentivement à la lumière
du principe de l’intérêt supérieur
de l’enfant afin de fixer des lignes
d’action spécifiques pour chacune
d’elles.
Pour le dire plus précisément
enco­re : «condamner publique­
ment les pratiques les plus préju­
diciables, comme les mutilations
génitales féminines» et «définir
clairement les conditions médi­
cales, sanitaires et autres, à res­
pecter s’agissant des pratiques qui
sont aujourd’hui largement répan­
dues dans certaines communautés
religieuses, telles que la circonci­
sion médicalement non justifiée
des jeunes garçons». Et encore
«entreprendre des recherches
complémentaires afin d’augmen­
ter les connaissances de la situa­
tion spécifique des personnes
inter­sexuées, s’assurer que per­
sonne ne soit soumis pendant
l’enfance à des traitements médi­
caux ou chirurgicaux cosmétiques
et non cruciaux pour la santé,
garan­tir l’intégrité corporelle,
l’autonomie et l’autodétermina­
tion aux personnes concernées, et
fournir des conseils et un soutien
adéquats aux familles ayant des
enfants intersexués».
Pour ce qui est de la circoncision
et des mutilations génitales des
petites filles, il s’agit de «promou­
voir un dialogue interdiscipli­
naire entre représentants de diffé­
rents milieux professionnels, y
compris des médecins et des
repré­sentants religieux, de façon à
combattre certaines méthodes tra­
ditionnelles dominantes qui ne
tiennent pas compte de l’intérêt
supérieur de l’enfant (…)».
C’est peu dire qu’un tel dialogue
sera difficile à établir. Il n’aura fallu
que trois jours après son adoption
pour que le gouvernement israé­
lien condamne avec force cette
réso­lution de l’APCE. Pour le
porte-parole du ministère israé­
lien des Affaires étrangères, il
s’agit là d’une «tache morale» qui
«encourage la haine et les ten­
dances racistes de l’Europe». Pour
le gouvernement israélien, «toute
comparaison de la circoncision à
la pratique condamnable et bar­
bare des mutilations génitales
fémi­nines est au mieux le signe
d’une ignorance consternante. Au
pire, c’est de la diffamation et de
la haine antireligieuse».
On observera que cette contro­
verse montante intervient un an
après celle suscitée par la décision
d’un tribunal de Cologne ; ce tri­
bunal avait jugé que la pratique
de la circoncision était contraire à
la loi allemande. Un jugement qui
avait notamment déclenché l’ire
des rabbins orthodoxes. Le cor­
respondant en Israël du quotidien
français Le Figaro rappelle
qu’Ange­la Merkel avait alors
décla­ré : «Je ne veux pas que
l’Alle­magne soit le seul pays au
monde dans lequel les juifs ne
peuvent pas pratiquer leurs
rites». Cette controverse coïncide
également avec le développe­
ment, aux Etats-Unis, des cou­
rants «intactivistes» sur internet ;
sujet récemment traité sur les
sites planetesante.ch et Slate.fr.2
La résolution de l’APCE est basée
sur un rapport rédigé par la
dépu­tée allemande (socialedémo­crate) Marlene Rupprecht.
Cette dernière cite l’avis de plu­
sieurs spécialistes qui attestent
des «risques potentiels» de la cir­
concision «pour la santé physique
et mentale des enfants». Le gou­
vernement israélien, au contraire,
se réfère à des études médicales
démontrant «les bienfaits de la
circoncision néonatale». D’autres
opposants citent les dernières
publi­cations concernant son rôle
(relatif) dans la prévention de la
transmission du sida. Ainsi donc
la médecine et l’épidémiologie
lu pour vous
Coordination : Dr Jean Perdrix, PMU ([email protected])
Diagnostic de l’hémorragie sous-arachnoïdienne :
la règle d’Ottawa-HSA est-elle utile ?
Jusqu’à 2% des visites aux urgen­
ces sont motivées par des cépha­
lées, et l’hémorragie sous-arach­
noïdienne (HSA), bien que rare
(1-3%), est le diagnostic le plus
craint. De ce fait, la démarche
diagnostique est protective, incor­
porant un CT-scan et si néces­
saire une ponction lombaire (PL).
Une règle diagnostique très sen­
sible permettant d’identifier les
patients chez qui l’HSA doit être
exclue pourrait réduire le nombre
d’examens. Dans ce but, les au­
teurs de cette étude de cohorte
prospective multicentrique ont
analysé les données de 2131 pa­
tients admis pour des céphalées
aiguës paroxystiques en moins
d’une heure, sans déficit neurolo­
gique. Trois règles existantes ont
été appliquées à ces patients, afin
de mesurer leurs caractéristiques
opératives pour le diagnostic
d’HSA, posé par CT-scan et/ou
PL. 3% des patients évalués ont
présenté une HSA, et la sensibi­
lité des trois règles était élevée
(L 95%). En combinant certains
éléments de ces règles (âge L 40,
nucalgie, raideur de nuque, perte
de connaissance, apparition de la
céphalée durant l’effort, et cépha­
lée en «coup de tonnerre»), les
auteurs dérivent la règle dite
d’Otta­wa-HSA, qui permet d’ex­
viennent-elles nourrir une polé­
mique qui trouve son origine
premiè­re dans la religion.
Pour sa part, le Conseil représen­
tatif des institutions juives de
France vient de lancer une péti­
tion. Il fait notamment valoir que
cette décision constitue une remise
en cause inacceptable de la liberté
religieuse garantie par l’article 9
de la Convention européenne des
Droits de l’Homme. «Elle porte
atteinte à l’essence même du
judaïs­me et des traditions qui ont
accompagné l’histoire du peuple
juif de par le monde, souligne-t-il.
Elle agresse les communautés
juives d’Europe déjà exposées à
une résurgence sans précédent de
l’antisémitisme. Elle est insultante
quand elle met sur un pied d’éga­
lité la circoncision et l’excision.
Elle est dangereuse car elle stig­
matise les Juifs et ouvre de nou­
clure l’HSA avec une sensibilité
de 100%.
Commentaire : L’utilisation d’une
règle très sensible permet de
dimi­nuer les examens inutiles,
sans augmenter le risque d’erreur
diagnostique. Bien qu’elle ne per­
mette d’éviter des examens que
chez moins de 15% des patients,
la règle Ottawa-HSA répond à ce
critère. Son utilisation étendue
n’est cependant pas encore
conseillée, sa sensibilité devant
être validée dans une étude prag­
matique (management study), au
cours de laquelle la prise en
charge d’une population repré­
sentative devra être basée sur
l’utilisation prospective de la
règle. Dans l’attente d’une telle
étude, la règle Ottawa-HSA, déri­
vée et validée dans ce travail, ne
doit être considérée que comme
un appoint à la démarche diag­
nostique, qui reste essentielle­
ment basée sur la pratique large
du CT-scan et de la PL.
Drs Patricia Mehier
et Thierry Fumeaux
Service de médecine, Hôpital de Nyon
Perry JJ. Clinical decision rules to rule
out subarachnoid hemorrhage for acute
headache. JAMA 2013;310:1248-55.
veau la porte à toutes les formes
de caricatures. Elle est inconce­
vable pour tous ceux qui ont vécu
la Shoah.»
Jean-Yves Nau
[email protected]
1 Le Conseil de l’Europe est une organisa­
tion intergouvernementale instituée en
1949. Elle a pour mission d’élaborer des
normes juridiques dans les domaines de
la protection des droits de l’homme, du
renforcement de la démocratie et de la
prééminence du droit en Europe. Basée à
Strasbourg, cette organisation est dotée
d’une per­sonnalité juridique. Elle con­
cerne les huit cent millions de ressortis­
sants de ses quarante-sept Etats mem­
bres.
2 Voir www.planetesante.ch/Mag-sante/
Ma-sante-au-quotidien/Circoncisionla - croisade - numerique - des - intacti
vistes ainsi que les nombreux commen­
taires sur www.slate.fr/story/79488/cir
concision
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 13 novembre 2013
58_61.indd 4
2133
11.11.13 11:37

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