Phèdre

Transcription

Phèdre
Phèdre
entre
L´innocence et la culpabilité
Recherche prestée
Par
AHMED MAHMOUD MOHAMED AMEN
1
Introduction
Il est impératif de dire, d'abord, que Racine aborde dans cette
tragédie la problématique du dérèglement passionnel comme
une force destructive qui dégrade et consume, corps et âme, les
personnages qu'elle envahit.
Il montre que aveuglement des passions, la dérive des désirs,
la tentative mortelle d'atteindre un bonheur possible en
dépassant toutes les lois, provoquent une issue mortelle.
« Dire ou ne pas dire » tel est le problème tragique, pour la
reine Phèdre, qui va déterminer tout son comportement et qui
met à épreuve sa morale. C'est une mise en valeur de attrait de
interdit, du « fruit défendu » à ses yeux.
Cette recherche se veut une étude critique et psychocritique*
du comportement de Phèdre, aussi bien qu'une mise en lumière
entre la culpabilité et l'innocence.
----------------------------------------------------------------------------* La
psychocritique: méthode d´étude des textes littéraires par la mise en évidence
des symptômes de inconscient de auteur.
Le personnage de Phèdre
2
Une question qui ne cesse de se poser, dès la parution de cette
tragédie jusqu'à nos jours: est-ce que Phèdre n'est vraiment ni
tout à fait coupable ni tout à fait innocente?...Et pourquoi n'estelle pas complètement coupable?!...
Lorsque Racine conclut que Phèdre n'est pas complètement
coupable, il s'appuie sur la fatalité de sa passion incestueuse et,
comme il pense, sur son âme à qui la grâce manque. Et pour
pouvoir donner un jugement assez juste sur ce personnage, il
faut le comprendre moralement et religieusement bien avant
aveu et après. En mettant son héro ne dans une situation
critique, il entendait faire ressortir ambigu té de ce personnage.
Deux péripéties sur lesquelles repose, cette ambigu té et action
toute entière: annonce de la mort de son mari, le roi, Thésée, et
puis son retour. Au début de la pièce, et uniquement dans une
scène de acte premier, la période de son mutisme, Phèdre n'est
qu'une conscience parlée et non une délibération véritable. Une
reine noble, lucide, débordante de pureté et de sentiments si
vertueux, connaît et juge elle-même ainsi que le monde
extérieur. Et sa pureté empêche de confesser les palpitations de
son cœur à sa nourrice:
« Grâce au ciel, mes mains ne sont point criminelles.
Plüt aux dieux que mon cœur fût innocent comme elles! »¹.
----------------------------------------------------------------------------1- Racine. Phèdre. Bordas, Paris 1979. P: 49
3
Directement au début de la scène suivante, et aussitôt qu'elle
apprend la fausse nouvelle de la mort de son mari, le roi Thésée,
nous sommes surpris par la présence d'une autre Phèdre mue par
la haine, instinct et animal, une Phèdre à échelle humaine,
sensuelle et assujetie entièrement à la furie passionelle. Nous
sommes frappés de stupeur comme si
on était devant un
personnage, toujours au gré de sa passion aveugle et déchaînée
qui devient sa seule conscience dirigeante. Cette passion devient
sa seule fenêtre d'où elle voit le monde extérieur, le bourreau qui
extermine toute sa moralité. Phèdre tient cette fausse nouvelle
pour un prétexte afin de se dérober à toutes ses responsabilités
en tant que reine et qu'une femme noble, et reçoit à bras ouvert
la proposition de sa nourrice d'épancher sa passion funeste à son
beau- fils:
«Hé bien! à tes conseils je me laisse entraîner.
Vivons, si vers la vie on peut me ramener, »¹.
Donc, à partir de ce concept, nous pouvons dire que son
attachement à la vertu n'est pas sincère. Elle accepte avec
préméditation toutes les intentions les plus serviles de sa
nourrice. Racine considère que la calomnie est quelque chose de
trop bas et indigne d'une reine; mais en même temps, il est
satisfait que son héro ne soit complice de cette calomnie
honteuse contre un innocent ; et il se délecte à la voir
----------------------------------------------------------------------------1- Phèdre, Op. Cit. P: 55
4
tomber à genoux devant Hippolyte en mendiant un peu d'amour.
Cette passion n'est pas chez elle un épanouissement du cœur,
mais une convoitise à goûter le péché, un mal qui éteint toute
lumière dans son cœur et qui étouffe chez elle le cri de la raison:
« Hélas! du crime affreux dont la honte me suit
Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit. »¹.
André Gide commente ces vers disant que: « ce qu'elle regrette,
ce n'est point tant sa passion funeste que de ne avoir pas
assouvie »². Elle ne se préoccupe plus de la destinée
d'Hippolyte, innocent qu'elle calomnie horriblement avec aide
de sa nourrice. À la suite de ce complot diabolique, ce fils
malheureux est abandonné par son père à toute la colère de
Neptune, le dieu de la mer. C'est le fruit du crime qui rend
Phèdre une source de haine destructive même pour la nourrice,
sa confidente dévouée, lorsqu'elle perçoit que sa nourrice est à
bout de forces:
« Je ne t'écoute plus. Va- t'en, monstre exécrable.
Puisse le juste ciel dignement te payer!
Et puisse ton supplice à jamais effrayer
Tous ceux qui, comme toi, par de lâches adresses »³.
Dans toutes ses pièces, Racine ne néglige point de donner le
choix à ses personnages, et notamment aux principaux. La
----------------------------------------------------------------------------1- Phèdre, Op. Cit. P: 99
2- Ibid. P: 99
3- Ibid. P: 100
5
question: que faire? est inévitable dans toutes ses traégdies pour
permettre aux lecteurs ou aux spectateurs de reconnaître les
moralités de ses personnages à travers leurs réactions vis- à- vis
des événements: dans « Iphigénie », on se demande si héro ne
sera sacrifiée; dans « Andromaque », si Pyrrhus épousera la
veuve d'Hector; dans « Bajazet », si le héros échappera aux
menées de Roxane. En ce qui concerne Phèdre, héro ne est
enfermée dans un lieu clos, avec la dite question entre aveu ou
le mutisme. Racine déclare que « lorsqu'elle est forcée de la
découvrir, elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que
son crime est plutôt une punition des dieux qu'un mouvement de
sa volont黹. Cependant, on se demande si le feu vert qu'elle
donne à sa nourrice pour s'y prendre à sa guise et pour calomnier
Hippolyte n'est- il pas un mouvement de sa volonté?... où estelle la morale de âme qui aspire au rachat lorsqu'elle accepte
que sa nourrice fait le jeu du diable?. Racine ne regarde son
héro ne comme coupable que parce qu'elle ressent, malgré elle,
une passion irrésistable pour Hippolyte, alors qu'il s'éfforce de
justifier toute sa conduite basse et honteuse, dès son aveu et
même sa calomnie terrible de mèche avec sa nourrice pour
Hippolyte, seulement d'une agitation d'esprit: « Phèdre n'y
donne les mains que parce qu'elle est dans une agitation d'esprit
qui
la
met
hors
d'elle-
même
»².
Le
crime
----------------------------------------------------------------------------1- Phèdre, Op. Cit P: 32
2- Ibid. P:32
6
ne réside pas dans ses sentiments mais dans sa conduite parce
que Phèdre transforme ce qui est incontrôlable et injustifiable
en un comportement vengeur de sa volonté. La fatalité n'assume
pas toujours les fautes humaines. Il est vrai qu'elle a allumé le
désir dans son cœur, mais les résultats catastrophiques qui
se sont ensuivis justifient la conduite aberrante de Phèdre seule;
la fatalité ne devrait pas être unique critère pour juger cette
tragédie.
L'amour incestueux et la mort
De par la formation religieuse de Racine à Port- Royal, il a pu
savourer, au sein de la société, les délices de la vie luxueuse qui
lui permettait tout; ce qui le pousserait à discuter d'un sujet tout
à fait interdit sur le théâtre classique: inceste, et pour amortir le
choc sur les spectateurs, il a recours à ce qu'on appelle la
passion fatale: « inceste était un sujet interdit sur le théâtre;
raison pour laquelle, Racine était engagé à attributer à la passion
voluptueuse une molle tenue mythique afin de dissiper les
craintes des spectateurs »¹. De plus, Racine veut répondre, par
cette fatalité, à une question pressante: comment peut- on
qualifier de « raisonnable » une reine si fortememt soumise
à une passion si noire qu'elle oublie tous ses devoirs?. Il est
----------------------------------------------------------------------------1- Riad Ismat. Le héros tragique dans le théâtre mondial. El- Tale'a, Beiyrut. 1980,
P: 70
7
impossible de convaincre les spectateurs qu'une telle reine
commet tous ses péchés mortels parce qu'elle tombe tout
simplement amoureuse. Donc, il faudrait fourrer dans cette
passion une puissance surnaturelle pour justifier son obstination
honteuse.
En fait, Racine s´efforce en vain d´éclipser la frontière entre
action du destin et la responsabilité de héro ne. Il tâche de lui
ôter ce qu'on appelle le flagrant délit.
Il la condamne, de
manière implicite, à inceste, à adultère, au mensonge, au
déchaînement des plaisirs; puis il commence à chercher des
excuses à ses crimes. Phèdre accuse Vénus, et lance son
imprécation contre la cruelle destinée, et elle oublie que le mal
réside en elle, lorsqu'elle se donne à ce désir incestueux qu'elle
accepte un instant, avoue sa monsrtruosité qu'elle proclame sans
retenue, et qu'elle attaque honneur d'un innocent.
Avec intention perfide
empêtrer Hippolyte dans le péché,
Phèdre s'est réfugiée au monde de
immaginaire tout en
s'identifiant à sa sœur, Ariane. Ce serait donc elle qui lui
donnerait le fil sauveteur dans le Labyrinthe. Seule une telle
scène chargée de confusion et
équivoque lui permettrait
épancher inavouable:
« Oui prince, je languis, je brûle pour Thésée.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage,
Ma sœur du fil fatal eût armé votre main
Mais non, dans ce dessein je aurais devancée:
8
amour m'en eût d'abord inspiré la pensée.
Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée, ou perdue »¹.
Mais avec horreur et la stupeur qu'elle voit couvrir ses yeux,
elle commence à se plaindre de son destin tragique et à se
défendre comme une victime de la cruauté des dieux:
« Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les Dieux m'en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang;
Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d'une faible mortelle»².
Et devant son refus et sa résistance, elle ne se plie point. Elle
commence à chercher des excuses à son refus pour se laisser
convaincre qu´il y a encore d´espoir pour atteindre ce qu´elle
veut:
« Œnone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse.
Nourri dans la forêt, il en a la rudesse.
Hippolyte endurci par de sauvages lois,
Entend parler d'amour pour la première fois »³.
Elle n'hésite pas une seconde à envoyer sa nourrice, qui a des
inclinations plus serviles, pour éveiller chez Hippolyte de la
pitié pour sa maîtresse et à lui laisser la liberté d’agir; tantôt en
----------------------------------------------------------------------------1- Phèdre. Op. Cit. P: 68
2- Ibid. P: 70
3- Ibid. P: 76
9
faisant briller la couronne à ses yeux, tantôt en lui transmettant
les douloureuses plaintes de Phèdre mourante:
« Œnone; fais briller la couronne à ses yeux.
Qu'il mette sur son front le sacré diadème;
Tes discours trouvent plus d'accès que les miens.
Presse, pleure, gémis, plains- lui Phèdre mourante
Ne rougis point de prendre une voix suppliante »¹.
Dans quelle humilité s'enfonce Phèdre! Elle permet à ce désir de
la dégrader et de la consumer corps et âme. Une telle âme ne
cherche jamais le rachat. Elle préfère être brûlée par le feu de la
jalousie, qui devient une furie vengeresse en voyant le cœur de
son idole Hippolyte, qui reste indomptable, inaccessible à ses
prières, subit amour une autre femme: Aricie. Phèdre n'hésite
pas un instant à courir solliciter, sans la moindre réserve, une
autre aide diabolique de sa nourrice, pour repêcher une dernière
poussée de sa convoitise affreuse:
« Œnone, prend pitié de ma jalouse rage.
Il faut perdre Aricie. Il faut de mon époux
Contre un sang odieux réveiller le courroux
Qu'il ne se borne pas à des peines légères »².
Et si on médite la confession de Phèdre à Thésée pendant les
moments de son agonie, nous trouverons qu'elle lui avoue la
----------------------------------------------------------------------------1- Phèdre. Op. Cit. P: 76
2- Ibid. P: 98
10
vérité sans se repentir. Elle ne se sent pas responsable; elle
pense que les véritables coupables sont la déesse et la nourrice,
et qu'elle n'est qu'un jouet de ce double pouvoir:
« Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste;
La détestable Œnone a conduit tout le reste »¹.
Elle ne tarde pas à fuir sa responsabilité et à charger le destin et
la nourrice de son péché. Elle n'a même pas le courage
en
assumer les conséquences.
Donc, sa mort est la fin logique d'une femme parfois abattue,
parfois ivre d'amour, et qui se trouve soudainement un rien du
tout aux yeux de son idole, incapable de poursuivre sa vie sans
son amour qui lui fait perdre sa lucidité et sa noblesse.; et
Racine dégrade son héroïne au point que nous ne pouvons pas
avoir pitié d'elle.
D'autre côté, Racine tâche d'insérer , dans sa trgédie , une
des règles aristotéliciennes qui repose sur la notion de la faute,
et qui ne s'accorde point avec la fatalité. Cette règle stipule qu'il
n'y a pas de héros tragique tout à fait coupable ou tout à fait
innocent. Si le héros est totalement coupable, il méritera
absolument le châtiment et les spectateurs n'en seront pas emus;
si le héros est, à inverse, totalement innocent, son châtiment
indignera certainement les spectateurs, mais il ne les touche pas.
Comment peut- on, alors, adapter la notion de la passion
--------------------------------------------------------------------------1- Phèdre. Op. Cit. P: 115
11
fatale, figurée comme une vengeance divine surpuissante ,
acharnée contre une femme dépouillée de toute volonté, avec
cette règle qui exige un
libre arbitre et qui recommande
que le héros tragique jouit même d'une partie de pouvoir agir
pour suivre ou bien la voie du salut ou bien la voie de la
perdition; ou bien encore pour s'engager dans une voie
intermédiaire pour n'être ni tout à fait innocent ni tout à fait
coupable.
Le sens du sacré essentiel à la tragédie
de Racine
Il est bien évident que Racine nous y présente une tragédie
unipolaire maîtrisée par une puissance foncièrement maligne,
douée d´une action néfaste et occulte; non pas comme une
divinité qui rend la justice ainsi que la croit le jansénisme. Nous
ne pouvons même pas appeler cette tragédie un monde moral où
s'affrontent les forces du mal et celles du bien parce que auteur
paralyse complètement le rôle des dernières. Phèdre est engagée
par son destin et par la colère de Vénus dans une passion
illégitime parce que le Soleil, son grand- père, a dévoilé, en
éclairant de ses rayons , le rapport illégitime de Vénus, déesse
de la beauté et de amour et épouse du dieu Vulcain, et son
amant Mars, dieu de la guerre. Pour se venger, Vénus d'abord
fait tomber Pasiphaé, la mère de Phèdre, amoureuse d'un taureau
dont la malheureuse a un monstre, le minotaure, et poursuit sa
12
fille, Phèdre de sa haine et dépose dans son cœur une passion
noire pour son beau- fils. Alors, Vénus semble commander les
principales péripéties de action. Elle se montre cruelle, se plaît
à séduire sa victime et à lui sourire pour mieux la perdre. Où est
la puissance des forces du bien?!... Pourquoi Phèdre ne
s'adresse- t- elle pas à son père Minos* pour appeler à son aide
contre Vénus qui s'acharne sur elle et sur sa famille?!... Ne peutelle pas implorer le soleil, son grand- père maternel, de lever
cette oppression, notamment que c'est lui qui est la cause de
cette haine?!. Zeus, son grand- père paternal,
n'est- il
pas
le « dieu du ciel et maître des dieux »¹?!; c'est lui qui fait régner
sur la terre ordre et la justice. Comment accepterait- il cet abus
et cette injustice dans son univers, si Phèdre le prie de la
sauver?!. Phèdre elle- même ouvre sous nos yeux la colère
prévisible de son père Minos, soulevé non pour sa passion, mais
pour sa démarche honteuse et pour le spectacle choquant
dans lequel elle avoue son amour à Hippolyte, en présence de sa
nourrice, sans la moindre réserve:
« Que dirais- tu mon père, à ce spectacle horrible?
Je crois voir de ta main tomber urne terrible;
Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,
----------------------------------------------------------------------------* roi légendaire de Crète, célèbre par sa justice et par sa sagesse, qui lui valurent,
après sa mort, d'être juge des enfers
1-Petit
Larousse
en
couleur,
langue
BREPOLS.Imprimé en Belgique, 1989. P: 1712
13
française.
Imprimeur-
Relieur:
Toi- même de ton sang devenir le bourreau »¹.
Phèdre hisse très tôt le drapeau blanc devant la volonté maligne.
Mais selon optique théologique, pouvons- nous concidérer
Phèdre comme une janséniste qui cherche le rachat?
Pour éclaircir cette question, nous jugeons nécessaire de
reconnaître
d'abord
que
toute
époque
classique
est
profondément influencée par les écrits de Saint Augustin*qui
insiste que Dieu réserve sa grâce à ceux qu´il veut et leur
accorde sa générosité immense, et que leurs actions ne seront
jamais suffisantes pour atteindre inestimable salut. Ce qui ne
signifie pas que
homme reste les bras croisés, sinon il
n´existerait pas de moines et d´ascètes qui se retirent du monde
et des délices de la vie et qui se consacrent à Dieu pour lui
solliciter sa grâce. Au contraire, il doit tout faire et s'éfforce de
se sanctifier, parce que élite de Dieu n'est que les bienfaiteurs
qui luttent pour obtenir leur salut. Toutefois, ils auront toujours
besoin de sa grâce pour le rachat: « cette doctrine professait que,
depuis le péché originel, homme n´est plus entièrement libre
qu´il ne peut obtenir le salut de son âme que par la grace divine
et par elle seule. (…). Ce qui ne signifie pas que homme ne
doive rien faire pour se sanctifier. Mais ses pensées et ses actes,
si vertueux soient- ils, ne seront jamais suffisants pour mériter
----------------------------------------------------------------------------1- Phèdre. Op. Cit. P: 98
*Un théologien dont
évêque hollandaise Jansénius lui- même avait fait le
commentaire qui constitue le jansénisme.
14
inestimable bienfait du salut »¹
Alors, homme est, selon cette doctrine, tout à fait responsable
de ses actes, et la grâce de Dieu n'est accordée qu' à ceux qui
prennent le droit chemin et à qui se hâtent à faire les bonnes
œuvres dans leur vie. Or, que Phèdre a- t- elle fait pour mériter
la grâce de Dieu dès sa confession à Œnone jusqu’ à la fin de la
pièce?!:« Racine avait gardé empreinte du jansénisme, après
avoir passé son enfance et sa jeunesse parmi les Solitaires; mais
qu'il ait voulu faire, dans quelque intention que ce soit d'ailleurs,
de Phèdre une janséniste, une chrétienne à qui la grâce aurait
manqué, paraît exclu »².
Ailleurs, auteur déclare: « ce que je puis assurer, c'est que (…)
les moindres fautes y sont sévèrement punies. La seule pensée
du crime y est regardée avec autant d'horreur que le crime
même »³. Cette parole serait vrai si le péché n'était qu'une seule
pensée dans la tête de héroïne, si Phèdre mourait sans en faire
confidence à personne. Même si elle a éprouvé des scrupules,
des hésitations, son geste meurtrier est toutefois celui du
désespoir, non du remords. C'est un geste égoïste parce que
Phèdre y cherche son propre repos, lorsque son désespoir arrive
à son comble. Et contrairement aux jansénistes qui ont un sens
----------------------------------------------------------------------------1- Roger Mathé, Alain Couprie: Profil d'une œvre (Phèdre), Hatier, Paris, 1993,
p: 67-68
2- Phèdre.Op. Cit. P: 20
3- Ibid. P: 34
15
aigu du péché, Phèdre se sent plus coupable d´avouer son amour
que de le tenir en secret: « (…) son suicide est contraire au
jansénisme (et au christianisme en général); mais il fait partie de
arsenal tragique; c'est un des ressorts du dénouement »¹.
Sur le plan de la dramaturgie et sans entrer dans ses
minutieuses lois, force est de reconnaître que Racine enrichit sa
pièce de la portée morale au moyen d'appliquer dans le théâtre le
principe de opposition de action et de la réaction, c'est- à- dire,
il montre les ravages des dérèglements passionnels et leurs
conséquences mortelles pour faire éviter au spectateur de
réincarner cette conduite et de tuer chez lui le désir d'imiter ce
personnage. Alors objectif de cette tragédie n'est pas de prêcher
les gens, mais de leur être utiles: « il convient d'y voir une pièce
qui respecte les lois traditionnelles du genre »².
Conformément à la psychocritique, nous découvrons que la
culpabilité se déplace, dans cette pièce, un désir du fils pour la
mère à une passion incestueuse
une mère pour le fils. À
l'inverse de ce que dit Racine dans sa préface: «Hippolyte est
accusé, dans Euripide et dans Sénèque, avoir en effet violé sa
belle- mère …). Mais il n'est ici accusé que d'en avoir eu le
dessein »³. Selon la psychocritique qui s'inspire tant des théories
de Freud, tout fils subit le désir de s'unir à sa mère, c'est- à- dire
--------------------------------------------------------------------------1- Roger Mathé, Alain Couprie. Op. Cit..P: 68
2- Ibid. P: 69
3- Phèdre. Op. Cit. P: 33
16
le complexe d'Œdipe. Alors, à partir de cette notion, Hippolyte
éprouve ce désir incestueux à sa belle- mère, Phèdre. Mais il se
heurte au « sur- moi »* que représente son père, Thésée,
obstacle qui empêche ce désir. Cependant, Hippolyte a besoin
d'un partenaire légitime. Alors, le « moi »* surgit ici pour lui
permettre de faire un couple avec une autre femme: Aricie. Mais
maleureusement, là encore, cette puissance est refoulée par le
«sur- moi», parce que Thésée a donné ordre que personne ne se
marie avec Aricie. Pourtant, Hippolyte ressent que sa passion
pour Aricie est normale et légitime, bien qu’elle soit interdite
par son père. Alors que la passion de Phèdre suscitée par le
«ça»* est incestueuse et dégoûtant. La noblesse d' Hippolyte
incite à trouver un accord entre ce qu'il veut et ce qui lui est
interdit. Il incarne image brillante de homme qui mène une
vie saine et honorable.
En même temps, Phèdre se montre toujours écrasée
parfaitement par un « moi » maladif qui n’est soumis qu’ à la
volonté dépravée mettant la raison tout à fait en marge. Le
«moi» chez elle représente la source de son malheur et la cause
---------------------------------------------------------------------------*
Dans le vocabulaire de la psychanalyse, le « sur- moi » se constitue de ensemble
des tabous et des interdits religieux et moraux traditionnels.
* Le « moi » désigne la
partie consciente de individu, soumise à la raison et à la
volonté.
* Le
« ça » représente la zone inconsciente de individu, où règnent les instincts les
plus primitifs.
17
fondamentale dans laquelle réside sa culpabilité et sa
condamnation. Donc, selon cette interprétation le « moi » chez
Phèdre s´éloigne de la bonne volonté qui incite homme à faire
du bien pour obtenir le salut; et avec absence du « sur moi », le
«moi » chez elle devient une passion du cœur maladive et
déchaînée.
Sur le même plan psychocritique, si nous partons du principe
que la personnalité privée de auteur se projette dans son œuvre,
nous y découvrons sa vie cachée, les images qui obsèdent,
outre ses désirs enfuis. Dans cette pièce, les personnages de
Phèdre et Hippolyte ne reflètent que la personnalité de Racine.
Orphelin de bonne heure,
auteur voit en la Mère Agnès,
supérieure de école de Port- Royal, objet de crainte et d’amour
à la fois: la Mère Agnès concourt à la formation de son « sur
moi » parce qu'elle est le substitut de sa mère. Le personnage
d'Hippolyte, le chaste et le noble, qui vit avec indifférence
envers les femmes, sauf sa passion honorable pour Aricie,
illustre Racine lui- même qui a grandi dans un milieu fortement
marqué par le jansénisme et son sens aigu du péché; mais qui a
en même temps constaté, à côté de cette éducation religieuse,
une autre éducation classique et païenne. En fait, c'était cette
ambiance, fortement marquée apparemment par austérité et la
discipline, qui a légitimé pour Racine un relâchement flagrant
dans la religion et dans la morale toute en général: « c'était
des papes, des moines, les membres des ordres les plus austères,
18
qui avaient fondé et légitimé pour Racine, à côté du monde
chrétien, dont tous les héros ne pouvaient être que chrétiens, un
monde à héros profanes. …), le futur défenseur de Dieu et de
Jansénius, après la prière et histoire sainte, entrait subitement
dans un univers de sacrifices humaines, d´inceste et d´adultère»¹
Alors que Phèdre ne reflète que les scandales de sa vie: « le
jeune homme se dissipe et découvre avec fascination les salons
de la capitale »². Phèdre, qui est implicitement condamnée, n'est
que la face obscure de la vie privée de Racine dont il tente de
redorer le blazon, et image déformée du perfectionnement
spiritual et moral qu´il a vue pendant sa vie religieuse.
----------------------------------------------------------------------------1- Jean Giraudoux: Littérature.Éditions Bernard Grasset, Suisse 1941, P: 35
2- Littérature tome 1, Moyen âge,
v1, v11, v111 siècles. M. H. Part et M.
Aviérinos, Bordas,Paris 1997, P: 282
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Conclusion
Cette recherche est un essai de jetter la lumière sur une idée
qui ne cesse d'être contestée dans une des tragédies de Racine:
Phèdre n'est ni tout à fait coupable ni tout à fait innocente.
La tragédie de Phèdre représente enchaînement logique d'une
femme totalement soumise à sa passion et qui court de défaite
en défaite: « possédée par sa passion, elle ose parler, dire son
désir, c'est- à- dire avouer sa monstruosité, la proclamer,
accepter un instant. Quand elle se ressaisira, il sera trop tard, la
mort aura frappé innocence, le monstre aura fait son œuvre »¹
Avec cette tragédie Racine veut expier une vie dissipée et se
reconcilier avec les jansénistes; mais nous voyons qu´il n´a pas
réussi sa tâche, parce qu´il n´est pas arrivé à représenter son
héroïne ni comme une janséniste ni comme une victime écrasée
par la volonté de la déesse: « une belle- mère amoureuse de son
beau- fils, et le haïssant, le persécutant pour ne pouvoir s´en
faire aimer, voilà Phèdre »².
----------------------------------------------------------------------------1- Jean- Pierre LANDRY, Isabelle MORLIN: La littérature française du XVII siècle.
ARMAND COLIN, Paris 1993. P: 111
2- G. Lanson: Histoire de la littérature française. Édition Hachette, Paris 1894. P:544
20
Bibliograghie
Source
Racine: Phèdre. Bordas, Paris 1979
Références
JEAN GIRAUDOUX: Littérature. Éditions Bernard Grasset,
Suisse 1941
Riad Ismat: Le héros tragique dans le théâtre mondial. ElTale'a, Beiyrut 1980 édition arabe
Jean- Pierre LANDRY, Isabelle MORLIN: La littérature
Française du XVII siècle. ARMAND COLIN, Paris 1993
G. Lanson: Histoire de la littérature française. Édition
Hachette, Paris, 1894
Roger Mathé, Alain Couprie: Profil d'une œuvre (Phèdre).
Hatier, Paris, 1993
Littérature tome 1, Moyen âge,
v1,
v11,
v111 siècles.
sous la direction de M. H. Part et M. Aviérinos, Bordas, Paris
1997
Petit Larousse en couleur,langue française. ImprimeurRelieur: BREPOLS. Imprimé en Belgique, 1989
21