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Les Agapes Le banquet est un partage et participe du don gratuit ; il offre l'essentiel et le vital, le solide et le liquide… et scelle un moment privilégié, qui offre un havre de paix au voyageur sans en attendre de compensation. Je ne souhaite pas entrer dans l'historique, ni dans une tentative d'explication des divers moments où le banquet offre une image symbolique. Car pour bien comprendre le banquet il faut le vivre le partager. Que ce soit de la fête des morts au Mexique, aux feux de la Saint-Jean dans les populations du Nord, ou à la Cène christique, l'alliance du pain et du sang à la terre est aussi vieille que l'humanité. Ce qui ne signifie pas que l'on doive négliger les besoins organiques impérieux… donc ce qui exorcise les peurs ancestrales et entraîne parfois des débordements au sein desquels le corps exulte. De René Goscinny jusqu'à Claude Lévi-Strauss la tradition illustre l'activité sociale par un banquet classique ou rituel. Depuis les loges militaires qui tutoyaient la mort jusqu'à la Franc-maçonnerie contemporaine, le banquet dévoile des vérités cachées ou difficiles à saisir sans son intermédiaire. Livrons nous sans détour à cette communion du corps et de l'esprit qui révèle sans doute notre meilleure part d'humanité. Malheureusement les représentations des «Repas de francs-maçons» sont rares. Les images suggèrent qu’elles étaient accompagnées de chants. Et l'on sait depuis Anderson - et cela vaut pour tout le XVIIIe siècle (voir la musique maçonnique de Mozart) - que chants, musique, repas et fêtes maçonniques cohabitaient de la même façon ainsi que chansons et autres poèmes pouvaient être mis en musique ou simplement déclamés ou chantés a cappella. Or donc, nous avons déposé nos gants, ces gants auxquels la maçonnerie nous a habitués dès le premier jour, comme symboles de pureté, pour éviter le contact avec la matière impure. Ici, a contrario, il s'agit d'éviter toute mise à distance ou toute séparation entre la substance et nous-mêmes. J'irai même plus loin: ces mains nues permettent un contact direct entre les différents acteurs, comme s'ils étaient amenés à former un corps unique, chacun ne représentant qu'un élément de cette corporéité élargie, ainsi que cela est fait dans la chaîne d’union. On nous présente donc le pain et le vin, avant tout autre aliment. Il s'agit bien de présenter dans le sens premier du terme à savoir montrer pour faire connaître - au plan symbolique ces substances fondamentales, que sont le pain et le vin. Le pain « symbole de nourriture spirituelle» donc essentielle, c'est le pain sacré de la vie éternelle tel que le désignent les rituels maçonniques et autres liturgies. Sa fabrication, la panification, requiert l'action du feu, principe actif et symbolique de la transformation spirituelle. Symbolique qu'on peut rattacher aux petits mystères, principe de vie active qui fit l'objet de la multiplication (de l'ordre du quantitatif) ; c'est l'élément solide, la matière, que l'on peut assimiler au principe alchimique du mercure. Le vin « symbole de connaissance », boisson des dieux qui accorde l'immortalité. Le vin fait référence aux grands mystères et à la vie contemplative ; la transformation de l'eau en vin, de l'ordre du qualitatif, est annonciatrice d'une des plus profondes mutations eau/vin/sang. Pour l'alchimiste, le vin, est l'agent actif et générateur du Grand Œuvre qu'on assimilera au principe du souffre. Ainsi se trouvent présentés les deux principes contraires mais complémentaires de la nature, l'incontournable dualité unitaire. A cette présentation va succéder le partage collectif du pain et du vin: classiquement, ce que l'on mange est transformé dans le corps, qui en tire ce qui est bon pour lui, puis en rejette les résidus. Au plan de l’Etre, c'est intégrer la totalité des énergies divines qui sous le symbole de l'herbe (le pain) et du fruit (le vin) sont la nourriture de l'Adam de la Genèse. L'estomac se fait réceptacle du divin et le repas rituel tend vers un retour aux normes de l’Etre primordial. Mais ne pourrait-on pas faire une analogie entre l'estomac et l'œuf philosophique de l'alchimiste? N'est-ce pas là qu'était enfermée la matière d'œuvre pour le« mariage philosophique » du Soufre et du Mercure? Creuset particulier qui, au terme des transformations, s'éclairait d'un rouge éclatant, témoignant de la rubéfaction que les alchimistes symbolisaient par le phénix, le pélican, ou un jeune roi couronné, enfermé dans l’œuf philosophique Toutes les formes du symbolisme sont utilisées dans le sens d'une évolution du matériel au spirituel comme au cours des étapes du travail de l’oralité. Depuis l'échange alimentaire, où le fait de mâcher de la matière réduit l'ambivalence de la nature humaine, le désir archaïque de détruire et de tuer (repas totémique, vestige de cannibalisme) cède le pas au désir de s'incorporer, de s'identifier à l'époque bénie de l'unité fusionnelle. Nous pouvons dire alors que le Grand Œuvre remplit son office puisque la matière sur laquelle il faut travailler, c'est l'homme luimême, le symbolisme ne s'appliquant pas à la matière, mais à des opérations d'ordre spirituel. Comme le confirme l'alchimiste Grillot de Givry: « Tu es la matière même du Grand Œuvre», et ce non seulement sur le plan individuel, mais sur le plan collectif. Si l'expérience du sacré est individuelle et se manifeste par le langage, la dimension sociale et collective du phénomène sacré, traduite dans la gestuelle du banquet, est essentielle. Nous avons tous partagé le pain et le vin, consommateurs physiques de symboles matériels et nous sommes, par le Grand art, devenus symboles spirituels: nous sommes devenus une transformation, une vivante Espérance ! C'est cette transmutation fondamentale, une fois opérée dans le secret de notre âme humaine que nous devons manifester dans le monde alentour. Aboutissements du Grand Œuvre nous concevons et pratiquerons l’Art royal qui est la science de la régénération, ou si vous le désirez, la science de « la réunion de l'homme réuni avec le principe» Ainsi, tous et chacun, régénérés, donc vivants témoins et porteurs de l'Espérance, pourront-nous repartir vers l'extérieur pour répandre cette Vraie Lumière.