BUDGET – Conseil de défense du 29 avril 2015

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BUDGET – Conseil de défense du 29 avril 2015
PRESSE – DEFENSE – BUDGET – Conseil de défense du 29 avril 2015
Intervention du président de la République à la suite du Conseil de Défense
29 Avril 2015
Mesdames, messieurs, ce matin s’est tenu un Conseil de défense en présence du Premier ministre, des ministres
de la Défense, des Finances, de l’Intérieur, de l’Economie, et avec l’ensemble des représentants de nos armées. La
France fait face à des menaces, de lourdes menaces, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de notre territoire. A la
suite des attentats du début du mois de janvier, qui se sont produits en France, avec leurs conséquences
dramatiques, j’avais décidé de placer au plus haut niveau le plan Vigipirate, j’avais également convenu qu’il fallait
maintenir un niveau d’effectifs pour la mobilisation de nos armées dans le cadre de ce plan, autour de 10.000.
J’ai décidé ce matin que cette opération, qui prendra le nom d’opération Sentinelle, serait pérennisée, ce qui conduira
à mettre dans les effectifs prévus 7.000 militaires de façon durable.
J’ai également fait valoir que nos forces extérieures devaient également être placées au niveau élevé, dans le cadre
des opérations que nous menons, et qui ont été décidées dans le cadre de la légitimité internationale, c'est-à-dire de
résolution des Nations Unies, que ce soit pour Barkhane, que ce soit pour la Centrafrique, que ce soit pour l’Irak.
Nous avons vocation, là, à assurer un soutien, à des populations qui peuvent être menacées, mais nous défendons
aussi notre propre sécurité.
Il y a également, dans les prochaines années, à adapter notre capacité de défense, aussi bien nos moyens aéronautiques,
que nos moyens pour assurer la cyberdéfense et le renseignement. Le Premier ministre avait déjà annoncé, il y a plusieurs
semaines, des mesures allant dans cette direction. Elles seront pérennisées, et renforcées.
Plusieurs décisions sont prises. La première c’est qu’en 2015 les crédits du ministère de la Défense, les 31,4
milliards, comme je m’y étais engagé, sont sanctuarisés, et ce seront des crédits budgétaires, sans aucun appel à
des ressources extérieures, ou des ressources exceptionnelles, c'est-à-dire que le ministère de la Défense est sûr
de pouvoir disposer de ces crédits dans l’année 2015.
Pour les autres années, les quatre années qui sont celles de la programmation actualisée, la Loi de Programmation
Actualisée sera présentée au Conseil des ministres du 20 mai. Elle prévoira de dégager 3,8 milliards de crédits
supplémentaires sur ces quatre années. C’est un effort important, c’est même un effort considérable. Il tient compte aussi
des économies que nous avons pu constater dans le ministère, mais il s’agit de crédits qui viennent en plus de ce que
prévoyait la précédente programmation. Pour beaucoup ces crédits sont des crédits de personnel, les moyens que nous
mettons à disposition pour la sécurité de notre territoire, ce sont aussi des crédits en équipements pour être le plus efficace
possible dans les luttes que nous avons à mener, notamment contre le terrorisme.
J’ai pris ces décisions comme Chef des armées, dans un contexte budgétaire que chacun connaît, avec les
engagements qui nous lient dans le cadre européen, et aussi avec la volonté de porter la croissance et l’emploi au
plus haut niveau possible. J’ai fait ce choix parce que c’est celui de la France, celui de sa protection, de sa sécurité,
et je sais que les Français, s’ils veulent avoir confiance dans l’avenir, doivent se sentir partout en sécurité, protégés.
C’est aussi une raison qui justifie les décisions, donner confiance aux Français. Ils l’ont, à l’égard de leurs armées,
ils l’ont à l’égard des autorités politiques qui prennent les décisions, mais ils doivent savoir que les crédits
indispensables sont mis à la disposition de ces objectifs.
La sécurité, la protection, l’indépendance, sont des principes qui ne se négocient pas, car il en va de la force de nos idées et de nos
valeurs, et de la capacité de la France à les défendre. Et, également, je suis convaincu que cette mobilisation exceptionnelle que
nous engageons avec le gouvernement, sera vécue par les Français comme un moyen de s’engager eux-mêmes pour la cohésion
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nationale. Telles sont les décisions que j’ai prises en Conseil de Défense, ces décisions seront donc opérationnelles dès demain,
aussi bien pour le budget 2015 et son exécution, que pour la préparation de la Loi de Programmation Militaire. Je vous remercie,
car il s’agissait là, d’une décision très importante, non pas pour nos armées, mais pour la France.
Merci.
Extraits réaction presse
LE MONDE
29 avril 2015 - David Revault d'Allonnes et Patrick Roger
Budget de la défense : une rallonge de 3,8 milliards d'euros sur quatre ans
Entre impératifs sécuritaires et nécessités budgétaires, le président a donc personnellement tranché, et a tenu à le
mettre en scène. « La sécurité, la protection, l'indépendance sont des principes qui ne se négocient pas », a expliqué
François Hollande pour évoquer l'arbitrage qu'il a personnellement présenté, mercredi 29 avril au matin, à l'issue
d'un conseil de défense auquel étaient également conviés les ministres de l'économie et des finances, Emmanuel
Macron et Michel Sapin.
L'opération Sentinelle est pérennisée. « En 2015, les crédits du ministère de la défense, les 31,4 milliards, (…) sont
sanctuarisés. Ce sont des crédits budgétaires, sans aucun appel à des ressources extérieures », a indiqué M.
Hollande, signifiant par là que l'armée n'aura pas recours à des sociétés de projet.
Pour les quatre prochaines années, la loi de programmation militaire (LPM) réactualisée, qui sera présentée au
conseil des ministres du 20 mai, prévoit « 3,8 milliards de crédits supplémentaires », a affirmé le chef de l'Etat, dont
une partie proviendra des économies réalisées par le ministère de la défense. « C'est un effort important, c'est même
un effort considérable », a-t-il poursuivi. C'est ainsi qu'a donc été présenté le choix de M. Hollande : « un calcul fin
opéré à l'aune des deux priorités que sont notre sécurité et notre souveraineté budgétaire, mais un arbitrage franc
», selon l'Elysée.
Un arbitrage présidentiel attendu
Dire que l'arbitrage présidentiel était attendu relève de l'euphémisme. « Il ne s'agit pas de choisir entre Le Drian et
Sapin, mais de choisir l'intérêt de la France », avait certes tenté de balayer le chef de l'Etat, cette semaine, devant
ses visiteurs. La réunion de ce conseil de défense avait néanmoins, cette fois, été précédée d'une exceptionnelle
montée en pression entre Bercy et l'hôtel de Brienne.
Au point que même les plus proches collaborateurs du chef de l'Etat auraient été – officiellement – tenus à l'écart
des ultimes arbitrages, et ce jusqu'à la dernière minute. « Le président a vraiment souhaité maîtriser la
communication, tel César qui brûlerait son plan pour que personne ne le connaisse, afin d'éviter les jeux d'influence
», glisse l'un de ses conseillers.
Lire aussi : Jean-Yves Le Drian, fidèle du président et VRP de l’armement
Deux impératifs présidentiels étaient confrontés. Le premier, la nécessité pour la France de faire face à la montée
de la menace terroriste, dans le monde et sur le territoire national. La loi de programmation militaire (LPM) 20142019 adoptée en 2013 prévoyait un budget annuel de 31,4 milliards d'euros pour la défense et la suppression de 33
675 postes. L'armée estimait nécessaire d'en préserver 18 500 pour être en mesure de faire face à ses engagements
opérationnels, à l'extérieur et dans le cadre de l'opération Sentinelle, laquelle nécessite de mobiliser une force de
protection permanente de 7 000 hommes.
Elle chiffrait ses besoins supplémentaires à 8 milliards d'euros. Elle en a obtenu 3,8. Les 18 500 postes maintenus,
sur 34 000 départs, ont été confirmés dans la matinée par l'Elysée.
Lire le décryptage : Le budget de la défense, nouveau chantier de l'après-Charlie
« Pas de guerre Sapin-Le Drian »
Le second, les équilibres budgétaires et le programme de stabilité des finances publiques sur lequel la France s'est
engagée vis-à-vis de la Commission européenne, moyennant un délai supplémentaire de deux ans pour ramener
son déficit sous la barre des 3 % du produit intérieur brut. Le gouvernement a présenté un programme de réduction
des dépenses publiques de 50 milliards d'euros en trois ans, voté par le Parlement. Il entend s'y tenir strictement.
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Au cœur de ces deux enjeux inconciliables, deux ministres, Jean-Yves Le Drian à la défense et Michel Sapin aux
finances, deux proches du président. « Il faut arrêter de parler d'une guerre Sapin-Le Drian », s'agace le ministre
des finances. Mais à l'hôtel de Brienne, l'on convenait qu'il s'agissait là de « deux mandats contradictoires », résume
l'entourage du ministre de la défense :
« Il faut certes stabiliser les comptes publics et réduire le déficit. Mais en janvier, il y a aussi eu des attentats en
France… »
Venait de surcroît se greffer à la programmation budgétaire des armées la question des ressources exceptionnelles
(REX). Pour 2015, la vente aux opérateurs de téléphonie mobile de fréquences hertziennes très haut débit devait
permettre de dégager 2,2 milliards d'euros de ressources supplémentaires. Qui risquent de faire défaut si la vente
n'intervient pas avant la fin de l'année. Et l'armée a besoin de cash dès cet été si elle ne veut pas se trouver en
cessation de paiements pour les équipements qu'elle a prévu d'acquérir.
La défense avait envisagé de recourir à des sociétés de projet (SPV) qui achèteraient ces équipements et les
loueraient aux armées. Une hypothèse à laquelle M. Sapin était fermement opposé, et qui a donc été écartée.
« Tout ce qui ira en plus quelque part ira en moins ailleurs »
Moins que de trancher une orientation idéologique, il s'agissait essentiellement de placer le curseur budgétaire avec
une précision d'orfèvre.« Ce n'est pas un choix entre deux modèles différents ou deux philosophies, comme entre
Valls et Taubira sur la réforme pénale. Plutôt que “pour quoi faire”, le sujet, c'est : où Bercy trouve-t-il les ressources
nécessaires ? », commente-t-on dans l'entourage du ministre de la défense.
« On n'est pas complètement d'accord sur l'estimation des moyens et sur l'estimation des économies », réplique M.
Sapin.
Pour Bercy, si une rallonge budgétaire est accordée aux armées, celles-ci peuvent aussi réaliser des économies,
grâce à une inflation quasi nulle et à la baisse des prix de l'énergie. Autre question, non secondaire, la ventilation
dans le temps des crédits budgétaires qui seront affectés à la défense, sachant, comme le résume le ministre des
finances, que « tout ce qui ira en plus quelque part ira en moins ailleurs ».
Adoptant volontiers, depuis l'opération Serval au Mali, en janvier 2013, et surtout depuis les attentats de Paris de
janvier 2015, une posture régalienne et sécuritaire, le président n'a donc pas dérogé à cette ligne de conduite de
plus en plus affirmée, et l'a personnellement endossée, pas mécontent d'endosser une fois de plus ce martial
uniforme :
« J'ai pris ces décisions comme chef des armées dans un contexte budgétaire que chacun connaît, j'ai fait ce choix
parce que c'est celui de la France, de sa protection et de sa sécurité. »
OUEST FRANCE
Défense. La sécurité nationale à tout prix
29 Avril 2015 - Michel URVOY
François Hollande a annoncé ce mardi que 3,8 milliards d'euros supplémentaires seront affectés à la Défense
d'ici à 2019. Analyse.
Irak, Mali, Sahel, Centrafrique, Vigipirate… La sécurité coûte cher. La sanctuarisation du budget de la Défense (31,4
milliards en 2015) et l’annonce d’une rallonge (3,8 milliards) (1) pour les quatre années suivantes sont deux
arbitrages majeurs. Même si, à long terme, ces moyens ne suffiront sans doute pas.
Un compromis intelligent
La “sanctuarisation” signifie que la Défense ne sera pas dépendante de recettes exceptionnelles et que son
financement dépendra du seul budget de l’Etat. Pour Jean-Yves Le Drian, c’est une grande satisfaction: sans ce
relèvement des moyens et sans cette stabilité, il n’aurait pas été possible de faire face aux différentes opérations et
de pérenniser Vigipirate à son niveau le plus élevé.
Pour le ministre du Budget, Michel Sapin, c’est aussi un soulagement: François Hollande ne privilégie plus les
“sociétés de projet”, une sorte de leasing qui permettrait de louer des équipements militaires, faute de pouvoir les
acheter. Bercy y voyait un surcoût et un risque de dérive. François Hollande confie que la formule, par précaution,
pourrait figurer dans la loi “mais qu’elle ne serait pas forcément utilisée”.
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Un financement faisable
La question c’est, bien sûr: qui va payer? Quand on dit budget général, on pense évidemment impôt. Sauf que ces
dépenses militaires sont à mettre en face d’économies ou d’autres recettes.
Les économies: Manuel Valls vient d’adresser des lettres de cadrage au différents ministères. Après le 1,2 milliard
de baisse de dépenses pour cette année, il leur est demandé un effort supplémentaire de 1,6 milliard l’an prochain.
Efforts qui se renouvellent d’année en année.
Les recettes: la vente de licence hertziennes, prévue pour rapporter 2,2 milliards, reviendrait non plus à la Défense,
mais au budget général. La croissance, un peu meilleure au fil des mois, devrait rapporter un peu plus TVA en
particulier. Enfin, la vente de Rafale à l’Egypte et à l’Inde dispense l’Etat d’en acheter autant que prévu pour garantir
une cadence minimale chez Dassault.
Un effort à prolonger
D’abord, les militaires espéraient plus, entre 4 et 5 milliards. Ensuite, l’impressionnante stratégie territoriale et
politique de Daesh, la capillarité croissante entre l’organisation et des réseaux en Europe et en France, obligent à
envisager des moyens élevés et constants. Enfin, il n’est pas concevable que la France, sous le prétexte qu’elle
serait plus soucieuse de son influence internationale que d’autres, finance seule l’essentiel de la protection
antiterroriste de l’Europe.
(1)
François Hollande a annoncé ce mardi que 3,8 milliards d'euros supplémentaires seront affectés à la Défense d'ici à 2019
Dans son discours à l'issue du Conseil de défense qui vient de se terminer, François Hollande a annoncé ce mardi que 3,8 milliards
d'euros supplémentaires seront affectés à la Défense d'ici à 2019, dans le cadre d'une loi de programmation actualisée présentée en
Conseil des ministre le 20 mai. 7 000 militaires seront affectés en permanence à la sécurité nationale, a aussi annoncé mercredi
François Hollande.
Il a précisé que les crédits de la Défense pour 2015 seront pérennisés à 31,4 milliards d'euros.
L’OPINION
SECRET DEFENSE
Rien de ce qui est kaki, bleu marine ou bleu ciel ne nous sera étranger
29 Avril 2015 – Jean-Louis MERCHET
18500 postes seront préservés dans les armées
Le président de la République n'en a pas parlé dans son intervention de ce matin à l'issue du conseil de défense
(voic ci-dessous), mais on l'assure dans l'entourage du ministre de la Défense : «Comme demandé sur les effectifs,
18500 postes ne seront pas supprimés». Les militaires peuvent déboucher le champagne. C'est la fourchette haute
des propositions du ministère de la défense qui a donc été retenue. Etat donnée qu'il restait environ 25000 postes à
supprimer, selon la loi de programmation militaire, ce chiffre est ramené à 6500, sur 5 ans. Soit une moyenne de
1300 par an.
Cette forte baisse de la baisse des effectifs est-ce raisonnable tant sur le plan du financement que des nouvelles
missions de sécurité intérieure qui la justifie ? C'est une autre histoire, qui est analysée dans un article précédent
(ci-après).
Sur la sécurité intérieure, François Hollande souhaite que l'opération Sentinelle (7000 hommes) «pérennisée (...) de
façon durable».
Pour financer tout cela, 3,8 milliards ont été trouvés pour les années 2016-19. «Ce sont des crédits en plus» par
rapport à la Loi de programmation militaire, a garanti le chef de l'Etat. Ils se répartissent ainsi : 0,6 M en 2016, 0,7
M en 2017, 1 M en 2018 et 1,5 en 2019.
Si l'on ajoute la baisse des dépenses qu'entraîne une inflation basse et la baisse des cours du pétrole, on obtient
encore 2,4 M. Soit un total de 6,2 M. «Inespéré» dit-on à l'Hotel de Brienne.
Le budget 2015 est «sanctuarié» a promis Francois Hollande et ce, «sans appel à des mesures exceptionnelles».
Les recettes exceptionnelles ne sont aps au rendez-vous et les sociétés de projet disparaissent : «Plus besoin. La
pression a permis de retrouver des crédits» explique un proche du dossier. C'est donc Bercy qui financera l'intégralité
des 31,4 M des crédits 2015.
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Le chef de l'Etat a également promis de nouveaux équipements dans le domaine de l'aéronautique, de la
cyberdéfense et du renseignement et le maintien des opérations extérieures à un «niveau élevé».
Armée : le retour
coûteux des gros
bataillons
La décision de préserver les effectifs militaires, pour les missions de sécurité intérieure et de cohésion sociale, est
une impasse budgétaire et stratégique
Publié le mercredi 29 avril à 10h28
(Article précédemment paru dans l'Opinion du 27/28 avril, avant les annonces présidentielles de mercredi matin)
L’esprit du 11 janvier souffle sur l’armée française, en particulier dans l’armée de terre. Pour elle, c’est l’occasion
inespérée de sauver ce qui lui tient le plus à cœur : ses effectifs, réduits comme peau de chagrin depuis un quart de
siècle. Presque une « divine surprise », alors qu’en décembre dernier, il n’était question que des 25 000 postes à
supprimer d’ici à 2019. Terminé ! L’heure est à « la volonté de remonter en puissance », de l’aveu même du général
Jean-Pierre Bosser, le chef d’état-major de l’armée de terre. Les militaires demandent aujourd’hui que ce chiffre de
25 000 suppressions soit ramené à moins de 7 000, soit l’annulation de 18 000 suppressions de poste. Pas sûr que,
une fois les arbitrages rendus, l’Elysée aille jusque-là. Le chiffre définitif se situera à plus ou moins 15 000
annulations. C’est trois fois plus que ce que les états-majors demandaient à la mi-janvier…
Mais, entre-temps, François Hollande et le gouvernement ont décidé de mobiliser l’armée dans une mission de
sécurité intérieure, baptisée Sentinelle. Ce devrait être une mesure d’urgence, temporaire, pour répondre à une crise
aiguë. Elle s’installe désormais dans la durée, à hauteur de 7 000 hommes mobilisés en permanence.
Expliquant benoîtement qu’elle ne faisait que répondre à la demande du chef de l’Etat – ce qui est par ailleurs exact
– l’armée de terre s’est engouffrée dans la brèche ouverte par l’Elysée, le 21 janvier, quand François Hollande a
annoncé une première réduction de la réduction des effectifs de 7 500 hommes. On n’en est pas resté là.
La manœuvre des chefs militaires et du ministre de la Défense est tactiquement très habile. Mais stratégiquement,
c’est une autre affaire : l’armée française risque de foncer dans une impasse se terminant par un mur… budgétaire.
Car, rien de tout cela n’est financé, tant s’en faut. Et l’utilité réelle de l’opération Sentinelle mérite d’être discutée.
Toute la stratégie de l’armée de terre consiste à se réinvestir sur le territoire national, alors que depuis vingt ans, elle
était dans une logique de force expéditionnaire tournée vers les opérations extérieures. Comme ces dernières ne
vont pas disparaître, il faut donc plus de moyens pour « la protection du territoire national », la « sauvegarde de nos
concitoyens » et la « cohésion nationale », comme l’expliquait récemment le général Bosser aux sénateurs. Pour
son chef, le « milieu naturel de l’armée de terre est le territoire national » sur lequel elle doit préserver son « empreinte
territoriale » en mettant fin à toutes les fermetures de caserne. L’officier, nommé à ce poste l’été dernier, a trouvé
une oreille attentive lorsqu’il a expliqué aux responsables politiques que conserver une garnison à Brive, souspréfecture de la Corrèze, chère à François Hollande, était une excellente idée militaire. En conséquence, expliquat-il en substance, il faudra augmenter les effectifs de la force opérationnelle terrestre (FOT), le bras armé de l’armée
de terre, de 66 000 à 77 000 hommes, afin de pouvoir satisfaire le « contrat opérationnel » exigé du pouvoir politique.
Tope là.
Sauf que les caisses sont vides. Pour boucler le seul budget 2015, il manque au moins 2,2 milliards d’euros, auxquels
il faut ajouter les surcoûts des opérations extérieures (Sahel, Centrafrique, Irak, plus un déploiement de blindés en
Pologne, plus l’envoi de bateaux supplémentaires en Méditerranée, et l’année n’est pas terminée…). L’opération
intérieure Sentinelle devrait coûter à elle seule plus de 250 millions. Faute des recettes exceptionnelles prévues par
la loi de programmation (vente d’emprises immobilières et des fréquences 700 MHz), le ministère de la Défense
pousse l’idée de location de matériels majeurs, comme les frégates Normandie ou l’avion de transport A400M,
auprès de « sociétés de projets », abondées par la vente de participations de l’Etat dans des entreprises. Malgré
plusieurs arbitrages favorables de l’Elysée, Bercy reste vent debout contre ce projet.
Sauver les effectifs de l’armée de terre pour assurer la sécurité intérieure, est-ce vraiment une bonne idée ? Quoi
qu’en disent leurs chefs, les militaires ne sont pas très « fanas » de ces missions, plus proches de celle d’un policier
municipal que d’une compagnie de combat. Certes, l’indemnité de service en campagne (de 30 à 80 euros par jour
selon le grade) fait un peu passer la pilule…
Reste que l’implication permanente de l’armée dans la sécurité intérieure – un cas unique en Europe – pose des
questions de principe, au-delà des situations d’extrême urgence. La doctrine d’emploi n’existe pas et ce n’est pas
sans surprise que l’on entend le chef d’état-major de l’armée de terre dire aux sénateurs : « En somme, nos ennemis
sont les mêmes à Gao qu’à Paris… » C’est donc la guerre comme au Mali ? Lutter contre le terrorisme relève d’abord
de la police, de la gendarmerie et des services de renseignement. L’armée a sans doute beaucoup à perdre – en
termes d’image, de recrutement, de savoir-faire – en s’installant comme supplétive des forces de sécurité intérieure.
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Dans le même esprit, l’armée est aussi appelée à s’investir en matière éducative et sociale, avec la mise en place,
annoncée lundi par le président de la République, d’une transposition en métropole du service militaire adapté (SMA)
de l’outre-mer. Quelques milliers de jeunes volontaires, en situation d’échec, y seront encadrés par des militaires,
au nom de la « cohésion nationale ».
Pour mettre en musique tout cela, l’armée de terre va présenter, le 28 mai, lors d’une grande cérémonie à l’Ecole
Polytechnique, son nouveau modèle baptisé « Au contact ». Il s’agit essentiellement d’une réorganisation de son
management interne, avec par exemple le retour des divisions… qui avaient été supprimées en 1999.
Beaucoup, dans les milieux militaires et industriels, craignent que cette priorité aux effectifs se traduise, à terme, par
de nouveaux sacrifices en matière d’équipement, sauf à imaginer une forte augmentation du budget de la défense.
Sans parler des marins et des aviateurs, d’aucuns font remarquer que l’armée de terre manque cruellement
d’hélicoptères lourds Chinook pour mener ses opérations au Sahel. Des engins que même le Maroc ou la Grèce
possèdent. Mais pas la France.

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