Tumeurs ovariennes de l`adolescente
Transcription
Tumeurs ovariennes de l`adolescente
réalités en gynécologie-obstétrique # 170_Novembre/Décembre 2013 Revues générales Gynécologie Tumeurs ovariennes de l’adolescente : une approche interdisciplinaire Résumé : L’adolescence est une période de transition de la vie. À cet âge, les tumeurs ovariennes sont majoritairement bénignes, mais la démarche diagnostique est guidée par le risque de malignité. Les tumeurs malignes primitives de l’ovaire sont rares et sont principalement des tumeurs germinales malignes, puis des cordons sexuels et du stroma avec les tumeurs de la granulosa juvénile. Un bilan étiologique et d’extension complet permet un traitement adapté répondant à l’objectif de préservation du tissu ovarien sans prendre de risque carcinologique. L’ adolescence est une période de transition marquée par une maturation progressive physique, sexuelle, psychologique et sociale, et par l’acquisition d’une autonomie. ➞C. Verite , V. Vautier , 1 L’Organisation mondiale de la santé définit l’adolescence comme une période allant de 10 à 19 ans ; elle englobe dans une large mesure la période pré- et péripubertaire, de 10 à 14-15 ans, dominée par les changements corporels, et inclut la phase de socialisation et d’émancipation, de 15 à 19 ans. 2 F. Lavrand3, J.L. Brun4 1 Service d’Oncologie Pédiatrique, 2 Service d’Endocrinologie Pédiatrique, 3 Service de Chirurgie Pédiatrique, 4 Pôle de Gynécologie Obstétrique Reproduction, Hôpital Pellegrin, BORDEAUX. À cet âge, dans plus de 75 % des cas, les masses ovariennes découvertes sont des lésions bénignes [1]. Pour la plupart d’entre elles, il existe un risque d’atteinte bilatérale synchrone ou métachrone. L’enjeu du traitement est de préserver le tissu ovarien, tout en minimisant le risque de récidive. Les cancers sont moins fréquents mais c’est cette éventualité qui doit guider la démarche diagnostique et thérapeutique. Les adolescentes sont traitées soit dans des unités pédiatriques, soit dans des services d’adultes. Il en résulte une grande hétérogénéité de leur prise en charge médicale et psychologique. 38 [ Démarche diagnostique 1. Circonstances de découverte et signes cliniques Le mode de découverte peut être celui de douleurs abdominales aiguës retrouvées dans 30 % des cas, témoignant le plus souvent d’une complication de type torsion ou rupture [2]. Dans 30 à 45 % des cas, il s’agit d’un tableau clinique plus insidieux avec douleurs abdominales chroniques, distension, ou signes fonctionnels urinaires. Enfin, dans 1/3 des cas, il s’agit d’une découverte fortuite [3]. Des signes endocriniens d’imprégnation estrogénique ou androgénique tels que le développement d’une puberté précoce, des ménométrorragies ou une aménorrhée secondaire avec virilisation peuvent accompagner une tumeur sécrétante du stroma ou des cordons sexuels. 2. Bilan biologique Un dosage des marqueurs tumoraux permet de rechercher les tumeurs sécrétantes : a-fœtoprotéine (AFP), b hormone gonadotrophine chorionique (bhCG), hCG totale pour les tumeurs germinales malignes, inhibine B, hormone réalités en gynécologie-obstétrique # 170_Novembre/Décembre 2013 4. L’exploration chirurgicale par cœlioscopie 3. Le bilan radiologique diagnostiques [ Oetrientations étiologies Pour l’exploration gonadique, l’échographie Doppler sera souvent complétée d’une IRM pelvienne éventuellement avec des séquences en perfusion et diffusion. L’orientation diagnostique repose sur la taille et l’aspect des lésions comme par exemple un aspect caractéristique de dysgerminome ou de kyste dermoïde. La malignité doit être suspectée devant une masse de plus de 7,5-8 cm à prédominance solide [3]. Malgré ces repères, une masse kystique pure peut être maligne dans 5 % des cas. On recherche également des adénopathies abdomino-pelviennes, péritonéales, métastases hépatiques et/ou pulmonaires. Elle permet d’examiner la tumeur, l’ensemble de la cavité péritonéale, et de faire un bilan d’extension qui comportera un prélèvement et une analyse cytologique du liquide d’ascite ou de lavage péritonéal ainsi qu’une biopsie de toute zone suspecte. Une biopsie systématique de l’ovaire controlatéral n’est pas recommandée. L’orientation diagnostique en présence d’une masse ovarienne est basée essentiellement sur les résultats de l’imagerie et les marqueurs tumoraux AFP et hCG [4] (fig. 1). 1. Les tumeurs bénignes Les kystes dermoïdes ou tératomes matures bénins représentent 2/3 des tumeurs ovariennes bénignes [5]. Ils sont diagnostiqués généralement devant une masse volumineuse, hétérogène, à composantes multiples (graisse, dent, cheveux, calcifications). L’atteinte peut être bilatérale dans 10-15 % des cas. La taille tumorale (< 75 mm), l’aspect kys- ORIENTATION DIAGNOSTIQUE Kystique pur Marqueurs négatifs Mixte ou solide Marqueurs négatifs – Kyste fonctionnel – Cystadénome séreux – Cystadénome mucineux – Tératome mature – TGJ (rare) – Tératome mature (calcifications, graisses) – Tératome immature – Tumeurs des cordons sexuels et du stroma (signes hormonaux) – Dysgerminome, gonadoblastome – Tumeurs secondaires (lymphomes) Mixte ou solide Marqueurs positifs – TGM Fig. 1 : Algorithme pour les tumeurs ovariennes pédiatriques en accord avec l’imagerie et les marqueurs tumoraux (AFP et HCG) [4]. tique prédominant, l’évolution lente et les marqueurs négatifs permettent de les identifier au sein du groupe des tumeurs germinales [3]. Les cystadénomes séreux et mucineux représentent environ 1/3 des tumeurs ovariennes bénignes. Le diagnostic peut se faire devant un tableau aigu de torsion ovarienne (19 %) et l’atteinte est souvent bilatérale (22 %) [6]. À l’échographie, on retrouve une image kystique cloisonnée à liquide plus ou moins échogène. L’incidence des tumeurs borderline augmente avec l’âge [7]. 2. Les tumeurs malignes Une masse ovarienne est maligne dans 10 à 20 % des cas [8]. Par rapport aux adultes, il n’y a pas de forme histologique particulière, la répartition est simplement différente. Les tumeurs ovariennes malignes primitives observées à cet âge sont issues, par ordre de fréquence, des cellules germinales (non séminomateuses : vitellines, carcinome embryonnaire, choriocarcinome et tératomes immatures, souvent mixtes, associant différentes composantes, ou séminomateuses : disgerminome), puis des cordons sexuels et du stroma, et enfin des cellules épithéliales [8] (fig. 2). La répartition de ces tumeurs rares à l’adolescence varie aussi selon les sous-classes d’âge. L’incidence globale, qui augmente avec l’âge, est à 1/100 000 entre 10 et 19 ans. La surveillance des cancers de l’enfant en France est assurée depuis 2000 par 20 Nombre de cas anti-müllérienne (AMH), estrogènes et androgènes pour les tumeurs des cordons sexuels et du stroma, puis ACE, CA125 pour les tumeurs épithéliales [4]. Ces marqueurs ont une valeur quand ils sont positifs, mais ne permettent pas d’éliminer la malignité s’ils sont négatifs. Après l’exérèse chirurgicale, ils permettent de vérifier par leur décroissance que l’exérèse est complète, puis de détecter une rechute. Leur intérêt est donc diagnostique et pronostique. Cellules germinales Cordon sexuel et stroma Cellules épithéliales Autres 15 10 5 0 <1 1-8 9-14 Age des patientes (années) 15-19 Fig. 2 : Répartition des différents sous-types histologiques par tranche d’âge [8]. 39 réalités en gynécologie-obstétrique # 170_Novembre/Décembre 2013 Revues générales Gynécologie Les tumeurs germinales malignes représentent donc l’étiologie la plus fréquente. Ces tumeurs sont issues d’une cellule germinale ayant la capacité de différenciation en différentes histologies qui coexistent le plus souvent au sein d’une même tumeur. Elles peuvent coexister également avec un tératome ou, plus rarement, avec des cancers issus de cellules germinales (exemple : rhabdomyosarcome). Les tumeurs vitellines sécrètent l’AFP. Les choriocarcinomes sécrètent l’hCG. Les carcinomes embryonnaires sont non sécrétants, mais on peut observer une sécrétion d’AFP et hCG. Les disgerminomes également sont non sécrétants, mais, dans certains cas, on peut observer une faible élévation d’hCG d’origine synciciotrophoblastique. Un taux élevé > 100 UI/L ou bien associé à une sécrétion d’AFP suggère la présence d’éléments non disgerminomateux dans la tumeur. Les disgerminomes peuvent être bilatéraux dans 10 à 15 % des cas. Ils peuvent survenir à partir d’un gonadoblastome, lui-même développé sur une dysgénésie gonadique. Cette situation peut se retrouver dans différents syndromes génétiques : syndrome de Turner en particulier, en cas de présence de matériel SRY, mais aussi plus rarement les dysgénésies gonadiques XY avec mutation de SRY. Ces situations peuvent justifier des gonadectomies bilatérales préventives [12]. Les tumeurs des cordons sexuels représentent 5 % de l’ensemble des tumeurs 40 malignes de l’ovaire. 70 % sont des tumeurs de la granulosa juvénile et 30 % sont des tumeurs de Sertoli-Leydig. Les circonstances de découverte dépendent de l’âge de la patiente. Ainsi, pour les patientes les plus jeunes, le diagnostic se fait devant la survenue d’une puberté précoce ou évolutive en rapport avec la sécrétion d’estradiol. Chez les patientes déjà pubères, le mode de révélation est le plus souvent lié au syndrome tumoral même s’il existe des signes cliniques de type ménométrorragies ou aménorrhée secondaire avec virilisation en cas de sécrétion d’androgènes [11]. À l’échographie, la tumeur est souvent volumineuse, à composante mixte. Le bilan hormonal et les marqueurs sensibles que sont l’inhibine B et l’AMH permettront le diagnostic. La récidive après traitement est rare, mais elle peut survenir à long terme. Les tumeurs épithéliales surviennent le plus souvent après l’âge de 12 ans et se présentent plus fréquemment comme des tumeurs borderline que de typiques carcinomes épithéliaux [7, 8]. Par ailleurs, on peut observer des lésions secondaires, notamment dans les leucémies-lymphomes. [ Traitement et évolution Pour la plupart des lésions bénignes, le traitement est une tumorectomie afin de préserver le tissu ovarien. Une surveillance prolongée est recommandée du fait du risque de récidive ou encore de bilatéralisation. Pour les lésions malignes, la majorité des patientes peuvent être guéries avec une chirurgie préservant la fertilité combinée ou non avec une chimiothérapie. Pour les TGM, un tiers des patientes ont un stade localisé [13]. Leur traitement est chirurgical, consistant au minimum en une ovariectomie (la préservation tubaire est la règle chaque fois qu’elle est possible), le plus souvent une annexec- tomie. Puis, une surveillance attentive est possible si l’exploration chirurgicale première est complète. Dans les autres cas, le traitement repose sur l’association chirurgie-chimiothérapie. La chimiothérapie peut être effectuée avant la chirurgie, toujours à base de cisplatine et associée à étoposide et ifosfamide (VIP) ou vinblastine, bléomycine (VBP) pour les protocoles pédiatriques, étoposide et bléomycine (BEP) pour les protocoles de type adulte. La survie globale à 10 ans dans le cas des tumeurs ovariennes primitives, toutes histologies confondues, est de 90 % dans une série américaine concernant des enfants et adolescentes (1973-2005, 1 037 tumeurs) [14]. Pour les filles âgées de 10 à 19 ans, pour les tumeurs germinales malignes, toutes localisations confondues, la survie relative globale (observée/attendue) à 5 ans est de 97,7 %. Les tumeurs gonadiques ont un meilleur pronostic que les localisations extragonadiques [15-17] (fig. 3). 90 % des rechutes surviennent dans les deux premières années. Les tumeurs des cordons sexuels et les disgerminomes peuvent avoir des rechutes tardives jusqu’à 10 ans après traitement. Un suivi prolongé est conseillé avec une échographie pelvienne annuelle. Après 1,00 0,75 Survie le Registre national des tumeurs solides de l’enfant (RNTSE). Pour les filles âgées de 10 à 14 ans, pour les années 20002004, ce registre a recensé 44 tumeurs germinales malignes gonadiques, 5 carcinomes gonadiques et 2 tumeurs autres [9]. Pour la tranche d’âge 15-19 ans, la surveillance épidémiologique est effectuée par les registres généraux du cancer du réseau Francim. Parmi ceux-ci, on observe 14 tumeurs germinales ovariennes et 18 carcinomes gonadiques par an (tous observés pour des filles) [10]. 0,50 0,25 0,00 0 5 10 Années 15 20 Tumeurs du système nerveux central Tumeurs ovariennes Tumeurs non gonadiques Tumeurs testiculaires Fig. 3 : Taux de survie pour les tumeurs germinales malignes, des patients âgés de 13 à 24 ans, dans le Yorkshire entre 1990 et 2004 [17]. réalités en gynécologie-obstétrique # 170_Novembre/Décembre 2013 POINTS FORTS POINTS FORTS û Plus de 75 % de tumeurs bénignes. û Parmi les tumeurs malignes, prédominance de tumeurs germinales malignes, puis des cordons sexuels et du stroma et, enfin, des tumeurs épithéliales. û Un bilan systématique, comportant le dosage des marqueurs tumoraux, un bilan d’imagerie, et une exploration cœlioscopique, est nécessaire. û L’évaluation initiale du risque de bénignité/malignité permet de poser au mieux les indications thérapeutiques de kystectomie, annexectomie, ou encore chimiothérapie première. chimiothérapie, une surveillance de la fonction rénale, de la tension artérielle, de l’audition est préconisée. Le risque leucémogène du VP-16 n’est pas observé pour les patientes ayant reçu moins de 2 000 mg/m² [16]. L’information et l’échange oral (associé à un support écrit) de la patiente mineure et de ses parents portent également sur l’évaluation du risque pour la fertilité et l’intérêt d’un entretien avec une psychologue. [ Conclusion La plupart des tumeurs ovariennes diagnostiquées chez des adolescentes sont bénignes. Bien que rare à cet âge, l’éventualité d’une tumeur ovarienne maligne impose un bilan initial systématique qui comprend le dosage des marqueurs tumoraux, un bilan radiologique (échoDoppler et/ou IRM pelvienne) et une exploration cœlioscopique complète. À l’issue de ce bilan, les arguments de bénignité/malignité sont évalués pour conclure à l’indication d’une tumorec- tomie, d’une ovariectomie d’emblée ou bien d’une chimiothérapie première. Entre les enfants et les adultes, les données épidémiologiques et les indications thérapeutiques sont différentes. Chaque équipe pédiatrique et gynécologique apportant son expertise, une réunion de concertation pluridisciplinaire de recours peut servir de trait d’union pour prendre les décisions les mieux adaptées à ces situations rares. Bibliographie 1. Cass DL, Hawkins E, Brandt ML et al. Surgery for ovarian masses in infants, children, and adolescents : 102 consecutive patients treated in a 15-year period. J Pediatr Surg, 2001 ; 36 : 693-699. 2. De Backer A, Madern GC, Oosterhuis JW et al. Ovarian germ cell tumors in children : a clinical study of 66 patients. Pediatr Blood Cancer, 2006 ; 46 : 459-464. 3. Vaysse C, Delsol M, Carfagna L et al. Ovarian germ cell tumors in children. Management, survival and ovarian prognosis. A report of 75 cases. J Pediatr Surg, 2010 ; 45 : 1 484-1 490. 4. Sarnacki S, Brisse H. Surgery of ovarian tumors in children. Horm Res Paediatr, 2011 ; 75 : 220-224. 5. Michelotti B, Segura BJ, Sau I et al. Surgical management of ovarian disease in infants, children, and adolescents : a 15-year review. J Laparoendosc Adv Surg Tech A, 2010 ; 20 : 261-264. 6. Massicot R, Rousseau V, Darwish AA et al. Serous and seromucinous infantile ovarian cystadenomas – a study of 42 cases. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol, 2009 ; 142 : 64-67. 7. Tsai JY, Saigo PE, Brown C et al. Diagnosis, pathology, staging, treatment and outcome of epithelial ovarian neoplasia in patients age < 21 years. Cancer, 2001 ; 91 : 2 065-2 070. 8. Oltmann SC, Garcia N, Barber R et al. Can we preoperatively risk stratify ovarian masses for malignancy ? J Pediatr Surg, 2010 ; 45 : 130-134. 9. Lacour B. Incidence globale. In : Sommelet D, Clavel J, Lacour B, editors. Epidemiologie des cancers de l’enfant. Paris : Springer-Verlag, 2009, pp. 31-47. 10. Desandes E, Lacour B, Sommelet D et al. Cancer incidence among adolescents in France. Pediatr Blood Cancer, 2004 ; 43 : 742-748. 11. Kalfa N, Philibert P, Patte C et al. Juvenile granulosa-cell tumor : clinical and molecular expression. Gynecol Obstet Fertil, 2009 ; 37 : 33-44. 12. Mazzanti L, Cicognani A, Baldazzi L et al. Gonadoblastoma in Turner syndrome and Y-chromosome-derived material. Am J Med Genet A, 2005 ; 135 : 150-154. 13. Billmire D, Vinocur C, Rescorla F et al. Outcome and staging evaluation in malignant germ cell tumors of the ovary in children and adolescents : an intergroup study. J Pediatr Surg, 2004 ; 39 : 424-429. 14. Brookfield KF, Cheung MC, Koniaris LG et al. A population-based analysis of 1 037 malignant ovarian tumors in the pediatric population. J Surg Res, 2009 ; 156 : 45-49. 15. Poynter JN, Amatruda JF, Ross JA. Trends in incidence and survival of pediatric and adolescent patients with germ cell tumors in the United States, 1975 to 2006. Cancer, 2010 ; 116 : 4 882-4 891. 16. Billmire DF. Germ cell tumors. Surg Clin North Am, 2006 ; 86 : 489-503, xi. 17. Feltbower RG, Siller C, Woodward E et al. Treatment and survival patterns for germ cell tumors among 13- to 24-year olds in Yorkshire, UK. Pediatr Blood Cancer, 2011 ; 56 : 282-288. Les auteurs ont déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêts concernant les données publiées dans cet article. 41