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HISTOIRE DU COMMUNISME En Europe, l’éternel retour des communistes, 1989-2014 par Stéphane Courtois et Patrick Moreau (dir.) Revue Communisme, Paris, Vendémiaire, 2014, 608 p., 28,00 € par Pierre Rigoulot U N TRAVAIL REMARQUABLE, cette cuvée 2014 de la revue Communisme : remarquable par la précision de l’argumentation, la somme de connaissances qu’elle suppose; remarquable encore par l’équipe qui s’est attelée à la rédaction de ce numéro. Tous les pays d’Europe ne sont pas traités comme le faisait l’annuaire publié par l’université de Stanford, The Year book of communism. Mais plus que dans ces volumes, qui se succédèrent de 1965 à 1991 grâce à la fondation Hoover, le développement ou le recul du communisme est ici l’objet de problématiques enrichissantes sur les facteurs de développement ou de régression qui peuvent l’affecter. L’ouvrage est remarquable enfin du fait de cette sérénité que les scientifiques mettent à l’étude d’un phénomène quel qu’il soit. Sans doute ici et là, et peut-être dès le titre quand il est question de «l’éternel retour», affleure une dimension mythique bien compréhensible. Le Léviathan monstrueux contre lequel les auteurs ont exercé leur talent critique si longtemps (et pour lesquels certains se sont passionnés dans leur jeunesse) peut-il se réduire à quelques groupes de rêveurs à la dangerosité relative, porteurs de très humaines utopies telles la fusion en un seul corps, le savoir total sur l’histoire, la jouissance à se penser tout à la fois minoritaires, justes et détenteurs de la vérité? D’autres formes de contestation du «système» leur font de l’ombre, voire se substituent à eux: mouvements islamistes, altermondialismes, mouvances radicales diverses. Pourtant ils existent, comme disait Léo Ferré des anarchistes. Il y en a même un peu plus d’un sur cent et, de l’avis de Patrick Moreau, le noyau politico-religieux du communisme est « encore aujourd’hui capable d’attirer les masses»[1]. Ces groupes et partis communistes pensent, luttent et survi1. P. 54. N° 57 113 histoire & liberté vent. Leur discours, profondément renouvelé depuis les temps héroïques du léninisme, se concentre maintenant sur les «dimensions positives des démocraties, afin de les intégrer à leur offre programmatique d’une transformation globale des sociétés»[2] ; il n’empêche pas qu’ils demeurent ce qu’ils ont toujours été, anticapitalistes, donc hostiles à la social-démocratie qui veut «limiter les abus du capitalisme, mais ne veut et ne peut transformer fondamentalement la société»[3]. Au scalpel sont distingués les partis communistes «maintenus» (la «variante traditionaliste») et les partis qui muent et intègrent dans leur discours et leurs actions, à des doses différentes, les thèmes écologiques, la lutte pour les droits de l’homme, les inégalités sociales et l’oppression des femmes – tout en s’affirmant non moins anticapitalistes que leurs concurrents révolutionnaires. Telle est la dimension scientifique de cette étude et, encore une fois, elle est remarquable. Néanmoins, on se pose quelques questions sur la portée politique de cette recherche quand on voit les faibles scores réalisés par les uns et les autres, sauf en Moldavie et à Chypre. Nous n’irons pas jusqu’à demander, à la manière de Mélenchon: «Tu en as déjà vu des Moldaves?» Mais enfin, on ne peut en vouloir à nos compatriotes de dormir sur leurs deux oreilles et de ne pas se réveiller quand le fantôme de Markus Wolf, le maître-espion est-allemand, convoqué pour donner du sens à cette méticulosité aussi savante que respectable, affirme: «Le dernier mot n’a pas encore été dit»[4]. Un mauvais joueur, au lendemain de l’effondrement du communisme, ce Markus Wolf? Aux yeux de Patrick Moreau, il ne s’agit pas seulement de cela mais de l’idée «a priori convaincante» que de la réflexion sur l’échec du socialisme réel et la crise du capitalisme que nous traversons pourrait bien « émerger une stratégie politique gagnante, permettant de reconquérir les masses »[5]. « Pourrait »… Le conditionnel est de mise et « s’il faut se risquer à un pronostic, il conviendra de reconnaître que l’avenir du communisme et du post-communisme en Europe, y compris dans les pays autoritaires du type Biélorussie et Russie, est plutôt sombre». En France, en tout cas, le PCF s’est ratatiné un peu plus à chaque élection. Les 700000 adhérents revendiqués en 1978 ne sont plus que 608000 en 1984, 500000 en 1994 et 274000 en 1996. «Encore ces chiffres officiels sont-ils gonflés, des opposants internes avançant le chiffre de 100 000 adhérents pour 1999 » soulignent Dominique Andolfatto et Stéphane Courtois[6]. La dégringolade s’est d’ailleurs poursuivie depuis. Le «désastre des élections présidentielles et législatives de 2006» amène les auteurs à se demander si le PCF 2. P. 19. 3. P. 18. 4. P. 52. 5. P. 53. 6. P. 81. 114 JU N 2015 EUROPE, L’ÉTERNEL RETOUR DES COMMUNISTES n’aura bientôt plus qu’une dimension « patrimoniale et mémorielle – que d’ailleurs il cultive»[7]. Nikos Marantzidis, de l’université de Salonique pour la Grèce, Carlos Cunha, de l’université de Lisbonne pour le Portugal, Christopher Norton, de l’université de Wolverhampton pour l’Irlande, Henri Wenhenkel pour le Luxembourg, Gerrit Voerman de l’Université de Groningue – qui intitule son analyse «La disparition du communisme aux Pays-Bas»! – d’autres encore pour Chypre, la Roumanie, l’Estonie, la République tchèque, la Slovaquie, la Bulgarie, la Biélorussie, l’Ukraine et la Russie, l’Allemagne et la Slovénie analysent, avec rigueur et sans contredire les sombres perspectives des analyses précédentes, l’évolution du communisme et des communistes dans chaque pays. Le dernier ici mentionné fait quand même état (p. 250 à 270) d’un «parti communiste jadis officiellement au pouvoir et aujourd’hui disparu, qui continuerait à contrôler à tous les niveaux administratif, judiciaire, médiatique, économique et politique dans le cadre d’un système parlementaire de façade»[8] ! Le cas ne doit cependant pas être désespéré puisqu’il en appelle à l’Europe pour que s’affirment enfin la démocratie et l’état de droit! Alors, retour éternel des communistes ou «souvenirs éternels » ? 7. P. 95. 8. P. 49. N° 57 115