Sujet de thèse

Transcription

Sujet de thèse
-1-
Appel à candidatures pour une thèse prioritaire intitulée
« Créativité lexicale en français, dénotation et intention du locuteur : le cas des
règles morphologiques dites ‘centrales’ »
Lieu : ATILF (CNRS & Université de Lorraine)
Le doctorant devra s’intégrer physiquement à l’ATILF et donc résider à Nancy.
Durée : trois ans (septembre 2012–août 2015)
Rémunération : financement sous forme de contrat doctoral ou équivalent
Encadrement : co-direction Fiammetta Namer (Pr) et Stéphanie Lignon (MCF) (ATILF &
Université Lorraine)
1. Insertion de la thèse dans les problématiques de l’équipe Lexique du laboratoire
ATILF
Cette thèse s’insère dans l’axe « Morphologie » de l’équipe Lexique. La morphologie est un
domaine de la linguistique situé au croisement de plusieurs disciplines : la construction de
nouvelles unités lexicales fait appel, en sus de la morphologie, à la sémantique, à la syntaxe et
à la phonologie. L’approche extensive des procédés morphologiques, que nous menons au
sein de l’ATILF, amènera le doctorant à utiliser des corpus et à manipuler des outils
d’interrogation de la Toile. Le doctorant pourra donc trouver au sein des axes « Du lexique à
la phrase » et « Lexique et corpus » les appuis qui seront nécessaires à l’avancée de son
travail de doctorat.
2. Objectifs de la thèse
Cette thèse vise à étudier les rapports qu’entretiennent les notions de « dénomination » et
de « démarquage » dans les néologismes (les créations lexicales) formées au moyen de
procédés dits « centraux », en morphologie du français. Ces procédés centraux sont, pour
l’essentiel, les règles de suffixation et de préfixation non évaluatives. Leur finalité est de
dénommer de nouveaux concepts.
En d’autres termes, on cherche à savoir dans quelle mesure ces procédés, connus pour leur
régularité (que certaines théories appellent naturalité, canonicité, ou encore prototypicité)
peuvent être détournés de le fonction à laquelle on les associe habituellement pour former des
lexèmes dont la finalité première n’est pas de nommer un nouveau concept. C’est ce qu’on
appelle la créativité.
Cette question de la créativité a été largement débattue dans la littérature à propos des
procédés dits extragrammaticaux. En particulier, la formation des mots-valises, et leur rôle
dans le discours publicitaire, politico-satirique, ou dans les romans ont fait l’objet de
nombreux travaux : il est clair que « mode de formation extra-grammatical » et « créativité
lexicale » sont deux notions qui entretiennent des rapports étroits.
Ce qui est alors intéressant à aborder, ce sont les rapports que l’on peut identifier entre
créativité lexicale et procédés qui a priori ne sont pas conçus pour produire ce type de
néologismes. Et c’est cette question qui sert de point de départ à la thèse.
Pour illustrer cette question, examinons la suffixation en -oir. Elle est connue pour former
des noms déverbaux de lieu (PARLER > PARLOIR) ou d’instrument (RASER > RASOIR). Une
étude à partir de documents en ligne a montré que les locuteurs forgeaient de nombreux hapax
en -oir. Certains dénotent de nouveaux instruments correspondant à des techniques
particulières (ainsi, le BORDOIR renvoie à un instrument pour travaux de métallerie). Mais le
-2plus souvent, on rencontre des constructions où le besoin de dénotation intéragit avec d’autres
motivations du locuteur :
ces constructions peuvent refléter le besoin réel de dénoter un nouveau référent, mais
par le biais d’une construction de sens non prévue par la règle (le RECULOIR est une
situation prévue au rugby, qui ne s’apparente ni au RECUL, ni à la RECULADE),
elles identifient le locuteur : le nom donné double l’existant mais il appartient au
registre diatopique (GAROIR signifie garage au Zaïre) ou est lié à un groupe de
locuteurs (APPELOIR = téléphone).
elles révèlent des besoins énonciatifs : renommer un référent déjà nommé pour
expliciter la fonction qui lui est attribuée (le FAUFILOIR désigne la moto)
elles expriment l’humour, le démarquage, la connivence, etc. vis-à-vis de l’objet
partagé par les locuteurs (le DISCUTOIR est l’un des nombreux termes inventés par ses
membres pour désigner le forum de discussion auquel ils appartiennent).
Les cas mentionnés ci-dessus ne sont pas mutuellement exclusifs.
Pour finir avec -oir, signalons que la productivité de la règle a été mesurée et le résultat
traduit le fait que dans le journal Le Monde (i.e. dans le vocabulaire de la langue générale, si
on considère que Le Monde en constitue une bonne approximation) cette règle morphologique
est non productive. Ce résultat contraste avec le nombre élevé de hapax rencontrés sur la
Toile, et illustre la différence qui existe entre les notions de productivité et créativité.
3. Questions qui peuvent être soulevées par le doctorant
Cette expérience conduit à envisager plusieurs pistes de recherches, que l’on peut résumer
sous la forme des contrastes suivants :
1
productivité / créativité
2
productivité dans la langue générale / productivité liée à un domaine : problème de
la mesure de la productivité. Précaustions à prendre quand on décide d’un procédé
qu’il est/n’est pas productif.
3
dénomination / démarquage
4
sémantique / phonologie : le choix d’un mode de formation peut être guidé par la
compétition entre phonologie et sémantique.
5
corpus écrits standards / corpus en ligne de la langue spontanée : comment les
constituer, les calibrer
6
pourquoi créer un lexème nouveau / par quels mécanismes de création. La
créativité lexicale est au carrefour de deux questions : pourquoi et comment. Une
des réponses au ‘comment’ consistant à étudier l’impact des différentes RCL dans
le processus de création.
7
diastratie/diatopie
8
procédés créatifs / procédés non créatifs
Parfois ces oppositions n’en sont pas (dénomination et démarquage, productivité et
créativité peuvent coexister pour un procédé morphologique). Les questions ci-dessus ont par
ailleurs des implications diverses dans le déroulement de la thèse (toutes ne seront pas
abordées, les choix se feront au fur et à mesure).
Les recherches qu’impliquent ces points :
se situent au carrefour de la morphologie, de l’analyse de gros corpus, de la néologie
questionnent aussi bien l’intention du locuteur, que les contraintes sémantiques et
morphophonologiques qui concourent à la formation des créations étudiées
sous-entendent une réflexion portant sur la constitution des corpus ‘écrits spontanés’
sur lequels s’effectueront les recherches ;
-3s’intègrent à la thématique « Lexique » du programme de recherche de l’ATILF.
Enfin, ce travail implique que l’on aborde la morphologie sous un angle nouveau. En se
plaçant du point de vue des productions réelles des locuteurs (la sortie d’une règle) on est
obligé de s’interroger non seulement sur les conditions d’application a priori de celles-ci
(conditions qui portent, elles, sur l’entrée, ou la base, de la règle) mais également sur les
contraintes qui pèsent sur ces productions effectives (sur la sortie). Ce point de vue demande
que soient examinés, entre autres, l’impact de la pression lexicale et des compétitions
phonologie/sémantique ; en bref, ce travail de thèse suppose que l’on considère avec
circonspection le poids relatif de la règle et de l’analogie dans la formation des mots
nouveaux.
4. Éléments de bibliographie
Dal, G. (2003). Productivité morphologique : définitions et notions connexes. Langue Française : "La productivité morphologique en
questions et en expérimentations" 140:3-23.
Dal, G. (2008). L'analogie dans le domaine du lexique construit : un retour ? Paper presented at Colloque Mondial de Linguistique
Française, Paris:1575-1587.
Dal, G., Fradin, B., Grabar, N., Namer, F., Lignon, S. & Zweigenbaum, P. (2008). Quelques préalables au calcul de la productivité des
règles constructionnelles et premiers résultats. In Actes du 1er Congrès Mondial de Linguistique Français (CMLF), Paris:1587-1599.
Dal, G., & Namer, F. (à paraître). Faut-il brûler les dictionnaires ? Ou comment les ressources numériques ont révolutionné les
recherches en morphologie. 3eme Congrès Mondial de Linguistique Française (CMLF), Lyon.
Derwing, B. & Skousen, R. (1989). Morphology in the mental lexicon: a new look at analogy. Yearbook of Morphology 2:55-71.
Dressler, W. U. (2005). Word-Formation in natural morphology. In Handbook of Word-Formation, eds. P. Štekauer & R. Lieber,
Dordrecht: Springer, 267-234.
Fischer, R. (2007). Critical creativity: A study of 'politically correct' terms in style guides for different types of discourse. In Lexical
Creativity, Texts and Contexts, ed. J. Munat, Amsterdam / Philadelphia: John Benjamins, 263-282.
Fradin, B. (2003). Nouvelles approches en morphologie. Paris: Presses Universitaires de France.
Fradin, B., Montermini F. & Plénat M. (2009). "Morphologie grammaticale et extragrammaticale". In B. Fradin, F. Kerleroux & M.
Plénat (éds). Aperçus de morphologie du français. Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 21-46.
Grabar, N. & Zweigenbaum, P. (2003). Productivité à travers domaines et genres : dérivés adjectivaux et langue médicale. In La
productivité en questions et en expérimentations, Langue Française, ed. G. Dal, Paris : Larousse, 102-125.
Lignon, S. & Plénat, M. (2009). Echangisme suffixal et contraintes phonologiques (Cas des dérivés en -ien et en -icien). In B. Fradin,
F. Kerleroux & M. Plénat (éds). Aperçus de morphologie du français. Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 65-82.
Lignon, S. & Namer, F. (2010). Comment conversionner les V-ion ? ou la construction de V-ionnerVERBE par conversion. In Actes du
2eme Congrès Mondial de Linguistique Française, eds. Jacques Durand, Benoît Habert, Bernard Laks. ILF, Nouvelle-Orléans : 10091028
Lipka, L. (2007). Lexical creativity, textuality and problems of metalanguage. In Lexical Creativity, Texts and Contexts, ed. J. Munat,
Amsterdam / Philadelphia: John Benjamins, 3-12.
Lopez Rua, P. (2007). Keeping up with the times: Lexical creativity in electronic communication. In Lexical Creativity, Texts and
Contexts, ed. J. Munat, Amsterdam / Philadelphia: John Benjamins, 137-162.
Munat, J. (2007). Lexical Creativity as a marker of style in science fiction and children's literature. In Lexical Creativity, Texts and
Contexts, ed. J. Munat, Amsterdam / Philadelphia: John Benjamins, 163-188.
Munat, J. ed. (2007). Lexical Creativity, Texts and Contexts. vol. 58. Studies in Functional and Structural Linguistics. Amsterdan /
Philadelphia: John Benjamins.
Namer, F. & Villoing, F. (2008). Interpréter les noms déverbaux : quelle relation avec la structure argumentale du verbe de base ? le cas
des noms en –OIR du français. In Actes du 1er Colloque Mondial de Linguistique Française, Paris:1539-1557.
Renouf, A. (2007). Tracing lexical productivity and creativity in the British Media: 'The Chavs and the Chav-Nots'. In Lexical
Creativity, Texts and Contexts, ed. J. Munat, Amsterdam / Philadelphia: John Benjamins.
Roché, M. (1997). Briard, bougeoir et camionneur. Dérivés aberrants, dérivés possibles, in D. Corbin, B. Fradin, B. Habert, F.
Kerleroux, & M. Plenat (eds.), Mots possibles et mots existants, Actes du colloque de Villeneuve d'Ascq (Forum de morphologie, 1res
rencontres, 28-29 avril 1997), [=Silexicales 1], pp. 241-250.
Roché, M. (2007). Logique lexicale et morphologie: la dérivation en -isme. In Selected Proceedings of the 5th Décembrettes :
Morphology in Toulouse, eds. F. Montermini, G. Boyé & N. Hathout, Somerville: Cascadilla Press, 45-58.
Roché, M. (2008). Un ou deux suffixes? Une ou deux suffixations? In Aperçus de Morphologie du français, eds. B. Fradin, F.
Kerleroux & M. Plénat, Paris: Presses Universitaires de Vincennes, 143-174.
Roché, M. (2008). Quelques exemples de morphologie non conventionnelle dans les formations construites à partir d'un mot en ouiller. In La raison morphologique. Hommage à la mémoire de Danielle Corbin, ed. B. Fradin, Amsterdam / Philadelphia: John
Benjamins, 215-238.
Roché, M. (2008). Structuration du lexique et principe d'économie: le cas des ethniques. In Actes du 1er Congrès Mondial de
Linguistique Française - CMLF'08, Paris:1559-1573.
Roché, M. (à paraître). Propositions en morphologie lexicale. In Carnets de grammaire (Rapports internes CLLE-ERSS). Toulouse:
CLLE-ERSS.
-4Roché, M., Boyé, G., Hathout, N., Lignon, S. et Plénat M. (eds) (2011). Des Unités morphologiques au Lexique. Hermès: Paris.
Sablayrolles, J.-F. (2000). La néologie en Français contemporain ; examen du concept et analyse de productions néologiques récentes:
Lexica. Paris: Champion.
van Marle, J. (1985). On the Paradigmatic Dimension of Morphological Creativity. Dordrecht: Foris Publications.
5. Environnement scientifique et institutionnel
Cette thèse s’insère dans le cadre des activités de recherche menées par l’équipe « Lexique »
de l’ATILF. Plus précisément, les questions qu’elle soulève sont au cœur des préoccupations
de recherche de l’axe morphologie (http://www.atilf.fr/spip.php?rubrique201). Le sujet est
également partiellement ancré dans les thématiques des axes « Du lexique à la phrase » et
« Lexique et corpus » .
6. Prérequis
Diplôme de Master préférentiellement en Sciences du langage ; connaissances en
morphologie constructionnelle du français, intérêt pour la linguistique basée sur l’usage et
l’analyse de données authentiques. Le candidat présélectionné devra avoir passé tous les
examens de Master, y compris la soutenance de son mémoire, avant le 15 juin 2012 pour que
sa candidature soit validée.
7. Dépôt des candidatures
Les candidatures, composées d’un CV et d’une lettre de motivation, sont à déposer avant le
30 avril 2012 auprès de Fiammetta Namer et/ou Stéphanie Lignon :
adresse postale : ATILF & Université de Lorraine, Campus Lettres et Sciences Humaines de
Nancy, 23 bd Albert 1er, B.P. 3397, 54015 Nancy Cedex,
tél. +33 03.54.50.50.94 (Mme Namer), +33 03.54.50.50.93 (Mme Lignon),
courriel : {fiammetta.namer ; stéphanie.lignon} @ univ-lorraine.fr.