Et si vous deveniez juré(e) d`un prix littéraire?
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Et si vous deveniez juré(e) d`un prix littéraire?
EXE page liminaire Prix du polar:Mise en page 1 26/10/10 Et si vous deveniez juré(e) d’un prix littéraire ? C’est possible grâce à la 2e édition du Après le succès de l’édition 2010 qui a récompensé Fakirs d’Antonin Varenne, les éditions POINTS vous proposent d’élire un roman policier, roman noir ou thriller parmi la sélection de nouveautés de l’année. Au total, neuf livres que vous recevrez chez vous en exclusivité et pour lesquels un avis critique et personnel vous sera demandé. Neuf livres parmi lesquels vous devrez choisir un seul et unique lauréat à la fin de l’année 2011. Pour rejoindre le jury du Prix du Meilleur Polar des lecteurs de Points, présentez votre candidature jusqu’au 10 mars 2011 sur : www.meilleurpolar.com 17:57 Page 1 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 5 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 Bryan Gruley UN MORT À STARVATION LAKE R O M A N Traduit de l’anglais (États-Unis) par Benjamin Legrand Le Cherche Midi 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 6 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 Une première édition de cet ouvrage a paru au Cherche Midi, sous le titre Starvation Lake, en 2009. TEXTE INTÉGRAL TITRE ORIGINAL Starvation Lake ÉDITEUR ORIGINAL Simon & Schuster, Touchstone © original : Bryan Gruley, 2009 978-2-7578-1523-6 (ISBN 978-2-7491-1530-6, 1re publication) ISBN © Le Cherche Midi, 2009, pour la traduction française Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 9 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 PROLOGUE La rambarde en fer oscilla dangereusement dans sa main quand il grimpa les marches du perron. Il manqua tomber. Après trois essais, il décréta que la sonnette ne fonctionnait pas. La porte grillagée ne voulait pas s’ouvrir, alors il ôta un gant et frappa sur le cadre en aluminium. De la peinture couleur de soupe aux pois cassés s’écaillait sur la surface de la porte d’entrée. Une goutte de pluie glaciale tomba de l’auvent sur sa tête et coula le long de sa nuque. Il s’essuya d’une main, regarda vers le haut et reçut une autre grosse goutte sur la joue. « Merde », dit-il. Il recula d’un pas en resserrant sa veste de camouflage autour du paquet qu’elle protégeait. Il examina la rue. Personne en vue. Deux Ford, une Chrysler, et son pick-up Chevrolet garés le long du trottoir. Sous un porche, une unique lampe tremblotait tristement dans la pénombre. Deux portes plus loin, un incendie avait noirci de suie le flanc d’une maison et le vent agitait des rideaux là où il y avait eu une fenêtre. Il regarda à ses pieds. Des taches brunâtres constellaient le perron de béton, descendaient les trois marches jusqu’à la petite allée cimentée menant à la rue. Les taches semblaient devenir de plus en plus grosses en se rapprochant du trottoir. Il espéra que ce n’était pas du sang. 9 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 10 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 Il frappa de nouveau. Bon sang, se dit-il, je savais que j’aurais dû me contenter de l’expédier comme d’habitude. Quatre heures pour descendre dans cette ville de merde, et maintenant je dois poireauter, en plus ? Comment ce mec fait pour travailler dans ce trou ? Il a une chambre noire là-dedans ? Il regarda sa montre. S’il arrivait à régler ça dans l’heure qui suivait, il aurait encore le temps de se rendre dans l’un des clubs de Windsor avant de rentrer chez lui. Il entendit quelque chose remuer à l’intérieur, puis des pas de l’autre côté de la porte. Il déglutit avec difficulté et recula. C’est rien qu’une livraison, se dit-il. Tu laisses le truc et tu t’en vas. La porte grinça en s’entrouvrant à peine. Il sentit une odeur de chou et de cigarettes. Le visage pâle et rond d’une femme apparut au-dessus de la main qui tenait la porte. Elle semblait ne rien porter d’autre qu’une chemise de flanelle qui lui tombait jusqu’aux genoux. « Qu’est-ce que c’est ? dit-elle. – Riddle. J’ai quelque chose pour Charley. » Il sortit l’épaisse enveloppe kraft de sous son manteau. « Riddle ? Z’êtes un blagueur 1 ? » Elle avait un accent qu’il n’arrivait pas à identifier. Mon Dieu, songea-t-il, est-ce qu’elle va au moins comprendre un mot de ce que je dis ? « C’est mon nom. Est-ce que Charley est là ? » L’enveloppe était entourée de bande adhésive et d’élastiques. Elle la regarda avec dédain. « Y a pas de Charley. On veut pas d’livraison. – C’est l’adresse qu’il m’a donnée. » Il regarda le numéro sur la plaque clouée dans la brique. 1. Jeu de mots sur le nom du personnage : Riddle, en anglais, signifie « devinette », « énigme », « blague ». (.d.T.) 10 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 11 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 « Cecil Avenue, c’est bien ça ? » De l’intérieur, une voix d’homme appela : « Magda ! » Elle lui cria quelque chose dans sa langue. Il aboya quelque chose, se rapprocha, et la femme disparut subitement, laissant la porte entrebâillée. L’homme l’ouvrit en grand. Pieds nus, il portait un pantalon de survêtement taché de peinture et un tee-shirt gris où on pouvait lire : « Property of Detroit Lions ». Un sourcil continu surplombait ses yeux caves et noirs. Il tenait la porte d’une main et gardait l’autre derrière son dos. « Vous voulez quoi ? – Normalement, je dois livrer ça à Charley. – Charley ? » L’homme faillit sourire, puis décida de ne pas le faire. « Jarek. – Jarek ? » Riddle gloussa nerveusement. « Jarek. Charley. Pigé. Je peux laisser ça pour lui ? » L’homme fit passer son poids de son pied gauche vers le droit, gardant toujours une main cachée dans son dos. Riddle essayait de ne pas la regarder. « Vous venir du Nord ? demanda le type. – Oui, m’sieur. À quatre heures de route. » L’homme fixa Riddle pendant un moment. « Pourquoi vous porter veste de l’armée ? demandat-il. Vous militaire ? » Riddle se surprit à regarder sa veste de camouflage. « Oh, non, m’sieur. C’est pour la chasse. Daims, lièvres, vous savez... – Aha. Vous être tueur, alors. Vous amener fusil ? – Mon fusil ? Oh, non, m’sieur. Il est dans une armoire chez moi. » L’homme releva légèrement la tête. « Vous entrer ? 11 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 12 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 – Merci, mais non, il faut vraiment que je parte. J’ai un long trajet de retour. D’autres livraisons à faire, vous voyez. Désolé. – Autres livraisons ? » L’homme se pencha en avant. « Quelles autres livraisons ? » Riddle jeta de nouveau un coup d’œil vers la rue. Toujours pas une âme en vue. L’après-midi touchait à sa fin. « Rien, dit-il. Il faut juste que je rentre. – Jarek pas là. – Non ? – Non. Plus ici. – Je vois. Bien. » Riddle tenta ce qu’il imaginait être un sourire commercial. « Vous savez où je peux le trouver ? » À la seconde où cette question franchissait ses lèvres, il souhaita ne pas l’avoir posée. « Jarek reviendra pas. Vous pouvoir me laisser enveloppe. » L’homme poussa la porte grillagée avec la main qu’il dissimulait. Elle ne tenait qu’une cigarette. Riddle lui donna l’enveloppe. « OK, alors, dit Riddle, vous la renverrez à l’adresse habituelle ? » L’homme claqua la porte sans ajouter un mot. 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 13 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 Février 1998 1 Il ne faut jamais les regarder dans les yeux. Pas une fois. Pas une demi-seconde. Pas si vous êtes gardien, comme moi. Parce que le mec qui va frapper le palet veut précisément que vous regardiez ses yeux. Et alors il va regarder d’un côté, et tirer de l’autre, ou alors il va attirer votre regard juste à l’instant où il fera filer le palet entre vos jambes. Ou bien il va le bloquer juste assez longtemps pour vous rappeler qu’il sait exactement ce qu’il va faire et pas vous, vous qui ne faites que souhaiter et espérer que vous allez deviner correctement. Alors que vous ne contrôlez absolument rien. Et juste après, vous êtes mort. Il n’était pas loin de minuit. Je gardais ma cage du côté sud de la patinoire Memorial John D. Blackburn. Et je criais à l’aide. Soupy 1 pédalait en marche arrière pour m’en apporter. Il semblait qu’il allait arriver juste à temps pour couper la route de l’ailier de l’autre équipe, quand la lame de son patin chopa un accroc dans la glace et qu’il s’envola. Son casque, un vieux Cooper en trois parties maintenues par des lacets et du chatterton, tomba de sa tête et partit valser sur le sol. « Putain de merde ! » hurla-t-il. Boynton évita Soupy et le casque, et vira vers le centre de la glace, fonçant vers moi, seul. Il était grand 1. Surnom signifiant : « sentimental », voire « larmoyant ». (.d.T.) 13 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 14 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 et mince, entièrement vêtu de noir, et gardait la tête haute en passant la ligne bleue, cherchant mon regard. Je me concentrai sur le palet, qu’il faisait glisser d’un côté à l’autre, de l’arrière de sa crosse jusqu’à l’avant. Mon équipe menait, 2 à 1. Plus qu’une minute à jouer dans le dernier tiers-temps. Ma main gauche, bouillante dans ma mitaine, vint cogner une fois contre mon ventre, involontairement, avant de repartir sur le côté, ouverte et prête. Mon bras droit pressait le bas de ma crosse de gardien contre le papier de verre de la glace. Je me ramassai sur moi-même de quelques centimètres, enfonçai l’intérieur de mon patin droit dans la glace et glissai en arrière de 20, 30 centimètres. J’enfonçai ma tête dans mes épaules. La fine couche de sueur sous mon masque me piquait les joues. Je plissai les yeux, fort. J’aurais voulu ne pas être là. Dans une patinoire de hockey ouverte à tous les vents et puant le réfrigérant. Très tard le soir. Dans une ville à deux feux rouges, accrochée à l’extrémité sud-est d’un lac gelé, dans la partie nord du bas Michigan. J’avais quitté cet endroit des années auparavant sur un échec, avec l’intention de ne jamais y revenir. Et maintenant j’étais de retour, contre ma faible volonté, et après avoir misérablement échoué, ailleurs. Le jour, j’étais rédacteur en chef adjoint du Pine County Pilot, 4 733 abonnés, paraissant tous les jours sauf le dimanche. La nuit, je gardais les buts de la Ligue des vétérans de minuit, entouré d’hommes que j’avais connus enfants. Entre les deux, j’attendais que quelque chose vienne changer ma vie, vienne me sortir à nouveau de Starvation Lake. C’est ce que font les gardiens. Ils attendent. Quand Boynton fut à 5 mètres, je sentis qu’il laissait tomber son épaule droite comme s’il allait tirer. Juste à cet instant, le palet rebondit sur quelque chose – une excroissance de glace, un éclat de bois – et se mit à 14 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 15 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 tourner sur la tranche. Le temps d’un clin d’œil, j’aperçus un logo peint en écarlate sous le palet. Je me laissai tomber sur un genou et balançai ma crosse en avant, touchant juste assez le palet titubant pour le faire passer au-dessus de la crosse de Boynton. Il disparut derrière lui et Soupy, tête nue, déboula et l’emporta au loin. Mais Boynton continuait à glisser. J’essayais de me remettre sur pied quand sa crosse vint me frapper sous l’oreille gauche, juste au bord du casque. La douleur me déchira la mâchoire et descendit jusque dans mon cou. Le genou de Boynton éperonna ma poitrine et je m’écrasai en arrière, ma tête venant rebondir sur la glace pendant qu’il me dégringolait dessus. Des odeurs de tabac, de bière, de sueur et de sparadrap emplirent mes narines. J’entendais l’arbitre siffler, encore et encore. Je rouvris les yeux. Le visage de Boynton était à 10 centimètres du mien, tout sourire, me fixant de ses yeux sombres. « Putain de veinard », cracha-t-il avant que je ne m’évanouisse. Mon attente était finie. L’aiguille trouait ma peau le long de la mâchoire, et j’enfonçais mes doigts dans le bois tendre de l’établi de Leo pendant qu’il me recousait. J’avais essayé d’engourdir le côté gauche de mon visage avec une poignée de neige, mais les points de suture piquaient quand même. Il en fallut six pour refermer la coupure. « Merci, Leo », dis-je. Dans le grand abri d’acier derrière la Blackburn Arena, l’air était empreint d’une douce odeur de gasoil. Je bus une gorgée de bière, assis sous le cercle de lumière que répandait une ampoule suspendue au plafond. Leo passa dans la pénombre pour jeter son aiguille dans une poubelle. 15 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 16 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 Elle fit pling en rebondissant sur l’une de ses cannettes de 7Up vides. « Essaye de faire plus attention, dit Leo, en émergeant de nouveau dans la lumière. Vous, les garçons, vous n’êtes plus des gamins. » Pendant quelque chose comme trente ans, Leo Redpath s’était occupé de la maintenance du compresseur de la patinoire, des racloirs à glace et de la machine Zamboni qui fabriquait la glace. Il s’occupait de la menuiserie, de la plomberie et de tout ce qui permettait aux vestiaires, au snack-bar et aux toilettes de fonctionner correctement. La plupart du temps, il restait dans son coin, se contentant de bricoler dans sa remise et de veiller sur la Zamboni qu’il appelait affectueusement Ethel. Et même si Leo n’était pas médecin, son établi se transformait parfois en table d’opération pour des joueurs qui ne voulaient pas s’embêter à aller à la clinique locale. Il faisait ça depuis si longtemps qu’il ne laissait quasiment plus de cicatrices visibles. « T’as regardé la partie ce soir ? demandai-je. – Je ne regarde jamais », dit Leo. Son mensonge me fit sourire. Les points de suture me tiraient le menton. Je distinguais sa large silhouette penchée comme un bossu évoluant dans l’ombre autour d’Ethel. « C’est pas souvent qu’on voit du hockey comme ça à Starvation Lake. – Je suis certain qu’aucune parole aussi vraie n’a jamais été prononcée, dit-il. – C’est cette vitesse trompeuse, hein, Trap ? » La voix venait de l’autre bout de l’abri. Soupy entra avec une bière à la main et deux de plus sous le bras, vestiges d’un pack de six. « On est même plus lent qu’on n’en a l’air. » C’était une de ses répliques favorites, et il en rigola tout seul. 16 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 17 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 Leo sortit de derrière Ethel. « Tiens, mais voilà Sonja Henie, dit-il. C’était un triple salto qui t’a fait retomber sur ton derrière 1 ? – Derrière? fit Soupy. Derrière, putain ! On t’a pas déjà dit 8 millions de fois de ne pas parler français ici ? Je pense que le mot que tu cherchais, mon pote, c’est cul. Et d’ailleurs, c’est qui, cette Sonja Henie 2 ? – Leo n’a pas regardé le match », dis-je. Parler me faisait mal. « Exact, dit Leo. Mais j’en ai aperçu un brin en allant porter un carton de bonbons à la menthe au snack-bar. » Je sautai de l’établi. Mes dents s’entrechoquèrent quand mes pieds atterrirent. « Eh bien, t’as peut-être remarqué si Soupy a poinçonné le ticket de Boynton en le laissant passer ? – Tu charries, Trap », dit Soupy. Il faisait une tête de plus que moi, grand et maigre dans son pardessus en jean avec les mots « Starvation Lake Marina » encerclant une ancre brodée sur sa poitrine. D’épaisses boucles blondes dépassaient de sa casquette de laine rouge. « Je t’ai donné une chance de briller. Tu devrais me remercier pour ça. – Je l’aurais bien fait, mais j’étais dans les vapes. » Je finis ma bière, balançai la boîte vers la poubelle, la ratai et me dirigeai vers le stock que Soupy avait apporté. Leo ramassa la cannette vide. « L’ultime agression de Terry Boynton, dit Soupy. Tu le mets en échec, il te fonce dedans. » Pendant que j’étais dans les vapes, m’expliqua Soupy, Boynton avait menacé de cogner un arbitre, qui l’avait exclu du match. 1. En français dans le texte. 2. Sonja Henie (1912-1969), médaillée d’or de patinage artistique en 1928. 17 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 18 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 « Cet enfoiré ne voulait probablement pas te mettre K-O. Ou peut-être que c’est ce qu’il cherchait, va savoir. » Soupy prit une longue gorgée de bière. « Il a probablement pas aimé ton éditorial. » J’ignorais complètement que Soupy lisait les éditoriaux. « Probablement pas, oui. » Je regardai autour de moi. Leo avait de nouveau disparu derrière Ethel. « On a un rendez-vous demain. – Avec le p’tit Teddy ? demanda Soupy. – Et son avocat. – Son trou du cul d’avocat, Trap. – Bien sûr. » Soupy mit sa bière contre sa tempe. « Essaye de garder la tête froide, cette fois, hein ? – Silence, s’il vous plaît. » Leo était en train d’essayer d’écouter le scanner de la police. Il était posé sur une pile de caisses de lait et lui tenait compagnie lors de ses longues nuits de veille. Nous entendîmes quelques grésillements suivis de quelques bips, puis la voix de la dispatcheuse, Darlene Esper. Elle parlait avec un adjoint en route vers Walleye Lake. Une motoneige était remontée à la surface. « Bon Dieu », dis-je. Ce n’était probablement rien. Mais chaque habitant du coin âgé de plus de 50 ans avait un scanner, pour écouter la police, placé près de son lit, sur l’établi de son garage, ou sur l’étagère audessus de la machine à laver, et tout le monde allait parler de cette motoneige de Walleye Lake le lendemain matin au Audrey’s Diner. Je pris le vieux téléphone à cadran de Leo et composai le numéro du bureau du shérif. Une des caractéristiques du poste de 18 159982GPI_LAKE_xml_fm9.fm Page 19 Mercredi, 3. novembre 2010 10:37 10 rédacteur en chef adjoint du Pilot était de connaître ce numéro par cœur. Darlene répondit. « Adjointe Esper, dis-je, Gus Carpenter. » J’espérais un rire. Darlene et moi avions grandi dans deux maisons voisines. Nos mères avaient finalement abandonné l’idée de nous marier. Darlene aussi. « Gussy, dit-elle, tu as entendu le truc de la moto ? – Ouais. – Tu ferais mieux de te pointer là-bas. Le shérif y est. – Dingus ? Pourquoi ? Y a un buffet à volonté là-bas ou quoi ? – Vas-y, Gus. » Je restai collé au téléphone – sa voix me faisait toujours cet effet-là – mais elle avait déjà raccroché. Je fermai mon parka, sortis les clés de mon pick-up. « Merci pour la broderie, Leo », dis-je. Il ne répondit pas. « T’arrives pas à rester loin d’elle, pas vrai ? dit Soupy. – Bonne glisse, Soup », fut tout ce que je répondis. Alors que je m’enfonçais dans la nuit, je l’entendis crier : « Mrs. Darlene Esper... les plus doux adieux de Starvation Lake. »