19 mai 2015 - Tribunal administratif de Lille

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19 mai 2015 - Tribunal administratif de Lille
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE LILLE
N°1203934
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M. Emmanuel D...
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M. Krawczyk
Rapporteur
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M. Perrin
Rapporteur public
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Lille
(1ère Chambre)
Audience du 21 avril 2015
Lecture du 19 mai 2015
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36-07-10-005
C
Vu la requête, enregistrée en télécopie le 18 juin 2012 confirmée en original le 20 juin
2012, présentée pour M. Emmanuel D... demeurant … , par Me Benjamin, avocate ; M. D...
demande au tribunal :
- d’annuler la décision en date du 18 avril 2012 par laquelle le directeur général des
services de la commune de Saint-Pol-Sur-Mer lui a refusé le bénéfice de la protection
fonctionnelle ;
- de condamner la commune de Saint-Pol-Sur-Mer à lui verser une somme de 3 000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- il n’est pas démontré que l’auteur de la décision disposait de la compétence pour la
prendre ;
- il appartient à l’administration de démontrer le caractère personnel de la faute en cas
de refus d’accorder la protection fonctionnelle ;
- les faits reprochés sont étroitement liés au service ;
- la protection fonctionnelle peut être accordée postérieurement au jugement ayant clos
la procédure ;
Vu la décision attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 août 2013, présenté pour la commune de
Saint-Pol-Sur-Mer, représentée par son maire, par Me Savoye, avocat ; la commune de SaintPol-sur-Mer conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. D... à lui verser une
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somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative ;
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable faute pour le requérant d’avoir adressé sa demande à la
commune de Dunkerque ;
- la décision est motivée ;
- le Tribunal peut procéder à une substitution de motif dès lors que la décision est
justifiée par le caractère personnel de la faute à l’origine des poursuites ;
- le directeur général des services disposait d’une délégation de signature du maire ;
- les faits pour lesquels a été condamné M. D... relèvent de la faute personnelle
détachable du service ;
Vu la lettre, en date du 2 avril 2015, par laquelle les parties ont été informées que le
jugement à venir était susceptible d’être fondé sur deux moyens d’ordre public, en application de
l’article R. 611-7 du code de justice administrative, tirés de l’irrecevabilité du mémoire en
défense présenté pour la commune de Saint-Pol-sur-Mer qui ne dispose plus de la personnalité
juridique, et de l’irrecevabilité des conclusions de la requête, comme étant mal dirigées ;
Vu, enregistré le 8 avril 2015, le mémoire en réponse au moyen d’ordre public, présenté
pour M. D... qui dirige ses conclusions contre la commune de Dunkerque qui se substitue à la
commune de Saint Pol sur Mer à la suite de la fusion de ces deux communes en décembre 2010 ;
Vu le mémoire enregistré le 15 avril 2015 présenté pour la commune de Dunkerque,
représentée par son maire, par Me Savoye ; la commune de Dunkerque conclut au rejet de la
requête et à la condamnation de M. D... à lui verser une somme de 2 000 euros au titre des
dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, par les mêmes moyens que
ceux invoqués par la commune de Saint-Pol-sur-Mer ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et
à l’amélioration des relations entre les administrations et le public ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 avril 2015 :
- le rapport de M. Krawczyk, rapporteur ;
- les conclusions de M. Perrin, rapporteur public ;
- et les observations de Me Robillard, substituant Me Savoye, pour la commune de
Dunkerque ;
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1. Considérant que M. D... conteste la décision en date du 18 avril 2012 par laquelle le
directeur général des services de la commune de Saint-Pol-Sur-Mer lui a refusé le bénéfice de la
protection fonctionnelle ;
Sur la fin de non recevoir opposée en défense ;
2. Considérant que si le préfet du Nord, par arrêté du 8 décembre 2010, a prononcé la
fusion des communes de Dunkerque, Saint-Pol-sur-Mer et Fort Mardyck en une seule commune,
cette circonstance ne rend pas irrecevable le recours pour excès de pouvoir formé contre la
décision prise par le maire de Saint-Pol-sur-Mer le 18 avril 2012, qui constitue un acte
susceptible de recours quand bien même la commune de Saint-Pol-sur-Mer a fusionné avec la
commune de Dunkerque et constitue, depuis cette fusion, une commune associée ; qu’ainsi la fin
de non-recevoir opposée en défense doit être écartée ;
Sur la légalité de la décision du 18 avril 2012 du maire de Saint-Pol-sur-Mer :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;
3. Considérant que par un arrêt en date du 6 février 2001, la cour d’appel de Douai a
condamné M. D... notamment pour complicité de détournement de fonds publics et recel de
détournement de fonds publics, à raison de faits commis alors qu’il exerçait les fonctions de
secrétaire général adjoint de la commune de Saint-Pol-sur-Mer et de président de l’association
dénommée « Amicale du personnel communal » ; que ce même arrêt, sur l’action civile, a
condamné M. D..., solidairement avec M. T... et d’autres prévenus, à payer à la commune de
Saint-Pol-sur-Mer une somme de 5 100 000 francs (777 490 euros) ; qu’en exécution de cet arrêt,
un titre de recettes a été émis le 24 janvier 2003 par le maire de ladite commune, à l’encontre de
M. D..., pour le paiement d’une somme de 777 490 euros ; que M. D... demande l’annulation de
la décision en date du 18 avril 2012 par laquelle le directeur général des services de la commune
de Saint-Pol-Sur-Mer lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle au titre de sa
condamnation ;
4. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet
1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Lorsqu'un fonctionnaire a été poursuivi
par un tiers pour faute de service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité
publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions
n'est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre
lui " ; que pour l'application de ces dispositions, il y a lieu quel que soit par ailleurs le fondement
sur lequel la responsabilité du fonctionnaire a été engagée vis-à-vis de la victime du dommage de
distinguer trois cas ; que, dans le premier, où le dommage pour lequel l'agent a été condamné
civilement trouve son origine exclusive dans une faute de service, l'administration est tenue de
couvrir intégralement l'intéressé des condamnations civiles prononcées contre lui ; que, dans le
deuxième, où le dommage provient exclusivement d'une faute personnelle détachable de
l'exercice des fonctions, l'agent qui l'a commise ne peut au contraire, quel que soit le lien entre
cette faute et le service, obtenir la garantie de l'administration ; que, dans le troisième, où une
faute personnelle a, dans la réalisation du dommage, conjugué ses effets avec ceux d'une faute de
service distincte, l'administration n'est tenue de couvrir l'agent que pour la part imputable à cette
faute de service ; qu'il appartient dans cette dernière hypothèse au juge administratif, saisi d'un
contentieux opposant le fonctionnaire à son administration, de régler la contribution finale de
l'un et de l'autre à la charge des réparations compte tenu de l'existence et de la gravité des fautes
respectives ;
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5. Considérant que l'appréciation portée par la cour d’appel de Douai sur le caractère
personnel de la faute commise par M. D... ne s'impose pas au juge administratif statuant dans le
cadre, rappelé ci-dessus, des rapports entre l'agent et le service ; que, par une délibération du 1er
mars 2010, le conseil municipal de la commune de Saint-Pol-sur-Mer a reconnu le caractère
d’utilité publique de certaines dépenses ayant donné lieu à une déclaration de gestion de fait par
la Cour des comptes au titre de la période couvrant les années 1992 à 1995 ; que, par une
délibération du 26 septembre 2011, le conseil municipal de la commune de Dunkerque a reconnu
le caractère d’utilité publique de certaines dépenses relevant de la commune de Saint-Pol-surMer, depuis fusionnée avec celle de Dunkerque, ayant donné lieu à une déclaration de gestion de
fait par la Cour des comptes au titre de la période couvrant les années 1987 à 1995 ; que, par un
jugement provisoire du 2 février 2012, la chambre régionale des comptes du Nord/Pas-de-Calais,
saisie de l’apurement des opérations constitutives de gestion de fait ainsi déclarées par la Cour
des comptes, a notamment enjoint à M. D... d’apporter la preuve du reversement de la somme de
63 430,46 euros dans la caisse de la commune de Dunkerque ou d’apporter toutes justifications à
sa décharge ; que si la cour d’appel de Douai a condamné M. D... pour complicité d’entrave aux
pouvoirs de la Chambre régionale des comptes, complicité de détournement de fonds publics et
recel de détournement de fonds publics, à raison de faits commis alors qu’il exerçait les
fonctions de secrétaire général adjoint de la commune de Saint-Pol-sur-Mer et de président de
l’association dénommée « Amicale du personnel communal », il ressort des pièces du dossier,
notamment des délibérations précitées et du jugement de la chambre régionale des comptes, que
la majeure partie des sommes ainsi détournées résultent de subventions accordées par le conseil
municipal au profit de l’Amicale des employés et ouvriers communaux, pour le paiement d’un
treizième mois, selon une habitude en vigueur depuis au moins 1987 ; que les faits reprochés à
M. D... qui ont donné lieu à sa condamnation par le juge pénal trouvent ainsi leur origine, à la
fois dans une faute personnelle de M. D... et, eu égard à la reconnaissance du caractère d’utilité
publique de certaines des dépenses effectuées ayant donné lieu à sa condamnation, dans une
faute de service de la commune de Saint-Pol-sur-Mer ; qu’ainsi, en refusant d’accorder la
protection fonctionnelle à M. D..., le directeur général des services de la commune de Saint-PolSur-Mer a fait une inexacte application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 11 de la
loi du 13 juillet 1983 ; qu’il suit de là que M. D... est fondé à demander l’annulation de la
décision attaquée du 18 avril 2012 ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code
de justice administrative :
6. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
« Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie
perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non
compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la
partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire
qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ;
7. Considérant qu’en vertu des dispositions précitées de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la
partie perdante du paiement par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige
soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la commune de Dunkerque doivent,
dès lors, être rejetées ;
8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de
ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Dunkerque le versement à M. D...
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d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative ;
DECIDE:
Article 1er : La décision en date du 18 avril 2012 par laquelle le directeur général des
services de la commune de Saint-Pol-Sur-Mer a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle
à M. D... est annulée.
Article 2 : La commune de Dunkerque versera à M. D... une somme de 1 500 (mille
cinq cents) euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. Emmanuel D... et à la commune de
Dunkerque.
Délibéré après l'audience du 21 avril 2015 à laquelle siégeaient :
M. Degommier, président,
M. Gouriou, premier conseiller
M. Krawczyk, premier conseiller,
Lu en audience publique le 19 mai 2015.
Le rapporteur,
Le président,
Signé : J. KRAWCZYK
Signé : S. DEGOMMIER
Le greffier,
Signé : M. BEDNARZ