La bague de fiançailles L`homme, surpris, regarda à deux fois à

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La bague de fiançailles L`homme, surpris, regarda à deux fois à
La bague de fiançailles
L’homme, surpris, regarda à deux fois à travers le pare-brise
de sa vieille Renault Cinq marron. Il était garé dans la contreallée de l’avenue Charles de Gaulle à Neuilly-sur-Seine.
L’horloge indiquait neuf heures trente. On était le 8 septembre
1990. Au dessus de l’essuie glace, comme posée à dessein, une
bague scintillait. Il sortit, la prit délicatement entre ses doigts. Il
n’y connaissait rien en joaillerie, mais l’objet finement ouvragé
le séduisait. Il regarda autour de lui, se sentant vaguement
coupable. Puis il mit la bague dans sa poche intérieure de veston
et fit démarrer la voiture. Il décida qu’il donnerait la bague à sa
mère, qui avait subi un cambriolage ; elle avait perdu ainsi tous
ses bijoux de famille ce qui la faisait souvent se lamenter. Elle
n’avait plus beaucoup de joie depuis la mort de son mari. Il lui
offrirait. Il faudrait qu’il fasse élargir l’anneau. Sa mère avait les
doigts gonflés, elle ne pourrait pas l’enfiler sinon. Il sifflota
gaiement et alluma la radio, la journée commençait bien.
Sophie sortit des toilettes, puis rentra à nouveau avec
précipitation dans l’espace, pinçant le nez malgré, l’odeur du
parfum chimique l’indisposait. Elle venait de réaliser l’absence
de la bague à son doigt après s’être lavée les mains. D’habitude,
elle posait l’objet sur le rebord du lavabo pour éviter de l’abimer
avec le savon. Son coeur accéléra. Elle essaya de se remémorer
le début de cette journée. Sortie du métro à neuf heures, café à
la cafétéria avec les autres stagiaires, elles formaient un petit
groupe de cinq au marketing, dans la célèbre maison de
cosmétiques. Elle n’avait pas sa bague, elle avait joint les mains
et ne se souvenait pas de la sensation de l’avoir au doigt. Elle
crut se souvenir soudain. Elle avait du la perdre entre la sortie
du Métro Sablon et le bureau. Elle avait la sensation du bijou
glissant le long de son doigt, elle l’avait bougée à cause de la
poignée de sa mallette en cuir noir qui appuyait sur son doigt.
Au même moment, elle avait entendu des klaxons, leur brutalité
l’avait fait sursauter. Elle aurait du entendre le bruit de la bague
tomber sur le trottoir. Paniquée, elle se mit à pleurer
silencieusement et se réfugia quelques minutes dans les toilettes
pour cacher son trouble.
« Sophie avait trop maigri, sa belle mère lui en parlait
souvent, lui demandant ce qui n’allait pas depuis sa sortie de
l’école. « Vous êtes brillante, mais il ne faut pas trop travailler,
sinon vous aurez du mal à avoir des enfants ma chère. » Elle ne
répondait pas, et se mordait les lèvres. Elle se sentait perdue. Son
mariage était voué au désastre, elle le sentait. Perdre sa bague de
fiançailles quelques mois seulement après, c’était un signe du
ciel ou du destin. Elle rentra dans le bureau de sa Chef de
Produit, qui lui demanda ce qui n’allait pas. Elle hoqueta son
histoire entre deux sanglots. Brune et ronde, et de caractère
toujours enjoué, sa chef lui dit de ne pas s’inquiéter. « On va la
retrouver cette satanée bague! » Mais elle avait les sourcils
froncés, elle ne savait pas si c’était en regardant sa taille trop fine
dans la robe noire, le mascara qui coulait, ou bien l’heure
affichée par la montre qu’elle venait de regarder machinalement.
En tout cas, déterminée et claquant dans ses mains, qu’elle mit
ensuite en haut parleur en marchant dans le couloir, elle fit un
branle-bas de combat en mobilisant les quelques personnes
volontaires à l’étage pour aller chercher la bague. Il y aurait deux
équipes qui se répartiraient le large trottoir, le long du trajet et
près du caniveau ; deux personnes partiraient du bureau, les deux
autres feraient le chemin inverse. Il était dix heures.
A dix heures trente, les deux équipes rentrèrent bredouilles,
et Sophie alla vomir dans les toilettes.
Le 3 mai 2000. Marianne avait raconté pour la quinzième fois
l’histoire de la rupture à ses deux copines au café, une troisième
écoutait pour la première fois. Son homme l’avait quitté sept
mois et trois jours après leur rencontre. Elle n’avait pas vu la
grande claque arriver.
- « Il était tellement aimant. Des fleurs chaque semaine, des
roses magnifiques. Des diners en amoureux aux chandelles tout
le temps. Et il m’avait même demandé ce que j’aimais comme
type de bague, on avait fait la devanture de plusieurs joaillers
Place Vendôme, sans rentrer, mais je lui avais montré, elle était
magnifique, toute gracile en forme de fleur, je ne sais pas la
décrire... En fait, sa mère refusait de donner les bijoux de la
famille...
- Ah les belles mères! Mais comment ça, tu n’as pas rien vu
venir quand il t’a quitté... Pas d’indice? C’était pour une autre?
- Même pas! Il m’a dit que c’était trop tôt. Il avait perdu sa
femme récemment.
- Perdue comment? » demanda le nouveau visage amical.
- « Partie. Elle l’a quitté un jour, et il ne s’y attendait vraiment
pas.
- Faut dire, tout lui à plutôt réussi, fils à papa un peu non? Le
milieu politique, ça doit pas être très bon pour l’égo.
- Tu veux dire, je théâtralise ma vie... dit la deuxième jeune
femme, muette jusqu’à là. Dis nous, j’ai oublié, le premier
mariage, ils avaient des enfants?
- Non, elle avait du mal à accepter la maternité si je
comprends bien. » Elle éclata de rire. « Si ça se trouve, elle était
frigide! Je ne sais pas mais il est tellement caressant, pardon, il
était...si caressant que je me suis demandée...
Les trois jeunes femmes étaient en noir, et le serveur les
charria. « Alors Mesdemoiselles, un petit noir pour aller avec
votre tenue? »
Elles sourirent poliment et lui demandèrent de mettre un verre
d’eau en plus pour l’une, et une tartine de pain grillée pour
l’autre, mais Marianne ne prit que le café, sans faire fondre son
sucre dans la cuillère, leur rituel d’école quand elles n’avaient
pas un rond et que tout ce qui leur apportait de l’énergie
comptait.
-« Et vous, excuse moi d’être direct, la baise, au lit c’était...
- Ben oui, évite moi ces questions, mais oui! » Marianne
touilla le café et ajouta. « C’est dingue, il parait qu’au mariage,
la mère de Sophie, elle s’appelait Sophie, a refusé que les invités
rentrent dans le château. Ils avaient dû installer des toilettes
dehors.
- Sympa la mère! Généreux. Comment se fait-il qu’il t’ait
raconté ça? » dit la brune tonique.
- « Je sais pas. Bon, les filles je suis ouverte à n’importe quel
plan. Même cul. Vous me donnez les numéros, et je fonce. J’ai
essayé tous les réseaux je crois. C’est très intéressant d’un point
de vue sociologique et ethnologique, vraiment on rencontre des
gens étranges qu’on ne verrait nul part ailleurs je pense! Le
dernier réseau, c’est « adopte un homme » : tu le mets dans ton
cadis, et tu peux troquer à la fin pour un autre homme si ça ne
convient pas...
- Le gros délire... dit la femme qui parlait peu, rêveuse.
- Ok, j’ai peut-être un homme pour toi, il est assez enveloppé,
mais il a du charisme...
- Il est grand?
- Heu... normal, pourquoi, c’est important?
- Non, je dis ça comme ça.... » Elle rit nerveusement de
nouveau, et posa les mains sur les épaules de ses copines en
disant. « Merci les filles d’être là quand il faut, ça c’est l’amitié!
Vous êtes trop cool. »
7 Avril 2011
Une jeune femme sortit de sa mini en coup de vent, les
écouteurs aux oreilles pour finir une conversation téléphonique,
puis elle resta deux minutes devant la terrasse du petit café près
de la Sorbonne, pour finir un mail. Sous la lumière des bulles de
gaz pour chauffer l’atmosphère, elle vit un couple l’observer,
l’air atterré, et elle sourit se disant qu’effectivement ce soir, elle
était la caricature d’elle même. Elle repartit, rapide sur ses talons
hauts, vers le coffre de la voiture, pour sortir un livre dépassant
d’un petit sac.
Le restaurant était bondé. Elle mit du temps à identifier les
têtes de son couple d’hôtes, qui rituellement invitaient leurs amis
pour l’anniversaire du mari. « Surprise »: le concept avait dû
fonctionner à cinquante, puis cent , puis deux cents, et la dernière
fois quatre cents invités avec un autre couple. Puis l’un ou l’autre
avait du vouloir prendre le contrepied de cette surenchère, ils
étaient donc une douzaine de couples. « Les amis d’une vie qui
nous sont chers ».
A la quarantaine, la fidélité en amitié fait une vraie différence
pensa-t-elle, et joyeuse, elle claqua une bise sur chaque joue de
ses hôtes, caressa la tête de leurs trois jeunes enfants - trop
contents de sortir si tard en semaine et sans nounou, et fit un petit
signe à son homme, coincé à l’autre bout de la table et
visiblement enchanté de la discussion animée. De son côté, la
table était plus calme. Un couple visiblement très amoureux sur
la banquette, le corps collé l’un à l’autre, et les mains
entrecroisées. Un avocat chauve, la peau blanche, le double
menton naissant, qu’elle évalua en quelques secondes comme
convenu et sans intérêt. Et la fille ainée de ses amis, Charlène,
vive et rayonnante, qui imitait sa prof de maths, « stricte« pour
reprendre son terme.
Les présentations furent faites. La femme amoureuse, et plus
âgée que son compagnon, s’avérait écrire des livres de
psychologie et de culture managériale. Elle était belle, elle
l’apprécia comme un rien narcissique, mais profonde dans sa
façon d’aborder les relations avec les gens et le sens de sa vie.
Elle était belle, long cheveux, rides du lion, à priori une femme
approchant les quarante cinq ans, épanouie et assumant son âge.
L’homme ne cessait de chercher son regard, et lui caressait la
cuisse comme s’il avait besoin de lui dire et de crier à tous « Je
suis avec elle ». Cela fit sourire la retardataire, et elle écouta
d’une oreille plus distraite ce qu’il lui dit sur son job de Président
d’une entreprise, où bien sûr il accomplissait beaucoup, et
redressait une situation désespérée laissée par ses prédécesseurs.
La jeune femme pensa à son coach, à son topo sur l’analyse
transactionnelle, et se dit que ces deux là devait bien aimer une
relation parent enfant. Le serveur lui demanda au même moment
de bouger sa chaise car elle était dans le passage et Charlène
releva ses boucles claires et se mit à chanter. Elle prit son verre,
se leva pour lui porter un toast et se déplacer vers l’autre table
où elle avait vu des visages connus.
Le vin était fruitée, peut être pas servi assez frais, néanmoins
le brouhaha des conversations amicales, la lumière douce, et les
parfums chaleureux de la cuisine du Sud Ouest rendaient la
soirée légère et mémorable.

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