Syndrome de Münchhausen par procuration : à propos de deux

Transcription

Syndrome de Münchhausen par procuration : à propos de deux
Journal de pédiatrie et de puériculture 20 (2007) 200–202
a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m
j o u r n a l h o m e p a g e : h t t p : / / f r a n c e . e l s e v i e r. c o m / d i r e c t / P E D P U E /
ARTICLE ORIGINAL
Syndrome de Münchhausen par procuration :
à propos de deux nouvelles observations
Münchhausen’s syndrome by proxy: two new cases
S. Haddada,*, C. Chouchanea, S. Chouchanea, L. Ghédiraa, F. Zaafraneb,
A. Chadlyc, M.-N. Guédichea
a
b
c
Service de pédiatrie, CHU Fattouma-Bourguiba, 5000 Monastir, Tunisie
Service de psychiatrie, CHU Fattouma-Bourguiba, 5000 Monastir, Tunisie
Service de médecine légale, CHU Fattouma-Bourguiba, 5000 Monastir, Tunisie
MOTS CLÉS
Syndrome de
Münchhausen par
procuration ;
Intoxication
médicamenteuse ;
Maltraitance
Résumé Le syndrome de Münchhausen par procuration (SMPP) est une forme particulière de
maltraitance à l’égard de l’enfant. Les auteurs de cet article présentent les deux premiers
cas tunisiens de SMPP. Il s’agit de deux sœurs âgées de 19 mois et de cinq ans et demi. La première fille a été hospitalisée à plusieurs reprises pour coma qui régresse rapidement au cours
de son hospitalisation. Les investigations étaient normales. Elle est décédée après huit mois
d’évolution. Quelques mois après son décès, la sœur aînée a présenté les mêmes
symptômes ; le bilan métabolique spécialisé ne montrait aucune anomalie. Le bilan toxicologique a mis en évidence la présence de benzodiazépines et de barbituriques dans les urines.
Le diagnostic de SMPP a été retenu devant la disparition des symptômes au cours d’une
période de séparation mère–enfant. Ce syndrome doit être évoqué devant des maladies traînantes avec des explorations négatives.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS
Münchhausen’s
syndrome by proxy;
Medicinal poisoning;
Maltreatment
Abstract Münchhausen’s syndrome by proxy (MSBP) is a particular form of child abuse. The
authors report the two first Tunisian cases of MSBP. The first one, a 19 months-old girl, was
repeatedly hospitalized for coma which declines during hospitalization. Investigations were
negative and she died after 8 months of evolution. Some months after the death, the elder
sister presented the same symptoms. Specialized metabolic exams were negative. Toxicological analysis of the urine revealed Benzodiazepine and Phenobarbital. MSBP was retained.
Repeated hospitalizations and negative investigations may suggest a case of MSBP.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
* Auteur
correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Haddad).
0987-7983/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.jpp.2007.06.004
Syndrome de Münchhausen par procuration
Introduction
Le syndrome de Münchhausen par procuration (SMPP) est
une forme dangereuse de mauvais traitements infligés aux
enfants. Il s’agit d’une catégorie de trouble factice, correspondant à une maladie simulée ou produite sur l’enfant par
un tiers, le plus souvent la mère. Le but de notre travail est
de rapporter les deux premiers cas de SMPP en Tunisie et
d’attirer l’attention sur l’existence de ce syndrome dans
des pays où ce type de pathologie semble inexistant
comme la Tunisie.
Observation no 1
Il s’agit d’une fille âgée de 19 mois ayant dans ses antécédents familiaux quatre enfants atteints d’encéphalopathie
d’étiologie indéterminée. La patiente a été admise dans
notre service pour coma d’installation brutale, spontanément résolutif après une surveillance de 48 heures. Les
explorations biologiques, neuroradiologiques et bactériologiques réalisées étaient sans anomalies. Elle a été admise à
sept reprises pour le même motif sur une période de cinq
mois. Devant les antécédents d’encéphalopathie dans la
famille et la récidive du même tableau clinique, une maladie métabolique était fortement suspectée. La chromatographie des acides aminés dans le sang et les urines et la
chromatographie des acides organiques dans les urines
étaient sans anomalies. Les examens neuroradiologiques,
le bilan toxicologique étaient normaux. La patiente est
décédée au cours de sa dernière hospitalisation suite à
une dépression du système nerveux central (SNC) et des
troubles neurovégétatifs.
Observation no 2
Il s’agit de la sœur aînée, âgée de cinq ans et demi, qui a
présenté les mêmes symptômes trois mois après le décès de
sa sœur. Elle a été adressée au service des maladies métaboliques du professeur Jean-Marie Saudubray à l’hôpital
Necker–Enfants-Malades à Paris. Des explorations métaboliques plus approfondies étaient négatives. La recherche de
toxiques dans les urines était positive aux barbituriques et
benzodiazépines. Une séparation mère–enfant durant quelques jours a permis la disparition des symptômes et ainsi de
retenir le diagnostic de SMPP chez elle, et a posteriori,
chez sa sœur décédée. Des mesures ont été prises visant à
protéger l’enfant qui va bien après un recul de quatre ans.
Pour nos deux observations de la même famille, le bilan
psychologique de la mère a révélé une attitude maternelle
aimante et dévouée envers son enfant ; elle est très affectueuse et soucieuse de la santé de sa fille de façon exagérée.
Le bilan a montré l’importance du conflit interpersonnel ; le
discours du sujet est centré sur les conflits conjugaux. La
demande d’étayage est patente, revêtant ainsi la faille narcissique du moi. De même, l’émergence de processus primaires révèle l’atteinte et la défaillance des modalités défensives du sujet, mettant ainsi en évidence le débordement du
fonctionnement psychique par des affects et des représentations massives. Une prise en charge psychologique et un suivi
201
psychiatrique ont été instaurés dans le but de l’aider à développer les défenses narcissiques.
Commentaires
Le syndrome de Münchhausen par procuration est un
trouble rare, se situant à la frontière des champs pédiatriques, psychiatriques et légaux. Il a été décrit pour la première fois par Meadow [1] en 1977. Dix ans après, Rosenberg [2] a proposé une définition qui est actuellement, la
plus admise et qui repose sur quatre critères :
● maladie simulée et/ou produite par un parent sur son
enfant ;
● présentation répétée de l’enfant pour des soins médicaux ou chirurgicaux, conduisant à des procédures diagnostiques et thérapeutiques multiples ;
● déni de la connaissance de l’origine des troubles par le
parent responsable ;
● régression des symptômes quand est instaurée une
séparation parent–enfant.
Depuis sa description par Meadow, plusieurs observations
ont été rapportées. La fréquence de ce syndrome est probablement sous-estimée puisque la première difficulté est
d’y penser. McClure, et al. [3] ont mené une étude épidémiologique entre 1992 et 1994 en Angleterre et en République d’Irlande. Ils ont colligé 128 cas ; l’incidence a été
estimée à 2,8/100 000 avant l’âge d’un an et d’environ
0,5/100 000 avant l’âge de 16 ans. L’incidence moyenne
étant estimée à un cas pour un million par an.
L’étude épidémiologique menée en Nouvelle-Zélande
par Sheridan et Grant [4] auprès de 156 pédiatres trouve
une incidence du SMPP à 2/100 000 enfants de moins de
16 ans.
Les victimes du SMPP sont, dans la plupart du temps, des
enfants jeunes. L’âge moyen varie selon les auteurs de 20 à
48,6 mois avec un sex-ratio de 1. Le délai moyen entre le
début des troubles et le diagnostic varie de 15 à 30 mois.
Dans certaines observations, le délai diagnostique était de
plusieurs années, témoignant des difficultés retrouvées
pour poser ce diagnostic. Cette forme de maltraitance touche dans 42 % des cas plus qu’un enfant de la même fratrie.
Feldman [5] a étudié, en 2002, 59 articles provenant de
22 pays non anglo-saxons, dans neuf langues différentes ;
il a conclu que le SMPP est un phénomène international et
non pas seulement celui des sociétés occidentales ou hautement médicalisées. Nos deux observations tunisiennes
corroborent cette conclusion.
La symptomatologie clinique est variée. Toute pathologie récidivante ayant nécessité de multiples hospitalisations, examens complémentaires négatifs et des traitements sans succès peut être impliquée [6,7]. La notion de
frère ou sœur soigné(e) pour de nombreuses maladies rares
et/ou de mort subite inexpliquée du nourrisson dans la fratrie est très évocatrice.
Dans une revue de la littérature en 2003, Sheridan [8] a
noté que les symptômes ont été produits dans 50 % des cas
202
alors que l’enfant est hospitalisé, comme c’était le cas dans
notre seconde observation.
Les méthodes de production les plus communes étaient
la suffocation dans 58 % des cas, les intoxications médicamenteuses dans 33 % des cas et l’empoisonnement dans 9 %
des cas. Les fausses allégations concernent le plus souvent
l’atteinte du système nerveux central, en particulier sous la
forme de convulsions, mais tous les systèmes organiques
peuvent être touchés. Les plus cités sont les allergies, les
hématuries, les troubles respiratoires, les troubles de
l’audition et les vomissements [9,10]. La falsification des
examens requiert souvent des connaissances médicales, et
une forte proportion des mères semble avoir une compétence dans le domaine médical.
La symptomatologie clinique s’avère fréquemment
multiorganique. Elle peut s’appuyer sur des antécédents
organiques ou familiaux réels ; comme c’était le cas dans
nos observations où les deux filles avaient dans leurs antécédents familiaux des cas d’encéphalopathies qui nous ont
orientés vers la possibilité d’une maladie métabolique.
Dans la plupart des cas, l’auteur est la mère biologique
(85 à 95 %), comme c’est le cas pour nos deux observations.
Habituellement, cette mère est décrite comme intelligente, appartenant à une classe sociale moyenne, bien
insérée, exerçant une profession en lien avec le milieu
médical. Le père est moins souvent responsable de ce syndrome (5 %) ; il est décrit par la plupart des auteurs comme
un complice passif.
L’élément fondamental du diagnostic positif est la disparition des symptômes quand l’enfant est isolé de l’altérateur. Cette séparation « test » doit être réalisée le plus tôt
possible, dès la suspicion d’un SMPP. L’hospitalisation permet d’évaluer la situation et de décider de la conduite à
tenir, mais le risque d’abus reste réel car, dans le SMPP, la
symptomatologie est souvent produite à l’hôpital [11].
Comme pour les autres formes de maltraitance, le signalement peut se faire en l’absence de preuve certaine. Le
pédiatre peut être aidé dans cette démarche par le médecin légiste, le psychiatre et les services sociaux, afin d’assurer une prise en charge globale de l’enfant et de sa famille.
L’évolution à court terme est grevée de lourdes conséquen-
S. Haddad et al.
ces somatiques, secondaires aux interventions du parent
responsable et de l’équipe médicale. La mortalité varie de
5 à 10 %. Les répercussions à long terme sont peu étudiées
dans la littérature et, dans les rares études longitudinales,
les auteurs insistent sur la gravité des séquelles organiques
et psychologiques chez ces enfants [10].
Conclusion
Nous attirons l’attention des pédiatres sur l’existence de ce
syndrome dont il faut penser devant une maladie prolongée
inexplicable, des signes inhabituels dans le tableau clinique
initial ou qui n’apparaissent qu’en présence de la mère, et
des décès dans la fratrie.
Références
[1]
Meadow R. Münchausen syndrome by proxy, the Hinterland of
child abuse. Lancet 1977;2:343–5.
[2] Rosenberg A. Web on deceit: a literature review of Münchausen syndrome by proxy. Child Abuse Negl 1987;11:547–63.
[3] McClure RJ, Davis PM, Meadow R, Sibert JR. Epidemiology of
Münchausen syndrome by proxy, non-accidental poisoning and
non-accidental suffocation. Arch Dis Child 1996;75:57–61.
[4] Sheridan D, Grant C. Epidemiology of Münchausen syndrome
by proxy in New Zeeland. J Pediatr Child Health 2001;37:
240–3.
[5] Feldman MD. Münchausen by proxy in an international
context. Child Abuse Negl 2002;26:509–29.
[6] Barber MA, Davis PM. Fits, Faints or fatal fantasy? Fabricated
seizures and child abuse. Arch Child Dis 2002;86:230–3.
[7] Nathanson M. Le syndrome de Münchausen par procuration.
Arch Pediatr 2001;8(Suppl 2):S426–8.
[8] Sheridan D. An updated literature review of Münchausen syndrome by proxy. Child Abuse Negl 2003;27:431–51.
[9] Basard P. Le point sur une forme de maltraitance : la procuration. Psychiatrie 1997;197:329.
[10] Vinville-Loeb B, Olivier N, Lauquin P. Le syndrome de Münchausen par procuration : revue de la littérature. J Pediatr
Puériculture 2001;14:97–103.
[11] Galvin HK, Newton AW. Update on Münchausen syndrome by
proxy. Curr Opin Pediatr 2005;17:252–7.