Histoire - memoria.dz

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Histoire - memoria.dz
Lettre de l'Editeur
Pour une vive
mémoire
AMMAR KHELIFA
[email protected]
es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’événements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire.
Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un
atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique.
L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et
de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette
pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les
affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur
permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés.
En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est également un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire
ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des
lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la
perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre.
Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de
l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahidate et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du
processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble
devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque disparition d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec
une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoignage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction,
un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être
mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une
détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement
et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’intégration dans le processus de développement.
C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que
l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire
dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objective, à plus de recherche, d’authenticité et de constance.
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LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
(3)
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Supplément offert, ne peut être vendu
Supplément
N°30. Décembre. 2014
P.08
P.09
P.10
Fondateur Président du Groupe
AMMAR KHELIFA
Direction de la rédaction
Zoubir Khélaïfia
Coordinatrices
Meriem Khelifa
Chahrazed KHELIFA
Reporter - Photographe
Abdessamed KHELIFA
Rédaction
Adel Fathi
Boualem TOUARIGT
Dr Boudjemaâ Haïchour
Hassina AMROUNI
Dr Mahmoud AIT MEDDOUR
Zoubir Khélaïfia
Direction Artistique
Halim BOUZID
Salim KASMI
Contacts :
SARL COMESTA MEDIA
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Dely-Ibrahim - Alger - Algérie
Tél. : 00 213 (0) 661 929 726
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Ali khodja
commando Ali khodja
commandant azzedine
commando ali khodja
P.07 Histoire
une épopée algérienne
P.25
P.11 Portrait
ali khodja
la légende incarnée
P.13 Témoignage
Hocine Aït Idir
Le témoignage d’un ancien fidaï
P.17 Histoire
face a la psychose de la «bleuïte»
mustapha blidi
P.13
P.21 Histoire
en mission dans les aurès
P.25 Témoignage
Témoignage de mustapha blidi (1)
le mouvEmement révolutionnaire dans
la Mitidja avant le 1er novembre 1954
P.29 Témoignage
Témoignage de mustapha blidi (2)
ali khodja, une école de formation de l'aln
hocine ait idir
P.47
guerre de libération
www.memoria.dz
P.33 Témoignage
témoignage du moudjahid Ahmed Gadda
Les maquisards des Aurès d’avant le 1er
novembre
chaabane laghrour
P.33
P.39
P.44
Supplément du magazine
ELDJAZAIR.COM
Consacré à l’histoire de l'Algérie
Edité par :
Le Groupe de Presse et
de Communication
gadda Ahmed
P.44
grine belgacem
P.48
P.46
khélaifia rebai
beghou abdelhamid
P.41 Témoignage
Secteur 2, zone 4, wilaya I, aures-nemenchas
La famille Beghou, au cœur de la révolution
P.45
P.51 Histoire
barbacha
un bref aperçu historique
P.57 Histoire
rezkia n'bouzid
infirmière en guerre de libération
P.71 Histoire
COLLOQUE INTERNATIONAL A EL KHROUB
« MASSINISSA OU L’éPOPéE GLORIEUSE DE LA NUMIDIE »
la ferme des beghou
P.66
chansons du terroir constantinois
P.77 El BOUGHI OU NEDJMA SUR POEME ROMANESQUE
la moudjahida
Rezkia n'bouzid
P.92
Salah Bey
Constantine
Hadj Mohamed Tahar FerganI
SOMMAIRE
Si El Ayachi beghou
Mostefa ben boulaid
Dépôt légal : 235-2008
ISSN : 1112-8860
Commando Ali Khodja
Une épopée
algérienne
Par Adel Fathi
Guerre de libération
Histoire
C
Ali Khodja
C’est l’histoire d’une unité d’élite baptisée au nom
d’un vaillant combattant qui s’appelle Ali Khodja dit
Si Lakhdar, qui, à trente ans, se trouve à la tête d’un
commando qui fera longtemps parler de lui pour avoir
ébranlé les états-majors de l’armée coloniale, comme
jamais aucune unité de l’Armée de libération nationale
ne l’avait fait auparavant.
et ancien sergent de l’armée
française qui a
déserté, en octobre 1955 en
compagnie
de
deux compagnons en emportant
quelques armes, est à l’origine de
la première unité d'élite de l’ALN,
le commando qui portera son nom
jusqu'à la fin de la guerre de libération. Repéré et recruté par le colonel Amar Ouamrane, alors chef de
la zone IV (l’Algérois, future Wilaya
IV à l’issue du congrès de la Soummam), qui le nomma avec le grade
de lieutenant à la tête de la zone
de Palestro (actuellement Lakhdaria), Ali Khodja organise le 18 mai
1956 la célèbre embuscade de Palestro, où, à la tête d'une quarantaine
de combattants, il anéantit la 2e
section du 9e régiment d’infanterie locale, composée de 21 soldats.
Bilan de la bataille : 17 morts dans
les rangs de l’ennemi. Activement
recherché par le général Massu qui
lança aussitôt un arsenal d’hélicoptères et de bataillons blindés, Ali
Khodja sera neutralisé (ainsi que 17
de ses compagnons) le 23 mai 1956
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
au lieu dit Haouch Ben M'rabet,
dans les environs de Bordj El-Kiffan, ex-Fort-de-l’eau. Son corps ne
sera jamais retrouvé. Le commandant Azzedine lui succéda à la tête
de ce légendaire commando à partir
de janvier 1957.
Le commando a mené plusieurs
attaques contre l'armée ennemie,
dont celles d'Aïn Defla et du village d'Ouled Moussa. Il était de tout
temps composé de 110 à 120 combattants, parce que ceux qui tombaient au champ d'honneur étaient
toujours remplacés par d'autres
moudjahidine aussi bien aguerris et
dévoués au combat. C’était la règle
respectée par tous les successeurs
d’Ali Khodja.
Les hauts faits d’armes cumulés
par ce commando légendaire, en
dépit du manque d’armes et de munitions, à une époque où les maquis
de l’intérieur commençaient à s’en
plaindre ouvertement aux membres
du CCE, puis au GPRA installés en
Tunisie, étaient la preuve que grâce à
une bonne organisation, l’ALN était
capable de se surpasser pour créer
des exploits et acculer l’ennemi dans
ses positions les plus protégées.
(8)
Amar Ouamrane
Ancien combattant de la Wilaya
IV et auteur d’un ouvrage de référence sur cet épisode charnière de la
lutte contre l’occupation française,
Hocine Aït Idir retrace son parcours au sein de ce commando de-
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
Etat-major Wilaya IV, debout de dr. à g. : Colonel Ouamrane, Rachid dit Max, Ali Khodja (en médaillon), Si Smain Mokrani, Si Lakhdar, Si M’hamed, Si Salah.
puis son adhésion à l’ALN, en 1957.
Il raconte comment les membres de
cette unité d’élite ont réussi à préserver la cohésion de groupe grâce
à une parfaite organisation, à une
discipline insoupçonnable et à une
conduite semblable à celle de soldats appartenant à une armée régulière, au point que, dit l’auteur, «l’on
peut facilement les confondre avec
ceux de l’armée adverse», de par
leur tenue toujours impeccable, le
maniement des armes, les moyens
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
de communication, notamment les
transmissions, etc.
Après la mort du mythique Ali
Khodja au combat, le commando,
qui portait désormais son nom,
poursuivit son épopée, et eut
d’abord comme chef le commandant Azzedine (Rabah Zerari), qui
a consolidé davantage cette unité,
en parvenant à multiplier par dix le
total des effectifs – de 120 à 1 200
hommes, d’après certains écrits.
Après la nomination du comman-
(9)
dant Azzedine à la tête de l’organisation militaire de la Wilaya IV, en
1958, alors sous le commandement
du colonel M’hammed Bouguerra,
puis son arrestation par l’armée
d’occupation, au cours de la même
année, la relève sera assurée par
Larbi Bouyahiaoui dit Si Abdennour avec pour adjoint Si Kada,
Mohamed Outiba dit Boucif. Ce
dernier reprendra provisoirement le
flambeau à la suite de la maladie de
Si Abdennour.
www.memoria.dz
Guerre de libération
Histoire
Commandant Azzedine
Pourchassés par les parachutistes
du colonel Bigeard, qui voulaient
resserrer l’étau sur eux, les hommes
du commando Ali Khodja ont non
seulement réussi à les semer dans les
massifs de l’Ouarsenis et de Zbarbar, ses fiefs traditionnels, mais ils
sont surtout parvenus à étendre
leur champ d’actions aux wilayas
limitrophes, à savoir notamment les
Wilayas I (Aurès) et III (Kabylie),
où ils sont très souvent envoyés en
mission commandée.
Unité exemplaire, le commando
Ali Khodja se distingua également
par le niveau de dévouement de ses
éléments et un esprit de communion exceptionnel qui les unissait.
A telle enseigne, rapportent des
témoignages, que tous ceux qui
combattirent sous sa bannière, ne
voulurent jamais le quitter. Alors
que beaucoup d’entre eux étaient
tombés au champ d’honneur.
Sens élevé du sacrifice, niveau
d’organisation inégalé, discipline
à toute épreuve, le commando Ali
Khodja est surtout reconnu, même
par l’ennemi, pour les qualités morales de ses hommes et responsables
qui forcent le respect. Traqués inlassablement par les troupes ennemies
qui usaient de tous les moyens légaux et illégaux pour anéantir cette
structure, ses hommes se sont toujours imposés, notamment sous le
règne du commandant Azzedine,
une sorte de code d’honneur, en
s’interdisant des méthodes dégradantes dans le traitement de ses
prisonniers, telles que les sévices
corporels, ou des exécutions sommaires. Des pratiques qui étaient
monnaie courante chez l’ennemi,
surtout à cette période où la guerre
arrivait à son apogée. Alors qu’ils
pouvaient faire valoir la loi du Talion que leur imposait la conduite de
la soldatesque française. Cette réputation valut aux éléments du commando une plus grande sympathie
au sein des populations civiles et de
l’opinion publique en général.
Adel Fathi
Moudjahidine du commando Khodja
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 10 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Ali Khodja
la légende incarnée
Par Adel Fathi
Guerre de libération
L
e nom et le parcours
héroïque d’Ali Khodja
demeureront à jamais
confondus avec la
renommée légendaire
du plus puissant commando que l’ALN ait jamais connu et
qu’il dirigea jusqu’à sa mort : le commando Ali Khodja.
De son vrai nom Mustapha Khodja,
Ali Khodja est né à Alger le 12 janvier 1933. Issu d’une famille modeste,
il constate très tôt les inégalités qui
existent, à l’école, entre les fils d’Européens et les petits Algériens, dont il fait
partie. En 1953, il est convoqué pour le
service militaire obligatoire, dont il passera une partie à la caserne de maintenance de Belcourt, à Alger. Il a le grade
de sergent. Il déserte durant la nuit
du 17 octobre 1955, en compagnie de
deux compagnons, dont Ali Souag, en
emportant quelques armes. Les forces
armées coloniales sont en état d’alerte
et se lancent aussitôt à la recherche des
évadés. Les patrouilles sillonnent toute
la région pour tenter de les retrouver, en
vain. Ali Khodja et son compagnon se
sont réfugiés pendant une semaine dans
une maison près de l’hôpital Verdun
(actuellement Aïssat Idir). Dès que la
situation s’est relativement accalmée,
ils sont descendus à la place Port-Saïd,
escortés par deux fidayine, Ali Timizar et Ahmed Laghouati, et d’où ils
seront conduit, en voiture, jusqu’à Béni
Amrane, près de Palestro (actuellement
Lakhdaria).
Arrivés à Béni Amrane, ils sont accueillis par des moudjahidine qui les
conduisent jusqu’au colonel Ouamrane,
alors chef de la zone IV (l’Algérois, future Wilaya IV) qui le nomme au grade
de lieutenant à la tête de la zone de Palestro. Aussitôt, il se met à réorganiser
les troupes. Dynamique et surtout audacieux, il propose, dès la fin juin 1956, à
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Portrait
ses supérieurs l’idée de créer une unité
d’élite composés de 110 hommes bien
équipés. Les rangs de l’ALN étaient à
cette époque renforcés par une nouvelle vague de jeunes combattants aussi
dévoués que motivés. Il pose comme
condition que les nouvelles recrues
soient de bonne condition physique et
ayant une longue expérience militaire,
notamment en Indochine. Sa proposition est rapidement acceptée. Ce qui
lui permet de mettre sur pied un commando qui restera dans l’Histoire, grâce
à ses innombrables exploits qui ont
ébranlé les états-majors de l’armée française pendant des années.
Le chef du commando met au point
une nouvelle tactique d’embuscade et
d’assaut : il informe les membres de
son unité de l’opération programmée,
mais ne leur en livre pas tous les détails,
avant le moment de l’exécution. Il se
rend, en compagnie de ses adjoints, sur
les lieux de l’opération pour faire un état
des lieux et étudier le plan d’attaque,
puis revient une deuxième fois avec les
autres membres du commando pour
leur expliquer, patiemment, le plan sur
les lieux mêmes où est prévue l’attaque.
Grâce à cette méthode, il a pu réaliser
tant de hauts faits d’arme. Dans certains
cas, il s’est appuyé sur des Algériens travaillant dans des casernes de l’ennemi
après les avoir convaincus de servir la
cause de leur peuple. Après une série de
succès, il est nommé chef de la zone 1
de la Wilaya IV, proche de la forêt de
Bouzegza.
Ce qui est surtout à retenir du parcours épique du commando Ali Khodja c’est que cette unité a non seulement
survécu à son précurseur, mais son
rayonnement s’est étendu à d’autres wilayas historiques.
( 12 )
Parmi les batailles qu’il a conduites à
la tête de son commando contre l’armée
ennemie, on peut citer notamment l’attaque de la base militaire de Ain Defla
et du village de Ouled Moussa. Mais la
plus retentissante restera l’embuscade
de Palestro, appelée aussi embuscade
de Djerrah. Cette embuscade a lieu
le 18 mai 1956, à proximité du village
de Djerrah dans la région de Palestro,
au cours de laquelle une section d'une
quarantaine d'hommes de l’ALN, commandée par le lieutenant Ali Khodja,
a surpris une section de vingt et un
hommes du 9e régiment d'infanterie
de l'armée française, commandée par le
sous-lieutenant Hervé Artur. Ce régiment était composé d’appelés et de rappelés réalisant une opération de reconnaissance. L'affrontement s’est soldé par
l'anéantissement de presque toute l'unité
française, un seul soldat ayant eu la vie
sauve ; les pertes de l'unité algérienne
sont, elles, estimées à un ou deux morts.
Les témoignages sur ce bilan sont divergents.
Aussitôt après, les états-majors de
l’armée coloniale déclarent l’état d’alerte
et engagent une vaste opération de recherches, sous le commandement du
général Massu. Celui-ci mobilise des
forces héliportées et plusieurs bataillons
blindés. Au bout de cinq jours de poursuite ininterrompue, l’armée française
neutralise Ali Khodja, ainsi que 17 de
ses compagnons moudjahidine, au lieu
dit Haouch Ben M'Rabet, dans les environs de Fort-de-l’Eau (aujourd’hui Bordj El-Kiffan). Ils s’étaient réfugiés dans
une maison transformée par les moudjahidine en clinique. Des traces de cet
ultime combat ont été retrouvées, mais
pas son corps. Avec la mort d’Ali Khodja, la révolution algérienne a perdu l’un
de ses combattants les plus vaillants et
les plus valeureux.
Adel Fathi
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Hocine Aït Idir
Le témoignage
d’un ancien fidaï
Par Adel Fathi
Guerre de libération
A
uteur de Commando
Ali
Khodja. Wilaya
IV – Zone 1.
Souvenirs d’un
combattant,
ouvrage dédié au célèbre commando de l’ALN, paru en 2011,
Hocine Aït Idir est un ancien fidaï
d’Alger qui, recherché par
la police coloniale, décida,
au milieu de l’année 1957,
de rejoindre le maquis.
Recruté dans la région
de Palestro (actuellement
Lakhdaria) relevant de la
Wilaya IV, il sera aussitôt
affecté à l’infirmerie de la
zone 1. Au bout de quelques
semaines, il reçoit, avec
son ami Hocine Oldache,
un infirmier comme lui, un
message leur enjoignant de
rejoindre le commando Ali
Khodja. Dans son livre, il
raconte toutes les péripéties
qu’il a traversées, lui et son
compagnon, avant d’arriver
au lieu, tenu secret, où était
stationné le commando. L’endroit, une dechra, s’appelle
Loubaha. « A notre arrivée,
raconte Hocine Aït Idir, nous
nous mêlons aux djounoud du
commando. Nous avons été charmés et agréablement surpris par la
formidable ambiance qui règne au
point que nous n’en croyons pas
nos yeux.» Cette description se
recoupe avec les nombreux témoignages qui attestent tous de la rigueur exemplaire et rare qui caractérise cette unité d’élite de l’ALN.
«D’une gentillesse insoupçon-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Témoignage
nable, les djounoud se montrent
avenants. Grands et bien portants,
ils sont tous proprement habillés
de tenues de combat et portent un
chapeau de brousse. Une troupe
d’élite que l’on confondrait avec
celle de l’armée adverse», note-t-il
encore.
A cette époque, le commando Ali
Khodja était commandé par Larbi
Yahiaoui dit Si Abdenour, qui venait de succéder au commandant
Azzedine, rappelé au commandement des opérations militaires de
la Wilaya IV. Les trois sections qui
composaient le commando étaient
encadrées par Rabah Harchaoua,
Rabih, Rabah El-Ghiat, Mohamed Outiba dit Boucif et Moh
( 14 )
Slimane. L’auteur rappelle que
le commando Ali Khodja s’était
constitué de la fusion de trois
compagnies de combats qui activaient au niveau de la zone 1 de la
Wilaya IV, à savoir la compagnie
Ali Khodja, la compagnie commandée par Rabah Mokrani dit Si
Lakhdar (le célèbre baroudeur
qui donnera ensuite son nom
à la ville de Lakhdaria) avec Si
Azzedine, et celle de cheikh
Messaoud.
Cette unité se reconstitue
en janvier 1957 et c’est à partir de cette date qu’elle porta
le nom d’Ali Khodja. Son
commandement fut confié
au commandant Rabah Zerari dit Si Azeddine. Selon le
moudjahid Hocine Aïd Idir,
le commando est composé
de trois sections, et chaque
section se divise en trois
groupes de 11 à 13 djounoud. Il compte également
dans ses rangs un à trois
infirmier, un coiffeur, deux
secrétaires, un intendant et,
enfin, un morchid.
Pour échapper à la
grande offensive de l’opération « Jumelles » lancées par
l’armée coloniale, en 1959, le commandement de la Wilaya IV décide
de confier la tête du commando
à Saïd Hazama, qui le scinde en
trois sections puis, plus tard. Ces
petites unités se sont plusieurs
fois accrochées avec l’ennemi et
ont dressé des embuscades qui se
sont soldées par des succès retentissants, témoigne Aït Idir.
«En 1958, raconte-t-il, un vio-
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Témoignage
lent accrochage qui a opposé
notre commando sous le commandement de Larbi Yahiaoui dit
Si Abdenour, à des forces françaises sorties, ce jour-là, en opération, se solde par la récupération
de plusieurs armes, dont deux mitrailleuses 30, par Amar Bensalah
dit Nachet et de nombreux tués
dans les rangs ennemis. Pendant
la bataille, je me remémore le film
L’Enfer des hommes que j’avais
vu au cinéma Le Bijou avant de
rejoindre le maquis, et qui m’a singulièrement impressionné de par
les scènes horribles et atroces des
parachutistes tuant et massacrant
tout sur leur passage», se souvient
l’auteur qui décrit la bravoure dont
ont fait preuve les membres du
commando face aux parachutistes
du colonel Bigeard. « Sans exagération, j’ai vu, ce jour-là, pour la
première fois, des soldats ennemis
fuir à toutes jambes devant nous,
malgré leurs équipements modernes et les appuis aériens dont
ils bénéficiaient. Cette image, faisant disparaitre la peur qui gagne
tout combattant, avant les premiers coups de feu, me galvanisa
et me donna des ailes au point
de me sentir invincible et prêt à
courir derrière eux, comme mes
compagnons, en criant Allahou
Akbar. (…) »
Résultat de cet accrochage, les
effectifs du commando ont augmenté au bout de quelques jours,
d’une vingtaine de djounoud,
ancien Belhadjistes (messalistes)
venus des autres compagnies.
Parallèlement à l’action et aux
combats, un morchid (une sorte
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Hocine Aït Idir dédicaçant son livre
de guide religieux) suivait toujours les combattants pour leur
prodiguer, durant leurs moments
de détente ou de repli, des enseignements religieux.
Le moudjahid Aït Idir consacre
des paragraphes entiers à sa rencontre avec le légendaire commandant Azzedine, l’ancien chef
du commando Ali Khodja, qui
portait encore des blessures. «
(…) Si Azzedine a la réputation
de quelqu’un bien proche de la
population et très sensible à ses
malheurs. Il est aimé et estimé par
tout le monde et plus particulièrement par les djounoud du com-
( 15 )
mando qui ont été témoins de son
courage devant l’ennemi, de son
abnégation dans le combat et de
son affection à l’égard de ses éléments. Sa présence parmi nous est
un moment de joie, créant une atmosphère de fête tant au sein des
groupes que dans les dechras. »
L’auteur fut témoin d’une histoire rocambolesque qui amena le
chef par intérim du commando, Si
Boucif, désigné après la maladie
de Si Abdenour, à faire condamner puis exécuter un djoundi accusé de tentative de viol sur deux
femmes. Après l’intervention du
commandant Azzedine, celles-ci
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Guerre de libération
Témoignage
Evacuation de blessés de l’armée française lors de l’embuscade dans les gorges de Palestro le 18 mai 1956 montée par le commando de Ali Khodja
(une dame et sa fille) avouèrent l’innocence du djoundi et reconnurent qu’il s’agissait, en fait, d’un coup
monté par la SAS, qui les récompensait généreusement, chaque fois qu’elles parvenaient à faire exécuter un membre de l’ALN. D’après ce témoignage,
le commandant Azzedine ordonna, après cet aveu,
l’exécution des deux coupables, puis la mutation par
mesure disciplinaire de Boucif et de son adjoint pour
cette grave erreur qui a coûté la vie à un djoundi innocent.
Adel Fathi
Commando Ali Khodja. Wilaya IV – Zone 1. Souvenirs d’un combattant de Hocine Aït Idir. Alger- Livres-Edition, 2011.
Azzedine Zerrari dit commandant Azzedine
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 16 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Face à la psychose
de la « bleuïte »
Par Adel Fathi
Guerre de libération
Histoire
D
Colonel Amirouche Aït Hamouda
irectement
touché par
les
folles
rumeurs faisant état de
l’infiltration
d’agents manipulés (les bleus) par
les services de renseignements
français dans les rangs de l’ALN,
bien qu’à un degré moindre que
ce qu’a vécu la Xilaya III, le commandement de la Wilaya IV a très
tôt pris des dispositions pour se
prémunir, mais la mission s’est
avérée aussi complexe que périlleuse. Et pour cause. D’illustres
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
dirigeants ont failli être sacrifiés
sur l’autel de la suspicion.
Il faut dire que les purges
avaient d’abord commencé dans
le territoire de cette wilaya dont
dépendait Alger, où «le complot»
avait été tissé avant de s’étendre
peu à peu vers les régions avoisinantes. Depuis le démantèlement
de la Zone autonome d’Alger, à la
suite de la mise en échec de la bataille d’Alger en octobre 1957, les
services de l’action psychologique
commandés par le capitaine Alain
Léger, obéissant aux ordres du colonel Godard, ont réussi à retour-
( 18 )
ner certains responsables du FLN,
dont l’adjoint de Yacef Saadi,
Ahcène Guendriche. Se sentant
particulièrement ciblée par cette
machination diabolique orchestrée à partir d’Alger, la Wilaya III,
sous le commandement du colonel
Amirouche, fut la première à réagir et à se mobiliser pour endiguer
ce qui était considéré comme un
«complot». Et ce fut la première
wilaya à organiser des purges, y
compris en Wilaya IV. C’est ainsi
que la première arrestation a eu
lieu dans la région de Boudouaou
(wilaya de Boumerdes), à la sortie
d’Alger. Ce moudjahid a, selon des
témoignages, été remis à la Wilaya
III à la demande de ses responsables. Plus tard, le commandement de la Wilaya III dépêchera,
fin 1958, le capitaine Ahcène Mahiouz, connu pour être le «spécialiste de la question» (certains l’ont
accusé de conduire les sévices
infligés aux personnes arrêtées
dans le cadre de cette campagne)
en zone 1 de la Wilaya IV pour
procéder à des arrestations. C’est
le début d’une longue période de
psychose dans les maquis.
A cette période, le commando
Ali Khodja était resté soudé, nonobstant les pertes parfois importantes subis lors des accrochages
de plus en plus meurtriers avec
l’armée ennemie. Mais il arrivait
toujours à se reconstituer grâce
aux nouvelles recrues qui ne cessaient de renforcer ses rangs pour
atteindre son effectif habituel. Ces
événements coïncidaient avec la
désignation de Mohand Oubelaïd
Lazizi dit Si Belaïd, avec comme
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
Le colonel Godard
adjoint Abderrahmane Nahnah
dit El-Hadj Loubaha, en remplacement de Si Abdenour.
Confrontées au rouleau compresseur de l’opération « Courroie
» déclenchée dès 1958 dans toute
la région de l’Ouarsenis, les unités
relevant de la Wilaya IV étaient
davantage fragilisées par l’opération d’épuration qui se répandait
dans leurs rangs sans savoir comment y mettre un terme, ni comment se réorganiser. Les enquêtes
menées sur instigation du colonel
M’hammed Bouguerra, qui était
pourtant au début sceptique sur la
réalité de la «bleuite », assisté par
le spécialiste Mahiouz, allaient
déboucher sur de nombreuses
arrestations parmi les membres
de l’ALN dans les maquis de cette
Wilaya IV charnière. Pour crédibiliser leur action auprès des combattants désarçonnés, les instigateurs avaient présenté au début la
prétendue «reddition» du commandant Azeddine (arrêté en novembre 1958) à l’armée française,
et les accusations convergentes
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
dans les interrogatoires contre
Omar Oussedik, comme des
preuves de l’étendue du complot.
Or, on sait que les deux hommes
ont fini par être habilités : le commandant Azeddine a pu regagner
le maquis en parvenant même à
adresser un message signé de sa
main aux moudjahidine de sa wilaya leur expliquant sa démarche
auprès des militaires français : une
ruse qui lui aurait permis d’échapper à l’ennemi, alors qu’il était
blessé.
C’est dans ce climat pesant, où
la paranoïa le disputait aux petits
règlements de comptes, que le
colonel Si M’hammed ordonna
aussi l’élimination des «Belhadjistes», soldats ayant fui, armes
et bagages, le camp du collaborateur de sinistre renom Belhadj
dit Kobus, dans l’Ouarsenis, pour
Capitaine Paul Alain Léger
intégrer les unités de l’ALN. Tout
le travail accompli par les officiers
de l’ALN dans le cadre de ce qui
est appelé la «Force K», avec le
ralliement de centaines de combattants messalistes, a été gâché
par cette opération de «nettoyage»
des rangs.
De dr. à g. : le colonel Amirouche, Dr. Laliam Mustapha et Ahcene Mahiouz
( 19 )
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Guerre de libération
Histoire
Omar Oussedik
De dr. à g. : capitaine Maghni Mohamed Salah dit Si Abdellah Ibeskriene, Hocine Benmaâlem et colonel Amirouche
Beaucoup de combattants intègres ont été emportés par cette
espionite, comme en témoignent
aujourd’hui nombre d’acteurs de
la Révolution, sans aller, toutefois, jusqu’à en reconnaitre la res-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
ponsabilité des chefs, qui, selon
eux, auraient agi en leur âme et
conscience. Ce qui n’est peut-être
pas faux, mais des fautes irréparables ont été commises, sans qu’il
y ait eu aucune réparation.
( 20 )
C’est donc un miracle que le
commando Ali Khodja ait pu
survivre à cette bourrasque qui
s’est abattue sur toute la wilaya et
même au-delà. Presque aucune inculpation n’a été enregistrée dans
ses rangs, à en croire les différents
témoignages et écrits d’historiens.
Est-ce parce que cette unité vivait quasiment en autarcie, et ses
chefs successifs étaient désignés
parmi ses membres ? Insoupçonnables, ces derniers se voyaient,
au contraire, confier des missions
en dehors de la Wilaya IV, notamment en Wilaya III, et surtout en
Wilaya I. Loin d’être affectés par
les purges liées à la «bleuite», ces
hommes sont chargés d’implanter
à nouveau l’ALN dans la région
des Aurès, après la débandade qui
a eu lieu à la mort de Mostefa Benboulaïd et qui durera jusqu’à 1959.
Adel Fathi
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
En mission
dans les Aurès
Par Adel Fathi
Guerre de libération
Histoire
Membres du CCE
D
ébut 1959, le
commando
Ali Khodja
reçut l’ordre
du commandement de
la Wilaya IV l’ordre de se rendre
dans les Aurès (Wilaya I) pour
une mission délicate : assurer un
redéploiement de l’ANP dans cette
région pionnière livrée au chaos et
aux guerres intestines depuis la disparition précoce de Mostefa Benboulaïd. Toutes les initiatives prises
par les dirigeants de la Révolution
(CCE, réunion des colonels en
1958), dont celle conduite par le colonel Amirouche, chef de la Wilaya
III, n’ont eu aucun résultat probant
sur le terrain. Au contraire, elles
n’ont fait qu’envenimer davantage
la situation, d’après tous les écrits
ayant traité à cet épisode douloureux dans l’histoire de la Wilaya I.
C’est dans le souci de restaurer
l’ordre et surtout de reconstituer les
maquis de l’ALN dans les AurèsNememchas que cette décision a
été prise par le colonel M’hammed
Bouguerra, à son retour de la célèbre
réunion d’Oued Asker tenue en Wilaya II du 6 au 12 décembre 1958,
en présence des autres chefs de
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Le colonel Amirouche Aït Hamouda
( 22 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
wilayas. C’est tout naturellement que
son choix se porta sur le commando Ali Khodja, fleuron de l’ALN et
dont la renommée avait déjà franchi
les frontières de la Wilaya IV.
La responsabilité des unités de
combats devant se rendre dans la
Wilaya I fut confiée à Mohand Oubelaïd Lazizi, nouveau chef du commando promu au grade de capitaine.
Il y avait aussi avec lui le capitaine
Moussa Chérif. Composé d’une centaine d’hommes aguerris, le commando prit le départ pour traverser
la Wilaya III (la Kabylie), en marchant la nuit en file indienne pour
éviter de se faire intercepter par les
patrouilles de l’armée française. Les
consignes étaient strictes. L’itinéraire était préalablement établi par le
chef. Malgré toutes les précautions,
l’armée d’occupation arriva à repérer leur présence et les suivait partout ils passaient. Ce qui obligea les
hommes à accélérer la cadence et à
faire, parfois, dans la diversion pour
semer l’ennemi. C’est ainsi que, informé d’une opération militaire qui
se préparait dans la région, le chef du
commando ordonna, à leur arrivée
au Sud de la Wilaya III, au village
dit Tamellaht, de rebrousser chemin
pour se diriger vers le nord.
Arrivés au village d’El-Hamra,
après une marche exténuante par les
Bibans, les membres du commando
rencontrèrent le colonel Amirouche
qui, lui, à ce moment-là, se dirigeait vers le Sud (sans doute pour se
rendre en Tunisie).
Très vite, le commando gagna le
territoire de la Wilaya I. La première
étape fut le village Zitouna, où les
hommes du commando tombèrent
sur un groupe de dissidents (dits
«mouchaouichine» par oppositions
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Les opérations de l’armée française se succèdent dans les Aurès
aux moudjahidine). Etant parfaitement instruits des mouvements de
dissidence dans cette région, ils restèrent sur leurs gardes, en surveillant
le moindre faux geste de ces combattants auréssiens. Après un bref
échange, les moudjahidine de la Wilaya IV mesurèrent la complexité de
( 23 )
leur mission, qui était de mettre fin
aux rivalités tribales et claniques qui
minaient l’ALN dans cette région.
Ce groupe qui se montra plutôt
avenant, mais ignorant tout de leur
mission, conduira les membres du
commando jusqu’au djebel Boutaleb, où ils furent reçus par des offi-
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Guerre de libération
Histoire
Youcef Yaâlaoui en tenue blanche (de son vrai nom Youcef Lalaoui) dans le maquis des Aurès
ciers de cette zone (la Zone 2), à
leur tête Youcef Yaalaoui. Quelques
jours plus tard, un de ses adjoints
demanda au chef du commando
Ali Khodja de l’aider à «arrêter» les
«mouchaouichine» au motif qu’ils
devenaient «dangereux» et qu’ils auraient l’intention de déserter pour se
rendre à l’ennemi. La première tentative se solda par la mort de quatre
djounoud dans les rangs du commando, à la suite d’un violent accrochage avec les «dissidents». Certains
récits rapportent que ces derniers
sont allés ensuite au poste ennemi
le plus proche. Cette scène rappelle
étrangement le ralliement «forcé»
d’un des chefs des Aurès, Adjal Adjoul, qui, se sentant persécuté par
les hommes du colonel Amirouche,
qui a été dépêché par le CCE pour
la même mission, n’eut d’autre choix
que se rendre à l’armée française.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
N’empêche que les responsables du
commando Ali Khodja poursuivirent leur mission et prirent le soin
de contacter les dirigeants locaux et
de se réunir avec eux. Entretemps il
fallait aussi faire face aux opérations
militaires de l’armée ennemie, même
si elles étaient beaucoup moins intenses et fréquentes que celles auxquelles ils avaient l’habitude de voir
sur les montagnes de Palestro.
Trois mois plus tard, les membres
du commando Ali Khodja apprirent
la mort des colonels Amirouche et Si
El-Houès. Cette nouvelle déstabilisa
fortement l’unité, car ses chefs commençaient déjà à songer à retourner
à la Wilaya IV. Peu avant, ils rencontrèrent Abderrahmane Mira, de
retour de Tunisie, qui avait fait une
halte dans la Wilaya I avant de rejoindre la Wilaya III.
( 24 )
Oubliant la première mission
pour laquelle ils étaient venus, car
manquant peut-être de visibilité et
se sentant dépassés par les conflits
fratricides qui y faisaient rage, les
hommes du commando ne tardèrent
pas à reprendre le combat contre
l’ennemi, le vrai et le seul. C’est ainsi
qu’ils organisèrent des embuscades
jusqu’aux confins de la Wilaya II, à
Aïn Oulmane, où ils réussirent un
coup de main mémorable. C’est aussi
une manière de marquer la présence
de l’ALN dans cette vaste région et
de rappeler aux états-majors de l’armée coloniale que la peur régnera
désormais dans leur camp. Et c’était
bien la grand et noble mission pour
laquelle ils sont là et pour laquelle,
beaucoup d’entre eux, y ont laissé
leur vie !
Adel Fathi
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Témoignage de
Mustapha Blidi (1)
Le mouvement
révolutionnaire dans la Mitidja
avant le 1er novembre 1954
Par Boualem Touarigt
Guerre de libération
Témoignage
Mustapha Blidi est originaire du douar Sid el Fodhil à la hauteur
de Chréa, au-dessus de Blida. Son père, originaire du douar Ars,
arch Ouled Mokhtar, près d’Aïn Ousséra, était venu jeune à Blida.
Il a travaillé comme maçon traditionnel chez son futur beau-père.
Il a ensuite été ouvrier saisonnier dans des domaines de colons.
Mustapha avait un frère et une sœur. Il se souvient que sa mère
travaillait chez Ricci, une petite usine de fabrication de couscous.
Elle partait tous les matins très tôt, vers trois heures. Il arrivait que
son père s’absente pendant de longs mois, pendant les périodes de
vendange et de récolte.
De dr. à g. au 2e rang : Yacef Saâdi, Colonel Bencherif, Ould Hocine Chérif officier ALN, Mustapha Blidi, Salah El Houaoui.
Assis : Berkani Mohamed, Moussaoui Mohamed.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 26 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
A
l’âge de douze
ans,
Mustapha
Blidi a commencé
à travailler dans
la coopérative de
Boufarik, montée
par les colons. Il était chez Bozartini où on fabriquait les emballages
pour les fruits et légumes. Leur chef
d’équipe était Mohamed Daaïbi ;
c’était lui qui recrutait dans la coopérative. C’est parmi les travailleurs
de cette coopérative agricole que
Mustapha Blidi se forma au mouvement nationaliste. Il se rappelle que
parmi les ouvriers de la coopérative,
il y avait Tayeb Djoghlali, Ali et
Tayeb Berzani, Souidani, Benyoucef
de Soumaa, El Kinaâ, Kaddour El
Maâsacri, Mustapha el Guerouaoui
et bien d’autres. C’est là-bas qu’il
a rencontré celui avec lequel il est
monté plus tard au maquis, Ali
Benkerbane. Il raconte que celui-ci
était allé quelques années plus tôt
en Libye dans l’espoir de rejoindre
la Palestine pour combattre au sein
des forces arabes. On apprend ainsi
que les militants nationalistes de la
Mitidja étaient dans leur majorité
des ouvriers agricoles, employés par
la coopérative agricole de Boufarik, une sorte d’entreprise coopérative qui fournissait la main-d’œuvre
nécessaire à ses adhérents les colons pour faire face aux différentes
tâches : labours, semailles, récoltes,
vendanges, tailles. Cette coopérative était un foyer nationaliste. Mustapha Blidi se souvient des discussions qui avaient lieu discrètement
au moment des courts moments de
déjeuners entre militants avertis.
Ceux-ci se tenaient au courant des
différentes actions menées alors
par les nationalistes, notamment
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Témoignage
Mustapha Blidi en médaillon
des quelques actions de sabotage et
des accrochages qui avaient eu lieu.
Parmi les anciens responsables de
l’époque, il se souvient aussi de Mustapha Sbaïti qui était en contact avec
les élèves du lycée de Blida avec qui
il tenait des réunions discrètes dans
un jardin public, qu’on appelait le «
jardin des eaux ». Parmi les lycéens
il y avait M’hamed Yazid et Saad
Dahlab.
Mustapha Blidi se souvient que
les militants nationalistes avaient
une attitude marquée par le secret
et se méfiaient des fuites et des
infiltrations des services de police.
Les discussions se limitaient à des
cercles d’initiés et avaient lieu exclusivement lors des repas pour ne pas
éveiller les soupçons. Les militants
limitaient les contacts. Même au
sein d’une même famille, le cloisonnement était total.
Son témoignage apporte un
éclairage intéressant sur la stratégie du mouvement national avant
le déclenchement de la guerre de
libération nationale. Les militants
savaient qu’une lutte armée se pré-
( 27 )
parait, mais très peu étaient au courant. Encore moins nombreux ont
été ceux qui y avaient été impliqués.
La leçon des mouvements révolutionnaires avaient été bien assimilée, en particulier les massacres de
mai 1945. L’OS avait servi à préparer les militants à la lutte armée. On
développa le maniement des armes
et la confection des explosifs. Il y
eut aussi de la préparation physique
avec des épreuves dans des zones
montagneuses à accès difficile. La
préparation politique occupa une
grande place. On apprit aux futurs
combattants des règles simples :
approcher les populations, constituer des réseaux, organiser des surveillances, assurer l’hébergement et
les déplacements de jour et de nuit.
Dans la région de Blida, avant le
déclenchement de la Révolution, les
militants s’étaient engagés dans la
préparation politique de la lutte armée. Mustapha Blidi nous apprend
que l’action a été centrée sur le soutien populaire. On faisait ce qu’on
appelait la « pénétration politique ».
Les militants contactaient les popu-
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Guerre de libération
Témoignage
Mustapha Blidi en médaillon
lations pour les convaincre de l’idée
d’indépendance. « Notre objectif
principal était de nous implanter
dans la population et de créer notre
logistique. Il était important pour
nous d’avoir des liens solides avec
les habitants qui allaient nous protéger, nous héberger, nous nourrir
quand l’action serait déclenchée. »
C’est ce qu’il explique longuement
: « Nous impliquions des citoyens
connus à qui nous demandions de
réunir les habitants. Nous cherchions à impressionner les populations. Le jour prévu pour la réunion, nous installions des militants
sur les crêtes au-dessus des douars
et nous leur demandions d’allumer
des feux et de bouger pour faire
croire qu’ils étaient très nombreux.
Nous faisions très attention à notre
apparence. Nous prenions des bains
avant de rentrer dans les maisons
des militants. Nous étions rasés de
près et même parfumés. Ce qui était
étrange pour nous qui n’y étions
pas habitués. Ceux qui se présen-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
taient devant les citoyens portaient
des semblants d’uniformes, plutôt des tenues militaires disparates
mais bien propres qui impressionnaient beaucoup. Les rares armes
étaient astiquées et portées bien en
évidence. Nous donnions l’impression de soldats réguliers bien disciplinés. » Les militants désignés
pour ces opérations de contact avec
les populations devaient être bien
connus des habitants. Ils devaient
inspirer confiance. Ainsi les populations qui étaient approchées par les
militants devaient l’être par des personnes connues pour leur moralité,
proches des habitants et dignes de
confiance. Mustapha Blidi raconte
les premières démarches qu’il avait
effectuées avant le déclenchement
du 1er novembre. Les militants désignés se présentaient la nuit chez
des personnalités connues dans un
douar. Ils les abordaient avec beaucoup de respect. Le discours était
très mesuré. Les militants expliquaient la répression exercée par
( 28 )
le système colonial et annonçaient
pour bientôt le déclenchement d’une
lutte armée pour libérer le pays.
L’habitant qui était visité devait se
tenir prêt à apporter sa contribution. Dans un premier temps, une
cotisation variable selon les revenus.
Le citoyen était informé qu’il pouvait être sollicité dans l’avenir pour
apporter son soutien en hébergeant
et en informant les militants quand
ceux-ci auraient décidé de déclencher la lutte armée. Mustapha Blidi
explique la vision qu’avaient les militants de la lutte armée : « Une guerre
populaire ne pouvait réussir que si
les combattants avaient une bonne
logistique et pouvaient se fondre
dans la population. Quelques militants décidés pouvaient déstabiliser une ville complète à condition
d’avoir le soutien de la population
qui les protégerait et les entretiendrait. Notre objectif, avant le déclenchement de lutte armée pour l’indépendance sur laquelle nous n’étions
pas informés, était de préparer les
conditions de succès de cette lutte.
Nos responsables parlaient alors de
« pénétration politique ». » Mustapha Blida raconte que les citoyens
à qui on aurait pu reprocher leur
sympathie ou leur « mollesse » visà-vis de l’administration coloniale
n’étaient pas spécialement inquiétés.
Les militants se montraient compréhensifs et cherchaient plus à persuader. Beaucoup de citoyens furent
ainsi récupérés et même « mouillés »
par les militants qui les avaient fait
passer pour des partisans actifs du
mouvement qui se préparait.
Mustapha Blidi affirme : « Quand
le 1er novembre est arrivé, il nous
trouva prêts ».
Boualem Touarigt
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Témoignage de
Mustapha Blidi (2)
Le commando
Ali Khodja
une école de
formation de l’ALN
Par Boualem Touarigt
Guerre de libération
Témoignage
Au déclenchement de la guerre de libération nationale, Mustapha Blidi était déjà dans les maquis. Comme il le dit, la révolution l’avait trouvé prêt. Il avait rejoint le groupe des militants
nationalistes de la Mitidja constitué par les ouvriers agricoles
de la coopérative coloniale de Boufarik. Il y avait côtoyé Ali Boukerbane qui sera son responsable par la suite, un des tout premiers combattants de la Mitidja, et aussi Tayeb El Djoghlali,
Ali et Tayeb Berzani, Souidani, Benyoucef de Soumaa, El Kinaâ,
Kaddour El Maâsacri, Mustapha el Guerouaoui et bien d’autres.
C’est au sein de ce groupe de militants qu’il a été formé. Il se
souvient des strictes règles de sécurité que les militants respectaient pour éviter toute infiltration et pour ne pas attirer l’attention des indicateurs. Il a ensuite participé aux actions entreprises
par les militants pour préparer la logistique du futur mouvement
armé pour l’indépendance dont il savait que la date du déclenchement était proche sans avoir d’indications précises.
I
l se souvient très bien du
colonel Ouamrane, chef
de la Wilaya IV, qu’on
surnommait Si Rezki. «
Je connaissais de nom Si
Rezki, sans l’avoir jamais
rencontré. J’avais eu un premier
contact avec lui à Béni Chebla en
compagnie d’Ali Boukerban, Tayeb
Djoghlali, Mustapha Guerouaoui,
Mohamed El Kinaâ. Un jour il m’a
demandé de ramener une arme. »
Il relate sa première action armée,
dont il a gardé un souvenir intense
plein d’émotions. C’était en février
1955. Il devait ramener une arme
de guerre. Il jeta son dévolu sur le
tribunal de Blida, dont la grande
porte était surveillée par deux sentinelles armées de mitraillettes : « Je
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
suis resté deux journées à surveiller
le mouvement des sentinelles. Je
n’avais rien mangé. J’avais pris juste
une bouteille d’eau avec moi. C’était
un mercredi. Je m’en souviens parce
que j’avais rencontré Mustapha Deleci de Boufarik qui m’avait rappelé
son invitation à déjeuner pour le
lendemain jeudi. Les deux soldats
étaient au poste de garde à l’entrée.
Derrière eux, il y avait une grande
cour, et un bâtiment où il y avait au
rez-de-chaussée un couloir donnant
sur plusieurs cabinets de toilettes.
J’avais remarqué que les citoyens
qui venaient au tribunal pouvaient
y accéder. J’ai surveillé les deux soldats et j’avais remarqué qu’ils s’y
rendaient l’un après l’autre. J’ai vu le
premier y aller et j’ai remarqué qu’il
( 30 )
Tayeb El Djoghlali
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Témoignage
avait gardé sa mitraillette avec lui. Je
l’ai vu en revenir et j’ai attendu que le
deuxième qui était moins corpulent
s’y rende. Je suis alors entré directement dans la cour me dirigeant vers
le bâtiment où il y avait les toilettes.
J’ai sauté sur le soldat dès qu’il est
rentré dans le cabinet de toilettes. Je
l’ai coincé dès qu’il a ouvert la porte.
Je l’ai étouffé et il est tombé. Il n’a pas
pu crier. Je ne sais pas si je l’ai tué.
J’ai tout de suite ramassé la mitraillette. Je l’ai mise sous la blouse d’épicier que je portais. Je me suis tout de
suite rappelé ce que les combattants
racontaient dans les maquis sur la
nécessité d’avoir le plus de munitions
possible. J’ai eu la présence d’esprit
de ramasser précipitamment la cartouchière qui contenait les chargeurs
et je l’ai glissée dans le pantalon. Il
n’y avait personne dans le couloir. Je
tremblais d’émotion et de peur. Tout
s’était passé très vite. Je suis sorti du
bâtiment en prenant un air ordinaire.
J’ai remarqué que le deuxième garde
regardait ailleurs. Personne n’avait
rien remarqué. On n’avait pas fait
attention à moi. Je suis sorti au milieu d’un groupe de paysans, comme
quelqu’un qui était venu régler une
affaire de justice. En sortant, je suis
remonté précipitamment vers l’hôpital militaire pour me diriger vers la
« place des Arabes ». Sur le chemin,
un passant a remarqué la mitraillette
qui dépassait de dessous ma blouse
de travail. Il a tout de suite pris peur
et s’est mis à courir. Je me suis fait remarquer et j’étais moi aussi affolé. Je
crois que personne d’autre n’avait fait
attention à moi. Je suis arrivé en courant près d’un lieu appelé Mimeche
où j’ai traversé l’oued Sidi el Kébir qui
était à l’époque en crue. J’ai continué
vers Hamleli puis Béni Chebla. De
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
là, je suis monté ensuite à Boughedou. J’avais pu retrouver mes esprits.
J’ai trouvé Si Rezki dans la maison
de Mohamed Sebti, un parent qui
devait tomber en martyr plus tard
à Palestro. Il y avait des maquisards
connus dont Ali Boukerbane. J’ai raconté mon exploit. Mes compagnons
avaient voulu m’enlever la mitraillette pour l’utiliser eux-mêmes dans
des opérations. Moi, je ne savais pas
m’en servir. Les mitraillettes étaient
très rares à l’époque. Ouamrane luimême n’avait qu’un colt. Il ordonna
de me laisser l’arme : « C’est lui qui l’a
ramenée, c’est lui qui la garde ». C’est
un de mes compagnons de combat,
un moudjahid qui avait fait la guerre
d’Indochine, Boualem Moussaoui,
qui m’a montré comment utiliser la
mitraillette, la monter, la démonter,
la charger. Il m’a appris des trucs sur
le mécanisme de sécurité. »
J’ai été ensuite envoyé dans la région de Palestro, chez Cheikh Messaoud. Je me rappelle que par mesure
de sécurité, les moudjahidine ne sortaient que la nuit. Certains étaient
des citadins, venus de la ville tels
Omar Hamadi et Rachid Bsikri. La
situation militaire était très tendue.
L’ALN s’était renforcée et les moudjahidine qui avaient une arme de
guerre étaient dirigés vers les lieux
les plus exposés. J’ai été affecté à
Zbarbar où le responsable de la dechra était Kara. J’étais fier de mon
équipement. J’avais une arme de
guerre et je portais une tenue de soldat avec une veste militaire. Je participais aux sorties qu’organisaient les
moudjahidine pour impressionner la
population et remonter leur moral.
Il m’était arrivé de prêter mon arme
à des compagnons qui l’exhibaient à
leur tour durant leurs sorties.
( 31 )
« Ali Khodja est alors arrivé. Alors
qu’il était sergent-chef dans l’armée
française, il avait déserté en octobre
1955 avec quelques compagnons emmenant avec eux un stock d’armes
de guerre. C’est lui qui a eu l’idée de
constituer son commando ». Mustapha Blidi a gardé un souvenir précis
du jour où il leur avait présenté son
plan : « Je l’ai entendu expliquer son
idée : il voulait parfaire la formation
des combattants et monter une sorte
d’école militaire pour apprendre les
techniques de guerre aux combattants. Il pensait à une sorte d’école
de cadres où les moudjahidine les
plus expérimentés formeraient les
autres ». Ali Khodja était exigeant
vis-à-vis de ses combattants : ceuxci étaient bien armés, bien vêtus,
suivaient un entraînement intensif.
Leur point fort était la préparation
des embuscades. Pour Mustapha Blidi, les combattants avaient appris à
choisir les emplacements des armes
lourdes, à positionner les combattants qui devaient s’en prendre aux
soldats et récupérer les armes, et surtout organiser les chemins du repli
avec la protection qu’il fallait. Les
membres du commando étaient passés maîtres dans l’art de l’embuscade.
Les attaques étaient minutieusement
préparées et conduites. Tous les détails étaient pensés avec une grande
précision. Plus tard, les soldats français avaient ramené dans leurs différents témoignages, le caractère
organisé des attaques menées par les
membres du commando, leur grand
sang-froid. Même encerclés, face à
un ennemi plusieurs fois supérieur
en nombre et en puissance de feu, ils
ne s’affolaient jamais et avaient une
technique éprouvée pour briser l’encerclement par des attaques précises
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Guerre de libération
Témoignage
Bachir Rouïs debout à droite
et persévérantes sur les points faibles
de l’ennemi. Des officiers français
ont rapporté que plusieurs fois, les
combattants avaient pu échapper aux
encerclements grâce à leur sang-froid
et à leur ténacité. Même quand des
combattants tombaient au combat,
les armes et les munitions n’étaient
pas retrouvées. Elles étaient selon les
témoignages d’autres moudjahidine
enterrées dans des lieux sûrs pour
être récupérées plus tard. Mustapha
Blidi se souvient que le chahid Ali
Khodja tenait à recruter des combattants instruits qu’il répartissait dans
les différentes sections : « Il avait
enrôlé trois lycéens dans une même
section : Bachir Rouïs qu’on appelait
Nehru, Mahmoud qui est mort dans
la Wilaya V, Bekhoucha qui a été
ensuite envoyé en Irak pour suivre
une formation de pilote. Ali Khodja
avait ramené des armes et avait choisi
les hommes de son commando. Il
avait Mustapha Lekhal comme adjoint. Il y avait aussi Si Lakhdar qui
était un ancien militant et moudja-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
hid de la première heure de la région
d’Aïn Bessam avec Ali Yahi dit Ali
Baryanou. J’étais dans un groupe
avec Azzedine, Ali Yahi, Si Lakhdar,
Cheikh Messaoud, Ahmed Bira. »
Le commando était composé de 110
combattants aguerris et bien armés.
De nouvelles recrues remplaçaient
celles qui tombaient en martyrs. Ali
Khodja avait eu l’idée de faire sortir les combattants en plein jour. Le
chemin était sécurisé et surveillé
par des maquisards. Les membres
du commando se déplaçaient en
file de village en village. Ils étaient
dans une tenue stricte, bien habillés
et bien propres. Ils étaient précédés
par des militants qui prévenaient les
populations de leur passage. Mustapha Blidi s’en souvient : « C’étaient
de véritables fêtes dans les villages.
Les populations se pressaient pour
les voir passer. C’étaient des youyous
à n’en plus finir. Ali Khodja avait
insisté pour organiser de tels défilés
dans des conditions de sécurité très
strictes. L’effet sur les populations
était extraordinaire. »
Mustapha Blidi avait participé à
l’opération de Bouskène de la fin
1955. Le commando y avait récupéré une grande quantité d’armes. Si
Lakhdar y avait été blessé. Il évoque
le souvenir de Si Laïd, un ancien de
l’armée française qui était devenu
chef moudjahid : « Il était un grand
tireur au fusil mitrailleur 24/29.
Nous en avions récupéré un à Bouskène et Si Laïd nous avait initiés à son
maniement durant les rares moments
de liberté que nous avions. C’était
lui qui avait porté Si Lakhdar blessé.
Deux autres anciens de l’armée française nous avaient alors rejoints ce
jour-là et avaient ensuite fait partie
du commando : Bezzaz et Boularbah
( 32 )
qui sont tombés plus tard en martyrs. Si Laïd avait été versé dans la
section de Cheikh Messaoud qui lui,
avait derrière lui une longue carrière
de combattant depuis 1945. Il était
enseignant du côté de Tablat, à Bouaroussa. Il avait tué le caïd et pris le
maquis.
Si Lakhdar dirigeait alors deux
compagnies, une sous le commandement d’Azzedine et une autre dont le
chef était un officier venu de la Wilaya
III, Si Mohamed Améziane. Celui-ci
est mort dans l’explosion de Mcief où
sont tombés Chalane et aussi un des
Brakni qui était plombier et affecté à
Palestro. Dans cette bataille, il y avait
aussi Rachid Bahloul dit Othmane
qui a fait ensuite carrière dans l’ANP
et qui a été blessé à cette occasion,
ainsi que Mohamed Salembi. Nous
avions aussi perdu Bouzenad un étudiant originaire de Aïn Bessam. A la
mort de ce dernier, cheikh Messaoud
l’a remplacé. C’était Azzedine qui supervisait la compagnie dirigée alors
par cheikh Messaoud. Nous avons
mené d’importantes opérations.
Nous avions alors deux fusils mitrailleurs. Azzedine avait une « 30 » qu’il
avait ramenée de Kabylie. » Mustapha
Blidi a ensuite participé à une autre
embuscade à Gueblia. Le commando
avait visé un convoi composé d’une
jeep, de trois camions et d’un half
track. La préparation avait été assurée par cheikh Messaoud et Si Laïd
qui avaient déterminé les emplacements des pièces, la position des soldats chargés de récupérer les armes,
les voies de repli des combattants.
A cette occasion le commando avait
réussi à récupérer les grosses pièces
avec leurs stocks de balles.
Boualem Touarigt
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
témoignage du
moudjahid Ahmed Gadda
Les maquisards
des Aurès d’avant
er
le 1 novembre
Par Boualem Touarigt
Guerre de libération
Témoignage
Dans un témoignage, le moudjahid Ahmed Gadda nous donne
un éclairage sur les premiers moudjahidine des Aurès qui
avaient pris les armes avant le 1er novembre 1954. Cette période
de l’histoire du mouvement de libération nationale reste mal
connue. Ce témoignage confirme que ces combattants obéissaient aux ordres de Ben Boulaïd qui avait organisé la région en
application des résolutions de l’OS et que certains d’entre eux
étaient tombés en martyrs avant le 1er novembre 1954.
O
Ahmed Gadda
n sait que
dans
les
montagnes
de Kabylie,
Belkacem
Krim
et
Amar Ouamrane avaient constitué les premiers maquis dès
1948. Globalement, les situations
avaient beaucoup de ressemblances. Le rejet du colonialisme
avait atteint un paroxysme dans
ces régions difficiles d’accès où les
populations avaient été traditionnellement rebelles à toute forme
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Colonels de l'ALN.
De g. à dr. : Krim Belkacem, Mohamedi Said, Si Sadek Dehiles et Amar Ouamrane
( 34 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Témoignage
d’oppression. Ce rejet avait été
canalisé par le mouvement national et la volonté d’indépendance
avait franchi de grands pas. Le
témoignage du moudjahid Ahmed
Gadda apporte des rectifications
importantes sur ce qui avait été
rapporté par quelques récits qui
faisaient de ces combattants des
sortes de « bandits d’honneur
», sans dessein politique et qui
agissaient d’une manière totalement indépendante, vivant même
sur le dos des populations dont
les citoyens les plus aisés étaient
rackettés.
Ahmed Gadda donne les noms
de ces premiers combattants. Il
en a recensé quatorze. Selon son
témoignage, qui resterait éventuellement à recouper, certains de
ces combattants étaient présents
au 1er novembre 1954 et avaient
participé au déclenchement de la
Révolution. Il s’agirait de Hocine
Belhaïl, Messaoud Benzelmat (un
homonyme du héros des Aurès
mort en 1921), Sadek Chebchoub,
Lakhdar Zermati, Ahmed Gadda.
Les historiens français ont retenu
le nom de celui qu’ils ont rendu
célèbre Belkacem Grine, considéré par eux à tort comme un «
bandit d’honneur », totalement
apolitique et non affilié au mouvement national et qui aurait rejoint la lutte pour l’indépendance
par volonté de révolte contre un
ordre établi et refus de toute autorité.
Il rend un hommage particulier à ceux qui étaient tombés
au champ d’honneur avant le
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Ahmed Gadda
1er novembre 1954. Il évoque le
souvenir de Beladjel Mohamed
de Sidi Oqba, de Mohamed Ben
Amar Ben Salem décédé du côté
de Tkout, d’un certain Mostefa à
Kimel. Il parle avec admiration
du chahid Aïssi Mekki décédé
dans un combat où participèrent
Abdeslam Habachi (militant de
l’OS réfugié dans les Aurès) et
Ahmed Gadda en novembre 1953.
Gadda est formel : les combattants
( 35 )
prenaient leurs ordres de Mostefa
Ben Boulaïd directement. Stratégiquement, l’objectif principal
était d’entraîner les combattants
pour les préparer à la lutte armée.
Ils devaient vivre avec la population, l’organiser et la préparer à la
Révolution. Les contacts directs
avec les forces françaises devaient
être évités. Mostefa Ben Boulaïd était membre de la direction
du MTLD et très engagé dans
www.memoria.dz
Guerre de libération
Témoignage
Sadek Chebchoub et son épouse Aïda au milieu de combattants de la Wilaya VI
les luttes qui divisaient alors le
mouvement. Il était considéré
comme un des chefs de file des
« radicaux » partisans du recours
à brève échéance à la lutte armée
pour l’indépendance. Il était en
quelque sorte la « vitrine » légale
du mouvement dans la région des
Aurès. En 1948, il dirige la campagne du MTLD aux élections, ce
qui lui valut une grande popularité. L’administration coloniale le
priva de la victoire en truquant
les résultats. Ayant participé aux
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
rencontres du PPA et aux réunions clandestines de l’OS dont
il était membre, il suivait les recommandations des partisans de
la lutte armée qu’il avait mises en
pratique dans les Aurès : constitution de noyaux de combattants
armés, organisation des populations, accentuation de la lutte
politique pour renforcer les rangs
des partisans de l’indépendance.
Ces quatorze révolutionnaires de
la première heure dont parle Ahmed Gadda étaient les membres
( 36 )
de ces groupes armés dont l’OS
avait secrètement décidé la constitution et ils se préparaient à la
lutte armée. Parmi les objectifs
politiques des militants de l’OS,
la lutte contre les Algériens partisans de l’ordre colonial était une
priorité. Gadda était formel : Ben
Boulaïd recevait des rapports des
militants qui lui signalaient les
agissements des opposants à l’indépendance. C’était lui qui ordonnait aux combattants d’aller vers
ces individus, de les intimider et
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Témoignage
de les neutraliser. Les individus
cessaient alors leurs méfaits et les
pressions qu’ils exerçaient sur les
populations s’arrêtaient. Gadda
raconte que plusieurs d’entre eux
étaient imposés et avaient fini par
devenir des cotisants réguliers. Il
cite l’exemple d’un agent de l’administration coloniale qui s’appelait Hakem Tadi d’Arris qui avait
accepté de cotiser régulièrement
et qui était devenu un sympathisant de la lutte pour l’indépendance.
Ahmed Gadda parle de la
constitution des premières caches
d’armes qui avaient servi à la
guerre de libération. Il existait
alors un véritable marché parallèle
des armes de guerre alimenté par
les surplus de la Seconde Guerre
mondiale. Ben Boulaïd avait
ordonné aux militants de récolter des armes dont les premières
avaient été payées sur ses propres
deniers. Par la suite, les militants
y avaient consacré les produits des
cotisations et des amendes. Gadda
se souvient du rôle joué par Adjel
Adjoul et Mustapha Boussebsa. Il
parle de plusieurs caches d’armes
dont la plus connue était celle
d’Oued Labiodh chez Ali Bazi
ainsi que celle de Hriq du côté
d’Inoughissen chez Tigheza Mohamed Seghir.
Ahmed Gadda confirme l’action
politique des premiers révolutionnaires. Il a participé à des campagnes d’explication menées par
Ben Boulaïd dans différents lieux
; à Hara, Ouled Moussa, El Houdjadj, Ahmar Khaddou, Beniane,
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Khenchela. Vers 1949, des
contacts avaient été pris avec des
militants de Zéribet El Oued et
de la zone d’Ouled Souf. A la dissolution de l’OS, les combattants
des Aurès avaient recueilli des
militants qui étaient recherchés
: Abdelhafid Boussouf, Mourad
Didouche, Rabah Bitat, Lakhdar
Bentobbal, Youcef Zighoud,
Abdeslam Habbachi, Mostefa
Benaouda. Ils furent hébergés par
la population des Aurès et échap-
( 37 )
pèrent à la police coloniale.
L’année 1948 est capitale dans
le récit fait par Ahmed Gadda.
Il parle de l’élection de Mostéfa
Ben Boulaïd, à partir de laquelle
celui-ci fut reconnu légitimement
comme leader par les populations des Aurès. Il s’agit en fait
des élections d’avril 1948 qui
ont vu la victoire de Ben Boulaïd aux élections à l’Assemblée
algérienne sur la liste du MTLD.
En 1947, déjà, les candidats du
www.memoria.dz
Guerre de libération
Témoignage
Ahmed Gadda avec le docteur Abdelhak Benboulaid, fils de Mostefa Benboulaid
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 38 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Témoignage
Belkacem Grine
MTLD étaient arrivés en tête
des élections municipales. Cette
année fut aussi celle de la création de l’OS, cette organisation
spéciale clandestine créée par
le MTLD pour préparer la lutte
armée pour l’indépendance. La
victoire électorale du mouvement indépendantiste allait donner une dimension politique à la
réaction des révoltés des Aurès.
Les actions qui auraient pu être
considérées jusque-là comme des
soulèvements spontanés, individuels ou tribaux, ou des réactions
violentes contre des injustices
prennent une expression politique et s’inscrivent dans la remise en cause politique de l’ordre
colonial. Il y a un objectif mobilisateur et un idéal qui donnent
un sens profond à la révolte. A sa
création, le FLN a canalisé tout
naturellement ce profond mouvement de révolte. Bentobal qui
avait été un temps affecté comme
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
contrôleur dans les Aurès avant
le 1er novembre pour échapper
à la répression policière apportera plus tard son témoignage sur
les combattants qui avaient pris
le maquis, évoquant Messaoud
Benzelmat, Aïssi El Mekki,
Sadek Chebchoub dit « Gouzir
» et Belkacem Grine. Messaoud
Benzelmat était le descendant
d’un combattant qui s’était révol-
( 39 )
té et avait été tué en 1921 et qui
avait vécu à la même période que
Salah Boumesrane. Il en portait
le nom. On attribue à Mahieddine Bekkouche la création des
premières cellules du PPA dès
1943. Mostefa Ben Boulaïd allait
donner une dimension politique
à la révolte des premiers révoltés
des Aurès qui se fondra dans la
guerre de libération.
www.memoria.dz
Guerre de libération
Témoignage
Ahmed Gadda en uniforme
Ahmed Gadda
Sadek Chebchoub, surnommé «
Gauzer » ou « Gouzir », occupe
une place particulière dans le récit
de Gadda. Ce combattant issu de
la région de Zellatou de la tribu
des Beni Slimane, pays d’origine
de Benzelmat, a une histoire particulière. Il a été syndicaliste dans
une mine de la région de Tlemcen
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
et militant du Parti communiste.
De retour dans sa région natale,
il prend le maquis en 1952. Son
épouse Aïda le rejoint et prend les
armes à ses côtés. Affecté à la Wilaya VI, il tombera en martyr dans
la Wilaya I le 20 octobre 1961.
Boualem Touarigt
( 40 )
Sadek Cheboub et Aida son épouse
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Secteur 2
zone 4, wilaya 1
Aurès-Nemenchas
La famille
Beghou
au cœur de la Révolution
Par Zoubir Khélaifia
Guerre de libération
Témoignage
Lorsqu’il dévide ses souvenirs,
il sanglote, verse des larmes puis
se reprend pour ne pas perdre le fil
d’une histoire passionnante qui débute en 1954, avant même que la
première balle soit tirée dans les
Aurès. Du haut de ses quatre-vingts
ans, Si Layachi Beghou relate avec
véhémence et profusion la rencontre
avec la Révolution, ses peines, ses
joies, la prison, la perte de valeureux combattants qu’il a côtoyés et
le parcours de sa famille, engagée
corps et âme pour la juste cause. En
fait, les destins de cette famille et
de la Révolution se sont croisés en
octobre 1954 pour ne plus se séparer
jusqu’au recouvrement de l’indépendance. Les Beghou de Ain Diss dans
la wilaya d’Oum El Bouaghi, ancien-
nement secteur 2 de la zone 4 de la
wilaya I (Aurès-Nemenchas) représentent l’une des familles qui ont tout
donné à la Révolution, y compris
les êtres les plus chers. Si Layachi a
tellement attendu cette opportunité
qu’il se lâche aujourd’hui, ne laissant
rien au hasard. Les moindres détails
sortent par miracle d’une mémoire
heureusement encore intacte bien
que la maladie commence à faire son
effet. Il commence son long récit par
sa famille, propriétaire terrienne au
douar Mouellah, mechta Taghribt : «
Nous possédions 80 chameaux et plus
de 500 têtes de moutons que nous avions mis à la disposition de l’ALN. »
Cette parenthèse fermée, l’octogénaire replonge dans ses souvenirs et
évoque les premiers contacts établis
La rencontre avec la Révolution
Mechta Taghribt, douar Mouellah dans la région d'Oum El-Bouaghi
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 42 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Témoignage
avec les émissaires des Aurès pour
entreprendre l’organisation de cette
région, plus tard érigée en secteur 2
de la zone 4 à l’issue du congrès de
la Soummam. « Quelques semaines
avant le début des actions armées,
quatre hommes sont arrivés dans
notre ferme pour nous informer que
la Révolution est en marche et que
nous devons être prêts. » Ce jour
est resté gravé dans la mémoire du
vieil homme, ragaillardi comme s’il
retrouve une seconde jeunesse. La
guerre de libération représente une
époque vitale pour cette famille qui a
vu son fils, Abdelhamid Beghou, tombé héroïquement au champ d’honneur et son frère Hanafi rejoindre le
maquis alors que Layachi, Mosbah,
Lamine, Khemissi et Nouar ont tous
Chaâbane Laghrour
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
d’une manière ou d’une autre activement participé aux côtés de l’ALN.
Leur ferme est par la force des choses
devenue une plaque tournante de
l’ALN dont les groupes se relayaient
pour se nourrir, se reposer ou se réunir. Elle a même abrité pendant plus
de trois années la famille de l’officier
de l’ALN, Khélaifia Rebaï, dit Ammi
Rebaï dont des enfants y sont nés et
allaités par les femmes des Beghou.
En parlant de ces dernières, il faut
avouer qu’elles ont rempli les tâches
les plus dures quand la situation
l’exigeait. Hommes et femmes de la
famille Beghou ont, comme un seul
être, répondu à l’appel de la patrie et
accompli leur devoir pour le recouvrement de l’indépendance.
A
peine les hostilités enclenchées à
Batna, Khenchela, Biskra et dans
d’autres localités des Aurès que
des émissaires sont envoyés dans
la région de Canrobert (Oum El
Bouaghi) avec pour mission d’y
installer le maquis et de procéder à une campagne
de sensibilisation. Chaâbane Laghrour, frère de
Abbas, Si M’hamed Remili, El-Hadi Rézaïmia,
Mohamed Salah Hedroug et une vingtaine
d’autres combattants, tous des Nemenchas, sont
désignés par le haut commandement des Aurès
pour diriger les combats, entraîner les nouvelles
recrues et organiser le maquis. « Pour l’histoire,
ce sont les premiers moudjahidine à se présenter
à notre ferme et ce sont les premiers combattants
à y avoir transité », se remémore Si Layachi qui les
a accompagnés jusqu’à Fedj Edderriès du côté de
Tamlouka, aujourd’hui relevant de la circonscription
( 43 )
www.memoria.dz
Guerre de libération
Témoignage
C’est vous dire tout le poids de la Révolution qui pesait sur notre famille.
Mais nous le faisions par conviction,
par amour pour notre pays et pour
son indépendance. » Tous ces mouvements de l’ALN ne pouvaient évidemment échapper à la vigilance de
la soldatesque française qui opérait
des récurrentes descentes dans cette
ferme où elle faisait subir les pires
sévices aux Beghou sans jamais tirer le moindre renseignement. Si
Layachi, devenu agent de renseignement de l’ALN, écumait la région,
notamment celle d’Ain Beida où le
magasin de Si Ammar Tamrabet,
situé en plein centre-ville, servait de
boîte postale. Il est même envoyé en
France où il a séjourné pendant plus
de 3 mois pour dresser un constat
sur le FLN dans l’Hexagone. Plus
tard, en 1958, il connaîtra les affres
Si Layachi Beghou
de la wilaya de Guelma. « Ils avaient
pour mission de contacter des familles connues pour leur militantisme pour la cause », raconte encore
l’octogénaire qui voue une admiration sans limite à ces maquisards de
la première heure. Depuis cette date,
la ferme des Beghou ne désemplissait jamais. Pour l’anecdote, raconte
encore Si Layachi « en une seule
nuit, pratiquement tous les membres
de l’ALN de la région se sont relayés
chez-nous. Larbi Ouachène et 18
autres combattants y sont venus. Je
leur ai servi de guide jusqu’à Kef
Agab. A mon retour, j’ai trouvé le
groupe de Bouguerra et pour boucler
la boucle, j’ai dû égorger un mouton
à 2h30 du matin pour un troisième
contingent de moudjahidine dirigé
par Boukhedena et Hassani Aissa.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
1
4
2
3
Photo rare prise en 1954.
1- Abbas Laghrour. 2- Mostefa Ben Boulaid. 3- Sidi Henni. 4- Mamoun Khaldi
( 44 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Témoignage
de la prison de la ville d’Ain Beida où il a croupi 17 mois durant. «
Notre ferme a été encerclée et j’ai été
embarqué et dirigé vers le sinistre 5e
Bureau où j’ai subi les sévices les plus
horribles ». Si Layachi ne dira pas
plus et c’est son neveu Abdellah, dit
Khemissi qui prend le relais.
Chaâbane Laghrour
tombe au champ
d’honneur,
Abdelhamid Beghou
rejoint l’ALN
Alors que la guerre faisait rage et
que l’ALN enregistrait des victoires
sur l’ennemi, l’étau se resserrait autour des chefs. Filés à la trace, ils ont
fini par être débusqués par l’ennemi
un jour du mois de juin de l’année
1956. Chaâbane Laghrour et son
groupe sont encerclés et pilonnés par
les bombardiers de l’aviation française. « L’information est tombée tel
un couperet », raconte Khemissi, un
autre Beghou qui, à l’image de ses
frères et oncles, a épousé la cause depuis son début. Le premier chef, Si
Chaâbane, Bougueffa, Si Tayeb ElMeskani ainsi que plusieurs autres
moudjahidine venaient de tomber
au champ d’honneur dans les gorges
de Chebka au lieu dit Djehfa, situé
à l’ouest de Tamlouka. Un coup
dur pour la Révolution qui jusquelà tenait en respect l’ennemi et lui
infligeait des pertes considérables.
« Non encore habitués à perdre des
chefs, nous nous interrogions sur le
devenir de la guerre, sur les capacités de l’ALN à redresser la situa-
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
La ferme de la famille Beghou
La ferme de la famille Beghou
Maisonnette ayant abrité la famille du chef Khélaifia Rebai dit Ammi Rebai
( 45 )
www.memoria.dz
Guerre de libération
Témoignage
Chahid Beghou Abdelhamid et Chahid Djermane Lahcène
tion, mais ni les bombardements ni
les exactions encore moins les tueries n’ont eu raison du courage des
hommes et de leur détermination à
chasser l’ennemi. » La suite donnera
raison à Khemissi puisque le chahid
Chaâbane Laghrour est remplacé
par El-Hadi Rezaïmi, période durant laquelle Abdelhamid Beghou a
rejoint les rangs de l’ALN avec son
ami Djermène Lahcène. L’année
1956, date de la tenue du congrès de
la Soummam, est une date charnière
de la Révolution puisque désormais
le découpage géographique des wilayas, l’instauration des zones et des
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
secteurs allaient faciliter beaucoup
plus la tâche aux moudjahidine, alimentés, il faut le souligner, en armements comme ne l’a jamais été la
Révolution auparavant. « El-Hadi
Rézaïmia n’est pas resté longtemps.
A l’issue du congrès de la Soummam,
il est rappelé par le haut commandement des Aurès. » Mohamed Fantazi, dit Hoggas prend le témoin pour
devenir le chef incontesté du secteur
deux de la zone 4 qui englobait, Ain
M’lila (secteur 1), Oum El Bouaghi
(secteur 2), Ain Beida (secteur 3) et
enfin la Meskiana (secteur 4).
( 46 )
La bataille de
Taghribt
La guerre était à son apogée et
l’ALN tenait tête à l’ennemi. Elle le
harcelait, lui tendait des embuscades
et lui portait des coups très sérieux.
Les batailles se multipliaient et les
pertes étaient enregistrées d’un côte
comme de l’autre. L’un des chefs les
plus redoutables et le plus craint par
les Français est indiscutablement
Hoggas. Guerrier, celui-ci faisait
voir de toutes les couleurs aux soldats français. « Pendant son règne, il
a fait subir les pires pertes à l’enne-
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Témoignage
Khemissi Beghou
Lamine Beghou à sa droite Nadji, fils de Si El Ayachi
mi. En plus, il dirigeait d’une main
de maître son secteur qu’il a réussi à
organiser d’une manière impeccable
», dit encore Khemissi. Relayé par
son oncle, Si Layachi reconnaît en
ce combattant, sa bravoure et son
courage : « Hoggas était un valeureux chef, il va au charbon avant ses
subordonnés. Il était juste et accordait à la Révolution une importance
capitale. » Au moins de Ramadhan
de l’année 1957, il est assiégé au
douar Mouellah alors qu’il se reposait avec ses compagnons. Il a ordonné le repli vers une région plus
accidentée, située à quelques encablures de la ferme Beghou. Eclatait
alors la fameuse bataille qui a vu les
meilleurs fils de la région tomber au
champ d’honneur. A cette époque,
Hoggas était même chef intérimaire
de la zone 4. « Les hostilités ont
débuté dans la matinée au lieu dit
Chebka et ne se sont arrêtées qu’en
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Assis de g. à dr. : Si El Ayachi, son fils Zamane et Khemissi. Debout : Nadji.
De g. à dr. : Khemissi, Lamine et Nadji
( 47 )
www.memoria.dz
Guerre de libération
Témoignage
début de soirée quand tous les
armes se sont tues », se remémore
Khemissi cette journée qu’il compare à l’enfer tellement les combats
étaient intenses mais inégaux sur
le plan de la logistique. Mohamed Fantazi dit Hoggas, Lakhdar
Bouchoucha, Bekakra Bouzid,
Kalli Ammar, Si Khelil, Zidane,
Mimisse et Si Maâmar sont tous
morts dans cette bataille alors que
le seul rescapé, toujours en vie
d’ailleurs, n’est autre que Brahim
Titel. « La région a beaucoup pleuré ces moudjahidine qui ont tenu
la dragée haute à l’armée coloniale
qui a utilisé des moyens colossaux
pour les anéantir. J’ai été embraqué
de force dans un hélicoptère pour
procéder à l’identification de ces
martyrs », souligne Khemissi.
Khélaifia Rebaï, dit
Ammi Rebaï chef du
secteur 2
« Un autre chef charismatique,
courageux et redoutable », dit Si
El Ayachi en sanglotant quand il
énumère les noms des valeureux
chefs qui ont tous transité par la
ferme. « L’histoire de Si Rebaï est
particulière. Pas du tout comme
les précédentes puisque non seulement, il était désigné chef de notre
secteur mais nous avons aussi
l’insigne honneur d’avoir abrité sa
femme et ses enfants pendant plus
de trois années. C’est-à-dire jusqu’à
sa mort dans la bataille d’El-Fedjoudj en 1960 », confie Lamine qui
était son confident et son homme
de confiance. « Un jour, il a demandé à voir notre mère Rebaïa. Une
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 48 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Témoignage
Stèle commémorative érigée à la mémoire du Chahid Khélaifia Rebaï, chef de la zone 4
fois devant elle, il l’a enlacée et lui
a demandé de prendre soin de ses
enfants et de les considérer comme
les siens ». Depuis 1958, date de sa
promotion à ce rang, Ammi Rebaï
a mené plusieurs batailles, y compris dans les régions les plus reculées
de cette vaste zone. Il l’écumait de
Tamlouka jusqu’à la frontière de Batna. Avec ses compagnons d’armes,
il a mené la vie dure aux Français
qui, à leur tour, le traquaient partout. Trois années durant, il était la
cible principale de l’ennemi qui a
tout déployé pour le tuer. « Il aimait
le combat, il ne se dérobait jamais
et était surtout magnanime. Même
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
son salaire, il le donnait aux pauvres
», raconte Lamine dont la femme
a allaité les fils de cet officier de
l’ALN dont toute la famille était au
maquis. « Il y en a même qui sont
nés chez-nous », ajoute Lamine pour
expliquer la confiance dont jouissait
la famille Beghou auprès de l’ALN.
Adelhamid Beghou et Djermène
Lahcène étaient très proches de Si
Rebaï qui leur accordait toute sa
confiance autant qu’à son secrétaire
particulier Laouissi. Tous les quatre
vont ultérieurement tomber héroïquement au champ de bataille. Bien
d’autres moudjahidine, à l’image de
Si Mahmoud Kebaïli, Amara Chaâ-
( 49 )
bane, Lahcène Cidre et Causalota
connaîtront le même sort. « La bravoure de si Rebaï l’a même empêché
d’acheter une maison à ses enfants
malgré mon insistance », affirme aujourd’hui Lamine Beghou. C’est en
1960 que Ammi Rebaï connut sa fin
dans une rude bataille qu’il a menée
seul contre un contingent de soldats
français au lieu dit El-Fedjoudj, a miparcours entre Oum El Bouaghi et
Batna. « Encerclé avec son groupe,
il est descendu seul pour faire diversion et permettre à ses compagnons
de s’enfuir. La bataille a duré toute
l’après-midi et il a fallu utiliser les
armes lourdes pour le tuer. Son
corps sans vie a été une première
fois exposé en plein centre-ville de la
ville de Canrobert (Oum El Boaughi) où le sergent-chef du nom de
Machevot a dit de lui devant l’assistance « je n’ai jamais vu un tireur
d’élite comme ce fellagha », et une
seconde à la caserne du boulevard
du sud de la ville d’Ain Beida. Un
grand chef venait de mourir quelque
temps seulement après sa promotion
au rang de chef de la zone 4. »
Abdelhamid Beghou
tombe au champ
d’honneur, Hanafi
monte au maquis
La mort de Si Rebaï a laissé
un grand vide. Les combattants
étaient abattus à l’idée de continuer à faire parler les armes en son
absence. Le choix s’est porté sur
Amara Chaâbane pour lui succéder. La guerre tirait à sa fin mais
les combats n’ont jamais cessé. Au
contraire, ils ont doublé d’inten-
www.memoria.dz
Guerre de libération
Témoignage
sité. L’ALN maintenait la pression sur les troupes françaises et,
sporadiquement, elle leur portait
des coups très durs. Les batailles,
notamment dans les alentours de
Taghribt font parfois rage et les
moudjahidine, mal équipés parfois, trouvent tout de même des
ressources pour infliger de lourdes
défaites à l’ennemi. Abdelhamid,
devenu officier de l’ALN se rendait de temps à autre à la ferme
pour rendre visite aux siens : « On
dirait qu’il sentait la mort venir. Il
pleurait ses compagnons tombés
au champ d’honneur. Il ne cessait
jamais de les évoquer et de prier
pour eux », dira Khemissi qui, à
son tour, loue le courage de son
frère. Même si la France était sur
le point de perdre la guerre, elle
n’en redoublait pas moins de férocité envers les civils, les femmes,
les enfants et les vieillards qu’elle
considérait, à juste titre d’ailleurs,
comme la colonne vertébrale de
l’ALN. Des casemates, creusées
par ces mêmes civils, servaient
de refuge aux combattants et c’est
justement dans l’une d’elles que
le groupe de Amara Chaâbane va
être décimé. Nul ne sait comment
il a été repéré, mais assiégés aux
gaz toxiques, sept moudjahidine,
dont Abdelhamid Beghou, ont été
arrêtés alors que leur chef, Amara Chaâbane est mort asphyxié.
Cette opération s’est déroulée à
Ain Diss, à quelques centaines de
mètres de la ferme. Transférés à
Oum El Bouaghi, les prisonniers
ont subi les pires sévices ayant entraîné leur mort. On raconte que
malgré les souffrances, Abdelhamid n’a jamais bronché ni donné
le moindre renseignement préjudiciable à l’ALN. Une mort ressentie
par sa famille, notamment Hanafi
qui a décidé de rejoindre le maquis
pour honorer la la mémoire de son
frère.
Ainsi a vécu la famille Beghou
qui, aujourd’hui, raconte fièrement
son dévouement pour la partie et
sa contribution pour la libération
du pays.
Zoubir Khélaifia
Les chefs du secteur 2.
Avant le Congrès de la Soummam
Les chefs de la zone 4.
(Aurès-Nemenchas)
Avant le congrès de la Soummam
- Chaâbane Laghrour
- Chaâbane Laghrour
- Mohamed El-Hadi Rezaïmia
- Mohamed El Hadi Rézaïmia
Après le Congrès de la Soummam
Après le congrès de la Soummam
- Hamdi Ali
- H’Mida Ferhati
- Redjaï Ammar dit Fertouhi
- Fantazi Mohamed dit Hoggas
- Fantazi Mohamed dit Hoggas
- Khélaifia Rebaï dit Ammi Rebaï
- Hadi Mahmoud di Mahmoud Kébaïli
- Bougadi Djemoï
- Amara Chaâbane
- Bennoun Saïd dit Saïd 86
- Khélaifia Rebaï dit Ammi Rebaï
- Mohamed Hadjar
- Mohamed Haba
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 50 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Barbacha
Un bref aperçu
historique
Dr Mahmoud AIT MEDDOUR
Maître de conférence,
Facultés des sciences humaines et sociales.
Université de Béjaia.
Guerre de libération
Histoire
Barbacha, culminant à une altitude de 850 mètres et située à une qua-
rantaine de kilomètres de Bejaia (ex-Bougie), appartenait autrefois à la
section Dra Larba qui faisait partie, à partir de 1880, de la commune mixte
de Sidi Aich1 . Celle-ci, par arrêté du gouverneur général de l’Algérie daté
du 5 mars 1888, est fusionnée avec la commune mixte de Fenaîa pour former une seule commune : celle de la Soummam2. En 1888, la section de
Dra Larba, se composait de trois tribus : Barbacha, Guifcer et Beni Khateb.
D’après le recensement de 1886, la tribu de Barbacha comptait 562 maisons réparties entre ses 23 villages3.
O
n ne sait que Français remonte à la période qui a de Bougie Cabarrus en se portant à
peu de choses suivi la campagne du maréchal Bu- la tête de ses goums, et avait causé
sur l’histoire geaud en Kabylie de la Soummam des blessures à cinq officiers et vingtde Barbacha. en 1847. En 1849, la tribu des Beni deux soldats4. Mais la défaite fut du
Tour à tour
Slimane prit le chemin de la révolte. côté des autochtones. Les Français
soumises aux
Deux colonnes françaises furent brulèrent quelques villages avant de
Romains, aux Vandales, aux Byzandépêchées sur les lieux : le général se retirer après la soumission des tritins et aux Arabes, les populations
de la région passèrent aux mains des Salles partit de Sétif le 19 mai 1849 bus de la région. Dans ses lettres, le
et le général Saint-Arnaud sortit de général Saint-Arnaud évoque cet épiTurcs en 1555. La
sode avec beaucoup
province de Bougie
Le général Saint Arnaud évoque cet épisode avec beaud’ironie5 : « Les Kaétait alors adminiscoup d’ironie : « Les Kabyles ne sont pas si méchants
byles ne sont pas si
trée par le caïd turc,
qu’on
les
fait.
Je
les
ai
chassés
de
positions
inexpuméchants qu’on les
qui avait le droit de
gnables
par
leur
nature
et
qu’ils
avaient
pris
soin
de
forvie et de mort sur
fait. Je les ai chassés
tifier.
Je
les
ai
poursuivis
sur
des
pics
inaccessibles
où
les tribus de Sande positions inexpuils
disaient
que
les
aigles
seuls
venaient
les
visiter.
Nous
hadja et celles de la
gnables par leur nane sommes pas des aigles, et nous y sommes montés en
grande section des
ture et qu’ils avaient
battant la charge. Nous n’avons eu que deux tués, cinq
Ouled Abd El Djepris soin de fortifier.
officiers et vingt-deux soldats blessés. Nous aurions dû y
bar (Ouled Tamzalt,
Je les ai poursuivis
laisser cinq cents hommes et ne pas réussir. »
Barbacha, Ouled
sur des pics inaccesAmeur Youb, Beni
sibles où ils disaient
Kharoun, Ouled Abd El Aziz et
Bougie le 20 mai. Après un passage que les aigles seuls venaient les visiBeni Ymel) qui lui payaient les impar Barbacha, la colonne du général ter. Nous ne sommes pas des aigles,
pôts et reconnaissaient sa suzeraineté. Après la prise de Bougie en 1833, Saint-Arnaud fut attaquée à Kendira, et nous y sommes montés en battant
ces tribus multiplièrent les actes de le 21 mai, par des habitants des Beni la charge. Nous n’avons eu que deux
résistance contre les troupes fran- Slimane, de Barbacha, des Guifcer tués, cinq officiers et vingt-deux
çaises qui trouvèrent de grandes dif- et des Ait Oudjhane. Le combat s’est soldats blessés. Nous aurions dû y
ficultés pour sortir des murs de cette soldé par la mort de deux militaires, laisser cinq cents hommes et ne pas
ville. La soumission de Barbacha aux entre autres l’officier du bureau arabe réussir»6.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 52 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
Béjaïa, capitale des Hammadites en 1880
En mai 1851, les tribus de Barbacha et de Guifcer soutinrent la
révolte de Bou Baghla7. Ce dernier,
après ses succès dans la vallée de la
Soummam, avança vers Dra Larba
en passant par la tribu des Aith
Imel. Il coupa les communications
entre Bougie et Sétif et descendit
ensuite pour camper non loin d’El
Kalaa, l’ancienne capitale des Hammadites. Après plusieurs attaques
sur cette ville, il rebroussa chemin
et partit continuer son soulèvement
dans d’autres régions de Kabylie8.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Les habitants du douar Dra Larba, de Bouandas et de Kendira ont
participé activement à l’insurrection de 1871. A un moment, Boumezrag, successeur de Mokrani,
avait choisi son camp du côté de
Dra Larba. C’était l’époque où les
Français commençaient à gagner
du terrain. Le 11 juillet 1871, le
général Saussier se rendit à Dra
Larba où l’attendirent les partisans
de Boumezrag. Sur ce combat qui a
eu lieu, le 12 juillet 1871, Luis Rinn
écrivit :« Le 12, à midi, Boumezrag
( 53 )
et les Ouled Mokrane, bannières
déployées et suivis de contingents
très nombreux, marchaient sur le
camp, où il leur semblait que nos
troupes étaient endormies. Mais
en un instant nos hommes sont
debout à leur place de combat, et,
avant d’être abordés, ils marchent
en plusieurs colonnes sur l’ennemi
qu’ils accablent de leurs feux rapides et que bientôt ils cernent de
tous côté (s). La cavalerie descend
vers le lit de Oued Bousselem et
coupe le chemin des montagnes
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Guerre de libération
Histoire
Général Saussier
de Tala Mokrane ; les qbails qui, se
sont embusqués par petits groupes
dans les ravins sont écrasés. » « Le
terrain est couvert de morts, les prisonniers deviennent encombrants,
une vingtaine d’individus pris les
armes à la main sont fusillés par les
tirailleurs qui ne peuvent se résigner à les garder pendant qu’on se
bat à côté d’eux »9.
Les échecs répétés devant les
troupes du général Saussier vont
pousser les populations de Beni
Slimane et celles de Barbacha à se
soumettre et à supporter les charges
dues à la guerre ; entre autres la spoliation de leur terres et le payement
de lourdes contributions de guerre
imposées par le vice-amiral comte
De Gueydon10.
Tandis que Bougie connut un développement considérable sur tous
les plans, les régions du Dra Larba,
Bouandas et Kendira vivaient dans
de grandes difficultés. Ces contrées
montagneuses et accidentées n’attiraient pas les investisseurs français,
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
à l’exception des travaux d’exploitation de la mine de Bou Amrane
qui avaient commencé en 1924. Les
responsables politiques français ne
voyaient pas la nécessité d’installer
une instance administrative quelconque au sein de la région de Dra
Larba, tant que le calme régnait
dans la contrée. Les représentants
autochtones de la France avaient
toutes les prérogatives leur permettant de gouverner loin des regards
de leurs supérieurs. Cette situation
demeura ainsi jusqu’au déclenchement de l’affaire du diss11, le conflit
qui avait mobilisé environ 2000
personnes et opposa, 11 villages du
douar de Draa Larba (Barbacha,
Khellil, Tala, Ait Aissi, Izen Azenou, Kalaa, Ighil Makal, Takliat,
Bellouta, Ouendadja et Beni Khaled), les villageois du douar de
Bousselam (commune mixte de
Guergour) avec le soutien du douar
voisin d’Azrou n’Bechar d’un coté,
aux fractions principales du douar
de Bouandas et du douar de Kendira (Aith Abbas, Aith Melika, Kembitha, El-Bir…) de l’autre côté12.
Sur ce conflit connu sous le nom
de « guerre du diss », on apprend
d’après les archives françaises qu’il
avait débuté le mois de janvier
1932. Les habitants du douar de
Bouandas, invoquant « la pauvreté
des pâturages et la nécessité où ils
allaient se trouvaient pour cette
année, d’utiliser la totalité du diss
pour leurs propres besoins », informèrent leurs compatriotes du douar
de Dra Larba que désormais il leur
était interdit de chercher le diss au
niveau de leur région13. En dépit
de cet avertissement, les habitants
( 54 )
de Dra Larba revinrent à la charge
; ils se déplacèrent en masse pour
se procurer du diss dans les mêmes
endroits que celui des années précédentes. Les propriétaires les laissèrent une dernière fois accomplir
leur tâche, mais ils leur interdisaient
désormais, par la force des armes,
toute exploitation du diss14.
La situation aurait pu rester à ce
stade mais elle prit une tournure
grave. Une réunion à laquelle a
participé le chef de la djemaa, des
amins de trois villages et des notables de Dra Larba avait décidé par
mesure de représailles «d’interdire
l’accès de leur territoire à ceux de
Bouandas pour les gêner à leur tour
dans leur ravitaillement (fréquentations des marchés) et leurs moyens
d’existence (participation aux chantiers des ponts et chaussées organisé dans le douar Draa Larba»15. Le
premier affrontement survint le 25
janvier 1932 ; comme on l’a constaté, il fut « la conséquence d’une série d’incidents ». Sur cette bataille,
l’administrateur de Oued El Marsa
écrit au sous-préfet de Bougie : « Le
25 janvier dans la matinée, les indigènes de Dra Larba descendirent,
armés de leurs villages (et) prirent
la direction de celui d’El-Bir dans
le but de celui vraisemblablement
d’aller prendre du diss par la forêt.
Les habitants d’El-Bir alertèrent
leurs voisins de Kembita et bientôt
des deux côtés de la profonde vallée qui sépare les deux communes,
les crêtes se garnirent d’indigènes
armés qui firent parler la poudre »16.
Dans la journée du 26 janvier,
avec le soutien apporté par les villageois du douar de Bousselam
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
(commune mixte de Guergour)
au douar de Dra Larba, les évènements prirent une autre allure. Vers
8 heures du matin, les habitants des
deux douars attaquèrent le village
d’El-Bir (douar de Kendira) s’emparant au passage du bétail et de
divers objets et causant également
la mort d’un villageois de Kembita.
Les gens du douar de Bouandas et
de Kendira ripostèrent à 4 km plus
au nord en attaquant des villages
situés entre les deux douars. Un
gourbi et quelques séchoirs à figues
furent brulés. Un autre soutien de
taille pour les gens de Dra Larba
vint du douar voisin Azrou N’Bechar.
Dans la soirée du 26 janvier, arriva sur les lieux des combats l’administrateur de la commune de Oued
El-Marsa et réussit, en compagnie
de son homologue de la Soummam,
à apaiser les tensions entre les habitants des deux douars. Au moment
où deux avions survolèrent la région, les renforts continuèrent d’arriver dans la soirée du 26 janvier. Un
détachement de 120 tirailleurs de la
garnison de Bougie se présenta sur
les lieux. Le préfet de Constantine
et le sous-préfet de l’arrondissement
de Bougie réussirent à atteindre la
place pour superviser les opérations. Étaient également présents le
colonel commandant la 19e Légion
à Alger, le lieutenant commandant
la gendarmerie de Bougie, le lieutenant commandant le détachement
du 11e RTA, le chef de la sureté
générale de Constantine, le chef de
la brigade mobile de Bougie et le
commandant de la gendarmerie de
Sétif.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Moudjahidine de la région
Le lendemain 27 janvier, trois
colonnes parcoururent les villages
touchés par les évènements cités
plus haut. Cette démonstration de
force et la présence de personnalités importantes de l’administration
française finirent par mettre fin au
conflit. Le même jour, en présence
de la plupart des responsables cités
ci-dessus, une réunion fut tenue
à Barbacha. « Ces chefs de communes, écrit le préfet de Constantine, expliquent à leurs administrés
dans quelle grave situation ils se
( 55 )
sont volontairement placés en préférant un règlement par les armes
à un arbitrage administratif. Ils
promettent que la question du diss,
qui parait être le point de départ du
conflit, sera examinée au mieux des
intérêts des collectivités en cause
et invitent ces notables à retourner
dans leurs villages respectifs, à se
tenir à la disposition des agents de
l’autorité et à veiller à ce que leurs
parents et amis respectent la vie et
les biens de chacun »17.
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Guerre de libération
Histoire
Une enquête fut immédiatement lancée pour l’arrestation des
auteurs des divers incidents du
conflit. Dès le 28 janvier, les Français procédèrent aux premières
perquisitions dans les villages.
Vingt-huit personnes furent arrêtées dont vingt étaient originaires
du Dra Larba. Des armes non
immatriculées étaient également
saisies. Les personnes qui avaient
participé aux combats furent sanctionnées18.
Treize années écoulées après la
« guerre de diss » qui avait causé
beaucoup de préjudice à la région
sur tous les plans, vinrent les événements de 8 mai 1945 qui avaient
ensanglanté le Constantinois et
particulièrement Sétif, Guelma et
Kherrata. Barbacha fut aussi encerclée par un détachement de la Lé-
gion étrangère, qui mit le feu à certaines maisons, non sans avoir fait
sortir les habitants qu’il rassembla
dans la mosquée. Il y eut des vols de
bijoux, de couvertures, tapis et surtout de l’argent. Les légionnaires ne
partirent qu’une fois leurs méfaits
accomplis, et grâce à l’intervention
de caïd Ourabah, que certains villageois avaient averti19.
Dr Mahmoud AIT MEDDOUR
1. Auguste Veller, Monographie de la commune mixte de Sidi Aich, Paris, éd. Ibis presse, 2004, p.59.
2. D’après l’arrêté gouvernemental du 25 août 1888, la commune mixte de la Soummam regroupe les douars et les tribus
suivantes : Sidi Aich, Oued Soummam, Ath Oughlis, Fenaîa, Ait Sidi Abbou, Béni Kesila, Mezal, Beni Amran, Toudja, Ait
Ahmed Garest, Acif el-Hammam, Ait Ameur, Tifra, Beni Mansour, Azrou N’Bechar et Timezrit. » Voir Tableau général des
communes de l’Algérie au 1er janvier 1892, dressé par le gouverneur général Cambon, Alger, Imprimerie Pierre Fontana
et compagnie, 1892.
3.Voir Auguste Veller, op.cit., p. 77. Les 23 villages sont : Tabia, Tighilt, Bou Aokal, Khanouche, Ait Ain Sreur, Tizi, Kouta Azemour, Assoual, El Kitoun, Tiazibine, Aït Yaya (Ait Ouyahia), Agueni n’Sihel, Taourirt, Djelada, Tiguert Mahaleb, Tikharoubine, Igran Ouaten, Bou Aich, Bou N’guer (Bounceur), Bou Riden (Boughidene), Tagmiouine, tagma et Tizi N’terreghamts.
4. Saint-Arnaud (Maréchal), Lettre, Paris, Michel Lévy Frères, Libraire éditeur, 1858, t.2.
5- Féraud Laurent Charles, Histoire de Bougie, Béjaia, nouvelle édition, Talantikit pp. 222-223.
6- Lettres du Maréchal Saint-Arnaud, tome II, Paris, Michel Lévey Frêres, Libraire éditeur, 1858.
7. Bou Baghla leva l’étendard de la révolte en décembre 1850 par un appel à la guerre sainte lancé au marché de la tribu des
Ait Idjeur en Kabylie de Djurdjura. La résistance de Bou Baghla déstabilisa durant quatre ans la présence française en
Kabylie. Bou Baghla fut tué le 26 décembre 1854, dans les environs d’Ait Mellikeuche par le caïd Lakhdar.
8. Joseph Nil Robin, « Histoire du chérif Bou Baghla », dans Revue africaine, xxv, p. 343 – 348.
9- Rinn Luis, L'insurrection de 1871 en Algérie, Alger, Adolphe Jourdan, Alger, 1891. 467 et 468.
10. Auguste Veller, op. cit., p. 62.
11. Le diss est une herbe utilisée pour la nourriture de cheptel, la fabrication des couffins et pour la couverture des toits des
maisons en Kabylie.
12. Archives d’outre mer, Aix en Provence, 9 H 16. Rapport de l’administrateur de Oued El Marsa, Oued El-Marsa, le 30 janvier
1932.
13 - D’après quelques témoignages recueillis au niveau de quelques personnes de la région de Barbacha et qui avaient
appris dès leur jeune âge le récit de cette affaire, les habitants du douar de Beni Slimane auraient humilié un individu du
douar de Dra Larba en lui rasant une partie de ses moustaches. Ce geste aurait joué un rôle dans le déclenchement des
hostilités entre les deux parties.
14- A O M, Rapport du préfet du département de Constantine au gouverneur général de l’Algérie, Constantine le 11 février
1932.
15. - A O M, 9 H 16, Rapport du sous-préfet de Bougie au préfet de Constantine, Bougie, le 05 février 1932.
16. A O M, 9 H 16, Rapport de l’administrateur de Oued El-Marsa, Oued El-Marsa le 30 janvier 1932.
17. Ibid.
18. Les affrontements ont provoqué la mort de deux personnes et quelques blessés.
19. Mohamed Benyahia, La conjuration au pouvoir, Récit d’un maquisard de l’ALN. (s.l), éd. ENAP (Ben Yahia, (s.a), p. 11
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 56 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Rezkia N’Bouzid
Infirmière
en guerre de libération
Par Dr Mahmoud Aït Meddour
Université Abderrahmane Mira de Béjaïa
Guerre de libération
Histoire
Le résumé en français :
Ce texte propose d’apporter un éclairage sur la place et le rôle des
femmes dans la guerre de libération algérienne à travers le parcours
de Rezkia N’Bouzid, une femme originaire du village de Tiazibine, sis
à Barbacha. Celle-ci avait vécu une enfance difficile après la perte de
sa mère à l’âge de 10 ans. Mariée ensuite à l’âge de 17 ans, elle suit
son mari émigré en France. Après la maladie de son époux, elle va
travailler comme femme de ménage dans un hôpital à Paris, ce qui
va lui permettre de s’initier aux seringues et aux différents produits
de soins infirmiers. Au déclenchement de la guerre de libération le
1er Novembre 1954, Rezkia va être très vite repérée par les militants
de la cause nationale au sein des immigrés, et elle activera dans la
distribution des tracts. En 1955, elle rentre en Algérie et s’engage en
tant qu’infirmière dans l’organisation civile de l’Armée de libération
nationale, avant d’être arrêtée pour enfin subir tous les supplices à
travers les différents centres de détention et de torture
Le résumé en anglais :
Rezkia N’Bouzid, a nurse in the algerian war of liberation.
This paper proposes to shed light on the place and role of women in the
Algerian war of liberation through the testimony of Rezkia N’Bouzid,
a woman from the village of Tiazibine, located in Barbacha. It traces
the career of one of these activists and constitutes a trace of anchoring
popular armed struggle.
It traces the journey of this woman, who lived a difficult childhood
after the loss of his mother at the age of 10, married at age 17, following
her husband emigrated to France, then returned to Algeria in 1955 and is
committed as a nurse in the civil organization of the National libération
army, before being arrested and finally undergo all the tortures through
the various detention centers and torture.
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
( 58 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
L
’adhésion de la
population à la
guerre de libération algérienne
était la grande
force de l’Armée
de libération nationale (ALN) et
elle fut très déterminante. Les
tâches exigées des civils n’ont
pas été nullement faciles surtout
pour les femmes, car elles les exposaient aux risques des répressions et aux problèmes liés à leur
non-autosuffisance alimentaire,
et à cause du quadrillage imposé
au territoire par l’armée française
et de la mise en place des goumiers1. D’après certains témoignages, l’armée française avait
même tendance à observer de la
compassion et du respect envers
ses prisonniers combattants réguliers du l’ALN, à l’inverse des
moussebline 2 considérés comme
combattants irréguliers ou terroristes qui étaient souvent exécutés après leur arrestation.
Le sujet du rôle de la femme
au sein de l’organisation civile
pendant cette guerre n’a pas été
suffisamment traité, en dépit de
l’ancrage de cette Révolution
dans un peuple et qui évacue
de fait l’idée entretenue depuis
l’indépendance d’une élite révolutionnaire, car en effet, il y avait
une frange de femmes engagées
dans cette guerre révolutionnaire, restées dans leurs maisons,
et qui assumaient jalousement
leurs tâches au sein de l’organisation civile du Front de libération
nationale (FLN).
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Histoire
Rezkia N’bouzid à Paris dans les années 1950
L’exemple de ces femmes, dont
l’expérience traduisait cet ancrage
populaire, on le présentera dans
le parcours de Rezkia N’Bouzid,
engagée dans la guerre de libération nationale au village Tiazibine dans la commune de Barbacha.
Il est vrai que c’est une tâche
complexe de retracer le parcours
d’une personne dont beaucoup
de souvenirs avaient disparu
avec l’âge et aussi des traumatismes causés par les séances de
tortures subies. La complexité
est due aussi aux difficultés rencontrées pour remettre le vécu
de cette femme dans un contexte
historique plus au moins précis, à
cause du brouillage des habituels
repères chronologiques.
Le témoignage a été recueilli
par l’auteur le 15 février 2014 au
sein de son domicile sis à Barbacha et en présence de son fils
Salah. On a utilisé un enregis-
( 59 )
treur audio dans l’entretien qui
avait duré deux heures et trente
minutes. Etant donné que Rezkia est une analphabète, il était
impossible de réaliser l’entretien
en langue française. C’est pour
cette raison qu’elle avait récité
son récit en kabyle.
1. L’enfance difficile de
Rezkia N’Bouzid
Ben Yahia Rezkia fille de Bouzid et de Tissoukai Tchalla est
née le 5 mai 1926 à Ait Ouyahia
au village de Tiazibine, dans la
commune de Barbacha. Elle est
enregistrée par erreur dans l’état
civil sous le nom d’Aït Yahia
Rekia. «Cette double identité lui
avait sauvé la vie devant le tribunal militaire, car elle a été dénoncée en tant que Benyahia Rezkia,
alors qu’elle s’appelait réellement
Aït Yahia Rekia», témoigne son
fils Salah Bezzouh.
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Guerre de libération
Histoire
Orpheline de mère à la fleur
d’âge (elle avait à peine 10 ans),
c’est son père qui prendra soin
d’elle et de ses deux sœurs cadettes âgées respectivement à
peine de trois ans et un an et
demi. Très soucieux d’une éducation rudimentaire irrépréhensible, le père oblige les trois
filles à l’accompagner partout où
il va et à ne pas aller dans telle
ou telle maison. Rezkia affirme
: « Etant très jeunes, on ne saurait comprendre le comportement de notre père, et c’est à
l’âge adulte que nous avons pu
comprendre qu’étant orphelines,
il avait le souci de nous assurer
une réputation irréprochable en
nous ne laissant pas vagabonder
à longueur de journée et avoir de
mauvaises fréquentations. »
Rezkia, n’avait pas eu la chance
de fréquenter ni l’école française
ni l’école coranique. L’enseignement qui occupait une place
importante au sein de la société algérienne avant 1830, avait
subi beaucoup de revers après la
conquête française ; les autorités
coloniales ont fait entrer l’enseignement traditionnel dans une
phase de décadence, sans pour
autant faire réussir l’enseignement français. Les colons, voyant
en lui un danger et une dépense
inutile, l’avaient contesté, il a
été de même pour une partie
de la population musulmane
qui voyait dans l’école française
un danger pour son identité et
sa religion. D’après Neil Mac-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Master, il y avait un genre de
« pacte durable, qualifié au début
des années 1950 par la minorité
des féministes algériennes de
"double impérialisme", celui du
colonialisme et celui du patriarcat, (qui) enfermait les femmes
algériennes dans une situation
d’infériorité et les excluait totalement de l’enseignement, du
monde du travail et de la vie politique3 ».
Rezkia n’avait alors que des
connaissances orales transmises
dans la famille et qui ne sauraient
s’apparenter à une instruction,
mais tout de même, elle avait un
don inné d’apprentissage. On ne
va pas étaler ici la façon dont elle
a pu apprendre à soigner et à manipuler les seringues lors de son
séjour à Paris, mais on va seulement citer une petite anecdote
se rapportant à ce don : « Un
jour, j’étais allée avec mon époux
pour rendre visite à un malade à
l’hôpital de Bejaia, j’avais de loin
aperçu un homme vêtu d’un tricot en laine, j’ai précipité le pas en
laissant mon époux derrière moi
pour suivre l’homme de près. A
la fin de la visite, j’ai demandé à
mon époux de m’acheter une pelote de laine et j’ai pu en tisser un
tricot similaire. » Rezkia a profité de ce savoir-faire pour faire
habiller tous ses enfants et d’en
confectionner pour les gens de
son village pour gagner quelques
sous pour épauler son mari dans
ses dépenses.
( 60 )
2. Les années d’apprentissage du militantisme
L’homme qui allait devenir son
mari, Mohand-Saïd Bezzouh,
avait comme première épouse
Fatma sa propre cousine. Après
avoir divorcé, il épousa Yamna.
Celle-ci décède ensuite laissant
derrière elle deux petites filles.
Rezkia sera sa troisième épouse
à l’âge de 17 ans. Nous sommes
en 1943, au milieu de la Seconde
Guerre mondiale, les conditions
n’étaient pas propices pour doter
convenablement une mariée surtout dans le cas de cette jeune
orpheline, car comme disait
Nacer Djabi, le quotidien des
Algériens était « au diapason des
épidémies, des misères, des privations aggravées par les restrictions alimentaires réglementées
par les autorités coloniales4 », et
que la libération des prix et le
rationnement du pain (250 g puis
300 g par personne et par jour)
qui est resté de rigueur, avait
accentué la hausse du coût de la
vie, à un moment où les salaires
connaissent un gel relatif 5. « A
Barbacha, les filles étaient dotées
d’un ahrem arqemen 6 pour le mariage, et comme j’étais orpheline,
c’est l’épouse de mon oncle Mohand-Saïd Berboucha qui nous
en a confectionné», nous confie
Rezkia.
Une semaine après la naissance
de sa première fille Khoukha
en 1945, son époux émigre en
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
France. Selon elle, son mari
«avait perdu beaucoup d’argent
dans les jeux de carte et il avait
peur de vendre toutes ses terres,
c’est pour cela qu’il a décidé de
mettre un terme à cette situation
en partant en France ». De ce fait,
elle sera contrainte de retourner
vivre auprès de son père en compagnie de sa fille ainée pendant
deux ans. Elle avait laissé les
deux filles de la défunte épouse
pour sa belle-mère.
En 1947, son époux demanda
à son propre cousin Abderrahmane Bezzouh qui était, lui aussi,
un émigré d’emmener Rezkia en
France. Ce cousin accompagné
de sa propre épouse française
présentera à Bouzid, le père de
Rezkia, une procuration signée
par l’époux. A cette époque,
l’émigration d’une femme était
condamnée et même prohibée
par la société, et ses parents et ses
beaux-parents n’avaient accepté
la décision qu’à contrecœur.
En France, Rezkia était prise en
charge avec beaucoup d’égards
par la Française, épouse de Abderrahmane. Rezkia n’a pas oublié ses bienfaits : « J’avais beaucoup d’idées fausses sur ceux
qu’on appelait des koufar (apostats), mais en France, j’ai découvert des Français dotés d’une
bonté extraordinaire. »
La maladie de son époux l’obligera plus tard à travailler au
sein d’un hôpital à Paris comme
femme de ménage pour subvenir aux besoins de sa famille,
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
et c’est là que cette autodidacte
avait pu s’initier aux seringues
et aux autres produits de soins
médicaux. Au déclenchement
de la guerre de libération en
1954, Rezkia avait été chargée
en France de la distribution des
tracts « subversifs » au milieu des
Algériens. Elle nous confie : « Je
faisais cacher les tracts sous ma
robe, je les faisais glisser sous les
portes des immeubles habités par
les Algériens, et eux, disaient que
ceux-ci tombaient du ciel. J’assistais aux différentes réunions
de sensibilisation dans le café
de Zerrouk Allaoua où on nous
incitait à rentrer en Algérie pour
combattre la France ».
De retour au pays en 1955,
Rezkia et son mari trouvèrent
leur maison sise au versant sudest de Tiazibine dans un endroit
appelé Timghras complètement
dégradée. Ils ont tout d’abord
entrepris les travaux de réparation pour s’y installer. Mais un
incident va bouleverser la vie de
cette famille. Un cousin de Rezkia, maquisard de l’ALN nommé
Boulehia7, s’est servi de son fusil
pou tirer sur le sergent-chef Laurent, responsable de la Section
administrative spécialisée (SAS)
de Barbacha, au lieu dit Tizi Inevguiwen en 1957. Sur cet événement, Boulahia dit : « Alors que
je me dirigeais en compagnie de
deux maquisards vers le village
de Tiazibine, nous fûmes rejoints
à un virage par deux cavaliers
en balade et en tenue militaire.
( 61 )
Nous déchargeâmes sur eux nos
armes sans les atteindre. Ils nous
avaient vus eux aussi, et appuyant
sur leurs étriers, ils partirent à
toute allure, échappant de justesse à nos balles8 ». La nuit même
de l’incident, par mesure punitive
ou de pacification, l’armée française entame son incursion, fait
évacuer les deux villages limitrophes Tizi Ouzemmour et Tizi
N’veguiwen de leurs habitants.
Ces habitants, laissant derrière
eux leurs chaumières et leurs
biens, seront accueillis par ceux
des villages limitrophes : Tiazibine, El Kitoune, Ait Ouyahia.
Rezkia elle-même ainsi que sa
famille seront dans le premier
temps accueillies à Tiazibine,
dans la maison d’Issadounene
m’hend qui avait deux fils émigrés
en France. Elle sera contrainte
de quitter cette maison pour aller
vivre dans la maison de son père
à Aït Ouyahia pour nécessité de
guerre.
3. Dans le feu de l’action
À partir de la deuxième année
de la guerre de libération, le rôle
de la femme algérienne commençait à se déterminer, car les
deux parties belligérantes comprirent tout à coup « l’importance stratégique des femmes et
le besoin urgent qu’il avait de se
gagner cette moitié de la population en se présentant comme
le héraut de ses droits et de ses
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Guerre de libération
Histoire
Rezkia en compagnie de sa fille ainée à Paris dans les années 1950
intérêts9 ». Ceci avait provoqué
une véritable course entre le
FLN et l’armée française. « Cette
prise de conscience fut renforcée
par la pénétration rapide dans
l’armée française de la doctrine
de la guerre révolutionnaire10 »
elle avait admirablement servi la
Révolution en dépit de tous les
dangers qui la guettaient.
Rezkia, engagée en tant qu’infirmière dans l’organisation civile de l’ALN, avait eu sa part
de ces tourments et dangers au
sein d’un secteur sanitaire très
souffrant surtout durant les deux
premières années de la Révolution. Les soins étant donnés un
peu partout, n’importe comment,
par qui avait des notions de soins
d’infirmier11. Ce n’est qu’après la
grève des étudiants de mai 1956
que sera créé le service sanitaire proprement dit par tout un
groupe d’étudiants en médecine
et en pharmacie qui créèrent peu
à peu tout un réseau de refuges
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
bline, connaissaient leurs endroits.
Dans son livre, Abdelmadjid
Azzi, avait même fait état d’existence d’hôpitaux souterrains
comme celui de Smaoun qui était
tenu dans un secret total : « Par
mesure de sécurité… (les) blessés… sont transportés à dos de
mulet depuis l’infirmerie jusqu'à
l’hôpital en gardant les yeux bandés et en restant confinés jusqu'à
leur départ qui s’effectue de la
même manière13».
et de grottes infirmeries établies
prudemment dans les zones
calmes par rapport aux opérations de guerre. Les infirmeries
étaient dans les meilleurs des cas
des vieilles bâtisses sans fenêtres.
C’étaient des gourbis en rase compagne ou dans des forêts, parfois
dans des casemates souterraines
ou dans des grottes, et qui manquaient de tout et de l’essentiel.
L’hygiène était rudimentaire et
« réduite au strict minimum :
faire bouillir les instruments
comme les seringues et pouvoir
se laver les mains12 ». Les médicaments de première urgence
faisaient défaut surtout après la
grève de huit jours au début de
l’année 1957, qui avait ébranlé la
chaine d’approvisionnement en
médicaments mise en place grâce
aux contacts établis avec les pharmacies des villes.
En principe, les infirmeries
étaient tenues en secret et seuls
les liaisons et les chefs de mousse-
( 62 )
Car, en effet, l’ALN devait lutter contre une force d’occupation
dotée d’une organisation militaire
et policière perfectionnée et expérimentée dans le noyautage des
mouvements politiques14. La découverte de ces centres de soins
par les soldats français risquait
de causer des massacres systématiques des malades dans l’espoir
d’obtenir des renseignements.
Mais en dépit de toutes ses difficultés, l’ALN s’est beaucoup
préoccupée de l’état sanitaire
des djounoud (soldats) ; une de
ses directives générales stipulait
qu’«une visite médicale devra être
subie par chaque nouvelle recrue
pour établir son aptitude à servir
dans les rangs combattants de
l’Armée de libération, dans la mesure du possible » (AOM, 1H, 2582/1).
Et dans un article sur le règlement intérieur de l’ALN, il était
question clairement de la prise en
charge médicale du moudjahid :
« En cas de maladie, (le service
de santé) lui assure des soins et
protection15».
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
Rezkia devait se déplacer pour
assurer les soins d’urgence jugés
non graves aux combattants de
l’ALN dans les différents endroits où ils pourraient se trouver. Elle procure aussi les soins
à l’intérieur des grottes infirmeries ou casemates. Rezkia décrit
une petite grotte d’une superficie
égale à une natte de raphia. Dans
les cas des blessures graves, les
concernés étaient transférés dans
un autre endroit d’après le règlement des services sanitaires, qui
stipulait entre autres : « Si l’infirmier de la section s’avère incompétent, par conséquent le transfert est décidé à un lieu sûr…
(qui) peut être l’Algérie comme
ailleurs16 ».
Rezkia devait aussi s’auto-approvisionner en produits pharmaceutiques auprès des pharmacies de la ville de Bejaia. Sur ceci,
elle dit : « On me remettait des
lettres qui faisaient office d’ordonnances et je me dirigeai vers
la pharmacie Zaouch17 acquise à
la révolution pour recevoir ma
fourniture gratuitement». En
plus de ses missions sanitaires,
Rezkia s’est vouée à des responsabilités sociales très délicates.
Le congrès de la Soummam en
août 1956 ayant organisé la population d’une façon minutieuse,
et pris en charge les affaires sociales, qui étaient assignées au
commissaire politique18. Une de
ces responsabilités, consistaient
à la collecte des cotisations mensuelles auprès des gens du village.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Selon elle, les familles non aisées
et celles ayant des éléments au
maquis étaient exemptes de paiement. L’autre mission consistait
à prendre en charge les familles
des maquisards et des martyrs.
Et toujours en faisant fi de tous
les dangers, elle avait transformé sa propre maison en véritable refuge de maquisards, en
dépit de l’existence d’un refuge
officiel qui a été la maison de
Mekrane et d’Arezki Berboucha
(Khierdine) qui avaient déménagé pour habiter chez Belkacem
Amraoui à Aith Ikhlef. Sur ceci,
Rezkia, nous a confié : « Je recevais constamment des groupes
de moudjahidine composés de
douze personnes, et j’avais à
maintes reprises reçu le groupe
de choc que conduisait Taher
Ouabbas dit (Ibeloutene) ». Celui
ci a été à la tête du groupe qui
avait tendu l’embuscade de 1960
à Gameth à un convoi de goumiers dirigé par l’officier de la
Section administrative spécialisée (SAS) de Barbacha19. Tout ça,
démontre à quel point les civils
avaient contribué à alléger les
souffrances des moudjahidine,
car les « les conditions de vie du
maquisard frôlaient souvent l’extrême20 ».
Autre souci pour les chefs de
la Révolution auquel Rezkia s’est
engagée à remédier : la mobilisation de la population pour
adhérer au combat libérateur.
Beaucoup de gens, et c’est le cas
pratiquement de tout le territoire
( 63 )
algérien, n’avaient pas compris
dès le début des actions armées
les tenants et aboutissants de
cette résistance. Dans le tumulte
des rumeurs qui circulaient, il
y avait des collaborateurs qui
se déguisaient en moudjahidine
qui prenaient contact avec les
personnes suspectes pour soutirer des informations ou pour
tout bonnement vérifier leur
appartenance à la résistance. Il y
avait aussi ceux qui continuaient
à exercer le plus normalement
leurs fonctions au sein des différents organismes français et à
qui on avait collé à tort l’étiquette
de collaborateurs, alors qu’ils
n’étaient jamais contactés pour
leur enrôlement, et eux-mêmes
ne savaient rien sur le chemin à
suivre pour servir la Révolution.
Il se peut qu’on soit ainsi devant
une des erreurs de la Révolution
et l’une des tares de l’organisation civile. Rezkia avait pu sauver la face de nombreux d’entre
eux. A chaque fois qu’on lui faisait savoir que tel ou tel homme
était traitre, collaborateur ou non
acquis à la Révolution, elle avait
le reflexe de leur demander s’ils
avaient pris contact avec eux, et
la réponse était malheureusement négative à maintes reprises.
Elle nous confie : « Pour vérifier
le camp pris par tel ou tel villageois, je lui demandais de préparer un diner pour accueillir un
groupe de maquisards, et par mesure de sécurité on lui envoyais
des personnes qu’il ne connaissait pas. Le lendemain, on sur-
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Guerre de libération
Histoire
veillait ses mouvements pour
savoir s’il prendrait contact avec
les militaires pour leur divulguer
l’information ».
Parmi les hommes qui avaient
intégré la résistance grâce à elle,
on peut citer Salah, policier résidant à Bejaia ; Amar, gardien en
tenue militaire au niveau de l’infirmerie de Barbacha, qui avait
failli être exécuté, car il n’avait
pas donné suite à une lettre
émanant du Front remise à une
cousine pour payer ses cotisations mensuelles, c’est pour cela
que le moudjahid Mohand-Arab
Bensidhoume informa Bouzid, le
père de Rezkia, que Amar était
considéré en tant que traitre.
C’est Rezkia qui avait heureusement découvert la faille qui avait
évité un sort malheureux à un
brave type. Elle avait aussi sauvé
un certain Si Ahmed qui avait été
considéré à tort comme traitre,
alors qu’il payait régulièrement
ses cotisations qu’il remettait à
Rezkia en personne.
En parlant de la mobilisation
de la population, on ne peut
omettre de citer le secteur du
renseignement et des liaisons liés
étroitement. Cet autre terrain de
bataille n’est jamais été sous-estimé par les chefs de la Révolution et auquel avaient participé
les civils très activement. Les
principales sources de renseignements étaient surtout les Algériens enrôlés de gré ou de force
dans l’armée française, parfois
des soldats originaires d’autres
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colonies ou des mercenaires, tandis que les liaisons étaient principalement exécutées par des
agents civils femmes et hommes
qui servaient d’intermédiaires
entre le maquis et la population
civile. Dans ce contexte, Rezkia
était chargée de transmettre des
lettres destinées à la population
portant des ordres de paiement
des cotisations ou de déserter des
rangs de l’ennemi pour servir la
Révolution. A maintes reprises,
c’est elle-même qui demandait à
ses supérieurs de lui permettre
d’entrer en contact avec tel ou tel
individu considéré comme traître
ou goumier sans qu’il fût contacté pour servir la Révolution. Rezkia insista sur un fait: l’une des
taches noires de la lutte armée à
Barbacha, est que chaque individu enrôlé dans les rangs de l’ALN
ou dans l’organisation civile ne
cherchait pas à prendre contact
avec d’autres qu’il connaissait
pour qu’ils rejoignent eux aussi la
Révolution par simple crainte de
dénonciation. Ce comportement
avait beaucoup nui au combat et
porta aussi préjudice à beaucoup
d’individus considérés à tort
comme khabiths (traitres), alors
qu’ils avaient ardemment souhaité intégrer les rangs de l’ALN.
Dans ce contexte, un fait doit
être mentionné à l’occasion ; c’est
que ce n’est pas tout les goumiers qui avaient causé du tort
à la révolution dans toutes les
régions d’Algérie. Les récits sur
ceux qui avaient rendu service à
( 64 )
la révolution ne manquent pas, et
le moindre de ses services étaient
de faire tomber de bon gré leurs
munitions pendant les opérations
de ratissage, pour remédier aux
pénuries dont souffraient les maquisards. En contrepartie, ceux
qui n’avaient pas rendu ce genre
de services, avaient au moins
tenu une conduite exemplaire
vis-à-vis de leurs concitoyens,
à l’exemple de celui qui habitait
près d’un poste militaire et qui
n’avait choisi d’être goumier que
pour préserver l’honneur de sa
famille.
En dépit de toutes ses activités, Rezkia jouissait de l’estime
auprès des militaires de la région,
parce qu’ils avaient pris connaissance de son séjour à Paris (on
l’appelait la Parisienne), et qu’elle
servait d’intermédiaire avec les
femmes interrogées et les militaires. Elle avait aussi su comment gagner leur confiance, leur
respect et leur sympathie grâce
à sa gentillesse et à son accueil
envers les militaires qui se présentaient à son domicile dans le
cadre des opérations de fouille
de routine (pour éviter qu’ils découvrent les caches de produits
pharmaceutiques et habillements
militaires). Son fils dit : « Pour
être au-dessus de tout soupçon,
ma mère proposait aux militaires
qui étaient en majorité des jeunes
du contingent de prendre le café,
elle leur exprimait des signes
d’attention et de considération en
leur disant par exemple de faire
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
attention au chien, aux marches
et à d’autres choses ».
Rezkia ajoute: « J’accueillais
gentiment les militaires qui se
présentaient à mon domicile pendant leurs opérations de fouille,
j’avais même une certaine compassion envers ces jeunes Français qui avaient malgré eux laissé
leurs familles pour participer à la
guerre. Je préférais même recevoir dans ma maison un bataillon
de militaires français que de recevoir un seul goumier, car eux
au moins ne fouillaient jamais
dans mes affaires personnelles.
Ça m’est arrivé de gifler un goumier au nom de Larbi B. qui avait
pénétré seul dans ma maison et
qui avait commencé à fouiller
dans mon afniq 21 après lui avoir
signifié que ce meuble ne peut
pas contenir un moudjahid. Il
sortit et revint aussitôt accompagné par un groupe de militaires,
à qui j’avais présenté un récit
précis des faits. Je leur avais dit
aussi qu’ils pouvaient dorénavant
m’envoyer autant de groupes de
militaires français pour fouiller ma maison, mais pas un seul
goumier. Ce dernier avait été
violemment admonesté par son
supérieur. »
4. Le calvaire du centre
Abadie
En 1960, les autorités coloniales
avaient pu avoir connaissance de
l’activité de Rezkia sur la base
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
d’une dénonciation. Elle ne se
souvient plus en quel période de
l’année, alors que son fils Salah,
âgé alors d’à peine six ans, nous
confie qu’il se rappelle une journée bien ensoleillée.
Les militaires avaient encerclé
tout le village au lever de soleil,
ils arrêtèrent Rezkia, Douadi
et Meziane Benyahia, Belkacem Berboucha et tant d’autres.
Lorsqu’ils s’apprêtèrent à l’emmener, elle leur demanda la permission de changer sa gandoura (une
robe) qui contenait un courrier
dissimulé. Arrivés au centre de
la SAS, ils l’accusèrent d’apporter la nourriture pour un groupe
de maquisards. Là, elle dira aux
militaires : « Je vais dans mes
champs pour labourer mes terres
car mon époux est un invalide.
Je n’ai qu’un demi-litre d’huile.
Croyez-vous que cette quantité
peut suffire à nourrir douze personnes ? Celui qui vous a donné
cette information vous a menti,
ou bien c’est bien lui qui faisait
cette besogne, mais pas moi qui
ai déjà vécu en France, pays de
fraternité, d’égalité et de liberté
». Elle sera libérée le jour même,
mais le lendemain matin, elle
sera de nouveau emmenée avec
son époux à pied d’Aït Ouyahia
jusqu’au au siège de la SAS de
Barbacha distant de près d’un kilomètre pour interrogatoire. Son
époux avait déclaré qu’il ignorait
si son épouse activait au profit
des moudjahidines à son insu. Le
couple n’avait pas été torturé ni
( 65 )
maltraité au niveau de la SAS de
Barbacha car « elle avait pu gagner leur sympathie et avait l’air
à leurs yeux d’une femme au-dessus de tout soupçon », nous dit
son fils. On n’avait rien soutiré
à Rezkia et à son époux, on les
transféra alors dans un camion
les mains et pieds liés vers le
camp de torture sis à la ferme
Abadie22 à Bejaia au courant de
l’année 1960.
Le centre d’Abadie, près de
l’aéroport de Bejaia était parmi
les locaux utilisés par les Détachements opérationnels de protection (DOP), où transitaient les
membres de l’ALN et les civils
« appréhendés » et fraichement
arrivés23. Ce centre avait des
cuves utilisées comme cellules.
Les prisonniers étaient mis au
fond des amphores ou cuves à
vin dans une obscurité totale, où
on leur jetait un seau pour leur
besoins, et où ils étaient condamnés à « dormir debout et étouffés par le manque d’aération et
l’odeur de fermentation de la lie
de vin 24 ».
A l’instar de tous les centres
dépendant des DOP, comme
Ilmathen et Cheuillot, les instruments de torture utilisés à Abadie
étaient multiples : la baignoire à
l’eau savonneuse et salée, les Gégènes génératrices d’électricité,
les supplices de la bouteille qui
déshonorent et causent des douleurs et blessures insupportables,
les chalumeaux appliqués successivement sur toutes les parties du
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Guerre de libération
Histoire
Photo récente de Rezkia en compagnie de son fils Salah
corps, l’arrachement des ongles
et bien d’autres. Ces séances de
torture étaient pratiquées par des
experts français ou par des harkis
et goumiers en présence de ralliés ou de prisonniers fraichement
débarqués pour d’éventuelles
confrontations.
Rezkia vivra des séances de supplices horribles qui lui causèrent
des traumatismes incurables.
Rezkia fut déshabillée, frappée,
insultée par ses tortionnaires et
subit l’épreuve de l’électricité. Elle
raconte : « Toute nue, on me fixa
deux pinces d’acier. A chaque
manœuvre sur l’appareil, je voyais
toute la salle traversée par des
images de feu. Chaque manœuvre
était entrecoupée par les mêmes
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questions concernant mon activité, et à laquelle je répondais par
une seule phrase : " Je viens d’entamer mon séjour en France, pays
d’égalité et de liberté et de fraternité", pour tromper mes tortionnaires ou gagner leur sympathie. »
Mais peine perdue ou mission
impossible pour elle, car ses cris
de douleurs se mêlaient certainement aux rires et aux plaisanteries de ses tortionnaires. Ceux-ci
faisaient la même chose avec les
Français engagés aux côtés de
l’ALN. Les scènes de tortures
endurées par Henri Alleg et par
Audin racontées dans le livre La
Question, témoignent de leur
cruauté. Un tortionnaire avait dit
à H. Alleg : «Ce qu’on fait ici, on le
( 66 )
fera en France. Ton Duclos et ton
Mitterrand, on leur fera ce qu’on
te fait, et ta p… de République,
on la f... en l’air aussi… 25 ».
Après une première séance
de supplice à l’électricité, on la
conduisit toute nue dans une cave
obscure ou il y avait un bidon
pour ses besoins et quatre grands
rats qui circulaient tranquillement
autour d’elle. « J’étais restée toute
la nuit dans de froid et figée dans
un même endroit de peur des rats
qui tournaient autour de moi»,
nous confie Rezkia qui n’avait pas
osé nous raconter tous les supplices subis au centre de torture
et qui l’ont profondément traumatisée pour pouvoir reproduire
avec précision les scènes vécues.
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
Mais les séquelles étaient si profondes, qu’elle est devenue depuis
épileptique. Par héroïsme et fidélité, tous ses supplices n’avaient
pas suffi pour trahir ses frères et
la cause nationale, se conformant
ainsi aux consignes de l’ALN de
garder le silence pour épargner
ceux qui avaient échappé à l’arrestation. Rezkia nous confie :
« Au cours de l’interrogatoire,
j’ai nié en bloc toutes les accusations retenues contre moi à savoir
le fait d’avoir apporté de la nourriture pour douze personnes au
maquis. Pour opposer mes dires
avec ceux d’un certain B…, arrêté
au courant de la même opération
et qui avait craqué et avoué sous
l’effet de la torture. On le fit venir
et asseoir en face de moi et il déclara qu’effectivement je lui avais
demandé un jour de préparer un
repas pour douze personnes. Devant lui, je leur disais qu’il mentait, que ce jour-là j’avais reçu l’officier de la SAS de Barbacha dans
mon domicile et je lui avais servi
du café. »
Son époux ayant été aussi interrogé avait déclaré qu’il ignorait tout des accusations portées
contre son épouse et d’une quelconque appartenance à une organisation civile ou militaire, en
justifiant que c’est son épouse qui
gérait toutes les affaires familiales
: à la maison, dans les champs et
dans la ville à cause de son invalidité (il était invalide depuis qu’il
était en France). Les accusations
retenues contre Rezkia auraient
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
pu lui valoir une peine capitale
devant le tribunal militaire, mais
le destin et son nom déjà cité en a
voulurent autrement.
des corvées, et on pouvait chaque
matin rendre visite aux détenus
venant des maquis dans leur cellule. »
Au terme d’un court séjour au
centre de torture Abadie, elle sera
transférée avec son époux au début de l’année 1961 au centre de
détention Tourneaux au Cap d’Aokas26. Cette ferme, appartenant au
colon Tourneaux, fabriquait du
vin et s’est aussi spécialisée dans
les cultures maraichères destinées
à l’exportation en France. Au déclenchement de la guerre, la ferme
fut d’abord transformée en poste
militaire puis en centre de détention. Le centre était commandé
par le tortionnaire lieutenant Martial avec comme adjoint l’adjudant
Magali, pied-noir parlant parfaitement kabyle27. « Au sein de la
prison, il y avait un compartiment
réservé aux femmes et un autre
pour les hommes, et il y avait une
cellule réservée aux prisonniers
des maquis. Aucun homme n’avait
le droit d’accès au compartiment
des femmes, exception faite pour
mon époux qui me rendait visite
de temps à autre», nous dit Rezkia qui enchaine : « Nous étions
douze femmes partageant une
petite salle. A une hauteur de lit,
était aménagé un espace en bois
sous forme d’un large tabouret
couvert d’un ayerthil (tapis fait
d’alfa) que partageaient toutes les
femmes. Chacune de nous avait
droit à une seule couverture noire
(appelée couverture militaire). On
ne nous demandait pas de faire
Rezkia resta quelques mois dans
cette prison dans des conditions
plus au moins normales dans un
milieu familier, entourée de ses
compatriotes et des combattants
pour la même cause. En outre, elle
n’avait aucun souci à se faire pour
ses enfants Ali, Salah et une de
leurs sœurs pris en charge par leur
grand-mère et par la Révolution.
« A cette époque, je ne connaissais rien, et chaque mardi 28 , on
m’envoyait au marché pour apporter notre viande, notre gaz, notre
sac de semoule… On était pris en
charge totalement par la Révolution », témoigne son fils Salah.
( 67 )
Le jour de sa libération à l’automne 1961, on leur donna, à elle
et à son mari, un ultimatum de
vingt-quatre heures pour quitter
le territoire de Bejaia vers Sétif
sous peine d’être arrêtés une nouvelle fois. Ils seront hébergés à Sétif dans la maison de leur propre
fille. Le couple sera rejoint par les
enfants et ils y vécurent jusqu'à
l’indépendance. Rezkia nous
confie qu’elle n’avait pas participé
aux festivités du cessez-le-feu du
19 mars 1962. Son argument ?: «
Ce sont les gens qui avaient des
comportements suspects pendant
la Révolution qui étaient les premiers à prendre les drapeaux et à
courir à travers les ruelles. » Rezkia continuera à accomplir gratuitement son devoir d’infirmière
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Guerre de libération
Histoire
chez elle ou bien en se déplaçant
au domicile des malades surtout
durant la période où la seule infirmière exerçant au centre de soins
de Barbacha fut transférée vers le
village de Feraoun après l’indépendance.
Rezkia N’Bouzid, en acceptant
d’apporter son témoignage de
guerre, avait le souci de lever le
voile sur le combat de la femme
algérienne pendant la Guerre de
libération nationale. En dépit de
toutes les amertumes et les scènes
traumatisantes, en dépit aussi de
toutes les blessures morales, elle
est fière d’avoir pu et su s’opposer
au colonialisme et se battre pour
la liberté. Elle a accompli avec
bonheur son devoir d’infirmière
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au service de la Révolution et
de son peuple sans attendre une
quelconque récompense, et après
l’indépendance, elle a continué
bénévolement sa mission humanitaire.
Par ces modèles d’engagement,
la guerre d’Algérie se révèle une
véritable guerre du peuple et
prouve son ancrage dans la population opprimée. Et dépit du
nombre considérable de soldats
mobilisés et de supplétifs enrôlés, la France n’a pu annihiler son
adversaire qui se régénérait sans
cesse car cet adversaire était un
peuple.
Ce témoignage est d’une importance capitale pour l’écriture de
notre histoire et plus précisément
( 68 )
de la guerre de libération nationale, car celle ci se construit aussi
à partir des traces laissées par les
hommes et les femmes ayant vécu
en marge. Ce moyen pose certes
la difficulté de son interprétation
puis celle de son inscription dans
le récit historique et qui met l’historien devant un exercice très délicat pour la quête de la vérité, car
le plus souvent, tout témoignage
est avant tout un point de vue qui
remet en cause sa propre neutralité. Mais il nous permet de réaliser
clairement les souffrances vécues
durant cette période de l’histoire
et de comprendre un peu mieux
l’atmosphère qu’il y avait à cette
époque.
Dr. Mahmoud Aït Meddour
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
Notes
1- Soldats supplétifs de l’armée française.
2- Les moussebline, appelés terroristes par les Français, étaient les auxiliaires de commissaire politique et l’articulation
entre les populations civiles et les troupes régulières. A la tète des moussebline, on trouve un chef faisant
office d’adjoint de commissaire politique qui assurait en l’absence du commissaire le ravitaillement, le gite, les
renseignements et les sabotages et il pouvait servir de guide en indiquant des traverses sûres.
3- Neil Mac master, « L’enjeu des femmes dans la guerre », dans Abderrahmane Bouchéne, Jean-Pierre Peyroulou,
Ounassa Siari Tengour et Sylvie Thénault, dir. Histoire de l’Algérie à la période coloniale, trad.fr de l’anglais par
Christophe Jacquet, Paris, découverte, 2012 ; Alger, Barzakh, 2012,p.539-546.
4- Nasser Djabi, Kaidi Lakhdar : Une histoire du syndicalisme algérien, Alger, éd. Chihab, 2005, p. 19
5- Nora Benallegue, Algérie : mouvement ouvrier et question nationale 1919 – 1954, Alger, Office des publications
universitaires, 2005,p.301.
6- Couverture traditionnelle décorée.
7- Mohamed Benyahia dit Boulahia est né en 1930 à Barbacha. Après le lycée, il suivit une formation dans la marine
marchande. Au Caire, il rencontrera les responsables de la révolution après le déclenchement de la lutte armée.
En 1978, il fut le maitre d’œuvre de « l’Affaire Cap Sigli » qui lui fit connaitre la torture et une incarcération de six
ans. Il est l’auteur de livre cité en référence.
8- Mohamed Benyahia, op.cit. p. 231.
9- Neil Mac Master, l’enjeu des femmes dans la guerre, p.539-546.
10- Ibid.
11- Djamel-Eddine Bensalem, Voyez nos armes, voyez nos médecins : Chronique de la zone I, wilaya III suivi de
l’épopée de Si H’mimi, Alger, éd. ENAG, 2009, pp. 80-85.
12- Ibid., p.85.
13- Abdelmadjid Azzi, Parcours d’un combattant de l’ALN, Wilaya III, Alger, éd. Mille-feuilles, 2e éd. Rev.et aug.2010,
p.210.
14- Mohamed Saiki, Chroniques des années de gloire : mémoires du capitaine de l’ALN, Oran, éd. Dar el Gharb,
2009,pp. 220-222. .
15- AOM, 1H, 2582/1, Copie des directives et règlement intérieur de l’ALN, trouvés sur le cadavre d’un rebelle abattu
dans le Chebka des Sellaoua (C.M d’Oum El Bonachi, c’est-à-dire Canrobert-zone est de Constantine) le 28
Janvier 1957.
16- AOM, 1H1791/2, Document de service sanitaire sur le règlement du blessé, trouvé le 28 Aout 1957 sur le cadavre
en uniforme d’un rebelle abattu à Tiaret.
17- Elle est sise à la rue Larbi ben M'hidi à côté de la place de Guidon, actuellement pharmacie d’Etat.
18- Mohamed Saiki, op. cit., pp. 223-224. Le commissaire politique était le représentant FLN sur le terrain, dans les
villes et villages. Il était chargé d’organiser et d’éduquer le peuple, de la propagande, de l’information et de la guerre
psychologique (rapports avec le peuple, les prisonniers de guerre, la minorité européenne). Les commissaires
politiques donneront aussi leurs avis sur tous les problèmes de l’Armée de libération nationale et travailleront sous
l’étiquette du FLN.
19- Ouari Bekka, Parcours d’un maquisard de la Wilaya III, zone I, Bejaia, éd. Talantikit, 2006, p.111-112. Le groupe
avait pu neutraliser l’officier ainsi que beaucoup de goumiers, et les autres survivants prirent la fuite vers la forêt,
en abandonnant armes et bagages.
20- Abdelhafidh Yaha, Au cœur des maquis en Kabylie : Mon combat pour l’indépendance de l’Algérie, Récit recueilli
par Hamid Arab, Alger, éd. INAS, 2011, T.1, p. 56.
21- Un meuble en bois d’environ un mètre carré servant à ranger les vêtements et objets de valeur chez les Kabyles.
22- Le camp est devenu à l’heure actuelle un entrepôt appartenant à la Protection civile.
23- Djoudi Attoumi, Chroniques des années de guerre en Wilaya III (Kabylie) 1956 – 1962, T.1, Crimes sans châtiments,
Bejaia, éd. Rym, 2009 , p. 277.
24- Ibid. p. 287 - 288).
25- Henri Alleg, La Question, Alger, Ed ANEP, 2006, p.26.
26- La prison est devenue aujourd’hui une écurie.
27- Djoudi Attoumi, Chroniques des années de guerre… , pp. 278 - 279.
28- C’est le jour de marché hebdomadaire à Barbacha.
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( 69 )
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Guerre de libération
Histoire
Bibliographie
Livres
1. Alleg Henri, La question, Alger, éd ANEP, 2009, 80 p.
2. Attoumi Djoudi, Chroniques des années de guerre en Wilaya III (Kabylie) 1956 – 1962, T.1,
Crimes sans châtiments, Bejaia, éd. Rym, 2009, 385 p.
3. Azzi Abdelmadjid, Parcours d’un combattant de l’ALN, Wilaya III, Alger, éd. Mille-feuilles, 2e
éd. Rev.et aug., 2010, 318 p.
4. Bekka Ouari, Parcours d’un maquisard de la Wilaya III, zone I, Bejaia, éd. Talantikit, 2006, 154 p.
5. Benallegue Nora, Algérie : Mouvement ouvrier et question nationale 1919 – 1954, Alger, OPU,
2005, 498 p.
6. Bensalem Djamel-Eddine, Voyez nos armes, voyez nos médecins : Chronique de la zone I,
wilaya III suivi de l’épopée de Si H’mimi, Alger, éd. ENAG, 2009, 289 p.
7. Benyahia Mohamed, La conjuration au pouvoir, Récit d’un maquisard de l’ALN. (s.l), éd. ENAP,
(s.a), 378 p.
8. Cambon (gouverneur général), Tableau général des communes de l’Algérie au 1er janvier 1892,
Alger, Imp. Pierre Fontana et compagnie, 1892.
9. Djabi Nasser, Kaidi Lakhdar : Une histoire du syndicalisme algérien, Alger, éd. Chihab, 2005,
335 p.
10. Féraud Laurent Charles, Histoire de Bougie, Bejaia, éd. Talantikit, 2013.
11. Mac Master Neil, « L’enjeu des femmes dans la guerre », , dans Abderrahmane Bouchéne,
Jean pierre Peyroulou, Ounassa Siari Tengour et Sylvie Thénault, dir. Histoire de l’Algérie à la
période coloniale, texte traduit de l’anglais par Christophe Jacquet ,Paris, découverte,2012 ;
Alger, Barzakh,2012,p.539-546.
16. Rinn Luis, L’insurrection de 1871 en Algérie, Alger , Adolphe Jourdan, 1891.
12. ROBIN Joseph Nil, « Histoire du chérif Bou Baghla », dans Revue africaine, xxv, p. 343 – 348
13. Saint-Arnaud (Maréchal), Lettre, Paris, Michel Lévy Frères, Libraire éditeur, 1858, t.2.
14.Saiki Mohamed, Chroniques des années de gloire : mémoires du capitaine de l’ALN, Oran, éd.
Dar el Gharb, 2009, 551 p.
15.Veller Auguste, Monographie de la commune mixte de t, Paris, éd. Ibis presse, 2004.
16.Yaha Abdelhafidh, Au cœur des maquis en Kabylie t: Mon combat pour l’indépendance de
l’Algérie, récit recueilli par Hamid ARAB, Alger, éd. INAS, 2011, t.1, 315 p.
Archives :
1. AOM, 1H,2582 /1, Copie des directives et règlement intérieur de l’ALN, trouvés sur le cadavre
d’un rebelle abattu dans le Chebka des Sellaoua (C.M d’Oum El Bonachi, c’est-à-dire Canrobert-zone est de Constantine) le 28 Janvier 1957.
2. AOM ,1H 1791 /2, Document de service sanitaire sur le règlement du blessé, trouvé le 28 Aout
1957 sur le cadavre en uniforme d’un rebelle abattu à Tiaret.
3. AOM, 9 h 16, Rapport de l’administrateur de Oued El Marsa, Oued El –Marsa le 30 janvier 1932.
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( 70 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
COLLOQUE INTERNATIONAL A EL KHROUB
du 20 au 22 Septembre 2014
Dr Boudjemâa HAICHOUR.
Chercheur universitaire,
ancien ministre
« MASSINISSA OU L’éPOPéE
GLORIEUSE DE LA NUMIDIE »
SOPHONISBE ET LA RIVALITE MASSINISSA/SYPHAX
AU CŒUR DE CIRTA
Guerre de libération
Histoire
Le colloque organisé conjointement avec le Haut commissariat
à l’amazighité, auquel j’ai été invité par le professeur émérite
Abdelhamid Aberkane, ancien ministre et P/APC de la ville
du Khroub qui a prononcé son discours d’ouverture devant
l’assistance en langue amazigh et arabe, m’avait séduit par
la qualité des communications. Les Intervenants historiens
archéologues, linguistes venant des universités d’Italie, de
France, des USA, de Grande-Bretagne, de Tunisie, d’Alger,
d’Oran, Constantine etc. ont abordé différents thèmes sur la
construction de l’empire de Massinissa.
S
on modèle moral,
l’archéologie de la
période
libyco-punique, l’ouverture à
la culture punique et
hellénistique, les biens
fonciers des descendants de Massinissa, les armes de protection des
combattants numides, la cosmogonie étrusque, libyque et punique,
et l’évolution de la population du
temps de Massinissa etc. on fait
débuter l’antiquité de l’Algérie vers
le milieu du 1er millénaire en se basant sur les textes d’Hérodote (environ 450 avant J.-C.) bien qu’il n’ait
jamais mis les pieds en Afrique du
Nord. Mais avant Hérodote, on dispose des récits d’Homère poète du
VIIIe siècle av. J.-C. qui donnait du
Maghreb une vision pastorale carrément idyllique et paradisiaque.
LES FILS DE MAZIGH
OU L’HISTOIRE MILLENAIRE D’UNE NATION
L’histoire des Berbères ne
commence vraiment à être
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connue qu’à partir du moment
où ils entrent en contact avec
les Phéniciens, c'est-à-dire lors
de la seconde guerre punique
(-219 à - 201). Constantine
s’appelait jadis Cirta ou (qirta).
Elle exista déjà entre 9500 et
7500 ans. Les inscriptions archéologiques depuis l’âge de
la pierre taillée font état de
sa présence. Avant même que
les Phéniciens la connaissent.
Eux-mêmes, une fraction,
relèvent des Banou Kanâan,
nous rappelle l’auteur du livre
Oum Al Hawadher Fi Al Madhi Wal Hadhar de Mohamed
Almahdi Ben Ali Choughaïb.
Il est précisé que Constantine
selon d’autres sources existait depuis le Xe siècle avant
J.-C. Elle aura ses lettres de
noblesse avec les rois numides
notamment Massinissa, Syphax, Jugurtha, Juba I et Juba
II. Il faut dire que l’historien
constantinois Ahmed Noubïri
d’origine grecque qui a vécu
en Tunisie était traducteur à
( 72 )
la Mahkama de Constantine
depuis (1846 J.-C.=1263H)
Dans son livre sur l’Histoire
de Constantine ’ilaj As Safina
Fi Bahr Qasantina, il dit que «
Béni Can’an » qui descendent
de Palestine vers 1300 avant
J.-C ont rejoint les Numides
et créé la ville de Constantine
vers 1450 avant J.-C. D’autres
affirment que Cirta a été fondée depuis les Caldéens deux
mille ans avant J.-C.
Alors qu’Ernest Mercier dans
son livre Constantine son passé, son centenaire (1837-1937
note que Constantine existait
depuis que l’homme a quitté
les troglodytes pour vivre socialement où se manifestaient
des poètes et écrivains dont
on connait des proverbes de
ce temps que les Fatihine appelaient Constantine ville des
passions (voir la lettre qu’avait
transmise cheikh Omar El
Wazzan en 1541= 948 H).
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
La tombe de Massinissa
GUERRES PUNIQUES ET
ROLE POLITIQUE ET MILITAIRE DE CIRTA
Constantine a joué un rôle politique et militaire durant les trois
guerres puniques entre Carthaginois et Romains qui ont duré plus
de cent ans, soit de 264 avant J.-C.
à 146 avant J.-C. qui aboutissent
à la chute de Carthage la Phénicienne. Le nom de Cirta apparait
dès le troisième siècle avant J.-C.
et le doit à l’Empereur Constantin
en 308 J.-C.
L’immense royaume du Roi Syphax allait de la Moulouya au cap
Bougaroun à Collo, comme l’écrivait Strabon. Polybe, Tite-live, Ap-
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
pien d’Alexandrie ignorent complètement l’ascendance généalogique
de Syphax. Des mausolées, on y retient celui de Madracen entre Batna
et Aïn M’lila (IIIe siècle avant J.-C.)
aux confins des Gétules. Il y avait la
capitale Siga (Takembrit) à l’embouchure de la Tafna et Cirta l’actuelle
ville de Constantine.
Syphax ne pouvant rester neutre
dans le conflit Rome Carthage, il se
propose de s’allier avec Rome pour
se défaire de la tutelle punique,
mais reste toujours allié à Carthage
qu’il craignait plus que les autres.
C’est en s’assurant définitivement
cette alliance que Carthage propose
à Syphax, déjà plusieurs fois père, le
mariage avec la jeune et très belle
( 73 )
Sophonisbe, de Hasdrubal. Celle-ci
était déjà promise à Massinissa.
Massinissa s’allie avec Scipion
pour venir à bout et vaincre Syphax.
C’est à Cirta que Massinissa fait
prisonnier, en guise de revanche,
Syphax et le livre à Scipion pour un
exil en Italie. Massinissa rentre en
vainqueur dans Cirta. Il pardonnera à Sophonisbe en l’épousant avec
la promesse de ne pas la livrer aux
Romains.
SOMMET DE LA GLOIRE
DE MASSINISSA
Massinissa fut un Aguellid des
Imazighen débordant d’ambition
et plein d’ardeur guerrière. Alors
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Guerre de libération
Histoire
Carte de l'Est de la Numidie
que Rome soutenait Syphax, Gaïa
s’allie aux Carthaginois leur fournissant en contrepartie de leur
protection des troupes que le
jeune Massinissa commandait en
Espagne tout en voyageant fréquemment en Afrique du Nord.
La guerre déclarée tourne en faveur des Romains.
Les Carthaginois furent battus
et perdirent toutes leurs possessions et biens en Méditerranée.
C’est ainsi que les convoitises
des Romains sur La Numidie
semblent être projetées. Le général Scipion qui commandait les
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
troupes romaines en Espagne
voulait s’assurer du soutien des
royaumes numides. Scipion, ayant
gagné en secret l’amitié de Massinissa, tente de convaincre Syphax
de s’allier. Ce dernier ayant eu
vent de ce double jeu de Scipion
prend partie avec Carthage. Gaïa
mourut et le trône revenait selon
le droit d’ainesse à Massinissa
après que ses frères aînés étaient
morts.
Massinissa quitte l’Espagne à la
tête d’une troupe de cavaliers. Syphax chassa Massinissa et annexe
le royaume Massyle. Massinissa
( 74 )
prend le maquis tout en continuant avec ses fidèles à harceler
Syphax.
ALLIANCES CONTRE
NATURE SYPHAX/
MASSINISSA
Le Romain Scipion décide d’en
finir avec Carthage et s’allie avec
Massinissa. La bataille des grandes
plaines finira par la victoire des
forces alliées de Massinissa et de
Scipion.
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Guerre de libération
Histoire
Syphax engage une dernière
tentative contre Massinissa mais
ce dernier l’emportera grâce à
l’apport des Romains. Syphax sera
arrêté et enchaîné. Il sera conduit
face aux murs de Cirta.
Hannibal qui termine la bataille
d’Italie s’allie avec Vermina, fils et
successeur légitime de Syphax qui
envahissent ensemble le Royaume
des Massyles. La bataille de Zama
fait rage et sera remportée par
Massinissa et Scipion.
Le traité fut révisé et la Cité
punique dut restituer à Massinissa
tous les territoires qui avaient été
arrachés à ces ancêtres. Hannibal
se révolta en s’opposant au traité
mais sera menacé d’être livré aux
Romains. Il s’enfuit alors en Syrie
et se suicidera en 143 avant J.-C.
Longtemps après la fin de
Carthage, l’influence punique et
grecque jouera un rôle important dans la vie des Numides. Un
demi-siècle de règne de ce grand
Aguellid Massinissa par l’annexion du royaume de Syphax et
l’extension de son territoire allant
de la petite Syrte à la grande à
l’Est tout en rajoutant vers le Sud
la région des Gétules.
Avec la troisième et dernière
guerre punique, Carthage connaîtra la destruction et la ruine en
– 146. Massinissa mourra deux
ans plus tôt laissant trois héritiers
légitimes. N’ayant pus régler le
problème de sa succession, c’est le
général romain Scipion Emilien
qui s’en chargera.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
UNE TROIKA POUR
GOUVERNER LA
NUMIDIE
Cette question a fait l’objet d’un
débat qu’un roturier s’ingère dans
une affaire de souveraineté. Quel
en est le secret? Plutôt d’introniser
l’aîné de ses trois enfants Miscipsa,
Scipion préfèrera démembrer le
pouvoir royal en le partageant ainsi :
Miscipsa à l’administration, Gulussa
aux armées et Mastanabal à la Justice.
Si la Numidie avait gardé son
indépendance, il n’en demeure pas
moins que Rome avait l’œil sur ce
grand pays et se méfie de la montée en puissance des Berbères. L’influence culturelle punique restera
forte notamment la possession des
riches bibliothèques qui ont échappé à l’incendie.
Massinissa qui était mort en
-148 avait gardé des liens forts avec
Rome par le biais de Scipion Emilien qui n’a rien à voir avec Scipion
l’Africain. La capitale romaine envoie donc ce Scipion Emilien pour
infléchir sur les décisions numides
et l’affaiblir à des fins de scission du
pouvoir. On devine bien les arrièrepensées de Rome pour garder une
forme de suprématie sur la Méditerranée. D’ailleurs, la Numidie va
devenir le grenier à blé de Rome.
On se posait la question à savoir
pourquoi Rome ne s’est pas pressé
d’occuper le Maghreb. Il faut dire
que Miscipsa fournissait des troupes
à Rome dans ses conquêtes en Hispanie, Macédoine et la Grèce, les
Celtes, la Gaule Narbonnaise…
( 75 )
Même Jugurtha, dans ses six années de guerre contre les cohortes
romaines, ne déclenchera pas l’invasion de la Numidie.
SOPHONISBE/ MOURIR
QUE D’ETRE CAPTIVE
Massinissa est considéré comme
l’unificateur et l’initiateur de progrès de la future Algérie. Il régna
pendant 54 ans avec une flotte
importante et une armée puissante. Jugurtha sera, quant à lui,
résistant contre tout envahisseur.
Scipion ordonna à Massinissa de
la lui remettre en tant que prisonnière politique. Préférant la mort
à la captivité, c’est en reine qu’elle
mourut, une coupe de poison à la
main.
C’est à travers la pièce théâtrale
Sophonisbe, mise en scène par
Pierre Corneille que nous connaîtrons le dénouement de cette
tragédie. Avant lui, Jean Mairet
s’inspire de trois historiens de
l’Antiquité tels Tite-live, Polybe et
Appien d’Alexandrie, auxquels il
faut ajouter l’adaptation la Sophonisba de Gian Giorgio Trissino, la
« Carthaginoise » de Montchrestien, la « Sophonisbe » de Montreux sans oublier le chant V de «
l’Africa » de Pétrarque. Toutes ces
adaptations travestissent l’honneur des Aguellid Numides.
L’Abbé d’Aubignac, homme célèbre de son temps, législateur en
littérature dans une lettre adressée à Mme la Duchesse de Retz,
amie de Pierre Corneille accusant
la tragédie de Pierre Corneille,
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Guerre de libération
Histoire
s’indigne : « Vous êtes abandonnés à une ville dépendance des historions … Vous insultez le mérite
et la vertu… »
Cette pièce devrait être reprise avec une adaptation algérienne sans transgression de l’histoire que
les auteurs latins ont voulu l’écrire répondant à
leur vision. Azzedine Mihoubi est le seul Algérien
qui avait écrit cette tragédie sur Massinissa, jouée
par le Théâtre de Constantine une pièce mériterait
d’être plus captive et historiquement plus fouillée.
C’est l’histoire sublime des rois numides autour
de Sophonisbe, reine carthaginoise partagée entre
la fidélité conjugale et l’amour de la patrie. Elle est
une héroïne dont le destin a fait d’elle une femme
politique de son temps.
Dr Boudjemâa Haichour
BIBLIOGRAPHIE :
1- Ernest Mercier : « Constantine, son passé, son centenaire 1837/1937 Editions Braham 1937- Recueil
des notices et mémoires de la Sté Archéologique depuis 1853.
2- Med Al Mahdi Benali Choughaïb : “ Oum Al Hawadhir Fi Al Madhi Wal Hadhar” Imprimerie Al Baâth
Constantine.
3- A.Marion: “ L’épopée des gorges du Rhumel” editions la Dépêche de Constantine.
4- Nacer Boudjou : « Communication les Rois Numides donnée dans le cadre du Film Berbère à Haucourt
St Charles.
5- Maâmar Benzeggouta : « Cirta-Constantine de Massinissa à Ibn
Badis – Trente siècles d’histoire».
6- Ouvrage collectif : « Cirta-Constantine de 1836 à 1962 » Montpelier ACEP 2001.
7- Elisabeth Fechner : « Constantine et le Constantinois » éditions Calmann-Lévy.
8- Jacques Gatt : « La France de 1837 à 1962 » –T1,T2,T3. Montpelier.2002/2003.
9- F.Zohra Guechi : « Une ville- des Héritages » éditions Média plus Constantine.
10- Isabelle Gringaud : « Une ville imprenable » Editions Média plus-Constantine 2004.
11- Marc Cote : « Constantine- Cité antique et ville nouvelle » éditions Média plus Constantine 2006.
12- Badredine Mili : « La Brèche et le Rempart » Chiheb éditions Alger- 2009.
13- Pierre Corneille recueil de pièces théâtrales.
14- Jean Mairet recueil de pièces théâtrales.
15-A bderahmane Khelifa : « Cirta- Constantine, la Capitale céleste » éditions Coloset6 Janvier 2011.
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( 76 )
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Dr Boudjemâa HAICHOUR.
Chercheur universitaire,
ancien ministre
El BOUGHI OU NEDJMA
du Chantre Djaballah
El BOUGHI OU NEDJMA
SUR POEME ROMANESQUE
CHANSON DU TERROIR
Femme noble et mœurs amoureuses dans la Médina.
El Baghaï drame chanté comme un hymne d'amour.
Nedjma ou femme sur poème romanesque.
Par Dr Boudjemâa Haichour
Chansons du Terroir
Histoire
Peut-on considérer El Boughi comme une tragédie du siècle passé ? Nedjma l’héroïne de Constantine et Djaballah le barde d’Annaba ont-ils gardé
leur secret dans une ville où s’impose un code de conduite ? Le charme et
la pudeur dominent leurs cœurs. Cette chanson du terroir n’a-t-elle pas inspiré Kateb Yacine dans son roman Nedjma, lui qui a vécu sa jeunesse entre
Constantine et Annaba ? Cela reste à prouver.
La qasida d'El Boughi ou El Baghaï qui veut dire selon le dictionnaire encyclopédique Lissan el arab " le mal " et d'autres significations telles que " la
prière contre le mauvais œil ". Mais dans le contexte de la chanson, El Boughi veut dire celle que j'aime, que je préfère.
Ce poème raconte une relation passionnelle entre le sacré et le profane de
deux êtres qui s'aiment dans toute la pudeur sentimentale de la " horma ". Il
s'agit au travers de la chanson d'El Boughi . un" mahdjouz" (poésie dite vulgaire) tiré du recueil des chants populaires de Constantine dont le poème à
lui seul décrit d'une manière intense cette liaison écartelée entre la passion,
le sublime et le platonique à la limite du romanesque
Nedjma : héroïne
fascinante et
séduisante
Marqué par le désir d'un amour
chaste, l'auteur, le chantre Djaballah
venu d'Annaba vers 1840 à Constantine, décrit avec un rare style dans
cette poésie vraie, Nedjma, cette
héroïne fascinante, séduisante dont
la sensibilité pousse à casser les
interdits d'une société attachée à
un certain ordre de valeurs et de
mœurs. La cristallisation auteur de
la personne rend la beauté plus expressive au seul désir de l'individu au
plus grand plaisir possible. Entre la
rêverie, le réel et le vérifiable, cette
impossibilité amoureuse que nous
allons raconter à travers la chanson d'El Baghaï se profile l'épisode
amoureux du romanesque le plus
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
traditionnel, celui de l'« amour de
loin », l'amour respectueux, l'héroïne
chaste Nedjma et le poète Djaballah
qui se sont aimés dès la première
vue, qui se sont adorés, où le code
de l'amour dans Constantine du début du siècle passé régente le comportement et les mœurs.
EL BOUGHI :
UNE IMAGE FIDELE
DE LA SOCIETE
CONSTANTINOISE
El Boughi nous présente une
image fidèle de la société du temps
avec ses croyances, ses interdits,
ses usages, de la veille Médina de
Constantine avec ses quartiers dont
celui de la casbah au nord de la ville
où va se dérouler l'histoire de cette
liaison amoureuse de Nedjma de
( 78 )
Djaballah. A peine quatre ans après
la prise de la ville par le colonialisme français, un certain vendredi
13 octobre 1837, où les généraux
Négrier et Galbois se sont succédé,
le duc Ferdinand Philippe d'Orléans
une année après, s'emploie à asseoir
l'autorité sur une ville rebelle qui a
livré bataille aux plus grands généraux des guerres napoléoniennes
dont nombreux périrent comme Lamoricière, Danrémont … face à la
résistance farouche de la population
de Constantine sous la direction de
Hadj Ahmed Bey.
C'est dans cette atmosphère que
le chantre Djaballah rejoint la ville
aérienne où la vie des corporations
telles les Attarine (parfumiers), les
rakkakine (parcheminiers), les saradjine (les selliers) et les sébaghine
(les teinturiers) etc. crée une am-
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Chansons du Terroir
Histoire
biance bonne enfant depuis Souk el
Ghezel (laine filée) près de Dar El
Bey à celui de Souk El Acer, autrefois Souk El Djemâa au voisinage
du quartier juif de Charâa.
CHEIKH EL BLED
BELBDJAOUI MED
ET LA BATAILLE
DE CONSTANTINE
La mort de Cheikh el Bled Mohamed Belbdjaoui (le maire) lors de la
bataille de Constantine contre les
Français, laisse la place à cheikh el
islam Bencheikh Lefgoun M'hamed dont le fils Hammouda Bencheikh Lefgoun prend la gestion
de la ville. Le Maréchal Valée veut
que Constantine reste une ville
arabe contrairement à Skikda dont
le nombre d'européens qui se sont
installés était de 1700 alors que
Constantine n'avait que 200 Européens en 1840. Ce nombre augmentera en 1842 pour s’élever à 615 dont
428 hommes, 119 femmes et 68
enfants, alors que celui des musulmans était de 16000 habitants qui
étaient 30.000 en 1836.
SALAH BEN EL ANTRI,
HISTORIEN DES BEYS
DE CONSTANTINE
Le Duc d'Aumale charge le khodja Salah Ben El Antri, fils du négociateur de Hadj Ahmedk d'écrire la
monographie des beys de Constantine, qui parut pour la première fois
aux imprimeries Guedj sous le titre
de Essai de l'Histoire de Constantine. Au moment de l'arrivée du
poète Djaballah à Constantine, la
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
ville avait une population musulmane de 15 552, une communauté
juive de 3105 et 840 Européens
dont 618 Français.
ALEXANDRE DUMAS EN
1846 A CONSTANTINE
C'est sans doute à la même période
du voyage d'Alexandre Dumas en
décembre 1846 à Constantine, dont
il retrace avec humour dans un de
ses romans le Véloce – nom du
navire de guerre qui a été mis à sa
disposition – le panorama de la ville
où il fut saisi d'admiration à l'aspect
de cette ville aérienne qui donne le
vertige pour celui qui la découvre
assise sur son antique Rocher que
serpente le Rhumel, que Djaballah
rencontre la belle Nedjma, cette fille
de bonne famille de la souche citadine de Constantine.
EL BOUGHI : POEME
REFLET DE L'AME
HUMAINE
Reflet de l'âme humaine, l'œuvre
du poète Djaballah montre manifestement comment cette langue
du peuple peint ses personnages où
on ne peut ranger les vers de cette
qacida dans aucun des seize mètres
de prosodie arabe El Aroud. Ce
genre de poésie est rebelle à toute
règle de versification. Dans sa poésie, El Boughi est libre de ton, de
forme, car elle s'adresse au cœur et
à l'oreille dans son lien étroit à la
musique. Rythme musical et rythme
poétique s'y associent en une véritable communion.
( 79 )
DE BATHAT SIDI
CHERIET A LA CASBAH
DE CONSTANTINE
Mais avant de passer à la qacida
elle-même ne faut-il pas rappeler
quelques traits biographiques du
poète. Djaballah Ben Saâdi El Annabi est né vers les années 1827 dans
le quartier de Bathate Sidi Cheriet
(place d'armes). Après avoir fait les
études coraniques à l'école Sidi Khélif, à l'âge de douze ans, il perdit son
père et fut masseur de bain maure
avant de devenir épicier. C'est alors
qu'il fut pris en charge par une famille aisée, les Snani. Au contact de
ses nouveaux parents adoptifs, qui
sont d'ailleurs versés dans la musique andalouse, eux-mêmes compositeurs de centaines de m'dayah
(sorte d'hymnes au prophète et aux
awliya As Salihine saints) dont Sidi
Brahem et Sidi Fadloune), Djaballah apprit à connaître les modes et
les règles qui régissent la Nuba.
DJABALLAH UN
CHANTRE, UN FIN
ARTISTE
Sous la direction de l'un d'eux,
cheikh Seghir, ses récitals ont été
à un tel point de virtuosité, que les
voisins venaient entendre la pureté
de sa voix et son luth dont le frémissement des cordes suscitait tout
un enthousiasme. C'est ainsi que
Djaballah apprenait le zadjal, le
hawzi et surtout le mahdjouz dont
il devient à 25 ans un maître incontesté dans la manière de manier
l'archet du violon. Il formera un or-
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Chansons du Terroir
Histoire
chestre et ira en Tunisie. Vers 1850,
il reprend les chants du Hawzi et
compose de nombreuses mélodies
et quelques qacidate considérées
comme des chefs-d'œuvre puisque
transcrites dans un diwan introuvable aujourd'hui.
Il devient célèbre et quelques mois
plus tard, il entreprend des voyages
répétés qui le retinrent à Constantine. Alors qu'il était couturier de
pantalons genre « golf », là dans la
ville d'Ibn El Quenfoud, de Malek
Haddad et du Kablouti Kateb Yacine dont nous reviendrons à son
œuvre Nedjma, les milieux cultivés
de Constantine remarquent son génie et il était rare que son orchestre
ne restât une nuit sans activité.
LE COUP DE FOUDRE
DE DJABALLAH
C'est dans l'une de ces occasions
que Djaballah eut le coup de foudre
pour une jeune fille de haut rang
et qu'il décida de ne plus quitter
Constantine. C'est cette passion qui
est admirablement décrite comme
nous allons le voir dans la qcida El
Baghai qui, plus d'un siècle et demi
après, est merveilleusement chantée
dans ce genre aroubi du mahdjouz
constantinois.
En voici quelques extraits que je
traduis de ce beau poème du chantre
Djaballah.
« Par ton amour je brûle de passion
Tu m'as blessé ô cils colorés
Je te suis en délirant
Après avoir oublié mes maux
Moi qui, me suis repenti des filles
et du vin
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Me disant à moi de retrouver Dieu
A qui je dois transmettre mon salut ?
Un messager m'apporta la nouvelle
M'informant de ce qui se trame
Me laissant dans le profond de mes
inquiétudes
Mon esprit troublé
N'a pas trouvé de patience
Et de mes yeux coulant de larmes
Je fus emporté
Adieu je me ressaisis. »
EL BAGHAI OU BOUGHI :
UN MAHDJOUZ AROUBI
CONSTANTINOIS
Dans cette première partie de
ce mahdjouz, qui est fondamentalement le genre par excellence de
l'école andalouse de Constantine,
l'auteur Djaballah nous annonce
l'être désiré, l'être fantasmé. Le
rythme sera marqué par les plaintes
qui exaltent une promesse tenue
d'amour impossible où le cœur
reste fidèle malgré les barrières de
la horma, critique véhémente des
contraintes et des traditions. La
symbolique devient le code des
expressions sentimentales entre le
poète et son amour platonique.
LE LANGAGE
POETIQUE PROFANE
DANS NEDJMA
Chez les poètes arabes, l'imaginaire est parfois un réel qui produit un sens. Le sacré est-il dans sa
genèse même une consécration du
profane ? Ce langage poétique qui
émeut, qui charme l'esprit et attendrit le cœur, nous le retrouverons
( 80 )
chez les deux poètes de Tlemcen
Ibn Amsaib et Ibn Sahla ou encore
Ibn Triki où les sentiments agitent
l'homme et la femme dans la joie et
dans la douleur.
D'ailleurs Ibn Amsaib poussa l'audace jusqu'à chanter la beauté et la
grâce d'une des femmes du caïd turc
de Tlemcen à cette époque (1750) et
vit s'ouvrir devant lui les portes de la
prison pour quelque temps. Il ne se
remit en liberté que grâce à l'intervention de parents et d'amis puissants qui le sauvèrent en l'envoyant
à Meknes jouissant de l'estime et de
la considération des fils du sultan
Moulay Ismail.
SOPHONISBE, HAYZIA,
MEDJNOUN LEILA,
NEDJMA DE DJABALLAH
Revenons au poème du dhantre
Djaballah dans ce qui va suivre et
les combats et les tensions qui vont
naître de sa relation amoureuse avec
Nedjma dans cette belle pièce du
répertoire du mahdjouz. On se demande si Kateb Yacine a écouté de
son temps la chanson El Boughi et
que la figure de Nedjma, héroïne de
son roman ne serait pas cette femme
fatale et impossible à conquérir.
Si la chanson d'El Boughi raconte
l'histoire vécue d'un amour impossible entre le poète et son amante
dont le cadre se situe dans l'espace
géographique de Constantine à
Annaba, l'on comprend aisément
que Kateb Yacine, dont les ancêtres
sont les Kablout, a passé sa jeunesse
comme le fut Tahar Ouettar, Ahlam
Mosteghanemi, Rachid Boudjedra,
Malek Haddad et tant d'autres in-
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Chansons du Terroir
Histoire
fluencés qu’ils étaient par les récits
des gouals ou encore les chants venus des profondeurs des fondouks,
véritables sites de convivialité où on
s'embaumait de zadjel, mahdjouz et
malouf.
NEDJMA : UNE
ANTIGONE DES TEMPS
MODERNES
D'ailleurs Kateb Yacine désigne
Nedjma comme une Antigone
des temps modernes. Peut-être la
Sophonisbe de Massinissa, Hayzia
de Ben Guitoun, Nedjma est cette
braise, cette figue féminine qui
traduit un certain désir inassouvi
comme nous retracent ces vers traduits pour l'occasion :
« Celui qui comprend ce message
m'écoute
Je vous avoue ce qu'adviendra à
celle aux yeux noirs
D'une rencontre amoureuse avec
l'amante dans cette vie
Ne pouvant jamais révéler ce secret ô ami !
Je vous raconte mon histoire et la
cause du refus
Je descendis au jardin, mon esprit
envoûté par les chansons
Je trouvais un groupe d'amis
joyeux me conviant
Me priant de les joindre à pas
pressés. Je le fis.
Que d'amis célèbres affairés
Venus tous de différents coins
réunis.
Et chacun brandit son salef ô
frère !
Et moi chagriné mes larmes cou-
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
lèrent
Au même moment mes pieds
n'avaient plus de mesure
Leur disant que mon âme était
troublée
Je m'allonge à l'instant et dormis
au regard du sablier
Puis je pris congé et courus vers
la bien-aimée.
J'escaladais le rocher vers la Casbah où habite l'amante
J'ai frappé à la porte et vint celle
aux yeux noirs »
LA FLAMME, LA
PASSION ET LES RUBIS
SUR TRESSES
« Je suis venu me consumant dans
sa flamme
Acceptes-tu de m'offrir le gage qui
doit me combler ?
Rien ne conviendrait mieux ditelle
Qu'une mèche de mes cheveux !
Prends-là et va la monter avec fierté à tout amoureux
Me la tressant avec des perles précieuses
Mettant deux rubis ondoyants
comme un éclair
Me la lançant attachée à sa ceinture
Tel un reptile je m'éloignais à la
hâte
De retour auprès de mes amis
Je ne pouvais être blâmé
Où étais-tu passé ô ami ! me demandaient-ils ? »
Et dans la Tawrida qui est une
sorte de stance, le poète répondit
comme dans une poésie courtisane du rêve et du réel à ses
camarades qui buvaient à plaisir
( 81 )
et se racontaient leurs exploits
respectifs, l'expérience intime de
chacun d'eux de leurs sentiments
amoureux.
« Je leur ai dit, que je me suis emporté dans mon rêve
Comme par vagues, mes pensées
dans une mer,
Recevant du corail à flots
Car la mer est plus profonde
Faisant à nouveau la tournée des
verres de vin
Et jetant la mèche et son chagrin
d'amour
En recevant d'elle le tendre amour
Et la natte de Nedjma ô yeux noirs
Surprenant ces gens
A celui qui prend l'initiative des
femmes
Garde ton secret, tu trouveras la
nouvelle
Tu es dans toute la félicité, ô égaré !
Tu as exhibé ce qui était habillé
Avant toi, que de gens furent
trompés ?
Reprends-toi à ces heures
Que ton corps ne puisse être déchiqueté
Au nom de Dieu, ô noirs habits ! »
NEDJMA OU LE CODE
DE CONDUITE DE LA
SOCIETE CITADINE
C'est dans le récit rapporté à travers l'oralité que nous avons appris,
tant soit peu l'histoire de cette relation de Djaballah avec une fille
citadine constantinoise nommée
Nedjma B., mariée sans amour à
un de ses proches dans tout ce qui
caractérise la société citadine des
grandes familles de l'époque qui ne
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Chansons du Terroir
Histoire
donnaient leurs filles qu'à des gens
de leur rang, comme le cas à Tlemcen, Blida et Mostaganem.
C'était le temps où Constantine
n'était qu'une bourgade où tout le
monde se connaissait et la moindre
information était vite répandue dans
la ville. Le poète parlait dans la qcida du sablier, sorte d'horloge fonctionnant au sable et donc mesurant
un temps déterminé. Les croyances
et les rites traditionnels faisaient que
lorsqu'un enfant venait tardivement
de naitre dans une famille, après des
années d'attente, la famille du nouveau-né sillonnait les rues du quartier avec leur hrim (harem ) pour
quémander, afin de préparer un
repas à offrir aux pauvres gens soit
à la mosquée, soit au niveau de familles à revenu modeste. C'est ainsi
que l'enfant naquit chez Nedjma B.
cette fille connue de Constantine.
Alors on se précipite pour mendier
dans les ruelles de la Cité. C'est en
passant près du tailleur de pantalons
de golf dit Hawka nommé Djaballah
et qui n'est que le Chantre dont on
parlait que le Hrim reçut des mains
de ce dernier tout l'argent qu'il avait
épargné ce jour.
EL BAGHAI :
LE PARDON DE L'OFFENSE D'UN AMOUR
IMMORTEL
« Tous les pleurs ici sont des offrandes et, heureux, leur bonheur
se féconde dans l'au-delà à l'ombre
d’un amour immortel. Homme prêt
à mourir, te voilà payant de ta passion que rejoignit une femme des
grands jours. Et quelle que soit la
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haine de l'amour, il y aura toujours
le pardon de l'offense et dans repentir naîtra une nouvelle innocence.
C'est dans cette relation chaste et
saine qui embaumera les âmes qui
respireront le parfum d'Eden. Et
dans ce long sommeil, la paix sera
la volupté renouvelée qui donnera
un sens à l'autre vie éternelle. »
« Nedjma Ya Nedjma Ma Baqa lak
aswab tloumi alya
Rani aghdit fachnayâa Wal Batal
Atbaqaye bel kheir yali mathouma
biya
Hadha akhar awdaâna, wal wâad
akmel
Karhouni ya azizet khatri nassek
bi ghdaya
Malahoum qordha khalfna wala
mchaghel
Adhaou qatli qawm al hsoud chafaya fiya
Law manti manatakrah fi sabet
rajel »
El Boughi est un poème du drame
et Sophocle définissant la tragédie comme la mise à nu du destin.
El Boughi est comme « cette totalité de vision expressive de pures
formes et instaurées entre la féminité peinte qui a l'âge de l'obsession
plastique « Issiakhimienne» et le
texte de djaballah semblable à celui
calligraphié qui a l'âge de l'obsession
poétique dans l'écriture katébienne
» avec femme sur poème. Nous ne
sommes pas dans le factuel mais
dans la densité de deux récits de
vies entrecroisées dans l'histoire et
dans l'art qui émergent comme chez
Issiakhem dans la toile, Djaballah
dans la qcida d'El Baghai.
( 82 )
EL BAGHAI :
OBSESSION POETIQUE
ET ISSIHKEM ET
ECRITURE KATEBIENNE
El Boughi reste un classique du
répertoire constantinois qu'avaient
chanté chacun dans le style qui le
convient notamment cheikh Raymond, Hadj Mohamed Tahar Fergani, Abdelmoumen Bentobbal
Hasen El Annabi … ainsi qu'une
pléiade de jeunes talents, et ils sont
nombreux à Constantine et Annaba.
Le poème d'El Boughi a été pour la
première fois traduit et commenté
par mes soins il y a de cela dix-huit
ans en décembre 1996. La chanson
d’El Boughi a été adaptée et mise
en scène dans une pièce théâtrale de
Constantine du TRC sans se référer
à ce texte chronologique et historique que j’ai remis en son temps
à son directeur. De même à partir
de mes travaux, cette chanson d’El
Boughi fut inspirée par Nassima
Bouslah dans sa thèse de magister
en 2009 sous le titre « Jadaliet el hob
wal mawt fi quisset El Boughi » (la
dialectique de l’amour et de la mort
à travers la chanson d’El Boughi)
où elle n’a pas manqué de me citer
dans ses références.
Mais aujourd'hui à l'occasion de
« Constantine, capitale de la culture
arabe 2015 », après avoir présenté
la chanson Galou El Arab Galou,
j'offre aux mélomanes une partie
modeste de ce travail de recherche
pour situer le contexte historique
mais aussi parler de nos chantres,
encore méconnus par les générations.
Dr Boudjemâa HAICHOUR
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Dr Boudjemâa HAICHOUR.
Chercheur universitaire,
ancien ministre
CHANSON DU TERROIR
« MAHZOUN ZEIDANE
DE SALAH BEY »
Dans Galou el arab galou (les Arabes ont dit)
Par Dr Boudjemâa Haichour
Chansons du Terroir
Histoire
L
e
Transrhumel,
viaduc du futur
qui marque le paysage de « Constantine, capitale de la
culture arabe 2015
», a été inauguré récemment par
le Premier ministre Abdelmalek
Sellal au nom du président de la
République Abdelaziz Bouteflika
et baptisé pont « Salah Bey » en
hommage à celui qui fut bey de
Constantine
Voilà un bey tant aimé par sa
communauté puis haï ou trahi par
les siens. Il s’agit de Salah Bey Ben
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Mostefa né à Smyrne en 1771 et
mort à Constantine le lundi 20 août
1792 (Moharem 1207). Il arrive à
l’âge de 16 ans à Alger après avoir
commis un meurtre sur un proche
parent en Turquie. Le voilà engagé
dans la corporation des janissaires
parrainé par Ahmed Bey El Kolli
dont il devient le gendre, le gaïd
puis le khalifa enfin le bey dont il
reçut l’investiture des mains de ce
dernier.
Son fondé de pouvoir et gendre
Ahmed Zouaoui Bendjelloul par
son dynamisme a été digne de la
plus haute confiance en prenant
( 84 )
en charge la gestion des biens du
bey Salah. Salah Bey, n’ayant eu de
son épouse qu’une fille, épousera
en secondes noces une citadine
de Constantine dont il aura d’elle
deux garçons, Hamouda et Hosseïn. C’est toujours dans la série
des textes commentés et traduits
de notre patrimoine qu’aujourd’hui
à travers cette oraison funèbre ou
thrène, que nous retraçons et nous
décrivons au travers de Galou El
Arab Galou, la fin pathétique de
Salah Bey.
Au-delà de ce chef-d’œuvre de la
poésie populaire, jamais une aussi
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Chansons du Terroir
Histoire
belle pièce du terroir n’a pu envoûter les mélomanes et les hommes
politiques que celle de la qaçida
Galou el Arab Galou, chanté dans
le répertoire de l’école de Constantine dans le mode mahzoun zeidane, en fait une oraison funèbre
(marthia) écrite en hommage à
celui qui fut Bey de Constantine
durant 22 ans, soit le plus long
règne des beys qui se sont succédé
dans le Beylicat de l’Est .
Cette chanson dédiée à Salah
Bey, après qu’il eut une fin pathétique et émouvante, a été écrite par
un goual anonyme arabe, selon une
version alors que nombreux sont
ceux qui la renvoient à la communauté juive de Constantine, plus
précisément une courtisane juive
nommée Oumaïma, maîtresse de
Salah Bey, en guise de reconnaissance à celui qui leur donna un
statut de Ahl dhimma, en les installant dans le quartier de la vieille
ville appelé Charâa, alors que cette
communauté était dispersée loin
du centre urbain.
SALAH BEY ET
LESTATUT DE LA
COMMUNE JUIVE
En cédant aux juifs les terrains
qui s’étendent au-delà entre la
porte d’El Kantara et le ravin près
de Charâa, il les regroupa dans ce
quartier qui devient le quartier
juif de Constantine loin de Bab Al
Djabia.
Dans une dédicace de la medersa
de Sidi El Kattani qui fut achevée
en 1775 et la mosquée en 1776,
refouillée en caractère naskhi dans
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
une cartouche de plâtre coloriée
que l’on voit au-dessus des tombeaux de la famille de Salah Be,
on peut lire :
« Le siècle fut heureux, grâce à
celui qui répandit ses bienfaits sur
les musulmans, mais aussi le siècle
ajouta de l’éclat à sa gloire. C’était
un prince dont l’équité surpassait
les bonnes œuvres, et qui préféra
une récompense dans l’autre vie au
bonheur d’ici bas.
Il fit revivre la science tombée
dans le néant, et lui bâtit une maison dont la construction lui fait le
plus grand bonheur, ce n’est point
une maison, c’est le sanctuaire
de l’instruction avec son auréole
resplendissante. Pourquoi non,
puisque en réalité c’est une perle.
Celui qui l’a édifié, c’est Salah,
l’illustre guerrier. En accomplissant cette œuvre, il n’avait d’autre
but que de plaire au Seigneur. Que
Dieu le gratifie du bonheur éternel
! Puisse-t-Il combler ses vœux au
jour de la résurrection ».
GALOU EL ARAB
GALOU OU L’ORAISON
FUNEBRE
La chanson de Galou el arab
galou est liée comme tant d’autres
qaçidate locales à des événements
vécus par la population. En plus
du malouf, qui est l’expression
du chant andalou constantinois
constitué par des mouwachahate et des azjal, il existe d’autres
genres tels que le aroubi, le hawzi, et surtout pour Constantine le
mahdjouz dont la spécificité est
remarquée. D’ailleurs à Constan-
( 85 )
tine, dans l’ancien temps, chaque
famille juive citadine avait sa préférence pour tel ou tel mahdjouz.
Dans Galou el arab galou, la structure mélodique emprunte deux
modes ou tubu’ qui sont le zeidane
avec une tonalité mélancolique
dans cette chanson. C’est d’ailleurs
pourquoi elle a pris le nom de mahzoun zeidane due à la tristesse
avec laquelle elle est interprétée.
Dans la musique andalouse, noubet ez zeidane (Ré), est considérée
parmi les plus anciennes noubas.
C’est Zyriab qui en est le compositeur dans la ville de Cordoue.
STRUCTURE
MELODIQUE ZEIDANE/
H’SEIN
EElle porte le nom d’une famille
célèbre connue pour l’interprétation des chants et de la composition musicale à Baghdad. En Tunisie, zeidane est appelé isbain, au
Maroc hidjaz el kabir, la seconde
partie de la chanson est exécutée
sous le mode bayati qu’on appelle
au Maghreb, h’sein, et on l’attribue
à un pieux nommée Bba Tahar qui
prit son nom.
Quand on passe du bayati m’hair
de type persan dans une exécution
soufie du chant, ce mode prend
une toute autre allure et devient
ochaq turc ou h’sein a’ajam tunisien, c’est-à-dire nahawand au
a’chour perse.
Revenons un peu à la chanson
Galou el arab galou. Pourquoi at-elle été dédiée à titre posthume
à Salah Bey ? C’est ce que va nous
révéler le contenu de la poésie
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Chansons du Terroir
Histoire
chantée, qui d’ailleurs commence
par un introductif qu’interprètent
tous les chanteurs de l’école de
Constantine dont les quelques vers
suivants :
« Kemi sseri djahda
La nourgad nawmi mat’hani
Ghzaki kount maähda
Ma khantou ma khanou saâdi
Fragak ma hya tayga
Billah wach yssabarni
Ya sabri magwani
Sabar ala qathrat al mwadjaâ
Ham adounia fani
Ham el awkhya rahou amwajâa
Walali bik walali
Sabar an kathrat al mwadjaâ
Dhamouni al adraq
Hatta qalbi zad allia
Natwassal birdhak
Wat ji fini dheik al achwa
Rani natradj k
Ya lalla y a aicha Baya
AICHA BAYA BENT BEY
ZERG AYOUNOU
C’est à partir de ces extraits introductifs que le poète essaie de
donner la dimension psychologique de la chanson qui va suivre.
D’ailleurs, l’auteur rappelle le nom
de Aicha Baya, qui est la fille du
Bey Hussein surnommé zerg ayounou (1754-1756) qui était khalifa
de Bey Bou Hanek, son beau-père.
Cette dame offrit en donation au
Bey Salah les plus beaux jardins
de l’oasis de verdure appelée dans
la région de Hamma Plaisance, où
le verger contenait des arbres fruitiers de toutes espèces. Salah Bey
avait acquis ce terrain de Aïcha
bent Hussein Bey (zarg ayounou)
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
en septembre 1783. Ce jardin prit
désormais le nom de Haouche
Salah Bey que la légende finit par
appeler El Ghrab.
LEGENDE ET SORTILEGE DE SISI MOHAMED « GHORAB ».
Ce dernier est le Mrabet Mohamed Zouaoui, qui apprit très jeune
le Coran et fut parmi ceux qui ont
combattu la présence turque dans
la région de Constantine de par
les prêches du Vendredi dont le
contenu était hostile à l’autorité
du bey et de son administration.
C’est ce qui a incité Salah Bey à
envoyer des janissaires pour tuer
cheikh Mohamed Zouaoui dit « El
Ghorab ». La légende dit que les
soldats du Bey ont trouvé près de
sa demeure un gros serpent qui
menaçait leur vie et c’est le cheikh
Mrabet qui a tué la bête, situation qui a surpris la milice du Bey.
Cependant, Salah Bey décapita le
marabout, sa tête encore pleine de
sang roulait sur le sol, son corps
s’est transformé en un corbeau qui
prit le large dans les cieux et alla
se poser sur le palais de Salah Bey
dont le village aujourd’hui prit le
nom à la fois de Salah Bey et du
Ghorab.
LES OFFRANDES OU
« NECHRA » DES
CONSTANTINOISES
Nombreuses sont les familles
constantinoises qui vont jeter
les offrandes « nachra » selon
les croyances entre Boulajbal et
( 86 )
El Ghrab, assez souvent suivi
d’un cérémonial et d’un rituel
sacrificiel.
Après ce prélude de « Kam yessri
Djahda » s’annonce l’oraison
funèbre dédiée à Salah Bey et
dont les meilleurs interprètes
sont El Hadj Mohamed-Tahar
Fergani Raymond Leyris et
aujourd’hui Salim Fergani
interprète virtuose du oud arbi
qui exécutera avec talent ce beau
poème du récital constantinois
dont voici quelques extraits :
Galou El Arab Galou
Lanaâti Salah wala malou
Saqma taqtalou
Wa eytihou el arkab ala el argab
Hamlatni ya raqiq an nab
Rouhou al darou ya zayara
Les Arabes ont dit
Nous ne livrerons ni Salah ni
ses biens
Nous nous livrons à une bataille
pour sa cause
Même
si
nous
voyons
s’accumuler des têtes et des
cadavres.
Tu m’as délaissé, ô toi sans
parole.
Allez chez lui ô visiteurs !
Galou al arab hayhat
Sidi Salah bey el Bayet
Nafdiwh belmal
Waytihou larkab ala argab
Rahou indha salah bey
Khalla sabâa awlad sabri lillah
La yahram man kana hachara
Rouhou al darou ya zayara
Les Arabes ont dit en déplorables
Notre maître Salah le bey des
beys.
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Chansons du Terroir
Histoire
Nous le sacrifions par notre
argent
Même
si
nous
voyons
s’accumuler des têtes et des
cadavres.
Ils se rendant chez Salah Bey
Qui a laissé sept enfants
Attristé je m’en remets à Dieu
Pour Qu’il en procure
miséricorde à l’assemblée
Allez chez lui ô visiteurs !
Gal al arbi gal
Sidi salah bey ach houa yaqtal
Midhi min allah jaât
allah yahram man kan hadhara
Rouhou al darou ya zayara
L’Arabe a dit:
Pourquoi on l’a tué
C’est donc sa destinée
Puisse
Dieu
procurer
miséricorde à tous les présents
Allez chez lui ô visiteurs.
Billah yal machi tarbah
Hadha atboul alach ayssayah
An hallat al makhantar
Sid al gouman
Ya liatou khyalou
Ma ad ayban
Rouhi ya dounia mafik aman
Je te conjure par Dieu ô toi qui
circule
Pourquoi les tambours sont si
retentissants.
C’est à cause de l'état du préféré
des hommes
O ma douleur, je ne verrais plus
son ombre.
Ainsi est la vie ! On ne peut la
croire.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
SALAH BEY GENDRE DU
BEY AHMED KOLLI
A partir de ces premiers vers
qui décrivent déjà l’ambiance dans
laquelle se trouve Salah Bey, essayons de donner brièvement sa
courte biographie. En effet Salah
Bey Ben Mostefa est originaire de
Smyrne (Izmir). Il est né en 1739
et à la suite d’un meurtre d’un de
ses proches, il émigra en 1775 vers
l’Algérie et vint à l’âge de seize
ans travailler dans un café d’Alger
avant s’engager dans la corporation
des janissaires grâce au parrainage
de celui qui va être son beau-père
Ahmed Bey El Kolli, puisque il
eut comme épouse sa fille et servit
sous ses ordres.
SALAH BEY GAID
EL HARAKTA
Sa bravoure, son courage et son
énergie avaient séduit Bey Kolli,
qui le prit dans son commandement à Constantine, en le mariant à
sa fille issue de sa deuxième épouse
née Mokrani et en le nommant
Caid El Harakta, trois ans après, il
en fit son Khalifa (1765) et reçut six
ans plus tard l’investiture de Bey de
Constantine après la mort de Bey
El Kolli dont il laissa deux recommandations expresses le concernant.
Dans son entourage, ce sont
les mêmes personnes qui étaient
dans le diwan. Lorsqu’il eut acquis
de la fortune, il choisit un ami et
ancien compagnon d’armes, Ahmed Zouaoui Bendjalloul, ancien
( 87 )
officier d’intendance du corps des
Zouaoua de la milice pour s’occuper de la gestion de ses biens.
ZOUAOUI
BENDJALLOUL FONDE
DE POUVOIR DU BEY
D’une intelligence et d’une honnêteté fort appréciées, Bendjalloul
eut toute la confiance de Salah Bey
qui ne le quitta pas jusqu’à sa mort.
N’ayant eu qu’une seule fille de son
épouse, fille de Ahmed El Kolli,
Salah Bey épousa en secondes
noces une citadine de Constantine
de laquelle il eut deux garçons ;
Mohamed (ou Hamouda) et Hossein. Devenu gendre de Salah Bey,
Bendjalloul demeura le fondé de
pouvoir, le soutien moral et matériel de toutes la famille en dépit des
évènements tragiques qu’il connut.
C’est dans son Makhzen que Salah
Bey rapprocha tous ceux qui ont
servi sous l’autorité de son beaupère en leur confiant des charges
importantes telles que les Bengana
de Biskra.
DE SIDI EL KETANI
A SIDI LAKHDAR
Mais Salah Bey fit édifier également une autre médersa en 1789
auprès de la mosquée de Sidi
Lakhdar, qui servit d’ailleurs dès
les années 1923 à l’imam cheikh
Abdelhamid Ibn Badis dans ses
cours de théologie et de droit
musulman (fiq’h et genèse de la
char’iâ). Du temps déjà de Salah
Bey, on enseignait dans cette médersa la grammaire la jurispru-
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Chansons du Terroir
Histoire
dence, le commentaire du Coran,
la science des hadiths etc.
C’est dans ce contexte que Salah
Bey entreprit de grandes réformes
dans le système éducatif aidé par
cheikh Abdelkader Rachedi, mufti hanafi, Chaâbane Bendjalloul,
Cadi hanafi El Abassi, cadi Maliki
en constituant aux médersas des
habous. Il développa l’agriculture
et restaura le pont d’El Kantara en
confiant les travaux à un certain
Don Bartholomé, architecte italien qu’il fut venir de Mahon.
LES REFORMES DE
SALAH BEY
Il avait bâti la partie supérieure,
les deux arches inférieures et les
trois piliers qui les soutiennent.
Il encouragea l’artisan et le commerce extérieur. L’écoulement des
produits de la province rapportait
en taxes des sommes importantes.
Elles étaient perçues par des «
oukils » placés dans les ports de
Collo, Stora, El Kala, Jijel et Béjaia.
Selon les propos laissés et rapportés par les gens de Constantine,
les constructions d’utilité publique
avaient fini par absorber la majeure
partie de ses revenus et dut recourir à son voisin de Tunis, Hammouda Pacha pour compléter la
somme nécessaire due pour le Dey
en payement du Denouche.
En dépit de ses difficultés financières, Salah Bey participa avec
succès à la défense d’Alger en 1783
contre une nouvelle attaque espagnole, et au cours de la même année à l’expédition du Pacha d’Alger
contre celui de Tunis. en 1784, il
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
rejoint Osman-Pacha qui s’apprête
à combattre les Espagnoles dirigés
par Don Barcelo.
SALAH BEY UN
STRATEGE DE GUERRE
Bien avant cette bataille, Salah
Bey, qui entreprit une expédition
vers l’Ouest, les Bibans, les Béni
Abbes, Flissa, les Ouled Nail, Djebel Amour, tua le Bey du Titteri
entre Djelfa et Laghouat. Il parvint à combattre aux côtés de Osman Pacha avec ses quinze mille
hommes en 1775 contre O’Relly,
commandant de la flotte espagnole qui débarqua à proximité
d’El Harrach le 8 juillet avec vingt
cinq mille hommes. Ces derniers
subirent un grand désastre.
ARTISAN DE LA
VICTOIRE CONTRE LES
ESPAGNOLS.
Salah Bey était un des meilleurs
artisans de la victoire. Ce qui accrut son prestige et lui conféra une
autorité incontestable dans toute la
province, y compris chez les juifs
d’Algérie qui voyaient en lui le sauveur d’une nouvelle inquisition des
rois catholiques et dont le rabbin
d’Alger y fait les éloges dans une
lettre écrite en son honneur.
En conservant à ses côtés Mohamed Ben Hadj Bengana, titulaire d’un titre sans terre et pour
répondre aux vœux de son beaupère, qui par prudence n’a pas
voulu affronter cheikh Al Arab des
Daouada dans le sud du pays, Salah
Bey, pour satisfaire une rancune
( 88 )
contre Hassan fils de Bou Hanek
Bey avec lequel il avait été pourtant
autrefois lié d’amitié, se hâta de
lancer un ordre pour l’arrêter
SALAH BEY ET L’EXIL
DE HASSAN BOUHNAK
Ce dernier prévenu à temps, parvint à s’échapper et se réfugia chez
les Ferdjioua auprès du cheikh Mohamed Chelghoum Ben El Hadj
qui refusa de livrer à Salah Bey le
fugitif, qui prit la fuite vers Oran et
Tlemcen auprès de Mohamed Ben
Othmane El Kebir bey des beylicats d’Oran à Mascara. Ce dernier
subvint largement à ses besoins
et intercéda auprès du dey pour
que sa famille le rejoigne. Son exil
dura vingt ans. D’ailleurs c’est ce
dernier qui sera appelé à prendre
sa revanche pour tuer Salah Bey,
meurtrier de son beau-frère Brahim Bousbaâ, marié à une fille
Mokrani comme lui. C’est sur instigation de la femme du Dey Pacha
d’Alger dont nous aurons à revenir
dans cette « marthia » consacrée
aux derniers moments de la mort
de Salah Bey, que décrit le texte de
Galou el arab galou.
LA VERITABLE CAUSE
DE LA MORT DE
SALAH BEY
Ya Saradjine Adam’ou
Yaskeb wa el qalb ehzine
Bibane maghlouqine
Allah yarham man kan ahssara
Rouhou Al Darou ya ziara
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Chansons du Terroir
Histoire
O celliers mes larmes coulent, mon
cœur attristé
Les portes enfermées
les négociations devant régler définitivement le sort de Mers el Kebir
et d’Oran.
Puisse Dieu procurer miséricorde à
tous ceux qui s’affligent
Allez chez lui ô visiteurs.
LA FILLE DE
KHAZNADAR A
L’ORIGINE DE SA MORT
Ahkrajt mat’hani
Wa Atwani laman wakhad’ouni
Hayawli kafni
Wa qalbi zahi ma jab akhbar
Rouhou Al Darou ya ziara
Je sortais réconforter
Ils m’ont inspiré confiance, et
m’ont dupé
Préparent mon linceul, tandis que
Mon cœur se réjouit, ne s'apercevant de rien.
Allez chez lui ô visiteurs.
Bab el Hadj arfaâ rassak
Watchouf ma djra fi nassek
An djal Al Mkhanter
Sid el Gouman
Ya li atou akhialou Maâd aybane
Rouh ya dounia ma fik amane
Bab el hadj hausse donc ta tête
Tu verras comment ta famille estelle devenue.
Après la mort du préféré des
hommes.
O quel chagrin, de ne plus revoir
son ombre.
Ainsi est la vie ! On ne peut la croire
Ainsi après de Othman-Pacha
d’Alger le 12 juillet 1791, il fut remplacé par son fils Hassan El Khaznadji. Le nouveau dey fit suspendre
les hostilités entre l’Algérie et l’Espagne le 28 juillet pour reprendre
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Hassan Pacha était marié à la fille
de Khaznadar à l’époque de Ali
Nakcis Bousbaâ. Khazanadar était
chargé des relations étrangères et
avait été condamné à mort le 8 janvier 1764, accusé d’avoir provoqué
et grossi sciemment les incidents
d’El Kala en septembre-octobre
1763 et fait arrêter tous les Français résidant à Alger, y compris le
Consul M. Vallières. C’est ainsi que
l’Amiral Fabry, venu en mission,
avait démontré le non fondé des
accusations portées à l’encontre des
établissements français et de leurs
servants. La fille de Khaznadar
rendait Salah Bey responsable de
la mort de son père pour avoir été
le principal témoin à charge, alors
qu’il commandait la garnison d’El
Kala. Depuis, elle ne cessa de lui
vouer une haine à mort.
SALAH BEY TEMOIN
A CHARGE DE
KHAZNADAR
Dès que son mari fut porté sur le
trône, elle exigea de lui la tête du «
principal accusateur » de son père
qui est Salah Bey. Hassan Pacha
s’exécuta en destituant Salah Bey
de ses fonctions à la fin juillet 1792
et Brahim Bousbaâ, fils de Baba
Ali Bousbaâ, fut désigné pour son
remplacement. Celui-ci arrive dans
( 89 )
le plus grand secret à Constantine
et fit part à Gaid Nouba de sa nomination. Tous deux prirent alors
les mesures pour s’emparer de Salah Bey sans heurts ni violence. Salah Bey fut saisi dans sa demeure et
jeté en prison le 16 août 1792. Brahim réunit le diwan et les notables
religieux et leur communiqua les
ordres du Dey.
SALAH BEY LE REVOLTE
CONTRE LE PACHA
Selon le cérémonial d’investiture, il revêtit le kaftan et dès que
les invités étaient partis, il demanda
à ses collaborateurs de lui ramener
Salah Bey. Il le fit asseoir à ses côtés en lui promettant d’intercéder
auprès du Pacha pour que la sentence de la mort en son encontre
ne soit pas exécutée et écrivit une
lettre qu’il remit à son Bach-seyar
avec mission de partir dès la première heure à Alger. Salah Bey dut
remercier son successeur et regagna son domicile. Au lieu d’espérer
en la clémence de son maître et d’en
faire foi en la parole du nouveau
Bey, il arma ses serviteurs et partisans et conçut le projet de revenir
au trône par la force. Au troisième
jour de sa déposition, il pénétra
avec ses fidèles de nuit dans le palais beylical et prirent en surprise le
nouveau Bey dans son lit.
SALAH BEY REUSSI
LE COUP D’ETAT
Boussaâdi n’avait pas eu le temps
de se sauver lorsqu’il fut criblé de
coups de couteau dans la nuit du
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Chansons du Terroir
Histoire
lundi, mois du Moharem de l’an
1207 de Hégire correspondant au 20
août 1792, alors que quarante de ses
serviteurs furent égorgés à l’entrée
de Souk Saradjin. Leur sang coula
dit-on jusqu’au Fondouk Ziat. Salah
Bey s’installa de nouveau dans Dar
El Bey avec l’intention de conserver le pouvoir même contre le gré
du Pacha. La nouvelle se répandit
en ville et deux clans se formèrent,
l’un décidé à venger la mort de Brahim Bey, l’autre à défendre la cause
de Salah Bey. Durant plusieurs
jours, on se battit dans les rues de
Constantine et il y eut un grand
nombre de morts de par et d’autre.
Ces évènements ne tardèrent pas à
êtres portés à Alger.
MORT DE BEY BRAHIM
BOUSBAA
C’est ainsi que Hassan Pacha désigna un nouveau bey en la personne
de Hossein Bouhnak, fils de Hassan
Bouhnak, celui qui connut l’exil forcé sur ordre de Salah Bey. En même
temps il adressa une circulaire aux
notables de Constantine, aux caïds
et cheikhs de la région pour les relever de leur serment d’allégeance visà-vis de Salah Bey, qui par le meurtre
de Brahim Bey s’était mis hors la loi.
Il leur demanda de s’emparer de sa
personne et de le retenir prisonnier
jusqu’à l’arrivée de son successeur.
HOSSEIN BOUHNAK
DEVIENT BEY DE
CONSTANTINE
Hossein Bouhnak se rendit à
Constantine accompagné d’une im-
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
portante escorte de janissaires et de
kouloughlis. Il ne rencontra aucune
résistance à son arrivée aux portes
de la ville. Le caïd nouba instruit par
le dey avait déjà pris ses dispositions
pour procéder à l’arrestation de Salah Bey. Ce dernier se réfugia dans
la maison du cheikh Abderrahmane
Lefgoun duquel il espérait protection et vie sauve. Et la qaçida donne
tout le ton de cette pathétique fin de
Salah Bey :
« Amchit lil Djazair wala
Araft Qalbi Wach dayr
Bayat tat khayar wa qalbi
Zahi majab akhbar
Rouhou Al Darou ya ziara
Je me suis rendu à Alger
Perdu, mon cœur désemparé
On a choisi mon successeur
Mon cœur se réjouit, n’apercevant
de rien.
Allez chez lui ô visiteurs.
Oumou Amhamla hmila wa
khtaou
Sabgha bi anila
Bouah aynadi ala arbâa
Ya liatou akhialou ma aâd iban
Rouh ya dounia ma fik aman
Sa mère perdue, égarée
Sa sœur se teint en bleu-violet
Tous ses proches sont avisés.
O ma douleur, je ne verrais plus
son ombre.
Allez chez lui ô visiteurs
Adfaât addya wala aârif
Qalbi Zahi ma jab Akhbara
Rouhou Al Darou ya ziara
( 90 )
J’ai versé la rançon du sang
Mon cœur se réjouit, je ne me soucie de rien
Allez chez lui ô visiteurs
Ki Arkabt ala assarsoura
Wa nas labsou al mahsoura
An jal almkhanter
Sid albayat
Ya liatou khialou ma âd ayban
Rouhi ya dounia ma fik aman
J’ai monté sur la calèche
Les gens vêtus de noir.
Dans les obsèques du préféré des
hommes.
O ma douleur, je ne verrais plus
son ombre.
Ainsi est la vie ! On ne peut la croire
Ki mchit labladi
Saâ saida haith chouft awladi
Kifach at adi
Wan qoul jat Fazâa
Ya Rabi Biha dhart
Hadhihi saâ
Rouhou Al Darou ya ziara
Quand je me suis rendu à ma ville
J’ai passé d’agréables moments avec
mes enfants
Comment dire la nouvelle, de mon
déchu
Dans cet instant de bonheur.
Allez chez lui ô visiteurs.
Oum lahnina Mtha Amlat
Bein labhour Mdha nahat wa Abkat
Bbemouâha tchali
Lay’at al Moudjat
An djal al mkhentar sid Albayat
Ya liatou Khyalou Ma Aâd Ayban
Rouhi ya dounia ma fik aman
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Chansons du Terroir
Histoire
Sa mère plein de tendresse pour
son fils
O combien elle a pleuré sur sa
tombe
Des larmes sans cesse
Comme des vagues qui persistent.
Pour son fils préféré des Beys.
O ma douleur, je ne verrais plus
son ombre.
Ainsi est la vie ! On ne peut la
croire »
Enfin la Qaçida se poursuit au
moment où la ville est encerclée
par les janissaires et méditions
les derniers vers de cette oraison
funèbre (marthia) sur Salah Bey. :
« Kihassrou lamdina
Wanghalkou albiban
Wakhraj Salah ala Ajarah
Wadmaghou aryane
Khalitouni anchouf awladi
Maniche harbane
Makhnouk ebmahrma
Chaâla wadm’ou widane
Chalitouni anchouf awladi
Quand la ville fut encerclée et les
portes refermées
Salah est sorti sur son cheval, la
tête dévoilée
Laissez- moi voir mes enfants.
Je ne fugue pas.
Etranglé par un mouchoir éclatant
Ses larmes coulant comme des rivières.
Laissez-moi donc voir mes enfants.
Maniche harbane
Hadha chai mektoub
Fidjbini Qabl manardjaça Bey
Oumou Tabki watnouh
Wa tqoul Salah Rah
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Man rad Rabi ya Salah
Mektoub Errahmane
Je ne m’évade pas
Ça fait partie de mon destin
Tracé avant que je ne devienne
Bey.
Sa mère pleure et dit :
Salah est parti, c’est Dieu Qui en
a voulu ainsi
Ya hamouda ya oulidi at’hala
feddar
Matloumouche allia
Ya kbadi addat babana
Law arfat hakda yadjrali
Manasqoun el bouldane
Nabni kheima ala awladi
Wa anâchar el Arbane
Youma fin houa Baba
Rayah wala harban
O Hamouda mon fils
Prends soin de la famille
Ne m’en voulez pas O mes enfants.
C’est la coutume de notre père
Si je savais que cela aller m’arriverer
Je n’aurais fréquenté les villes
J’aurais planté une tente à mes
fils
Et j’aurais vécu parmi les ruraux
Maman ! ou est passé mon père ?
Est-il partant ou en fuite ?
Hamouda ya wlidi
Danag Maâ Diwan
Hain Ataoulou Tasbih
Waâtaoulou lamam
Galou lou lat Khaf
Ya Salah hadha Amr esoltane
O Hamouda mon fils
( 91 )
Prends soin du cabinet.
Après lui avoir formulé un rosaire
Et lui donner assurance et réconfort.
On lui a dit : O Salah n’aie crainte
C’est un ordre du Sultan
SALAH BEY EXÉCUTÉ
FACE A DAR EL BEY
Et quand les deux « chaouachs
» se présentèrent devant la porte
et demandèrent à Abderahmane
Lefgoun, cheikh el Islam, de leur
livrer le fugitif, ce dernier exécuta
les ordres, Salah Bey tenta encore
de s’enfuir mais il fut vite rattrapé.
Devant toute l’assistance, ils lui
placèrent le lacet au cou, il fut exécuté face à Dar El Bey. Toute cette
histoire vraie de la mort de Salah
Bey avait été écrite sur les manuscrits que conserva cheikh Mostefa
Bendjelloul, gendre et fondé de
pouvoir de Salah Bey.
L’historien Mohamed-Salah Ben
Antri la recoupa, puis Dr Yahia
Bouaziz la reprit avec un commentaire dans les éditions de l’OPU
en 1991, également dans la Revue
Africaine de 1868 volumes n° 11 et
12 sous la plume d’ E. Vayssettes
dans son Histoire de Constantine
sous la domination turque de 15171837.
ORAISON FUNEBRE
A TITRE POSTHUME
J’ai été inspiré également par
Gaid Mouloud dans son ouvrage
Chronique des beys de Constantine, paru aux éditions de l’OPU
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Chansons du Terroir
Histoire
pour les aspects historiques qui
peuvent être rapportés à la qacida.
J’ai eu recours également à trois
versions de la chanson recueillies
sur les « sfain » (recueils) et les
différentes interprétations audio
telles que celle de Raymond Leyris, Hadj Mohamed-Tahar Fergani sans oublier l’école de l’association Maqam qui développe
une action de vulgarisation des
concepts de la nouba et du malouf
dans le milieu des jeunes dirigée
par les frères Zerouala Nadjib
et Mohamed-Tahar et Bentellis.
Quant à l’écriture latine et non
phonétique, c’est pour permettre
une lecture didactique accompagnée du chant, aux mélomanes
qui ne savent pas lire l’arabe.
« Ki hakmou chaouch Dalou
zawj ahdidat
Kallou ya Salah Atwadha
Wakhraj lelmeidane
Galou Salah Rah
Wariouli qabrou nartah
Wahabou laryah
Wat qoulou ach min Bey ayawad
Salah
Fi Qcentina Haznou alaih
yawladou ya arb al Mdina”.
Quand le garde l’arrêta
Il lui enchaîna les mains par des
fers
Et lui dit : O Salah ! Fais tes
ablutions
Fais tes dernières prières !
On a dit que Salah est parti
(mort)!
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
Montrez-moi sa tombe pour
que je puisse me soulager de ma
peine.
Les vents soufflent
Quand vous dites quel Bey
pourrait bien remplacer Salah.
A Constantine ses enfants son
en deuil ô gens de la ville.
La Qaçida de Galou el arab Galou se termine par un khlas intitulé Alkhaoua Ya Alkhaoua. c’est
ainsi que prend fin le règne de Salah Bey. Il est enterré au fond de
Sidi El Katani dont les autorités
de la wilaya ont commencé depuis
quelques mois la restauration. La
date de sa mort est inscrite sur
une plaque de marbre portant le
mois de Moharem 1207.
Je ne saurais terminer cette
étude sans rappeler l’inscription
portée sur le fronton de la mosquée Sidi Lakhdar dont voici la
traduction d’A. Cherbonneau :
« Les splendeurs du bon augure
sont descendues des sublimes régions de la félicité. Afin de consacrer une mosquée érigée pour le
bien public et elles ont inondé le
firmament de leur lumière. C’est
le Bey de l’époque qui l’a bâtie,
c’est le glorieux Salah. Ce prince
si zélé pour les bonnes œuvres, et
qui les amasse comme un trésor
pour le jour du jugement dernier.
Dieu lui réserve une place dans le
paradis avec bien d’autres avantages. Si tu veux savoir ô lecteur
la date du monument, prononce
les mots suivants : cette mosquée
est destinée au culte de Dieu. »
(1190 Hégire-1776 de J.C).
( 92 )
SALAH BEY URBANISTE
DE LA MEDINA DE
CONSTANTINE
Salah a été l’un des beys qui a
embelli la ville de Constantine.
C’est de Livourne que Salah Bey
ramenait la faïence et le marbre.
Il est Bey Zamane, Soltane El
Asr wal alwan (O Roi du temps,
ô Sultan de l’époque et du Siècle).
« Tombe qui brille dans le ciel de
la félicité, ou comme un collier
de perles précieuses ! C’est là que
repose le Bey du siècle, le frère
des nobles sentiments. Là sont
aussi enfermées sa vertu et sa piété. Il vécut heureux sur le trône
et mourut en véritable martyr.
Que de bonnes œuvres il répandit pour l’amour de Dieu ! Que de
fois il lança son coursier dans les
champs de batailles pour obéir au
Seigneur ! Il fit la guerre sainte
avec succès, il détruisit l’armée
d’Alphonse et paya son tribut au
vrai Dieu ! »
Dr Boudjemaâ HAICHOUR
Salah Bey
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Dr Boudjemâa HAICHOUR.
Chercheur universitaire,
ancien ministre
DEMAI DJARA
(MES LARMES ONT COULE)
CONSTANTINE
HERITIERE DE SEVILLE
Inspirée d’Al Mou’tamad Ibn Abbad
Par Dr Boudjemâa Haichour
Chansons du Terroir
Histoire
A l’occasion de la manifestation « Constantine, capitale arabe
de la culture 2015 », j’ai choisi ce poème narré dans le pur
style constantinois, l’histoire imaginée d’Al Mou’tamad et
d’I’timad.
Ainsi lorsqu'on aborde la chanson de Damaï djara à partir de
Constantine digne héritière de Séville, on s'aperçoit que l'Espagne musulmane ou l'Andalousie arabe continua de développer ses échanges avec le Maghreb et que sa propre littérature, sa musique, ses arts et son savoir-vivre auront, après le
départ massif des Andalous chassés par les Rois catholiques,
un impact certain sur la vie des citadins des importants foyers
de la culture dans notre pays et les autres contrées maghrébines. De la flatterie aux louanges des Grands, l'aristocratie jouissait d'un niveau culturel assez avancé à Séville. Les
hommes de lettres trouvaient dans chaque cercle de généreux mécènes qui encourageaient la créativité artistique.
C
'est certainement
dans la poésie et
les chants que les
talents étaient recherchés dans la
cour des souverains. Il y avait l’évocation du vin,
du plaisir, des femmes, des éphèbes
des palais et des jardins. Il y avait
donc un soin particulier pour le
langage des fleurs et la beauté de la
nature. La cour devenant un véritable foyer de la culture et des arts.
Séville avec El Moutamad devient le pôle de l'aristocratie où
toute la fine fleur de l'Andalousie
se réunit. C'est ce prince opulent
auquel on croit, selon beït slam
Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .
ou signature de l'auteur à la fin du
poème, repris du troisième tome
des Mouwachahate et azjals, édité
par le ministère de la Culture, cette
pièce maîtresse du patrimoine que
chantent les trois écoles de la musique andalouse dans notre pays. Il
s'agit de Damaï djara (Mes Larmes
ont coulé).
El MOUTAMAD UN
POETE DU DESIR
El Moutamad fut un époux
sincère, un poète délicat, un souverain plein de bravoure. Toute
l'époque brillante et trouble de
Séville se reflète dans la vie de cet
( 94 )
homme. Mohamed, fils d'Abdou
Amr Abbad Al Moutamad Billah
est né à Béja, près de Séville en
1039 JC / Rabi'i 1 de 431 de l'hégire. On dit qu'il avait pris le nom
d'Al Moutamad pour se rapprocher de celui de sa femme I'timad.
Dès son jeune âge, Al Moutamad
fut imprégné d'une atmosphère
raffinée. L'opulence, le faste et
le plaisir étaient recherchés dans
la poésie, la musique, les promenades, les boissons, les femmes.
C'est sans doute les vers suivants
qu'il avait composés pour saluer le
départ de son ami Ibn Ammar qui
décrivent si bien ce poète -souverain :
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Chansons du Terroir
Histoire
Constantine, capitale de la Culture arabe 2015
UNE GUITARE ET UN
RAMEAU DE SAULE
« Que de nuits ai-je passées là,
auprès d'une jeune beauté aux larges
hanches, à la mince ceinture.
Que de fois des jeunes filles
blanches ou brunes ont fait à mon
cœur ce que font les blanches épées
et les lances brunes.
Que de nuits aussi ai-je passées au
barrage sud de la rivière avec une
femme dont le bracelet semblait la
courbure de la pleine lune !
Elle passait la nuit à me verser le
vin enivrant de ses regards et, à ses
moments, celui de sa coupe ou celui
de sa bouche.
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Puis quand sur sa guitare, elle
jouait un air guerrier, je croyais entendre le cliquetis des épées et me
sentais saisi d'une ardeur martiale.
Elle enleva sa robe pour faire apparaître un rameau de saule délicat
et flexible. Qu'il est beau ce bouton
qui s'ouvrit pour laisser apparaître la
fleur ! »
(Repris par Salah Khalis à la page 94 dans son ouvrage
La vie littéraire à Séville au XIe siècle, paru à la
SNED en 1966)
Et pour illustrer la chanson de
Damaï djara, on raconte qu'un jour
de printemps le prince Mohamed Al
Moutamad sortit en compagnie de
son ami Ibn Ammar faire une promenade à la prairie d'argent (Marget el fiddha). Cet endroit est fort
agréable où les Sévillans aimaient à
( 95 )
flâner. Regardant la douce brise qui
caressait le Guadalquivir, le prince
aurait improvisé une moitié de vers
« La brise a tissé une cotte de maille
(zarad) avec de l'eau. » Il demanda
à son compagnon de le compléter.
Ibn Ammar ne put répondre. Une
douce voix parvint alors à l'oreille
des deux amis : « Quelle belle cotte
ce serait pour le combat si elle était
solide. » Tournant la tête, ils virent
une belle jeune fille qui souriait
fièrement. Sa beauté et son intelligence ravirent le cœur du prince.
Cette femme s'appelait I'timad, une
esclave non mariée de Rumaik Ibn
Al Hajjaj. Le prince l'acheta alors de
son maître et l'épousa. Elle jouera
un rôle prépondérant dans la vie
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Histoire
d'Al Moutamad. Le prince Al Moutamad écrivit ce poème dont la première lettre de chaque vers reconstitue le nom d’I’timad :
ami des belles lettres qui attira une
pléiade de poètes illustres parmi lesquels Ibn Labbana, Ibn ‘Ammar, ou
encore le grand Ibn Zaydoun.
‫أغائبة الشخص عن ناظري وحاضرة في‬
‫صميم الفـــــؤاد عليك سالم بقدر الشجون‬
‫ودمع الشؤون و قدر السهاد‬
‫متلكت مني صعب املرام وصادفت ودي‬
‫ســهل القيـــاد‬
‫مرادي لقياك في كل حني فيا لــــيت أني‬
‫أعطى مـــــراد‬
‫أقيمي على العهد ما بيننا والتستحيـــلي‬
‫لطـــول البـــعاد‬
‫دسست إسمك احللو في طيه وألفت فيه‬
‫"حــروف "اعتماد‬
METAPHORES
BRUTALES ET
ESTHETIQUE DU DESIR
Absente, tu échappes à mon regard, mais tu es présente au fond de
mon cœur
Que la paix soit avec toi, une
paix qui sort à la mesure des chagrins, des larmes abondantes et des
insomnies.
Tu t’es rendue maîtresse de la
fougue de mon désir et tu t’es trouvée en présence de ma passion, une
passion docile.
Mon souhait est d’être en ta compagnie à tout moment, ah !, mon
Dieu, qu’il me soit permis de réaliser ce vœu.
Soit fidèle à notre alliance et ne
change pas à cause d’une absence
trop longue.
Ton doux nom, je l’ai introduit
au sein de ce poème, en traçant les
lettres qui composent I’timad.
(Le Prince-poète Al Mou’tamad
Ibn ‘ Abbad trduit par Hamdane
Hadjadj)
Al Mou’tamad reste un prince
et poète de grande sensibilité, un
souverain chevaleresque, cultivé,
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Damai djara (Mes larmes ont coulé) est un pur plaisir des mots dont le
poète essaie de nous émouvoir. Les
systèmes expressifs qui affectent les
parties les plus scrutées de la nature
et de toute créature sont d'une délicatesse qui efface toutes les métaphores brutales. Nous allons lire à
travers les vers d'El Mouatamed une
exaltation à la limite de la volupté et
de l'esthétique du désir.
‫دمعي جرى على صحن خدي كاملطــر‬
‫و الروح في فرط الهوى في هاويــة‬
‫ملن رأيت الغيض مــا بـني الشجـــــر‬
‫عقلي مضى و الــــــروح مني فانيــة‬
‫غنـوا في بستان و رفعوا أصـواتهــم‬
‫و أنـا نبايع مـــــا شفيت منهم غليــل‬
‫ركزوا الشمع و الكـأس يـدور ما بينهم‬
‫أنـا شربت احلب و الصـبر جميــــل‬
‫هــب النسيــــــــم و تخبلــت‬
‫عشقتهم‬
‫أنـا مع األغصــــان حني مالـوا منيـل‬
‫عنـوا بكل حلة لـن بلغـوا منــاهم‬
‫سـاقي الـمـدام ميال لن يبنوا أصداهم‬
‫حتـــكيالبـــــــــــــــدور‬
‫جتــــــــــلى‬
t ‫سبحــــــــــــــان من‬
‫نشــــــــــــاهم‬
« Damai djara an sahni khadi kalmatar
warouhou min farti el haoua fi
haouia
lamma raaitou el gheid ma beina
achadjar
( 96 )
akli maddha wa rouh menni fania
ghanou fi boustane rafaou aswatahoum
ouana outabiou ma chfaitou minhoum ghalil
rakazou achamaou wal kas yadourou ma beinahoum
wa ana charrabtou el hob wa assabrou all djamil
haba anassimou wa takhabalet wadjnatahoum
wa ana ma'a el aghçane in malou
amilou
laabou bikouli houllihi
lan balaghou manahoum
sagui al moudem yamla
lan yabnou sadahoum
tahki boudour tadjala
sebhan man anchaahoum. »
"DAMAI DJARA" DANS
LE MODE DARJ RAML
MAYA
« Mes larmes ont coulé » est chantée dans l'école constantinoise dans
le derdj raml maya. Ensuite dans
les strophes qui suivront telles :
« Kalou akhtasar » (ils ont dit de
synthétiser), la chanson prend l'allure d’un insraf h'sain pour terminer
par « wadaâtouhoum » (les adieux)
sur le mode de l'insraf mazmoum.
Mes larmes ont coulé sur les pommettes
De mes joues à cause de mes fortes
sensations amoureuses,
Lorsque j'ai vu au travers des
arbres des filles
Mon esprit perdu dans une âme
consumée
Elles ont chanté dans le jardin et
élevé leurs voix
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
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Histoire
Et moi buvant l'amour et la patience de la beauté
La bise a soufflé et les mèches s'entrelacèrent dans leurs joues
Et moi, je titubais au gré du balancement des branches.
Elles ont joué avec tous les artifices
Elles n'ont réalisé leurs vœux
Et le vin se remplit à flots
N'a pu étouffer leur écho
Elles racontent les germes
De celui qui les a créées.
UNIVERS
STENDAHLIEN DE
LA COURTISANE
Nous remarquons dans cette première stance tout un univers d'allégresse, comme chez Stendhal une
sorte de fascination accrue incarnée
dans la courtisane. C'est d'ailleurs
ce qu'on peut appeler l'exotisme à
l'Est. Comme un provençal, il regarde le spectacle des courtisanes à
travers les branches d'arbre où les
histoires d'amour, les descriptions
les plus romanesques, dans un décor de couleurs naturelles lui font
vivre le pittoresque ressorti de la
tradition mauresque. N'est-ce pas
là une poésie des coïncidences et de
l'instant propre aux enchantements.
C'est un monde visible qui en cache
un autre.
Dans la deuxième stance de Damaï djara, le poète va nous décrire
ces belles créatures. D'ailleurs, El
Mou’tamad le dit dans un autre
poème qui rejoint les mêmes sentiments par l'évocation de la puissance des mots de ce prince qui a le
talent de poète. Il dit notamment :
« Mon âme tremble, mes yeux sont
remplis de larmes, ma voix, mes
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
regards sont éteints. La couleur a
disparu de mes joues bien que je
ne sois malade ; mes cheveux ont
blanchi bien que je sois jeune encore. Désormais, rien ne saurait me
plaire ; la coupe et la guitare n'ont
plus d'attrait pour moi. Les jeunes
filles même timides et gracieuses
ont perdu l'emprise quelles avaient
sur mon âme. »
....‫سبحــان ربي زنهم على القــــدر‬
‫فــاقت محاسنهم كحلة بــــاهية‬
....‫وجنتهم كــل ورد فــاحت عن مطـر‬
‫خلـوا عقلي مثــل ورقة فـــانية‬
‫ حملت‬....‫أدرجت هيفــة تلوج بني الشجـــر‬
‫خيـالي عندما نظرت لي حقيــق‬
....‫نطقت و قالت يــا مالح معانا بشــر‬
‫توجهوا نحوي كمـا بدر الشريـــق‬
....‫قد عينوني الكــل من بني الشجـــر‬
‫قالوا و ما جابــاك لشيء ال يليــق‬
‫ و‬....‫أتناقلوا بدوحــات عني و خلفــوني‬
‫اتغامزوا بشفرات باحلسن عذبـــوني‬
‫ زاد‬....‫قالـوا املــــالح كلمــــات‬
‫يــعجــــزونــــــي‬
« Sabahna rabi zanahoum ali el
kadar
Fakat mahassinahoum houllatoun
bahia
Wajnatahoum kel wardi fattah an
mattar
Khalaou akli mithla wardatin balia
Darajat haifaa talouhou beina
achadjar
Lamhat khayali kad nadhratni
hakik
Natakt wa kalet ya milah houna
bachar
Tawadjahou nahoui ka boudour
acharik
Kad ayanouni alkoulou ma beina
achadjar
( 97 )
Kalou ma djaâ bika ila cheioun la
yalik
Tanakalou li addouhat
Ani wa khallafouni
Wanghamazou bi chafarat
Bil hosni addabouni
Kalou elmilah kalimet
Aradou youadjizouni »
DE QUEL CHARME
DIEU LES A CREEES ?
« De quel charme Dieu les a
créées
Débordantes de beauté et de bonté
Comme des roses écoles sous le
crachin
Elles ont laissé mon esprit dans
un rêve céleste
Elles se dandinaient comme des
pigeons à travers les arbres.
Me regardaient furtivement
comme une ombre des anges
Elles m'ont dévisagé par-delà les
feuillages des arbres.
Qu'est-ce qui vous intéresse cheznous ?
Et puis elles prirent congé de
moi.
Elles me laissèrent.
Par des clins d'œil
Et leur bonté me souffrirait
Elles ont dit quelques mots
Voulant tester mon savoir. »
La poésie est pour Al Mou’tamad
un art qu’il cultiva avec amour au
même titre que la musique. On la
déclamait ou on la chantait pour
éprouver le tarab. Il avait une maîtrise de la rhétorique et de l’art du
dire. Nous sommes loin d’un Ibn
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Histoire
Zaydoun tourmenté par une Wallada sourde à ses prières. L’effort du
poète porte sur le style qui fait les
délices de l’auditoire. Al Mou’tamad
est un poète de grande sensibilité,
fidèle et attaché par la sincérité de
ses sentiments pour une ville où il
passa sa prime jeunesse.
"DAMAI DJARA" OU
L' IMAGE -ERUDIT D'EL
MOUTAMAD
Dans cette deuxième stance, le
poète à petites touches et à coups
de scènes brèves et d'intentions se
constitue l'image d'un érudit pour
pouvoir affronter les courtisanes et
répondre après à leurs questions.
Une poésie qui veut mêler par moment la génialité dans l'infini de
l'imagination créatrice. En vérité,
on va voir dans la troisième stance
comment de part et d'autre il y a
une sorte de jeux de langage. Les
sens des mots vont déterminer la
capacité du promeneur à connaître
sinon davantage la poésie du moins
le chant que les courtisanes entonnaient.
‫ إن‬....‫قالوا اجلميع أشرح لنـا مـا ينذكـر‬
‫كــان معاك حسن اللغة و القافيــة‬
....‫آش هو الطــال و الهيق آش هو الهمر‬
‫فسـر لـنا و اختر منا جــاريــــة‬
....‫ملا رأوني ما فهمـت منهـم خـطاب‬
‫رجـعـوا ملغناهـم وصـاروا يشربــوا‬
‫و‬....‫قلت يا مـالح أسقوني كأس الشـراب‬
‫عسـى نخبركـم مبـا أنتم تطلـــبوا‬
‫ إن كنـت‬....‫قالـوا نعم إذا تفسـر ذا اجلــواب‬
‫تفهم و احنا في وصلك نرغـب‬
‫ و ابقيت‬....‫جتـاوزوا علي و اتلحفـوا الغـوالي‬
‫على التنيـة مقهـور باإلتصــال‬
‫ نشــكــي‬....‫قــلـت أمهـلـــوا علــي‬
‫لــكــم بـحــالي‬
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Kal el djami' fasser lana ma youdkar
In kan maak hosnou elougha wa
el kafia
Ach houa al haik,wa tala wal
mounhamar
Fassar lana wa ikhtar mina djaria
Lama raouni ma fahimtou minhoum khitab
Rajaou limaghnahoum wa sarou
yachroubou
Koultou ya milah askouni min
yadha echarab
Assa nakhbarkoum bima antoum
tatloubou
Kalou naâm idha atfassar dha al
djawab
Tadjawazou allia
Watlahfou al ghawali
Wabquit ala thania
Maktoul biha niçal
Koultou amhalou allia
Nachki lakoum bihali
Elles ont toutes dit d'expliquer
ce qui suit, si tu es en mesure de
comprendre la langue et la prosodie que veut dire « Haiq », « tala
» et « Mounhamar », donne-nous
l'explication et choisis une parmi
nous. Lorsqu'elles ont su que je ne
comprenais pas leurs propos, elles
se retournèrent pour continuer à
chanter et boire.
Je leur ai dit de me verser de ce
vin
Peut-être je répondais à ce que
vous m'avez demandé
Si tu sais répondre nous saurons
te séduire.
( 98 )
UNE LANGUE DECAPEE
ET DEBARRASSEE DE
CLICHES
Après quelques instants de
réflexion, on lui demanda de répondre succinctement aux questions posées. C'est ce que nous
allons découvrir dans la quatrième
stance. Le poète va nous offrir
dans cette odelette des compatibilités sémiques de manière à procéder à un effet de non-sens car les
mots ont un sens immédiat et un
sens imagé dans une langue décapée et débarrassée des clichés. On
retrouve des mots isolés et chargés
de vertu. Toutes les métaphores
s'imposent alors à son regard.
L'image est aux antipodes de la
rhétorique.
DAMAI DJARA DANS LE
MODE INSRAF HSEIN
....‫قالـوا اقتصـر نحن عزمنا السفــر‬
‫أنـت تـروح تقـرأ في بعـد الـزاويـة‬
....‫حتى تصيـر تفهـم وتـأتي باخلــبر‬
‫أرسـل لـنا منشـيوا معـاك للقـاريــة‬
‫ يا‬....‫أجبتهـم ملـن أعطـاوني بالظهــر‬
‫بـاهيـات أنـا حضـر عندي اجلـواب‬
‫ إال‬....‫و حياتكـم عن و صلكم مـا نقتصر‬
‫نريـد نطـول مـعاـم في اخلــطاب‬
....‫الهيق هـو ذكـر النعـم املنتشــر‬
‫الهمر هـو الـماء الـزير من السحــاب‬
....‫ما طال فهمواني شبه الغزال في الـدات‬
‫مـن حلـم طمعـوني إذا يصيـر بتبـات‬
‫راني‬
....‫بـالـوصـــل جنــــــزوني‬
‫غنمــــــت شمـــــات‬
« Kalou akhtassar idha azamna
ala assfar
Wanta tarouh takraâ fi baadh
azaouia
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Chansons du Terroir
Histoire
Site historique d'Andalousie
Hata tassir tafham wa taati bilkhabar
Arsil lana najiou maak li sania
Ajabtouhoum lamma atawni bidahar
Ya bahiat ana hadhar andi
aldjawab
Wa hayatoukoum an waslikpum
ma neftakir
El hikou houa dakr ennaam el
mouchtahar
Ala ouridou outilou maakoum
elkhitab
Amma atlaa afahmouni chibh el
ghazal fi eddhat
Min lahmihi atiimouni
Idha youssad bithabat
Bil wasli ana djazouni
Rani aghtanamtou chamat »
Essaie de répondre brièvement
pour qu'on puisse partir et toi
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
Va apprendre dans quelques
zaouïas.
Jusqu'à ce que tu trouves l'explication.
Envoie-nous pour qu'on puisse
venir te voir dans la « sania » (prairie)
Lorsqu'elles se retournèrent
pour partir
J'étais en mesure de répondre à
ces beautés
« Al haiq » est le mâle de l'Autruche
« Anhamar » est l'averse et « Talâ
« est le petit de la gazelle juste
après sa naissance.
....‫قالوا افتتح جفنك و ال تغمض البصــر‬
‫و اختــار منـــا كيف كل جاريـة‬
‫ و‬....‫إذا تساعدنـا نسيــر للقصــــر‬
‫اتنـــال منا كل درجة عاليـــة‬
....‫قلت يــا مالح لويلة معكم نريــد‬
‫نسقي املــدام على ندمي آلتــــكم‬
( 99 )
....‫ونعيــن أبهاكم وننشى ذا القصيــد‬
‫أنا كالسلطــــان مــــا بينكم‬
....‫يكون ذاك اليوم عندي مثـل عيـــد‬
‫وأنــــا نقبل في سنة و جنتـــكم‬
....‫قالوا الرقيب غايب عنـا في كــل ليلة‬
‫أنت رجعت صاحب أغنمت بالوسيلــة‬
‫أجلس على املراتــب و اختــار منـــا‬
‫خليلة‬
Kalou aftah djafnek wa la tghamad bassar
Wa ikhtar minna kama koulna
djaria
Idha toussaidouna nassir lilkassar
Wa tanal ;inq koul daradja alia
Koultou ya mlih alwila maakoum
ourid
Asqui al moudam an ladhid alatikoum
Wanayan bahakoum wa nanchad
all kaçid
Wa ana kama essoltane zahi beinakoum
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Histoire
Yakounou dhalika el youm aid
ma mithlouhou aid
Wa ana ankabal fi sana wajnatakoum
Kalou arakib ghayeb
anna fi kouli leila
Wanta sirta sahib
Waghlab bilwassila
Adjliss ala el maratib
Wakhtar mina khalila
Son attachement à I’timad commença au cours d’une promenade
à la prairie d’argent sur le bord
du Guadalquivir, accompagné de
son ami Ibn ‘Ammar où il fit sa
connaissance dans un cadre romanesque. C’est le coup de foudre en
découvrant cette douce voix qu’est
I’timad qui venait de donner la réplique du second hémistiche qu’ibn
Ammar n’arrivait pas à improviser
pour répondre au vers de son ami
Al Mou’tamad.
SEDUCTION PAR
VERSIFICATION
Après avoir répondu fidèlement
aux questions posées, le promeneur a été pris en sympathie par les
courtisanes et l'ont adopté comme
amant. La confrontation entre le
poète et les courtisanes se termine
par une séduction fort appropriée
envers celui qui auparavant semblait
être inculte et ne connaissant rien
de la mélodie chantée par les courtisanes.
C'est toute une modulation d'une
rêverie d'un promeneur qui avait
épié les courtisanes en train de
chanter dans les jardins dans toute
la félicité de leur être. Dans la der-
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nière stance nous allons voir comment le poète et ses amantes doivent
exalter leur volupté.
....‫أصغى إلى حسن السبــات و الوتــر‬
‫الروض و أصغى إلى حسن القافيـــة‬
‫ أجلس‬....‫إذا تقوم بــدر بطــاسة اخلمـــر‬
‫سريعــا فوق صحن اخلابيــة‬
‫ دعوا‬....‫قلت يــا غوالي آش فيكم من ينــام‬
‫عليــا النوم و امـالوا الكؤوس‬
‫ إال‬....‫أنــا منامي صار على عيني حـــرام‬
‫نريــد جلستكم بني الغـــروس‬
....‫أنــا دخيل ملن حضر في ذا املقـــام‬
‫خلوني في دار من نـهوى جلـــوس‬
‫طالـــع‬
- ‫لعبنـا لعبت معاهم – أمتـازحوا الكواعب‬
‫ العقل ـار غايب‬- ‫القلب طـار معاهم‬
‫سبحــان من نشاهم حتى جرت غرايـــب‬
Wa esagha ila hosni essabti wal
watari
Wanassat ila hosni el ghina wal
kafia
Idha taksam bader bitssat al khamar
Wajliss mourihen fawka sahni al
khabia
Koultou ya ghawali ach ayfidkoumManami
daou alia anwma wa amalaou al
kououss
Ana manami sar an ayni haram
Ala nourid djalsatakoum beina al
gharous
Ana dakhil men hadhar fi da al
makam
Khalaouni fi khadi man nahoua
nabous
Laabou laabet maahoum
Wetmzahou al kawâib
Al kalbou sar maahoum
Wal aklou sar ghaib
(100)
Sobhan man djamâhoum
Hata wadjdat gharaib
DAMAI DJARA DANS
LE MODE INSRAF
MEZMOUM
....‫ودعتــهم و القلــب مني ينهمــر‬
‫الدمع من عيني كفيــض الساقيــة‬
....‫املعتمد يقرأ الســالم ملن حضـــر‬
‫مــــا دامت الدنيا وخمر الداليــة‬
‫ و‬....‫دمعي جرى على صحن خدي كاملطــر‬
‫الروح في فرط الهوى في هاويــة‬
Wadaatouhoum wal kalbou mini
yanfatar
Wa damou min ayni ka feidhi
assakia
El mouaatamed youkri assalam
liman hadhar
Madamati eddounia wa kharm
adalia
Damai djara an sahni khadi kal
el matar
Warouhou min farti al hawa fi
hawiya.
SCENE COURTISANE ET
AMOUR – CHASTE
Enfin on peut dire que Damaï djara est une scène courtisane de l'Andalousie ancestrale, une scène de la
cour de Séville. C’est l'émanation de
la société andalousienne une façon
de peindre une passion. Un type de
personnage que nous retrouvons
dans toutes les poésies chantées du
mouwachahat et du zadjal. C’est un
univers propre à l'âge de l'Andalousie arabe. O combien l'amour chaste
revient sur les lèvres des poètes.
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Chansons du Terroir
Histoire
Une illustration littéraire d'un
type pittoresque incarné réellement
dans les vers d'El Mou’tamad que
chantent chez nous de nombreux
interprètes et cheikhs tels Raymond
Leyris, Hadj Mohamed Tahar Fergani, Hadj Abdelmouen Bentobbal, Salah Rahmani pour ne citer
que ceux-là, sans oublier la jeune
génération à sa tête Salim Fergani,
un maître du jouer juste dont les
performances ont montré ses aptitudes à maîtriser notre art. En fait,
les timbres diffèrent spécifiquement
d'un maître à un autre.
en la présentant comme un astre de
beauté et tant d'autres lui inspirèrent
des moments de romance.
Chez les Moulouk at tawa'if,
l'amour du plaisir prit divers aspects. Amis, vin, musique, danse se
mêlaient souvent dans des « majalis
el ouns ». L'historien Ibn Bessam
dans sa « Dakhira » a beaucoup décrit ces scènes. Aimait-il tant le vin
pour avoir lui-même
(Al Mou’tamad) écrit ces vers :
BOUE D'AMBRE DE
MUSC ET D'ESSENCE
DE ROSE
« Abreuve ton cœur de doubles
rasades, car maint malade s'est ainsi
guéri et jette-toi sur la vie comme
sur une proie, car sa durée est éphémère. Quand bien même ta vie durerait mille ans pleins, il ne serait pas
exact de dire qu'elle est longue. Te
laisseras-tu ainsi mener par la tristesse jusqu'à la mort alors que le luth
et le vin frais sont là qui t'attendent.
» Comme dans Damaï djara, c'est
toujours autours des courtisanes
qui jouent du luth et chantent qu'Al
Mou’tamad déguste le vin dont il dit
qu'il est l'astre de Jupiter.
Splendeur des courtisanes appelant leur muse à la limite de l'apothéose de leur passion au plus spectaculaire où s'affronte l'acceptation
de l'autre dans une séduction toute
linguistique et littéraire, telle est la
substance de cette belle pièce de Damaï djara qui revient dans les récitals de toutes nos fêtes. Poète jusqu'à
la chute de Séville, Al Moutamad
sera ramené par Youcef Ibn Tachfin
à Tanger puis près de Meknes. Le
temps passe et se meurt. Le Des-
El Mou’tamad est le prince andalou type de l'époque des taïfas.
Les femmes ont occupé une place
importante dans sa vie. Et parmi
toutes ces beautés féminines, sans
doute, c'est I'timad ar Rumakyya,
femme d'une grande beauté, très capricieuse qui a eu le plus d'ascendant
sur lui. On avait dit d'elle qu'en voulant imiter des campagnardes qui
jouaient dans la boue, Al Mou’tamad lui fit apporter dans la cour du
palais une énorme quantité d'ambre
de musc, d'essence de roses et de
parfum ; le tout pétri forma une
couche épaisse de boue odorante
dans laquelle la sultane et sa suite se
promenèrent pieds nus portant des
outres de soie, récit rapporté dans
Touhfout El Arous.
Les soupirs d'El Mou’tamad s'exhalent et ses larmes coulent lorsqu'il
décrit lui-même Djawhara, cette
courtisane qui occupa fort le prince
LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE
VIE EPHEMERE ET
JOIE DU LUTH
( 101 )
tin en décidé ainsi. Il ne reste ni la
gloire, ni la puissance.
La poésie d’Al Mou’tamad durant
son exil est la plus appréciée. Elle
est l’expression de la dignité d’un
homme dans le malheur après avoir
vécu dans le bonheur. Une langue
dépouillée sans fioritures car véhiculant des sentiments sincères et
émouvants. Malgré le crime odieux
qu’il commit sur la personne de son
ami Ibn Ammar, il reste aimé dans
le cœur des Andalous.
PLEURER DES LARMES
COMME DE LA PLUIE
QUI TOMBE
Faut-il pleurer aux souvenirs des
beaux jours de l'Andalousie ? Pleurer
des larmes plus que la pluie quand
elle tombe ou de l'eau qui s'échappe
de la fontaine. Al Mou’tamad mourut dans sa captivité à Agmât en
Mars 1095 J.-C. Rabi El Awal 488
de l'Hégire après celle de son épouse
I'Timad, enterré semble-t-il à Sidi
Abbad. Beaucoup de poètes ont
laissé sur lui des élégies touchantes
telles que Ibn Labbana. Ses larmes
ont coulé de ces chagrins qui emplissaient son cœur.
Le spectacle bouleversant de sa
mort fit pleurer tout le monde. Ibn
Al Khatib nous a conservé une
longue et émouvante élégie qu’Ibn
Abdsamad composa à la mémoire
d’Al Mou’tamad dont voici un extrait :
« J’avais espéré que mes larmes
apaiseraient ma tristesse dans un
cœur embrasé
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Chansons du Terroir
Histoire
Un palais arabo-musulman en Andalousie
Et voici que plus je répands mes
larmes, plus l’ardeur de mes entrailles augmente. »
Et lorsque les larmes ont cessé de
couler et que le cœur brisé s’est réveillé, Al Mou’tamad fut emprisonné à Agmât, il nous laissa ces vers :
‫إقنع بحظك في دنياك ما كانا وعز نفسك‬
‫إن فارقت أوطانا‬
‫في اهلل من كل مفقود مضى عوض فأشعر‬
‫القلب سلوانا وإميانا‬
‫أكلما سنحت لها ذكرى طربت لها مجت‬
‫دموعك في خديك طوفانا‬
‫أما سمعت بسلطان شبيهك قد بزته سود‬
‫خطوب الدهر سلطانا‬
‫وطن على الكره وارقب إثره فرجا واستغنم‬
‫اهلل تغنم منه غفرانا‬
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« Contente-toi de ton sort, quel
qui soit en ce monde et console-toi,
bien que tu aies quitté ses foyers.
Dieu accorde une compensation
pour tout être perdu,
que la consolation et la foi remplissent ton cœur.
Est-ce qu’à chaque fois qu’un
souvenir émouvant se présente à
l’esprit, d’abondantes larmes, tel un
déluge, doivent se répandre sur tes
joues.
N’as-tu pas entendu parler d’un
souverain tel que toi que les sombres
vicissitudes du destin ont emporté.
Prépare-toi à subir l’épreuve avec
l’espoir d’en être délivré, demande à
Dieu ta part du butin, il t’accordera
le pardon.
(102)
(traduction de Hamdane Hadjadj- Al
Mou’tamad Ibn Abbad Le Prince-poète)
Damaï djara est l'expression musicale d'une symphonie qui plait à
l'oreille, aux sens d'un moment de
plaisir passé entre le poète et ses
courtisanes, qui met en symbiose
Constantine avec son inspiration
sévillane dans les jardins humectés
de rosée et balayés par les souffles
de l’Andalousie. Une époque que
la colombe pleurera Al Mou’tamad
en survolant les hauteurs de Séville,
un matin lumineux où cette femme
voilée en noir de Constantine avait
épuisé ses larmes.
Dr Boudjemaâ HAICHOUR
Supplément N° 30 - Décembre 2014.
Ahmed Gadda, maquisard depuis 1948

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