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ISSN 0832-7203
La contribution de la gestion des
connaissances à la gestion de la relève :
le cas Hydro-Québec
Par : Anne Bourhis
Line Dubé
Réal Jacob
Cahier du GReSI no 04-12
Mai 2004
Copyright © 2004. HEC Montréal.
Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction et toute reproduction sous quelque forme que ce soit est interdite.
HEC Montréal, 3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal, Québec, H3T 2A7 Canada. Les textes publiés dans
la série des Cahiers du GReSI n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
La contribution de la gestion des connaissances à la gestion de la relève :
le cas Hydro-Québec1
Anne Bourhis, Ph.D.
Professeure agrégée, Service d’enseignement de la gestion des ressources humaines
HEC Montréal
3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine
Montréal (Québec) Canada H3T 2A7
Téléphone : (514) 340-6873
Télécopie : (514) 340-6898
[email protected]
Line Dubé, Ph.D.
Professeure agrégée, Service d’enseignement des technologies de l’information
HEC Montréal
3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine
Montréal (Québec) Canada H3T 2A7
Téléphone : (514) 340-6765
Télécopie : (514) 340-6132
[email protected]
Réal Jacob, M.Ps., C.E.A
Professeur titulaire, Service d’enseignement du management
HEC Montréal
Directeur scientifique, CEFRIO
3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine
Montréal (Québec) Canada H3T 2A7
Téléphone : (514) 340-7024
Télécopie : (514) 340-5635
[email protected]
Prière de faire parvenir toute correspondance à :
[email protected]
1
La rédaction de cet article n’aurait pu être possible sans la collaboration des personnes suivantes à Hydro-Québec : M.
Jean-Luc Chabot, directeur, gestion de la relève, Mme Andrée Dupéré, consultante interne, gestion de la relève, Mme
Marie Maldonado, chef innovation et expertise technologique et M. Alexandre Gilbert, analyste en développement
informatique. Les auteurs tiennent aussi à remercier le fonds FLIPE (volet initiatives pédagogiques étudiantes) de HEC
Montréal pour avoir permis une investigation en profondeur du cas Hydro-Québec. Cet article s’inscrit dans la foulée
des travaux conduits par les auteurs sur les communautés de pratique virtuelles dans le cadre du projet Nouveaux modes
de travail et de collaboration à l’ère d’Internet sous l’égide du CEFRIO.
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La contribution de la gestion des connaissances à la gestion de la relève :
le cas Hydro-Québec
Anne Bourhis, Line Dubé et Réal Jacob
Résumé
Deux enquêtes récentes (Knowings, 2003; Long, 2002) mettent en évidence l’importance
d’associer le domaine de la gestion des connaissances à l’enjeu de la gestion de la relève.
Cet article illustre l’interaction entre ces deux domaines à partir de l’étude de cas de la
société Hydro-Québec. Après avoir situé le champ de la gestion des connaissances, nous
présentons succinctement la stratégie de gestion de la relève d’Hydro-Québec en montrant
en quoi différentes approches en gestion des connaissances contribuent à cette
problématique organisationnelle. L’analyse du cas Hydro-Québec permet plus
spécifiquement de montrer la contribution des communautés de pratique virtuelles à l’enjeu
stratégique du transfert des compétences. L’article conclut sur l’identification de facteurs
clés de succès dans la mise en place de telles communautés et sur la relation entre les
domaines de la gestion des connaissances et de la gestion des ressources humaines.
Abstract
Two recent surveys ((Knowings, 2003; Long, 2002) show the need to associate knowledge
management to the challenges of succession planning. This paper illustrates the interaction
between these two domains using Hydro-Québec as a case study. After introducing the
concept of knowledge management, we briefly present the succession management strategy
of Hydro-Québec by showing how knowledge management may contribute to this
organizational issue. The analysis of the Hydro-Québec case allows us to show more
specifically how virtual communities of practice can contribute to the strategic issue of
competence transfer. The article ends with the identification of key success factors when
implementing such communities, and reflects on the interrelation between knowledge
management and human resources management.
Mots-clés
Communauté de pratique virtuelle, gestion de la relève, gestion de la connaissance, étude de
cas
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La contribution de la gestion des connaissances à la gestion de la relève :
le cas Hydro-Québec
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La problématique de la gestion de la relève s’inscrit fondamentalement dans les domaines
des relations industrielles et de la gestion stratégique des ressources humaines. Du point de
vue des relations industrielles, les études sont surtout orientées vers la documentation de
tendances lourdes (évolution de la démographie, des flux migratoires, des niveaux de
scolarisation, du vieillissement de la population, des valeurs chez les travailleurs, etc.) qui
justifient la nécessaire prise en compte du phénomène de la gestion de la relève par les
organisations (Lamonde, Audet, Bernard, Laflamme et Larocque, 2002). Ce type de travaux
s’exprime généralement sous la forme d’analyses quantitatives (par exemple, le nombre de
personnes disponibles sur un territoire donné) et qualitatives (par exemple, les catégories de
compétences disponibles sur un territoire ou dans une filière professionnelle) des bassins de
main-d’œuvre. Les résultats de ces analyses sont utilisés par les gestionnaires dans leur
planification stratégique et prévisionnelle de la main-d’œuvre et par les personnes qui ont
comme mandat de s’assurer que les politiques publiques en matière de main-d’œuvre et de
formation professionnelle prennent en compte les phénomènes structuraux émergents.
Selon la perspective de la gestion des ressources humaines, la préoccupation première
consiste à développer des pratiques de pointe qui permettent de relever le défi de la gestion
de la relève. Ces pratiques sont au cœur de différentes stratégies portant sur l’attraction de
personnes de qualité, la formation continue, la gestion des parcours professionnels, la
modulation des départs, la gestion des hauts potentiels, la formation dans l’action –
coaching, compagnonnage, etc. (St-Onge, Audet et Haines, 1998). En regard de la gestion
de la relève, les domaines des relations industrielles et de la gestion des ressources humaines
sont donc complémentaires : le premier produit des études macro qui influencent la
formulation stratégique de plans d’action alors que le second se situe à un niveau plus micro
s’intéressant à des pratiques orientées vers la mise en œuvre de plans d’action de gestion de
la relève.
Plus récemment, un certain nombre d’études produites dans le domaine de la gestion des
connaissances2 montrent à quel point ce champ est étroitement lié à celui de la gestion de la
relève (Davenport, 1999; Ermine, 2003). Ces études soulèvent cependant de nombreuses
interrogations telles que : Tous les savoirs peuvent-ils et doivent-ils être transférés ? Tous les
savoirs ont-ils la même valeur pour l’organisation ? Comment concilier les pratiques
individualisées de gestion de la relève et les réseaux sociaux porteurs de connaissances
collectives ? Autant de questions qui nous indiquent l’importance, pour les organisations, de
s’intéresser aux contributions du domaine de la gestion des connaissances à la gestion de la
relève. L’objectif de cet article consiste à illustrer cette contribution par l’analyse de
certaines pratiques de gestion des connaissances chez Hydro-Québec. Après avoir situé le
2
Dans cet article, nous retenons la définition englobante du concept de connaissance de Ballay (2002) : « la
connaissance implique des phénomènes tels que le langage, la mémoire, l’apprentissage, l’expérience, les
perceptions et les émotions. La connaissance est ce qui est présent à notre esprit, consciemment ou
inconsciemment, lorsque nous sommes en situation de faire, de dire, d’apprendre, d’éprouver, d’interpréter
et de décider » (p. 21). Dans la foulée de cette définition, les termes connaissance et savoir ont la même
signification.
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domaine de la gestion des connaissances, nous présentons succinctement la stratégie de
gestion de la relève chez Hydro-Québec en montrant en quoi différentes approches en
gestion des connaissances contribuent à cette problématique organisationnelle. À l’aide du
concept de communauté de pratique et du cas Hydro-Québec, nous approfondissons enfin
l’idée que les réseaux sociaux peuvent être porteurs de connaissances collectives et qu’ils
peuvent constituer, dans un contexte plus global de gestion de la relève, une approche
innovatrice de partage et de transfert de connaissances.
GESTION DES CONNAISSANCES ET GESTION DE LA RELÈVE
Pour différentes raisons stratégiques, plusieurs grandes entreprises telles que Clarica,
Desjardins Sécurité Financière, EDF-GDF, Hydro-Québec, IBM Global Services, Interquisa
Canada, Schlumberger et Xerox3 intègrent la gestion des connaissances au cœur de leur
processus d’affaires.
La gestion des connaissances peut être définie comme une stratégie visant à structurer
formellement le capital de connaissances d'une organisation, en lien avec ses orientations
stratégiques et ses besoins d'innovation et d'amélioration de compétitivité, supportée par une
infrastructure technologique et organisationnelle, organisée autour de processus de gestion
de connaissances, avec l'humain comme premier lieu d'interaction et de création de
connaissance (Jacob et Pariat, 2000). Or, l’enquête de la société Knowings (2003), réalisée
auprès de dirigeants européens, nous indique que, dans le domaine de la gestion des
connaissances, la priorité concerne la préservation et l’exploitation des connaissances tacites
ou explicites liées aux compétences organisationnelles spécifiques et au métier de
l’entreprise. Ainsi, les dirigeants d’entreprises voient une contribution primordiale de la
gestion des connaissances à une stratégie de gestion de la relève. En effet, pour qu’il y ait
pérennité de l’expertise accumulée au cours des ans dans une organisation, la gestion de la
relève ne peut se limiter au remplacement des individus, mais doit aussi s’accompagner d’un
transfert intergénérationnel des savoirs. En vue d’éclairer cette problématique de la gestion
de la relève, retenons donc les points suivants :
-
La gestion des connaissances renvoie généralement à trois grands processus : 1) générer
et renouveler, 2) capitaliser, 3) diffuser et transférer (Ballay, 2002; Jacob, 2001). Le
premier processus comprend l’ensemble des approches qui permettent d’identifier des
connaissances nouvelles, d’extérioriser les savoirs tacites, d’ajuster les connaissances
existantes et de les remettre en question. Les récits anecdotiques (storytelling), les
retours d’expérience, l’appel à tous, les outils de veille, le benchmarking, les bilans de
performance, les groupes de résolution de problèmes sont autant de pratiques qui
soutiennent ce processus. La capitalisation correspond aux activités de formalisation
(répertorier, rassembler, codifier, synthétiser et classifier) des connaissances tacites et
explicites sous la forme de référentiels de connaissances qui sont généralement
3
Le site The KNOW Network présente un classement annuel américain, européen et japonais des meilleures
entreprises dans le domaine de la gestion des connaissances. Il s’agit d’un lieu de réseautage, de partage et
de
benchmarking
sur
les
meilleures
pratiques
en
gestion
des
connaissances
(www.knowledgebusiness.com). On retrouve un groupe semblable en France avec le Club de gestion des
connaissances fondé par Jean-Louis Ermine, auteur de nombreux ouvrages sur ce sujet (http://www.clubgc.asso.fr/).
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électroniques (ex : contenus de formation, référentiel de meilleures pratiques, pages
jaunes d’expertise, référentiel de leçons apprises). Quant au processus de diffusion et de
transfert, il réfère aux moyens utilisés, tels le e-learning, le coaching, les systèmes
d’aide à la tâche et les communautés de pratique, pour partager et rendre disponibles les
connaissances capitalisées en vue d’une appropriation individuelle et collective.
-
Le capital connaissances peut être constitué de savoirs explicites (objectifs formalisés,
observables, conceptuels et opératoires) et de savoirs tacites (informels, contextualisés,
expérientiels et subjectifs). Alors que les savoirs explicites sont facilement accessibles,
un des défis de la gestion de la relève réside dans la capacité à mettre en place un
contexte et des pratiques qui facilitent l’extériorisation des savoirs tacites. Les travaux de
Nonaka et Takeuchi (1997) ont clairement démontré que l’extériorisation se produit
lorsque les acteurs évoluent dans une relation de confiance réciproque avec les collègues
et le supérieur immédiat, au sein d’une organisation dont la culture valorise et reconnaît
le partage. Ce serait une erreur d’investir dans des techniques reconnues d’extériorisation
de savoirs tacites si les conditions de contexte que nous venons d’énoncer étaient peu
favorables.
-
Tous les savoirs n’ont pas nécessairement la même valeur en regard d’un métier et d’une
entreprise. Avant de se lancer dans un processus de capitalisation de savoirs explicites et
tacites en vue de les transférer, il convient de s’interroger sur leur niveau de criticité,
c’est-à-dire sur leur importance stratégique pour l’organisation (Ermine, 2003; Long,
2002). Les travaux d’Ermine (2003) proposent d’aborder cette évaluation à partir d’une
approche par domaines spécifiques à l’activité de l’entreprise. Cette approche de la
criticité s’appuie sur deux grandes familles de critères : factuels (ex : profondeur,
complexité) et stratégiques (ex : adéquation avec les orientations stratégiques). Le
recours au concept de criticité (ou vulnérabilité) représente d’ailleurs l’un des
fondements de la stratégie de gestion de la relève chez Hydro-Québec.
-
Les savoirs sont bien sûr localisés chez l’humain. Cependant, l’évolution récente de la
recherche dans le domaine de l’innovation nous indique clairement que le savoir n’est
pas qu’une affaire individuelle. Il se construit et se développe également dans des
réseaux sociaux, généralement informels. On parle alors de connaissances collectives.
Ainsi, l’apprentissage résulte d’un phénomène social autant que de processus
individuels. Que ce soit dans une famille, à l’école, avec des amis ou dans le milieu
professionnel, l’apprentissage se fait donc par l’appartenance à un groupe, à une
communauté. C’est de cette conceptualisation de l’apprentissage, qui va au-delà de la
simple addition des connaissances individuelles, que sont nées les communautés de
pratique professionnelles. Wenger (1998) a bien montré l’importance de ces
communautés dans le développement de la pratique professionnelle.
Ainsi, les communautés de pratique se révèlent être une idée porteuse en matière de transfert
des savoirs, et donc de gestion des connaissances dans une optique de gestion de la relève.
Une communauté de pratique est un groupe de personnes ayant en commun un domaine
d’expertise ou une pratique professionnelle, et qui se rencontrent pour échanger, partager et
apprendre les uns des autres (APQC, 2001; Wenger, McDermott et Snyder, 2002). Les
communautés de pratique permettent donc de transcender les limites organisationnelles que
sont les services, les unités d’affaires, les postes ou les niveaux hiérarchiques. Chaque
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membre d’une communauté bénéficie ainsi d’un groupe de pairs qu’il peut interroger, à qui
il peut transmettre ses savoirs et avec qui il peut réfléchir et créer de nouvelles
connaissances. Bien que les communautés de pratiques ne soient pas un concept nouveau,
elles ont pris un nouvel essor dans les organisations grâce notamment à l’apport des
technologies de l’information et des communications (TIC) qui permettent de transcender
les barrières de temps et d’espace, et donc de regrouper les individus en fonction de leurs
intérêts, et non de leur localisation géographique. Les communautés qui utilisent les TIC
comme principal mode d’interaction sont qualifiées de virtuelles (Dubé, Bourhis et Jacob,
2003b).
Ces communautés peuvent se former de façon spontanée, sans effort de développement de la
part de l’organisation. Mais de plus en plus, elles sont parrainées et soutenues par les
organisations qui les hébergent, afin qu’elles répondent à un besoin ou à une stratégie
particulière. Dans ce cas, l’organisation ne doit pas contrôler ou imposer un mode de
fonctionnement à ces communautés, mais plutôt accompagner leur processus naturel de
développement en leur accordant les ressources nécessaires à leur épanouissement et en
favorisant un environnement dans lequel elles peuvent prospérer (Wenger et al., 2002).
Depuis quelques années, plusieurs organisations ont effectivement favorisé la mise en place
de telles communautés comme lieux de création et de partage de connaissances dans une
démarche de gestion et de développement des connaissances. Citons notamment de grandes
entreprises telles que Shell, Daymler Chrysler, Hewlett-Packard, IBM, Xerox ou Siemens
qui sont hôtes de plusieurs centaines de communautés (Deloitte Research, 2001).
La création de réseaux sociaux intentionnels sous la forme de communautés de pratique peut
s’avérer une approche stratégique dans une optique de gestion de la relève puisque ces
communautés représentent un contexte privilégié d’extériorisation des connaissances,
qu’elles contribuent à l’ensemble des processus de gestion des savoirs et qu’elles favorisent
la création et le développement de connaissances collectives. L’enquête de Knowings (2003)
nous rappelle que les dirigeants identifient les communautés de pratique comme la
principale source de progrès dans leur entreprise. Mais plus qu’un lieu de génération des
connaissances, les communautés de pratique sont également un lieu de transfert des savoirs,
comme le confirme un rapport de recherche récent de la firme Acccenture qui identifie les
communautés de pratique parmi les quatre stratégies les plus importantes de rétention et de
transfert des connaissances (Long, 2002). Le cas Hydro-Québec nous permet donc de nous
familiariser avec cette approche et de mieux comprendre les facteurs qui peuvent faciliter ou
contraindre sa mise en œuvre.
LE CAS HYDRO-QUÉBEC : RELÈVE, RÉSEAUX ET TRANSFERT DES CONNAISSANCES
La stratégie de gestion de la relève à Hydro-Québec
La stratégie de gestion de la relève de la société Hydro-Québec est déjà largement
commentée dans un autre article de ce numéro collectif. Nous pouvons cependant rappeler
qu’elle vise essentiellement à gérer le risque relatif à la pérennité du savoir-faire et à profiter
de l’opportunité créée par le renouvellement de ses ressources humaines pour améliorer sa
capacité à atteindre les objectifs de la société. La gestion des compétences, qui constitue la
pierre angulaire du plan corporatif de gestion de la relève (Hydro-Québec, 2003), s’articule
autour de six grands processus : planifier, acquérir, développer, utiliser, conserver et
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reconnaître les compétences des individus et les compétences collectives ou
organisationnelles (le savoir et les savoir-faire stratégiques pour l’organisation). Pour chacun
de ces processus, une série d’actions et de moyens est mise de l’avant; ces actions relèvent
soit de pratiques de gestion des ressources humaines, comme le fait d’offrir des conditions
alléchantes aux candidats potentiels pour s’assurer un recrutement de qualité, soit de la
gestion des connaissances comme les plans de transfert lors d’un départ, l’identification des
compétences stratégiques et des plans d’évolution de ces compétences. Le tableau 1 présente
quelques exemples de ces pratiques.
Tableau 1 : Quelques exemples de pratiques de gestion de la relève chez Hydro-Québec
Processus
Planifier
Pratiques de gestion des ressources humaines
Pratiques de gestion des connaissances
ƒ Planification continue des intentions de départ
ƒ Cartographie des connaissances
ƒ Analyse des intentions de départ
ƒ Analyse de vulnérabilité
ƒ Bilan des compétences stratégiques
Acquérir
ƒ Conditions concurrentielles à l’embauche
ƒ Amélioration de l’image d’Hydro-Québec
comme employeur
Développer
ƒ Plan individuel de développement
ƒ Programme de formation
ƒ Apprentissage en situation de travail (ex.
coaching)
ƒ Partenariats avec les institutions
d’enseignement
ƒ Projets de transfert d’expertise externe à
l’interne
ƒ Plan de développement des compétences
stratégiques
ƒ Réseaux de partage et de collaboration
Utiliser
ƒ Gestion de la performance
ƒ Réseaux de partage et de collaboration
Conserver
ƒ Accueil et intégration des recrues
ƒ Réseaux de partage et de collaboration
ƒ Plan de transfert des compétences lors de
départs
ƒ Plan de transfert lors de départs
ƒ Gestion de la performance
ƒ Exposition interne démontrant le savoir-faire
des employés et les innovations
Reconnaître
ƒ Reconnaissance des contributions
individuelles
ƒ Modélisation des connaissances
Adapté de : Chabot (2003)
L’examen des pratiques mises en place par Hydro-Québec dans le cadre de son plan
corporatif de gestion de la relève indique donc que l’entreprise y intègre largement les
approches provenant du domaine de la gestion des connaissances et qu’elle réserve une
place particulière aux réseaux de partage et de collaboration, aussi nommés communauté de
pratique, considérés comme une nouvelle avenue de transfert des connaissances. Le plan
implique également l’utilisation d’outils de travail collaboratif et la création de référentiels
électroniques de connaissances sous la forme notamment de dépôt de bonnes pratiques et de
répertoires d’expertise. Le recours plus systématique aux communautés de pratique est
actuellement en cours d’expérimentation, de sorte que l’on répertorie aujourd’hui au sein de
l’organisation une douzaine de ces communautés, déployées en mode projet pilote. Qui dit
projet pilote, dit expérimentation et bilan des apprentissages. Les prochaines lignes sont
consacrées à l’un de ces projets, celui de la Direction solutions informatiques.
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Les communautés de pratique à la Direction solutions informatiques
Faisant partie du Centre de services partagés d’Hydro-Québec, la Direction solutions
informatiques (DSI) est l’unité organisationnelle qui prend en charge toutes les activités
reliées au développement et à la maintenance des systèmes informatiques utilisés par
l’entreprise. En 2002, face à des pressions grandissantes de ses clients internes, la DSI se
questionne sur sa structure et ses modes d’organisation du travail. La DSI est alors organisée
sous forme d’unités de développement informatique (une vingtaine) et de centres d’expertise
(cinq), ces derniers « prêtant » aux unités de développement qui en font la demande des
spécialistes (voir figure 1, avant la réorganisation).
Figure 1 : Réorganisation à la DSI
Organigramme simplifié
avant la réorganisation
Organigramme simplifié
après la réorganisation
Direction
Solutions Informatiques
Direction
Solutions Informatiques
Informatique
en centres d’appels
Informatique
en recouvrement
Informatique
en obtention du revenu
Centre d’expertise
en architectures
xxx
Centre d’expertise
informationnelle
+++
Centre d’expertise
web
ooo
Unités de
développement
informatique
Centres d’expertise
informatiques
Informatique
en centres d’appels
x + o
Informatique
en recouvrement
x + o
Informatique en
obtention du revenu
x + o
Unités de
développement
informatique
Réseaux
Cette façon de faire pose des difficultés. Ainsi, la nécessité pour les unités de développement
de puiser dans un bassin commun de ressources entraîne souvent d’intenses négociations sur
le choix des personnes et leurs disponibilités, causant ainsi des délais dans les estimations de
temps et de coût acheminées au client pour un projet particulier. Considérant tous les projets
qui ont cours au même moment, les unités de développement se font souvent assigner, au
début d’un projet, le spécialiste actuellement disponible et non pas celui qui a développé au
fil du temps une connaissance approfondie du domaine d’affaires du client. De plus, puisque
leur centre d’appartenance est avant tout le centre d’expertise et qu’ils ne collaborent que
temporairement à un projet spécifique dont une autre unité assure la gestion, les spécialistes
se sentent relativement peu imputables envers le client final. La conséquence générale de
cette façon de faire est que l’unité de développement informatique ne se sent que
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partiellement imputable face au client puisqu’elle n’a pas un contrôle parfait sur les
ressources.
Face à ce constat, la DSI décide de faire éclater les centres d’expertise en assignant de façon
permanente les spécialistes à chacune des unités de développement informatique. On espère
ainsi favoriser le développement d’une connaissance du domaine d’affaires, rapprocher les
spécialistes des clients et rendre les spécialistes imputables puisqu’ils appartiennent
dorénavant à l’unité de développement en charge du succès du projet auquel ils participent.
On s’attend aussi à ce que les unités de développement informatique aient plus de facilité à
planifier leurs projets puisqu’elles gèrent maintenant directement l’ensemble de leurs
ressources.
Malgré l’importance des avantages recherchés, la DSI comprend très bien que l’éclatement
des centres d’expertise comporte aussi sa part de faiblesses. Ainsi, par la décentralisation des
ressources spécialisées, on risque de manquer d’uniformité dans les pratiques, de mettre fin
à l’entraide spontanée qui existe entre les spécialistes tout particulièrement au niveau de la
validation des solutions proposées, de procéder difficilement au développement et au
renouvellement des expertises techniques, de ne pas réutiliser les expériences passées et de
dupliquer des efforts de vigie en matière de développement des compétences techniques
(Maldonado, 2003). Étant donné un environnement technologique très volatile, il faut noter
que la DSI considère que son autonomie technologique est stratégique et passe par la
conservation et le développement de ses spécialistes. La conservation et le partage de cette
expertise lorsqu’il y a départ d’experts et arrivée de nouveaux spécialistes sont aussi au cœur
de cette problématique.
Ainsi, à la fin de 2002, afin de combler les possibles lacunes de sa nouvelle structure
organisationnelle, la DSI décide de remplacer les liens hiérarchiques formels qui existaient
dans les centres d’expertise par des communautés de pratique qu’elle appelle des réseaux de
collaboration et de partage. Elle met ainsi en place quatre réseaux : le Réseau des architectes
fonctionnels (31 membres), le Réseau des architectes technologiques (35 membres), le
Réseau Web (137 membres) et le Réseau DBA (16 membres) (voir figure 1, après la
réorganisation). Parce que les membres d’un même réseau sont physiquement délocalisés au
sein de sept édifices de la région de Montréal, un portail est développé afin de favoriser le
partage et la collaboration. On y retrouve un groupe de discussion, un répertoire des
membres contenant aussi leurs domaines d’expertise, des capsules technologiques, etc. Un
moteur de recherche permet l’interrogation de la base de connaissances. Des statistiques de
participation peuvent aussi être obtenues. Quoique des rencontres de groupe en face-à-face
soient aussi organisées (3 à 6 par année), le portail demeure l’outil central de partage et de
collaboration.
Les objectifs de la mise en place des réseaux de partage et de collaboration à distance ont été
élaborés et communiqués à toutes les personnes impliquées lors de nombreuses séances
d’information; un bulletin d’information mensuel (INFO-Réseaux) a d’ailleurs été conçu
afin de renseigner tous et chacun sur la progression du projet. La DSI a aussi choisi de
mettre en place une structure formelle de gestion pour chacun des réseaux (Hydro-Québec,
2003). Ainsi, chaque réseau dispose d’un responsable assigné à temps plein à cette tâche,
formé à ce rôle et ayant une double charge de participation et d’administration. D’une part,
comme membre à part entière du réseau, le responsable en est l’animateur, le facilitateur, le
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modérateur et le coordonnateur. Ainsi, il assure la cohérence des pratiques de la DSI dans
son domaine, effectue la vigie et développe une vision du domaine de compétences; il
transmet les recommandations de la communauté et en assure le suivi; il joue un rôle
stratégique d’intégration des nouveaux membres dans le réseau. D’autre part, le responsable
du réseau veille à son administration en gérant le portail et son contenu, et en assurant le lien
avec les autres réseaux de l’entreprise et avec la direction à qui elle communique les gains
apportés par le réseau, ses diagnostics et ses plans d’évolution de la pratique.
Les réseaux sont vus comme des éléments-clés de la collaboration et du partage des
connaissances entre les spécialistes maintenant délocalisés. Ainsi, on s’attend, entre autres, à
ce que les membres utilisent la force du réseau, qu’ils participent activement aux
discussions, forums, appels à tous et événements en supportant, conseillant et questionnant
le contenu des échanges, qu’ils s’entraident dans la résolution de problèmes, qu’ils
documentent et diffusent des modèles et pratiques de leur domaine (vigie et connaissances
acquises) et qu’ils participent à l’amélioration des pratiques du réseau. Pour la DSI, ces
réseaux se présentent aussi comme de véritables outils de gestion de la relève puisqu’ils
servent de support à l’apprentissage et de mécanisme de parrainage où les plus expérimentés
participent à la formation des novices à travers ce lieu de formation informelle. Du point de
vue de la Direction de la gestion de la relève, cette expérience à la DSI est aussi comprise
comme l’expérimentation d’une nouvelle approche de transfert de connaissances que l’on
souhaite déployer, à l’aide des connaissances acquises, dans des conditions optimales à
Hydro-Québec.
Toutefois, après un an de mise en place et comme dans toute forme de changement
stratégique, la transition n’est pas facile et la participation au sein des réseaux, quoique sur
une pente ascendante, représente toujours un défi. L’heure est donc au bilan des
apprentissages à tirer de cette expérience pilote afin d’en identifier les facteurs de succès et
défis encore à relever.
La mise en œuvre d’une communauté de pratique virtuelle : les facteurs de succès
Avant d’investiguer le vécu de ces quatre réseaux de spécialistes collaborant à distance, il
importe de s’interroger sur la notion même de succès dans le contexte des communautés de
pratique. Aucun consensus ne s’est formé dans la littérature autour d’une définition claire de
ce qu’est le succès. Cependant, on s’entend généralement pour affirmer qu’une communauté
a du succès lorsqu’elle atteint les objectifs qu’elle s’était fixés elle-même, quels qu’ils soient
(Cothrel et Williams, 1999). La définition et la mesure du succès varient donc d’une
communauté à l’autre. Or, rappelons que dans le cas particulier de la DSI, la mise en place
des réseaux s’inscrit dans une stratégie de partage et de collaboration dans un but de
transfert des savoirs afin de faciliter la gestion des connaissances et, plus implicitement, la
gestion de la relève. C’est donc au regard de la collaboration et du partage que l’on peut
évaluer la réussite de la mise en œuvre des communautés de pratique de la DSI à HydroQuébec.
Or, conformément à l’esprit entourant l’expérimentation par projet pilote, un premier bilan
établi un an après la mise en place des réseaux permet de dégager les facteurs qui ont
influencé la mise en place des réseaux à la DSI et d’identifier les défis qui restent à relever.
D’une part, les quatre réseaux ont bel et bien été officiellement lancés, et les statistiques
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indiquent une augmentation de la participation des membres. Cependant, il est clair que tous
les membres ne participent pas de façon aussi active aux discussions collectives et à la
résolution de problèmes en groupe. Or la collaboration, si elle est indispensable à la
pérennité des réseaux et à l’atteinte des objectifs de gestion des connaissances et de la
relève, peut difficilement s’obtenir par la force. L’analyse de la littérature en gestion des
connaissances et du cas qui nous occupe permet d’identifier un certain nombre de facteurs
clés de succès de la mise en place des communautés de pratique, tels que représentés à la
figure 2. Examinons l’expérience de la DSI en ce qui a trait à chacun de ces facteurs.
Figure 2 : Facteurs de succès
Contexte
organisationnel
Design et
mise en œuvre
Soutien
de la direction
Qualité
de l’animation
Partage
et collaboration
au sein du réseau
Bénéfices perçus
Reconnaissance
de la participation
Choix
technologiques
Le contexte organisationnel
Une organisation qui souhaite parrainer une communauté de pratique doit promouvoir un
contexte favorable à la collaboration et au partage des connaissances (Dubé, Bourhis et
Jacob, 2003a), ce qui semblait être le cas au sein des anciens centres d’expertise à la DSI.
Pour les spécialistes, il était valorisant de partager leurs connaissances avec les collègues
immédiats, de sorte que le transfert d’expertise et l’entraide se faisaient librement.
Cependant, le déploiement des spécialistes au sein des unités de développement semble
avoir créé une perte d’identité collective pour les spécialistes; perte d’identité d’autant plus
mal vécue par certains qu’il leur est maintenant demandé de partager leur expertise, source
importante de prestige et de pouvoir, non pas uniquement avec leurs collègues proches, mais
de façon beaucoup plus publique, à travers le portail. Certains préfèrent donc utiliser le
téléphone pour collaborer avec leurs anciens collègues du centre d’expertise, plutôt que
d’utiliser les outils collectifs de collaboration mis à leur disposition.
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L’ampleur du changement est importante pour les spécialistes en informatique. À l’occasion
de la mise en place du travail collaboratif, ce sont deux réorganisations majeures qu’ils ont
vécues : la décentralisation dans les unités de développement et la création des réseaux.
Alors que les spécialistes ont été en mesure de participer étroitement aux discussions
associées à la création des réseaux de partage et de collaboration, le processus de
décentralisation s’est davantage imposé de lui-même, très rapidement et avec un faible
niveau de consultation, les spécialistes se voyant assigner à leur nouveau poste dans un délai
très court et sans avoir eu la chance d’émettre leur préférence quant à l’unité d’accueil. En
outre, compte tenu des urgences opérationnelles, la stratégie d’accueil et d’intégration des
spécialistes dans leurs nouvelles unités de développement a souffert d’un manque de
planification. Ces difficultés ont amené certains spécialistes à questionner la légitimité
même du changement. Cette situation suggère que le niveau de participation des spécialistes
aux réseaux de partage et de collaboration est davantage influencé par la manière dont on a
géré la décentralisation que par la valeur intrinsèque des réseaux. On peut donc dire ici que
le contexte a agi comme une force contraignante sur le démarrage des réseaux de
collaboration et de partage de la DSI et qu’il y aurait lieu, dans une perspective
d’apprentissage, de faire une analyse post-mortem de cette expérience avec les décideurs et
les professionnels impliqués.
Le design et la mise en œuvre
Contrairement à d’autres organisations où les communautés de pratique sont mises à l’essai
sans démarche préalable de réflexion structurée de la part du milieu, les réseaux de la DSI
sont le fruit d’une démarche réfléchie et structurée. Le processus de design a permis de
discuter des types de communautés, de se questionner sur les stades d’évolution, de préciser
les activités potentielles des membres, de caractériser les rôles de parrain et d’animateur des
réseaux, d’identifier les fonctionnalités et les outils technologiques pertinents et de préciser
les grandes étapes de l’implantation. L’étape de design a aussi permis à l’équipe de la DSI
de réfléchir sur les principes directeurs qui devraient guider les réseaux au cœur du
processus de décentralisation. En outre, la mise en œuvre a été appuyée par une démarche de
communication continue par le biais de séances d’information ou de formation, de réunions
de coordination et d’un bulletin mensuel. Les réseaux de la DSI disposent donc d’une
structure formelle de gestion et d’animation. Du point de vue de la DSI, le processus de
design et la mise en œuvre détaillée produite en 2002-2003 sont identifiés comme des
facteurs facilitant le déploiement des réseaux. Il aurait cependant été souhaitable que les
décideurs des unités d’affaires opérationnelles aient été parties prenantes de ce processus. Ils
auraient alors probablement été en mesure de mieux saisir l’importance des réseaux de
partage et de collaboration dans le cadre du nouveau modèle d’affaires et d’en comprendre
la légitimité. Cette observation nous rappelle l’importance de tenir compte de l’ensemble des
acteurs interpellés par un changement de nature stratégique.
Le soutien de la direction
Autre facteur clé de succès identifié dans la littérature sur les communautés de pratique,
l’appui de la direction comprend d’une part les actions réalisées en préparation à la mise en
place des réseaux, d’autre part le suivi quotidien de ces derniers. Dans le cas qui nous
occupe, la DSI s’est engagée à mettre du temps et des efforts pour faire fonctionner les
réseaux, engagement qui s’est traduit par la nomination de responsables de réseau dégagés à
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temps plein pour remplir les fonctions d’animation et de gestion, et par l’allocation de
budgets spécifiques, ce qui confère aux responsables une certaine autonomie dans
l’organisation d’activités pour leur réseau. En revanche, dans le suivi quotidien, le constat
est plus mitigé. Si les directions des unités de développement comprennent l’importance de
ces réseaux, elles sont souvent aux prises avec des problèmes opérationnels urgents qui
prennent vite le pas sur les besoins de collaboration et de partage. Ainsi, les spécialistes se
sentent constamment tiraillés entre leurs dossiers clients et leur participation au réseau,
d’autant plus qu’ils se demandent à quel compte ils doivent facturer leur temps de
participation. Or, sans des actions cohérentes avec le discours de la part de tous les membres
de la direction (DSI et unités de développement), une amélioration de la participation aux
réseaux demeurera difficile.
La qualité de l’animation
La littérature indique très clairement l’importance de la qualité de l’animation dans le succès
des communautés de pratique, notamment au stade de démarrage (Dubé et al., 2003a).
L’animation est sans conteste une des forces des réseaux implantés au sein de la DSI
puisque chacun bénéficie d’un animateur à temps plein, chargé de dynamiser la
communauté, mais également de faire le lien entre le réseau et la direction de la DSI. Ces
animateurs permettent d’une part de détecter à la source les tensions et de désamorcer les
crises pouvant en découler, et d’autre part de recréer le tissu social des centres d’expertise.
Leur proximité physique, puisqu’ils sont tous localisés au même endroit, facilite la
cohérence, le partage des expériences individuelles et l’échange entre les domaines
d’expertise. Certains pourraient trouver ironique que cette proximité physique soit
importante pour les responsables de réseau alors qu’on vient d’en priver les spécialistes; le
fait que le mode d’organisation par réseaux en soit à ses premiers pas peut justifier le besoin
de proximité des animateurs, qui, en dépit d’une formation initiale, doivent apprendre leur
rôle sur le tas4. De plus, ces animateurs se rencontrent systématiquement une heure par
semaine et font aussi partie d’un réseau des responsables de réseau pour l’ensemble de
l’entreprise afin de partager l’expérience acquise.
Les bénéfices perçus
Un des défis de la mise en place des réseaux à la DSI semble être la perception qu’ont les
usagers des bénéfices qui en découlent, comme l’augmentation du potentiel d’innovation ou
l’enrichissement, non pas individuel, mais collectif des connaissances au sein d’un groupe.
Dans le cas de la DSI, il semble que certains gestionnaires des unités de développement
comprennent mal les avantages liés aux réseaux et, sans les décourager directement, offrent
peu de soutien ou d’encouragement à leurs spécialistes pour qu’ils y participent. Du point de
vue des participants, les communautés de pratique sont perçues davantage comme un
possible outil de développement individuel qu’un outil collectif de transmission et de
création des savoirs. Donc, de leur point de vue, le téléphone ou courriel est aussi efficace
que l’outil collaboratif. Un des moyens d’encourager la participation individuelle à l’effort
collectif serait de la reconnaître de façon particulière. En effet, la reconnaissance
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À cet effet, notons qu’un centre d’expertise, encore très restreint et qui n’en était encore qu’à ses premiers
pas, n’a pas été délocalisé.
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individuelle fait partie des décisions de gestion qui peuvent favoriser le succès d'une
communauté de pratique, tout spécialement dans un contexte où l'environnement
organisationnel pose des difficultés (Dubé et al., 2003a)
La reconnaissance de la participation
L’amélioration de la reconnaissance de la participation des spécialistes au développement
des savoirs collectifs demeure un des grands défis de la DSI. En effet, étant donné le
contexte culturel et syndical de l’organisation, il a été jusqu’à maintenant impossible de
changer la stratégie de rémunération pour reconnaître la participation aux réseaux. C’est
donc par une reconnaissance publique et symbolique, comme la création d’un « temple de la
renommée » pour des contributions exceptionnelles, que la DSI souhaite éventuellement
souligner la participation individuelle. En parallèle, si les stratégies en place arrivent à
maintenir et à développer le sentiment d’appartenance des spécialistes à leur réseau, la
reconnaissance par les pairs devrait venir stimuler la participation. Pour que cette
reconnaissance fonctionne, toutefois, l’obtention d’une masse critique en termes de
participation au sein des réseaux est une condition sine qua non.
Les choix technologiques
Les choix technologiques et les différentes fonctionnalités de partage et de collaboration se
présentent comme un déterminant souvent sous-estimé du succès des communautés de
pratique. À la DSI, les réseaux bénéficient aujourd’hui d’un environnement technologique
collaboratif performant, mais qui nécessite encore quelques améliorations afin de mieux
répondre aux besoins des réseaux, notamment en termes de gestion documentaire.
Cependant, ces outils technologiques n’étaient pas en place lors du transfert des spécialistes
dans les unités de développement, ce qui a favorisé l’usage du courrier électronique ou du
téléphone dans les premiers temps, habitude maintenant bien ancrée. Il est possible, et c’est
là le pari que fait la DSI, que l’utilisation systématique du portail et des outils collaboratifs
se montrera plus efficace que les comportements actuels et entrera graduellement dans les us
et coutumes.
Ainsi, on note que la création des réseaux au sein de la DSI est une initiative intéressante et
porteuse, mais qui, comme tout changement, a encore quelques défis à relever afin de
trouver sa place dans les habitudes de l’organisation et des individus. Pour que les réseaux
atteignent leur plein potentiel, tous devront y trouver leur compte. La direction de la DSI
doit donc promouvoir les bénéfices de ce mode de collaboration et valoriser les
contributions individuelles, de façon à aligner les pratiques de gestion des ressources
humaines, et notamment les pratiques de reconnaissance et d’évaluation, sur la volonté
organisationnelle de partage des connaissances. Les directions des unités de développement
devront aussi comprendre que la participation à ces réseaux est nécessaire au développement
de l’expertise de ses spécialistes et au transfert des compétences, et donc offrir un milieu
favorable à cette participation.
CONCLUSION
Hydro-Québec fait partie de ces organisations qui ont innové en utilisant le levier que
constituent les pratiques de gestion des connaissances pour enrichir sa stratégie de gestion de
la relève. Bien que ces expériences pilotes aient encore plusieurs défis à relever, comme
nous l’avons vu avec le cas plus précis de la DSI, l’organisation en réseaux a permis de
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rapprocher virtuellement des personnes éloignées physiquement, et de favoriser un réel
partage des connaissances, ce qui constitue l’enjeu principal de la gestion de la relève. En
effet, sans transfert des connaissances pour assurer une pérennité des savoirs professionnels
au sein d’une organisation, la gestion de la relève peut devenir un exercice essentiellement
quantitatif au cours duquel l’entreprise se borne à combler les chaises laissées vides par les
départs à la retraite. Organiser le transfert intergénérationnel des connaissances par le biais
de communautés de pratique permet d’assurer aux nouvelles recrues la transmission des
savoirs explicites, mais également des savoirs tacites identifiés, discutés et répertoriés par les
réseaux eux-mêmes.
Le choix d’inclure les pratiques de gestion des connaissances dans une stratégie de gestion
de la relève est représentatif du fait que cette problématique touche diverses fonctions dans
les organisations. Une gestion efficace de la relève ne peut donc être conçue que dans une
optique transversale, en faisant appel à un ensemble de pratiques de gestion, et non pas
uniquement dans une optique fonctionnelle de recrutement. Ainsi, l’expérience d’HydroQuébec montre qu’une véritable stratégie de gestion de la relève doit intégrer les domaines
des relations industrielles, de la gestion des ressources humaines et de la gestion des
connaissances. Ce dernier domaine, qui favorise non seulement le développement des
connaissances mais également leur transfert, constitue la pierre angulaire d’une approche
qualitative de la gestion de la relève qui capitalise sur la pérennité des savoirs tacites et
explicites développés par les individus pendant leur carrière.
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