COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE

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COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE
COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE
QUÉBEC
DOSSIER :
C-2014-3962-2 (13-0362-1)
LE 20 NOVEMBRE 2015
SOUS LA PRÉSIDENCE DE Me MARIE-ESTHER GAUDREAULT
LE COMMISSAIRE À LA DÉONTOLOGIE POLICIÈRE
Plaignant
c.
Le sergent JEAN CARON, matricule 2419
Membre du Service de police de la Ville de Québec
Intimé
DÉCISION SUR SANCTION
LA CITATION
C-2014-3962-2
[1]
Le 29 janvier 2014, le Commissaire à la déontologie policière (Commissaire)
dépose au Comité de déontologie policière (Comité) la citation suivante :
C-2014-3962-2
PAGE : 2
« Le Commissaire à la déontologie policière cite devant le Comité de
déontologie policière le sergent Jean Caron, matricule 2419, membre du
Service de police de la Ville de Québec :
Lequel, à Québec, le ou vers le 12 janvier 2013, alors qu’il était dans
l’exercice de ses fonctions, n’a pas utilisé une pièce d’équipement
(véhicule de police) avec prudence et discernement, commettant ainsi un
acte dérogatoire prévu à l’article 11 du Code de déontologie des policiers
du Québec (R.R.Q., c. P-13.1, r. 1). »
[2]
Le 4 septembre 2015, le Comité rend une décision sur le fond :
« [189] POUR CES MOTIFS, le Comité :
[190] DÉCLARE QUE le sergent JEAN CARON, matricule 2419, membre du
Service de police de la Ville de Québec, a enfreint les dispositions de
l’article 11 du Code de déontologie des policiers du Québec. »
[3]
L’audience pour déterminer la sanction qui sera imposée à l’intimé est tenue le
14 octobre 2015.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA DÉCISION DU COMITÉ
[4]
Le samedi 12 janvier 2013 vers 9 h 30, plusieurs citoyens signalent la présence
d’un individu qui déambule torse nu sur la chaussée du boulevard de l’Ormière à
Québec.
[5]
Il pointe les véhicules qui passent comme s’il tenait une arme.
[6]
Les agents Denis Doré et Martin Roy du Service de police de la Ville de
Québec (SPVQ) sont assignés à cette intervention.
[7]
L’agent Roy croit qu’il s’agit de S.D., un individu qu’il connaît bien et qui présente
des problèmes importants de santé mentale. S.D. se définit lui-même comme « un tueur
en série ».
[8]
Au SPVQ, seuls les sergents portent l’arme intermédiaire Taser.
[9]
L’agent Roy veut disposer du Taser et il fait appel à l’assistance de son sergent,
l’intimé Jean Caron.
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[10] L’usage de l’arme, au besoin, permettra de limiter l’atteinte à l’intégrité physique
de S.D. et d’assurer la protection des citoyens et celle des policiers.
[11] L’intimé Caron est au poste de La Haute-St-Charles. Il se met immédiatement en
route vers le lieu de l’intervention policière.
[12]
En conduite d’urgence, il traverse plusieurs intersections sur feu rouge.
[13]
L’intimé Caron ne parviendra pas à destination.
[14] Peu avant 9 h 37, il heurte violemment le véhicule de M. Alexandre Boucher à
l’intersection du boulevard Johnny-Parent et du boulevard Robert-Bourassa.
[15] M. Boucher est grièvement blessé. Il sera hospitalisé plusieurs jours et invalide
plusieurs mois. L’intimé est également blessé et sera transporté aux urgences en
ambulance.
[16] Bien que convaincu que l’intimé était animé des meilleures intentions en voulant
prêter assistance à ses agents le plus rapidement possible, le Comité a retenu
l’infraction du seul chef de cette citation et a conclu que l’intimé, ce jour-là, a adopté une
conduite imprudente.
LA PREUVE
[17]
Seul l’intimé Caron a offert son témoignage à l’audience.
[18] Policier depuis 31 ans, le dossier déontologique de l’intimé est vierge et il n’avait
jamais été impliqué dans une collision avant celle concernée dans cette citation.
[19] L’intimé déclare qu’il a toujours exercé ses fonctions avec respect, prudence et
courtoisie, son mandat étant de servir et de protéger les citoyens.
[20] Cet événement a changé sa vie et il le regrette amèrement. Cela explique qu’il
ait, de son propre chef, communiqué avec M. Boucher pour s’enquérir de son état.
[21] Il y songe chaque jour, souffrant toujours de douleurs cervicales causées par
deux hernies pour lesquelles il a reçu des infiltrations d’anti-inflammatoires et de la
physiothérapie.
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PAGE : 4
[22] Depuis cet événement, l’intimé a redoublé de prudence en conduite d’urgence et
se garde « une plus grande marge de manœuvre ».
[23]
L’intimé supervise le travail de plusieurs agents.
[24] C’est lors de l’audience de cette citation qu’il a été informé de la procédure de
déneigement qui consiste à appliquer dans un premier temps les abrasifs sur une seule
voie.
[25] Depuis lors, il en a informé tous ses agents, les invitant eux aussi à redoubler de
prudence.
[26] Il a également communiqué avec le responsable de la santé et de la sécurité au
travail du SPVQ afin que tous les agents reçoivent l’information pertinente.
[27] Il avise le plus rapidement possible toutes les équipes lorsque l’une d’elles est
arrivée sur les lieux d’un événement.
[28]
L’intimé porte désormais sa ceinture de sécurité en tout temps.
[29] Enfin, l’intimé affirme que la perte financière résultant d’une suspension de ses
fonctions ne lui apporterait aucun enseignement supplémentaire.
ARGUMENTATION DES PARTIES
Le Commissaire
[30] Le Commissaire suggère au Comité de suspendre l’intimé de ses fonctions pour
une période de 25 jours.
[31] Il rappelle que la conduite d’urgence ne suspend pas l’application de l’article 327
du Code de la sécurité routière1 :
« 327. Toute vitesse ou toute action susceptible de mettre en péril la vie ou
la sécurité des personnes ou la propriété est prohibée.
1
RLRQ, c. C-24.2.
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En outre des chemins publics, le présent article s’applique sur les chemins
soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles et de la
Faune ou entretenus par celui-ci, sur les chemins privés ouverts à la
circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres
commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler. »
[32] Voici ce qu’il soutient, insistant sur le caractère dissuasif et exemplaire
nécessaire à cette sanction.
[33] L’intimé n’admet pas son inconduite, même si le Comité a refusé de considérer la
glace telle un piège et reconnu son imprudence.
[34] Les 30 années d’expérience de l’intimé, à la fois comme conducteur et formateur,
auraient dû l’inciter à la plus grande prudence en conduite d’urgence.
[35] Les manœuvres de l’intimé ont compromis la sécurité des citoyens. Il n’a jamais
atteint les lieux de l’événement et, au surplus, les effectifs policiers ont dû être mobilisés
en raison de la collision qu’il a causée.
[36] Les blessures de M. Boucher sont graves. Les conséquences de l’infraction de
l’intimé auraient pu être encore plus graves.
[37] Au soutien de sa recommandation, le Commissaire produit ces quatre décisions
dont il commente quelques extraits.
[38] La décision Commissaire à la déontologie policière c. Roy, 2013 QCCDP 48
(CanLII), sanctionne l’infraction aux dispositions de l’article 11 du Code de déontologie
des policiers du Québec2 (Code) par une période de suspension de huit jours dans les
circonstances suivantes :
2
•
L’intimé reconnaît les faits. Ceux-ci sont exposés conjointement par les parties
qui suggèrent toutes deux la période de suspension de huit jours.
•
L’intimé a cinq ans d’expérience et n’a aucun antécédent déontologique.
•
L’intimé répond à un appel d’urgence et circule à 68-69 km/h à 1,8 seconde de
l’impact et à 22 km/h au moment de l’impact, dans une zone où la vitesse
permise est de 50 km/h.
RLRQ, c. P-13.1, r. 1.
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•
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La chaussée, couverte de neige et d’eau, était plus glissante à l’intersection où
s’est produit l’impact.
[39] Dans la décision Commissaire à la déontologie policière c. Gagnon, 2011 CanLII
44837 (QC CDP), la suspension de quinze jours imposée par le Comité est réduite en
appel devant la Cour du Québec (Gagnon c. Simard, 2012 QCCQ 4421) et rétablie en
révision par la Cour supérieure (Simard c. Champoux, 2014 QCCS 1201).
[40] Cette période de suspension sanctionne la même infraction dans les
circonstances suivantes :
• L’intimé a deux ans d’expérience et n’a aucun antécédent déontologique.
• L’intimé répond à un appel d’urgence et les gyrophares et la sirène sont activés.
• L’intimé roule à 50 km/h, décélère rapidement à 15 km/h à l’intersection sans
s’immobiliser au feu rouge, puis accélère sans vérifier ce qui se trouve dans son
angle mort.
[41] Dans la décision Commissaire à la déontologie policière c. Théoret, 2008 CanLII
30834 (QC CDP), la suspension de vingt jours imposée par le Comité est réduite en
appel devant la Cour du Québec (Théoret c. Simard, C.Q. Montréal,
500-80-011463-081, 28 mai 2009) et rétablie en révision par la Cour supérieure (Simard
c. Paquet, 2010 QCCS 5954).
[42] Cette période de suspension sanctionne la même infraction dans les
circonstances suivantes :
•
L’intimé reconnaît les faits et ceux-ci sont exposés conjointement par les
parties.
•
L’intimé a huit ans d’expérience et n’a aucun antécédent déontologique.
•
L’intimé répond à un appel d’urgence et les gyrophares et la sirène sont
activés.
•
L’intimé roule à 133 km/h à cinq secondes de l’impact, dans une zone
urbaine. Il décélère à 38 km/h à une seconde de l’impact alors que le feu
passe au rouge.
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•
Plusieurs personnes sont blessées, dont le policier. Le véhicule de patrouille
est détruit.
•
Le Comité reconnaît que le policier a agi de bonne foi et sans intention
malveillante.
[43] Dans la décision Commissaire à la déontologie policière c. Sasseville, 2009
CanLII 41915 (QC CDP), sur la culpabilité, et 2010 CanLII 2722 (QC CDP), sur la
sanction, la suspension de trente jours imposée est confirmée en appel devant la Cour
du Québec (Couture c. Simard, 2012 QCCQ 3043) ainsi qu’en révision par la Cour
supérieure (Sasseville c. Quenneville, 2013 QCCS 4178.
[44] Cette période de suspension sanctionne la même infraction dans les
circonstances suivantes :
[45]
•
L’intimé a seize ans d’expérience et n’a aucun antécédent déontologique
•
L’intimé répond à un appel d’urgence et les gyrophares et la sirène sont
activés.
•
La chaussée est sèche et le temps est beau.
•
L’intimé roule à 70 km/h dans une zone où la vitesse permise est de 50 km/h.
•
Le feu est rouge. L’intimé ralentit et regarde de chaque côté. Une voiture
surgit et il y a collision, causant des blessures majeures à deux citoyens.
•
L’intimé invoque la faute contributive du citoyen qui conduisait la voiture avec
laquelle il est entré en collision.
Le Commissaire rappelle ces commentaires du Comité dans l’affaire Sasseville :
« [20] Les sanctions imposées par le Comité dans la jurisprudence soumise
par le procureur du Commissaire sont des suspensions sans traitement dont
les durées varient entre dix et soixante jours. L’écart entre les sanctions
s’explique par la vitesse à laquelle circulait le policier, par le degré d’attention
que le policier portait au chemin devant lui, ainsi que par la présence ou
l’absence de blessures ou, le cas échéant, par le décès de la victime.
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[21] Dans Grenier, le Comité a imposé une suspension sans traitement de
trente-cinq jours au policier. Celui-ci avait emprunté l’accotement de droite du
chemin pour effectuer un dépassement et son véhicule est entré en collision
avec un autre à une intersection. Le conducteur et sa passagère ont subi
quelques blessures mineures.
[22] Dans Théoret, le Comité a imposé une suspension sans traitement de
vingt jours au policier. La vitesse à laquelle circulait la voiture de police et
l’omission par le policier de respecter le feu de circulation en franchissant une
intersection étaient les causes directes de l’accident. Le conducteur et sa
passagère ont subi des blessures mineures.
[23] Dans Markovic, le Comité a imposé une suspension sans traitement de
trente jours au policier. Un jeune garçon qui traversait la rue a été frappé par
la voiture de police et est décédé à la suite de l’impact. La cause principale de
l’accident était la vitesse du véhicule.
[24] Dans ces trois décisions, il s’agissait d’une reconnaissance de
responsabilité enregistrée par le policier et le Comité en a tenu compte. Dans
le présent cas, la conduite de l'agent Sasseville a été jugée dérogatoire. »
(Références omises)
[46] En réplique, le Commissaire met en doute la sincérité de l’intimé, affirmant que
son témoignage au regard du port de la ceinture de sécurité diffère de celui offert à
l’audience précédente et, enfin, que l’intimé confond la sanction avec la perte monétaire
qu’elle engendre.
[47] Le Commissaire réclame une sanction dissuasive et exemplaire. Il produit une
liste3 de nombreuses décisions déontologiques portant sur les infractions aux
dispositions de l’article 11 du Code.
3
Commissaire à la déontologie policière c. Julien, 2015 QCCDP 37 (CanLII); Commissaire à la
déontologie policière c. Routhier, 2015 QCCDP 41 (CanLII); Commissaire à la déontologie policière c.
Bélisle-Maheux, 2015 QCCDP 16 (CanLII); Commissaire à la déontologie policière c. Bolduc, 2015
QCCDP 15 (CanLII); Commissaire à la déontologie policière c. Smith, 2014 QCCDP 62 (CanLII);
Commissaire à la déontologie policière c. Roy, 2013 QCCDP 48 (CanLII); Commissaire à la déontologie
policière c. Ouellet, 2012 CanLII 34645 (QC CDP); Commissaire à la déontologie policière c. Gagnon,
2011 CanLII 36038 (QC CDP); Commissaire à la déontologie policière c. Pelletier, 2010 CanLII 18967
(QC CDP); Commissaire à la déontologie policière c. Théoret, 2008 CanLII 30834 (QC CDP);
Commissaire à la déontologie policière c. Sasseville, 2009 CanLII 41915 (QC CDP); Commissaire à la
déontologie policière c. Craig, 2005 CanLII 59886 (QC CDP); Commissaire à la déontologie policière c.
Grenier, 2006 CanLII 81667 (QC CDP); Commissaire à la déontologie policière c. Dugas, 2006 CanLII
81652 (QC CDP); Commissaire à la déontologie policière c. Desjardins, 2005 CanLII 59862 (QC CDP);
Commissaire à la déontologie policière c. Béliveau, 2001 CanLII 27830 (QC CDP) et Commissaire à la
déontologie policière c. Markovic, 2000 CanLII 22251 (QC CDP).
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[48] Il en tire cet argument : la collision imputable à la conduite de l’intimé « est
arrivée après tout ça. En conséquence, le message doit être clair et la sanction
sévère. »
L’intimé
[49] L’intimé rappelle qu’il a cru, sincèrement, avoir agi avec prudence dans les
circonstances. C’est en s’éloignant du danger potentiel, comme il se doit, qu’il a
emprunté une voie sans fondants et sans abrasifs.
[50] L’intimé rappelle aussi les objectifs de la sanction déontologique : rappeler la
norme de conduite, favoriser la réhabilitation et prévenir de ce fait la récidive, tout en
évitant de conférer à cette sanction un caractère punitif.
[51] L’intimé commente les décisions citées par le Commissaire et souligne ce qui
distingue la conduite des intimés concernés de sa propre conduite.
[52] Ainsi, dans l’affaire Roy, l’intimé n’a pas fait face à un élément imprévu, mais
était distrait par la consultation de sa carte d’appel.
[53] Dans l’affaire Théoret, l’intimé n’a pas fait d’arrêt au feu rouge et aucune
condition climatique particulière n’affectait sa conduite.
[54] Quant à l’affaire Sasseville, l’intimé a commis une erreur de jugement et, là
également, aucune condition climatique particulière n’était en cause.
[55] Dans l’affaire Gagnon, l’intimé était également distrait alors que, roulant dans des
conditions de neige, il a dû traverser 6 voies de circulation. En appel devant la Cour du
Québec, le juge a conclu qu’une période de suspension de deux jours constituait la
sanction juste, après une large recension de décisions.
[56] La suspension de quinze jours imposée par le Comité dans l’affaire Gagnon a
été rétablie par la Cour supérieure. L’intimé souligne ces propos de la Cour au regard
du processus décisionnel :
« [28] S'il est vrai que la sanction doit s’harmoniser avec la jurisprudence en
semblable matière et servir de guide dans l’imposition de celle-ci, il n’en
demeure pas moins qu’il n'y a aucun cas exactement semblable aux faits de
la présente affaire. La lecture de la jurisprudence appelle au constat que
chaque cas en est un d’espèce.
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[29] Le Comité a tenu compte des circonstances spécifiques à la présente
affaire et a retenu que les facteurs de dissuasion et d’exemplarité étaient en
harmonie avec l’objectif poursuivi. Dans son analyse, le Comité a également
pris en considération de nombreuses décisions dont plusieurs de celles
répertoriées par le juge Champoux.
[30] Le tribunal est d’avis que le Comité n’avait pas à reprendre chacune des
décisions citées pour y apporter spécifiquement des distinctions, mais il
devait, comme il l’a fait, les prendre en considération. Dans l’arrêt
Newfoundland & Labrador Nurses Union c. Terre-Neuve et Labrador (Conseil
du Trésor), la juge Abella écrit :
"[15] La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train
d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit
faire preuve de 'respect [à l’égard] du processus décisionnel [de
l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit' (Dunsmuir,
par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la
décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire,
examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.
[16] Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les
arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le
juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute
leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère
raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une
conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si
subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale
o
des employés des services, local n 333 c. Nipawin District Staff Nurses
Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs
répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de
révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de
déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables."
[31] Avec égards pour l'opinion du juge Champoux, le tribunal estime que la
jurisprudence citée permet de constater que chaque cas est un cas d'espèce
et que la sanction est plus sévère lorsqu'il y a un décès résultant d'un accident
provoqué par un policier. Il n'y a pas de recette simple ou de règle
mathématique pour déterminer la sanction. Force est de conclure que pour
chaque cas de détermination de sanction, la compétence spécialisée du
Comité prend tout son sens. » (Référence omise)
[57]
L’intimé invite donc le Comité à « particulariser » la sanction qui lui sera imposée.
[58] L’intimé rappelle qu’il s’agit de sa première infraction déontologique et que sa
contestation aura démontré le caractère urgent de son intervention, l’usage de la sirène
et des gyrophares conforme à la norme, la présence de glace noire imperceptible et
l’absence de fondants dans la voie empruntée.
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[59] L’intimé reconnaît que la gravité des blessures de M. Boucher doit être prise en
compte, mais rappelle qu’il ne portait pas, tout comme lui-même, sa ceinture de
sécurité.
[60] L’intimé invite le Comité à considérer tous les facteurs qui atténuent la gravité de
sa faute.
[61] Il cite ce commentaire de la décision Commissaire à la déontologie policière c.
Landry, AZ-95148007 (page 4) :
« […] Le portrait d’ensemble de l’événement comporte des circonstances
atténuantes qui appellent une sanction devant se situer au bas de l’échelle
quant à la sévérité et l’exemplarité qu’elle doit représenter. […] »
[62] L’intimé suggère au Comité de suivre l’enseignement de la Cour supérieure, de
s’éloigner de « la mathématique jurisprudentielle » et de lui imposer une période de
suspension de huit jours.
[63] En duplique, l’intimé précise qu’il n’est pas préoccupé par une perte financière,
mais qu’elle n’est pas utile à sa réhabilitation.
[64] Il souligne que la liste des décisions produites par le Commissaire porte sur
23 années alors qu’il y a plus de 15 000 policiers en fonction au Québec. Cela indique,
à son avis, qu’il ne s’agit pas « d’un problème endémique ».
ANALYSE ET DÉCISION
[65]
L’intimé a enfreint les dispositions de cet article du Code :
« 11. Le policier doit utiliser une arme et toute autre pièce d’équipement avec
prudence et discernement.
Notamment, le policier ne doit pas:
1° exhiber, manipuler ou pointer une arme sans ju stification;
2° négliger de prendre les moyens nécessaires pou r empêcher l’usage d’une
arme de service par une personne autre qu’un policier.
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[66] Les dispositions de l’article 194 de la Loi sur la police4 (Loi) confient au Comité la
compétence exclusive pour disposer des citations déontologiques portées contre les
policiers.
[67] Le Comité exerce cette compétence à l’égard d’infractions aux dispositions du
Code.
[68]
Les dispositions de cet article du Code en définissent l’objectif :
« 3. Le présent Code vise à assurer une meilleure protection des citoyens et
citoyennes en développant au sein des services policiers des normes élevées
de services à la population et de conscience professionnelle dans le respect
des droits et libertés de la personne dont ceux inscrits dans la Charte des
droits et libertés de la personne (chapitre C-12). »
[69]
Loi :
Les infractions au Code sont sanctionnées aux termes de ces dispositions de la
« 235. Dans la détermination d’une sanction, le Comité prend en
considération la gravité de l’inconduite, compte tenu de toutes les
circonstances, ainsi que la teneur de son dossier de déontologie. »
[70] Les sanctions imposées doivent tenir compte de la jurisprudence et présenter le
caractère dissuasif et exemplaire nécessaire afin de respecter l’objectif du Code, celui
d’assurer une meilleure protection des citoyens.
[71] Enfin, le Comité doit considérer le dossier déontologique d’un intimé lorsqu’il
détermine la sanction qui lui sera imposée.
[72]
L’intimé n’a pas d’antécédent déontologique.
[73] La gravité de l’infraction retenue doit être appréciée en tenant compte, comme il
se doit, de toutes les circonstances de cette affaire.
[74] Au regard de l’infraction aux dispositions de l’article 11 du Code, la faute de
l’intimé réside dans le seul fait de ne pas avoir adapté sa conduite en situation
d’urgence à une condition qu’il n’a pas anticipée, soit la présence de glace noire par un
temps de bruine.
4
RLRQ, c. P-13.1.
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[75]
PAGE : 13
Or, le Comité a estimé qu’il s’agissait d’une condition prévisible.
[76] L’intimé était jusqu’alors un officier sans reproche qui exerçait ses fonctions
depuis plus de trente ans, et ce, sans accident, sans condamnation déontologique.
[77] L’intimé a contesté la citation portée contre lui, car il croyait sincèrement avoir été
confronté à un élément imprévisible et ne pas avoir enfreint la norme de prudence.
[78] Il a par ailleurs rédigé un rapport d’événement dans l’immédiat, sans tenter de
dissimuler les circonstances de la collision.
[79] Il s’est informé de l’état de M. Boucher, peu après l’événement, et il lui a
manifesté beaucoup de sympathie tout au cours de cette audience.
[80] Il a offert un témoignage honnête et convaincant, sans rien dissimuler et sans
tenter de diminuer sa responsabilité. Il croyait, en toute sincérité, avoir agi avec toute la
prudence possible.
[81]
Dans les circonstances, on ne peut lui faire reproche de sa contestation.
[82] Le témoignage de l’intimé montre qu’il a tiré de cet événement et du processus
déontologique tout l’enseignement possible et qu’il en a déjà fait profiter les agents qu’il
supervise ainsi que tous ses collègues du SPVQ.
[83] Dans les circonstances, le Comité est convaincu que la réhabilitation de l’intimé
est totalement acquise.
[84]
Il n’y a aucune crainte de récidive et la sanction n’a pas à être dissuasive.
[85] La détermination de la juste sanction ne relève pas de la mathématique. Elle
emporte la considération des nombreux éléments qui tiennent au sujet, l’intimé, tel qu’il
se présente au Comité.
[86] C’est pourquoi la suggestion du Commissaire ne peut être retenue. Des
sanctions de la nature de celle proposée sont appropriées à des fautes où la négligence
et l’insouciance sont des éléments majeurs.
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[87] Le Comité reprend ces commentaires du juge Jacques Paquet, en appel de la
décision Théoret :
« [23] L’expression "compte tenu de toutes les circonstances" ne doit pas être
interprétée restrictivement. Il ne s’agit pas uniquement des circonstances
entourant immédiatement l’événement, mais tout ce qui a trait de près ou de
loin à l’inconduite.
[24] La conduite dérogatoire de l’appelant est grave, même si elle n’est pas la
plus grave qu’un policier peut commettre.
[25] Bien que l’appelant répondait alors à un appel d’urgence, il demeure
qu’en voulant ainsi porter secours à des confrères, ils ne devaient pas mettre
en péril la vie et la sécurité des citoyens, pas plus que la sienne et celle de
son collègue d’ailleurs.
[26] Il est important, comme le précise l’article 11 du Code de déontologie
des policiers, que les policiers fassent un usage approprié, tant de leur arme
que de tout autre équipement dont ils bénéficient dans l’exercice de leur
fonction.
[27] Cela étant, le Comité a raison de conclure à la gravité de l’infraction.
[28] Par contre, le Comité n’a pas donné l’importance requise à "toutes les
circonstances".
[29] D’abord, le contexte de l’intervention. Avec le bénéfice de la
rétrospective, il est plus aisé de poser un regard critique sur une situation
donnée. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les policiers, au moment
de répondre à un tel appel d’urgence de première importance, sont placés
devant une réalité immédiate à laquelle ils doivent faire face rapidement. Ils
n’ont pas nécessairement toute la réflexion requise, même s’ils doivent être
en mesure en tout temps de contrôler tant leurs émotions que leurs réflexes.
[30] Ensuite, l’attitude de l’appelant, tant au moment de l’accident que dans
les mois qui ont suivi, est une circonstance importante qui doit aussi être prise
en compte.
[31] À l’évidence, l’appelant est sincèrement désolé de la situation. Il
reconnaît sans ambages sa faute et le Tribunal, tout comme le Comité l’a fait,
doit constater qu’il est nettement affecté par cette situation.
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[32] En matière de discipline, il faut prendre en compte l’individu en cause, en
fonction du geste qu’il a posé et du type de personne qu’il représente. C’est
dans cette optique que, dans certaines circonstances, il faudra parler
d’exemplarité positive, comme le suggère d’ailleurs le juge Chamberland dans
l’arrêt Pigeon précité lorsque parmi les facteurs subjectifs il inclut "[la] volonté
de corriger son comportement".
[33] Lorsqu’une instance disciplinaire constate qu’un individu qui a commis
une infraction n’a aucun remord ou aucun repentir, elle est justifiée d’y voir un
facteur aggravant qui l’incite à imposer une sanction plus forte pour dissuader
l’intéressé et servir d’exemple auprès de ses collègues. » (sic)
[88] En révision de cette décision de la Cour du Québec, la Cour supérieure a rétabli5
la sanction déterminée par le Comité en ces termes :
« [44] Le Tribunal est d’avis que la décision du Comité n’était pas
déraisonnable au point de justifier l’intervention de la Cour du Québec et
permettre à celle-ci de substituer sa propre analyse à celle du Comité. »
[89] La Cour supérieure a ainsi reconnu l’expertise du Comité et rappelé que l’appel
de ses décisions doit prendre en compte cette expertise. Elle n’a toutefois pas rejeté
l’application de la notion d’ « exemplarité positive ».
[90] Dans la présente affaire, la sanction de l’infraction de l’intimé doit également
présenter ce caractère particulier.
[91] Quelques décisions récentes, entérinant la recommandation des parties,
sanctionnent des infractions semblables par une période de suspension de l’ordre de
celle proposée par l’intimé de huit jours.
[92] Ainsi, les décisions Commissaire à la déontologie policière c. Julien, 2015
QCCDP 37 (CanLII), impose à l’intimé Julien une période de suspension de huit jours, à
la suggestion des parties, et Commissaire à la déontologie policière c. Routhier, 2015
QCCDP 41 (CanLII), impose à l’intimé Routhier une période de suspension de
cinq jours, alors que la collision n’a pas causé de blessures.
5
Simard c. Paquet, 2010 QCCS 5954 (CanLII).
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[93] Dans les circonstances, le Comité retient la suggestion de l’intimé et lui impose
une période de suspension de huit jours.
[94] Cette sanction tient compte des circonstances de l’infraction, de sa gravité et de
ses conséquences, mais également des facteurs propres au sujet, l’intimé.
[95]
POUR CES MOTIFS, le Comité :
[96]
IMPOSE au sergent JEAN CARON une période de suspension sans traitement
de huit jours ouvrables de huit heures.
Marie-Esther Gaudreault, avocate
Membre du Comité de déontologie
policière
Me Fannie Roy
Procureure du Commissaire
Me Robert DeBlois
Procureur de la partie policière
Lieu de l’audience : Québec
Date de l’audience : 14 octobre 2015