Découverte (3) Les caractères sans serifs (6) Akzidenz Grotesk (8
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Découverte (3) Les caractères sans serifs (6) Akzidenz Grotesk (8
Sommaire Découverte (3) Les caractères sans serifs (6) Akzidenz Grotesk (8) Recherches Dessin Variations Sources Adrien Vasquez DNAT design graphique octobre 2008 École régionale des beaux-arts de Valence Découverte Depuis longtemps intéréssé par la typographie, et plus exclusivement par le dessin de caractères, je voulais pour mon projet de diplôme m’y investir pleinement, après plusieurs recherches menées sur le sujet. La piste du revival s’est rapidement imposée comme une solution pour avoir une base concrète sur laquelle le caractère se construit. L’intérêt de l’exercice est d’acquérir une connaissance des formes typographiques et de se poser rapidement des questions de dessin. jeudi 10 avril 2008 J’ai découvert le jeu complet d’un caractère en plomb anonyme dans l’atelier typographique de l’école des beaux-arts de Valence. C’est un caractère sans serifs (par opposition aux caractères serifs, c’est-à-dire à empattements), ressemblant à un Akzidenz Grotesk, mais semblant posséder quelques traits particuliers qui me laissent penser qu’il est plus ancien, notamment un ‘g’ à boucle fermée. Ce style de caractère m’intéressant tout particulièrement, j’ai pensé qu’il pourrait être la base pour commencer mon projet de diplôme. 3 Impressions typographiques du caractère trouvé dans l’atelier de l’erba Valence. 4 5 Les caractères sans serifs 1 Aussi grotesk en Allemagne, gothic aux États-Unis (ne pas confondre avec le sens anglo-saxon du terme, qui désigne les blackletter), antique, bâton ou linéale en France. Jan Tschichold, Die Neue Typographie, 1928. 2 Une des nouveautés du XIXe siècle est l’apparition de nouvelles raisons de transmettre l’information (publicitaires, par exemple) et le développement de nouvelles techniques (composition mécanique, litographie, photographie). Dans le champ du design typographique, le changement de valeurs que la modernité représentait semble ouvrir la voie aux variations, extensions et exagérations dans les caractères de titrage. Deux styles pouvant être dérivés de ces expérimentations, vont devenir des constituants essentiels de la nouvelle typographie du XXe siècle : les caractères sans serifs, et une variation appliquée à toutes les formes de lettres, le bold. Les sans serif font leur apparition au début XIXe siècle. Le premier caractère sans serif est le Two Lines English Egyptian, dessiné en 1816 par William Caslon IV. Il ne comprend que des capitales. Cette nouvelle catégorie de lettres ne devient néanmoins un style à part entière qu’à partir des années 1830 en Angleterre, au départ appelés egyptians et regroupés avec d’autres caractères de titrage. Mais là où les égyptiennes proprement dites, telles que nous les identifions aujourd’hui, se distinguent par la présence de slab serifs (empattements rectangulaires), les sans serif sont débarrassés de ces attributs. Le terme en lui même date de 1832, et provient d’un caractère de Vincent Figgins, le Two Line Great Primer Sans Serif. En 1834, le Seven Line Grotesque de William Thorowgood, donnera le nom utilisé pour nommer les caractères de cette époque, les grotesques 1. Les sans serifs suggèrent les qualités primitives de la forme de la lettre, qui dans le contexte néoclassique du XIXe siècle, étaient le symbole d’une certaine modernité. L’âge d’or des caractères sans serifs commencera après la Première Guerre Mondiale en Allemagne. Ils remportent l’adhésion des adeptes de la Nouvelle Typographie, qui souhaitent liquider les caractéristiques nationales et stylistiques 2. Elémentaire, neutre, dépourvue de ces caractéristiques culturelles, la grotesque semble alors l’outil idéal pour une typographie fonctionnelle, adaptée à l’âge de la machine. 6 William Caslon, Two Lines English Egyptian, 1816. Philip Hardwick, Euston Arch, Londres, 1837. Un caractère sans serifs est utilisé pour l’inscription lapidaire. 7 Akzidenz Grotesk Dans ce contexte, l’histoire un peu particulière de l’Akzidenz Grotesk mérite d’être mise en avant. Ce caractère typographique est distribué par la fonderie H. Berthold AG (fondée en 1858 à Berlin) à partir de 1896. Au départ constitué d’une seule graisse, Berthold en ajoute de nouvelles. Certaines sont en réalité d’autres caractères acquis lors du rachat d’autres fonderies, chaque fonderie de l’époque possédant son grotesque, dans des corps et graisses différents, comme le Royal Grotesk, distribué par la fonderie Ferdinand Theinhardt (Berlin) aux alentours de 1880. La fonderie est rachetée par Berthold en 1908, et le Royal Grotesk distribué en tant qu’Akzidenz Grotesk à partir de 1918. Le nom Akzidenz Grotesk (‘Akzidenzschrift’ signifie caractère de titrage) est donc un nom générique, adopté pour des raisons commerciales. Avec le succès du Style International dans les années 1950, Berthold, sous la direction de Günter Gerhard Lange, entreprend de redessiner l’Akzidenz Grotesk, afin de s’adapter aux nouvelles techniques de composition (composition mécanique et photocomposition), l’Akzidenz Grotesk étant auparavant utilisé en composition manuelle, comme l’indique son nom, pour des titres ou des textes courts. La nouvelle version, plus homogène, est distribuée en 1957, la même année que le Neue Haas Grotesk de Max Miedinger pour la fonderie Haas (plus tard renommé Helvetica), et l’Univers dessiné par Adrian Frutiger pour Deberny & Peignot. Le caractère trouvé dans l’atelier typographique de l’erba Valence fait vraisemblablement partie des grotesques dessinées en Allemagne dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il possède les caractéristiques typiques des caractères de l’époque. A l’époque peu utilisés pour des textes longs, ces caractères étaient réservés aux titres et publicités, ou à l’affichage d’informations et de textes courts, pour des horaires de trains, ou dans des catalogues ou des journaux. Suite aux aléas des rachats de fonderies, il a peut-être été distribué sous le nom Akzidenz Grotesk à un moment. Cette datation s’est confirmée grâce à des visuels trouvés sur le forum Typophile, présentant des caractères proche du mien, mais aucune source permettant d’être certain de son origine. Des prétendants sérieux seraient le Breite Grotesk, de la fonderie Schelter & Giesecke (Liepzig, 1898), ou le Blockschrift, de Genzsch & Heyse. 8 Breite Grotesk, Ferdinand Theindhardt. Blockschrift, Genzsch & Heyse. Breite Grotesk, Schelter & Giesecke, 1898. 9 Recherches 1 Christopher Perfect & Gordon Rookledge, Rookledge’s classic international, Laurence King Publishing, 1990. Dans l’idée de partir sur un revival, il fallait auparavant vérifier que ce caractère n’avait pas déjà été l’objet d’un tel travail, et donc chercher dans les caractères existants. Il existe plusieurs moyens d’identifier un caractère typographique. Outre les ouvrages spécialisés 1, il reste possible d’interroger les bases de données des fonderies numériques. Le site Identifont et les fonderies Monotype et Linotype proposent un questionnaire sur des caractéristiques types, afin de faire le tri dans leur collection. Les résultats sont très peu précis, deux caractères proche du mien (historiquement et formellement) sont déterminés, le News Gothic et le Benton Sans (un clone du News Gothic). Le site Myfonts nous invite à scanner et télécharger un extrait du caractère à indentifier, et donne plusieurs résultats qui selon le moteur de recherche partagent des caractéristiques similaires. Cette fois-ci, des rapprochements sont faits avec trois caractères : le Bau, l’Europa Grotesk et le Nimbus Sans (ces deux derniers étant inspirés par l’Helvetica). Vraisemblablement oublié lors du passage au numérique, et même bien avant, sûrement évincé par l’Akzidenz Grotesk, au même titre que beaucoup d’autres caractères, mon caractère n’a pas son équivalent numérique, ce qui rend plus légitime un travail de revival. Il est particulièrement proche du Bau, de Christian Schwartz, dessiné d’après le Schelteresche Grotesk de la fonderie Schelter & Giesecke (fin XIXe siècle). C’est un travail similaire à celui que je veux entreprendre. Pour la plupart des gens, la différence entre plusieurs caractères est invisible. Dans mon cas particulièrement, il est facile de faire la confusion avec l’Helvetica par exemple, une comparaison détaillée s’impose donc. Elle permettra aussi de situer mon caractère dans un contexte. 10 Le questionnaire d’Identifont. Le logiciel de Myfonts. 11 Akzidenz Grotesk H. Berthold AG 1896 (1957) Comme expliqué précedemment, l’histoire de l’Akzidenz Grotesk est liée à celle des grotesques de l’époque, et d’entre eux, c’est celui qui a le mieux traversé les différentes évolutions techniques. Le nom est utilisé depuis la fin du XIXe siècle, mais le caractère employé aujourd’hui correspond à la série de 1957, où ses formes furent homogénéisées entre les différentes tailles et graisses que l’on pouvait trouver dans les caractères en plomb. Au départ surtout utilisé dans la publicité, des panneaux d’informations ou des catalogues, l’Akzidenz Grotesk a vu sa popularité croître avec l’apparition de la Nouvelle Typographie et du Style International, pour être utilisé dans tous les domaines, y compris des textes longs. À droite, Akzidenz Grotesk Regular, 56 pts. GJQR Les formes sont plus rationnelles, avec la suppression de certains effets calligraphiques. agnrt Les extrémités des lettres sont encore parfois obliques. ABCDEFGHI JKLMNOPQR STUVWXYZ abcdefghijklm nopqrstuvwxyz 1234567890 Le ‘g’ perd sa boucle inférieure, et prend une forme une plus simple. 12 13 News Gothic Morris Fuller Benton American Type Founders 1908 ABCDEFGHI JKLMNPQR STUVWXYZ abcdefghjklm nopqrstvwxyz 1234567890 Ce caractère est intéressant, car américain. Au contraire de l’Europe, et en particulier de l’Allemagne, les États-Unis n’ont pas été affectés par la modernité de la même façon. Cela peut se refléter dans ce caractère, qui conserve des formes que les dessins européens vont progressivement éliminer. De même, certains détails sont étrangers au caractères européens. Il était surtout utilisé pour des journaux, magazines et catalogues. À droite, News Gothic Regular, 56 pts. GJQR La jambe du ‘R’, au contraire, supprime cette référence. agnrt Les lettres semblent comme assemblées, les jonctions ne sont pas fluides. 14 15 Helvetica (Neue Haas Grotesk) Max Miedinger Haas 1957 Le dessin de l’Helvetica part de la même intention que l’Akzidenz Grotesk de 1957. Bien que beaucoup plus rationnel que son aîné, ils partagent un grand nombre de points communs. Utilisé massivement depuis, ses formes nous paraissent familières. À droite, Helvetica Regular, 56 pts. GJQR Les extrémités se terminent toutes à l’horizontale. La jambe du ‘R’ garde un aspect calligraphique. agnrt 16 ABCDEFGHI JKLMNOPQR STUVWXYZ abcdefghijklm nopqrstvwxyz 1234567890 17 Dessin 1 Voir p. ? Le dessin se veut authentique, et conserver les caractéristiques du caractère. Cela étant, l’état des plombs donne une douceur au contour des formes, j’ai préféré lui redonner une sécheresse que j’imagines avoir été voulue au départ, et émoussée par le temps. L’impression typographique a été scannée, et les caractères vectorisés rapidement sur Illustrator, avant d’être importés dans Fontlab. Là, j’ai tout d’abord voulu assurer la cohérence de l’ensemble, entre les différentes hauteurs ou l’épaisseur des fûts par exemple, puis entre les caractères eux-mêmes. Les capitales sont plus épaisses que les bas de casse et les chiffres, et sont de la même hauteur que les ascendantes. Les chiffres sont quant à eux un peu plus petits, en taille et en épaisseur, que les capitales. À droite, Valence 1, 56 pts. 18 ABCDEFGHI JKLMNOPQR STUVWXYZ abcdefghijklm nopqrstvwxyz 1234567890 19 Capitales OE Le O et le E sont des formes basiques. La traverse inférieure du ‘E’ est un peu plus longue que la supérieure. Le ‘C’ et le ‘G’ sont adaptés à partir du O. Épéron affiné à la base du ‘G’. Queue affinée au niveau de la jonction avec la courbe. Pointe de la queue aplatie pour éviter un effet trop piquant. 20 Panse du ‘R’ plus basse que celle du ‘P’. Jambe du ‘R’ calligraphique, pointe de la jambe aplatie. 21 Intérieur du ‘A’ plus large que celui du ‘V’. Les formes du ‘V’ sont plus condensées dans le ‘W’. Traverse centrale du ‘F’ abaissée pour remplir l’espace blanc du bas. Diagonales du ‘M’ moins épaisses que celles du ‘V’. 22 23 Capitales Les bas de casse sont moins épais que les capitales. À l’extrème droite, le ‘I’ majuscule. Panses rétrécies aux jonctions. La fin des fûts s’élargit vers l’intérieur. L’épaisseur du ‘E’ est réduite pour compenser une ouverture plus petite. Les queues du ‘a’ et du ‘g’ sont aplaties. 24 La boucle supérieure du ‘g’ est nettement plus petite qu’un ‘o’, pour laisser plus de place à la boucle inférieure. 25 ijft Toutes les pointes sont aplaties. Le ‘u’ est un ‘n’ inversé. La branche du ‘r’ suit une courbe différente de celle du ‘n’, l’encoche est plus profonde. Le haut du ‘t’ est incliné est legèrement incurvé. Les formes du ‘v’ sont legèrement condensées dans ‘w’. kxz La partie inférieure du ‘x’ est plus large que la partie inférieure. 26 27 Chiffres 0174 Ponctuation Le ‘?’ ne faisait pas partie des plombs, je l’ai dessiné pour des raisons pratiques d’utilisation. 235 Les fûts sont moins larges que les points, particulièrement le ‘!’. Le point et la virgule ont la même taille. 698 Le point est plus large que les bas de casse. Les guillemets ont les mêmes dimensions que la virgule. Le ‘6’ et le ‘9’ ont le même dessin, inversé. 28 29 Signes diacritiques ÀÉàé Les accents sont alignés sur une même hauteur. L’espace entre les accents et les capitales est moins grand qu’avec les bas de casse. iïôù Le tréma se retrouve plus bas que le point du ‘i’, ce qui compense son poids. Çç Les cédilles ne sont pas de la même taille. 30 Variations Au cours de mes recherches sur d’anciens caractères sans serifs, j’ai pu trouver deux spécimens présentant des caractères modifiés par des rajouts plutôts d’ordre calligraphique, probablement pour un usage publicitaire. J’y vois plutôt une sorte d’écart à un programme qui serait la forme basique du caractère. Dans ce contexte de revival, qui trouve ses origines dans les évolutions techniques, je me suis posé la question de l’influence de l’histoire sur ce programme. La forme générale des lettres est un dessin fixé, qui trouve ses origines dans l’histoire de l’écriture. Les premiers caractères sans serifs sont calqués sur des caractères serifs (d’où la connotation négative du terme). Il serait intéressant de déterminer comment ce même programme, ou squelette, aurait pu évoluer dans le temps, au gré des courants de pensées, des évolutions techniques, et réfléchir sur les raisons de ces variations. C’est à partir de cette idée que j’ai nommé mon caractère Valence, d’après le lieu de sa découverte, mais aussi au sens commun du terme, c’est-à-dire une valeur de liaison (en chimie, en physique) et de variation (en informatique). Les variations seraient alors les valences de ce caractère. Botha, variations pour le Blockschrift, Genzsch & Heyse. Colombus, Schelter & Giesecke. 32 33 Valence 1 Valence 2 Ce niveau de variation pourrait correspondre à la rationalisation. Comme si le caractère avait été redessiné dans les années 1950, les extrémités deviendraient horizontales, le ‘g’ à deux niveaux disparaitrait au profit d’un plus simple, comme les autres détails calligraphiques. Un autre niveau chercherait à interroger ce qui fait qu’un caractère est contemporain, peutêtre avec des formes hybrides, la liberté qu’offre le support numérique ayant ouvert la voie aux expérimentations. J’ai ici essayé d’ajouter une touche américaine au formes de mon caractère (‘a’) ou plus calligraphique, en prenant de la liberté avec le dessin du ‘g’ par exemple. 34 35 Sources André, Jacques, ‘Caractères numériques : introduction’, Cahiers GUTenberg, 26 (1997). Baines, Phil & Haslam, Andrew, Type & Typography, Laurence King Publishing (2005). Bil’ak, Peter & Dexter Sinister, ‘Beetween Broadway, Blast & T.A.F.K.A.P.’, Dot Dot Dot, 11 (2007). Blackwell, Lewis, 20th century type remix, Laurence King Publishing (1998). Cheng, Karen, Design typographique, Eyrolles (2006). Downer, John, ‘Call it what it is’, Tribute type specimen, Emigre (2003). Felici, James, Le manuel complet de typographie, Peachpit Press (2003). 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