NEA Say ...177 - EU

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NEA Say ...177
L'élection de Donals Trump et lelancement de la campagne en France
du Front national: la parole simplifiée à l'honneur!
Ce que le peuple veut, le peuple le peut ». Voilà, mot pour mot, la réaction de Marine Le Pen à lélection de
Donald Trump comme 45e président des États-Unis. Derrière cette phrase anaphorique qui met le peuple au cur de la
construction, derrière ces allitérations et assonances qui donnent un sens prophétique à sa phrase, Marine Le Pen
délivre une explication apparemment claire et simple du résultat de lélection américaine.
Ce que  le peuple veut, le peuple le peut ». Voilà, mot pour mot, la réaction de Marine Le Pen à lélection de
Donald Trump comme 45e président des États-Unis. Derrière cette phrase anaphorique qui met le peuple au cur
de la construction, derrière ces allitérations et assonances qui donnent un sens prophétique à sa phrase, Marine
Le Pen délivre une explication apparemment claire et simple du résultat de lélection américaine. Elle oublie
cependant de mentionner que le président-élu a, certes, remporté la majorité des voix des grands électeurs, mais
pas la majorité du vote populaire, mais cela rentrerait dans le cadre dune autre analyse. Ce qui est sûr, cest que
lélection de D. Trump à la Maison Blanche signe un renversement du point de vue de la parole en politique et,
effectivement, le peuple en est le premier destinataire. Le nom commun « parole » sest vu affubler, ces derniers
temps, dun adjectif qui lui colle à la peau et forge un nouveau concept dont médias, politiciens et société civile
abusent parfois la « parole libérée ». Le discours de Donald Trump néchappe pas à ce phénomène. Et pourtant,
quel paradoxe dassocier le concept de liberté à quelquun que lon considère comme une menace. Il y a donc déjà
un dévoiement dans le choix du terme. Plutôt quune parole libérée, cest la victoire dune parole simplifiée qui est
exacerbée ces derniers temps et donne à voir une vision quasiment binaire de la société. Cest « eux et nous », «
ma vision contre la leur », « ma parole contre leurs mensonges » En somme, cest un retour à lopposition bien
connue entre lordre et le chaos qui sobserve. La complexité grandissante de lordre du monde et de toutes les
interactions et interconnexions qui le composent donne limpression que des choses sont cachées, que la situation
est volontairement complexifiée pour tenir les citoyens dans lignorance et les tromper. Il y a là un véritable aspect «
théorie du complot », que médias et figures publiques contribuent à alimenter lorsquils passent à côté du
changement de paradigme qui sopère et donnent ainsi du grain à moudre à ceux qui les rejettent. Ce nest pas
parce que la parole se simplifie quil ne faut plus se donner la peine découter, de décortiquer et danalyser ce qui est
dit et, surtout, ce qui nest pas dit. Derrière la simplicité apparente, il y a toujours la construction dun modèle, dune
réflexion. Cest là quil faut aller chercher ; cest là que médias et société civile doivent sattarder et creuser pour
déconstruire ce discours et ces arguments quils ont trop peu pris au sérieux. « Plutôt quune parole libérée,
cest la victoire dune parole simplifiée qui est exacerbée ces derniers temps et donne à voir une vision quasiment
binaire de la société ». Proposer une parole « monocouche », une parole à un seul niveau de lecture, cest
se poser en démystificateur, en détenteur de la vérité, presque en prophète.Le Front National (FN) vient
légitimement grossir les rangs des prélats de la parole simplifiée. À la mi-novembre, le parti dévoilait son nouveau
slogan et son nouveau logo pour la campagne présidentielle française de 2017. Le choix de la rose et de la couleur
bleue a suffisamment été commenté. Le slogan « Au nom du peuple » est un écho à la réaction de la présidente
du mouvement à lannonce de la victoire de D. Trump ; cest un pied de nez à ceux qui nont pas su appréhender le
changement de paradigme et contre lesquels le FN se construit ; cest lincarnation même de cette parole simplifiée.
Parler au nom de quelquun, cest se poser en élu, cest recourir une fois de plus à la figure prophétique qui
guiderait, à travers le chaos du mensonge et de la corruption de la société actuelle, ceux qui ne sont pas éclairés.
Par ce slogan, le Front National se pose comme celui qui va protéger ce « peuple », et la récente interview donnée
à la BBC par la présidente du parti (disponible ici) vient corroborer cette stratégie. Lopposition « ma vision contre
leur vision » est au centre de cet entretien. Marine Le Pen construit systématiquement ses exemples sur un
schéma binaire : « multiculturalisme, fondamentalisme islamique » sopposent à « pays indépendant, maître de sa
destinée » ; « des centaines de milliers de gens » sopposent aux « Français dabord » ; lUnion européenne (UE)
comme « modèle oppresseur » empêche lépanouissement dune « Europe des Nations libres ». Lorsque
lopposition nest pas directe, la métaphore utilisée crée des images si fortes quil nest nul besoin de la nommer : au
Mur de Berlin qui ne pouvait que chuter succède le « Mur de Bruxelles » qui doit suivre le même destin, et la
métaphore est filée, lorsquelle dénonce lisolement de la Russie et ce mur invisible quil faudrait reconstruire entre
lUE et Moscou pour mieux obéir aux ordres des États-Unis. Maladie, totalitarisme les exemples sont forts et
parlants pour parler de ce « nouveau monde appelé à remplacer lancien ». Le choix des mots et des images est
simple. La présidente du FN illustre même ses propos de deux exemples concrets de coopération européenne qui
remonterait à avant Bruxelles, à savoir Ariane et Airbus. Cest dit avec conviction, le journaliste ne rebondit dailleurs
pas sur laffirmation de Marine Le Pen ; pourtant, Ariane et Airbus sont deux projets qui ont pris réellement forme
dans les années 1970, soit en plein dans la Communauté Économique Européenne qui voyait déjà se profiler
doucement une intégration politique plus importante. « Marine Le Pen construit systématiquement ses
exemples sur un schéma binaire : « multiculturalisme, fondamentalisme islamique » sopposent à « pays
indépendant, maître de sa destinée » ; « des centaines de milliers de gens » sopposent aux « Français dabord » ;
lUnion européenne (UE) comme « modèle oppresseur » empêche lépanouissement dune « Europe des Nations
libres » ». Dans la même veine, lorsquil est question dun référendum sur lappartenance à lUE que la
députée européenne veut mettre en place, la question quelle formule, « Êtes-vous daccord avec ce que lUE est
devenue ? », est complétement différente de « Souhaitez-vous quitter lUE ? ». Or, elle les met sur un pied dégalité
et transforme la volonté de voir un changement dans lUE en volonté de déconstruire cette UE. Les médias qui se
repentaient au lendemain de la victoire de D. Trump davoir été aveugle ne semblent pas avoir tiré de leçons.
Aucun contre-argument nest apporté au discours de Marine Le Pen ; pire encore, de leau est apportée au moulin
du Front National. La question du FN comme parti raciste et antisémite donne loccasion à sa Présidente de se
présenter comme victime des médias et de la bien-pensance, de sinsurger contre ce procès dintention qui lui est
fait systématiquement. Elle répète à plusieurs reprises quelle est « désolée » en début de réponse, comme pour
mieux souligner lagression et linjustice qui lui sont faites et réaffirmer un peu plus cette division binaire entre
lestablishment et elle. Pour en revenir au slogan du Front National pour la campagne présidentielle de 2017, la
stratégie qui sobserve dans linterview accordée à la BBC le 13 novembre vient absolument corroborer lidée dune
parole simplifiée. En divisant le monde en concepts simples, en proposant des raccourcis simplistes qui piègent
même les journalistes, Marine Le Pen qui parle « au nom du peuple » force les citoyens à sinsérer dans cette
vision duelle de la société par le simple jeu du discours. Cest à la société civile dêtre vigilante, que ce soit
concernant les propos du Front National ou de nimporte quel autre représentant politique. La Réplique sefforce de
donner des clés de description des discours et actions qui émergent dans cette société occidentale en crise ; la
réponse ne peut être efficace que si elle émane dun grand nombre de citoyens. Ne cédons pas aux sirènes de la
simplification, dun côté de léchiquier comme de lautre ; elle nest pas encore une fatalité et ne le deviendra pas si
nous parvenons à appréhender rapidement le changement de paradigme qui se déroule sous nos yeux depuis, au
moins, juin 2016. Amélie Ancelle