Étude des dÉprÉciations du goodwill dans le secteur bancaire

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Étude des dÉprÉciations du goodwill dans le secteur bancaire
P rati q u e c o m ptab le
Al a i n s c h at t
fa b i o s c e r r a
Étude des dépréciations du goodwill
dans le secteur bancaire européen
La fiabilité des informations produites sur le goodwill
En raison des très nombreuses fusions-acquisitions dans le secteur bancaire européen au cours des trois dernières décennies, le poids du goodwill a augmenté considérablement dans le bilan des banques. Cet article met en évidence que de nombreux dirigeants ont profité de la crise financière pour déprécier fortement cet actif,
afin de «nettoyer» leur bilan.
1. Introduction
Suite à une multitude de fusions-acquisitions, le secteur financier s’est fortement consolidé au cours des deux dernières
décennies, tant aux États-Unis qu’en Europe (DeYoung, Evanoff et Molyneux, 2009). D’un point de vue comptable, de telles
opérations se traduisent par la constatation d’un goodwill (ou
écart d’acquisition) dans le bilan consolidé du nouveau groupe.
Ce goodwill correspond fondamentalement à la différence
entre le prix d’acquisition payé par l’acquéreur pour les actions
de la cible et la juste valeur de l’actif net comptable de la cible.
Dans une étude récente de l’ESMA (European Securities and
Markets Authority, 2013), portant sur les rapports annuels de
l’exercice comptable 2011 de 235 sociétés européennes cotées
en bourse, il apparaît que le montant total du goodwill est
proche de 60 milliards pour les 32 sociétés financières de
l’échantillon. Il s’agit donc d’un actif particulièrement important dans de très nombreux cas [1].
À chaque clôture des comptes, le goodwill doit faire l’objet
d’une évaluation spécifique. Si une banque ne peut pas augmenter le montant figurant au bilan, elle doit en revanche le
réduire si la juste valeur de cet actif est inférieure à sa valeur
au bilan. Pour apprécier une telle différence, la banque doit
réaliser un test de dépréciation (impairment test) de cet actif à
durée de vie illimitée, conformément aux préconisations de
la norme IAS 36 (ou de la norme SFAS 142 pour les banques
appliquent les US GAAP) [2].
Dans son étude récente, l’ESMA (2013) note que 36% des
sociétés de leur échantillon ont procédé à un test de déprécia-
tion en 2011, et le taux de dépréciation moyen s’élève à 5,1%,
tous secteurs confondus [3]. Ce taux est cependant significativement plus élevé pour le secteur financier, puisqu’il est
égal à 25,2% [4]. Par ailleurs, il apparaît que les dépréciations
sont le fait d’un nombre limité de sociétés: 75% des dépréciations du secteur financier sont le fait de deux institutions
financières européennes localisées dans le même pays.
En raison de la subjectivité qui entoure généralement l’évaluation du goodwill, la question se pose de savoir si les informations produites par les sociétés cotées en bourse sont
fiables. Dans son rapport, l’ESMA note par exemple (p. 3):
«relatively limited impairment losses can call into question whether the level of impairment in 2011 reflects the effects of the financial and economic crisis appropriately»,
et d’ajouter:
«in many cases, the user of the financial statements is not able to
evaluate the reliability of the assumptions used from the disclosures given, which is the primary purpose of those disclosures».
Cet article étudie les dépréciations du goodwill de 20 grandes
banques européennes, sur une période de 6 ans (2006–2011),
qui débute avant la crise financière. D’une certaine manière,
il approfondit l’analyse de l’ESMA. La principale différence,
outre la taille de l’échantillon et la période d’étude, résulte
dans l’analyse multivariée proposée dans cet article pour
expliquer l’ampleur des dépréciations.
Cet article est structuré ainsi. Dans une seconde section,
nous évoquons brièvement quelques résultats issus de la re-
ALain Schatt,
fabio scerra,
professeur de
diplômé de l’université
comptabilité financière
de genève,
à HEC Lausanne (UNIL),
genève
lausanne/VD
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cherche comptable sur la dépréciation du goodwill. La troisième section expose notre méthodologie. La quatrième section présente et discute nos principaux résultats.
l’absence de dépréciation est liée à certaines caractéristiques
particulières des dirigeants (bonus et expérience) et, par
conséquent, aux coûts personnels anticipés par ces derniers.
Dans certains cas, les dirigeants peuvent cependant déprécier le goodwill de façon excessive, afin de «nettoyer les
comptes». De telles opérations prennent notamment place
dans le contexte particulier de changement de dirigeant. En
effet, de nouveaux dirigeants sont encouragés à déprécier
rapidement et fortement le goodwill, afin de faire assumer ce
coût par les anciens dirigeants. Masters-Stout et al. (2008)
confirment ce phénomène. Par ailleurs, une crise économi­
que ou financière permet également aux dirigeants de nettoyer les comptes tout en limitant leur responsabilité.
2. Qu’avons-nous appris sur la
dépréciation du goodwill?
La recherche comptable se préoccupe depuis plusieurs années
de la latitude dont disposent les dirigeants en matière de
dépréciation du goodwill. Deux principaux courants de recherche ont été développés. Le premier a trait aux motivations des dirigeants à ne pas déprécier «honnêtement» le
goodwill, et le second est relatif à la manipulation des modèles d’évaluation mis en œuvre lors du test de dépréciation
du goodwill.
2.2 La manipulation des méthodes d’évaluation. Un second courant de recherche s’est développé sur les manipulations des modèles d’évaluation du goodwill par les dirigeants.
Plus précisément, ces travaux se basent sur le fait suivant: le
test de dépréciation oblige généralement les dirigeants à
mettre en œuvre une méthode de valorisation, généralement
la méthode DCF (Discounted cash-flows), pour déterminer la
juste valeur du goodwill (Herz et al., 2001). Or, les résultats
obtenus avec ces méthodes d’évaluation dépendent largement des paramètres retenus par l’évaluateur.
Plus précisément, la méthode DCF repose sur les hypothèses de développement de la société, proposées par les dirigeants, relatives notamment au taux de croissance des cashflows. En retenant des taux anormalement élevés, les sociétés
accroissent la valeur du goodwill et évitent ainsi de procéder
à des dépréciations. Par ailleurs, la méthode DCF nécessite de
déterminer un taux d’actualisation (coût du capital ajusté au
risque) et ce taux est également manipulable. D’une part, un
taux unique peut être retenu pour l’ensemble des Unités Gé­
nératrices de Trésorerie (UGT), comme le souligne l’ESMA (2013),
alors qu’un taux spécifique devrait être déterminé pour
chaque UGT. D’autre part, les dirigeants peuvent retenir un
2.1 Des dépréciations du goodwill non fiables. L’idée
sous-jacente du premier courant de recherche est la suivante:
les dirigeants ne cherchent pas à refléter de façon fiable la
valeur du goodwill. Plus précisément, ils sont incités à ne pas
déprécier le goodwill, ou à le déprécier de façon excessive (Big
bath accounting).
L’absence de dépréciation du goodwill peut s’expliquer aisément par les coûts qui résultent d’une telle dépréciation
pour les dirigeants. En fait, la constatation d’une baisse de la
valeur du goodwill peut signaler au marché financier que le
dirigeant a payé une prime trop élevée pour acquérir les actions de la cible et que l’opération n’est donc pas créatrice de
valeur. Une telle annonce est coûteuse pour les dirigeants,
soit via une réduction de leur rémunération (baisse des
primes, ou de la valeur des actions et des stock-options), soit
via leur remplacement si les actionnaires décident de sanctionner cette erreur stratégique.
Ramanna et Watts (2012) constatent, par exemple, que près
de 70% des entreprises de leur échantillon (spécifique) ne procèdent à aucune dépréciation du goodwill, alors qu’une telle
décision est jugée hautement probable. Ils confirment que
Tableau 1: Caractéristiques des banques de l’échantillon et dépréciation
du goodwill
Variable
2006
2007
2008
2009
2010
2011
Cadre A. Caractéristiques des banques
Goodwill/
Capitaux propres
Market-to-Book
Variation EBIT &
Dépréciation
Moyenne
19,2%
22,5%
21,4%
17,9%
17,2%
15,0%
Médiane
17,9%
22,0%
19,6%
16,1%
14,5%
13,5%
Moyenne
1.94
1.47
0.63
0.96
0.86
0.60
Médiane
1.96
1.38
0.51
0.88
0.82
0.52
Moyenne
36,9%
17,6%
– 44,2%
11,8%
47,7%
–15,9%
Médiane
28,0%
21,8%
– 18,7%
–17,4%
10,4%
– 4,8%
Moyenne
0,3%
1,2%
6,2%
7,6%
0,7%
8,1%
Médiane
0,0%
0,0%
2,1%
2,2%
0,0%
1,2%
Cadre B. Dépréciation du goodwill
Dépréciation t/
Goodwill t-1
466
Nombre
8
6
16
15
9
12
Nombre > 5%
0
1
 6
 8
6
 6
Nombre > 10%
0
1
 4
 4
0
 5
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taux «anormalement» faible, relativement au taux correspondant à la véritable rémunération du risque, afin d’augmenter la juste valeur du goodwill et, par conséquent, éviter
de procéder à une dépréciation.
Carlin et Finch (2009) comparent, par exemple, les taux
d’actualisation retenus pour le test de dépréciation du goodwill par 105 entreprises australiennes avec leurs propres estimations. Ces auteurs constatent qu’il existe des différences
entre les taux d’actualisation estimés par leurs propres soins
et les taux divulgués par les grandes entreprises australiennes. Dans 54% des cas, le taux retenu par les entreprises
est inférieur de 1,5 point au taux estimé. La situation opposée
est constatée dans 16% des cas. Le taux estimé par ces auteurs
est donc très proche du taux utilisé par les entreprises dans
seulement 30% des cas. Au final, il apparaît que les dirigeants
retiennent des taux d’actualisation anormalement faibles
dans la majorité des cas.
3. Les dépréciations du goodwill dans
les grandes banques européennes
3.1 La méthode d’investigation. Notre étude originale sur
les dépréciations du goodwill porte sur 20 grandes banques
européennes, qui présentent les caractéristiques suivantes:
elles sont cotées en bourse (en Europe de l’Ouest et en Europe
du Nord); elles figurent parmi les plus grandes banques
européennes dans le classement du Financial Times; elles ont
adopté les normes IFRS; elles clôturent leurs comptes au
31/12; les rapports annuels sont disponibles sur le site internet
de chaque banque pour 6 exercices comptables, débutant en
2006 et se terminant en 2011.
Le cadre A du tableau 1, qui présente certaines caractéristiques clés de ces banques, appelle trois commentaires importants. Premièrement, le goodwill représentait environ 22%
des capitaux propres de ces 20 banques à la fin de l’année
2007. De plus, le goodwill avait légèrement augmenté entre
2006 et 2007, ce qui traduit l’existence de nouvelles acquisitions avant le début de la crise financière. À partir de 2008, ce
ratio diminue régulièrement pour se situer à 15% en moyenne
en 2011, traduisant de nombreuses dépréciations du goodwill
parmi ces banques.
Deuxièmement, le ratio «Market-to-Book», qui correspond au rapport entre la valeur de marché des actions (Capitalisation boursière) et leur valeur comptable (Capitaux
propres comptables) était supérieur à 1 avant 2008, avant de
baisser très fortement et de rester sous cette barre fatidique
de 2008 à 2011. Le marché boursier considère donc que les
capitaux propres comptables fournissent globalement une
vision «optimiste» de la situation financière de ces banques.
Dans un tel contexte, la dépréciation du goodwill devient
hautement probable, comme le soulignent Ramanna et
Watts (2012).
Troisièmement, la performance comptable de ces banques
baisse fortement à partir de 2008, comme le montre la variation du l’EBIT avant amortissements et dépréciations («EBIT
& Depreciation»). Le ratio médian, qui est supérieur à 20% en
2006 et 2007, devient fortement négatif en 2008 et 2009. De
plus, l’écart entre les valeurs moyennes et médianes démontre qu’il existe une forte dispersion parmi les banques
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Tableau 2: Analyse multivariée des dépréciations du goodwill
Constante
Echantillon total
M-t-B < 1
M-t-B > 1
0.079
0.118
0.070
t
4.492
2.779
2.554
p
0.000**
0.007**
0.014**
Variation EBE & Dep
–0.050
–0.061
–0.010
t
–3.910
–3.252
–0.668
p
0.000**
0.002**
0.507
M-t-B
–0.032
–0.104
–0.030
t
–2.210
–1.577
–1.812
p
0.029*
0.120
0.076
N
120
63
57
r2
0.176
0.211
0.064
F
12.505
8.040
1.856
p
0.000**
0.001**
0.166
Dans ce tableau, t est la valeur du test de Student, et F est la valeur du test de Fisher.
**,* indiquent respectivement que les tests sont statistiquement significatifs au seuil de 1% et 5%.
de notre échantillon; certaines banques éprouvent de très
importantes difficultés au cours de cette période.
3.2 Les résultats sur les dépréciations du goodwill. Le
cadre B du tableau 1 met en évidence des dépréciations relativement nombreuses et importantes en 2008, lorsque la crise
financière a réellement débuté. Plus précisément, 16 banques
sur 20 ont déprécié le goodwill au cours de cette année, sachant que dans 6 cas, la dépréciation excède 5% du goodwill
constaté en début d’année et, dans 4 cas, la dépréciation excède 10% du goodwill. Des chiffres similaires sont obtenus
en 2009 et en 2011. Les banques qui ont procédé aux plus
fortes dépréciations sont les deux banques britanniques RBS
et HSBC en 2008, et les deux banques italiennes Intesa San­
paolo et Unicredit en 2011. Ces trois années contrastent assez
fortement avec les autres années (2006, 2007 et 2010), pendant lesquelles les dépréciations sont peu nombreuses. Le cas
échéant, les montants sont globalement plus faibles, à une
exception près en 2007, où la dépréciation excède 10% du
goodwill constaté en début de période.
Une analyse plus détaillée des deux banques britanniques
est particulièrement instructive. Par exemple, dans son rapport annuel, Royal Bank of Scotland banque détaille les dépréciations du goodwill par UGT (p. 21): Global Banking &
Markets (GBM): 8.946 millions de livres sterling; US Retail &
Commercial banking (USRCB): 4.382 millions de livres sterling; Europe & Middle East Retail & Commercial banking
(EMERCT): 1.201 millions de livres sterling; Asia Retail &
Commercial banking (ARCT): 863 millions de livres sterling.
Au total, les dépréciations de goodwill s’élèvent donc à près
de 15 milliards de livres sterling. Les trois UGT restantes n’ont
fait l’objet d’aucune dépréciation. De façon quelque peu surprenante, ces dépréciations sont réalisées avec un taux de
croissance terminal (qui est un taux de croissance à long
terme) égal à 3% (pour GBM et EMERCT) et 5% (pour USRCB
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et ARCT). Le niveau de ces taux semble particlièrement irréaliste (ESMA, 2013).
Dans le cas de HSBC, le goodwill de la seule UGT (Personal
Financial Services) dépréciée est relatif aux activités de la
banque aux États-Unis. En revanche, le goodwill des activités
en Europe n’a pas été déprécié, alors que les montants du
goodwill pour les deux zones géographiques sont relativement proches en début d’année 2008 (12,5 milliards de dollars
pour la zone États-Unis et 16,7 milliards de dollars pour la
zone Europe). Cette banque retient des taux de croissance
terminale de 3,5% pour les UGT en Europe et de 3,9% pour
l’Amérique du Nord. La justification de ces taux élevés est la
suivante (p. 410):
«The rates used for 2007 and 2008 are taken as an average of the
last 10 years».
Il est, pour le moins, surprenant de constater que des experts de la finance utilisent un taux historique (pour faire des
prévisions) alors que la crise financière avait éclaté depuis
plusieurs mois. Il est également précisé pour la zone Europe
(p. 410):
«Despite the severity of the conditions at the balance sheet date,
management does not expect these conditions to continue over the
longer term».
Ces éléments traduisent, pour le moins, un certain optimisme des dirigeants.
Le cas de BNP-Paribas est également troublant. Cette banque
française affiche une forte baisse de sa performance (EBIT &
Depreciation) en 2008, et son Market-to-Book est largement
inférieur à 1 en fin d’année 2008. On s’attend donc à ce que
cette banque déprécie son goodwill, supérieur à 10 milliards
d’euros en fin d’année 2007, dont 3,5 milliards pour sa filiale
BancWest située aux États-Unis. Cette banque ne procède
cependant à aucune dépréciation. De plus, elle ne fournit
aucune information précise sur la réalisation du test de dépréciation dans son rapport annuel [5]. Pour les investisseurs,
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il est donc impossible de se forger une opinion sur la fiabilité
des informations produites sur le goodwill.
Ces quelques exemples, qui illustrent la latitude dont disposent les dirigeants des banques en matière de dépréciation
du goodwill et de divulgation d’informations sur les tests de
dépréciation, ne reflètent pas l’ensemble de l’industrie.
Pour avoir une vue plus globale sur l’importance des dépréciations du goodwill au cours de la période d’étude, nous
proposons une analyse plus approfondie. Concrètement,
nous régressons le modèle suivant:
Impairment t/Goodwill t-1 = α0 + α1.Variation EBIT &
Depreciation + α2.Market-to-Book + ε
Les résultats de nos régressions sont fournis dans le tableau 2. Dans la première colonne, pour l’échantillon total
(120 observations, soit 20 banques * 6 années), nous constatons que les dépréciations sont plus fortes lorsque: (1) la performance des banques baisse plus fortement (Variation
EBIT & Depreciation); (2) la capitalisation boursière est plus
faible relativement aux capitaux propres comptables des
banques (Market-to-Book). Ces deux résultats sont conformes
à nos attentes. En effet, en accord avec Ramanna et Watts (2012)
et l’ESMA (2013), le ratio M-to-B est un bon indicateur de la
probabilité de dépréciation et de l’importance des dépréciations. Par ailleurs, les dirigeants veillent à nettoyer le bilan
lorsque la performance de l’année est mauvaise.
Pour affiner nos résultats, nous distinguons deux sousgroupes dans les deux colonnes suivantes. Dans la seconde
colonne, nous étudions uniquement les banques avec un
Market-to-Book inférieur à 1 (63 cas). Nous mettons en évidence que les dépréciations sont essentiellement liées à la
performance: si cette dernière est plus mauvaise, les dépréciations du goodwill sont alors plus élevées. Ce résultat signifie que les dirigeants profitent de la faible valorisation
par le marché de leur banque, liée à la crise financière, pour
nettoyer le bilan. En fait, le moment est opportun pour limiter les coûts personnels supportés par les dirigeants, qui
peuvent faire croire que la décision de dépréciation est le résultat d’une mauvaise conjoncture (indépendante de leur
Notes: 1) Ce constat est valable dans d’autres industries et pour la plupart des pays européens. Par
exemple, Raffournier et Schatt (2010) ont quantifié
le poids du goodwill d’un large échantillon de sociétés françaises non financières cotées en bourse.
Ils confirment que le goodwill est désormais le
principal actif figurant dans le bilan de nombreuses sociétés. 2) Ce test de dépréciation a remplacé l’amortissement systématique du goodwill, il
y a quelques années, suite au lobbying des dirigeants des grandes sociétés cotées aux États-Unis.
Le lecteur intéressé par cette question pourra
consulter Ramanna (2008). 3) Ce taux est calculé
ainsi: Dépréciation du goodwill de l’année t/Goodwill figurant au bilan à la fin de l’exercice comptable précédant t-1. 4) Concrètement, le montant
des dépréciations s’élève à plus de 19 milliards
d’euros en 2011, pour les 32 sociétés du secteur financier, sur un goodwill proche de 77 milliards
d’euros dans le bilan de l’exercice 2010. 5) Aucune
chiffre n’est fourni dans le rapport annuel, tant
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volonté) et non pas d’erreurs stratégiques (paiement d’un
prix trop élevé pour des acquisitions antérieures).
Dans la dernière colonne (57 cas), nous mettons en évidence que la performance comptable n’influence pas les dépréciations lorsque les banques sont bien valorisées par le
marché (M-to-B > 1). D’ailleurs, le pouvoir explicatif de ce
dernier modèle est très faible [6]. Cela confirme globalement
que les dirigeants ne cherchent pas à nettoyer leurs comptes
en cas de faible pression du marché financier.
4. Conclusion
Au final, cette étude originale, portant sur 20 grandes banques
européennes cotées en bourse et appliquant les normes IFRS
entre 2006 et 2011, met en évidence que la dé­préciation du
goodwill a été relativement fréquente (66 cas sur 120) à partir
de 2008, lorsque la crise financière a débuté. De plus, les montants des dépréciations de certaines banques ont été particulièrement élevés dans certains cas.
Nos résultats tendent à confirmer l’idée selon laquelle les
grandes banques européennes déprécient peu le goodwill
lorsqu’elles sont bien valorisées par le marché. En revanche,
elles procèdent à de fortes dépréciations pour «nettoyer le
bilan» lorsqu’elles enregistrent une forte baisse de leur performance comptable et que la pression du marché financier
est forte.
Cet article n’aborde pas, de façon approfondie, les pratiques de divulgation d’informations sur les tests de dépréciation. Les quelques cas évoqués illustrent cependant la
grande latitude dont jouissent les dirigeants. Dans certains
cas, les taux de croissance à long terme sont basés sur des données historiques alors que le contexte économique est totalement différent. Dans d’autres cas, aucune information détaillée n’est fournie dans les rapports annuels sur les tests de
dépréciation. Des études complémentaires mériteraient donc
d’être réalisées, afin d’éclairer les investisseurs et les régulateurs sur la fiabilité des informations produites sur le goodwill.
n
pour la croissance des flux de trésorerie que pour
les taux d’actualisation. Il est simplement précisé
(p. 107): «Value in use is based on an estimate of the
future cash flows to be generated by the cash-generating unit, derived from the annual forecasts prepared by the unit’s management and approved by
Group Executive Management, and from analyses
of changes in the relative positioning of the unit’s
activities on their market. These cash flows are discounted at a rate that reflects the return that investors would require from an investment in the business sector and region involved». 6) La qualité du
dernier modèle s’apprécie à l’aide du coefficient de
détermination (r2) et du test de Fisher.
Références:  Carlin, T. M., Finch, N. (2009), Discount rates in disarray: evidence on flawed goodwill impairment testing, Australian Accounting
Review, 19, 326–336.  DeYoung, R., Evanoff, D.D.,
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Literature, Journal of Financial Service Research,
36, 87–110.  ESMA (2013), European enforcers review of impairment of goodwill and other intangible assets in the IFRS financial statements, January, 2013/2.  Herz, R.H. et al. (2001). Equity
Valuation Models and Measuring Goodwill Impairment, Accounting Horizons, 15, 161–170.  MastersStout, B., Costigan, M., Lovata, L.M. (2008). Goodwill impairments and chief executive officer tenure,
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Evidence on the use of unverifiable estimates in
required goodwill impairment, Review of Accounting Studies, 17, 749–780.
469

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