Connecté à Internet - Cyberdependance.be
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Connecté à Internet, déconnecté de la réalité "J'y passe quand même les huit ou neuf dixièmes de mon temps" "Ça fait à peu près trois ans que j'ai un ordinateur dans ma chambre. Pour moi, c'est indispensable pour être tranquille. La nuit, je retrouve mes potes sur le Net, j'utilise surtout mon PC pour discuter. C'est un des seuls moyens que j'ai pour parler à des gens. Et puis, il y a pas mal de choses à faire quand on cherche un peu. Le temps que je passe sur le PC peut varier, mais j'y passe quand même les huit ou neuf dixièmes de mon temps, je pourrais pas faire plus. Ma mère trouve que c'est trop, évidemment, mais depuis quelques temps, elle n'y pense plus. Elle sait qu'elle ne peut pas y changer grand-chose. Il y a un an ou deux, elle coupait le modem vers 22-23h, pour que je ne puisse plus aller sur le Net. Heureusement, j'avais un deuxième câble pour quand même me connecter. Maintenant, je ne suis plus "limité". J'ai déjà passé trois jours sans dormir, suite à quoi j'ai fait une hémorragie du nez, assez violente, apparemment due au manque de sommeil et aux heures sur le PC." Jérome, geek notoire de 16 ans. "Il avait une vie sociale difficile, tout passait par l’ordinateur" "Mon fils était tout le temps planté devant son ordinateur. Dès qu’il revenait des cours, il fonçait dans sa chambre. Il fallait négocier pour qu’il vienne manger. Plusieurs fois, on a dû couper le Net pour le déconnecter. Il dormait très peu, pas du tout assez, et ce qui devait arriver arriva. Il a raté un an, puis deux et, à un moment, pour essayer de sauver l’année en cours, on l’a envoyé dans un internat. Il a enfin réussi ses examens, mais après il a voulu changer d’internat et étudier l’informatique. Et comme il s’entendait bien avec le directeur de sa nouvelle école, il s’est arrangé pour avoir accès à Internet, alors tout a recommencé de plus belle et il a de nouveau raté. Il était vraiment tout près du décrochage scolaire, il ne voulait plus aller aux cours, il préférait jouer sur son PC. Il avait une vie sociale difficile, tout passait par l’ordinateur. Il devenait irritable, il trouvait des excuses bidon à tout ce qu’on disait. On est allé voir une psychothérapeute, qui a confirmé qu’il se réfugiait dans le virtuel. Avoir quelqu’un d’extérieur qui sert de médiateur, qui met les choses à plat, ça nous a aidé. Enfin, il a rencontré une fille, et du jour au lendemain, tout était terminé." Chantal, maman d’ado accro. Qu'en pensent-ils ? Ariane Lakaye, psychologue à l'Hôpital de Jour La Clé : " C'est important de ne pas étiqueter tout de suite un ado comme cyberdépendant" "Les écrans font flipper les vieux", nous soufflent des ados en nous faisant un clin d’œil. Cette panique les amuse et la plupart du temps, ils ont raison. Eux savent qu’ils ne sont pas si accros que ça. Pour preuve, les observations de Ariane Lakaye qui suit les plus "addicts" qui restent une minorité, précise-telle. Un message que beaucoup de parents, nous l’espérons, entendent. Le Ligueur : Quels sont les mécanismes de la cyberdépendance ? Ariane Lakaye : "La cyberdépendance est un trouble psychologique nouveau qui se caractérise par une véritable addiction aux relations virtuelles soit en ligne (Internet), soit hors ligne (les consoles de jeu). Cette situation engendre chez certains utilisateurs une réelle souffrance, caractérisée par une perte de maîtrise et une perte de liberté de s'abstenir. Pour nous, à l'hôpital de jour "La Clé", le terme de cyberdépendance s'entend avec une certaine dose de modération. On ne sait pas si ces adolescents devenus accrocs de leurs jeux ou des réseaux sociaux le seront un certain temps ou longtemps. Est-ce un moment passager caractéristique de l'adolescence ou cela risque-t-il de s'inscrire dans le quotidien du jeune adulte ? Ici à "La Clé", je suis confrontée à ces deux populations très différentes, des ados qui viennent en famille et des jeunes adultes. Pour les ados, ce sont les parents qui sont demandeurs, parce que la situation à la maison est allée trop loin : il n'y a plus de repas en famille, plus d'activités communes. Notre travail est alors d'aider l'ado à renouer des contacts, à refaire du lien, c'est un travail qui se fait avec la famille aussi. Les jeunes adultes viennent plutôt de leur plein gré, suite à une prise de conscience. Le cas typique est, par exemple, ce jeune homme de 30 ans venu chez nous récemment. Cela a commencé pour lui quand il est parti de chez ses parents pour aller à l'université et vivre en kot. Sans la structure familiale, il a commencé à aller beaucoup plus sur Internet. Peu à peu, il s'est isolé de tout et de tous. Il s'est désinvesti de ses études, des cercles étudiants, de ses amis. Aujourd'hui, il est très mal de se voir sans contact depuis cinq ans." L.L : Quand peut-on dire que l’ado bascule dans cette cyberdépendance et quels en sont les symptômes ? A.L : "Comme pour d'autres types de dépendance, la personne concernée ne se rend pas compte du moment où elle bascule. Par contre, le point commun des ados et des jeunes adultes cyberdépendants, c'est une vraie difficulté à affronter la réalité. En passant des heures sur Internet ou sur la console, ils sont à la recherche d'un confort psychologique qui les entraîne de plus en plus loin. Les symptômes qui peuvent être observés sont alors un sentiment d’euphorie et de toute puissance lorsque la personne est devant l’ordinateur ; une incapacité à arrêter ou simplement à limiter le laps de temps qu’elle passe sur Internet ; une augmentation du temps passé sur Internet ; des pensées intrusives et incessantes (lorsque la personne n’est pas en ligne, elle pense sans cesse au moment où elle le sera, à qui elle va rencontrer sur Internet, à ce qu’elle va lui dire, aux stratégies à mettre en place pour un tel jeu) ; un phénomène de tolérance (la sensation de soulagement et de satisfaction qui envahit la personne lorsqu’elle est en ligne est ressentie de moins en moins rapidement) ; un désinvestissement de la famille, des amis et des loisirs. Ce phénomène ne concerne qu'un tout petit pourcentage d'ados pour qui Internet ou les jeux vidéo est une aide pour grandir ou chercher le contact. C'est important de ne pas étiqueter tout de suite un ado comme cyberdépendant, ce que trop de parents ont tendance à faire. Pour preuve, pendant et après les vacances scolaires, nous avons un pic d'appels téléphoniques de parents persuadés d'avoir un enfant cyberdépendant, parce qu'il passe quatre heures par jour derrière son clavier. La réalité, c'est tout simplement que ce sont des périodes où les enfants ont moins de choses à faire, qu'ils passent plus de temps à la maison. Une fois les congés terminés, tout redevient normal, avec un ado qui va au cours, chez les scouts, dans son club de sport…" L.L : Il y a sûrement des signes qui peuvent alerter les parents ? A.L : "Quand le seul environnement devient l'ordinateur ou la console chez soi. Quand il y a un décrochage, qu'il soit scolaire ou extrascolaire. En somme, quand les contacts avec le monde extérieur se font de plus en plus rares et que tout tourne autour de l'ordinateur. Individuellement, il y a également des signaux d'alerte que l'on peut mettre en avant. Il y a la fuite de la réalité où le virtuel a alors une fonction rassurante par rapport au réel ou lorsque le jeune a du mal à rentrer dans l’adolescence et à se différencier de son milieu familial (par exemple en prenant une place de soutien vis-à-vis du ou des parents), ou encore quand l'utilisation du jeu fait office d'antidépresseur. Ces signaux d'alerte doivent être pris en considération, mais les parents doivent bien comprendre que ce sont ici encore des cas peu fréquents. Attention donc à ne pas faire d'amalgame : ce n'est pas parce qu'il passe pas mal de temps sur les réseaux sociaux que l'ado est dépendant. Des études montrent même que plus les jeunes sont sur Internet, plus ils ont de contacts véritables. On pourrait traduire cela simplement en disant que les ados d'aujourd'hui utilisent Facebook comme les ados d'hier utilisaient le téléphone, par exemple pour poursuivre une conversation entamée sur le chemin de l'école." L.L : Comment peut-on inviter nos ados à modérer leur présence devant l’écran ? A.L : "Ce sont simplement des mesures de bon sens qui sont applicables même si son ado n'est pas accro à Internet ou au jeu. La base d'une bonne relation reste l'échange, donc je dirais qu'il faut avoir de l'intérêt pour ce que l'ado fait (ndlr : surtout pour les jeux vidéo et les réseaux sociaux, afin de pouvoir évoluer en terrain un tant soit peu connu). On peut également rappeler que sur les ordinateurs, les consoles et certains jeux il est possible de mettre des limites de temps. Enfin, dans un objectif d'éducation à moyen terme, il est toujours bon de se souvenir de la théorie du 3-6-912 de Serge Tisseron, psychanalyste réputé pour ses études portant sur les relations jeunes-médias-images : pas de télé avant trois ans, pas de console de jeu avant 6 ans, pas d’Internet accompagné avant 9 ans et pas d’Internet seul avant 12 ans." Hôpital de Jour Universitaire "La Clé" asbl, Liège projet cyberdépendance - Tél : 04/342 65 96 L'avis… du Ligueur : "Si nous avions du choisir un spécialiste de terrain, nous aurions choisi… votre ado". Eh oui, nous l'avons souvent dit dans le Ligueur, l'informatique est une matière vraiment pas comme les autres. Alors que nous, les parents, sommes les maîtres à bord dans l'univers familial, nous devons bien constater que les nouvelles technologies restent l'apanage de nos enfants. Qui fait les mises à jour sur l'ordinateur, remplace les cartouches d'encre sur l'imprimante, débogue Internet quand tout est planté et vient de configurer le tout dernier appareil électronique acheté ? C'est lui, cet ado pourtant pas foutu d'appuyer sur le bouton "marche" de la machine à laver. Comment faire alors pour l’éloigner de temps en temps de son écran et de son clavier ? Si la maison ne possède qu'un seul ordinateur, installé dans le salon par exemple, la surveillance reste facile. Par contre, dès lors que l'ado a son propre PC dans sa chambre, il devient compliqué - voire impossible - de l'empêcher de passer la nuit en ligne avec ses copains ou à regarder des films. Le contrôle parental ? Rien de plus facile pour le jeune à contourner en chipotant un peu, surtout quand on passe au minimum quatre heures par jour derrière un clavier. Couper la liaison Wifi à 22 heures ? Dommage pour vous - et votre ado se gardera bien de vous le dire -, mais le voisin n'a pas sécurisé sa connexion… Disons-le clairement, s'il existe tout un arsenal de solutions technologiques, la mise en pratique n'est pas des plus aisées. Et vouloir le sortir de force de son antre n'est pas une bonne idée. Ici, tout est affaire de compromis, de dialogue, en somme un travail éducatif qui demande du souffle, mais qui, croyez-le, porte ses fruits. La première des choses est de vous intéresser aux nouvelles technologies, à sa console, à ses jeux. Votre ado partagera sans doute avec plaisir sa passion et vous découvrirez peut-être alors l'étendue insoupçonnée de ses connaissances. De votre côté, vous pourrez ainsi jeter un œil sur le contenu des jeux, en comprendre les mécanismes et mieux juger la pertinence des compétences mises en jeu. Une fois le terrain de jeu mieux connu, il vous sera alors possible de conseiller votre ado, d'aborder avec lui les problèmes de confidentialité, la cybercriminalité ou tout autre sujet que vous trouverez intéressant d'aborder. Le Ligueur n°2 du 19/01/2011