Courteline, amour noir - Théâtre de Bourg-en
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Courteline, amour noir - Théâtre de Bourg-en
Etablissement public de coopération culturelle DOSSIER SPECTACLE Courteline, amour noir La Peur des coups, La Paix chez soi, Les Boulingrin Georges Courteline Jean-Louis Benoit Mardi 18 à 20h30 et mercredi 19 décembre à 19h Au Théâtre Durée : 1h30 Contact scolaires : Marie-Line Lachassagne 04 74 50 40 06 [email protected] EPCC Théâtre de Bourg-en-Bresse 11 place de la Grenette BP 146 01004 Bourg-en-Bresse cedex (entrée du Théâtre : Esplanade de la Comédie) Le spectacle Trois courtes pièces, trois violentes disputes, trois face à face destructeurs, trois époux méchants et sots, trois épouses méchantes et sottes, trois bouts d’existence à pleurer de médiocrité. Les couples de Courteline ont oublié l’amour. L’ont-ils jamais rencontré ? Croisé, peut-être. En tous les cas, la vie commune l’a vite réduit en bouillie. « J’ai compris, disait-il, qu’il fallait enfin oser faire des pièces sans amour. » Ces trois pièces pourraient nous accabler si Courteline était un auteur nordique, mais l’humoriste qu’il fut, de façon presque maladive, obsessionnelle, va s’acharner à extraire l’élément comique de chaque individu. Réaliste, observateur minutieux des êtres et des choses (comme tous les grands comiques, Courteline « épiait »), il va cruellement nous faire rire, sans prêcher, sans se mettre en colère, sans s’indigner. Prenons au sérieux ce théâtre qui n’a l’air de rien, qui ne prouve rien, qui ne dénonce rien avec ses personnages de « farce humaine », les Des Rillettes, Aglaé, Hurluret, La Brige, Piégelé, Ledaim, Proute, Ratcuit, Tiracinq, Vergisson, Nauroy, Boulingrin, Trielle, Badin, Boubouroche...C’est un théâtre profond qui naît de la vérité observée, et non de l’ «esprit » d’un auteur du Boulevard comme Feydeau. La vérité observée, c’est la tragédie, et de la tragédie Courteline a choisi d’en rire. « Faire rire avec la tragédie, écrivait de Pawlowski, c’est là une mission surhumaine, la seule qui élève l’homme au-dessus de la bête et qui lui permette, comme le voulait Pascal, de savoir au moins qu’on le dupe et de se venger ainsi des dieux en riant. » Jean-Louis Benoit Distribution Textes (La Peur des coups, La Paix chez soi, Les Boulingrin) Georges Courteline Mise en scène Jean-Louis Benoit Avec Thomas Blanchard, Ninon Brétécher, Valérie Keruzoré, Sébastien Thiéry Décor Laurent Peduzzi Costumes Marie Sartoux La vie de couple Courteline, Amour noir est un spectacle constitué de trois pièces relatives à « la vie de couple » : La Peur des coups, La Paix chez soi, Les Boulingrin. On parle parfois de ces pièces brèves comme étant des « saynètes ». « Un acte, un seul acte, voilà ma mesure au théâtre. Que voulez-vous, je n’ai pas d’imagination. » Courteline ne combine pas d’intrigues. Le quiproquo lui est étranger. Il n’a aucune disposition pour la «machine bien faite» à la Labiche ou à la Feydeau, pour ne citer que les plus connus. Ce n’est pas un charpentier. Courteline fait court. Il écrit donc des « saynètes ». Ses sujets ne comportent pas de développement. Il ne complique pas. Si bien que ce fils de vaudevilliste va aller contre la tradition comique du temps et écrire ce qui se situe à l’opposé du vaudeville : la « tranche de vie ». Cruelle, féroce, réaliste, «quotidienne». C’est toujours court, une tranche de vie, et c’est souvent cruel et féroce : son auteur veut frapper vite et fort. Il n’a pas le temps. Et Courteline, avec ces trois pièces que je propose va exceller à mettre en jeu, avec rapidité et grand mouvement, des rapports hommes-femmes particulièrement «vrais», particulièrement sombres, situés bien en dessous du médiocre. Personnages teigneux, sans amour véritable. Toujours proches de la vie ordinaire, de «notre» propre vie, à la différence des vaudevilles de Feydeau dans lesquels nous ne nous reconnaissons jamais. On se reconnaît chez Courteline. Le miroir qu’il nous tend est peu déformant. Courteline est un pessimiste, bien entendu. Un pessimiste pourvu d’un don d’observation aussi aigu que celui de Labiche, autre grand pessimiste. Ce pourrait être du Henri Becque, mais cela n’en est pas pour une simple et bonne raison : c’est drôle. Très drôle. La forte intensité comique de ces « saynètes » est terrible, surréelle. On n’avait jamais vu sur scène de telles farces, et on n’en verra jamais plus. Ainsi, en 1891, c’est le théâtre d’avant-garde le plus novateur de l’époque qui va ouvrir ses portes à Courteline, le Théâtre Libre d’André Antoine, celui qui lança à cette époque une véritable machine de guerre contre le théâtre de Boulevards et tous les conformismes régnants, celui qui fit notamment découvrir Strindberg et Ibsen. On a du mal à comprendre aujourd’hui que Courteline fut un représentant de l’avant-garde théâtrale de la fin du XIXème siècle. La Peur des coups, La Paix chez soi, Les Boulingrin mettent en scène un lâche avec une épouse trop belle, un littérateur minable et mesquin avec une petite femme rouée, un couple haineux qui passe son temps à se déchirer et à déchirer son invité jusqu’à la terrible explosion finale, résolument dévastatrice. Comique et triste inévitablement, comme le furent les « saynètes » de Karl Valentin, Courteline, Amour noir veut relire, revoir et redécouvrir cet auteur de génie dont un journaliste disait en 1898 : « Il n’a pas l’air gai, monsieur Courteline, avec sa figure triste, sa démarche dolente et son geste uniforme pour ramener quelques cheveux sur ses tempes ; mais, avec son air de pompes funèbres, il a mis la salle en joie… » Jean-Louis Benoit, décembre 2010 Georges Moineaux, dit Courteline 1858-1929 Fils de l’écrivain et humoriste Julien Moineaux, Courteline débute une carrière de journaliste et fonde la revue poétique, Paris moderne. Son expérience du service militaire dans le régiment de Bar-le-Duc constitue une grande source d’inspiration pour ses premières satires : Les Gaîtés de l’escadron, Le Train de 8h47, Lidoire, Souvenirs cocasses de l’armée. à 35 ans, il publie chez Flammarion Messieurs les ronds- de-cuir et Boubouroche qui sont d’immenses succès. Il est alors joué au Théâtre Libre d’Antoine, au Grand-Guignol, au Théâtre Antoine et à la Comédie-Française. Suivent de nombreuses pièces où Courteline traque l’idiotie avec verve : La Peur des coups (1897), Les Boulingrin (1898), La Conversion d’Alceste (1903), La Paix chez soi (1903), et un roman intitulé Les Linottes (1912). Ayant définitivement renoncé à écrire à 54 ans, il est élu peu de temps avant sa mort à l’Académie Goncourt en hommage à l’ensemble de son œuvre. « Courteline : un petit homme de la race des chats maigres, perdu, flottant dans une ample et longue redingote, les cheveux en baguettes de tambour plaqués sur le front, rejetés derrière les oreilles, de petits yeux noirs comme des pépins de poire dans une figure pâlotte. Ce petit homme, un gesticulateur ayant dans le sac de sa redingote des soubresauts de pantin cassé, et cela dans des conversations debout, où piété sur ses talons, sa parole a la verve comique à froid de ses articles et où son dire débute ainsi : N’est-ce pas ? Je n’ai pas l’habitude de mettre mon pied sur un étron… » (Edmont de Goncourt, au 12 janvier 1894 de son Journal) « Courteline, avec une serviette pleine de vieille littérature, et ses mèches de cheveux toujours collés comme des pinceaux, gueule contre ce malfaiteur, ce cochon de Boileau qui n’a fait qu’emmerder Corneille, contre la Société des auteurs qui touche onze pour cent sur nos droits en province et étend la province jusqu’au boulevard des Capucines… » (Jules Renard, au 20 octobre 1900 de son Journal) La Presse Une complicité intéressante sans être systématique se noue entre la salle et des comédiens transformés avec maquillage et perruque par le talent de Cécile Kretchmar. Ces physiques extravagants rendent supportable et drôle cette férocité qu’ils incarnent. La mise en scène est tonitruante, très convaincante dans la troisième pièce Les Boulingrin, la plus difficile à régler avec effets à la seconde, rebondissements et rythme qui s’accélère. Pendant 1h30, mille occasions de rire de la médiocrité, rire pour ne pas pleurer. Olga Bibiloni, La Provence, 14.01.2012 Fort d’une écriture riche, percutante et joliment tournée, d’une verve gorgée de venin et d’humour vachard, Jean-Louis Benoit évite l’écueil du vaudeville avarié et du boulevard passéiste – tout en en conservant certains ressorts – grâce notamment à une mise en scène tonique, pour réussir une manière d’étude de mœurs en forme de comédie caustique qui fera sourire ou se gondoler, selon inclinations. Antoine Pateffoz, La Marseillaise, 14.01.2012 Ces trois histoires ont souvent été montées, jusque dans un film, dans les années 50, « Scènes de ménage » avec Louis de Funès et Bernard Blier. Jean-Louis Benoit veut les dépoussiérer, en tournant le dos « à la période Belle Epoque et au cadre bourgeois » et « en dirigeant les acteurs vers une façon plus âpre pour les rapprocher de nous », explique-t-il. De fait, l’âpreté, les cris, les coups, les batailles d’oreillers, le tout montant en puissance jusqu’au final, rien ne manque à une performance d’acteurs qui est aussi très physique. Perruqués et habillés années 50, les comédiens s’en donnent à cœur joie. Les réparties fusent et le public rit. Car « même si son théâtre est noir, il s’agit de faire rire » rappelle Jean-Louis Benoit. Le Parisien, 19.01.2012 L’art de Courteline est de mettre en exergue le grotesque de ses personnages plus bêtes que méchants. Et celui de Jean-Louis Benoit de le mettre en scène sur un mode crescendo, conduisant du réalisme au quotidien, au délire « hénaurme » en un mouvement aussi savant qu’ordonné. Réunis d’abord par couple – Thomas Blanchard et Ninon Brétécher dans La Peur des coups, Sébastien Thiéry et Valérie Keruzoré dans La Paix chez soi –, avant de se retrouver tous ensemble pour l’apocalypse finale des Boulingrin, les quatre comédiens s’en donnent à cœur, à corps joie. Installés dans un décor unique d’intérieur banal, ils se montrent abominables avec une telle innocence, un tel contentement qu’ils en seraient pour peu émouvants. Ne seraient-ils pas, par instants, nos semblables ? Didier Méreuze, La Croix, 19.01.2012