La France rsiste au comptage ethnique - cgt

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La France rsiste au comptage ethnique - cgt
La France résiste au comptage ethnique
LE MONDE | 01.07.06 | 14h01 • Mis à jour le 01.07.06 | 14h06
Compter les minorités visibles ? A l'inverse de certains pays anglo-saxons, la France s'y est jusqu'à présent
refusée, au motif - gravé dans le marbre constitutionnel - que la République ne connaît que des citoyens, "sans
distinction d'origine, de race ou de religion". La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)
l'a rappelé, dans un avis du 8 juillet 2005 : si le droit français autorise la collecte de données sur la nationalité
et le lieu de naissance d'un individu et de ses parents, il interdit de "recueillir des données relatives à l'origine
raciale ou ethnique réelle ou supposée".
La controverse, qui n'agitait guère que les démographes, a pris de l'ampleur à partir de la fin des années 1990,
lorsque les pouvoirs publics français - sous la pression des instances européennes - ont affiché leur volonté de
combattre les discriminations. En mettant en évidence les failles du "modèle français d'intégration", ce combat
a indirectement contribué à nourrir des plaidoyers pour la reconnaissance des minorités dites "visibles".
Jusque dans l'outil statistique, où elles sont justement invisibles : "Il existe une source spécifique d'inégalités,
qui est liée à l'origine ethnique et raciale. La stratégie française d'indifférenciation compromet l'observation
et l'analyse des discriminations", souligne ainsi Patrick Simon, chercheur à l'Institut national des études
démographiques (INED).
Le sujet divise au sommet de l'Etat. Dans le prolongement de son plaidoyer pour la discrimination positive,
Nicolas Sarkozy s'est clairement prononcé pour le comptage ethnique. "Je n'ai toujours pas compris pourquoi
certains trouvent choquant que l'on répertorie en France les catégories de populations selon leur origine. (...)
Si l'on refuse de reconnaître la composition de la société française, comment pourrons-nous intégrer ceux à qui
l'on nie leurs spécificités et leur identité ! Cela n'a aucun sens !", s'est exclamé le ministre de l'intérieur, mardi 2
mai, lors de l'examen par les députés de son texte sur l'immigration.
Se posant en défenseurs du "modèle républicain", le chef de l'Etat et le premier ministre ont rejeté toute
initiative en ce sens. Ainsi ont-ils obtenu, début mars, le retrait d'un amendement sénatorial - adopté par les
commissions des lois et des affaires sociales - visant à ce que soit établi "un cadre de référence comprenant une
typologie des groupes de personnes susceptibles d'être discriminées en raison de leurs origines raciales ou
ethniques". Ce "cadre de référence" devait être destiné à "mesurer la diversité des origines" dans les
administrations et les entreprises de plus de 150 salariés. Le débat, qui est intervenu à l'occasion de l'examen
du projet de loi sur l'égalité des chances, a tourné court.
Par l'entremise du sénateur (UMP) de Paris, Roger Romani, l'Elysée a fait connaître son veto. Quant aux
velléités du ministre de l'emploi, Jean-Louis Borloo, et du ministre délégué à l'égalité des chances, Azouz
Begag, qui s'étaient montrés ouverts sur cette question, elles ont été balayées par un arbitrage de Matignon.
Pour freiner ce mouvement, Jacques Chirac peut aussi compter sur Louis Schweitzer, qu'il a nommé à la
présidence de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde). Pour l'ancien directeur de cabinet
de Laurent Fabius, le comptage ethnique est une méthode "lourde de risques", parce qu'elle " nourrit une
logique de séparation de communautés". "C'est l'histoire de la poule et de l'oeuf", réplique Jean-René Lecerf,
sénateur (UMP) du Nord et coauteur de l'amendement sur le "cadre de référence". "Ce sont les discriminations
qui nourrissent le communautarisme, et non l'inverse", affirme-t-il.
"Ignorer la réalité des discriminations est un danger bien plus redoutable pour la France que le
communautarisme", renchérit Roger Fauroux, ancien président du Haut Conseil à l'intégration et auteur d'un
rapport sur "la lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l'emploi". Pour lui, le testing et le
CV anonyme - des "outils majeurs", selon M. Schweitzer - ne sont que des "méthodes détournées", que l'on
utilise parce qu'"on ne veut pas regarder la réalité en face".
Certains des plus fervents partisans du modèle républicain en viennent eux-mêmes à douter. "Lorsque le type
d'application de modèle conduit à l'inefficacité et fabrique des exclus, je ne suis pas sûr que la fidélité aux
grands principes ait un sens", affirmait le premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, dans un
entretien au Monde du 23 février, où il se montrait ouvert à une forme de recensement par origine ou
nationalité, sous réserve de confidentialité.
Le débat est également ouvert au sein des communautés religieuses. Alors que le souvenir des fichiers juifs de
l'Occupation pèse lourdement sur ce débat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de
France (CRIF), Roger Cukierman, s'est dit favorable à l'instauration de catégories religieuses dans le
recensement français. "J'estime que nous avons besoin d'informations. L'ignorance est mauvaise conseillère et
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favorise les préjugés", a-t-il affirmé dans un entretien au Figaro Magazine du 2 juin, tout en précisant que ce
"sujet complexe divise la communauté juive de France". A l'inverse, le président du Conseil français du culte
musulman (CFCM), Dalil Boubakeur, s'est déclaré résolument hostile à une telle réforme : "Vouloir
caractériser les gens par leur religion, c'est se tromper de temps et de République."
Président du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), créé le 26 novembre 2005, Patrick Lozès
entend pour sa part se définir haut et fort comme "Noir". "Refuser de prendre en compte la population noire
dans les statistiques de l'Insee, c'est faire comme si elle ne comptait pas", soutient-il. Si la couleur de la peau
apparaît bien comme un facteur de discrimination, les Français d'outre-mer ne semblent pas prêts pour autant
à se ranger dans la même "catégorie" que leurs concitoyens d'origine africaine.
Ce sujet très sensible est l'un des obstacles à l'instauration d'un comptage ethnique. Il en existe d'autres : "Quel
sort réserver aux métis, dans une société marquée par la mondialisation et le métissage ?", s'est interrogée
Bariza Khiari, sénatrice (PS) de Paris, qui redoute, elle aussi, qu'une telle réforme entraîne "une
communautarisation de la société". Le projet du Parti socialiste promet la mise en place d'"un bilan de
l'égalité" dans les grandes entreprises et les administrations. Mais ce dernier n'intégrerait que "des statistiques
en fonction du domicile des salariés".
Compte tenu des fortes résistances et réticences que susciterait une éventuelle réforme, ses partisans revoient
leurs ambitions à la baisse. "On ne peut pas aller plus vite que la société", relève Patrick Simon, qui se
"contenterait" désormais d'un avis de la CNIL permettant de "systématiser le recueil des données sur le pays
de naissance des parents dans tout l'appareil statistique".
Jean-Baptiste de Montvalon et Laetitia Van Eeckhout
Article paru dans l'édition du 02.07.06
Une opinion plutôt favorable
LE MONDE | 01.07.06 | 14h01
L'opinion est loin de rejeter l'idée du comptage ethnique, même si elle est réservée sur l'utilisation de ces
données à des fins de gestion par les entreprises ou les administrations. Tels sont les principaux résultats d'une
enquête conduite par l'Institut national d'études démographiques (INED) à la demande du ministre délégué à
l'égalité des chances, Azouz Begag. Réalisée auprès de 1 357 salariés et étudiants, cette enquête teste différentes
méthodes de déclaration des origines nationales ou ethniques et la réaction des personnes à leur égard.
Certes, l'identification ethno-raciale suscite davantage de réticences que le principe d'une déclaration des
origines géographiques familiales et individuelles, lequel ne rencontre pour ainsi dire aucune opposition (96 %
des personnes interrogées ne voient aucune difficulté à y répondre). Mais ces réticences sont loin d'être
majoritaires : seules 12 % des personnes interrogées se disent plutôt mal ou très mal à l'aise à l'idée de se
classer dans une catégorie "ethno-raciale".
L'hostilité - relative - s'exprime surtout parmi les personnes se considérant comme Arabes ou Berbères. Les
Blancs ratifient plus facilement une nomenclature ethno-raciale, et les Noirs en font autant. "Ce qui infirme
l'idée selon laquelle les minorités les plus exposées aux discriminations se défieraient le plus des
catégorisations stéréotypées", relèvent les auteurs de l'étude, Patrick Simon et Martin Clément, qui notent que
le rejet des étiquettes "ethno-raciales" n'en est pas pour autant majoritaire chez les personnes d'origine
maghrébine. Dans cette catégorie, les réticences s'affirment surtout chez les étudiants et parmi les salariés
immigrés de la seconde génération.
L'acceptation de statistiques sur les origines varie fortement en fonction du cadre dans lequel les données sont
recueillies. Une forte réticence se manifeste quant à l'utilisation de telles statistiques dans les fichiers des
entreprises et des administrations, notamment à but de gestion des personnels : un cinquième des enquêtés
exclut d'y introduire des informations sur l'ascendance et l'origine ; un tiers est hostile à l'enregistrement de
catégories "ethno-raciales". La crainte que ces données soient détournées à des fins discriminatoires est forte.
En revanche, la perspective que des questions sur l'origine soient posées dans des enquêtes scientifiques ou lors
des recensements suscite une large approbation, quelle que soit la nomenclature envisagée. La catégorisation
"ethno-raciale" est même acceptée sans réserve par 72 % des personnes pour ce qui concerne les enquêtes
scientifiques et par 68 % des sondés s'agissant d'un recensement.
L. V. E.
Article paru dans l'édition du 02.07.06
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