avis de tempête, planquons-nous
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c’est arrivé à bord de thoè – n°3 Avis de tempête, planquons-nous ! Les bouquins concernant le mouillage donnent des lignes directrices concernant le choix des abris en fonction de la topographie des lieux. Voici un cas vécu à bord de Thoè… Calme avant la tempête Thoè est mouillé au milieu d’un champ turquoise, devant la plage sud de Gyali, une petite île située entre Kos et Nysiros (Dodécanèse). Il coule des heures paisibles. À terre les rochers érodés par le vent prennent des formes chimériques. Le Cap’ ramasse une ponce et la jette à l’eau pour la voir flotter. Voilà un défi écologiquement durable : traverser l’Atlantique sur un radeau en pierre ! Gyali est une petite île entièrement transformée en carrière de dentifrice (zones claires sur l’image satellite). C’est l’une des utilisations de la ponce que Lafarge extrait par cargos entiers au point d’avoir squelettisé l’île en quelques années. Nysisros est une île verdoyante dont le volcan doit absolument être visité, surtout les petits cratères oubliés, en face du grand. Avis de tempête Photos © Pierre Lang Un coup de vent s’annonce. Il faut choisir un abri, de préférence accueillant, pour joindre l’agréable à l’inutile attente. Kos, allongée selon un axe SW-NE, est un barrage renforçant le • Prévision (26 juin à 15 h). Meltem. Les GRIBs promettent 35 noeuds, auxquels il faut rajouter 20%, car les prévisions sous-estiment la vitesse réelle et ne pas oublier 52 le renforcement éventuel dû à la topographie locale. L’état de la Méditerranée correspondra à la mer du vent plus un ou deux Beaufort, à cause des courtes vagues. En mer, les bateaux seront malmenés. État des lieux Nous disposons d’un jour pour optimiser le choix du mouillage d’où nous regarderons voler la poussière de dentifrice. Deux plages sont protégées par de basses terres. Les bateaux mouillent généralement devant la grande, au centre de l’île. Le fond tient bien. En cas de dérapage, rien ne menace le navire. Mais le vent y est fort et permanent. Et le 182 mètres garantit des rafales. À l’Est de cette plage se dresse une modeste falaise plongeant verticalement dans 5 mètres de belle eau bleue, le fond étant presque aussi clair que de la pâte dentifrice de bonne tenue. Quelques dizaines de mètres plus à l’Est se trouve une troisième petite plage, relativement accueillante pour ceux qui n’attrapent pas d’éruptions cutanées à la vue de l’exploitation d’anciennes éruptions volcaniques. En face de la falaise émerge un îlot. Le Cap’ décide de jeter l’ancre au pied de la falaise, malgré la • Panorama de 180° (déformé) pris du sommet de l’îlot. De gauche à droite : plage du S, carrière, plage du centre, Thoè, sommet 182 m, petite plage, yacht et carrière NE • L’état de la mer entre Kos (arrière plan) et Gyali menace apparente que pourrait représenter cet îlot, par vent du NW. Le bon sens commun manque cruellement de nos jours, mais quand on croit l’avoir, il faut se doter d’un esprit critique et ne pas s’y fier aveuglément. À cet endroit, le vent souffle nettement atténué, orienté parallèlement à la falaise. Canalisé par le sommet, le flux balayant la grande plage s’évacue principalement à l’W de l’îlot qui fait barrage. Si le vent souffle parallèlement à la falaise, le Cap’ embossera l’étrave sur le rocher pour limiter le mouvement de swing du bateau au bout de sa chaîne (oscillations bâbord tribord). S’il vient de la falaise, il embossera le cul, car il n’y a pas de vent au pied d’une falaise verticale. Parfois, le vent refoule même vers la falaise. Mouillage Le mouillage est constitué de 40 mètres de chaîne plus 8 mètres de câblot muni d’un amortisseur élastique en caoutchouc. Il part à environ 15° vers bâbord (côté mer). La ligne d’affourchage, d’environ 60 mètres, frappée entre l’étrave et la côte, part à environ 100° vers tribord (côté terre). L’utilisation combinée de cette ligne et du tapecul fait merveille. Les embardées se limitent à 5° à 8° de chaque côté du lit du vent. Autant dire qu’il n’y a quasi pas de variations dans la force exercée sur l’ancre et que le fardage du bateau est limité à son minimum : disons 10% de plus que la résistance au vent quand il lui fait strictement face. Baston Au cours d’une journée, le Meltem se lève après le soleil. Sa direction évolue en général dans le sens antihoraire, du NNW ou NNE (selon la géographie des îles) vers le NW en forcissant progressivement, surtout l’après-midi. Il mollit nettement la nuit. Dans notre abri, le vent qui contourne l’île nous vient dévié au SSE, en fin de nuit et début de matinée. Il revient carrément vers la falaise ! Il est faible avec de courtes rafales modérées venant du SW ou du NE. Thoè tourne autour de lui-même, prenant un safran dans la ligne frappée sur l’étrave. Elle a donc été temporairement frappée sur la poupe jusqu’à ce que la direction du vent se • Calme plat devant la falaise Avec toutes ces dispositions, Thoè aurait certainement pu tenir une annonce de 60 noeuds ! Elles ne se justifiaient certainement pas ce jour-là à cet endroit. Pour le coup, c’était une sécurité excédentaire inutile, mais on n’a jamais de certitude absolue quant à la justesse de son analyse, dans une région que l’on ne connaît pas et dont on sait qu’elle réserve parfois des surprises. • Rafales devant la plage • Calme plat devant la falaise stabilise au SW. En deuxième partie de l’après-midi, le Meltem vient du NW en forcissant. Dans le mouillage, le vent est alors plus soutenu, jusqu’à 15 kts établis (du SW), avec de courtes rafales à 20 kts. On ne peut pas espérer mieux et plus confortable dans un coup de vent ! Finalement, c’était surtout un bon exercice pratique, que de mettre à l’épreuve son analyse et ses manoeuvres, en prévision du jour où Éole se surpassera ou que les erreurs d’estimation se traduiront rapidement en dérapages et en manoeuvres musclées dans la baston. Naviguer, c’est prévoir et anticiper. • Pierre Lang Journal et eBook sur Internet : www.thoe.be 53