L`animation en maison de retraite. Témoignage Marie Mazière
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L`animation en maison de retraite. Témoignage Marie Mazière
Rencontre nationale d’aumôniers en gériatrie 24-25 janvier 2011 Témoignage d’une animatrice L’animation en Maison de retraite et quelques clés pour un travail en lien avec l’aumônerie C’est un partage de mon expérience que je vous propose, avec ses limites et ses interrogations. Pendant 5 ans, j’ai été animatrice en maison de retraite de 63 lits, qui se trouvait dans un village. Pour situer l’animation dans ce lieu, j’ajouterai que nous étions deux animatrices, l’une du matin et l’autre de l’après midi. J’ai d’abord été placée comme lien social : service de boisson et mise en place d’ateliers occupationnels (que ce ne soit plus la radio en fond sonore pour donner l’impression de vie, d’activité) Ce que j’ai ressenti au début c’est une grande envie de faire bouger les choses. Je trouvais que les gens ne se parlaient pas, qu’ils étaient ballotés entre les soins, le rythme de la maison avec les repas, la sieste, le changement des couches… (la maison de retraite, comme lieu vie certes, mais si différent du chez soi.). Au début pour l’animation, j’ai crée des rendez-vous : ateliers peinture, perle, lecture, gym, pâtisserie, énoisage, chants, mémoire…. Des petits ateliers de 30 à 50 minutes où je cherchais à faire venir les personnes. Résultat : Pour certain (les plus valides), cette nouveauté faisait du bien, ils étaient demandeurs. Pour d’autres (en fauteuil, isolés), je les voyais s’éveiller, puis refuser de venir, de bouger de leur place, comme par peur de perdre leur repaire ; et puis d’autres (dans leur monde) complètement ailleurs, sans réaction apparentes… et qui déambulaient parfois dans les ateliers. Si au début, je me suis sentie utile et rassurée de pouvoir répondre à des besoins (la direction valorisant le paraitre), petit à petit, j’ai ressenti un décalage entre « mon » projet et les personnes âgées. Décalage, et aussi interrogation du contenu : La maison de retraite n’est pas un centre de loisirs, et donc mettre en valeurs le travail de la personne, avec un retour enfantin du personnel était parfois très difficile. Certes les compliments pouvaient être bien pris, mais ils pouvaient aussi être déplacés. On réduisait la personne à son implication ou non à l’animation : C’est bien / ce n’est pas bien, Elle est capable/ elle n’est pas ou plus capable, Elle « se » bouge / elle s’enferme. L’animation devenait un centre obligé pour être ici en Maison de retraite (je pouvais entendre parfois des soignants accompagnant un résident en fauteuil me demander « où est ce que je te la mets » !). Ce qui au début semble important, une condition presque obligée pour la personne âgée qui arrive pour s’insérer à la vie de la maison, pose un bémol : D’abord parce que la personne arrive avec des déficiences et que son expérience préalable conditionne sa vie. Les maladies, le changement, les pertes, il faut du temps pour apprivoiser, essayer d’apprivoiser ces changements : naître à la vieillesse. Rien n’est immobile : c’est le changement, les douleurs, la maladie, l’angoisse, la perte progressive des fonctions, c’est devenir fragile On remarquait qu’il y avait toujours les inconditionnels de l’animation qui voulaient toujours participer au maximum par besoin de mouvement, besoin d’être là, besoin aussi pour certains d’être «comme il faut » devant l’attente du personnel. Et puis après quelques mois pleins de dynamisme, on ressentait une certaine lassitude. La personne âgée sentait une rupture : « Suis-je donc devenue autre, alors que je demeure moi-même » écrit S.de Beauvoir. Dans « Présence pure », Christian Bobin écrit ces mots « l’arbre est devant la fenêtre du salon, je l’interroge chaque matin : ‘quoi de neuf aujourd’hui ?’. La réponse vient sans tarder par des centaines de feuilles : ‘Tout’ ». ------------------------------Rencontre aumôniers gériatrie – janvier 2011 1 Moment de dépression, avec des questionnements plus ou moins exprimés : Qu’est- ce que je vis ici ? C’est mon dernier lieu de vie ? … Besoin de faire le point, d’accepter ce qui change. Prendre le temps de comprendre, on n’est plus dans le plaire du début, c’est plutôt une réalité qui fait peur. Là je pointe l’importance de tout le travail en amont : L’importance du lien, de la confiance qui a pu s’instaurer, qui va permettre à la personne d’essayer de s’en sortir, d’essayer de voir un peu plus clair, enfin de poser des mots… Il y a « une clé » entre le visiteur de l’aumônerie et l’animation : l’aumônerie a vraiment sa place comme un relais. Elle représente une personne de l’extérieur, une autre écoute, un lien qui permet de s’exprimer, une force de lien vers l’extérieur et d’accompagnement. Car même si l’animatrice est attentive à ce changement, il lui faut maintenir la proposition d’animation, d’animer, de créer de la vie, des évènements, de motiver, mobiliser… et là il faut être auprès de tous. Les personnes qui ont besoin de plus d’attention ressentent un vide. Certes il y a les jours de visites en chambre où l’animatrice va prendre le temps d’écouter, mais c’est un petit moment. « Une clé » : la personne de l’aumônerie qui vient visiter une personne en particulier, qui va avec elle dans sa chambre, lui redonne un espace privilégié (identité) c’est une chance, une bouée. Cela n’empêche pas de croiser dans le couloir les uns les autres, et même de se présenter entant que membre de l’aumônerie, cela sans doute peut éveiller chez d’autres une demande ? L’animation a pour fonction de mobiliser, de mettre en lien, de faire des choses, je réduis les mots, mais c’est surtout pour faire comprendre que c’est une recherche de groupe qui est le plus souvent mis en valeur. D’où l’importance pour l’aumônerie de mettre en valeur la personne, l’individu. Dans mon travail d’animatrice j’ai pu un peu mettre en avant ma formation d’art thérapeute : par la pratique de la créativité, on permet à la personne de vivre ce qu’elle veut, sans jugement de valeurs. On lui donne la place pour la laisser libre dans sa façon de s’exprimer, pour être elle-même, dans son choix. Ces ateliers d’art thérapie au sein de la maison de retraite ont dû s’adapter au rythme et à la façon de faire bien ancrée du personnel… Mais loin de me bloquer, cela a été un travail de mise en place très instructif et intéressant Pour vous donner une idée, je me propose de vous raconter le parcours d’un des participants : Monsieur « Do » (hémiplégique et pratiquement aphasique) m’a été présenté comme un monsieur difficile à vivre, que l’on a préféré écarter des autres pour son confort et ceux des autres (ex : en salle à manger il mangeait seul à une table pour éviter ses gestes violents et son humeur …). A l’époque, il n’y avait pas de réflexion sur ce que l’on appelle le « projet de vie », et donc je suis partie seule dans ce travail : remettre en confiance ce monsieur à travers un atelier d’art thérapie. Je lui en ai parlé et demandé s’il voulait venir, il a été d’accord et je suis venu le chercher à chaque atelier d’expression libre. Dans cet atelier, il y avait entre 4 à 5 personnes, un espace identifié pour chaque personne (plusieurs choix possible : modelage, peinture, perle). Parmi les personnes présentes j’avais sollicité des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, des personnes très en retrait et des personnes déficientes mentalement. Même si cela variait suivant les semaines, ce monsieur est venu pratiquement à tous les ateliers. L’atelier proposait un temps de création et un temps de parole, ce monsieur a toujours su s’exprimer à sa façon et être compris des autres aussi : mouvements des yeux, du bras, hochements de tête….). Ce que j’ai pu observer de ces séances c’est que ce travail a permis une mise en confiance, lui a donné le temps d’exister autrement que par les soins, cela l’a valorisé et revalorisé vis-à-vis des autres personnes âgées ainsi que du personnel. On a pu aussi reconsidérer sa place en salle à manger, et avec son accord il a bien voulu s’installer avec d’autres à table, cela a petit à petit permis de se joindre aux autres activités et d’être apprécié des participants et entendu dans ses besoins. L’accent que je porte à cet exemple, c’est l’importance de l’attention à la personne, à l’individu. Le visiteur d’aumônerie est certainement une force de reconnaissance de l’individu ------------------------------Rencontre aumôniers gériatrie – janvier 2011 2 Au cours des 5 années de travail dans cette maison de retraite, mon travail a changé ; on m’a demandé de rejoindre les plus démunis, ceux qui sont pratiquement sans parole, les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, les personnes lourdement handicapées... La maison de retraite avait choisi de laisser ces personnes dans les étages, de les préserver du regard des autres, donner aux résidents plus valides une autre image du lieu de vie. Ainsi le choix de ces petits salons leur donnaient (aux personnes lourdement handicapés) un espace plus calme, moins à la vue (on pourrait se demander si le fait de ne plus voir, suffit à tout bonifier… C’est une question ouverte…) Je me suis donc retrouvée avec un public : « au petit souffle » aurais-je envie de dire. L’animation active que j’avais pratiquée auparavant n’avait pas de sens. C’est la personne que je devais accueillir dans ses changements. J’ai dû alors quitter les personnes valides avec lesquelles j’avais des activités suivies, dans la mesure du possible j’ai gardé le lien avec elles par les visites dans les chambres ; mais certaines personnes l’ont ressenti difficilement comme un manque. Etre porteur de lien et devoir prendre une distance déstabilise quelque chose. « Une clé » : je pense à votre force en tant que visiteurs, c’est d’être plusieurs à visiter une même personne, ne pas être l’unique. Ce nouveau projet m’obligea alors à repenser le sens de mon travail. Ces personnes se retrouvaient de par leur handicap dans l’isolement, le rétréci du mouvement, le presque rien de tangible en relation…. Bobin dans « Présence pure » porte ce regard : « ce qui est blessé en nous demande asile aux plus petites choses de la terre et le trouve ». Là j’ai été confrontée encore plus à des équipes fatiguées, épuisées par ses vies si petites, voire usantes quand certaines personnes ne s’exprimaient plus que par des cris. Que faire ? Etre là. Pas facile pour les équipes de me voir comme animatrice, même si on se connait et que l’on connait nos fonctions cette présence de l’animation était tout autre : Être là et ne faire « rien » ou presque... J’ai eu l’impression de toucher à cette naissance du « je m’efface ». Expériences, rencontres… beaucoup d’émotions, une grande sincérité, exactitude d’être ! Impossible de se cacher derrière une animation « bruyante ». Solitude ? Qu’est ce que je fais de ma vie ? Il me semble avoir touché du doigt, une profonde intention et attention ; cela ne se passe pas sans rien, ça laisse une trace… « J’exagère » volontairement la situation, pour vous montrer le décalage entre ces deux populations : les actifs et les vieux. Comment vivre ensemble et s’accepter différents, et donner du sens ? C’est sans doute une réflexion qui n’a jamais été mise en avant... Les ateliers avec les petits moyens que j’avais, ont été orientés vers la personne, parfois quelquesunes ensemble, mais peu. Il y avait l’écoute de la musique, le toucher, les massages, capter le regard, un geste, un tout petit quelque chose, mémoire, l’éveil des sens, de ce qui reste encore en partage. Curieusement la recherche de ce lieu calme, petit salon a été toujours un lieu de passage, et donc pas facile de se concentrer, de se mettre au calme… Les personnes étaient installées en rang et attendaient le repas ou l’heure des changes ou le repos… C’est aussi là, dans ces lieux des petits salons que les soignants venaient déposer leur fardeau…en parole devant ces personnes qui soient disant n’entendaient pas… Ce sont des moments douloureux, simples et intenses aussi. Entre calme et brusquerie (malaise, fausse route, cri …). « Une clé » peut être pour celui qui visite c’est de s’installer auprès des personnes avec un regard plus attentif, des mains qui se tiennent, une présence avec pour seul consigne d’être là sans se presser ? Encore une fois, un travail d’équipe me semble une force et aussi une meilleur compréhension des équipes soignantes qui vous regardent. Ce n’est pas facile car si l’on n’a pas quelqu’un après pour en parler on se retrouve vite seul il y a danger de se rétrécir et aussi d’atteindre une grande vulnérabilité. ------------------------------Rencontre aumôniers gériatrie – janvier 2011 3 Pour l’expérience, je me suis mise dans un salon en silence au milieu des personnes âgées et j’ai attendu et écouté les bruits de la maison. Très vite on comprend la violence, tout est imprévu, le bruit, les voix, des objets, du passage… : le stress nous gagne, on se protège comme on peut et la carapace se forme... On perçoit aussi parfois des émotions à des petits moments, des petits moments fugaces emplis d’humanité. Des questions qui restent en suspens : - En maison de retraite on ne parle pas de la mort : Juste pour annoncer un décès, rapidement, on évite, on cache parfois….on l’ignore ? - On entend parfois des soignants dire gentiment « oh madame vous pleurez… il ne faut pas » ? Mais n’est ce pas au contraire utile et humain d’ouvrir les « vannes » de nos émotions ? - L’isolement, la solitude ? - La domination ? - Vivre ses émotions dans un milieu clos : Est-ce possible sans être tout de suite classé ? C’est une belle rencontre que ces personnes en fin de vie, beaucoup de fragilité, on ne sait pas toujours quoi faire, comment agir ! Mais si l’on a un peu de temps c’est la valeur de la rencontre simple et sincère qui unit les hommes Quelque soit sa condition, c’est cette part de notre humanité C’est ce que j’ai le plus appris à la rencontre de toutes ces personnes résidents et équipes soignantes. Marie MAZIERE ------------------------------Rencontre aumôniers gériatrie – janvier 2011 4