Les soins dentaires dans un Etablissement médico

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Les soins dentaires dans un Etablissement médico
Les soins dentaires dans un Etablissement médico-social
(EMS) de psychogériatrie
L’état dentaire des résidants en EMS est catastrophique. Il est important de se préoccuper de
ce problème non seulement pour des raisons dentaires mais aussi parce qu’un mauvais état
dentaire influence l’état général du résidant (Chalmers et al. 2001, Chung 2001, Spanish
Geriatric Oral Health Research Group 2001). Il n’est pas aisé pour un médecin dentiste de
soigner cette population, car il doit se déplacer avec tout son matériel. La collaboration
étroite avec les soignants est primordiale mais compliquée puisque le médecin dentiste doit
être intégré dans le processus de soins. C'est pourquoi le soutien et la discussion avec le
médecin responsable sont très importants.
« La Dernière Dent » par Boilly. B.N.
Estampes/Histoire illustrée de l’art dentaire
L’état dentaire
Beaucoup d’études épidémiologiques ont montré que l’état dentaire des résidants en EMS
était catastrophique (p.ex. Rentsch et al. 1995). Ils présentent beaucoup de dents cariées,
souvent ils souffrent de gingivite ou de parodontite. Les prothèses sont en général vieilles et
défectueuses. L’hygiène laisse à désirer ; ils n’arrivent plus à assumer eux-mêmes le
nettoyage quotidien des dents.
L’examen dentaire d’entrée
Il est souhaitable que l’EMS collabore régulièrement avec un médecin dentiste qui procèdera,
lorsqu’une personne âgée doit être placée dans un EMS, à un examen dentaire d’entrée, si la
famille et le résidant donnent leur accord. Le but est de diagnostiquer le plus vite possible des
problèmes dentaires et de tenter de les résoudre au début du placement. Ainsi des situations
d’urgence, de douleurs difficilement localisables peuvent être le plus possible évitées
(Kawanami et al. 1999). 75% des résidants sont capables de suivre un traitement dentaire à
leur entrée en EMS, mais seulement 50% peuvent encore recevoir un traitement dentaire au
bout de 30 mois de séjour (Budtz-Jörgensen 1999).
Le traitement dentaire
Le traitement dentaire qui va être proposé doit correspondre le plus fidèlement aux demandes
de la famille et du résidant. La décision de faire un traitement ou non et le choix d’une
approche symptomatique, préventive, palliative ou moyenne se fait en groupe, avec le
médecin traitant, l’infirmière responsable et la famille. Le nettoyage dentaire est possible dans
80% des cas (Sabev, Thèse,1997), mais un grand problème reste la capacité de collaboration
du résidant.
La prophylaxie, la prévention
Éviter des problèmes dentaires et garder en bonne santé l’appareil masticatoire est la première
préoccupation pour cette population. On a constaté que l’état dentaire s’empire avec la durée
du placement en EMS (Chalmers et al. 2001). Ce sont les soignants qui doivent s’occuper
quotidiennement des soins corporels des résidants. Ils rencontrent plusieurs barrières qui les
empêchent de mener à bien cette tâche : le manque d’outils et de techniques d’hygiène
disponibles (Holmes 1998), la difficulté de s’occuper de patients non-coopérants (Frenkel et
al. 2001), le manque de temps et de personnel (Johnson & Lange 1999).
L’interaction entre le personnel soignant, le médecin dentiste et les
cadres d’un EMS
Plusieurs études ont montré l’intérêt des soignants pour l’hygiène bucco-dentaire (Isobe et al.
2000, Frenkel et al. 2001, Marmy & Matt 2003) et l’impact sur l’hygiène dentaire chez les
résidants d’une formation ciblée du personnel (Frenkel et al.2001). La majorité du personnel
soignant a des connaissances suffisantes pour la prise en charge quotidienne de l’hygiène
dentaire et des soins pour les prothèses. Le personnel soignant a développé quelques
techniques lorsqu’un résidant ne collabore plus à son hygiène dentaire mais des informations
supplémentaires sont nécessaires pour faciliter ce travail et pour le rendre efficace.
L’intervention d’un médecin dentiste dans un EMS ne va pas de soi. Pour les directeurs qui
doivent mettre des priorités se pose la question si l’hygiène de la bouche et les soins dentaires
sont des sujets d’importance. Les directeurs qui sont convaincus de la nécessité des soins
dentaires rencontrent ensuite beaucoup de barrières qu’ils doivent franchir. Ils doivent
convaincre les cadres pour qui l’intervention d’un médecin dentiste dans l’EMS complexifie
leur tâche. Les cadres sont obligés de faire un travail important d’information auprès des
familles des résidants qui ont souvent des avis différents sur l’intervention d’un dentiste. Le
directeur doit intégrer le médecin dentiste comme intervenant extérieur dans les procédures de
soins. Or, pour beaucoup de soignants, les problèmes liés à la santé bucco-dentaire ne sont pas
très visibles. Des interventions ne sont que rarement demandées et il n’y a souvent pas
d’investigation d’office. De plus, dans les démarches de qualité, de type ISO 9001, et
notamment dans les référentiels qui accompagnent ce type de démarche, il n’est que très
rarement fait mention de ce type de soins (Marmy & Matt 2003).
Le support par le médecin responsable de l’EMS est d’une grande aide sans parler de
l’échange d’informations indispensable pour soigner correctement un résidant. Le médecin est
donc un interlocuteur privilégié et incontournable du médecin dentiste qui devra structurer ses
interventions et simplifier ses demandes de renseignements (anamnèse, médication, contexte
etc.) de façon à éviter de le surcharger davantage.
La santé buccodentaire constitue un nouvel enjeu pour la médecine dentaire.
Maja Marmy
Priorités en médecine dentaire pour personnes âgées frêles ou dépendantes
La dégradation de la santé bucco-dentaire chez la personne âgée, frêle ou dépendante est
étroitement liée à la mauvaise hygiène buccale, l’état de santé générale, la prise des
médicaments et la situation psychosociale. Un mauvais état bucco-dentaire et une hygiène
buccale négligée sont des facteurs de risque pour la santé générale et la qualité de vie. Le
maintien de la santé bucco-dentaire passe par une sensibilisation des responsables des
institutions, une formation du personnel soignant et une collaboration étroite entre le médecin
responsable et le médecin-dentiste répondant.
L’état bucco-dentaire
Des études épidémiologiques ont montré que la santé bucco-dentaire chez les personnes âgées,
frêles ou dépendantes, est plutôt mauvaise et que le nombre de dents fonctionnelles est peu élevé.
Le problème bucco-dentaire le plus important est la carie radiculaire due à la mauvaise hygiène,
l’hyposialie, et surtout l’ingestion trop fréquente d’une diète sucrée.
Pour les personnes âgées, frêles ou dépendantes, l’état de la santé bucco-dentaire est lié à la santé
générale, la prise des médicaments et la situation psychosociale. Ainsi, les patients dépendants ne
sont pas capables de se brosser les dents eux-mêmes ou de se rendre dans un cabinet dentaire pour y
être soignés. Les soins dentaires à domicile sont plutôt inexistants et les examens bucco-dentaires
systématiques dans les établissements médicalisés sont très rares.
Pourquoi cette négligence de la santé bucco-dentaire ? Souvent les problèmes bucco-dentaires sont
masqués par les problèmes médicaux perçus comme plus urgents et plus évidents par le personnel
soignant, les patients eux-mêmes et la famille.
Conséquences du mauvais état bucco-dentaire
Quelles seraient les conséquences d’une dégradation de la santé bucco-dentaire chez la personne
âgée ? Premièrement, les infections bucco-dentaires, mais surtout la carie et les maladies
parodontales qui peuvent être liées aux endocardites ou aux infections rénales dues aux bactéries de
la flore buccale. Il a d’ailleurs été démontré que la prévalence de pneumonies est plus élevée chez
les personnes en institution avec un manque d’hygiène buccale. De plus, le liquide récolté de
lavages broncho-pulmonaires a mis en évidence des bactéries parodontales. La mauvaise hygiène de
la bouche a ainsi permis une colonisation buccale excessive par des bactéries pneumopathogènes
qui, par aspiration, ont pu atteindre les poumons chez des individus avec une susceptibilité accrue
aux infections des voies respiratoires.
Des carences nutritionnelles apparaissent très fréquemment chez les personnes âgées dépendantes,
frêles ou souffrant de maladies chroniques. Les facteurs prédisposants majeurs sont des problèmes
médicaux, une perte d’appétit et une mauvaise qualité de vie. Une mauvaise fonction masticatrice et
des conditions de déglutition difficiles sont certainement très fréquentes dans cette population. En
effet, les problèmes bucco-dentaires sont de bons indicateurs d’une perte de poids involontaire et, à
long terme, un mauvais état bucco-dentaire est très souvent associé à une détérioration de la santé
générale.
Il existe des corrélations entre la dénutrition établie par des mesures anthropométriques et le taux de
d’albumine sérique, d’une part, et une diminution du flux salivaire et une mauvaise fonction
masticatrice, d’autre part. Ainsi, il y a une relation entre un faible flux salivaire, un taux bas
d’albumine sérique et des difficultés à mastiquer. En outre, les patients présentant des symptômes
de xérostomie ont davantage de difficultés à mâcher et ils évitent donc des aliments tels que
légumes, pain et viande.
De plus, il ne faut pas perdre de vue qu’une diminution ou une modification du sens olfactif ou
gustatif peut avoir un effet négatif sur l’appétit. Des troubles systémiques tels que la maladie
d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson, les maladies chroniques du foie ou des reins, des troubles
endocriniens, des médicaments et des troubles buccaux (xérostomie, maladies parodontales)
peuvent provoquer des modifications gustatives ou olfactives.
En conclusion, il semble important de faire régulièrement une évaluation de la santé bucco-dentaire
chez la personne âgée qui n’est pas en mesure de se déplacer jusqu’à un cabinet dentaire. Une
Ejvind Budtz-Jørgensen - Priorités en médecine dentaire pour
2 personnes âgées frêles ou dépendantes
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appréciation de la fonction masticatrice et de la sécrétion salivaire fait partie intégrante d’une
évaluation nutritionnelle d’un sujet âgé. Il est également nécessaire de prendre des mesures
appropriées pour améliorer ou maintenir la santé bucco-dentaire chez la personne âgée, frêle ou
dépendante.
Quels soins dentaires ?
Les objectifs idéaux des soins bucco-dentaires chez les personnes âgées sont d’assurer la santé
bucco-dentaire, le confort, l’esthétique et la fonction masticatrice. En réalité de nombreux
paramètres entrent en considération dans la planification des soins : les plaintes du patient, les
indications ou contre-indications pour effectuer les soins, l’état physique, psychique et fonctionnel
du patient, les demandes exprimées, les désirs de la famille, les aspects financiers et le rapport coûtbénéfice du traitement.
Les types des soins bucco-dentaires comprennent les soins symptomatiques (extractions, incision
des abcès, corrections des prothèses) ; des soins préventifs pour éviter la progression de la carie et
les maladies parodontales ainsi que la dissémination des infections buccales ; des soins palliatifs
pour des patients en fin de vie ou avec des maladies graves incurables : contrôle de la douleur, de
l’hygiène et du risque de complications et maintien du confort buccal et de la fonction masticatrice ;
des soins de moyenne envergure comme détartrage, traitements conservateurs ou fluoration de la
carie et réparation des prothèses ; des soins de grande envergure comme des traitements
conservateurs, parodontaux ou prothétiques complexes.
Actuellement, l’accès aux soins dentaires est médiocre au sein de la population des personnes âgées,
frêles ou dépendantes. En effet, le nombre de consultations pour soins dentaires diminue dans le
grand âge, alors qu’à l’opposé, celui des consultations médicales augmente. Le problème de santé
publique est alors important : les soignants ne sont pas suffisamment formés pour réaliser les soins
d’hygiène bucco-dentaire, alors que le patient lui-même est peu enclin à demander des soins. Ainsi,
il existe un risque de négligence qui peut avoir de graves conséquences.
Conditions de la prise en charge des soins bucco-dentaires
La prise en charge de ces patients nécessite une étroite collaboration entre le directeur (responsable)
de l’institution, le médecin traitant et le médecin-dentiste répondant, qui a accepté d’assurer les
soins dentaires.
L’institution doit mettre à la disposition du médecin-dentiste un local, un fauteuil et une aide
hospitalière assurant son intégration à l’institution. Par ailleurs, l’institution doit établir un contrat
écrit avec un médecin-dentiste répondant en précisant les devoirs des deux parties. Pour finir,
l’institution doit privilégier une formation théorique/pratique pré- et postgraduée du personnel
soignant en ce qui concerne les problèmes bucco-dentaires des personnes âgées et les soins
d’hygiène buccaux.
Le médecin-dentiste répondant et son équipe (hygiéniste, aide en médecine dentaire) doivent former
l’équipe soignante, instaurer un programme de prévention dans l’institution, organiser et effectuer
des consultations incombant à l’institution et prendre en charge sans discrimination les soins
dentaires des patients.
Quant au médecin responsable, il a un rôle important à jouer au niveau du dépistage des problèmes
bucco-dentaires, en établissant notamment un bilan d’entrée du patient dans l’institution. Un bref
examen de la cavité buccale du patient permet de lui prodiguer des conseils et de l’adresser
éventuellement au médecin-dentiste répondant. Le rôle le plus important du médecin traitant au
niveau la santé bucco-dentaire des patients en institution est de soutenir moralement et pratiquement
le médecin-dentiste répondant, afin que ce dernier soit parfaitement intégré dans l’équipe soignante
de l’institution.
Ejvind Budtz-Jørgensen
Professeur honoraire à la Faculté de médecine de Genève