«Laissez-moi le droit d`être père!»

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«Laissez-moi le droit d`être père!»
SOCIÉTÉ
«Laissez-moi
le droit
d’être père!»
Ils ne voient plus leurs enfants, ou pas assez,
ou vivent dans la peur de ne plus les voir.
Paroles de papas au bord de la crise de nerfs.
Photos SEDRIK NEMETH – Textes PATRICK BAUMANN
Ronan, 39 ans, père de Tristan, 7 ans
R
onan le sait, sa vie peut
basculer le 29 juin
prochain. Si le juge
qui instruit son affaire
autorise son ex-femme à
déménager au Portugal,
ce ne sont plus 50 kilomètres
qui vont le séparer de Tristan,
son fils de 7 ans, mais 1869. Il
sourit tristement. «Sa mère lui
a promis qu’il aurait un petit
chien et qu’il pourrait me voir
très souvent. A son âge, on n’a
pas le sens des réalités!»
Ronan est un père moderne,
un père qui s’est occupé de
son gosse depuis sa naissance,
qui fait du foot, du ski avec lui
le week-end, joue aux échecs,
un père qui se demande comment, même avec easyJet, il va
pouvoir maintenir la relation
privilégiée qu’il a avec ce garçonnet blond qui lui ressemble
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beaucoup. «Je vais le chercher
presque tous les week-ends à
Pully. Chez moi, pas de jeux
vidéo, on sort, on fait du sport,
c’est important pour un garçon
d’avoir un modèle paternel; lui
et moi, on a envie de continuer
à se voir souvent, il en a besoin,
j’en ai besoin, ce d’autant que
sa mère, à l’AI, sort peu. J’ai
envie d’être là pour l’aider à
l’école et plus tard lors de ses
études. S’il part, cette relation que j’ai mis des années à
construire va s’effriter, je ne
peux pas aller à Lisbonne tous
les week-ends à l’hôtel. C’est
tellement injuste, je vais être
dépossédé de mes droits de
père alors que je n’ai rien fait!»
Sans compter les frais de
déplacements qui vont s’ajouter à la pension alimentaire
qui ampute actuellement
La chambre de
Tristan, dans
l’appartement de
son père à Nyon.
Ronan ne peut
imaginer qu’elle
reste vide de longs
mois si son fils
déménage au
Portugal.
son salaire de moitié. En bon
comptable qu’il est, Ronan a
fait un tableau Excel de tous
les instants passés avec son fils
en 2015: 116 jours. Soit un tiers
de l’année! Le père de Tristan
ne veut pas s’engager dans
un combat homme-femme
qu’il juge stérile. «Chacun
est complémentaire. Je ne nie
pas l’importance de la mère,
je dis juste que mon garçon a
besoin aussi de son père pour
construire son avenir!»
Ce père, qui dit se préparer
psychologiquement au pire,
est au bénéfice de l’autorité
parentale conjointe, comme
c’est la règle depuis 2014 pour
tous les couples avec enfants
qui divorcent. Le sien n’est pas
encore prononcé définitivement. «Mais cela ne change
rien. Si un des deux parents
décide de partir à 25 000 kilomètres, l’autre ne peut pas
s’opposer, c’est le juge qui
décidera de notre destin!»
Séparé de son épouse après la
naissance de leur enfant, l’employé de banque évoque des
années de conflits usants. «Le
droit des pères est encore dans
notre pays une variable d’ajustement; 90% des gardes d’en-
fants sont toujours attribuées
aux mères alors que de plus
en plus de pères réclament des
gardes partagées. Parfois, j’ai
le sentiment qu’être un père
en Suisse, c’est un peu comme
être Noir en Alabama!»
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LA DÉTRESSE DES PÈRES
Alain n’a pas vu ses
jumeaux de 11 ans
depuis deux ans.
Pourtant, il ne se résout
toujours pas à ranger
tous leurs jouets dans
la cave de sa maison
de Bévilard.
«J’aimerais tellement passer
un week-end avec elle»
Stéphane, 31 ans, père de Maya, 4 ans
A
u sein des associations
de défense des pères, le
Nyonnais est souvent
cité en exemple. En mai
2015, fait très rare dans
les annales judiciaires,
un juge prononçait une peine de
détention provisoire à l’encontre
de l’ex-compagne de Stéphane
qui refusait de le laisser voir
sa fille. Détention de quelques
heures, certes, mais à valeur
hautement symbolique. D’habitude, dans ce genre d’affaire, les
juges hésitent toujours à envoyer
les gendarmes au domicile
d’une mère qui enfreint la loi, de
peur de traumatiser les enfants.
Là, pour la première fois, une
procureure osait demander les
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arrêts. «C’est vrai que la douleur
des pères, très souvent, passe au
deuxième plan», reconnaît Stéphane. Revoir sa fille après deux
ans d’absence, il s’en souvient
encore avec de la brillance dans
les yeux. «J’étais l’homme le
plus heureux du monde, même
si j’avais quitté un bébé et que je
retrouvais une petite fille. Passé
le premier moment de gêne, où
il a fallu se réapprivoiser, elle m’a
appelé papa, tout revenait en
elle, je me suis mis à chialer!»
Par la suite, Stéphane devra
néanmoins négocier chaque
heure passée avec sa fille. «J’ai
pu la prendre chez moi chaque
dimanche quatre heures pendant un an, puis huit heures
aujourd’hui, la mère ayant
contesté à chaque fois ces
changements; chaque opposition peut prendre des mois et
repousse encore le moment où je
pourrais avoir une vraie relation
avec Maya. Huit heures chaque
semaine avec elle, cela me donne
juste le temps d’aller la chercher
à Genève, de la ramener à Nyon
pour quelques heures… J’aimerais tellement passer un weekend avec elle!»
En 2012, la compagne de
Stéphane le quittait, emmenant
leur petite fille. Un droit de visite
et une curatelle sont établis,
contestés par la mère qui ira
jusqu’au Tribunal fédéral. Lequel
réaffirmera en 2014 le droit de
visite du père. «Pendant deux
ans, je me suis rendu tous les
dimanches au Point Rencontre
de Genève pour rien. Maya
n’est jamais venue. J’ai déposé à
chaque fois une plainte pénale
comme la loi m’y autorise, en
vain.» La mère de Maya sera
condamnée à des amendes de
plusieurs milliers de francs, elle
les paiera, tout en continuant à
s’obstiner à ne pas présenter son
enfant. La situation va finir par
miner le moral du jeune imprimeur. Et menacer son équilibre
financier. «Avec la pension, que
je me suis toujours fait un devoir
de payer, même pendant les deux
ans où je n’ai pas vu ma fille, je
ne pouvais plus honorer mes
frais d’avocat, et comme gagner
au TF ne me rendait pas Maya,
j’ai décidé de me défendre seul.»
Stéphane va continuer à se
battre, dit-il, pour lui mais aussi
pour la cause des pères. «Malgré
tout ça, avoir un enfant, c’est la
plus belle chose qui puisse vous
arriver!»
«Pourquoi mon droit à les
voir est-il à ce point bafoué?»
Alain, 43 ans, père d’Enzo et de Stella, 11 ans
A
lain n’a pas revu Enzo
et Stella, ses jumeaux,
depuis deux ans et un
mois. Ce jour de mai
2014, au Point Rencontre
d’Yverdon, la mère des
enfants, malgré l’ordonnance
d’un juge, a refusé qu’ils voient
leur père sous le prétexte qu’ils
en ont peur.
Dans sa maison de MallerayBévilard (BE), cet ancien vendeur
de voitures devenu magnétiseur
professionnel n’a pas rangé complètement les jouets des enfants
à la cave, mais la balançoire et le
trampoline restent désespérément
vides. «Mes enfants me manquent
terriblement. Mais je n’ai pas
perdu l’espoir de les revoir!»
Après plusieurs péripéties
judiciaires, un juge du tribunal
de Vevey exigeait en juin 2015
que le Service de protection
de la jeunesse rétablisse son
droit de visite. «On m’a dit que
cela pouvait prendre des mois.
J’attends toujours. Mes enfants
grandissent, ce seront bientôt
des adolescents, pourquoi mon
droit à les voir est-il à ce point
bafoué? Pourquoi la justice estelle si laxiste avec les mères qui
n’en font qu’à leur tête?»
Nous ne détaillerons pas le
combat juridique qui oppose
les ex-époux depuis 2008. Les
plaintes pénales qui ont plu des
deux côtés, si ce n’est qu’Alain
a été totalement blanchi par la
justice des accusations de viol
et séquestration proférées par
Madame. En 2011, après avoir
entendu toutes les parties, le Service de protection de la jeunesse
tranchait en sa faveur, préconisant «un placement des enfants
chez leur père et le transfert du
droit de garde».
«Cette décision n’a jamais
été relayée par la justice»,
regrette ce papa dépité qui a pris
30 kilos en un an. «Il n’y a pas
longtemps, le pédopsychiatre
de mon fils m’a averti qu’Enzo
pensait que je ne l’aimais plus
parce que je ne venais plus le
chercher. J’espère que s’il lit cet
article un jour, il saura que ce
n’est pas vrai!»
Alain est un papa remuant
qui parle cash, toise les juges,
leur coupe la parole, ce qui,
en pays de Vaud, peut passer
pour crime de lèse-majesté. Un
mercredi où son droit de visite
n’était pas respecté, il a pété un
plomb et menacé la curatrice
de ses enfants d’envoyer des
flyers à tous les médias relatant
son cas. «Mon droit de visite a
été immédiatement suspendu,
soupire-t-il. C’est vrai que, parfois, je parle trop, mais c’est la
douleur d’un père séparé de ses
gamins!»
Un juge rétablira ce droit,
mais les déménagements de son
ex-épouse, les multiples recours
contre les décisions de justice
remettent à chaque fois la procédure à zéro.
Depuis, Alain, qui peut
compter sur le soutien de sa
compagne, a engagé une nouvelle procédure dans le Jura
bernois pour obtenir la garde
de ses enfants. «Je n’abdiquerai
pas mon droit de père!»
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PHOTOS: SEDRIK NEMETH
Stéphane a aménagé
pour sa fille de 4 ans
une chambre de rêve
dans son appartement
nyonnais. Pour l’instant,
l’enfant ne peut toujours
pas passer un week-end
complet avec son père.
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«Je n’ai jamais fait
le deuil de mon fils!»
Julien, 47 ans, père de Daniel*, 25 ans
J
ulien a refait sa vie. Il
est marié et père de trois
enfants, mais il y a cette
douleur de ne plus voir
depuis cinq ans son fils
aîné de 25 ans, né d’un
précédent mariage. A ses yeux,
des années de déchirements,
de procédures ont bousillé la
relation père-fils, son gamin
étant allé jusqu’à témoigner
en même temps que son père
dans une émission de Temps
présent, en 2011, assurant qu’il
ne voulait plus avoir de relations
avec lui. L’assistant en soins du
CHUV avait 26 ans au moment
de la séparation d’avec la mère
de son enfant. Il bénéficiera du
traditionnel droit de visite un
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week-end sur deux et du partage
des vacances scolaires. «Ce droit
n’était jamais respecté, je devais à
chaque fois faire intervenir mon
avocat, c’était épuisant.» La mère
prétextant que c’est l’enfant qui
ne souhaite pas de relations avec
le père, il faudra faire intervenir
le Service de protection de la
jeunesse. Qui contestera cette
version. «Ils m’ont donné raison, mais l’enquête a pris près
de deux ans, période pendant
laquelle je n’ai pas vu Daniel.»
Julien voit son droit de père
rétabli pendant quelques années.
«C’était du pur bonheur, on
faisait plein de choses ensemble.
Financièrement, c’était un peu
difficile, car outre la pension que
j’ai toujours payée, même quand
je ne voyais pas mon fils, j’ai dû
louer un appartement plus grand
pour lui offrir une chambre.»
Puis l’ex-épouse déménagera de
nouveau dans un autre canton.
Tout recommence: le droit de
visite non respecté, la procédure,
l’enquête des services sociaux
valaisans qui, au bout de plusieurs mois, donnera encore une
fois raison à Julien. Ce qui ne
l’empêchera pas de passer par
des phases d’abattement et de
renoncer, pendant quelques mois,
à se battre, avant de reprendre du
poil de la bête. «Pour faire valoir
mes droits et que mon fils sache
que je l’aime et que je ne l’abandonne pas», martèle celui qui est
aujourd’hui porte-parole du mouvement de la condition paternelle
sur Vaud et milite depuis quinze
ans auprès des pères qui passent
par les mêmes tourments que lui.
Julien respecte le choix de son
fils de ne plus le voir, mais garde
sa porte grande ouverte. «Il est
une victime, il n’est pas sorti
indemne de tout ça et j’imagine
que l’image qui lui a été transmise de moi n’est pas des plus
élogieuses.» Daniel aura aussi
passé cinq ans en famille d’accueil à l’adolescence, du fait que
sa mère n’était plus en mesure,
à un certain moment, de s’en
occuper. «Les autorités n’ont pas
voulu me le confier en raison de
la situation conflictuelle, mais j’ai
pu le voir régulièrement et on a
partagé de très bons moments!»
Son fils choisira pourtant, un an
avant sa majorité, de retourner
vivre chez sa maman. Julien
garde toutefois l’espoir qu’«un
jour, il aura envie de me revoir».
* Prénom d’emprunt
PHOTO: SEDRIK NEMETH
Julien, qui ne voit plus
son fils aîné depuis cinq
ans, espère le voir
revenir un jour à Blonay,
où il vit avec sa femme
et ses trois enfants.

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