brochure 2015 - Evidence investigations
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L'agent de recherches privées Rôle et statuts valeur juridique du rapport de mission Par Michaël Gabriele Directeur d'agence de recherches privées Octobre 2015 © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés 1 /12 © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés 2 /12 I – Rôle et statuts 1. Profession : agent de recherches privées Depuis l'époque de François-Eugène Vidocq, le détective privé traîne comme une ombre, son lot de clichés. Il faut dire que « l'officine » qui l'abrite n'a pas forcément bonne réputation et de plus, on ne comprend pas toujours ce que vont y chercher les clients. Il existe pourtant depuis 2003 une loi qui encadre la profession et qui en prévient les dérives ! Les « détectives privés » exercent depuis lors au sein d'« agences de recherches privées », et leur rôle est ainsi défini : « Profession libérale qui consiste, pour une personne, à recueillir, même sans faire état de sa qualité ni révéler l'objet de sa mission, des informations ou renseignements, destinés à des tiers en vue de la défense de leurs intérêts. »1 2. Pourquoi fait-on appel aux compétences d'un agent de recherches privées ? « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »2 « Celui qui réclame l'exécution obligation doit la prouver. »3 d'une Pour tout litige qui n'est pas d'ordre public et pour lequel les forces de l'ordre ne sont pas compétentes, la charge de la preuve revient au demandeur. L'avocat oriente et conseille son client, mais il est tributaire des pièces que ce dernier pourra bien lui fournir pour faire valoir ses intérêts. 1 Article L. 621-1 du Code de la sécurité intérieure. 2 Article 9 du Code de procédure civile. 3 Extrait de l'article 1315 du Code civil. © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés A cet égard, l'huissier de justice peut, certes, « effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter »4 mais il ne peut pas se livrer à une enquête car il outrepasserait ses fonctions5 : il ne peut « réunir des témoignages qu'aux seules fins d'éclairer [ses] constatations matérielles »6. C'est donc au justiciable que revient la besogne de recueillir les éléments probants à l'appui desquels il pourra fonder ses prétentions. Or, celui-ci n'a pas nécessairement les moyens logistiques, le temps, la technicité requise pour mener à bien ce qui s'avère parfois être une enquête complexe. L'intervention de l'agent de recherches privées s'inscrit dans ce contexte. 3. Une profession strictement réglementée L'huissier de justice et à l'avocat ont un rôle bien défini au sein de la procédure ce qui n'est pas tout à fait encore le cas de l'agent de recherches privées. La notion d'enquête occupe d'ailleurs principalement le champ du contentieux pénal : les services de police judiciaire, sous l'autorité du parquet ou du juge d'instruction, mènent la plupart des enquêtes pour trouver les auteurs d'une contravention, d'un délit ou d'un crime. Or, il existe des situations nécessitant de diligenter des enquêtes qui ne pourront pourtant pas être menées dans le cadre établi d'une information judiciaire, d'une enquête préliminaire ou d'une enquête de flagrance. En effet les services de police ne peuvent pas enquêter dès lors que l'affaire en question n'entre pas dans le champ pénal. C'est dans ce contexte que les justiciables ont accès aux services des agences de recherches privées lesquelles doivent être titulaires d'une autorisation pour exercer. Celles-ci réunissent des preuves pour des litiges d'ordre civil, commercial, social et administratif. Elles interviennent aussi au pénal, en contre-enquête ou en amont d'un dépôt de plainte. 4 Article 1 de l'ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers. 5 Cass. civ. 15/04/1981, 2e ch. 6 Cass. soc. 29/10/2002, pourvoi n°00-42918, bull. 2002, V, n°326, p.313. 3 /12 Les activités de recherches privées ne sont pas à proprement parler une fonction « auxiliaire de justice », elles sont toutefois encadrées par le Code de la sécurité intérieure, sur le plan légal7 et réglementaire8. La profession est partie prenante des activités de sécurité privée et se trouve, à ce titre, tenue au respect du Code de déontologie applicable à l'ensemble du secteur9. Ce texte consacre notamment l'obligation de conseil à laquelle est sujet le praticien dans l'exercice de ses fonctions. Depuis le 1er janvier 2012, le Conseil National des Activité Privés de Sécurité, personne morale de droit public, est en charge de délivrer, suspendre et retirer les autorisations d'exercer, agréments (pour les dirigeants) et autres cartes professionnelles (pour les salariés) nécessaires à l'exercice de la profession. Il a également une mission disciplinaire vis-à-vis de la déontologie applicable10. Les conditions d'exercice et l'accès à la profession étant strictement réglementés, l'exercice illégal de la profession d'agent de recherches privées est passible de poursuites11. 4. Un professionnel compétent pour mener l'enquête et traiter les informations dans le respect de la plus stricte confidentialité L'agent de recherches privées qualifié justifie notamment d'un savoir-faire relatif : « aux techniques d'enquête, d'investigation et d'audition ; aux techniques de recueil d'éléments probants ; à la rédaction de rapports. »12 L'exercice de la profession est strictement réservé aux personnes morales et à leurs employés qui détiennent un agrément libellé à cet effet. Depuis 2008, l'agrément est délivré sous réserve de remplir une condition de moralité et de justifier d'une qualification professionnelle, par le biais d'un titre ou d'un diplôme reconnu13. 7 Article L. 621-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure (CSI). 8 Article R. 621-1 et suivants du CSI. 9 Article R. 631-1 et suivants du CSI. 10 Article R. 632-1 et suivants du CSI. 11 Cass. crim. 26/09/2006, pourvoi n°05-87417 ; TGI Cambray, 06/04/2009 (CRPC). 12 Article R. 622-24 du CSI. © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés Cette qualification professionnelle atteste d'un savoir relatif aux prérogatives de l'Administration visant à prévenir toute confusion avec un service public, ou toute usurpation de titre ou de fonction, toute entrave à l'action de la justice et toute atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et à l'autorité de l’État. Elle atteste également de la maîtrise des notions de droits et libertés fondamentaux inhérents à la personnalité (non-usage de la coercition 14 , respect de l'intimité de la vie privée15 et du droit à l'image, de l'intégrité des systèmes de traitement automatisé des données16, du secret professionnel17, etc.). Saisie à l'occasion de faits relatifs à des manquements supposés à la déontologie, la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité s'est prononcée en ces termes : « Dans le cadre d’une procédure en révision comme en l’espèce, l’avocat qui ne peut instrumenter lui-même, est souvent conduit à saisir un enquêteur aux fins d’effectuer, dans le cadre des droits de la défense, des recherches utiles à l’intérêt de son mandant. Ce faisant, l’enquêteur devient l’un des acteurs privilégiés de l’effectivité même des droits de la défense. Pour exercer pleinement ce rôle, l’enquêteur est nécessairement dépositaire d’informations confidentielles dans le cadre d’un secret partagé avec l’avocat. Toute divulgation non autorisée d’informations confidentielles est alors constitutive d’un manquement à la déontologie professionnelle et, le cas échéant, d’un délit pénal (violation du secret professionnel, art. 226-13 C. pén. ; atteinte à l’intimité de la vie privée, art. 226-1 C. pén., abus de confiance, art. 314-1 C. pén.).18 L'agent de recherches privées est donc le complément idéal de l'avocat pour la recherche d'éléments probants dans l'intérêt du justiciable. 13 Il en existe trois en France : la « Licence professionnelle activités juridiques, spécialité agent de recherches privées » (Université de Nîmes), la « Licence professionnelle sécurité de biens et des personnes option enquêtes privées » (Université Panthéon-Assas Paris 2) et le titre délivré par l'Institut de Formation des Agents de Recherches (IFAR). 14 Menaces, violences (article 222-7 et ss. du Code pénal) y compris psychologiques (art. 222-14-3 CP), subornation de témoin (art. 434-15 CP), etc. 15 Article 8 de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH), article 9 du Code civil, article 226-1 et suivants du Code pénal. 16 Article 323-1 et suivants du Code pénal. 17 Article 226-13 du Code pénal. 18 C.N.D.S., avis du 21/09/2009, saisine n°2008-135. 4 /12 5. Engager un agent de recherches privées : les principales caractéristiques du contrat • Particuliers et entreprises Le statut de l'agent de recherches privées découle du contrat qui le lie à son client. Pour engager un détective, « mandataire en recherche de preuves », le requérant particulier ou entrepreneur contracte avec l'enquêteur un mandat19. A ce titre : - le mandant donne pouvoir à l'agent de recherches privées d'enquêter en son nom ; - le mandat est « spécial » : le pouvoir d'agir au nom du mandant se limite au(x) seul(s) objet(s) de la mission ; - et de même que l'avocat, l'agent de recherches privées est tenu à une obligation de moyens (pas à une obligation de résultats), et doit répondre de sa gestion. • • Y a-t-il une garantie de résultats ? En droit, rien ne s'oppose à ce que tout contrat soit assorti d'une prime de résultat. Toutefois, en pratique, ce mode de rémunération n'est pas conciliable avec l'indépendance qui attrait à l'enquêteur. Nonobstant la loyauté qui est due au requérant, l'agent de recherches privées n'est pas un commerçant et le témoignage de complaisance n'est pas son fonds de commerce. Pareilles pratiques sont même passibles de sanctions pénales21. L'engagement ne préjuge donc pas du résultat : il en va de la conscience professionnelle et de la probité des rapports produits. La seule garantie de résultat qui est opposable concerne les faits étayés dans le rapport. L'agent de recherches privées s'engage, à travers son rapport d'enquête, à ne produire que la vérité, toute la vérité, en s'attachant à décrire précisément et de manière circonstanciée ce à quoi il assiste, et à reproduire fidèlement pièces et témoignages recueillis. Personnes morales de droit public Les administrations appartenant à la fonction publique d'Etat, territoriale ou hospitalière ont la faculté d'engager un agent de recherches privées pour les besoins d'une enquête dès lors qu'une enquête préliminaire ne peut être utilement menée par les services officiels et que l'enquête répond à des besoins de sécurité ou est justifiée, tout du moins, par des raisons objectives. Une procédure adaptée est prévue pour les marchés publics ayant trait aux prestations d'enquête aux termes des articles 203 et 204 du Code des marchés publics : « Il peut être décidé que le marché sera passé (…) sans publicité ni mise en concurrence préalables (…) lorsque ces formalités sont impossibles ou manifestement inutiles en raison notamment de l'objet du marché (...) »20. Une administration a donc la faculté de faire appel aux services d'une agence de recherches privées en toute discrétion afin de ne pas compromettre l'enquête. 19 Conforme aux dispositions des articles 1984 à 2010 du Code civil. 20 Article 203, II du Code des marchés publics. © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés 21 Articles 441-1 et suivants du Code pénal portant sur le faux et l'usage de faux. L'article 441-7, en particulier, dispose qu' « est puni d'un an d’emprisonnement et de 15000 euros d'amende le fait d'établir une attestation (…) faisant état de faits matériellement inexacts. » 5 /12 II. Valeur du rapport d'enquête devant les juridictions Comme au pénal et dans l'esprit de l'article 1348 du Code civil26, l'appréciation de la force probante d'une pièce justifie de passer outre ce formalisme. Le rapport d'enquête qui revient au requérant au terme de la mission est recevable en justice depuis 1.1.2. Responsabilité contractuelle l'arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 07/11/1962 (2e chambre civile, bull. 1962, II, n°700, p.510). A l'instar de toute « offre de preuve » soumise aux Cours et tribunaux, un rapport pourra être tantôt admis, tantôt rejeté. « Les constatations effectuées par un détective privé (...) sont admissibles en justice, selon les mêmes modalités et sous les seules mêmes réserves que tout autre mode de preuve. »22 Les moyens employés, la méthodologie appliquée pour mener l'enquête et rédiger le rapport sont certes déterminants mais la jurisprudence enseigne que l'appréciation des moyens de preuve diffère en fonction de la juridiction à saisir. 1. Devant les juridictions civiles 1.1. Au civil Pour toute affaire ayant trait à un acte juridique, susceptible d'engager une responsabilité de nature contractuelle, c'est le système des preuves légales qui opère et le rapport de l'agent de recherches privées est assimilé à un témoignage. Or, comme la preuve testimoniale n'occupe pas le rang de preuve parfaite au sein du système des preuves légales 27 , le juge peut retenir le rapport ou l'écarter des débats, en fonction du fond, de la forme, et de la méthodologie employée. Sur la forme, le rapport, dans son ensemble et dans ses parties, doit être conforme à l'attestation désignée par les articles 200 à 203 du Code de procédure civile. Sur le fond, les informations rapportées doivent être des faits datés, précis, circonstanciés et exposés en toute objectivité. Sur l'aspect méthodologique, l'information doit avoir été obtenue de façon licite à peine de disqualifier l'ensemble du rapport (atteinte à l'intimité de la vie privée28, usage de la coercition, recel d'information couvertes par le secret professionnel, accès frauduleux à un système de traitement automatisé des données, et autres usages de procédés interdits tels que les micros29). 1.1.1. Responsabilité délictuelle Pour toute affaire ayant trait à un fait juridique, susceptible d'engager une responsabilité de nature délictuelle, sur le fondement de l'article 1382 et suivants du Code civil 23 notamment, la preuve est libre et seule la force probante des éléments recueillis importe. Ainsi, pour démontrer la survenance d'un fait de nature délictuelle (violences, actes déloyaux, etc.) ayant entraîné un préjudice pour le demandeur, le formalisme inhérent à une « attestation 202 » (article 202 du Code de procédure civile) n'est pas prescrit à peine de nullité24. En d'autres termes, les modes de preuve admissibles ne sont pas limités aux seules « attestations 202 »25. 22 CA Caen, 04/04/2002, RG n°01/01952. 23 Article 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » 24 Cass. soc. 08/11/1989, pourvoi n°86-42903, bull. 1989, V, n°656, p.395. 25 Cass. civ. 09/01/1991, 2e ch., pourvoi n°89-17338, bull. 1991, II, n°12, p.6. © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés • Le divorce pour faute La preuve est libre sauf à être rapportée par violence ou par fraude30. La jurisprudence admet que l'agent de recherches privées est habilité à enquêter pour relever les faits qui étayent une violation des devoirs et obligations du mariage31. 26 Article 1348 du Code civil : « Les règles ci-dessus [relatives à la preuve testimoniale] reçoivent encore exception lorsque l'obligation est née d'un quasicontrat, d'un délit, ou d'un quasi-délit (…) ». 27 Contrairement aux preuves testimoniales que sont les actes authentiques et les actes sous seing privé. 28 A noter, en ce qui concerne la communication de l'adresse d'un domicile privé que « toute personne est en droit (…) de refuser de faire connaître le lieu de son domicile ou de sa résidence (…) [sauf] lorsque cette dissimulation est dictée par le seul dessein illégitime de se dérober à l'exécution de ses obligations et de faire échec au droit de ses créanciers. » (Cass. civ. 19/03/1991, pourvoi n°8919960, 1ère ch., bull. 1991, n°96, p. 63). 29 Articles 226-3 et 226-15 du Code pénal. 30 Articles 259 et 259-1 du Code civil. 31 Au sens de l'article 242 et suivants du Code civil. 6 /12 La violation du devoir de fidélité en est une32. S'agissant de fixer le montant d'une prestation compensatoire, d'une pension alimentaire, la procédure peut aussi s'appuyer sur un rapport d'enquête dès lors que la partie adverse dissimule un train de vie, un patrimoine, des revenus33. • La fraude aux assurances Dans le cadre d'un sinistre, un agent de recherches privées peut être mandaté pour enquêter sur la réalité des faits déclarés par un assuré et relever tout témoignage utile sur les circonstances d'espèce. Exemple : l'identité du conducteur responsable d'un accident de la circulation34. 1.2. Au commercial Les compétences d'un agent de recherches privées peuvent être mobilisées pour rapporter la preuve de pratiques commerciales déloyales telles que le parasitisme et la concurrence déloyale. On peut définir la concurrence déloyale ainsi : il s'agit de toute manœuvre visant à l'usurpation ou à l'appréhension d'un savoir-faire réservé bien que non-protégé (ni brevet, ni secret de fabrique). Concrètement, cela prend la forme de toute pratique consistant à dénigrer, à désorganiser une entreprise ou à créer une confusion, dans le but notamment de détourner la clientèle. Concurrence déloyale et parasitisme sont dénoncés à l'appui de l'article 1382 du Code civil, pour engager la responsabilité délictuelle du concurrent indélicat en paiement de dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi. La preuve est libre et peut être rapportée par tout moyen audevant d'une juridiction commerciale35. Le rapport y est admis de jurisprudence constante36 . 32 Cass. Civ. 11/09/2013, 1ère ch., pourvoi n°12-18512 ; CA Rennes, 28/05/2013, 6e ch. B, RG n°12/04319 ; CA Lyon, 19/03/2012, 2e ch., RG n°10/03311 ; CA Douai, 02/02/2012, 7e ch., s. 2, RG n°10/09174 ; Cass. civ. 23/02/2011, 1ère ch., pourvoi n°09-70328. 33 CA Lyon, 30/05/2011, 2e ch., n° RG 09/07346 ; Cass. civ. 04/07/2012, 1ère ch., pourvoi n°11-13790. 34 Cass. civ. 14/06/2012, 2ech., pourvoi n°11-22097. 35 Article L. 110-3 du Code de commerce : « A l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi. » 36 Cass. com. 12/10/2010, pourvoi n°09-67407. © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés 1.3. Au social Mandaté par un (des) salarié(s), l'enquêteur privé peut notamment réaliser des auditions et recueillir ainsi des témoignages pour des faits de harcèlement moral, de harcèlement sexuel ou encore pour contrer un licenciement abusif. Mandaté par l'employeur, l'agent de recherches privées devra se montrer vigilant sur les moyens à mettre en œuvre pour l'admissibilité de son rapport en justice, notamment sur l'emploi de la filature. 1.3.1. La filature du salarié La juridiction sociale est particulièrement protectrice des libertés individuelles. Cela tient en partie au Code du Travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »37 « Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard. (…) Les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie. »38 « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance. »39 Au vu de la jurisprudence, tout rapport qui contient un compte-rendu de filature encourt le risque d'être écarté des débats. Ce moyen est en effet réputé illicite car il porte intrinsèquement atteinte à l'intimité de la vie privée, y compris lorsqu'il est employé en-dehors de la durée de travail effectif40 et dans le respect des dispositions du Code du travail citées ci-dessus. 37 Article L. 1121-1 du Code du travail. 38 Article L. 1222-3 du Code du travail. 39 Article L. 1222-4 du Code du travail. 40 Article L3121-1 du Code du travail : « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. » 7 /12 « Une filature organisée par l'employeur pour contrôler et surveiller l'activité d'un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu'elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur. »41 Dans un arrêt rendu le 6 décembre 2007 42 , la Cour de cassation adopte toutefois une autre solution. En l'espèce, un salarié est pris sur le fait, en activité, alors qu'il se trouvait en arrêt de travail. Ceci a été rendu possible par une filature menée par une agence de recherches privées suivie d'un constat d'huissier. Les hauts magistrats retiennent, d'une part, que le constat d'huissier a été établi dans des conditions régulières et, d'autre part, que le salarié avait déjà été sanctionné : « (...) attendu que la cour d'appel a pu retenir comme mode de preuve licite un constat dressé par un huissier qui s'est borné à effectuer dans des conditions régulières à la demande de l'employeur des constatations purement matérielles (...) ; que, (...) appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve, elle a estimé que les faits reprochés au salarié étaient établis ; qu'ayant relevé que celui-ci, qui avait déjà été sanctionné, s'était livré à une activité professionnelle pour le compte d'une auto-école en violation de son contrat de travail, alors qu'il était en arrêt de travail pour maladie, elle a pu décider que ce comportement rendait impossible son maintien dans l'entreprise (...) » I l n'est pas fait mention plus explicite des sanctions disciplinaires antérieures en question, ni de ce sur quoi porte ladite violation du contrat de travail. Mais la jurisprudence précise depuis que : « l'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l'obligation de loyauté (...) ; pour fonder un licenciement, l'acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l'employeur ou à l'entreprise. » 4 3 L'activité menée par le salariée pendant son arrêt de travail s'avère en effet préjudiciable à l'employeur dès lors qu'elle entre en concurrence. La prudence dicte néanmoins, pour ce type d'affaire, d'éviter le recours à la filature du salarié et de focaliser les recherches sur l'activité concurrente à laquelle le salarié se livrerait44. 1.3.2 La violation de clause de nonconcurrence Il en va différemment de la violation de clause de non-concurrence. Dans ce type d'affaire, à l'instar de l'action en concurrence déloyale, l'apport de preuves au moyen de filatures est admis par la jurisprudence45. La clause de non-concurrence est, pour le salarié, le prolongement d'une obligation de loyauté46 pardelà la rupture du contrat de travail. Comme ce dispositif constitue une limitation au principe de libre exercice d'une activité professionnelle consacré par le Code du travail47, la jurisprudence l'encadre. La clause de non-concurrence doit être : « indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, (…) [elle doit aussi tenir] compte des spécificité de l'emploi du salarié et [comporter] l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives. »48 La concurrence déloyale peut, d'ailleurs, s'appuyer sur le débauchage de salariés qui détiennent une part du patrimoine de l'entreprise (savoir-faire stratégique, fichiers-clients) et qui sont liés à leur ancien employeur par une clause de nonconcurrence. En pareil cas, deux actions distinctes peuvent être menées concomitamment, l'une en réparation de la concurrence déloyale devant le Tribunal de commerce (responsabilité délictuelle du concurrent), l'autre en réparation de la violation de clause de non-concurrence devant le Conseil des prud'hommes (responsabilité contractuelle du salarié)49. 44 Cass. soc. 28/01/2015 n°13-18354. Cet arrêt est donc à replacer dans un contexte bien particulier : la violation d'une clause d'exclusivité ou la violation du devoir de loyauté. 45 CA Montpellier, 28/11/2007, RG n°07/00893 ; Cass. soc. 22/09/2010, pourvoi n°08-43381. 41 Cass. soc. 26/11/2002 n°00-42401, bull. 2002, V, n°352, p.345. 47 Article L. 1121-1 du Code du travail. 46 L'obligation de loyauté tirée des articles 1135 du Code civil et L. 1222-1 du Code du travail. 42 Cass. soc. 06/12/2007, n°06-43392. 48 Cass. soc. 10/07/2002, pourvois n°99-43334 à 9943336, n°00-45135 et 00-45387, bull. 2002, V, n°239. 43 Cass. soc. 12/10/2011 n°10-16649, publié au bulletin. 49 Cass. com. 24/03/1998, pourvoi n°96-15694. © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés 8 /12 1.4. En amont de toute l'ordonnance sur requête procédure : Le rapport peut avoir valeur de simple renseignement, lorsqu'il est produit avant – voire indépendamment de – tout procès. La préparation d'une requête à fin de constat s'inscrit dans ce contexte. La requête, à l'attention du magistrat compétent, vise à ce qu'il ordonne, à l'encontre de la partie adverse, toute mesure d'instruction utile à la manifestation de la vérité, avec le concours d'un serrurier, d'un officier de police judiciaire, d'un huissier de justice et de tout sachant ou expert. « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. »50 L'enjeu est de fixer, de sauvegarder, des pièces à conviction, donc, des preuves, détenues par l'adversaire, et dont peuvent dépendre l'issue du litige. Étant donné que le destinataire des ces mesures est dans l'impossibilité de s'y opposer (le principe du contradictoire n'est pas opposable « avant tout procès »), ce moyen est évidemment décisif, à condition, au préalable, de convaincre le juge de l'opportunité de l'ordonner. 2. Au pénal 2.1. La preuve est libre Au pénal, c'est avant tout la portée des éléments de preuve qui importe. « Aucune disposition légale ne permet au juge répressif d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenu de façon illicite ou déloyale ; qu'il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du Code de procédure pénale 51, d'en apprécier la valeur probante. »52 50 Article 145 du Code de procédure civile. 51 Article 427 du Code de procédure pénale : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. » 52 Cass. crim. 06/04/1994, pourvoi n°93-82717, bull. 1994, n°136, p. 302. © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés 2.2. Le rapport a sa place « entre les lignes » de la procédure Au sein de la procédure pénale, la fonction d'enquête est principalement assumée par la police judiciaire et par le juge d'instruction. • Pour l'exercice des droits de la défense L'enquête officielle, l'instruction, sont secrètes53. Pour autant, il n'est pas interdit au mis en cause, au mis en examen, au prévenu, à l'accusé ou au condamné, d'avoir recours aux services d'un agent de recherches privées, même sans reproduction des actes et pièces de la procédure54. En France, la procédure pénale ne se prononce pas sur la place de l'enquête privée55. La Cour européenne des Droits de l'Homme c o n s i d è r e que l'accusé qui se voit privé de liberté, doit pouvoir bénéficier d'une assistance consistant, entre autre, en la recherche de preuves qui lui sont favorables : « Comme le souligne les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu'il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu'il subit (...). En effet, l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, (...) sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer. »56 53 Article 11 du Code de procédure pénale. 54 Dans le respect de l'article 114-1 du CPP. 55 Contrairement à nos homologues transalpins. Article 327-bis du Code de procédure pénale (loi du 07/12/2000) en vigueur en Italie : « 1. (...) Le défenseur a la faculté de mener des enquêtes pour rechercher et trouver des éléments probants (…) 2. La disposition visée au paragraphe 1 peut être attribuée à l'exercice des droits de la défense à tout stade de la procédure, y compris après la condamnation et dans le but d'obtenir la révision du procès. 3. Les activités visées au paragraphe 1 peuvent être effectuées, au nom du défenseur qui lui donne pouvoir, par un enquêteur privé habilité et, lorsque des compétences spécifiques l'exigent, par des consultants techniques. » 56 CEDH, 13/01/2010, Dayanan c. Turquie, pourvoi n°7377/03, §32. 9 /12 La réforme de la garde à vue 57 s'inspire, certes, de cette jurisprudence mais « la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil », parmi lesquelles « la recherche de preuves favorables à l'accusé » n'en demeure pas moins lacunaire. En effet, si rien ne l'interdit, rien n'autorise non plus l'agent de recherches privées d ' agir dès lors que l'équilibre des armes est menacé et que la procédure devient à charge ! Le recours à l'agent de recherches privées représente un ultime ressort pour le justiciable qui serait mis en cause à tort, qu'il s'agisse de rétablir la vérité au moyen de (contre-) témoignages ou de (contre-) reconstitutions chronométrées. A cet égard, « la phase préparatoire d'audience » est un stade décisif 58 , voire fatidique, d e l a p r o c é d u r e : dès lors que l'enquête officielle est frappée de vice, le mis en cause court le risque de subir une erreur judiciaire59. • Pour servir les intérêts de la victime Le rapport peut aussi avoir pour finalité de déclencher l'action publique. Qu'il s'agisse de lutter contre les vols, coulages de marchandise (abus de confiance), et autres fraudes à l'assurance maladie dont peuvent être victimes les entreprises, le rapport délivré par l'agent de recherches privées peut permettre de réunir les éléments suffisants pour que les autorités, parquet ou comité opérationnel départemental anti-fraude (CODAF), ouvrent une enquête. 57 Loi n°2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue. 58 Parmi les 3032 personnes jugées en Cour d'assises en 2009 (mineurs et majeurs confondus), seules 190 ont été acquittées, soit près de 6,3%. La même année, au tribunal correctionnel, parmi les 560 373 prévenus (personnes physiques), 24 047 ont été relaxés, soit près de 4,3% (sources : Annuaire statistique de la Justice édition 2011-12, ministère de la Justice et des Libertés, pp.127-129). 59 Erreur judiciaire, au sens large du terme. Plus du quart des arrêts rendus en Cour d'assises en 2009 ont été frappés d'appel (26%). Une tendance en constante augmentation (source : annuaire statistique de la justice 2011-12, ibid.). © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés 3. Devant le juge administratif La loi « Le Pors »60 pose le principe d'interdiction de cumul avec une activité privé lucrative : les agents publics « consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées » par l'administration où ils exercent. L'administration a un droit de regard et des sanctions disciplinaires allant jusqu'à la révocation des agents concernés peuvent être arrêtées61. En matière de congé longue maladie et longue durée, l'employeur public doit même s'assurer par les contrôles appropriés que l'agent titulaire du congé n'exerce pas d'activité interdite62. L'enquête effectuée par un agent de recherches privées est un contrôle approprié, licite et le rapport qu'il délivre en fin de mission est un moyen de preuve recevable par le juge administratif. Le Conseil d'Etat considère en effet que le rapport qui repose sur des constatations matérielles du comportement de l'agent de droit public à l'occasion de son activité, dans des lieux ouverts au public, ne traduit pas un manquement de l'employeur public à l'égard de l'agent concerné et peut donc légalement constituer le fondement d'une décision disciplinaire63. En effet, l'agent de recherches privées ne porte pas atteinte au droit à l'intimité de la vie privée dès lors qu'il intervient « sur la voie publique et que les faits (...) observés ne peuvent donc essentiellement être que des comportements publics » . Néanmoins, pour être valide, l'enquête privée ne doit porter que sur la vérification de soupçons relatifs à l'exercice d'une activité non autorisée par l'agent concerné. Dès lors que ces conditions sont respectées, la personne morale de droit public « ne porte pas atteinte au droit à la vie privée de son agent ». 60 Article 25, I de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires. Cette loi, assortie du décret d'application n°2007-658 du 2 mai 2007 modifié posent également les exceptions et dérogations au principe de non-cumul. 61 Conseil d'Etat, 26/07/1978, n°05625 62 Article 38 , al. 1 du décret n°86-442 du 14 mars 1986 (fonction publique de l’État), article 28, al. 1 du décret n°87-602 du 30 juillet 1986 (fonction publique territoriale) et article 27, al.1 du décret n°88-386 du 19 avril 1988 (fonction publique hospitalière). 63 CE 16/07/2014, n°355201, publié au recueil Lebon. 10 /12 © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés 11 /12 Si les hommes se sont dotés d'une justice c'est parce que la vérité ne se présente pas toujours comme une évidence Evidence Investigations 10, allée Bernard Palissy, 26000 Valence (+33) 04 81 16 03 39 (+33) 07 77 07 08 46 [email protected] Evidence Investigations est une marque déposée SIREN 514 550 144 / APE 8030 Z Autorisation d'exercer numéro AUT-026-2113-12-11-20140456836 © Michaël Gabriele / Evidence Investigations 2011-15 – Tous droits réservés 12 /12