le compte rendu de l`édition 2002 - Bibliothèques de l`Université d

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le compte rendu de l`édition 2002 - Bibliothèques de l`Université d
Service commun de la documentation de l’Université d’Artois
Lecture étudiante : le Prix du Premier Roman 2002
de l'Université d'Artois
Selon une réflexion du journal Le Monde (août 2001), "l'automne romanesque des
premiers romans commence bien avant que l'été ne finisse : de plus en plus tôt,
avec de plus en plus de livres".
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Le jury du 9ème Prix du Premier Roman de l'Université d'Artois a effectivement
reçu non moins de 72 premiers romans à lire, analyser, évaluer. Les 52 membres
de ce jury d'étudiants ont porté leur choix sur un roman talentueux : Respire (Ed.
Fayard) d'un auteur de 18 ans, Anne-Sophie BRASME, qui semble être promise à
un avenir littéraire réel.
Ce récit n'a pas laissé les étudiants indifférents : ils ont aimé un livre tout de
paradoxes, qui met en lumière les sentiments exacerbés liant deux adolescentes.
Certains jeunes critiques font remarquer que ce tumulte intérieur est décrit au
moyen d'une écriture maîtrisée, le contraste intensifiant une atmosphère noire et
qui s'appesantit au fil des pages. Et pour nos lecteurs, c'est peut-être la deuxième
caractéristique d'un livre qui a réussi à éviter le piège du journal intime, d'avoir su
doser la montée en puissance de la noirceur et de l'horreur de la situation.
◊
Le dialogue qui s'est engagé lors de la réception d'Anne-Sophie BRASME, entre
l'auteur, lycéenne, et les étudiants, a fait apparaître encore d'autres facettes de cet
écrivain.
Les lecteurs ont fait, disent-ils, la découverte d'un écrivain d'une grande
maturité malgré son âge, talentueux, revendiquant avec patience le choix de son
écriture et l'analyse de ses personnages.
Car Anne-Sophie BRASME "explore sans complaisance les méandres de
l'adolescence. Son héroïne, Charlène, est condamnée à aller jusqu'au bout de son
funeste destin. Elle ressent une fascination la menant jusqu'à la folie, à l'égard de
son amie qui la manipule sans cesse, maniant tour à tour avec perversité la
complicité puis l'humiliation. Charlène dépend de l'amitié de son amie comme on
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dépend d'une drogue".
Les étudiants ont relevé la puissance de certaines pages qui réussissent à
dire l'indicible par une utilisation de phrases brèves et abruptes pour décrire le
déroulement du meurtre, mais surtout le meurtre vécu comme un acte libérateur,
car l'auteur analyse avec acuité le côté monstrueux de Charlène, qui n'éprouve
aucun regret de son acte : "Sombrer dans la folie, ce n'est pas qu'une fatalité, c'est
peut-être aussi un choix" (Respire, p. 15).
◊
Le jury 2002, confronté à une multitude de romans, n'a pas réalisé que de belles
rencontres. Il a constaté que trop de livres sont écrits rapidement, avec un style
bâclé, même lorsque émerge un talent, peut-être pour être présents lors de la
grande rentrée littéraire d'octobre...
Si les thèmes de ces romans demeurent d'une grande variété, les jeunes
critiques y décèlent le désenchantement, voire le désespoir ambiant. Ainsi ont-ils
distingué L, d'Isabelle SORENTE, roman-pamphlet au ton exalté, qu'ils ont perçu
comme "un cri de colère contre sa propre génération". Témoin ce jugement d'une
lectrice, étudiante de lettres : "Cet écrivain, polytechnicienne de trente ans, s'avise
qu'elle est obsédée par l'image et incapable d'aimer... Je suis touchée par la plainte
de son héroïne qui s'exprime ainsi : ‹‹ Nous sommes des enfants drogués
permanents qui arpentent chaque jour les rues de la ville pour consommer le
régime suivant, le téléphone suivant, le fantasme suivant ››".
D'autres étudiants se sont montrés émus et irrités par les confidences de la
Putain, de Nelly ARCAN. Parce que sa mère dormait trop et ne la regardait pas,
parce que son père était un prophète de l'Apocalypse, leur fille se réfugie dans le
monde de la prostitution. Voilà ce que met en évidence un critique : "C'est l'écrit
d'un naufrage intérieur, répétitif jusqu'à la nausée. Cet écrivain veut devenir
seulement un corps pour le tuer, tout en essayant de se délivrer d'un mauvais sort.
Ce livre laisse un goût d'échec cruel, mais ne touche pas vraiment, tant le regard
est clinique".
Un étudiant de Sciences humaines dénonce un récit particulièrement
"glauque", écrit volontairement à l'économie, qui se déroule dans le Nord de la
France : Sale temps pour les vivants, d'Eugène DURIF : "Cela se passe dans un
collège, dans une ZUP : tout n'est que désespérance et fin du monde... La plus belle
scène d'amour décrite se passe au fond d'un blockhaus rempli d'immondices".
Le jury dans son ensemble constate une thématique sombre dans bien des
livres, reflet d'une vie quotidienne complexe pour beaucoup. Mais il souligne aussi
la médiocrité d'un grand nombre de premiers romans, sans imagination ni talent.
Témoin ce jugement sans appel d'une critique littéraire : "On s'ennuie à la lecture
de ce livre sans grand intérêt. Le sujet est à la mode ; l'auteur le traite sans
originalité. Les problèmes du héros ont tout juste leur place dans le ‹‹reality show››
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dont la télévision nous abreuve" (Intime connexion, de Catherine CLEMENSON).
Une autre étudiante met en cause le style dans Une affaire de regard de
Philippe ANNOCQUE, que le récit, banal, ne parvient pas à "racheter". "Ce ‹‹il›› qui
se regarde exciter et agir devient très vite fastidieux. Français plus que moyen, il
nous ennuie ; ses petits problèmes, qui pourraient être les nôtres, ne nous
intéressent pas vraiment. Peut-être à cause du style ? Philippe ANNOCQUE s'y
prend mal : la quantité de ‹‹il›› et de ‹‹elle›› transforme le roman en un
gigantesque exercice de conjugaison d'un nombre impressionnant de verbes à la
première personne du singulier du présent de l'indicatif.
Se voir en train de se voir, exercice narcissique, n'est pas à la portée de tout
le monde. L'auteur suit la tendance, et, selon moi, rate son objectif".
Des étudiants, bons lecteurs et critiques avertis, attendent d'un premier
roman un style original, mais servi par un texte de qualité et qui s'impose par sa
force. C'est ce que nous explique cette étudiante de lettres à propos de Même la
pluie de Yves HUGUES :
"L'originalité du roman tient dans ses chapitres courts : moments de vie,
clichés
qui disent l'histoire d'un amour qui finit mal. Il y a de jolies phrases, des
réflexions drôles noyées dans une certaine banalité de style. L'ensemble manque de
force pour emporter l'adhésion du lecteur.
Même la pluie se lit sans déplaisir ; le sujet est grave ; Yves HUGUES l'a
traité d'une plume bien trop faible".
Non sans humour et non sans ironie, à la manière d'un poème, un jeune
critique affûte son jugement dans Une affaire de regard de Philippe ANNOCQUE :
"L'auteur se regarde et on regarde l'auteur se regarder. L'auteur s'admire mais on
n'admire pas l'auteur. C'est fade, sans saveur, une affaire de regard ; je détourne le
mien. Je referme ensuite ; ce geste soulage. A ranger, à jeter, ne plus y penser,
oublier, promener son regard ailleurs (!)".
◊
Cette neuvième expérience du Prix du Premier Roman de l'Université d'Artois
permet aux étudiants qui en ont renouvelé l'expérience littéraire, d'évaluer la
difficulté de découvrir de nouveaux talents parmi des écrivains de plus en plus
nombreux. Ces jeunes observateurs mettent en lumière quelques belles réussites
selon eux, de premiers romans "travaillés" qui offrent des thèmes intéressants dans
un style parfois novateur. C'est ce que donne à voir l'analyse des critiques d'un
premier roman, écrit par un jeune étudiant, Comment je suis devenu stupide de
Martin PAGE :
"Antoine trouve que son intelligence est un handicap dans la vie : elle a pour
effet de le rendre asocial. Pour remédier à cette ‹‹maladie››, Antoine va recourir à
différentes expériences (l'alcoolisme, le suicide) pour se ‹‹normaliser›› ...
Un petit chef d'œuvre ; un livre qui m'a beaucoup apporté dans la réflexion.
On avance dans cette histoire avec joie et soif d'en savoir davantage. Il s'agit d'une
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progression loufoque, mais qui semble tellement logique ! Un livre à relire
sûrement. Un livre à conserver dans sa bibliothèque, au rayon ‹‹connaissance de
soi››" (un étudiant d'histoire).
Ou bien encore :
"J'ai beaucoup aimé ce livre qui traite avec humour d'un sujet extrêmement
sérieux : la bêtise humaine. Martin PAGE a du talent. Il mérite le Prix du Premier
Roman !" (réflexion d'une étudiante de lettres).
Comme il a été dit en exergue, de très nombreux sujets ont été abordés par
les critiques, grâce à la diversité des thèmes traités dans ces premières œuvres. Le
jury a porté son attention sur un roman se déroulant dans le monde du football
(actualité oblige !), de Jean-Louis CRIMON : Verlaine avant-centre. Voici, à l'égard
de ce récit, le sentiment d'une étudiante de lettres :
"La prochaine saga romantique de l'été, ou mieux encore, le prochain film
sensible de la rentrée automnale, se devra de reprendre avec brio cette tendre
histoire d'enfance... J'ai aimé ce moment de doux retour au passé".
Un autre roman, La petite robe de Paul, de Philippe GRIMBERT, psychiatre, a
su toucher son public comme le démontre ce témoignage :
"La présence incongrue d'un vêtement d'enfant finit par menacer l'équilibre
d'un couple uni. Car cette petite robe, apparemment anodine, réveille des blessures
secrètes, des secrets de famille.
Avec beaucoup de science, les retours au passé, les rêves, éclairent les
rebondissements.
La
langue
est
simple,
presque
crue,
quand
il
s'agit
d'introspection. La robe immaculée est un cri qui fait voler en éclats les mensonges
convenus. Le récit, d'une grande intensité, va crescendo".
Dans un registre plus humoristique et quelque peu insolent, les étudiants
ont apprécié la verve d'Alain WOODROW dans Le pape a perdu la foi : "La foi serait
génétique... grand émoi dans les milieux ecclésiastiques ! On assassine les
dignitaires de l'Opus Dei, on lobotomise le pape qui en perd la foi.
Mi-fable mi-polar, c'est un récit vif, drôle, rocambolesque et coloré.
L'écrivain souligne avec intelligence les questions de la foi, des nouvelles
technologies et du rôle de la religion au XXIe siècle" (propos d'un étudiant
d'histoire).
Des critiques attentifs à la nouveauté se demandent si des écrivains ne sont
pas des précurseurs en matière d'école ou de style, comme en témoigne
l'interrogation de cet étudiant de lettres à propos de La nuit dépeuplée de Jean-Luc
SEIGLE : "Ce premier roman est d'une très grande originalité. L'écriture de J.L.
SEIGLE est hors du commun, et le narrateur, également peu ordinaire, capte toute
l'attention du lecteur qui se laisse ‹‹prendre›› dans l'histoire.
La focalisation, ainsi que les titres de chapitres sont particulièrement
intéressants. Est-ce ici le départ d'un nouveau style de roman ? J'ai adoré La nuit
dépeuplée".
Si Jean-Luc SEIGLE s'est attaqué au mythe d'Œdipe en le revoyant de
manière plus contemporaine, c'est encore l'histoire d'une mère qu'offre Une force
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de la nature de Catherine KLEIN. Il faut souligner que les mères, leur présence,
leurs absences, les traumatismes d'enfance sont autant de sources d'inspiration
pour les écrivains de cette rentrée. Comme l'explique une lectrice, "Une force de la
nature, c'est la caricature de la mère épuisante, possessive, mais tellement pleine
de charme. Le roman, écrit sous la forme d'une farce, met en scène une mère
‹‹merveilleusement déjantée››. Il s'agit d'un très bon premier roman ; une
sensibilité incontestable s'en dégage. Le roman est prometteur : il y a un souffle".
Les découvreurs de talents n'ont pas ménagé leurs propos laudatifs pour un
premier roman tout en finesse : Le voyage d'une femme qui n'avait plus peur de
vieillir (Gabriel OSMONDE) les a touchés et intéressés, comme le laissent entrevoir
ces deux lectrices : "C'est un premier roman très réussi. Le style est très efficace et
très agréable. Ce roman est long mais captivant. Les sentiments de l'héroïne sont
décrits de telle manière qu'on les ressent presque ; on les comprend, tout du
moins, parfaitement. Un auteur qui, à mon avis, est à suivre".
Ou bien encore : "Ce récit est très intéressant, bien écrit, avec beaucoup
d'humour et de romantisme. Des passages surprenants, jusqu'au bout, nous
ménagent des surprises. Rien de convenu ni de banal ; les personnages de Gabriel
OSMONDE possèdent une réelle épaisseur".
Un thème d'une cruelle actualité a pourtant séduit les étudiants : écoutons
cet avis, partagé par plusieurs, à propos de La photographie de Pierre MALAISE :
"Août 1960... Paul et Claire militent pour l'indépendance du peuple algérien.
Ahmed est un étudiant algérien. Paul part en Algérie et se trouve confronté à la
réalité meurtrière. Le roman, bien écrit, raconte les répercussions en métropole
d'une guerre personnelle. L'aspect le plus attachant de ce récit est d'éclairer, sans
pathos, l'histoire d'un pays à travers celle de trois jeunes gens déchirés".
Dans un contexte à la fois léger et nostalgique, il convient de souligner le
succès d'un roman qui a rassemblé de nombreux suffrages. L'auteur, Catherine
LEBLANC, narre dans le Problème avec les maths la vie d'une famille recomposée :
"C'est un livre plaisant à lire, bien de notre époque. Lola est une adolescente
d'aujourd'hui avec les problèmes qui vont avec, car l'incompréhension des maths
s'accompagne de l'incompréhension devant les adultes, qui divorcent et entraînent
les enfants dans leurs souffrances".
Dans ce même registre mi-amer, les critiques ont souhaité mettre en valeur
le texte de Marie-Hélène LAFON Le soir du chien. Voici ce qu'écrit à son sujet une
étudiante de lettres :
"C'est un livre que j'ai beaucoup apprécié. Tout se passe dans un coin de
nature isolé, comme hors du siècle. Certains ‹‹craquent››, se suicident ou fuient, et
pourtant, on ne sombre pas dans le mélodrame des couples qui se déchirent. Ce
roman est servi par un style qui, tantôt fait ressortir la narration, tantôt les
dialogues, comme des fragments de journaux intimes".
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Comme chaque année je me suis efforcée, dans cette présentation sur la lecture
étudiante à l'Université d'Artois, de rapporter aussi fidèlement que possible les
jugements de lecture de jeunes critiques, et de mettre en lumière leur
enthousiasme intact. Nous pouvons nous réjouir de la longévité de participation à
ce Prix de plusieurs étudiants, tout en étant lucides sur la mouvance et la fragilité
d'une telle expérience. Nous pouvons ainsi déplorer que trop peu de "nouveaux"
s'investissent dans ces lectures. La participation au Prix est fondée, depuis la
création de celui-ci, sur le volontariat et le "bon plaisir des étudiants". C'est, du
reste, la notion de plaisir qui prédomine dans les réflexions du jury : plaisir
d'échanges entre les étudiants d'UFR différentes, plaisir de rencontres avec les
bibliothécaires et les enseignants, et surtout plaisir de lecture contemporaine.
Il est demandé, dans le contexte actuel, un rôle de plus en plus pédagogique
à l'ensemble des acteurs de l'Université. Cela est vrai, notamment pour les
bibliothécaires qui, plus encore qu'auparavant, doivent être agrégés aux équipes
enseignantes et intégrés aux réalités pédagogiques, qu'il s'agisse de nouvelles
technologies ou de supports plus traditionnels.
Car pour amener nos étudiants à une lecture de textes "en ligne", sur
cédéroms ou dans des livres, et surtout pour les amener "de la lecture à la
littérature", il est nécessaire, selon Jean-Philippe ARROU-VIGNOD, de mettre en
place des stratégies. Selon lui "il y a des livres qui conduisent aux livres, d'autres
qui nous ouvrent le monde. On commence par les premiers. Le plaisir qu'ils nous
offrent est sans égal. Puis de livre en livre, presque sans le savoir, on découvre
bientôt qu'on a grandi. Du bonheur de la répétition, voilà que l'on s'échappe
soudain vers un autre bonheur : celui d'univers singuliers, forts de leur différence et
riches de leur propre liberté. On est passé de la lecture à la littérature" (JeanPhilippe ARROU-VIGNOD : De la lecture à la littérature).
Nous souhaitons bien évidemment que ce Prix du Premier Roman de
l'Université d'Artois perdure et, en synergie avec les enseignants et les étudiants
volontaires, contribue à cette évolution.
Lise BOIS
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