mémoire de Jean-Louis PRUNIER - Lou Bres

Transcription

mémoire de Jean-Louis PRUNIER - Lou Bres
INSTITUT PROTESTANT DE THÉOLOGIE
Président : Denis SOUBEYRAN
FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE PARIS
Doyen : Raphaël PICON
FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE MONTPELLIER
Doyen : Michel BERTRAND
Mémoire de Master-Recherche 2
présenté par Jean-Louis PRUNIER
UNE PRÉSENCE PROTESTANTE FRANÇAISE EN KABYLIE
(1885 – 1919)
LA MISSION MÉTHODISTE FRANÇAISE À IL MATEN
Jury :
- Jean-François ZORN (Directeur du mémoire)
- Marc BOSS (Assesseur)
L’Institut n’entend ni approuver ni désapprouver les opinions du candidat
1
Jean-Paul Cook (1866 ( ?) – 1938)
Évangéliste du 30 septembre 1904, p. 156.
2
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
p. 6
I - Mission méthodiste
p.11
1- Principe missionnaire de l’Église méthodiste
p. 11
1-1 - Le méthodisme est-il d’essence missionnaire ?
p. 11
1-2 - D’abord s’entendre sur ce que la mission signifie pour les méthodistes
p. 11
1-3 - La vie et l’action de Thomas Coke
p.13
1-4 - La création de la Wesleyan Methodist Missionary Society (WMMS)
p.15
1-5 - Les débuts d’une mission méthodiste en France
p.17
2 - Abrégé de l’histoire du méthodisme français
p.23
2-1 - Vie institutionnelle
p.24
2-1-1- La mission méthodiste en France : 1819 – 1852
p.24
2-1-2 - L’Église méthodiste en France
p. 27
2-1-3 - Églises méthodistes de France
p. 28
2-2 - Vie interne
p.29
2-2-1 - Implantation géographique
p.29
2-2-2 - Organisation territoriale
p.37
2-2-3 - Les partis constitutifs du méthodisme français
p.39
2-3 - Les éléments du méthodisme français en rapport avec la mission d’Il Maten
p.41
2-3-1 - Les organes de communication
p.41
2-3-2 - Les rapports avec le Comité missionnaire de Londres
p.45
2-3-3 - Le désir de mission des méthodistes français
p.51
Conclusion
p.61
II - Mission en Kabylie
1- Le mythe kabyle
1-1- La Kabylie
1-1-1- Géographie
1-1-2- Éléments historiques
1-2- Les Kabyles
1-2-1- Les Kabyles avant 1830
1-2-2- Les conséquences du choc de la colonisation
1-3- Le mythe kabyle
1-3-1- Le regard du colon français sur l’indigène kabyle
1-3-2- Le cardinal Lavigerie
1-3-3- La reprise du mythe par les méthodistes français
2- Les diverses missions chrétiennes en Kabylie
2-1- Les premières tentatives missionnaires en Algérie avant 1870
2-2- Les autres tentatives après 1870
2-2-1- Les missions catholiques en Kabylie
2-2-2- Les missions protestantes étrangères en Kabylie
2-2-3- Les missions protestantes françaises en Kabylie
3- La rencontre de Bougie
p.63
p.63
p.63
p.63
p.63
p.66
p.67
p.68
p.69
p.71
p.74
p.75
p.76
p.77
p.78
p.78
p.79
p.81
p.85
III - La mission méthodiste en Kabylie
1- Genèse
1-1- Les prémices
p.87
p.87
p.87
3
1-1-1- La journée missionnaire de Congénies, le lundi de Pâques 1857
p.87
1-1-2- Le projet missionnaire de 1858 à 1876
p.92
1-2- Les voyages d’exploration
p.94
1-3- Thomas Hocart à Bougie
p.104
Conclusion
p.111
2 – Les premiers pas de la mission méthodiste française à Il Maten
p.112
2-1- Les premiers volontaires
p.112
2-1-1- Thomas Hocart
p.112
2-1-2- Alix Perrier
p.114
2-1-3- Mme LeBrock
p.115
2-1-4- M. Berthault
p.116
2-1-5- Mezian
p.117
elle
2-1-6- M Merrals
p.117
2-1-7- Un deuxième pasteur ? Jean-Paul Cook
p.118
2-2- Les débuts de l’action de la mission
p.120
2-2-1- Le catéchisme
p.120
2-2-2-L’école de semaine
p.120
2-2-3- L’école de couture
p.122
2-2-4- Les soins aux malades
p.122
2-2-5- Les cultes
p.122
2-2-6- Les tournées d’évangélisation dans les villages environnants p.123
2-2-7- Les contacts avec les autres missionnaires évangéliques en Algérie
p.124
2-3- La vie quotidienne à la station missionnaire d’Il Maten
p.125
2-3-1- La mission subit de graves persécutions
p.126
2-3-2- Les premières famines, et l’initiative de l’aide par le travail
p.130
2-4- La vie du couple missionnaire
p.131
2-5- En France : l’Évangéliste et les Rapports missionnaires
p.132
2-6 – Bilan provisoire
p.134
3 – La mission méthodiste en Kabylie, seule mission protestante française en Algérie p.134
3-1 – Le nouveau personnel missionnaire
p.135
3-1-1- Installation de Jean-Paul Cook
p.135
3-1-2- Emma Vulmont
p.136
3-1-3- Jean-Daniel Reboul
p.137
3-1-4- Départ de Thomas Hocart et arrivée de Francis de Saint-Vidal p.137
3-1-5- Mésentente entre Cook et Saint-Vidal (1899-1901)
p.142
elle
3-1-6- M Verdier
p.145
3-1-7- M. Palpant, artisan-missionnaire
p.145
3-2 – Les nouvelles orientations de la mission
p.147
3-2-1- Les premiers pas du nouveau missionnaire
p.147
3-2-2- L’impossible réouverture de l’école de semaine
p.147
3-2-3- Nouvelles persécutions
p.149
3-2-4- Impact de la mission méthodiste sur le protestantisme français
p.151
3-2-5- Les Kabylias
p.151
3-2-6- La loi de séparation des Églises et de l’État
p.153
3-3 – Vie quotidienne à la mission
p.153
3-3-1- Généralités
p.153
3-3-2- Un voyage à bicyclette
p.156
4
3-3-3- La mission s’expose !
p.157
3-3-4- Les premières conversions
p.157
3-4 - La vie des pasteurs et de leurs familles
p.158
3-5 – Les Rapports missionnaires
p.163
3-6 – Bilan : le ministère de Thomas Hocart
p.165
4 – Le ministère d’Émile Brès et l’Évangile du travail
p.168
4-1 – Le personnel missionnaire de la mission d’Il Maten avant la Grande
Guerre
p.168
4-1-1- Jean-Paul Cook, une personnalité complexe
p.168
4-1-2- Émile Brès, le visionnaire
p.172
4-1-3- Hélène de Jersey
p.177
4-1-4- Augusta Buticaz et Cécile Annen
p.177
4-2- La mission change de cap
p.179
4-2-1- Dernières inquiétudes
p.179
4-2-2- L’arrivée d’Émile Rolland et la fondation de la Mission Rolland
p.179
4-2-3- Oberlin, l’école industrielle : christianisme social ?
p.180
4-2-4- Ramadhan et Réveil
p.190
4-2-5- Nouveaux cultes
p.192
4-2-6- La conférence d’Edimbourg et les conférences indigènes des
convertis kabyles
p.193
4-2-7- Le déficit financier
p.194
4-3- La vie quotidienne à Il Maten
p.195
4-4- Et la vie quotidienne des missionnaires ?
p.197
4-5- Relation de la mission avec la métropole
p.198
5 – La Grande Guerre et la fin de la mission méthodiste française en Kabylie
p.199
5-1- Les premiers morts
p.200
5-2- Fonctionnement de la mission pendant la guerre
p.200
5-2-1- La mission d’Il Maten gérée par Émile Brès seul
p.200
5-2-2- Le développement du conflit qui oppose Brès et Cook
p.202
5-3- la fin de la mission méthodiste française à Il Maten
p.204
5-3-1- Le Synode de Bourdeaux et la SMEP
p.204
5-3-2- L’accord avec les métodistes épiscopaliens américains
p.207
5-4- Bilan
p.210
Conclusion générale
Bibliographie
Table des Illustrations
p.214
p.219
« Jean-Paul Cook » (1886 ( ?) – 1938),
Évangéliste du 30 septembre 1904, p. 156.
Courbes statistiques des Membres et des Pasteurs
« Kabyle en voyage »
Évangéliste du 26 octobre 1894, p. 170.
Carte des Kabylies.
Émile Brès, L’Algérie, champ de mission, 1947, p. 14.
« Il Maten : Maison et école missionnaires »,
Évangéliste du 28 octobre 1892 p. 175.
« Le pique-nique » : Debout : Jean-Paul Cook, et à sa gauche : Thomas Hocart,
Évangéliste du 5 novembre1897, p. 179.
5
p. 2
p. 40
p. 73
p.102
p. 121
P.135
INTRODUCTION
Ce mémoire a pour but d’étudier la mission méthodiste française en Kabylie, présente
entre 1885 et 1919. Trois parties bien distinctes le composent, que le lecteur pourra lire,
s’il le désire, séparément, bien qu’il soit nécessaire de lire les deux premières pour accéder
facilement à la troisième, pour peu que l’on ne soit guère au fait de l’histoire de l’Église
méthodiste française. La première partie traite des origines de la vocation missionnaire de
John Wesley et des premiers méthodistes, avant de nous pencher sur ce que nous
appellerons le “désir missionnaire” des méthodistes français. La deuxième partie portera
sur la Kabylie, cette région montagneuse du nord de l’Algérie, et sur les différentes
tentatives missionnaires chrétiennes, tant françaises qu’étrangères, qui se sont attachées à
apporter l’Évangile aux populations kabyles musulmanes. Nous étudierons de plus près le
“mythe kabyle”, qui décrit le regard porté par les colonisateurs sur l’habitant colonisé de la
Kabylie au XIXe siècle. La troisième partie, la plus importante, bien sûr, s’attaque au coeur
même de notre sujet d’étude : la mission méthodiste française en Kabylie. Nous verrons
que pendant 34 ans, trois pasteurs méthodistes francophones se succèdent à la tête de cette
mission, installée dans le village kabyle d’Il Maten, près d’El Kseur, sur les pentes de la
vallée de la Soummam, toute proche du grand port de Bougie.
Thomas Hocart, un britannique issu des Îles Anglo-normandes, fonde la mission en
1885. Il jette les bases de l’organisation d’une station missionnaire classique, avec une
école primaire, un catéchisme, une école de couture pour les femmes. Il fait de longues
tournées d’évangélisation parmi les tribus voisines d’Il Maten. Très vite pourtant Hocart
est confronté aux réalités socio-anthropologiques de la population kabyle : misère et
maladies. À l’apparition des famines récurrentes de la fin du XIXe siècle, le missionnaire
distribue de l’orge aux plus démunis et un peu de travail rémunéré aux plus valides. À
partir de 1896 il est secondé par un deuxième pasteur, Jean-Paul Cook, lui aussi d’origine
britannique mais naturalisé français. Celui-ci reste seul en 1899, lorsque Hocart rentre
effectuer son ministère en métropole. Cook continue l’oeuvre commencée par Hocart, mais
se tourne très vite vers l’aumônerie de la Légion étrangère au Maroc. Et Émile Brès, un
drômois de Dieulefit, le remplace en 1906. Avec l’aide d’un artisan-missionnaire, Brès
6
organise une manufacture locale et vend les produits fabriqués. Son but est de donner au
Kabyles convertis au christianisme un travail leur permettant de s’émanciper de leur
culture musulmane originelle. Il est à Il Maten de 1906 à 1914, très contesté par ses
collègues et les milieux évangéliques en Algérie. Au sortir de la guerre de 1914-1918,
l’état financier de l’Église méthodiste française est tel que la mission est cédée, avec son
personnel, aux méthodistes épiscopaux américains, en 1919.
Trois importantes problématiques méritent d’être mises en exergue, et seront traitées
tout au long du mémoire1.
La première de ces problématiques peut s’énoncer ainsi : pourquoi les méthodistes
français se sont-ils lancés dans l’aventure missionnaire en Algérie, alors qu’ils avaient si
peu de moyens, et que les autres Églises protestantes de France ne l’ont pas fait ? Car enfin
l’extrême précarité de l’Église méthodiste de France, sa faiblesse tant numérique que
financière, n’aurait pas dû l’autoriser à se lancer dans l’organisation et l’entretien d’une
mission extérieure à l’Hexagone. La solution la plus simple pour eux aurait été, par
exemple, de travailler de concert avec une société missionnaire bien structurée telle que la
Société des Missions Évangéliques de Paris, fondée en 1822 et très proche
théologiquement des méthodistes. Mais en définitive aucune grande société missionnaire
protestante française ne s’est engagée en Algérie. La place était donc libre ! D’autre part le
méthodisme est d’essence missionnaire. Wesley avait dit : “Ma paroisse, c’est le monde”,
et il s’est très vite entouré d’authentiques missionnaires, tel Thomas Coke, qui a essaimé le
méthodisme aux USA et aux Antilles, et qui est mort sur le bateau qui l’emportait
évangéliser les Sri-Lankais. Le méthodisme est donc ontologiquement missionnaire, de
part cette injonction biblique : “Allez, de toutes les nations faites de disciples”, et de part
l’urgence chrétienne d’évangéliser les non-chrétiens pour les détourner de la colère divine.
Les méthodistes français ont tenté plusieurs missions en France même, en Bretagne, en
Corse, en Savoie et à Paris. Or l’Algérie est française. Rien ne s’oppose donc à ce que les
méthodistes français viennent en Algérie. Ils y sont d’ailleurs poussés par leurs tuteurs, les
méthodistes britanniques.
La troisième raison réside d’ailleurs dans les relations conflictuelles qu’entretiennent les
méthodistes français et britanniques. En effet ces derniers, bailleurs de fonds, se plaignent
1
Nous avons repris l’énoncé du paragraphe suivant du texte de notre soutenance de ce mémoire, à l’Institut
Universitaire de Théologie de Montpellier, sous la direction du professeur Jean-François ZORN.
7
que leur argent ne soit pas dépensé à bon escient, mais qu’il soit dispersé dans des postes
isolés et sans intérêt sur le plan de l’évangélisation. Ils voudraient que leurs collègues
français se lancent à la conquête des grandes villes, prétendant qu’ils ont perdu l’esprit
missionnaire du méthodisme wesleyen. L’envoi d’un missionnaire en Kabylie peut être
donc compris comme une fuite en avant, une réponse en actes aux autorités britanniques de
tutelle.
Et nous en venons à l’énoncé de la deuxième problématique : Pourquoi les méthodistes
français ont-ils choisi la Kabylie comme terre de mission ? La population kabyle possède
une certaine originalité en Algérie, plus particulièrement, pour notre étude, dans l’Algérie
coloniale. La France de la fin du XIXe siècle était imprégnée de ce qu’on peut appeler le
“Mythe kabyle”. Ce mythe kabyle, entretenu par l’alliance objective de l’État français et de
l’Église catholique romaine incarnée en Algérie par l’évêque d’Alger, le très célèbre
monseigneur Lavigerie, disait en substance que les Kabyles sont les descendants des
chrétiens maghrébins d’avant la conquête arabe, et qu’ils ne possèdent qu’un mince vernis
d’islam qu’il suffit de gratter pour retrouver le christianisme originel. Il existe des Kabyles
blonds aux yeux bleus, et certaines femmes ont une croix tatouée sur le front, ce qui
prouve, d’après le mythe colonial, qu’ils ne sont pas des arabes, mais qu’ils descendent des
Romains, des Vandales et des Byzantins ayant tour à tour envahi la Kabylie. Les Kabyles
sont donc les musulmans les plus proches du christianisme, et donc les plus faciles à
convertir. Les protestants français n’échappent pas à ce mythe kabyle entretenu dans
l’ensemble de la société française. Les méthodistes non plus, bien sûr, qui y voit un défi
supplémentaire : évangéliser des musulmans de France.
La troisième problématique est aussi la plus complexe : pourquoi y a-t-il eu passage, au
sein de la mission, de l’évangélisation frontale à l’évangélisation par le travail ? Nous le
remarquerons, l’évangélisation directe d’un musulman est absolument stérile. Le
musulman kabyle est totalement intégré dans un système social dont la religion est le
ciment, le pivot de la vie quotidienne, familiale et tribale. Convertir un musulman kabyle
revient donc à le mettre au ban de sa société de référence, c’est en faire un apostat, un
apatride. Les seuls musulmans convertis à Il Maten sont des Kabyles en contact direct et
permanent avec le personnel missionnaire. Les deux premières converties sont deux jeunes
soeurs orphelines, rejetée par leur société originelle et ayant trouvé un vrai foyer à la
mission. Par contre on peut dire que le deuxième XIXe siècle a vu les conditions de vie des
Kabyles se dégrader constamment. De misère en famines, de famines en épidémies, les
missionnaires ont reçu à Il Maten des nuées de malades et d’affamés et ont tout fait pour
8
venir en aide à toutes ces souffrances, s’attirant ainsi l’estime de ces populations isolées.
Une des solutions préconisées pour l’entraide a été très vite de salarier les plus valides, en
leur faisant monter des murs de pierres par exemple, pour éviter le recours trop facile à la
simple mendicité. C’est alors qu’Émile Brès, aidé de l’artisan-missionnaire Palpant, a eu
l’idée de créer ex nihilo un village chrétien, un village où les Kabyles convertis seraient
protégés de toute persécution et pourraient apprendre un métier et en vivre. Ce projet de
village utopique n’a pas été du goût de tout le monde : que devient alors la dynamique
d’évangélisation missionnaire ? Or Émile Brès participe d’un mouvement général du
protestantisme international apparaissant à la fin du XIXe siècle. Le protestantisme se
tourne vers l’action sociale et participe de l’apparition de ce qu’on appelle le christianisme
social, une voie chrétienne concurrente du socialisme politique et athée, et théorisée, entre
autre, par le pasteur Tomy Fallot. Pour répondre à la question posée par cette troisième
problématique, disons de manière rapide que la mission méthodiste française en Kabylie,
et son pasteur, n’était pas étrangère aux évolutions du protestantisme français, et participait
à ses débats. Mais le village utopique d’Émile Brès ne sera pas fondé, malgré plusieurs
tentatives pendant l’entre deux guerres et même après la seconde guerre mondiale, ni en
Algérie ni en France.
Lors de l’écriture d’un précédent mémoire, nous posions cette question au professeur
Laurent Gambarotto qui le dirigeait2 : « Comment faire de l’histoire ? » et il nous répondit
: « À partir des sources, rien que des sources ! » Henri-Irénée Marrou, quant à lui,
confirme ce fait : « Nous ne pouvons pas atteindre le passé directement, mais seulement à
travers les traces, intelligibles pour nous, qu’il a laissé derrière lui, dans la mesure où ces
traces ont subsisté, où nous les avons retrouvées et où nous sommes capables de les
interpréter (plus que jamais il faut insister sur le so far as). Nous rencontrons ici la
première et la plus lourde des servitudes techniques qui pèsent sur l’élaboration de
l’histoire3. »
Il nous a été relativement facile, par notre appartenance à une famille possédant
plusieurs pasteurs méthodistes, d’obtenir un certain nombre de documents sur le
2
Jean-Louis PRUNIER, La Constitution de la Conférence méthodiste française, Institut Protestant de
Théologie, Mémoire de maîtrise en Théologie, Montpellier, 2003.
3
Henri-Irénée MARROU, De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1954, p. 64.
9
méthodisme français entre sa création (à l’arrivée de Charles Cook4 en 1819) et sa
dissolution dans l’Église Réformée de France (le premier Synode de l’ERF reconstituée
date de décembre 19385). Pourtant le professeur Marrou a raison : il ne suffit pas de
posséder des documents, il faut encore savoir les interpréter : « Ce n’est pas tout, dit-il,
dans la mesure où les documents existent, il faut encore parvenir à s’en rendre maître ; ici
interviendra la personnalité de l’historien, ses qualités d’esprit, sa formation technique, son
ingéniosité, sa culture6. »
C’est pourquoi, à travers l’analyse historique de ces trois mots : mission - méthodisme Kabylie, nous allons tenter de comprendre ce qui a pu pousser ce groupuscule protestant à
se lancer dans l’aventure missionnaire la plus complexe, dans un milieu particulièrement
difficile, pour un résultat - nous le verrons - peu en rapport avec les efforts consentis. Il
n’en reste pas moins, pour nous, le sentiment que la foi conquérante du Réveil du XIXe
siècle ne peut que servir d’exemple en ce temps de repli des Églises protestantes
historiques. Et nous garderons de nos contacts avec ces pasteurs méthodistes une profonde
sympathie pour leur engagement chrétien et pour leur vie consacrée au service de la
mission, même si nous ne partageons pas toutes leurs options théologiques.
4
Né à Londres le 31 mai 1787, et converti jeune grâce à sa sœur, Charles Cook entre dans le ministère en
1816. Il est envoyé en France (Normandie) en 1819, et part dans le Midi dès l’année suivante. Cook se marie
avec Julie Marzials et fait souche en France. « Nous pouvons dire avec certitude que l’influence de M. Cook
sur le réveil en France a été des plus grande et des plus bénie. Dès à présent (1858) son nom est associé à
ceux des premiers instruments de ce mouvement salutaire, et la postérité ne manquera pas de lui assigner,
dans cette œuvre glorieuse, la place honorable que Dieu lui-même lui a faite » (AcC 1858, p. 9-10). Après la
période missionnaire de la présence méthodiste wesleyenne en France, Charles Cook participe en 1852 à
l’accession de cette mission à un stade d’émancipation par rapport à son autorité anglaise de tutelle qui fait
de cette mission une société-église. Il meurt à Lausanne le dimanche 21 février 1858. On peut lire sa
biographie dans les deux volumes : Jean-Paul COOK, Vie de Charles Cook, 1e partie, Paris, Librairie
Évangélique, 1862, 264 p. et Matthieu LELIÈVRE, Vie de Charles Cook, 2e partie, Paris, Librairie
Évangélique, 1897, 375 p.
5
Pierre LESTRINGANT, Visage du Protestantisme français, Tournon, Les cahiers du Réveil, 1959, p. 156.
6
H. I. MARROU, op. cit. p. 68-69.
10
Première partie
MISSION MÉTHODISTE
1- Principe missionnaire de l’Église méthodiste
1 - 1 - Le méthodisme est-il d’essence missionnaire ?
Lorsque E. G. Léonard décrit l’implantation du protestantisme au Canada7 il dit,
apparemment hors contexte, que « De tous les mouvements protestants, le méthodisme
paraît être celui qu’anime la plus forte volonté missionnaire ». Compte tenu de l’histoire du
méthodisme à l’échelle de la planète, on peut se demander si l’affirmation de Léonard ne
s’adresse qu’au méthodisme canadien ou à l’ensemble de l’action du mouvement issu de
John Wesley8. Car on trouve, en effet, des méthodistes partout dans le monde, et ceci
depuis la fin du XVIIIe siècle et de la première partie du XIXe siècle.
1 - 2 - D’abord s’entendre, donc, sur ce que la mission signifie pour les méthodistes
Avant d’aller plus loin, il nous faut analyser ce que les méthodistes considéraient
comme la mission. Ce concept de mission, d’après Klauspeter Blaser9, « dépend,
historiquement parlant, de plusieurs facteurs ayant produit l’élargissement d’horizon qu’on
sait : les utopies des XVIe et XVIIe siècles, les diverses “découvertes”, les nouveaux
réseaux de communication, le développement de l’idée d’humanité sous l’influence de
l’Aufklärung et du Romantisme, ainsi que de l’expansion européenne croissante ». Il ne
7
Émile-Guillaume LÉONARD, Histoire Générale du Protestantisme, t. 3, Paris, Quadrige / PUF, 1988, p.
462.
8
Il existe une importante collection de biographies du fondateur du méthodisme. Nous n’en proposons
qu’une, qui a le mérite d’être plus moderne que elles qui nous viennent du XIX e siècle : Louis-J.
RATABOUL, John Wesley, un anglican sans frontières : 1703-1791, Nancy, Presses universitaires de
Nancy, 1991, 239 p.
9
Collectif, Encyclopédie du Protestantisme, Paris, Cerf / Genève, Labor et Fides, 1995, p. 979, article
« Mission ».
11
s’agit donc pas, du moins à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, d’implanter
des Églises protestantes dans les pays lointains mais bien, grâce aux nouvelles possibilités
techniques, et grâce aussi à une foi évangélique issue du Réveil, d’aller apporter JésusChrist, et le salut en Jésus-Christ, aux peuple païens qui ne le connaissent pas encore.
John Wesley (17 juin 1703 - 2 mars 1791) est, dans tous les sens du terme, un anglais
du XVIIIe siècle. Sa mission à lui, pasteur dans l’Église anglicane, n’est que de réveiller
son Église assoupie par d’anciennes luttes et par l’air corrompu du temps. Wesley prêche
continuellement l’Évangile aux plus pauvres d’une société déchristianisée, où les
problèmes sociaux ne sont pas pris en compte. Il est donc en butte aux tracasseries de son
Église, la High Church, peu préoccupée des laissés pour compte d’un siècle où les débuts
de l’industrialisation ne se font pas sans mal. Il organise l’encadrement de ses disciples en
classes, qui sont des réunions hebdomadaires de quelques convertis autour d’un animateur,
où chacun expose aux autres l’état de son âme et ses expériences spirituelles dans une
atmosphère fraternelle de prières. Ces classes deviennent les cellules de base d’une
structure très hiérarchisée, que Wesley désire intégrer à l’Église anglicane.
L’Église méthodiste ne sera créée qu’après la mort du fondateur du méthodisme. Mais
Wesley est-il missionnaire dans l’âme ? Lorsqu’il dit : « Le monde est ma paroisse », veutil dire que le monde entier doive devenir méthodiste ? Le seul souci de Wesley est de
convaincre ses auditeurs de leur statut de pécheur, afin de les amener à la repentance, puis
à la conversion (terme qui chez les méthodistes signifie être intimement convaincu d’être
pardonné par Dieu en Jésus-Christ)10. Pourtant, très vite, la question missionnaire se pose à
Wesley. D’abord il reçoit, dès 1733, un appel pour être pasteur dans la nouvelle colonie
américaine de Géorgie. John Wesley et son frère Charles embarquent le 14 octobre 1735,
et touchent le sol américain le 6 février 1736. C’est pendant cette longue et pénible
traversée que Wesley rentre pour la première fois en contact avec les moraves du Comte
Von Zinzendorf qui influence profondément sa théologie. John Wesley partage la vie de la
colonie jusqu’au 2 décembre 1734. Son apostolat est un échec total. Son austérité
doctrinale et son attachement à certains thèmes théologiques et à certaines pratiques
liturgiques, en particulier l’accès à la Sainte Cène, lui valent quelques solides inimitiés, et
10
Pour connaître la théologie de John Wesley, en dehors bien sûr des écrits de Wesley lui-même, on trouve
une bonne analyse dans : Matthieu LELIÈVRE, La théologie de Wesley, Paris, Publications de l’Église
Évangélique Méthodiste, 1924. Dans ce livre de 435 pages, il n’est jamais question d’appel à la mission chez
les païens.
12
il doit quitter la colonie précipitamment11. La mission de John Wesley parmi les Indiens se
solde donc par un échec.
Pourtant,
le 17 janvier 1758, dix-neuf ans seulement après les débuts du méthodisme, Wesley
prêchait à Wandsworth. Il eut parmi ses auditeurs un éminent planteur des Indes
Occidentales, qui y était venu pour refaire sa santé, Nathanaël Gilbert, avocat et
président du Parlement d’Antigoa. Son coeur fut troublé, ainsi que celui de ses deux
esclaves, ses servantes, qui furent baptisées. Wesley vit dans ses conversions les
prémices du monde païen, et écrivit ces mots prophétiques : “La puissance salutaire de
Dieu ne serait-elle pas proclamée à toutes les nations ?” Nathanaël Gilbert retourna
avec ses deux esclaves à Antigoa en 1760. Le méthodisme se répandit au travers de
toutes les colonies anglaises de cet archipel où il fut l’un des facteurs les plus
puissants de l’émancipation des esclaves. De là, il se propagea en Afrique, et l’on peut
dire que l’établissement du méthodisme aux Antilles fut, en somme, le
commencement de tous les plans pour l’évangélisation du continent noir12.
Pendant l’hiver 1786 - 1787, lorsque le Docteur Thomas Coke arrive à Antigoa, il
trouve sur place une société méthodiste qui compte jusqu’à 1569 membres !
1 - 3 - La vie et l’oeuvre de Thomas Coke.
Thomas Coke (1747 - 1814), est le plus éminent disciple de Wesley de la deuxième
génération. Il rencontre John Wesley en août 1776 et devient très vite un de ses plus
précieux collaborateurs. Le Docteur Coke monte en grade rapidement.
D’autre part, d’après Matthieu Lelièvre13, l’origine de l’implantation du méthodisme à
New-York date de 1766, grâce à quelques émigrants d’origine irlandaise convertis par la
prédication de Wesley ou de l’un de ses prédicateurs. Par l’action de quelques personnes
telles que Barbara Heck et Philippe Emburry, la nouvelle société méthodiste progresse
rapidement, aidée par un prédicateur de talent, le capitaine Webb. La première chapelle est
11
Matthieu LELIÈVRE, John Wesley, Sa vie, son oeuvre, Paris, Librairie Évangélique, 1891, p. 56 à 69.
12
Louis PARKER, Portraits méthodistes de Pasteurs et de Laïques éminents depuis John Wesley, Codognan,
chez l’auteur, sans date, p. 11-12.
13
Matthieu LELIÈVRE, Les prédicateurs pionniers de l’Ouest américain, Paris, Bonhomme et Cie, 1876, p.
46 à 59.
13
construite en 1770, et les besoins de la petite communauté américaine, qui n’a pas de
pasteur consacré, deviennent plus pressants. Ils en appellent à John Wesley. Celui-ci, à la
Conférence britannique de 1769, pose la question à ses prédicateurs : « Qui d’entre vous
veut aller en Amérique? » Bordman et Pilmoor sont les premiers à partir, suivis l’année
d’après par deux autres prédicateurs dont le fameux Francis Asbury. Or depuis le 5 avril
1764 (date du Sugar Act) les colonies américaines sont en révolte économique et juridique
contre le Royaume-Uni. À partir de 1775 - 1776, cette révolte dégénère en une guerre
ouverte qui aboutit à la capitulation de Yorktown (le 19 octobre 1781) et à la signature du
Traité de Paris, le 3 septembre 1783, qui reconnaît officiellement l’indépendance des
nouveaux États-Unis d’Amérique.
La position du nouveau gouvernement des USA en matière religieuse est sans
ambiguïté : il n’intervient pas dans le fonctionnement des Églises dont aucune n’est
reconnue comme nationale. Obligés de trouver par eux-mêmes les moyens de subsister, les
prêtres de l’Église anglicane préfèrent, dans leur grande majorité, rentrer en GrandeBretagne, laissant place nette à l’expansion du méthodisme. Le problème de la direction
de la nouvelle Église méthodiste aux États-Unis se pose immédiatement. Il faut un évêque!
Wesley s’empresse de demander à l’évêque anglican de Londres l’ordination d’un
prédicateur méthodiste, chargé de superviser l’évolution des sociétés méthodistes aux
États-Unis, mais cela lui est refusé. Wesley est donc obligé d’aller contre ses propres
principes et ordonne lui-même le Docteur Coke en lui imposant solennellement les mains,
et lui confère le titre de superintendant le 2 septembre 1784 (Wesley évite soigneusement
de donner à Coke le titre d’évêque). Coke part pour les États-Unis et y fonde l’Église
Méthodiste Américaine lors d’une Conférence des prédicateurs réunie à Baltimore. « Selon
le désir de Wesley, il s’associa pour la direction de l’Église, Francis Asbury, qui allait
devenir, sous le nom d’évêque Asbury, le véritable chef du méthodisme américain14 ».. En
fait Coke consacre officiellement l’évêque Asbury le 27 décembre 1784. L’Église
méthodiste américaine étant ainsi constituée et organisée peut suivre et accompagner la
conquête de l’Ouest, et devenir l’Église la plus importante, derrière l’Église baptiste, des
États-Unis contemporains.
Thomas Coke rentre en Grande-Bretagne en juin 1785 et « pendant 27 ans, il est
l’incarnation des missions wesleyennes, avant la fondation de la Société des Missions
14
Ibid, p. 54-55.
14
proprement dite15 ». Il revient aux États-Unis au moins huit fois, mais fait aussi des
voyages missionnaires aux Antilles, en Irlande, à Gibraltar (en 1803), en Sierra Leone, au
Cap (Afrique du Sud), au Canada et en Écosse. Après la mort de Wesley, le Docteur Coke
est nommé secrétaire de la Conférence britannique. Il en est aussi deux fois le président, en
1797 et en 1805, et par deux fois il demande à la Conférence d’être reçu par elle en tant
qu’évêque, ce qui ne lui est pas accordé. Par contre il garde le titre de superintendant pour
les missions. En 1813 Coke forme le projet d’aller évangéliser les habitants de l’île de
Ceylan, l’actuelle Sri Lanka. Il part le 30 décembre 1813, et meurt sur son bateau le 3 mai
1814. Nous ne quittons pas la compagnie du Docteur Coke pour autant, car nous le
trouvons d’une part dans le cadre de la création de la Société Missionnaire Méthodiste
Wesleyenne, et d’autre part en suivant son action dans les débuts de la mission méthodiste
en France.
1 - 4 - La création de la Wesleyan Methodist Missionary Society (WMMS)16
Thomas Coke est un homme très actif et sa superintendance sur les missions
méthodistes n’a pas rendu nécessaire, jusqu’à son départ pour Ceylan, la fondation d’une
organisation spécifiquement missionnaire au sein du méthodisme naissant. Deux
événements sont donc à l’origine de la création de la Société Missionnaire Méthodiste
Wesleyenne.
Lorsque Thomas Coke monte pour la dernière fois sur le bateau, il a 67 ans environ, et
sait très bien qu’il peut ne pas revenir de son périlleux voyage. Avant de partir, il a donc
« proposé la formation de sociétés missionnaires dans toutes les églises ... en vue
d’obtenir des souscriptions annuelles pour les missions méthodistes du monde entier 17 ».
Mais il est nécessaire de créer un organisme capable à la fois de recevoir ces fonds et aussi
de les répartir au mieux. C’est ainsi que « le 6 octobre 1813 est considéré comme la date
officielle de la fondation de la Société des Missions Wesleyenne. Ce jour-là eut lieu à
Leeds la première réunion publique en vue de l’organisation de cette société présidée par
15
L. PARKER, op. cit. p. 13.
16
Il n’existe pas d’histoire récente de cette Société missionnaire. Le dernier travail est de G. G. FINDLEYW. W. HOLDSWORTH, The History of the Wesleyan Methodist Missionary Society, in five volumes,
London, The Epworth Press, 1921.
17
L. PARKER, op. cit. p. 15.
15
un membre du parlement, Thomas Thompson. L’éminent théologien Richard Watson18
prêcha avec une grande puissance sur ce texte : “Esprit, vient des quatre vents, et souffle
sur ces tués et qu’ils revivent .19 »
L’autre événement est directement lié à l’action du missionnaire baptiste William Carey
(1761 - 1834), bien connu comme précurseur des missions protestantes modernes. Avec
William Ward (1764 - 1823) et Joshua Marshman (1768 - 1837), il forme le fameux Trio
de Serampore qui, pendant 23 ans, de 1800 à 1823, traduit la Bible, prêche l’Évangile dans
les villages, et scolarise les enfants pauvres en les enseignant dans leur langue. Le trio
participe aussi au développement économique à long terme d’une région pauvre de l’Inde.
Cependant, avant de partir en Inde, lors d’une assemblée générale des pasteurs baptistes
réunie à Nottingham en mai 1792, Carey insiste auprès de ses confrères pour que soit créée
une structure capable de venir en aide aux missionnaires envoyés dans les pays lointains.
« Sur son insistance, il fut convenu qu’un comité missionnaire serait formé. La séance
constitutive de la Société Missionnaire Baptiste (Baptist Missionary Society, B.M.S.) se
tint le 2 octobre 179220. » Or cette société est la première du genre, et son exemple est
suivi rapidement d’une série de créations de sociétés missionnaires dont nous présentons la
liste proposée par Jacques Blandenier21 :
1792 : Baptist Missionary Society
1795 : London Missionary Society
1797 : Het Nederlandsche Zendeling-Genootschap (Société Néerlandaise des Missions
parmi les Païens)
1799 : Church Missionary Society for Africa and the East
1810 : American Board of Commissioners for Foreign Missions (Comité Américain
des Missions étrangères)
1813 : Wesleyan Methodist Missionary Society
18
Ibid. p. 23 à 26. Richard Watson, mort en 1831, est l’auteur d’un ouvrage important sur la théologie
méthodiste, les Instituts théologiques, qui servirent à la formation des pasteurs méthodistes de la première
moitié du XIXe siècle).
19
Ibid. p. 16.
20
Jacques BLANDENIER, L’essor des Missions protestantes, Nogent-sur-Marne / Saint-Ligier(Ch), Éditions
de l’Institut biblique de Nogent / Éditions Emmaüs, 2003, p. 54.
21
Ibid. p. 13 : nous préférons cette liste plutôt que celle de E. G. Léonard, t. 3, p. 492, car celle-ci contient
quelques erreurs de datation.
16
1814 : American Baptist Missionary Union (appelée plus tard : American Baptist
Foreign Mission Society)
1815 : Société des Missions de Bâle (Basler Mission)
1821 : Société Danoise des Missions
1822 : Société des Missions Évangéliques de Paris
1824 : Société des Missions de Berlin
1825 : Mission Presbytérienne d’Écosse
1826 : Société des Missions Évangéliques de Lausanne (devenue par la suite : Mission
Romande, puis Mission Suisse dans l’Afrique du Sud)
1833 : Société Suédoise des Missions
1835 : Mission Évangélique luthérienne de Leipzig
1836 : Mission d’Allemagne du Nord (succédant à la Mission “Hallo-Danoise” issue
du mouvement piétiste de Halle).
La fondation de la Société Missionnaire Méthodiste Wesleyenne (WMMS : Wesleyan
Methodist Missionary Society) n’est donc pas originale : elle participe de l’air du temps et
de l’effort missionnaire protestant qui commence à produire son effet22. Mais, pour notre
propos, cette Société Missionnaire Méthodiste Wesleyenne revêt une immense importance,
car c’est avec son Comité directeur que la mission méthodiste en France puis l’Église
Méthodiste de France ont constamment affaire de 1819 à 1939, tout le temps de la
présence du méthodisme en France.
1 - 5 - Les débuts d’une mission méthodiste en France.
En effet les méthodistes britanniques tournent très tôt les yeux vers le grand voisin
continental. Il faut dire que la France, à la jonction entre les deux siècles, connaît des
moments difficiles. L’implantation méthodiste en France n’est pas continue, mais dépend
des événements historiques. Elle se répartit selon trois grandes périodes : la période
révolutionnaire, le premier Empire et la Restauration.
La Révolution française provoque beaucoup d’émois en Grande-Bretagne. Les
22
Sur cette Société des Missions Méthodiste Wesleyenne, il convient d’ajouter combien il nous a été difficile
de trouver des documents pour son étude. Jean-François Zorn, (dans Le grand siècle d’une Mission
protestante. La Mission de Paris de 1822 à 1914, Paris, Karthala/Les Bergers et les Mages, 1993, p. 28) et E.
G. Léonard, (op. cit t. 3, p. 492, n. 2) sont les seuls à citer l’ouvrage de G. G. FINDLAY-W. W.
HOLDSWORTH, Op. Cit.
17
méthodistes britanniques y suivent avec un immense intérêt les attaques contre l’institution
catholique, puis la déchristianisation croissante de la population. Pour eux la France est
redevenue terre de mission. Pourtant il n’est pas aisé pour un Britannique de venir en
France : les relations entre la France et le Royaume-Uni sont loin d’être sereines, et la
différence des langues met un obstacle à la communication. L’envoi d’un missionnaire
britannique en France n’est donc pas évident.
Heureusement, les méthodistes anglais ont à leur disposition une base arrière fort
pratique, les Îles Anglo-Normandes. L’importance de ces îles dans l’histoire du
méthodisme en France est considérable23, de par le fait de leur proximité avec le continent
et de la langue française parlée par les habitants de ces îles britanniques. C’est à cause de
la langue que le méthodisme n’arrive dans les Îles Anglo-Normandes qu’après avoir atteint
les colonies américaines. Comme tout commencement, les débuts de l’implantation
méthodiste à Jersey et Guernesey relèvent du mythe. Au XVIIIe siècle, les armateurs de
Jersey envoient des bateaux pêcher sur le banc poissonneux de Terre-Neuve. Or dans cette
île un prédicateur anglican-méthodiste prêche le salut en Jésus-Christ aux marins. Parmi
ceux-ci, deux jersiais, Pierre Le Sueur24 et Jean Tentin25, sont convertis au méthodisme.
Dès 1775 ils commencent à évangéliser leur île. Bientôt seul, et malgré une forte
opposition, Pierre Le Sueur réussit à établir une petite société à Jersey. À partir de 1783, à
l’occasion de l’arrivée à Jersey d’un régiment de soldats britanniques déjà convertis au
méthodisme, le mouvement s’accélère. Comme ils ne comprennent pas le français, les
soldats font appel à John Wesley qui leur envoie Robert-Carr Brackenburry (1752-1819).
Celui-ci reste sept ans dans les îles, aidé du jeune Alexander Kilham (auteur du premier
schisme que connaîtra plus tard le méthodisme britannique). L’île de Jersey est ajoutée à la
liste des stations lors de la Conférence de Leeds en juillet 1784. Brackenburry prêche aussi
23
Deux livres au moins sont consacrés, en français, à l’histoire du méthodisme dans les Îles de la Manche :
François GUITON, Histoire du Méthodisme Wesleyen dans les Îles de la Manche, Londres, John Mason,
1846 ; et Matthieu LELIÈVRE, Histoire du Méthodisme dans les Îles de la Manche, précédée de l’histoire de
la Réformation huguenote dans cet Archipel, Paris/Londres, Librairie Évangélique / Theophilus Woolmer,
1885).
24
Propriétaire d’un établissement à Terre-Neuve pour la pêche et le conditionnement de la morue, ce jersiais
est converti vers 1768 par le missionnaire évangélique Laurence Coughlan. Il se marie vers 1772 après être
rentré à Jersey, et avec Jean Tentin, ils travaillent à l’évangélisation de l’île malgré une opposition naissante.
Son fils Jean continuera l’oeuvre missionnaire en France, au tout début de l’implantation missionnaire
wesleyenne en Normandie (M. LELIÈVRE, Histoire du Méthodisme dans les Iles de la Manche, p. 157 à
167).
25
Jean Tentin est converti en même temps que Jean Le Sueur à Terre-Neuve. Il rejoint ce dernier à Jersey et
participe avec le couple Le Sueur à un réveil à Jersey vers 1775. Il meurt à Londres un peu plus tard (M.
LELIÈVRE, Histoire du Méthodisme dans les Iles de la Manche, p. 160 à 166).
18
à Guernesey, en particulier dans certaines propriétés appartenant à de riches familles ; c’est
ainsi qu’il fait la connaissance de la famille De Jersey, du Mon-Plaisir, qui donnera
plusieurs pasteurs au méthodisme français. Parmi les nouveaux convertis, il faut citer le
nom de Jean de Queteville (22 mai 1761 - 1 février 1843), car ce pasteur joue un rôle
important dans les premiers contacts des méthodistes avec la France26. Mais Brackenburry
ne prêche qu’en anglais. Or Guernesey, nouvelle conquête du Réveil, a besoin d’un
prédicateur francophone. Brackenbury s’en ouvre à Thomas Coke qui revient tout juste
d’Amérique. Coke rend visite à Brackenbury et ils décident ensemble de placer Jean de
Queteville (de Jersey) à Guernesey.
Pourquoi cette visite de Coke dans les Îles Anglo-Normandes ? Son biographe, John
Etheridge (Life of Dr Coke) cité par Matthieu Lelièvre27, répond à cette question : c’est, ditil, « parce que, en y réfléchissant, il comprit que c’était là qu’était la clé essentielle d’une
oeuvre missionnaire en France ». De retour en Angleterre Coke parle de ses projets
missionnaires à Wesley. Celui-ci lui écrit une lettre dans laquelle nous pouvons discerner
le texte qui fonde le principe missionnaire méthodiste. Ce texte date du 12 mars 1786, et
est cité aussi bien par Matthieu Lelièvre28 que par François Guiton29 :
Au Docteur Coke
Cher Monsieur,
J’approuve beaucoup la proposition que vous me faites de faire une souscription
pour envoyer des missionnaires en Écosse, aux Îles de Guernesey et de Jersey, aux
Antilles, à Québec, la Nouvelle Écosse, et Terre-Neuve. Il est difficile de concevoir le
besoin pressant dans lequel tous ces lieux sont d’avoir des hommes auxquels la vie
n’est que secondaire, pourvu qu’ils rendent témoignage à l’Évangile, de la grâce de
Dieu.
Je suis, cher Monsieur,
Votre affectionné frère
John Wesley
26
Sa biographie (très hagiographique) a été écrite par son neveu : Henri de JERSEY, Vie de Jean de
Queteville, avec de nombreux extraits de sa correspondance et un abrégé de la vie de Madame de Queteville,
Londres, J. Mason, 1847.
27
M. LELIÈVRE, Histoire du Méthodisme dans les Îles de la Manche, p. 211.
28
Ibid. p. 211.
29
F. GUITON, op. cit. p. 53.
19
Nous pouvons donc conclure - provisoirement - que le vrai fondateur de la mission
méthodiste est Thomas Coke, exclusivement, dans ce sens que si John Wesley a certes
accepté de suivre Coke dans sa démarche, il n’en est toutefois pas l’initiateur. Sans
Thomas Coke, le méthodisme serait peut-être resté une petite secte de Réveil au sein de
l’Église anglicane, qui aurait sûrement disparu à la mort de son fondateur ou peu de temps
après. Il est difficile de ne pas voir, en Thomas Coke, un Paul de Tarse qui, partant à la
conquête du monde romain, a sorti la petite secte juive (du nom de christianisme) du
judaïsme en lui donnant une ampleur universelle !
L’année même de la mort de John Wesley (1791) la France est abordée pour la
première fois par la prédication méthodiste. À cette occasion nous avons, là aussi, un
mythe fondateur que tous les ouvrages méthodistes francophones racontent à l’envie :
Voici comment la chose arriva : en 1791, M. Jean Angel, de Guernesey, se trouvait à
Courseuil30, petit port de pêche, distant de quatre lieues de Caen, en Normandie, assista
un dimanche au culte des protestants de cette localité. En l’absence du pasteur, dont la
résidence était à Caen31, l’un des anciens lut les prières et un sermon imprimé. M. Angel
se rendit aussi à l’assemblée de l’après-midi, qui était exclusivement composée de
femmes. On l’invita à faire une lecture, ce qu’il refusa d’abord, alléguant le peu
d’habitude qu’il avait de la langue ; mais sollicité de nouveau de le faire il finit par y
consentir. Le passage qu’il lit était l’entretien de notre Seigneur avec la Samaritaine. La
lecture achevée, il fit le récit de sa propre conversion à Dieu, et entra dans quelques
détails de son expérience chrétienne ; alors une femme se leva et dit : “Pendant quarante
ans j’ai été persécutée pour ma religion, mais ce n’est que d’aujourd’hui que je connais
la nature de la vraie religion !” M. Angel, voyant leur état de dénuement spirituel, leur
demanda s’ils recevraient volontiers un prédicateur qui viendrait résider parmi eux : ils
acceptèrent cette proposition avec joie et attendirent avec empressement l’arrivée du
guide spirituel qui leur était promis. M. Angel avait l’intention, dès son retour à
Guernesey, de prier M. de Queteville de faire une visite à Courseuil ; mais comme il
30
Courseuil : ancienne orthographe de l’actuelle Courseulles-sur-mer.
31
En 1789, les protestants de Normandie étaient regroupés en deux pôles : Caen et sa région (Beuville,
Périers, Courseuil et tous les petits villages de la côte) et le Bocage (Condé sur Noireau, Athis, Sainte
Honorine et Fresnes). Chaque poste avait son pasteur : à Caen, Jean-Antoine Fontbonne-Duvernet ; à Condé,
Aimé-Gédéon Gourgeon. Le Consistoire de Caen décida au début de la Révolution que son pasteur ne
desservirait plus que la ville de Caen, laissant la côte normande laissée à elle-même.
20
était alors en Angleterre, il s’adressa à M. Guillaume Mahy, jeune prédicateur local, qui
fit cette visite. Quelques semaines après, M. de Queteville fut l’y joindre et passa un
mois avec lui, prêchant tant à Courseuil que dans plusieurs autres endroits. Tel fut le
commencement d’une oeuvre qui a été bénie d’en haut pour la conversion d’un grand
nombre d’âmes32.
William Mahy33 exerce donc son ministère au sein du protestantisme normand déserté
par ses pasteurs. Sa mission s’étend de la côte normande aux confins de l’Orne, et il
traverse la tourmente révolutionnaire sans gros problème, aidé ponctuellement d’abord par
quelques visites de Jean de Queteville, puis, à partir de 1802, par Pierre du Pontavice 34. La
Conférence britannique de juillet 1791 fait inscrire pour la première fois sur la liste des
stations missionnaires : « France : William Mahy ». En septembre de la même année, le
superintendant des missions, Thomas Coke, part avec Jean de Queteville, qu’il vient
d’ordonner pasteur, faire un voyage d’exploration missionnaire à Paris. Coke consacre
Mahy à cette occasion, mais son voyage et sa tentative d’installation dans le Paris
révolutionnaire de 1791 se solde par un échec rapide et total. Après le départ de Mahy et la
32
H. de JERSEY, op. cit., où Henri de Jersey cite « le volume 11 du Magasin Méthodiste, publié à
Guernesey, et le volume 1 du Magasin Wesleyen publié à Paris ».
33
Les Minutes de la Conférence de 1791 stipulent que William Mahy et Henry Mahy sont reçus sous
épreuves (ce sont deux cousins natifs de Guernesey). Henry est placé à Aurigny : c’est un jeune orfèvre qui
quitte sa boutique pour prêcher, et ceci pendant 26 ans. Il meurt vers 1820. William est envoyé en France
après l’appel de Jean Angel de retour de Courseulles-sur-Mer. Dès son arrivée, pendant l’été 1791, il prêche
dans les villages autour de Caen, bientôt secondé par de Queteville. Puis il reste seul. Les protestants locaux
l’aiment bien, et ceux de Cresserons lui offrent un cheval et 400 francs par an pour son entretien. Il se marie
avec mademoiselle Houel et se fait naturaliser français. Mahy évangélise plusieurs villages du Bocage, dont
Fresnes (Orne) où il convertit des membres de plusieurs familles : Pelluet, De la Fontenelle, Prunier. Vers
1807, il sombre dans une profonde mélancolie qui affecte sa raison. Ses amis, en particulier le nouveau
pasteur de Caen, Sabonadière, arrivent à le faire rapatrier malgré la guerre, en 1810. Il meurt le 1er décembre
1813 dans une maison de santé près de Manchester. Bibliographie : Matthieu LELIÈVRE, Pierre du
Pontavice, Gentilhomme breton, Missionnaire méthodiste et Pasteur réformé, 1770 – 1810, Paris, Librairie
Évangélique, 1904 (Toute l’introduction de ce livre, p.12 à 38, est intitulée : Commencements du méthodisme
en France, 1791- 1809).
34
Pierre du Pontavice (21 mai 1770 - 1 décembre 1810). Issu de la noblesse catholique bretonne, Pierre du
Pontavice fuit la France révolutionnaire pour Jersey en 1789. Il y rencontre William Bramwell (1759 – 1818 :
on trouve sa biographie dans Jean de QUETEVILLE, Abrégé de la vie de Monsieur G. Bramwel, Guernesey,
Brouard, 1834, 212 p.) qui le convertit au méthodisme. Il devient le compagnon de Thomas Coke pendant de
nombreux voyages missionnaires entre 1796 et 1899. En 1800 il est placé à Guernesey, puis à Jersey, où il
rencontre Armand de Kerpezdron. De 1803 à 1806 il accompagne William Mahy dans ses tournées dans le
Bocage. Il reçoit un appel du Consistoire de Bolbec, auquel il répond. Il travaille ainsi, de 1806 à 1810 avec
les pasteurs Alègre, Sabonadière, Mordant (à Rouen) et surtout Cadoret, avant de rentrer à Beuville pour y
mourir, la même année que celle du retour de Mahy en Angleterre. Sa biographie a été écrite par M.
LELIÈVRE, Pierre du Pontavice.
21
mort de du Pontavice, en 1810, il n’y a plus aucune présence méthodiste en France
jusqu’en 1814.
Pendant toute la période napoléonienne, William Mahy est donc bien seul en
Normandie. Les méthodistes britanniques auraient-ils désespéré d’une possible mission en
France ? Il semble que non, et cela se manifeste en un lieu difficile à prévoir, dans les
fameux Pontons de la Medway. Au cours des guerres contre la France, les Britanniques ont
fait beaucoup de prisonniers français, en particulier des marins capturés par leur flotte,
qu’ils emprisonnent dans les pontons, ou navires-prisons.
C’est dans ce cadre que nous faisons connaissance avec le quatrième grand témoin de
la mission méthodiste en France après Thomas Coke, William Mahy et Jean de Quetteville,
un britannique du nom de William Toase35. Celui-ci connaît un peu le français pour l’avoir
appris lorsqu’il était pasteur à Guernesey entre 1807 et 1808. Il commence des visites sur
un de ces bateaux, le Glory, le 6 mars 1810. À partir de juin 1811, Toase peut même
prêcher aux prisonniers grâce à l’intervention de Coke auprès de l’administration
britannique. Coke lui envoie deux aides : Pierre Le Sueur et Armand de Kerpezdron 36. Ce
travail, difficile et peu profitable, dure jusqu’à la libération des prisonniers au printemps
1814. Ainsi démobilisés, William Toase trouve un poste en Grande-Bretagne et de
Kerpezdron part pour Jersey avec Le Sueur, en disponibilité. La Conférence britannique de
1815 nomme William Toase comme président du district des Îles de la Manche ... et de la
France !37 (Jean de Quetteville prend sa retraite en 1816). Sous la présidence de William
Toase, qui fait lui-même plusieurs tournées en France, quelques prédicateurs et pasteurs
méthodistes insulaires traversent la mer et viennent soutenir les rares stations implantées
en Normandie : Beuville, Periers, Cherbourg. S’y succèdent ainsi Armand de Kerpezdron,
35
Sa vie nous est connue grâce à William ARTHUR, Memorials of the Rv. William Toase : consisting
principally of extracts from his journals and correspondance, illustrative of the rise and progress of
Methodism in France and the Channel Islands, London, Wesleyan Conference Office, 1874, 224 p.
36
Armand de Kerpezdron (27 janvier 1772 - 2 octobre 1854) est, comme du Pontavice, issu d’une noble
famille bretonne très catholique. Il émigre à la Révolution et pratique une vie d’errance en Europe. À Jersey
en 1794, il rencontre du Pontavice qui devient son ami. Il se convertit en 1805 et part avec William Toase
évangéliser les soldats français prisonniers sur les pontons, de 1811 à 1814. Après les Cent Jours il est
envoyé à Bruxelles, puis il s’installe à Mer en 1818. Il devient alors pasteur de l’Église Réformée et Mer
cesse d’être une station méthodiste en 1829. Biographie : Matthieu LELIÈVRE, Armand de Kerpezdron,
Gentilhomme breton, Missionnaire Méthodiste parmi les prisonniers français sur les pontons anglais,
premier pasteur de l’Église Réformée de Mer (Loir-et-Cher), 1772 - 1854, Paris, Librairie Fischbacher, 1913.
37
M. LELIÈVRE, Histoire du Méthodisme dans les Îles de la Manche, p. 451.
22
Amice Ollivier38, Jean de Queteville et Josué Coutanche39. Mais, bien sûr, pour qu’une
vraie mission s’établisse en France, il faut y envoyer un pasteur à poste fixe, et non plus se
contenter de quelques visites pastorales épisodiques. La Conférence de 1818, qui se tient à
Leeds, reçoit la demande de William Toase de fonder en France une ou plusieurs stations.
James Wood lui propose un jeune homme en qui il a confiance : Charles Cook. Celui-ci est
le pasteur missionnaire à l’origine de l’implantation méthodiste wesleyenne en France.
2- Abrégé de l’histoire du méthodisme en France
Pendant les cent trente années qui couvrent le XIXe siècle et la première moitié du XXe
siècle, le méthodisme en France (dont l’histoire reste à écrire) tente de survivre et de
s’implanter durablement - sans succès - dans un climat politique et religieux qui ne lui est
pas favorable. Il est donc très tributaire des soubresauts à la fois de l’histoire du
protestantisme en France, de l’histoire de France, mais aussi de l’histoire des relations
entre la France et la Grande-Bretagne, et entre la France et l’Allemagne, entre autres. Nous
réservons ce travail historique pour l’inscrire dans un autre cadre, et nous nous contentons
d’éclairer, sous différents angles, certains traits saillants et spécifiques de la présence
méthodiste sur le sol de France. Nous pratiquons donc ainsi (pour ce chapitre seulement)
une transversalité événementielle plutôt qu’une verticalité chronologique. Cela nous
permettra d’affiner encore le désir de mission dont nous avons précédemment parlé. Et
aussi de sonder le terreau dans lequel la mission méthodiste française en Kabylie a pu
planter ses racines, germer, et se développer.
2 - 1 - Vie institutionnelle
2 - 1 - 1 - La mission méthodiste en France : 1819 - 1852
Nous l’avons vu, l’arrivée de Charles Cook en France est le fruit d’une décision
38
Amice Ollivier est né à Aurigny en 1779 et est appelé au ministère en 1802. Il parcourt les Îles de 1802 à
1811, puis part évangéliser les prisonniers français à Plymouth. En 1815 il est à Cherbourg où il fonde une
société qui sera le socle sur lequel sera fondé la future paroisse réformée de Cherbourg. Il y reste jusqu’en
1821, puis rentre à Jersey pour y mourir le 30 janvier 1860. On trouve quelques éléments de sa biographie
dans M. LELIÈVRE, Histoire du Méthodisme dans les Îles de la Manche, p. 469 à 473.
39
Nous connaissons très peu de choses sur Josué Coutanche, qui fut reçu comme pasteur méthodiste en 1818
et se retira du ministère l’année d’après.
23
conjointe du Comité directeur de la WMMS qui finance, et de la Conférence britannique
qui décide. La France est une terre de mission, et Charles Cook est un pasteur
missionnaire40. Restons un peu en compagnie de cet homme, dont l’action couvre toute
cette première période, et qui est le vrai fondateur du méthodisme français.
Il nous faut avant tout partir d’une constatation : le protestantisme français en 1819 sort
tout juste de cent ans de révocation de l’Édit de Nantes, suivis de dix années de
bouillonnement révolutionnaire caractérisées, entre autre, par un refus militant de toute
forme de christianisme. Pour clore ces années difficiles, l’épisode de la Terreur blanche
(1815) provoque une dernière flambée d’exactions contre les protestants du Midi
languedocien41. Au Royaume-Uni, au XVIIIe siècle, John Wesley avait montré le chemin
du réveil de la vieille Église anglicane. La Conférence méthodiste britannique envoie donc
Charles Cook en France dans le même esprit : réveiller le protestantisme français assoupi,
pour ne pas dire éteint, comme le pensaient certains milieux catholiques42.
Cook débarque donc en Normandie, le 24 octobre 1818. Il se lie d’amitié avec le
pasteur de Caen, André Martin-Rollin43. Il ne reste qu’un an en Normandie, où il se plaint
déjà de son manque d’indépendance par rapport à l’Église réformée concordataire. Cook
fait, dès 1819, une longue tournée dans le sud de la France, jusqu’à Montauban. De
passage à Nîmes, il rencontre le pasteur prélibéral Samuel Vincent44, mais leurs théologies
divergent et ils ne s’entendent guère. Charles Cook s’installe en Vaunage, à Caveyrac,
probablement à la fin de 1821, comme suffragant du vieux pasteur réformé Louis Valentin.
Son activité est alors débordante, en faveur du réveil du protestantisme français, d’après
lui, ou plutôt en faveur de la création d’une Église dissidente, d’après ses détracteurs. En
effet, dès 1823, une première opposition sérieuse se manifeste, sous la plume de Samuel
40
Pour toute cette période, nous conseillons la lecture de : Pierre SOGNO, Les débuts du Méthodisme
Wesleyen en France, 1791-1825, Thèse pour le Doctorat du 3ème cycle, Paris, Sorbonne, 1970, et de JeanLouis PRUNIER, op. cit.
41
Sur la Terreur blanche, lire André CHAMSON, Les Taillons ou la Terreur Blanche, Paris, Plon, 1974, 476
p.
42
Nous conseillons à ce sujet la passionnante lecture de la thèse de Michèle SAQUIN, Entre Bossuet et
Maurras. L’antiprotestantisme en France de 1814 à 1870, Paris, École des Chartes, 1998.
43
Martin-Rollin (André Martin, dit Rollin) est né autours de 1786. Il exerce son ministère d’abord en
Languedoc, à Anduze, Lussan, puis Orange. Il est à Caen dès 1816 (Voir Daniel ROBERT, Les Églises
réformées en France (1800 - 1830), Paris, P.U.F., 1961, p. 563).
44
Samuel Vincent (1787-1837) est un des pasteurs les plus remarquables du début du XIX e siècle. Il est bien
connu grâce aux travaux Roger Grossi auxquels nous renvoyons le lecteur : Roger GROSSI, Samuel Vincent,
Témoin de l’Evangile, Nîmes, SHPNG, 1994, 299 p., et : Roger GROSSI, Le pasteur Samuel Vincent à
l’aurore de la modernité, Nîmes, SHPNG, 2004, 357 p.
24
Vincent qui, dans ses Mélanges de religion, de morale et de critique sacrée45 accuse
Charles Cook de vouloir implanter en France une Église concurrente de l’Église
concordataire. Il voyage beaucoup, en Suisse, dans la Drôme, et en Languedoc. Cook se
marie avec Julie Marzials, la fille du pasteur réformée de tendance évangélique de
Montauban, en 182646. Après un voyage en Palestine (1823-1824) et malgré un travail
acharné en Vaunage, secondé pour cela par le très discret pasteur insulaire Henri de
Jersey47, Charles Cook n’obtient que de maigres résultats. La mission méthodiste végète
jusqu’en 1833, avec à peine une centaine de membres48.
À cette phase d’implantation suit, dès 1834, une période de réelle expansion. Elle est
due à l‘arrivée massive de pasteurs insulaires francophones, comme Matthieu Gallienne 49,
mais aussi de prédicateurs charismatiques autochtones tels Jean Lelièvre50 ou Jean-Louis
Rostan51. Du coup les oppositions deviennent plus fréquentes et prennent parfois un
caractère violent comme à Vauvert en 1835. Samuel Vincent meurt en 1837 et, dès le 28
août 1838 - mais est-ce vraiment une coïncidence ? - Cook consacre officiellement quatre
pasteurs méthodistes à Nîmes. La mission méthodiste s’implante dans la Drôme dès 1837,
et à Lausanne et en Suisse en 1840. Charles Cook se trouve à Lausanne de 1840 à 1846,
date à laquelle il en est expulsé.
Les journées révolutionnaires du printemps 1848 provoquent l’arrêt brutal de
l’expansion méthodiste en France. Arrivé à 1200 membres, le nombre des méthodistes
45
Samuel VINCENT, Mélanges de religion, de morale et de critique sacrée, Nîmes, Gaude, 1820 - 1824.
46
Charles Cook a écrit la biographie de son épouse : Charles COOK, Madame Julie Cook, née Marzials,
Paris, Delessert, 1907, 100p.
47
Né à Guernesey pendant l’hiver 1798-1799 dans la riche famille des De Jersey propriétaire du Mon- Plaisir
Henri passe le plus clair de son temps de ministère en France. Il prend sa retraite en 1857 à Guernesey, où il
meurt le 30 juin 1870.
48
Pour l’étude de cette première période, nous conseillons la lecture de P. SOGNO, op. cit.
49
Matthieu Gallienne (père) est né à Guernesey le 28 avril 1812. Converti en février 1831, il est en France
dès 1845 et il y reste jusqu’en 1859. Il rentre dans les Îles, où il exerce son ministère jusqu’en 1871, puis en
Grande-Bretagne jusqu’en 1875. Il meurt dans sa maison natale le 1 octobre 1900. Il a deux fils devenus
pasteurs méthodistes en France : Matthieu (fils) et Édouard.
50
Né à Estry (Calvados) en 1793, Jean Lelièvre est un catholique converti au méthodisme par Amice
Ollivier. En 1831 il rentre comme prédicateur itinérant dans le corps méthodiste. Il meurt à Jersey le 16
septembre 1861, non sans avoir laissé au méthodisme français trois fils pasteurs : Paul, Jean-Wesley, et
surtout Matthieu.
51
Jean-Louis Rostan est l’élève et le continuateur de l’oeuvre de Félix Neff dans le Queyras. Il naît près de
Vars le 8 janvier 1807. De tempérament dépressif tout au long de sa vie, il est pourtant un évangéliste au
verbe puissant et à la moralité intransigeante. Il meurt à Lisieux le 25 juillet 1859. Matthieu Lelièvre a écrit
sa biographie : Matthieu LELIEVRE, Vie de Jean-Louis Rostan, Paris, Librairie Évangélique, 1865, 607 p.
25
retombe à 800 à peine. De 1848 à 1852, les méthodistes en France se battent en effet contre
une anglophobie alors très prégnante, mais aussi contre le darbysme qui provoque des
dissentions dans le petit monde protestant de France et de Suisse. Madame Coralie
Armangaud, née Hinch, fait scission de son coté dans le Midi, et quitte le méthodisme pour
fonder son propre mouvement religieux à Cette (Sète) et dans le Viganais52. Enfin l’Église
méthodiste en Grande-Bretagne traverse une crise institutionnelle grave, et n’a pas les
moyens d’intervenir efficacement en faveur de sa mission en France. Elle désire, en
conséquence, que cette mission prenne son indépendance. Ce faisant, elle rejoint le désir
profond mais inavoué de Charles Cook. C’est pourquoi 14 pasteurs53 se réunissent à Nîmes
en février 1852 pour discuter une proposition venue d’Angleterre, et déclarent instituée la
Conférence méthodiste française sous le nom de Section Méthodiste de l’Église du Christ
en France et en Suisse, unie de principe aux Sociétés fondées par le Révérend John
Wesley.
2-2-2 - L’Église méthodiste en France : 1852 - 1939
Jusqu’en 1852 les Actes des Conférences françaises étaient écrits à la plume et en
anglais. À partir de cette date nous connaissons l’évolution de l’Église méthodiste selon les
informations communiquées par deux sources en français : les procès-verbaux manuscrits
et les actes imprimés.
La jeune Église (dont la naissance n’a pas provoqué d’orage dans le ciel du
protestantisme français) participe dès sa création à tous les combats, du coté des Églises
évangéliques non-concordataires, contre les libéraux. Elle se développe jusqu’à atteindre
les deux mille membres en 1870. Mais, dès les lendemains de la guerre franco-allemande
de 1870-1871, le nombre des membres s’érode régulièrement. Il est nécessaire de rappeler
que la mission devenue Église aurait dû et voulu être indépendante sur le plan financier de
la Conférence britannique. Mais elle n’a jamais pu régler ses problèmes de trésorerie : dès
l’origine elle dépense plus qu’elle ne reçoit. Et, non seulement le déficit ne se résorbe pas,
mais il s’accroît d’année en année. Car l’Église ne fonctionne pas comme un poste
52
Coralie ARMANGAUD née HINSCH, Recueil de Lettres Pastorales, précédé d’une notice biographique,
Nîmes, Roger et Laporte, 1878, 747 p.
53
Ce sont Charles Cook, Henri de Jersey, Jean-Louis Rostan, Matthieu Gallienne père, François Farjat,
Philippe Neel, Luc Puldford (un français de Lille), Charles de Boinville (un Anglais), Philippe Guiton, Pierre
Lucas, Pierre Massot, Louis et Henri Martin (deux frères venus de Suisse romande) et Guillaume Ogier.
26
missionnaire. Des chapelles sont construites partout, quelques fois sans vraie nécessité,
toujours à crédit. Les pasteurs sont à poste, il faut les loger, les rémunérer. De plus, il faut
les former, d’où la création d’une école de théologie spécifique. Il faut à cette Église un
organe de communication sous la forme d’un journal, d’une librairie à Paris, de pasteurs
spécialisés pour participer avec des pasteurs d’autres églises à des travaux communs. Nous
ferons un peu plus loin un court bilan de cette vie interne et externe de la jeune Église qui,
en vieillissant, s’institutionnalise de plus en plus et gagne de moins en moins d’argent.
L’Église née en 1852 change de nom en juin 1867, lors de la Conférence de Lausanne.
Elle devient l’Église Évangélique Méthodiste de France et de Suisse. Elle change de
nouveau de nom en 1906, lors de la mise en place de la Loi de Séparation des Églises et de
l’État. Elle devient alors l’Union des Associations cultuelles de l’Église Évangélique
Méthodiste de France (La Suisse n’est plus indiquée : les méthodistes l’ont quitté
définitivement en 1901). Lorsque le Synode (la Conférence est devenue Synode lors de sa
réunion à Levallois-Perret en 1898) qui se tient à Paris du 19 au 22 juin 1939 vote (par 33
voix contre 7) la dissolution de l’Union Nationale des Associations Cultuelles de l’Église
Évangélique Méthodiste de France, il ne reste plus que 1578 membres recensés. La Grande
Guerre n’a pourtant pas fait baisser les effectifs de manière significative : en 1910 on
recense 1606 membres ; en 1920 : 1523 membres ; en 1930 : 1472 membres.
On peut donc parler, soit d’une relative stabilité, soit, en rapport avec la vision qu’a le
corps méthodiste de lui-même, de désespérante stagnation. La fusion dans la nouvelle
Église Réformée de France est donc un acte de sagesse, salué d’ailleurs par la Conférence
britannique qui restera jusqu’au bout l’autorité de tutelle du méthodisme français :
La Conférence britannique, réunie à Liverpool, a voté, le mercredi 19 juillet 1939, la
résolution suivante : La Conférence, étant convaincue que l’unité organique de
l’Église Réformée de France, telle qu’elle est actuellement constituée, et de l’Église
méthodiste est pour le bien du témoignage évangélique en France, approuve la
dissolution de l’Union nationale des Associations cultuelles de l’Église Évangélique
Méthodiste de France, afin que chaque Association cultuelle qui le désire puisse être
définitivement affiliée à l’Église Réformée de France54.
2-1-3 - Églises Méthodistes de France
54
AcC 1939, p. 29.
27
En mars 1942 paraît le premier numéro du nouvel Organe trimestriel des Associations
Cultuelles Évangélique des Églises Méthodistes de France, Le Lien, sous la direction du
pasteur S. Samouélian. Il écrit dans son éditorial :
Le 84e et dernier Synode de “L’Église Évangélique Méthodiste” s’est réuni à Paris du
19 au 22 juin 1939. Il a voté sa dissolution le mardi 20 à 17 heures. 14 églises se sont
rattachées à l’Église Réformée, 6 autres ont pris la ferme résolution de continuer la
tradition méthodiste en dehors des organisations réformées afin de maintenir “l’esprit
méthodiste” au sein du protestantisme français. ... La famille méthodiste a été brisée.
Nous en avons ressenti et nous en ressentons encore une grande tristesse. ... En
septembre 1939, la guerre bouleversa encore nos Églises. Mais au sein de toutes nos
angoisses, le Seigneur, Chef de l’Église Universelle, permettait que le 16 janvier 1940,
les 6 Églises du Gard se réunissent à Anduze sous la présidence de M. le pasteur L.
Parker55, en Synode Constituant légal. Le méthodisme subsistant fonda une nouvelle
Union d’Église dont le nom officiel se trouve inscrit en tête de ce journal56.
L’histoire de ce méthodisme d’après guerre, totalement indépendant de la Conférence
britannique, n’est pas abordée dans ce mémoire : l’étude en est extérieure à notre sujet,
pour l’instant.
2-2 - Vie interne
2-2-1 - Implantation géographique
* La Normandie
Depuis William Mahy et les grands pionniers de la présence méthodiste en France, la
Normandie est la tête de pont historique des pasteurs venant d’Angleterre ou des Îles
Anglo-Normandes. Pourtant la terre normande n’a pas permis au méthodisme de
s’implanter profondément. Mahy n’a pas quitté le bocage, et n’a pu pénétrer ni à Caen, ni
dans une autre grande ville. Il faut attendre un siècle pour qu’une tentative
55
Nous trouvons sa biographie dans : Anonyme, Service commémoratif en souvenir de Louis-David Parker,
pasteur méthodiste, 11 mai 1873 - 31 août 1940, Nîmes, au dépôt 3 rue Sainte-Dominique, 1940.
56
Journal Le Lien N° 1, p. 1.
28
d’évangélisation des villes soit entreprise. Charles Cook lui-même n’est resté qu’une année
à Caen avant de partir évangéliser les terres protestantes du Languedoc. Et la Normandie a
été lentement délaissée.
Citons toutefois un exemple remarquable des conséquences de la prédication
méthodiste en Normandie au début du XIXe siècle. Dans l’Orne, le long de la vallée du
Noireau, quelques villages sont restés protestants malgré les persécutions. Ainsi Fresnes,
petit village entre Tinchebray et Flers, vivote en ce début du XIXe siècle, d’une part des
ressources d’une agriculture vivrière limitée par la pauvreté des sols, et d’autre part du
tissage des toiles et textiles pour les drapiers de Caen.
Les conditions matérielles du paysan sont assez déplorables. Les fermes sont exiguës
et mal entretenues. L’extrême division de la propriété entraîne l’existence de pièces de
terre d’une superficie infime. ... Les paysans se nourrissent de pain noir de sarrasin et
de seigle, de galettes et de bouillies de farine, de soupe aux choux et au lard. ... Le
chanvre fournit enfin la matière à la confection de vêtements simples et parfois
pittoresques. ... Au début du XIXe siècle, alors que l’artisanat textile se développe,
dans les campagnes, cette condition paysanne s’améliore et l’agriculture se bonifie
grâce à l’initiative de certains propriétaires fonciers57.
C’est à ces paysans pauvres que William Mahy vient à cheval présider des cultes.
Quelques familles d’origine protestante sont converties, comme les Pelluet ou les Prunier.
Ainsi en est-il en particulier de la famille de Jacques Prunier, membre des Anciens de
l’Église réformée, dont le père exerce la profession de cloutier. Deux fils de Jacques
Prunier partent de Normandie dès que possible pour aller porter l’Évangile aux quatre
coins de France. Nous connaissons Jean Prunier, qui est colporteur évangéliste en même
temps qu’agitateur politique. André Encrevé parle de lui58 à propos du village de Mamers
où, peu après la Révolution de Février, un colporteur nommé Jean Prunier (agent de la
Société Évangélique) chargé de visiter le département de la Sarthe, choisit de se fixer. Il
préside quelques réunions, favorablement accueillies par les républicains, les
57
Jean-Claude RUPPÉ - Jean-Claude ALMAIN, Flers et son canton. Une ville industrielle fille d’un bocage
en crise, Flers, Le Pays Bas-Normand, 1979, p. 95-96.
58
André ENCREVÉ, Protestants français au milieu du 19e siècle. Les réformés de 1848 à 1870, Genève,
Labor et Fides, 1986, p. 326, 327 et note 43.
29
anticléricaux, et le Commissaire d’Arrondissement (Charles Granger). Dans ce cas, le
lien entre l’évangélisation protestante et la propagande républicaine est donc
incontestable. D’autant que Prunier ne cache pas ses opinions politiques.
Un des frères de Jean nommé Étienne-Frédéric (Fresnes, 23 mars 1818- Fresnes, 2 août
1892)59 est, de son côté, longtemps salarié par l’Église méthodiste pour évangéliser les
zones très catholiques de la Haute Marne, avant d’être tardivement accepté par cette même
Église en tant que proposant, en 1858. Cet accueil ne s’est pas fait sans difficulté. Matthieu
Gallienne le conteste en effet : « M. Gallienne serait d’avis que ce frère fut rejeté, vu son
âge (40 ans), sa nombreuse famille (5 enfants), et surtout parce que ses études n’ont pas été
bonnes60. » Frédéric Prunier est enfin reçu in full connexion en 1861 avec William
Corforth61, Samuel Bertin62 et Jean-Wesley Lelièvre63. Après divers postes (Bourdeaux,
59
Frédéric Prunier épouse Éléonore Pelluet dont il a onze enfants (dont dix survivent). L’auteur de ce
mémoire est un des nombreux arrière-petits-fils de ce pasteur méthodiste. La tombe de Frédéric Prunier est
toujours visible à Fresnes. Il est l’auteur de plusieurs opuscules : Frédéric PRUNIER, Poésies, Paris,
Librairie Évangélique, 1878, 97 p. ; Le quatrième Commandement est-il aboli ?, Paris, Librairie Évangélique,
1871, 23 p. ; Un coup d’oeil sur l’inquisition , Paris, Bonhoure, 1876, 71 p. On le connaît grâce à Daniel
ROBERT, Souvenirs du pasteur Frédéric Prunier, BSHPF, 1981/avril-Juin, p.271-292.
60
PvC 1858, p. 201.
61
William Cornforth est né le 13 octobre 1828 à Brierley Hill, en Angleterre (Comté de Stafford). Il est
adopté en 1830 par son oncle, Jos. Hunt, pasteur méthodiste, ce qui lui vaut une éducation très soignée.
Converti à 17 ans, il devient à son tour pasteur méthodiste. En 1856, il répond à un appel de Charles Cook
pour la France. Il va à Pontgibaud (œuvre anglaise), à Calais (circuit anglais), puis à Lisieux où il prêche
pour la première fois en français. Il réside à Calais de 1863 à 1874, et à Lausanne, où il dirige la maison
d’études du Valentin de 1874 à 1880. Il se repose trois ans à Bourdeaux avant de retourner à Calais jusqu’en
1889. Enfin, après 12 ans de ministère à Lausanne, il y prend sa retraite en 1901, et y meurt le vendredi 13
septembre 1904. Ces renseignements succincts sur ce pasteur pourtant si important dans l’histoire de la
formation des pasteurs méthodistes de la deuxième partie du XIXe siècle se trouvent dans : William
CORNFORTH, Sermons et Études, précédé d’une notice biographique, Lausanne/ Paris, Georges Bridel /
Librairie Évangélique, 1905.
62
Samuel Bertin nait à Congénies le 30 juin 1825, et est converti à l’âge de 12 ans grâce à un père pieux.
Longtemps prédicateur laïque, il est accepté comme proposant en 1857. Il commence à Fresnes (Normandie),
et continue sa carrière dans le Dauphiné, les Cévennes, en Gardonnenque et en Suisse, avant de finir dans le
Dauphiné. Très actif et optimiste, « il croyait vraiment à toutes les vérités qu’il avait enseignées ». Il meurt
le 13 mars 1899. Courte notice biographique dans AcC 1899, p. 69 à 71.
63
Fils aîné de Jean Lelièvre, Jean-Wesley naît à Calais le 24 janvier 1838. Il est converti avec ses frères et
ses sœurs lors du réveil de la Drôme de 1852 (il s’agit du second réveil de la Drôme, dont parle Samuel
Vernier dans sa thèse récente : Samuel VERNIER, Le Réveil dans la Drôme au 19e siècle, Orthez, Éditions
Ampelos, 2008, p.7 à 9, dont les instruments de Dieu sont respectivement Jean Lelièvre à Dieulefit et
Bourdeaux, et François Farjat à Nyons) et entre dans le ministère en 1857. Son activité s’exerce à Saint
Chapte, Jersey, Paris, Vevey, avant de se contenir dans le Midi : Congénies, Vauvert, Livron, Dieulefit, Le
Caylar, Codognan, et Vic le Fesq où il prend sa retraite. Dans la Correspondance fraternelle il se plaint de
multiples infirmités, ce qui ne l’empêche pas d’avoir une retraite active (prédications, recherches
archéologiques, écriture de cantiques, etc.) avant de mourir à Quissac le 24 décembre 1919. Notice
biographique dans AcC 1920, p. 30-31. Nous aurons l’occasion de parler de lui lors de la présentation des
prolégomènes de la mission méthodiste en Kabylie : voir notre troisième partie).
30
Haute Marne, Normandie) Frédéric Prunier se retire à Fresnes, dans sa maison natale, où il
meurt entouré de ses onze enfants. Parmi ceux-ci deux fils, Gédéon et Onésime, se
tournent vers le ministère, mais seul Onésime64 va jusqu’au bout de la démarche. Consacré
à Lausanne le 17 juin 1879 ce dernier devient, avec Matthieu Lelièvre65 et les deux frères
Émile66 et Paul67 Cook, un des plus importants porte-paroles du méthodisme français à la
64
Onésime Prunier est plus un homme de plume qu’un homme d’action. Né à Joinville le 7 juin 1851, il
passe sa thèse de licence à Lausanne et est accepté comme proposant à la Conférence d’Anduze (1876). Il est
placé à Congénies puis à Nîmes l’année suivante. En 1880 il est envoyé à Bruxelles jusqu’en 1885, date à
laquelle il revient à Nîmes prendre la direction de L’Évangéliste et du pensionnat de jeunes filles. En 1891 il
va à Paris, comme directeur de la maison d’étude. D’abord à Malesherbes, ensuite aux Ternes, enfin à
Asnières, Onésime Prunier ne quitte Paris qu’à la retraite (1919). Il s’installe au Poët-Laval, au lieu dit La
Maisonnette, d’où il aide à la desserte de la Drôme au moins jusqu’en 1921. Il meurt chez son fils André,
médecin à Thonon-les-Bains, le 7 février 1926. Edmond Gounelle consacre à la mémoire d’Onésime Prunier
un petit opuscule contenant la vie et la pensée de celui-ci : Edmond GOUNELLE, En mémoire du pasteur
Onésime Prunier, 1851-1926, Alençon, Corbiére et Jugain, 1931, 65 p.
65
Matthieu Lelièvre naît à Calais le 7 janvier 1840 et meurt au Havre le 9 août 1930, à 90 ans et demi. Il est
admis au noviciat en 1858, et part à Bourdeaux de 1859 à 1865. De 1865 à 1878, il est à Codognan, puis
Nîmes. Après Paris (Malesherbes) de 1878 à 1883, il est muté dans les Îles de la Manche jusqu’en 1891, date
à laquelle il retourne à Nîmes. En 1994 il revient en pèlerinage à Bourdeaux pour trois ans, et s’installe en
1897 à Paris. Malgré sa retraite prise en 1903, il reste actif à Paris jusqu’en 1912, date où il va à Guernesey.
En 1921, il loge à Sainte Adresse, et s’installe au Havre en 1927, trois ans avant sa mort. Matthieu Lelièvre
est sans conteste le pasteur le plus en vue sur toute cette période. Théophile Roux a écrit sa vie dans un gros
livre : Théophile ROUX, Matthieu Lelièvre, Prédicateur, Journaliste, Historien, Théologien, Alençon,
Corbière et Jugain, 1932, 392 p., ce qui prouve bien l’estime dans lequel le tient ses collègues. Il s’occupe
beaucoup, avec Onésime Prunier et Matthieu Gallienne fils, de la direction de l’Évangéliste, de la Maison
d’étude à Paris, et du Pensionnat de jeunes filles de Nîmes. Il est l’historien du méthodisme français, et sans
ses œuvres (voir bibliographie), nous aurions bien des difficultés pour aprocher nombre d’acteurs plus ou
moins connus des débuts du méthodisme wesleyen en France.
66
Émile, troisième enfant de la famille de Charles et Julie Cook, naît à Niort, le 15 juin 1829. Il passe son
enfance à Congénies, puis à Nîmes où, dès l’âge de sept ans, il provoque de petites réunions de prières entre
enfants. En 1842, Émile rejoint sa famille à Lausanne où il continue ses études. Au début de 1848, il est
accepté comme étudiant. Le 8 septembre 1851, il rejoint son premier poste au Vigan. Émile provoque un
réveil en Viganais en 1853, mais il subit une forte opposition à Lasalle. De 1853 à 1856, la Conférence
l’envoie à Nyons. Il est consacré à Nîmes le 13 juillet 1854, et se marie avec Hélène de Jersey le 17 mai
1855. Il quitte Nyons le 18 novembre 1856 pour aller passer un an à St Pierre-les Calais. La Conférence le
place à Lausanne en 1857, où il enterre son père qui meurt dans cette ville le 21 février 1858.
Émile est à Congénies à partir de 1860, puis à Ganges en 1862. La Conférence française de 1866 le
nomme à Paris, qui est son dernier poste, car la guerre franco-allemande éclate le 19 juillet et Émile s’engage
dans l’aumônerie du Comité auxiliaire évangélique de soins aux blessés. En 1873, il est invité à New-York à
l’occasion des grandes assemblées de l’Alliance Évangélique Universelle. Il en repart sur le Ville du Havre le
samedi 15 novembre. Dans la nuit du 21 au 22 novembre, le “Ville du Havre” est éperonné par un bateau
anglais, le Loch Earn, et coule presque aussitôt. Émile Cook fait partie des rescapés, mais il supporte très mal
son bref séjour dans l’eau froide de l’Atlantique Nord. Rentré malade à Paris le 7 décembre, il meurt à
Hyères le 29 janvier 1874, chez Émile Farjat, le fils de son ami François Farjat. Il est enterré à Nîmes, dans la
tombe de François Farjat. À sa mort, Émile Cook laisse sept enfants, et les méthodistes de Grande-Bretagne
et des U.S.A. soutiennent financièrement sa famille. Bibliographie : Émile FARJAT, Émile F. Cook, Paris,
Librairie Évangélique, 1877. ; John WALLER, « British Wesleyan Methodism and the post-war recovery of
methodism in France, 1871-1874 », in Proceedings of the Wesley Historical Society, vol XLV, Leeds,
CRYPTICKS and Harmer, february, 1986.
67
Paul ou Jean-Paul Cook est le deuxième enfant de Charles et Julie Cook. Il naît à Congénies le 21 mars
1828. Jean-Paul passe son enfance à Congénies, puis à Nîmes. Lors du réveil de 1838, il se convertit et il lui
31
Belle Époque. À la mort de Frédéric Prunier, la desserte du Bocage est abandonnée. Mais
le méthodisme subsiste dans quelques villes de la côte normande, dans le cadre des
activités du District d’Évangélisation.
* Le Languedoc
Après la Normandie, c’est la plaine de la Vaunage, entre Nîmes et Montpellier, qui est
le théâtre de la première vraie expansion du méthodisme wesleyen en France. Avec l’aide
de son épouse Julie, Charles Cook fait de nombreuses et rapides conversions dans la
population protestante de la Vaunage. Il faut toutefois remarquer que le paysage protestant
vaunageol est très différent de celui que Cook a trouvé en arrivant en Normandie. Les
protestants normands, en effet, ont rejoint en masse la Grande-Bretagne pendant la période
de la révocation de l’Édit de Nantes (1685 - 1787), et seules quelques poches de présence
protestante ont survécues, très isolées et constamment persécutées. En Vaunage, par
contre, le protestantisme est resté très vivace pendant la même époque. Les rapports
économiques avec les Cévennes ont fait de la Vaunage un lieu d’accueil pour les camisards
en fuite. D’autre part les quakers sont installés à Congéniès depuis le XVIIIe siècle. La
en est resté une grande foi aux réveils religieux, comme aussi à la conversion des enfants. Jean-Paul et son
frère Émile rejoignent leur famille à Lausanne en 1842. Jean-Paul participe alors à la mise en place d’une
école du dimanche à La Palud, qui commence le 28 mai 1842. Après l’expulsion de Charles Cook du canton
de Vaud le 22 décembre1842, toute la famille rentre à Nîmes. En 1850, Jean-Paul est nommé catéchiste à
Paris, employé sous la direction du Wesleyan Education Comittee. L’année suivante, il fonde et dirige le
Magasin des Écoles du Dimanche. Jean-Paul Cook est accepté comme proposant régulier (avec un noviciat
réduit à deux ans) par la troisième Conférence française (Nîmes, juillet 1854) et il épouse, à Calais le 18 avril
1855, mademoiselle Richez. Mais celle-ci meurt en juillet 1856, d’une fièvre puerpérale consécutive à la
naissance du petit Charles. Jean-Paul (plus communément appelé Paul) est consacré à Nîmes par son père
pendant la Conférence française réunie du 3 au 17 septembre 1856. Dès le début de 1857 il est appelé par la
Société des Écoles du Dimanche à devenir son agent itinérant. La Conférence de 1857 consent à céder Paul
Cook à cette société. Il est rattaché au Circuit de Paris, District du Nord.
Charles Cook meurt le 21 février 1858, et la Conférence de cette année-là charge Paul Cook d’écrire une
notice biographique sur son père (c’est la première partie de la Vie de Charles Cook). La Conférence de 1859
place Paul Cook à St Pierre-les-Calais, avec William Cornforth, jusqu’en 1863 où il est muté à Lisieux.
Installé à Nîmes en 1965, Paul Cook y est nommé à la tête des établissements d’éducation par la Conférence
de 1869. Après la guerre franco-prussienne, Jean-Paul Cook part à Nancy, de 1872 à 1878. La Conférence de
1879 lui accorde un congé, en vue d’oeuvres d’évangélisation à Paris, où il devient, en 1881, agent
missionnaire pour les Écoles du dimanche, et directeur des publications. Ce congé est prolongé, d’année en
année, jusqu’en 1885 où il reprend son poste de pasteur à Paris. Il meurt en 1886. Bibliographie : Jean-Paul
COOK, Vie de Charles Cook, 1ère parti), Paris, Librairie Évangélique, 1862 ; Matthieu LELIÈVRE, Vie de
Charles Cook, 2e partie, Paris, Librairie Évangélique, 1897 ; Districts Minutes of the Wesleyan Missionnaires
in France, 1842-1852 ; Actes des Conférences des pasteurs et ministres de la section méthodiste de l’Église
de Christ en France et en Suisse, 1852-1887.
32
prédication du pasteur réformé de tendance évangélique Abraham Lissignol, à Montpellier,
complète le tableau : la Vaunage est prête, en 1820, à accueillir le Réveil protestant, et
Charles Cook en a largement profité pour tisser un solide réseau méthodiste en Languedoc.
Une des premières dames converties par le pasteur Cook est Mme Élizabeth Jaulmes,
née Fourmaud (1792 - 1871). Mariée à Louis, ce couple pauvre élève chrétiennement ses
sept fils, qui accèdent tous aux plus hautes fonctions sociales. Le second fils, Sully, épouse
Marie Cook, une des filles de Charles Cook. Il veut devenir pasteur méthodiste, mais ne
parvenant pas à se faire accepter par la Conférence méthodiste française, il devient pasteur
de l’Église réformée concordataire en 1863. Le troisième fils, Gédéon (1825 - 1910) est le
seul pasteur méthodiste de la famille, qui compte un grand nombre de pasteurs réformée ou
luthériens en son sein. Gédéon Jaulmes dessert Lausanne (Suisse) avec Charles Cook, puis
le Gard et Nyons, avant d’être consacré à Nîmes en février 1851, alors qu’il est en poste au
Vigan. Après un séjour dans les Îles Anglo-Normandes, on le retrouve à Anduze, à Nyons,
Paris et Lausanne. Il prend sa retraite dans son village natal où il meurt en 1910. Gédéon
Jaulmes est très représentatif de ces pasteurs languedociens de la deuxième génération,
issus du Réveil, faisant carrière dans le méthodisme, même s’il est le seul d’une grande
famille à l’avoir été68.
Le méthodisme a essaimé tout autour de la Vaunage : en Vistrenque, en Gardonnenque,
en Cévennes. Les Églises méthodistes fondées alors en Languedoc sont historiquement les
plus anciennes et sont passées massivement, en 1939, dans l’Association des Églises
Méthodistes de France nouvellement créée par leur refus d’entrer dans l’Église Réformée
de France69.
* La Suisse et les Vallées Vaudoises
Charles Cook s’installe à Lausanne dès juin 1840. Malgré la présence de John Darby en
Suisse romande au même moment, il parvient à établir quelques communautés méthodistes
à Lausanne, Vevey, Villeneuve et Aigle. En août 1845 Charles Cook fait avec son fils
Émile un voyage d’exploration missionnaire dans les Vallées Vaudoises, et les deux
68
Jean-Marc ROGER, « Le destin d’Élisabeth Jaulmes-Fourmeaud », in Collectif, La Vaunage au XIXesiècle,
Nîmes, Lacour, 1996, p. 457 à 472.
69
Le journal Le Lien de 1940, N°1, cite les églises n’ayant pas accepté la fusion du méthodisme français dans
l’ERF : ce sont celles de Nîmes, Cavairac, Valleraugue, Lasalle, Anduze et Alès.
33
pasteurs sont bien accueillis par la population piémontaise. Plus tard, en 1849, à la suite
d’un appel pressant d’Italie du nord, les méthodistes se tournent de nouveau vers ces
vallées qui leur ouvrent les portes de l’Italie et de Rome. Ils envoient le pasteur William
Ogier70 en résidence à La Tour et tout semble aller pour le mieux. Mais, dès 1850,
les espoirs entretenus concernant une résidence permanente parmi les Vaudois du
Piémont n’ont pas encore été réalisées. La raison en est que des influences fortement
préjudiciables à l’exercice de notre ministère ont fini par prévaloir sur les gens du fait
de certains frères calvinistes. Ceci a conduit nos amis vaudois à faire objection, du
moins dans l’immédiat, à l’établissement chez eux de réunions de classes et d’autres
institutions wesleyennes71.
Les méthodistes continuent pourtant leurs visites dans les Vallées Vaudoises, mais ne
peuvent s’y implanter, et le secrétaire de l’Assemblée du District du Midi de 1855 écrit72 :
« L’Assemblée prie la Conférence de s’occuper des rapports qui peuvent s’établir entre le
prédicateur méthodiste dans le Piémont et la Table vaudoise ». Charles Cook meurt à
Lausanne le 21 février 1858, alors que Matthieu Gallienne et Émile Cook desservent la
Suisse romande. À partir de cette date, les Vallées Vaudoises ne sont plus indiquées parmi
les stations méthodistes dans les actes des Conférences ultérieures. Malgré une grande
activité et peut-être à cause des différents remous politico-religieux de la période, la
mission méthodiste en Suisse romande végète et périclite au point d’être abandonnée en
1901 : dans un nota bene de la page 10 des Actes de la Conférence de 1901 on peut lire ces
quelques mots laconiques : « L’oeuvre de Lausanne est transférée à l’Église méthodiste
épiscopale de Suisse73. »
70
C’est le dernier venu parmi les pasteurs insulaires ayant choisi de faire carrière en France. Il est né à
Guernesey en 1817 et s’est converti vers 1832, lors d’une vague de choléra dans son île natale. Il est envoyé
à Lausanne en 1844 et 1845, où il subit de plein fouet la répression des autorités vaudoises. Il passe deux ans
en Vaunage et Gardonnenque (1846-1847), puis deux autres années à Nyons et les Hautes-Alpes (18481849). En 1850, il part à Bar-le-Duc, poste préalablement occupé par le pasteur Philippe le Bas et
l’évangéliste Frédéric Prunier. Il se marie en 1853 et meurt onze mois plus tard, le 20 août 1854, touché à son
tour par le choléra. Guillaume Ogier est l’une des personnalités les plus attachantes qu’il nous ait été donnée
d’étudier. Il a en effet écrit de nombreuses lettres à la Correspondance Fraternelle, et toutes expriment la
détresse de sa profonde solitude dans un pays peuplé presque exclusivement de catholiques romains. Et puis
mourir à 37 ans, au début de son amour conjugal, en soignant des cholériques et en attrapant la même
maladie, le tout au service de l’Évangile et de ses semblables, cela parait être un destin hors du commun et
digne de respect.
71
DMWM 1850, p. 190.
72
AcM 1855, p. 38.
73
AcC 1901, p. 10.
34
Les deux pasteurs les plus représentatifs issus de la mission en Suisse sont les frères
Martin : Henri (1804 ? - 2 avril 1853) et Louis (vers 1808 - 2 janvier 1865). Tous deux
sont vaudois, de la commune de Sainte-Croix, mais ils font toute leur carrière ministérielle
en France.
* La Drôme et les Hautes Alpes
Félix Neff est à juste titre considéré comme l’apôtre des hautes vallées protestantes du
Queyras et de Freissinières74. Celui-ci, d’origine genevoise, arrive à Vars le 19 janvier
1824 et n’en repart, épuisé et malade, qu’au début de mai 1827, pour mourir dans sa ville
natale le 12 avril 1829. Lorsqu’on a de bonnes jambes, on peut monter le chemin escarpé
qui mène à Dormillouse, petit hameau où l’on peut encore voir le temple et l’école que
Neff a fondée. Parmi ses élèves, Félix Neff plaçait beaucoup d’espoir dans la foi du jeune
Jean-Louis Rostan75. Celui-ci remplace son maître d’école dès 1827, mais il est rapidement
remplacé par le pasteur Ehrmann. Rostan devient alors colporteur évangélique, et rencontre
Henri de Jersey en 1827 pendant une de ses tournées dans la Drôme. Il devient méthodiste,
et l’un des pasteurs les plus représentatifs de la première génération de pasteurs
méthodistes autochtones. En fait il est le deuxième pasteur d’origine française, le premier
étant Jean Lelièvre. En tant que pasteur il est partout, soumis au sacro-saint principe
méthodiste de l’itinérance qui interdit à un pasteur de rester plus de trois ans dans un
même poste (ce principe sera vivement et avec succès contesté vers la fin du XIXe siècle).
Jean-Louis Rostan est caractérisé par son origine protestante, paysanne et pauvre, qui lui
permet d’entrer dans toutes les maisons des hautes vallées alpines, mais par son inculture
aussi qui lui ferme les portes de la faculté de théologie de Montauban. Sa foi est
flamboyante, mais son intransigeance dogmatique provoque souvent des réactions
violentes comme à Vauvert, à Pâques 1835, où il est poursuivi à coup de pierres par les
protestants locaux excédés, aux cris de Aviso al lebre ! Or si Rostan devient méthodiste
c’est grâce à cette rencontre avec un pasteur méthodiste, Henri de Jersey76, alors à
74
Plusieurs ouvrages sont consacrés à sa biographie. Citons : Anonyme, Vie de Félix Neff, Toulouse, K.
Cadaux, 1837, 133 p. ; Ami BOST, Visite dans la portion des Hautes-Alpes de France qui fut le champ des
travaux de Félix Neff , Genève, Gruaz, 1841, 199 p. ; S. LORTSCH, Félix Neff, l’Apôtre des Hautes Alpes.
Biographie extraite de ses lettres, La Bégude de Mazenc, La Croisade du Livre chrétien, 1978, 312 p. Ce
livre vient d’être réédité (Éditions Ampelos, 2010).
75
Voir note 51 p. 26.
76
Voir note 47 p. 25.
35
Lourmarin au commencement de 1832. La présence méthodiste en Drôme est donc très
précoce. En effet, Charles Cook a souvent visité ce département en partant pour la Suisse.
En 1836 il est appelé à Bourdeaux par un prédicateur de la Société Continentale persécuté
par les pasteurs concordataires locaux. Il y envoie Matthieu Gallienne77 qui s’installe à
Bourdeaux en novembre 1837. Le méthodisme s’étend dès lors dans toute la Drôme, et
l’on retrouve des groupes et des stations méthodistes à Nyons, Die, Dieulefit, Livron.
Pourtant les incursions dans les grandes villes (Orange, Montélimar, Avignon) sont très
rares et inefficaces.
Outre Jean-Louis Rostan, la Drôme peut se targuer d’avoir donner au moins deux
pasteurs à l’Église méthodiste en France : Auguste et Henri Faure. Ces deux hommes,
homonymes, tous deux drômois, contemporains, ne sont pourtant pas frères, mais leurs
chemins se sont croisés dans le méthodisme français et dans leurs destins familiaux. Ils
font partie de l’avant-dernière génération des pasteurs de l’Église méthodiste en France.
Henri Faure (1869 - 1944) est consacré en 1896. En poste à Nyons, Congéniès, Paris, il est
un temps mis en disponibilité pour s’occuper de la Maison des enfants78 entre 1910 et
1914. De 1919 à 1925, pendant son ministère à Saint-Servan (proche de Saint-Malo), il
participe à la mission en Bretagne (Voir p. 54-56). Il épouse Lydie Prunier (1867 - 1957),
la plus jeune fille de Frédéric Prunier. Il en a sept enfants dont trois de ses six fils,
Édouard, Louis et Guy deviendront pasteurs de l’ERF. Édouard et Louis compteront
chacun plusieurs pasteurs dans leurs familles respectives. Henri Faure prend sa retraite en
1925 et meurt à Vence sur les hauteurs de Nice. Auguste Faure (1871-1946) est quant à lui
admis au noviciat dès 1895 et commence son ministère à Honfleur. Il est consacré à
Levallois le 29 juin 1898 par Onésime Prunier. Après de courts passages à Rouen, Nîmes,
Paris, il s’installe à Calais (oeuvre française) en 1921 et y reste jusqu’en 1940. Auguste
Faure fait partie des pasteurs méthodistes désireux de faire entrer leur Église dans l’Église
Réformée de France. Mais il est trop âgé en 1939 pour participer aux votes et meurt en
1946. Frédéric Prunier était père de onze enfants dont Adeline était l’aînée. Elle a épousé
le pasteur méthodiste James Wood et le couple eut cinq enfants. L’aînée des cinq, Alice
Wood, a épousé Auguste Faure. D’autre part Paul Wood, frère d’Alice, est aussi pasteur
méthodiste, et nous pouvons recenser encore deux autres pasteurs de l’ERF dans la
77
Voir note 49, p. 25.
78
Voir note 98, p. 47.
36
descendance de James et Adeline Wood. Ces deux familles Faure ont donc en commun une
remarquable descendance de pasteurs réformés. Adolphe, comme Henri, était d’ailleurs
désireux d’un rapprochement des Églises protestantes en France. Ils étaient, comme tous
les protestants drômois, très attachés à leurs racines réformées. C’est peut-être pour cela
que toutes les Églises locales méthodistes de la Drôme ont rejoint massivement l’Église
Réformée de France en 1939 !
2-2-2 - Organisation territoriale
La plus grande qualité de John Wesley se trouvait dans son génie de l’organisation. Le
mot méthodiste vient d’ailleurs de ce que Wesley s’était choisi un certain nombre de
méthodes de grâce permettant, après avoir reçu l’assurance du salut, d’accéder à l’entière
sanctification. À la base de toute sa construction ecclésiale se trouve donc la classe ou,
plus tard, le groupe. D’après Jean-Paul Cook79 :
Voici comment les “Règles de la Société méthodiste” décrivent les réunions de groupe
: on commence par la prière pour implorer la présence du Sauveur et l’assistance de
son Saint-Esprit, afin que les coeurs s’unissent dans la charité et que les bouches
s’ouvrent en vérité. On chante une hymne au Seigneur, et le Conducteur prend le
premier la parole pour faire connaître à ses frères l’état de son âme ; il choisit celles de
ses expériences qui peuvent être le plus en édification à l’assemblée et les lui
communique ; s’il peut indiquer la manière dont il a été préservé de quelque piège,
délivré de quelque tentation, ou les bénédictions qu’il a éprouvé dans son coeur et les
moyens dont le Seigneur s’est servi pour le faire avancer dans sa connaissance et son
amour, il le fait avec simplicité, et pour faire profiter ses frères de ses chûtes comme
de ses progrès, en leur montrant par son expérience les moyens d’éviter les chûtes et
de réaliser des progrès. Après avoir terminé, il adresse la parole tour à tour à chacun
des membres présents, et chacun à son tour fait connaître quelques uns des actes de la
grâce et de la providence de Dieu à son égard. Le Conducteur adresse à chaque âme
une exhortation en rapport avec sa situation ; on prie encore, on chante encore, et l’on
se sépare.
Cette description idyllique ne dit pas tout des exclusions, des contraintes, des
79
Jean-Paul COOK, L’Eglise Méthodiste Évangélique, Paris, Librairie Évangélique, 1883, p. 11-12.
37
culpabilisations, du sectarisme qu’engendre automatiquement ce genre de réunions trop
intimes. Elle ne dit rien non plus de l’obole que devait donner chaque participant à la fin de
chaque réunion, ni que les réunions devaient être hebdomadaires80. Elle omet enfin de dire
qu’à la fin des réunions le pasteur donnait aux méritants des tickets de bonne conduite
donnant accès à la Sainte Cène81. L’abandon progressif de ce système de réunions par
classes a été considérée par beaucoup de pasteurs méthodistes comme étant une des causes
majeures de l’échec du méthodisme en France. Plusieurs Classes forment une Société,
plusieurs Sociétés un Circuit, et plusieurs Circuits un District. « À cause de son étendue, il
a fallu établir dans l’Église des subdivisions, qui ont tout naturellement pris la forme de
circonscriptions territoriales. C’est ainsi que la France et la Suisse romande occupée par
l’Église (méthodiste) a été divisée en quatre Districts. Chaque district comprend un certain
nombre de groupes de membres. Pour se rattacher à l’Église, il faut appartenir à l’un de ces
groupes, qui ont longtemps été appelés Classes, d’après le nom qu’ils portent dans tous les
pays de langue anglaise82. » Chaque Circuit a pour responsable un pasteur qui prend le
nom de surintendant. Quant aux District, leur organe de décision se situe au niveau d’une
assemblée de District et de son président, pasteur lui aussi. Cette assemblée réunit les
délégués venant des Sociétés, d’abord uniquement des pasteurs puis, dans la deuxième
partie du XIXe siècle, des laïques aussi. Elle se réunit avant la Conférence annuelle pour
préparer pour celle-ci des questions, des propositions, et aussi la présentation des
postulants au saint ministère venant du District. Le but de cette organisation est de sauver
le plus d’âmes possibles, de gagner assez d’argent pour devenir un jour indépendant de
l’Église mère britannique, et surtout de provoquer des Réveils. Henri Bois a bien étudié ce
phénomène83 : le Réveil vu par les méthodistes est un mouvement d’adhésion au Christ par
le coeur, accompagné de signes visibles de l’action du Saint-Esprit provoquée par la prière
fervente des participants. Ces réveils sont à l’origine du recrutement des nouveaux
membres, ceux-ci étant définis, comme on l’a vu, par leur participation aux réunions de
groupes.
Le premier District fondé en France, et qui est resté le seul jusqu’en 1851, se nomme
80
Ibid. p. 44 et n. 1.
81
Ibid. p. 70.
82
Ibid. p. 17.
83
Henri BOIS, Le Réveil au Pays de Galles, Toulouse, Société des Publications Morales et Religieuse, 1905.
38
justement le District France. À partir de la création de la Conférence française, devenue
indépendante de sa tutrice anglaise en 1852, la France a été coupée en deux District, Nord
et Midi. Plus tard les Cévennes deviendront un District autonome, ainsi que la Drôme et
que la Suisse. De plus, mais nous y reviendrons, un District d’évangélisation, de 1895 à
1900, regroupe tous les acquits de l’évangélisation agressive de l’oeuvre Gibson. Cette
organisation disparaît après 1939, et n’est pas reprise par les Églises méthodistes de France
qui préfèrent un système presbytéro-synodal proche de celui de l’ERF.
2-2-3 - Les partis constitutifs du méthodisme français
Nous l’avons dit, ce mémoire n’est le lieu d’une étude ni exhaustive ni approfondie de
l’implantation méthodiste en France. Les deux graphiques qui suivent n’ont donc d’intérêt
que dans la mesure où l’on peut les comparer et y voir l’évolution d’ensemble des éléments
qui caractérisent la présence méthodiste en France : le nombre des pasteurs et le nombre
des membres, le tout calculé pour chaque année entre 1819 et 1939.
PASTEURS :
39
MEMBRES :
On peut remarquer que le sommet de la courbe du nombre des membres se situe dans
les années autour de 1870. Alors que la courbe du nombre des pasteurs, elle, trouve son
sommet dans les années 1900. On peut voir en comparant ces deux courbes que la
diminution du nombre des membres n’est pas la cause immédiate d’une diminution du
nombre des pasteurs, mais que celle-ci apparaît avec un décalage de trente années. Nous
avons là, pensons-nous, une des raisons du déficit financier constant de l’Église
Méthodiste de France pendant cette période et celles qui ont suivi. Dans tous les cas, il est
évident que le sommet de la courbe des éléments numériques qui jalonnent l’histoire du
méthodisme wesleyen en France culmine entre les années 1860 et 1910. L’âge d’or du
méthodisme en France peut donc s’y situer, sans faire plus de recherches, et cette période
est justement celle où a prit place la mission méthodiste en Kabylie.
2 - 3 - Les éléments du méthodisme français en rapport avec la mission d’Il Maten
2 - 3 - 1 - Les organes de communication
* Les journaux
La presse protestante possède déjà en 1850 un bon nombre de journaux portant la parole
des deux tendances théologiques qui s’affrontent de plus en plus, l’orthodoxie évangélique
40
et le libéralisme. Parmi les journaux de la presse libérale, on peut citer trois bons exemples.
Le Disciple de Jésus-Christ, fondé en 1838 par le pasteur Martin-Paschoud, cesse de
paraître en 1873. L’Évangéliste est l’organe de la tendance pré-libérale (le mot est de
Daniel ROBERT84) du pasteur Louis-Ferdinand Fontanès (1797 - 1862). Ce discret
collaborateur de Samuel Vincent fonde ce journal au lendemain de la mort de Vincent, en
1837, mais l’Évangéliste disparaît trois ans après, en 1840. Le dernier journal que nous
citons est le Lien (1841 - 1870). C’est le plus important des organes de presse de la
théologie libérale puisqu’il est dirigé par les deux frères Charles et Athanase Cocquerel dès
184385. La fraction évangélique du protestantisme français est, de son coté, soutenue par
trois journaux significatifs. Le plus ancien, les Archives du Christianisme, est fondé en
1818 par le pasteur Juillerat-Chasseur (1781 - 1867), et s’éteint en 1867. À partir de 1831
les Archives deviennent l’organe du Réveil. Le Semeur, quant à lui, est fondé en 1831 par
« un groupe de laïques revivalistes : H. Hollard, H. Lutteroth, V. de Pressensé et Mark
Wilks86 », donc par le noyau évangélique de la Chapelle Taitbout. Il disparaît en 1850. Le
troisième journal est l’Espérance fondé par Amy Bost. Après la Révolution de 1848,
d’après André Encrevé, les Archives du Christianisme deviennent le porte-parole officieux
des églises indépendantes alors que l’Espérance (alors dirigée par le pasteur Grandpierre)
est l’organe des évangéliques restés membres de l’Église concordataire87. C’est dans ce
contexte que paraît très discrètement une petite feuille nouvelle, les Archives du
Méthodisme.
Quant à la presse missionnaire protestante française, on ne peut citer que le Journal des
Missions Évangéliques. Les relations entre la mission méthodiste wesleyenne de France et
la Société des Missions Évangéliques de Paris sont distantes mais bonnes. Charles Cook a
d’ailleurs assisté, le 6 septembre 1822, à la troisième séance préparatoire à la fondation de
la SMEP88, mais il ne fait pas partie du Comité. Le journal de la SMEP paraît dès 1826,
Mais sa fondation est antérieure : de 1823 à 1825 un Bulletin de la Société des Missions
84
D. ROBERT, Les Eglises Réformées en France, p 377.
85
A. ENCREVÉ, op. cit. p. 111-112.
86
Ibid. p.127.
87
Ibid. p.129.
88
Jean BIANQUIS, Les origines de la Société des Missions Evangéliques de Paris, Paris, Société des
Missions Évangéliques, 1930, t.1, p. 28.
41
Évangéliques établie à Paris est publié dans la rubrique Annales des progrès de
l’Évangile des Archives du Christianisme fondées en 1818. On pouvait se procurer ce
Bulletin en tiré à part89
Pendant la période qui nous intéresse, soit entre 1885 et 1919, le JME est mensuel, alors
que l’Évangéliste est hebdomadaire (sauf pendant la Grande Guerre). Le Comité de la
SMEP se sert donc de l’Évangéliste (entre autres !) pour communiquer des informations
d’ordre structurel (Dates des prochaines assemblées générales, par exemple) et, de temps
en temps dans le JME, on trouve un article documentaire sur la mission méthodiste
française en Kabylie. Il y aura, en plus, échanges de pasteurs missionnaires. Ainsi Émile
Brès a fait ses études dans le cadre de la SMEP avant de partir en Kabylie comme pasteur
missionnaire de l’Église Méthodiste de France. Mais aussi, à l’inverse, le pasteur
méthodiste Jules-Philippe Guiton est cédé à la SMEP pour la mission en Afrique du Sud.
Ces rapports entre la SMEP et l’Église Méthodiste de France sont donc excellents, bien
que plus qualitatifs que quantitatifs. Ils mériteraient à eux seuls une étude particulière.
Jean-Paul Cook est le deuxième enfant de Charles et Julie Cook, nous l’avons dit. La
Conférence de 1850 le place à Paris en tant que catéchiste90 où il semble réussir. Lors de la
deuxième Conférence de 1852 (Nîmes, du 6 au 15 septembre), qui est en même temps la
première Conférence de la Section méthodiste de l’Église du Christ, en France et en
Suisse, les participants mettent en place trois commissions, dont une Commission des
publications à la tête de laquelle ils nomment Charles de Boinville et Jean-Paul Cook91. Ce
dernier s’empresse, dès le 24 février 1853, de présenter au public les Archives du
Méthodisme, dans le cadre de la Commission des publications et en rapport direct avec le
nouveau statut d’indépendance de la Conférence française. Ce journal tire en fait son
origine de deux sources. Lorsque les premiers missionnaires méthodistes commencent à se
disperser sur tout le territoire français, ils n’ont guère de points de ralliement, sinon les
réunions annuelles de la Conférence. Ils peuvent lire la presse méthodiste anglaise (The
Watchman par exemple, souvent cité par Charles Cook), ou venue des Îles angloNormandes (Le Magasin méthodiste des Îles) quand ils parviennent à se le procurer.
89
Jean-François ZORN, Un vieux journal toujours vert. Brève histoire du Journal des Missions
Évangéliques, in JME 1989, N° 1, p. 35.
90
DMWM 1850, p. 160.
91
AcC 1852, p. 12.
42
Désireux de palier à cette lacune, William Toase fonde alors, à Nîmes en 1843, le Magasin
wesleyen, devenu très vite le Magasin méthodiste wesleyen92. Mais ce journal disparait en
1848, faute de matière et de participation des pasteurs. Pour compenser cette perte et
permettre malgré tout une certaine circulation des informations au sein du pastorat
méthodiste disséminé, Matthieu Gallienne prend l’initiative, le 6 août 1850, d’envoyer à
chaque pasteur une proposition de Correspondance fraternelle. Celle-ci connaît un vrai
succès, et l’un des sujets qui revient régulièrement dans les lettres de 1850 et 1851
concerne justement la création d’un journal. Mais il faut, pour que ce journal soit viable,
une situation solide et pérenne du méthodisme français, ce qui est établi lors de l’institution
de la Conférence française en 1852. Remarquons au passage que le nouveau journal
reprend le titre, en l’aménageant, du journal de Juillerat-Chasseur, les Archives du
Christianisme. C’est peut-être à cause de quelques remarques qu’on aurait pu lui faire à ce
propos que Jean-Paul Cook et la Conférence française décident de changer le nom du
journal qui s’appelle désormais l’Évangéliste. Le premier numéro paraît le 1er janvier 1858.
Nous nous sommes demandé si ce titre n’a pas été choisi par humour, en reprenant ainsi
celui du journal défunt (en 1840) du pasteur pré-libéral Ferdinand Fontanès ? En tout cas la
fortune du journal méthodiste supplante rapidement celle de l’éphémère Évangéliste de
Fontanès et, surtout dans les années 1870 à 1900, le journal méthodiste porte très haut la
bannière d’un méthodiste structurellement étriqué.
En conclusion, il nous faut signaler l’existence d’un autre journal méthodiste en
France, de publication beaucoup plus confidentielle, la Chambre Haute, qui est l’oeuvre du
pasteur Louis Frédéric Galland, alors qu’il dessert vers 1890 la vallée cévenole de
Valleraugues. Galland continue à éditer son journal jusqu’au jour où, le 26 février 1903,
« il mourut à la suite d’une crise d’apoplexie au moment où il venait de terminer un
numéro de son journal, la Chambre Haute93. »
* La Correspondance fraternelle
Nous avons, dans ce moyen de communication, un ancêtre des forum de discussion sur
Internet. Chaque pasteur envoie de ses nouvelles à un correspondant central qui recopie
chacune des lettres reçues sur un recueil qu’il envoie à son tour à chacun des pasteurs.
92
M. LELIÈVRE, Vie de Charles Cook, 2e partie, p. 160.
93
CF du 24 avril 1903
43
Tous les pasteurs qui y participent ont donc des nouvelles de tous leurs collègues. Matthieu
Gallienne est à l’origine de cette Correspondance fraternelle qui, bon an mal an, ne finit sa
course qu’avec la fusion de l’Église méthodiste dans l’Église Réformée de France en 1939.
Elle est le lieu, en principe discret, de l’étalage des problèmes, des états d’âme, des joies
familiales ou professionnelles, des désespoirs aussi, des pasteurs dans leurs postes
respectifs. Nous avons à la lecture de ces lettres manuscrites, un magnifique paysage de ce
qu’est la vie quotidienne d’un pasteur méthodiste entre 1850 et 1939. Malgré sa relative
pauvreté en informations historiques précises (il faut souvent lire entre les lignes) cette
Correspondance fraternelle garde le caractère d’un témoignage précieux, irremplaçable, de
l’existence difficile de ces ministres itinérants de l’Évangile au XIXe siècle.
Pourtant cette Correspondance fraternelle n’est pas, en soi, originale. Charles Cook,
par exemple, avait subi la critique sévère d’Alphonse de Frontin dans trois lettres (janvier,
avril et octobre 1840). Or Frontin était le membre central d’une Correspondance
fraternelle créée en 1833 par les évangéliques les plus actifs94. Matthieu Gallienne, quant à
lui, connaissait aussi certainement l’existence en 1850 de la Correspondance fraternelle
(confidentielle),
fondée à Paris par dix pasteurs indépendants réunis dans la capitale à l’occasion des
assemblées générales des Sociétés religieuses ; ils ont pour ambition de rassembler les
pasteurs (francophones) indépendants des États. Elle parvient à grouper jusqu’à deux
cent membres en France, Suisse, Italie et Belgique. Elle disparaît en 186995.
Enfin, sans être originale, la Correspondance fraternelle méthodiste s’affirme au cours
des ans comme le lien le plus solide, que même l’Évangéliste ne remplace pas, entre les
pasteurs méthodistes dispersés sur le territoire français.
2 - 3 - 2 - Les rapports avec le Comité missionnaire de Londres
Déjà du vivant de John Wesley les pasteurs méthodistes britanniques se réunissent
annuellement, traditionnellement en juillet, en Conférences. Cette Conférence britannique
regroupe, en plus des pasteurs, toutes les composantes significatives de la nébuleuse
94
A. ENCREVÉ, op. cit. p. 181.
95
Ibid. p. 257, note 75.
44
méthodiste. Ainsi les membres du Comité directeur de la WMMS (dont nous avons déjà
parlé) se trouvent-ils en relation étroite avec la Conférence britannique dont ils
représentent, pour celle-ci, le bras missionnaire, l’action lointaine de sa volonté
d’évangéliser les peuples païens. Les méthodistes français ont donc pour interlocuteurs
privilégiés les secrétaires, les trésoriers ou les représentants attitrés du Comité
missionnaire, et, derrière eux, de la Conférence britannique. Et le moins que l’on puisse
affirmer, c’est que ces relations, tout au long de l’existence du méthodisme en France, ont
été, à la fois, fraternelles et conflictuelles. En effet, le principe d’organisation du Comité
missionnaire britannique consiste à fonder des Églises dans les pays où travaillent des
missionnaires méthodistes, d’aider financièrement ces jeunes Églises pendant la période
d’installation, puis de les laisser continuer seules l’évangélisation de leurs concitoyens dès
que la maîtrise financière est acquise. Cela aurait dû se passer ainsi en France. Hélas, les
méthodistes français ne pourront jamais se priver des subsides financiers venus du
Royaume-Uni, et nous trouvons là la source de toutes les crispations qui n’ont cessé de
perturber les relations entre les méthodistes des deux cotés de la Manche, pendant un siècle
complet.
* Jusqu’en 1852
Nous l’avons vu, le ministère de Charles Cook, mort en 1858, incarne toute la première
période de la présence du méthodisme en France. La mission est difficile, et la GrandeBretagne subvient régulièrement à ses besoins financiers. Après quelques années
d’implantation, de 1819 à 1834, suit une période d’expansion relativement importante,
entre 1834 et 1848. Mais les journées révolutionnaires du printemps de 1848 provoquent
l’arrêt brutal de cette expansion prometteuse, et une troisième période, de repli, conjugué à
des difficultés internes au méthodisme britannique, aboutit à la création de la Conférence
méthodiste française en septembre 185296. Cette indépendance accordée aux Français par
la Conférence britannique n’est toutefois pas sans arrière-pensée. La Conférence
britannique espérait en effet que l’indépendance doperait l’Église méthodiste française et
lui permettrait d’arriver rapidement à l’équilibre financier.
* De 1852 à 1919
96
Voir p. 26.
45
Or les espoirs britanniques seront déçus. Le méthodisme en France peine à prendre
racines. Il reste, et restera jusqu’au bout, dépendant financièrement du Comité
missionnaire
britannique.
Au
lieu
de
doper
le
méthodisme
français,
son
institutionnalisation provoque en effet une sclérose lente et profonde de la puissance
évangélisatrice des débuts. Les pasteurs (surtout Matthieu Lelièvre) commencent à écrire
l’histoire de leur église. Ils allaient autrefois évangéliser les campagnes, or celles-ci se
dépeuplent au profit des villes où les méthodistes pénètrent peu. Les oeuvres (l’Institution
pour les jeunes filles de Nîmes97, la Maison des enfants de Lydie Hocart98, pour ne citer
que ces deux exemples), l’implication des pasteurs hors de leurs Circuits (pastorales de
l’Alliance évangélique, participation aux assemblées du protestantisme, présence aux
rencontres préparatoires à la fondation de la Fédération protestante de France, etc.)
alourdissent l’élan missionnaire de la première période, et empêche l’expansion nécessaire
du méthodisme en France. Le nombre des adhérents ne dépasse les 2000 qu’une seule fois,
en 187099.
Évidemment, ceci n’est pas du goût du Comité missionnaire anglais. La crise reste
quelques temps inexprimée. Elle se manifeste en 1864 où, à l’occasion de la Conférence
française réunie à Nîmes, le président James Hocart lit une communication du Comité
missionnaire de la Conférence britannique :
Le Comité demande que les deux dernières années de loyer de la chapelle de Paris, de
la salle d’école et de la maison du prédicateur qui y sont attenante lui soient payées ; il
déclare qu’on ne doit pas s’attendre à ce que les fonds du Jubilé100 soient éparpillés,
97
Ce pensionnat chrétien pour Jeunes filles a été fondé en 1844 par le pasteur Matthieu Gallienne père au 1
rue de Sauve, à Nîmes. À l’occasion du jubilé de ce pensionnat, le pasteur Jules Guiton a édité un opuscule
qui retrace l’histoire de cette institution méthodiste française particulièrement importante : Anonyme, Jubilé
du pensionnat Évangélique de Nîmes (1844-1894), Nancy, Berger-Levrault et Cie. 1894, 26p.
98
Lydie Hocart est la troisième des quatre enfants du pasteur James Hocart (16 octobre 1812-17 février
1899). Après la rupture de ses fiançailles avec le jeune pasteur Alcide Lagier (qui sombre dans la folie après
avoir été ambulancier pendant la guerre franco-allemande de 1870-1871), elle accueille dans le pesbytère de
son père des enfants abandonnés. Lire : Anonyme, Mademoiselle Lydie Hocart, fondatrice de la Maison des
Enfants, 7 avril 1846 - 25 juillet 1917, Paris, Fischbacher, 1918, 70p.
99
Voir p. 27.
100
Il s’agit des fonds récoltés à l’occasion du cinquantenaire de la Wesleyan Methodist Missionary Society
(1813-1863) : « Le zèle et le dévouement de nos frères méthodistes d’Outre-Manche, à l’occasion du jubilé
semi-séculaire de leur Société des Missions, est aussi pour nous, cette année, un motif de confiance et de
courage. … Le montant de leurs souscriptions est déjà tel, qu’on peut croire qu’il atteindra le chiffre de
cinq millions de francs », AcC 1864, p.20-21.
46
mais qu’ils doivent être concentrés. La Conférence française se prépare un grand
désappointement si elle compte trop sur ces fonds pour faire de nouvelles entreprises.
... Le Comité demande, en outre, si dans des vues d’économie il ne faudrait pas nous
abstenir d’envoyer chaque année un représentant à la Conférence britannique. Il
déclare enfin qu’il n’y a pas lieu pour nous de nous plaindre attendu que nous avons
toujours été traités de sa part largement et généreusement101.
On ne peut être plus cinglant ! Et, « à l’ouïe de cette communication de nos frères
anglais les membres de la Conférence (française) éprouvèrent une sensation douloureuse et
pénible102. » En 1864, le déficit a pourtant augmenté de 10 410 francs !
Les conséquences de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 sont favorables aux
méthodistes français quant à leurs rapports avec l’Église-soeur de Londres. Les
Britanniques, en effet, n’ont pas connu la guerre, et certains pasteurs français se trouvent
coincés en zone allemande. Un grand sentiment de sympathie et de solidarité vient du
Royaume-Uni, qui apporte un peu de baume au coeur des méthodistes français. Mais cet
état de grâce ne dure pas. En effet, lors de deux voyages d’inspection en France, en 1874 et
1875, trois délégués de la Conférence britannique remettent à celle-ci leur rapport. D’après
eux, le méthodisme français stagne pour trois raisons :
- Il manque d’agressivité évangélique,
- Il manque d’autonomie financière,
- Il n’est pas présent dans les grandes villes.
Le Comité missionnaire envoie donc, en conséquence, un projet de résolutions qui est
discuté pendant la Conférence de 1876 réunie à Anduze. Parmi ces résolutions, les
Britanniques proposent la mise en place d’un pôle financier commun aux deux
Conférences. De plus, ils décident d’envoyer en France un nouveau missionnaire chargé de
créer, à coté de l’Église méthodiste en France, un nouveau front d’évangélisation
agressive, avec William Gibson à sa tête.
Le pasteur William Gibson apparaît pour la première fois dans les Actes de la
Conférence de 1872 à Paris : « Le Rev. William Gibson, pasteur de l’Église méthodiste
anglaise, a assisté à quelques séances103. » En effet, depuis les débuts du méthodisme en
101
PvC 1864, p. 360.
102
PvC 1864, p. 360.
103
AcC 1872, p. 2.
47
France, certaines chapelles sont réservées, à Paris, Calais et autres lieux, aux cultes en
langue anglaise pour des méthodistes anglophones. Dès 1877, Gibson prend la direction de
la nouvelle oeuvre d’évangélisation, qu’il va étendre dans la région parisienne et le long de
la vallée de la Seine jusqu’à l’océan. Cette oeuvre prend tout naturellement le nom
d’oeuvre Gibson. Les méthodistes français ne voient évidemment pas cette oeuvre
concurrente d’un bon oeil. Elle représente pour eux à la fois une gêne, une humiliation, et
un désagrément constant. De plus Gibson semble réussir dans son action évangélisatrice, si
bien que la qualité de ses relations avec la Conférence française ne cesse de se dégrader.
Pendant la Conférence de Lausanne de 1887 le Rev. Olver, envoyé de la Conférence
britannique, déclare :
J’ai senti depuis quelques temps qu’il y a quelque chose de troublé dans nos rapports
avec vous, et c’est un devoir pour moi de comprendre ce qui en est. Mr Gibson, dans
toute son action en France, n’a jamais rien fait en dehors de la direction du Comité, et
n’est personnellement responsable de rien104.
Le Rev. Olver invite ensuite chacun des pasteurs à s’exprimer sur ce sujet. Les
comptes-rendus des prises de paroles prennent trois grandes pages manuscrites du cahier
des Actes de la Conférence. Toutes parlent du manque de confiance de la Conférence
britannique vis-à-vis des Français, ce qui a poussé celle-ci à leur infliger la présence d’une
oeuvre concurrente. Toutes insistent sur le fait que W. Gibson ne comprend ni la France ni
les Français, et n’a pas si bien réussi que cela dans son oeuvre d’évangélisation. Bref, pour
résumer la pensée de tous, disons que si W. Gibson partait, tout irait mieux ! Pourtant
l’oeuvre Gibson ne cesse qu’à la mort de son fondateur, en 1895. Elle est alors incorporée
dans la liste des districts de la Conférence française sous le nom du District
d’évangélisation.
Les difficultés vécues par la Conférence française dans ses rapports avec l’autorité
anglaise de tutelle ne se limitent pas à l’oeuvre Gibson. En effet les méthodistes français
subissent, dans la même période, un second orage, plus violent encore que le premier. Le
Rev. Mac Donald, représentant de la Conférence britannique à la Conférence de 1892 à
Ganges, fait devant les pasteurs un discours très pessimiste sur l’avenir de l’oeuvre
missionnaire en France. L’année suivante, à Paris, le Rev. Mac Donald reprend son
104
PvC 1887, p. 942.
48
discours, appuyant ses arguments sur le constat de l’incapacité du méthodisme français à
devenir financièrement viable, il pronostique la fin prochaine de la mission méthodiste en
France. La Conférence française reçoit d’ailleurs, au cours de la même année 1893, de
nouvelles résolutions de la part du Comité missionnaire de Londres. La Conférence
anglaise désire que soit créé « un Comité devant diriger vos oeuvres d’évangélisation qui
doit ... être composé de dix membres anglais contre six français et se réunir
ordinairement à Londres105 ». D’autre part la Conférence anglaise décide de diminuer
progressivement l’allocation annuelle accordée aux Français, à partir du 1er octobre 1895,
d’un cinquième par an pendant vingt ans. L’année 1915 est donc la date fatidique de l’arrêt
total et programmé de toute aide financière extérieure allouée aux méthodistes français.
La Conférence française de 1898 décide de s’appeler désormais Synode. Est-ce une
manière de protestation contre les agissements de la Conférence britannique, et aussi une
manière de se rapprocher du protestantisme français ? D’autre part les Français posent
souvent, et de toutes les manières, cette question : les méthodistes anglais savent-ils qu’ils
ont une mission en France ? En tout cas, pour le Comité missionnaire anglais, il n’y a que
deux glorieux évangélistes ayant travaillé en France : « We glorify the grace of God in all,
and we reverently make mention of His servants Charles Cook and William Gibson 106. »
* La Grande Guerre se solde par un désastre pour le méthodisme français. Non seulement
il perd un pasteur, Bertin Aguillon, mais il en ressort tellement désorganisé que la
Conférence britannique de 1919 décide
Qu’une Commission exécutive s’occupe spécialement de la France. ... Cette
commission est composée :
- des membres du Bureau de France,
- d’un nombre égal de membres en Angleterre, élus annuellement par le Comité
général de la Société des Missions, et comprenant l’un des trésoriers chargé de
l’oeuvre en France.
Elle veillera aux intérêts du méthodisme français et conseillera le Comité général
au sujet de toute action nécessaire107.
105
PvC 1893, p. 1112.
106
G. G. FINDLEY - W. W. HOLDSWORTH, op. cit. p. 459.
107
AcC 1919 p. 11.
49
La Conférence britannique reprend donc la direction de l’oeuvre méthodiste en France
et « Le Synode de l’Église Évangélique Méthodiste de France ... déclare accepter le
modus vivendi proposé par les représentants du Comité et est résolu à en faire un essai
loyal108. » Les vingt années qui suivent ne changent guère les dispositions prises en 1919,
et le méthodisme français se dissout, majoritairement, dans l’Église Réformée de France en
1939, avec l’approbation totale de la Conférence anglaise enfin débarrassée, oserons-nous
dire, du boulet qu’a représenté pour elle, pendant 120 ans, la mission méthodiste en
France.
2 - 3 - 3 - Le désir de mission109 des méthodistes français.
« Le méthodisme est missionnaire par tradition. En vertu de son génie agressif on le
trouve partout110. » Les prédicateurs venus au début du XIXe siècle en France confirment
ces paroles du Rev. Mac Donald prononcées devant la Conférence française réunie du 15
au 22 juin 1893 à Paris. Prenons quelques exemples significatifs de ce désir de mission qui
anime les méthodistes en général et les méthodistes français en particulier.
* Charles Cook en Palestine
Charles Cook reste l’un des plus bel exemple de ces prédicateurs-pionniers, dans son
action évangélisatrice au sein du protestantisme français. Pourtant son désir de mission ne
s’arrête pas à la France. Aussi, lorsque le Comité des missions de la WMMS lui propose,
dans une lettre datée du 4 septembre 1823, d’entreprendre un voyage d’exploration
missionnaire en Palestine, le vaillant missionnaire n’hésite pas. Après une tournée d’adieux
dans les différentes sections méthodistes du Midi, il part le 25 novembre de la même
année. Il arrive à Beyrouth le 20 mars 1826, puis à Jérusalem le 4 avril. Et, « afin de
pouvoir plus facilement entrer partout et se mettre en relations directes avec les habitants,
il quitta le costume européen, s’habilla à la turque, et accompagné d’un drogman, qui lui
108
AcC 1919 p. 10.
109
Les méthodistes français se savent issus de la mission des méthodistes britanniques en France. Leur
vocation évangélisatrice trouve donc, dans le désir de partir à leur tour en mission, une motivation suffisante
pour réveiller les peuples, contre l’assoupissement lié à l’institutionnalisation.
110
PvC 1893, p. 1117
50
servait à la fois de guide et d’interprète, il commença ses tournées 111 » (de plus, dès le 13
avril Charles Cook part en randonnée pour visiter les grands sites palestiniens : la mer
Morte, le Jourdain, Jéricho, Bethléem). « Sa mission d’enquête était terminée ; il avait pris
tous les renseignements possibles ; son temps était trop précieux pour qu’il s’arrête
davantage loin de sa chère oeuvre de la Vaunage112. » Il part donc et retourne à Beyrouth
en longeant la côte palestinienne. Après une visite chez les Druzes, il prend en juin le
chemin de Damas. Mais une lettre lui apprend le décès subit de sa mère : il décide de
rentrer en Europe. Le voyage de retour dure huit mois, de juillet 1824 à mars 1825, car
Cook visite successivement Alexandrie, Smyrne, les côtes grecques et italiennes, Rome.
Pendant le voyage de retour, une lettre est envoyée à Cook de la part du Comité
missionnaire, qui lui dit :
... Nous devons vous avouer que la nouvelle de votre intention d’aller à Damas et à
Alep, et ensuite de revenir en Europe par Smyrne, nous inquiète. Vous auriez tout-àfait l’air d’avoir simplement fait un voyage de curiosité, et nos amis d’Angleterre en
seront fort mécontents ...113.
C’est évidemment ce qui se produit au retour de Charles Cook à son poste. Les échanges
de correspondance entre l’Angleterre et la Vaunage sont peu amènes tout en restant
courtois :
Vous avez l’air de faire des plaintes par rapport à votre poste actuel. Qui donc pense à
l’abandonner ? Vous l’avez rêvé. Seulement, si vous restez, il faudra que ce soit dans
une sphère moins étendue. Nous mettrons fin à de longues excursions en dehors des
limites de votre circuit, car nous ne pouvons permettre des dépenses considérables
pour des voyages dont il ne peut résulter que peu de bien. Il est facile d’acquérir
l’habitude d’aller de lieux en lieux ; mais cette habitude, bonne jusqu’à un certain
point, est mauvaise quand on la porte à l’excès114.
Cette admonestation à peine fraternelle de Richard Watson, membre du Comité des
111
J. P. COOK, Vie de Charles Cook, 1e partie, p. 163.
112
Ibid. p. 171.
113
Ibid. p. 190.
114
Ibid. p.195-196.
51
missions, montre bien à quel niveau se situe le désaccord entre l’action de Charles Cook, et
ce qu’en espérait le Comité missionnaire. Pour celui-ci, Cook devait fonder une mission en
Palestine. Or Charles Cook n’a fait qu’en explorer les possibilités, n’ayant ni le temps ni
les moyens de fonder quoi que ce soit. Nous retrouverons cette impatience des
commanditaires méthodistes français de la mission en Kabylie lors de l’envoi du premier
missionnaire qui, avant son installation à Il Maten, leur semblait faire du tourisme !
* Les appels extérieurs
Les méthodistes français reçoivent plusieurs appels de l’étranger pendant tout le XIXe
siècle. Mais aucun n’est suivi d’effet, à cause d’un manque soit de pasteurs disponibles soit
de moyens financiers. C’est ainsi qu’en 1861-1862 la Conférence britannique propose à
leurs homologues français de prendre en charge l’Église méthodiste francophone d’Haïti.
Mais « le président (de la Conférence française, James Hocart) pense qu’il est impossible
pour le moment de rattacher cette mission à notre Conférence115 ».
Lors de la Conférence de 1866 qui se tient à Anduze, lecture est faite d’une lettre d’un
correspondant canadien demandant à la Conférence d’envoyer au Canada un pasteur pour
les fidèles de langue française. L’ambiance dans laquelle a été reçue cette demande est
significative :
Plusieurs frères voient dans cette ouverture quelque chose de providentiel. Nos
troupeaux manquent jusqu’ici d’une oeuvre missionnaire à laquelle ils se sentent liés
directement et à laquelle puissent se vouer ceux de nos jeunes membres qui se
sentent appelés à évangéliser les païens116.
Pourtant en fin de compte les Français répondent à leurs coreligionnaires canadiens
qu’ils leur enverront un pasteur dès qu’ils le pourront. Et ils n’en trouveront jamais la
possibilité.
Le dernier appel exotique vient de Russie, en 1870. Mais les méthodistes français ne
sont pas du tout en état de fonder une mission aussi loin.
115
PvC 1862, p. 307.
116
PvC 1866, p. 431.
52
* Les missions en France
Malgré l’impossibilité de fonder des missions lointaines, nous avons vu que le désir de
mission reste intact. Les méthodistes français s’orientent alors vers des cibles
missionnaires plus proches et plus accessibles, dans la France catholique. Dans un premier
temps, ils tentent de s’installer en Corse et, plus tard, en Bretagne et en Savoie.
- La Corse
La mission en Corse a été fort bien étudiée par Jacques-André Bonini dans son mémoire
de maîtrise en théologie117, auquel nous renvoyons les lecteurs qui voudraient approfondir
ce sujet. Nous avons déjà signalé le désir de Charles Cook de trouver les moyens de faire
pénétrer l’Évangile en Italie. Les Vallées Vaudoises semblaient pouvoir être la porte de
Rome, mais nous l’avons vu, il n’en a rien été. En 1852, l’année même de la création de la
Conférence française, le pasteur Cambon (dont nous ne savons rien par ailleurs 118) propose
d’entrer au service de celle-ci avec les fidèles de Nice qu’il dessert. Cette proposition est
complétée opportunément par l’offre de 5000 fr. donnée par les méthodistes épiscopaux
américains en vue d’une année d’essai d’évangélisation à Nice. Le président Cook décide
de visiter ce poste qui s’offre ainsi à la Conférence française. Mais Charles Cook revient
déçu de sa visite. Nice ne sera pas non plus la porte de l’Italie. Plutôt la Corse ! La
Conférence de 1853 (à Paris) décide de dissocier les problèmes posés par le pasteur
117
Jacques-André BONINI, Le Méthodisme wesleyen en Corse. Pour servir à l’histoire du protestantisme
corse sous le Second Empire, Paris, Institut Protestant de Théologie, Mémoire de Maitrise appliquée, 2001.
118
D’après Myriam ORBAN, La religion des aristocrates dans le comté de Nice et les Alpes-Maritimes au
XIXe siècle, Nice, Culture Sud, 2010, 271p. « Gaston Cambon arrive à Nice, il vient de l’Ouest de la
France. Ce dernier fait partie des pasteurs qui s’étaient réunis pour la constitution de l’Union des Églises
évangéliques de France en 1849 ». Pourtant Myriam ORBAN, dans Être protestant au XIXe siècle dans le
comté de Nice et les Alpes-Maritimes, Institut Protestant de Théologie, mémoire de Master 2 Recherche,
2010, donne à ce pasteur le prénom de Gustave. Or Gustave Cambon est connu de André ENCREVÉ,
Protestants français au milieu du XIXe siècle. Les réformés de 1848 à 1870, Genève, Labor et Fides, 1986, et
de Daniel ROBERT, Les Eglises Réformées en France (1800-1830), Paris, PUF, 1961, 632 p. Et, d’après ces
deux auteurs, Marc-Gustave Cambon est né à Lacaune (Tarn) en 1804. Il est consacré pasteur en 1828 dans
sa ville natale, et occupe le poste de Marennes jusqu’à sa démission en 1870. De tendance républicaine, il
vote contre le candidat Louis-Napoléon Bonaparte en 1848 et est candidat républicain à Marennes en 1849.
Gustave Cambon est le rédacteur du journal Le Catholique apostolique et non romain qui paraît à Marennes
de 1839 à 1853. Il démissionne de l’ERF en 1849 à la suite de Frédéric Monod dans la fondation de l’Union
des Églises évangéliques, mais revient très vite dans l’Église officielle. Nous sommes donc, à Nice, en 1852,
en présence du pasteur Gaston Cambon, dont nous n’avons trouvé trace nulle part ailleurs !
53
Cambon et par le poste de Nice. Une Commission italienne est mise en place, avec Charles
Cook, Jean-Louis Rostan, Matthieu Gallienne et François Farjat119, en vue d’évaluer la
validité de placer Cambon - en tant que proposant - à Nice120.
L’année suivante la Conférence française reçoit un appel de Corse, provenant d’un jeune
homme nommé Rimattéï (ou Rimathéï). Cet appel est accompagné d’une pétition signée
par un certain nombre de convertis de Bastia. En outre François Farjat a déjà écrit un
mémoire sur le sujet. Tout le dossier est confié à la Commission italienne, entre les mains
de laquelle la Conférence remet aussi le cas de Nice et celui de Cambon. La Commission
italienne soumet son rapport à la Conférence de Nîmes, en 1864. Ses trois conclusions sont
adoptées par l’assemblée121 :
- La Conférence ne donne aucune suite au projet d’implantation d’une mission
méthodiste à Nice, et refuse d’intégrer M. Cambon dans ses rangs.
- Elle préfère orienter toute son énergie missionnaire sur la Corse, par sa présence à
Bastia.
- Cette présence pourrait être celle de Rimatteï, à condition que celui-ci accepte de faire
quelques études.
L’année 1855 est déterminante pour l’implantation de la mission en Corse. L’assemblée
du District du Midi se réunit à Nîmes le 19 juillet. En marge de cette assemblée, deux
commissions travaillent, l’une sur Rimatteï, l’autre sur Cambon. La première a pour but de
régler le contentieux qui s’est créé entre François Farjat et Rimatteï. Les deux hommes ne
s’entendent pas du tout et il faut à tout prix éviter de les faire travailler ensemble. Il est
donc nécessaire d’éloigner Rimatteï, mais celui-ci décide alors de quitter l’oeuvre
119
Ce pasteur français, mort à 42 ans, a fait l’effet d’un météore dans le ciel du méthodisme français. Il est né
à Saint-Cyr, près de Lyon, en 1814. Sa famille d’origine janséniste déménage à Paris en 1821 et il la suit. Sa
conversion date de 1830, et « deux ans plus tard il entra à la Maison des Missions de Paris, mais l’état de sa
santé l’obligea de la quitter un an après … puis (en 1836) il est employé par la Société Évangélique qui le
place à Bar le Duc pendant cinq ans » (AcC 1856 p. 7-9). On le retrouve à Bruxelles, puis Paris, où il
rencontre William Toase qui le conduit au méthodisme. La Conférence anglaise l’accepte la même année et
le place dans le circuit de Nîmes, Montpellier et Vaunage. Il y reste jusqu’en 1847, et est rentré en 1848 à
Nyons pour desservir la Drôme et les Hautes-Alpes. En 1853, il est au Vigan, en 1854 à Marseille d’où ilpart
en Corse, et en 1856 à Nîmes où il meurt le 26 février de la même année, « à la suite d’une inflammation de
la poitrine et d’une fièvre cérébrale » (M. LELIÈVRE, Vie de Charles Cook, 2e partie, p.327). Il écrit
plusieurs ouvrages, dont : L’Esprit et les tendances des chrétiens surnommés méthodistes, lettre à mes
lecteurs Paris / Valence, Grassart / Courbier, 1852 ; La Société Méthodiste-Wesleyenne fondant une
nouvelle mission ou récit d’un voyage entrepris par M. Freeman chez les Badagriens, les Abokutéens et les
Dahomiens, peuples de la Guinée supérieure, Paris, chez Delay, 1843.
120
AcC 1853, p. 12.
121
PvC 1854, p. 63
54
méthodiste et de rentrer en Corse pour continuer seul l’oeuvre déjà entreprise122. De son
coté la commission chargée de M. Cambon propose à celui-ci de devenir simple
évangéliste salarié de la Conférence française, sachant qu’il ne sera jamais pasteur
méthodiste. Cambon refuse cette proposition qu’il juge humiliante, et se retire123. Le
pasteur Philippe Neel124 est alors envoyé à Bastia comme pasteur méthodiste pour la
Corse. La description que donne les Actes de la Conférence de 1855 est significative de la
manière dont les méthodistes voient la Corse :
C’est un pays magnifique pour ses productions et son climat, mais les convictions
religieuses et la vie chrétienne y sont à zéro. Quoique aujourd’hui l’oeuvre à Bastia
soit peu développée, cependant nous regardons ce poste comme très-important ; en
face de l’Italie, à moitié chemin de Rome, ce sera plus tard, nous l’espérons, un centre
d’où rayonnera la vérité pour plusieurs endroits plongés dans la superstition et
l’idolâtrie125.
Philippe Neel reste à Bastia jusqu’en 1858, non sans avoir demandé plusieurs fois et
sans succès de déplacer sa résidence de Bastia à Marseille, en laissant un évangéliste en
Corse. Car l’évangélisation de la Corse s’avère difficile : problèmes de langue,
appartenance traditionnelle des Corses à un catholicisme particulièrement ritualiste mais
structurant profondément une société aux moeurs violentes, font que les obstacles
s’accumulent devant le travail du pasteur méthodiste. À part quelques succès à Bastia
122
AcM 1885, p. 39-40.
123
AcM 1855 p. 41-42.
124
Matthieu Lelièvre consacre trois lignes de son livre Histoire du Méthodisme dans les Iles de la Manche à
ce pasteur provenant de Jersey, et entré dans le ministère en 1840. Ce pasteur eut pourtant une carrière
missionnaire particulièrement riche et intéressante. Issue d’une famille de Huguenots très pratiquants,
Philippe Neel naît à Jersey en 1815. Il commence par être nommé proposant par la Conférence et envoyé à
Alais, en 1840. Il passe l’année 1841 en Cévennes avant d’être muté à Nyons pour desservir la Drôme et les
Hautes-Alpes. Il y reste pendant dix ans, jusqu’en 1851. En 1852, il est en Vaunage-Gardonnenque, entre
Anduze et Nîmes. Puis il va à Lasalle pour deux ans. En 1855, il est à Marseille, prêt pour partir en Corse où
il s’installe, à Bastia, de 1856 à 1858. Il retourne à Alais (1859-1865) puis à Uzès (1866-1871) avant d’être
mis à la retraite en 1872. Il s’installe à Saint-Laurent-d’Aigouze où il continue, malgré les infirmités qui
commencent, à évangéliser les villages environnants. En 1891, il habite chez sa fille à Nîmes, où il meurt le
19 novembre 1892. Philippe Neel disait de lui même qu’il était avant tout un pasteur missionnaire. Ce fut le
cas en Corse, mais aussi dans un autre aspect de son ministère : il écrivait aux condamnés à mort, pour les
inviter à la conversion, à l’égal du mauvais larron sur le Golgotha. Bibliographie : AcC 1893, notice
nécrologique.
125
AcM 1855 p. 34.
55
même et à Cervione, la mission végète et ne s’agrandit pas. Philippe Le Gresley126
remplace Philippe Neel en 1859 suivant le sacro-saint principe wesleyen de l’itinérance.
Dans le cas de Bastia, ce changement brutal de pasteur ne favorise pas la bonne marche de
la mission. Philippe Le Gresley est remplacé à son tour, en 1862, par le jeune et maladif
Palmyre Laporte127. Celui-ci meurt l’année suivante à Bastia et, depuis 1863, dans les
Actes des Conférences, on peut lire à propos du poste de Bastia : À pourvoir. L’oeuvre
corse est momentanément suspendue en 1864, le mobilier du presbytère rapatrié, et
l’évangéliste qui était resté en place, M. Fabre, est licencié. Il n’y a plus personne en
Corse, comme le prouve cet appel désespéré d’un méthodiste corse, en 1867, qui demande
à la Conférence le retour des méthodistes en Corse. Mais la ville de Bastia disparaît
définitivement de la liste des stations méthodistes en 1868.
- La Bretagne
William Gibson meurt en 1895. La Conférence décide alors de reprendre l’oeuvre
Gibson à son compte, et fonde à sa place un District d’évangélisation avec Georges
Whelpton à sa tête, qui durera jusqu’en 1898 date à laquelle ce District sera incorporé dans
le District du Nord. La Conférence accepte en outre l’offre de Lady Beauchamp 128, et
reprend l’oeuvre d’évangélisation des marins qu’elle avait initié à Honfleur. Poussé par le
126
Philippe Le Gresley nait en 1825 à Jersey. Après sa conversion (à l’âge de 13 ans) il devient moniteur des
Écoles du dimanche, puis prédicateur laïque. Philippe Guiton l’appelle pour la Normandie, et Le Gresley
s’installe en France. Où il poursuit son ministère jusqu’à la retraite en 1868. Après une longue maladie, il
meurt le 21 janvier 1881. Voir AcC 1881, p. 7-8.
127
Palmyre Laporte est né au Vigan en 1827. Il est converti par l’action de Jean Lelièvre, mais retombe dans
le doute. Il est alors reconverti sous le ministère de Philippe Le Gresley, cette fois pour de bon. Il se consacre
au ministère, est reçu comme proposant en 1856, et est placé successivement à Bourdeaux, Congénies,
Codignan, Vauvert. Mais sa santé se dégrade, et il meurt en Corse, trois mois après y être arrivé, le 7
novembre 1862. Il avait 35 ans.
128
« La sœur de Lord Rastock, Caroline (1826-1898), avait épousé en 1852 Sir Thomas Brograve, Lord
Proctor-Beauchamp, dont elle était veuve depuis 1874. Elle consacre la fin de sa vie, comme son frère cadet,
à l’évangélisation. Elle parle facilement la langue française, et est donc parfaitement à l’aise de ce coté de la
Manche. On ne connaît pas les raisons qui expliquent son installation au Havre … En 1881, Lord Rastock
et Lady Beauchamp persuadent leur ami le compte Bobrinsky, ancien ministre de la marine russe, d’utiliser
son yacht, l’Annie, pour une campagne d’évangélisation à Honfleur. Leurs réunions obtiennent quelques
succès. L’année suivante, le yacht est mis à la disposition de la mission (méthodiste) parmi les pêcheurs et les
marins, basée à Gosport. Son directeur, Charles Cook (Carluer s’est trompé : le directeur de la mission
méthodiste au Havre est à ce moment-là William Gibson) organise une tournée sur les côtes de la Manche,
comprenant une importante escale au Havre et à Rouen … » Jean-Yves CARLUER, « Le Havre, berceau de
modernité religieuse protestante à l’aube du vingtième siècle ? » in Jean-Yves CARLUER dir.,
L’évangélisation. Des protestants évangéliques en quête de conversions, Charols, Excelsis, Coll. “Collection
d’études sur le Protestantisme Évangélique”, 2006, p. 36-37.
56
Comité missionnaire d’Outre-Manche, les méthodistes français décident d’envoyer, à partir
des bases normandes, une mission parmi la population catholique de Bretagne. Ils
installent un évangéliste dans la banlieue de Saint-Malo, à Saint-Servan. La mission se
développe, petitement. Le pasteur Isaac-H. Grey129 remplace l’évangéliste dès 1901 et y
reste deux ans ; Édouard Gallienne130 lui succède en 1902. En 1906 les Actes stipulent que
le Circuit Bretagne contient deux stations : Saint-Servan avec Édouard Gallienne et SaintBrieuc desservi par le jeune pasteur Jean Scarabin131. Le travail n’est pas facile pour nos
pasteurs, mais la mission est prometteuse. Ainsi, à Saint-Servan,
Tout le monde sait la grande épreuve qui a visité cet hiver la ville de Saint-Servan et
en particulier notre petite Église à l’occasion du naufrage de l’Hilda. Le mari de
l’organiste et une partie de l’auditoire a disparu dans les flots. Pendant deux mois
que la mer a rejeté les cadavres sur la côte, notre collègue a été mêlé aux plus
lugubres angoisses. Sa santé en a été fortement ébranlée mais, grâces à Dieu, ses
forces et sa voix lui ont été graduellement rendues. … À Saint-Brieuc, une
seconde salle a été ouverte dans un village de pêcheurs près de Saint-Brieuc. Le culte
du matin à Saint-Brieuc réunit 25 à 30 personnes132.
Pendant les années qui suivent, la mission progresse vers l’Ouest le long de la côte:
Guingamp, Lannion, Perros-Guirec, Trebeurden. Elle devient mission bretonne en 1927,
animée annuellement par quatre à cinq pasteurs et évangélistes. En 1930 Jean Scarabin
entame une mission itinérante. Enfin on apprend, dans les Actes du Synode de 1935
129
Isaac H. Grey est d’origine anglaise. Il est admis au proposanat en 1881, et placé à Guernesey. Mais il ne
s’entend pas avec son surintendant, étant d’humeur trop indépendante. Il rentre en France et s’engage comme
évangéliste auprès de G. Welpton. Il finit par accepter les cadres ecclésiologiques de l’Église méthodiste et il
est consacré comme pasteur en 1895. Il est en poste à Nancy (1895-1897), Jersey (1898-1899), Saint Servan
(1900-1901), et Dieulefit jusqu’en 1907. Son épouse et lui sont atteint de la même maladie et ils meurent tous
deux à quelques heures d’intervalle au début de février 1907. (AcC 1907 p. 51-53 : Notice biographique).
130
Fils de Matthieu et frère de Matthieu, Édouard Gallienne entre dans le ministère en 1867, où il est placé à
Nîmes. De 1869 à 1871 il est à Sauve, puis à Uzès jusqu’en 1878. De 1879 à 1884, il dessert Le Vigan, puis
de 1885 à 1891, Codognan-Le Caylar. Il passe deux ans à Anduze et Sauve, avant de quitter le Midi pour
Calais, où il reste jusqu’à sa retraite en 1907. Il reste pourtant actif, puisqu’il dessert le poste de MalesherbeÉpinette, à Paris, au moins jusqu’en 1914. Il meurt pendant la guerre 1914-1918.
131
D’après la base de donnée du site informatique recensant les pasteur, Jean Scarabin serait né en Bretagne
avant 1886, et serait mort après 1952. Selon les Actes des Conférences, nous pouvons ajouter qu’il a été
reconnu comme proposant en 1906, et placé à Saint Brieuc. Il reste à Lannion-Perros de 1908 à 1914.
Pendant la guerre, nos ne pouvons rien dire, mais nous le retrouvons à Thiers en 1919, auVigan en 1920 et à
Saint Brieuc de 1921 à 1937. Il est à Nancy en 1939, et passe avec son Église à l’ERF. Il est l’artisan majeur
de la mission méthodiste en Bretagne.
132
AcC 1906, p.53.
57
(Nancy), que les méthodistes possèdent une chapelle à Saint-Brieuc et une autre à SaintServan. En 1939, à la page 18 des derniers Actes du Synode méthodiste français, on peut
lire à propos de l’affiliation des Églises :
Le Synode autorise, après confirmation de sa dissolution par la Conférence
britannique, les Églises dont les noms suivent à s’affilier définitivement à l’E.R.F. :
Paris-Les Ternes, Montreuil, Levallois, Asnières, Calais, Le Havre, Saint-Servan,
Saint-Brieuc, Perros-Guirec, Lannion, Thiers, Bourdeaux, Livron, Le Vigan. Le
Synode autorise, en outre, les Églises du Havre, de Lannion et de Perros-Guirec à
s’affilier à la Société Centrale Évangélique.
La mission bretonne n’a jamais été très importante, mais elle a résisté au temps, et est à
l’origine d’un retour du protestantisme en Bretagne.
- La Savoie
Pour clore ce chapitre sur le désir de mission des méthodistes français, citons encore le
cas d’une autre mission en territoire catholique, en Savoie. Le jeune Émile Ullern est
proposant à Nîmes en 1901. Devenu pasteur, et compte tenu de son charisme très puissant,
il « est mis à part pour visiter les Églises en vue du Réveil133. » Ullern est placé à Dieulefit
en 1909, où il réside tout en restant mis à part. Avec les deux présidents des Circuits du
Nord et du Midi, il forme un corps d’avant-garde et part commencer une oeuvre
d’évangélisation en Savoie. Il demeure à Annecy de 1910 à 1920. Voici quelques
nouvelles de la mission en Savoie, tirées des Actes du Synode de Paris tenu en 1919 :
Le café de tempérance de Scionziers est resté ouvert et a fait du bien pendant la
guerre. Si le poste d’Annecy a été momentanément fermé pendant les hostilités, il y
a lieu de noter, à Cluses, la participation à une oeuvre de rééducation par la
formation et l’entretien d’un foyer de 50 mutilés.
En 1921 Émile Ullern s’installe à Chambéry pour deux ans. Dès 1923 il « est laissé sans
charge pastorale afin de pouvoir continuer son ministère d’évangélisation et de réveil 134 ».
133
AcC 1906, p. 8.
134
PvC 1923, p. 5
58
À cette date, la station Savoie disparaît des Actes : la mission en Savoie s’éteint avec le
départ de son fondateur. En 1926, Émile Ullern est cédé provisoirement à l’Église Libre de
Bordeaux. Mais le provisoire devenant chronique, le Synode de Nancy (du 11 au 14 juin
1929) annonce que :
ayant constaté, avec une profonde douleur et une grande inquiétude, la liste toujours
plus longue des pasteurs qui ont pris la responsabilité pour divers motifs, de quitter
le ministère actif dans notre Église, il décide de n’accorder de congé que pour les
motifs suivants :
a) Maladie ou état de santé défectueux ;
b) Cession à des oeuvres nettement reconnues par le Synode comme étant
d’intérêt général et interecclésiastique ;
c) Cession à l’oeuvre missionnaire en pays païen.
En fonction de cette décision, Émile Ullern est considéré comme démissionnaire dès
1930, et la mission en Savoie n’aura en définitive été qu’un bref feu de paille.
* Les autres activités missionnaires dans le monde
Au début du XXe siècle, au moment où la colonisation et l’essort missionnaire sont au
zénith, plisieurs pasteurs méthodistes français participent d’une manière ou d’une autre à
l’activité de sociétés missionnaires étrangères à l’Église méthodiste française. Nous n’en
citerons que deux qui appartiennent à la période que nous étudions (jusqu’en 1919), mais
d’autres suivront.
Ainsi, en 1909, deux jeunes gens sont « consacrés au saint ministère ». Il s’agit de
Jules-Philippe Guiton et de Jean-A. Mesnard :
Jules-Philippe Guiton et M. J. Mesnard, un de nos proposants, se sentent appellés à
l’œuvre missionnaire en pays païen. M. Guiton entrera au sevice de la Société des
Missions de Paris, et M. Mesard deviendra l’agent de la Société Biblique Britannique et
Étrangère pour la Sénégambie et le Soudan français. Vous cmprendrez, chers frères et
sœurs, nos regrets en voyant s’éloigner de notre champ de travail ces deux jeunes
collègues ; mais vous vous sentirez honorés avec nous de la vocation qu’ils ont reçu du
Maître de la moisson, à aller tenir le drapeau de l’Évangile et combattre le bon combat
au milieu des païens. Ils mettent ainsi en pratique la recommandation du fondateur du
59
méthodisme, d’aller non seulement vers ceux qui ont besoin de nous, mais surtout vers
ceux qui en ont le plus besoin135.
Nous pouvons suivre quelques temps la trajectoire de Mesnard grâce à la
Correspondance fraternelle et aux Actes des Conférences successives. En janvier 1910 il
est de passage à Tanger, sur la route du Sénégal. Il arrive à Saint-Louis en avril, et on le
retrouve à Dakar en octobre de la même année. Mais, en mars 1909, il est à Bamako où il
annonce son retour pour la France. À partir de ce moment nous perdons sa trace, ne
sachant même pas ce qui a poussé ce pasteur, pourtant heureux de sa vocation, à quitter
aussi rapidement son poste à la Société Biblique Britannique et Étrangère.
L’engagement missionnaire de Jules-Philippe Guiton est beaucoup plus sérieux. C’est à
Nancy où il est placé qu’il reçoit l’appel missionnaire. Il part de Southampton le 13 janvier
1912 à destination de Likhoblé (Basoutoland) où il arrive le 21 février de la même année.
Nous savons qu’il y reste jusqu’à sa mobilisation en 1914. Il est tué en 1917, et le JME136
de cette année-là contient une importante notice biographique de ce missionnaire
méthodiste mis au service de la SMEP.
Conclusion de la première partie
Nous espérons avoir démontré, tout au long des pages précédentes, l’intérêt profond,
originel, constitutif, des méthodistes (britanniques comme français) pour la mission. Nous
pensons aussi avoir décrit l’extrême faiblesse de la mission méthodiste britannique en
France, et de l’Église méthodiste française qui lui a succédé. Cette fragilité congénitale,
due aux faibles effectifs et, partant, à l’impécuniarité récurrente, ne permet pas
d’entreprendre des actions évangélisatrices de grande ampleur. Le méthodisme français
reste, tout au long de ses 120 ans de présence dans le paysage religieux de la France,
cantonné dans les régions protestantes où Charles Cook a pénétré dès le début du XIX e
siècle : en Vaunage et dans la Drôme, avec une tête de pont à Nîmes et une autre à Paris. À
part une brève et pauvre réussite en Bretagne, les autres tentatives de mission en territoire
catholique n’ont pas eu de succès sur le long terme.
Or ces mêmes méthodistes français se sont lancé dans la plus difficile et la plus
135
AcC 1909, p. 39.
136
JME 1917, p. 315 à 323.
60
improbable des entreprises missionnaires : partir évangéliser des musulmans. Une mission
en terre d’islam ! Comment ont-ils pu, avec leurs faibles moyens en hommes et en argent,
faire mieux que ce que d’autres, plus puissants, n’ont pas fait en Kabylie ? Nous y
reviendrons, mais nous pouvons déjà affirmer que la mission méthodiste française en
Kabylie n’a été possible que grâce à la motivation extrême des méthodistes, pasteurs et
fidèles, en vue de l’évangélisation, pour apporter à tous le salut par la foi en Christ. Tout
méthodiste est d’abord un missionnaire.
61
Deuxième Partie
MISSION EN KABYLIE
1 - Le mythe kabyle
1-1- La Kabylie
1-1-1- Géographie
Le mot kabyle viendrait, selon plusieurs auteurs, de l’arabe qabila qui est un pluriel
signifiant tribus. La Kabylie est donc le nom récent donné à la région qu’habitent les gens
des tribus. La Kabylie est cette région montagneuse du nord de l’Algérie, bordée par la
mer, qui s’étend entre Alger et Constantine, cernée au sud par Bouira, Bordj-Bou-Arreridj
et Sétif, et sur la côte méditerranéenne, par Dellys, Bejaïa et Jijel.
Les géographes des XIXe et XXe siècles découpent la Kabylie en deux parties, séparées
par la large vallée de l’Oued-Sahel, appellée la Soummam dans sa partie proche de
l’embouchure. À l’ouest, la Grande Kabylie, dont la ville importante et centrale est Tizi
Ouzou, est en fait la partie la plus petite en surface, mais la plus haute et la plus peuplée.
Elle occupe l’espace entre la mer, au nord, et la longue chaîne montagneuse du Djurdjura
au sud. La Petite Kabylie, quant à elle, s’étale à l’est de la Soummam, entre les deux
massifs des Bibans au sud et des Babors au sud-est. Entre Bejaïa et Jijel la route suit la
Corniche kabyle. La ville importante de la Petite Kabylie est le port de Bejaïa, qui est aussi
la plus grande ville de toute la Kabylie. À noter que les Kabyles actuels ne font plus cette
ancienne distinction entre grande et petite Kabylie : pour eux la Kabylie forme un
ensemble homogène.
Le climat est méditerranéen, mais devient beaucoup plus rude dès que l’on prend de la
hauteur.
1-1-2- Éléments historiques
La population, très dense en Grande Kabylie, parle une langue berbère. Elle se
62
concentre dans de nombreux villages perchés sur les crêtes et difficiles d’accès. La Kabylie
est peuplée depuis la plus haute antiquité par des populations afrasiennes venues de l’est.
Les Romains appelaient ces montagnes Mons ferratus, la Montagne de fer. Le
christianisme s’installe dans la zone romanisée, surtout le long de la côte, dans les cités.
D’après Gilbert Meynier137, « à l’époque d’Augustin (évêque d’Hippone, l’actuelle
Annaba, né à Souk Ahras, l’antique Thabaste, en 354) avec 600 évêchés, l’Afrique du
nord chrétienne était la région qui comptait la plus forte densité de sièges épiscopaux du
monde romain ». Mais l’Empire romain d’Occident s’effondre définitivement en 476,
lorsque l’hérule Odoacre dépose le dernier empereur, le fragile Romulus augustulus. Or
entre temps, dès 429, les Vandales, déjà installés dans l’actuelle Andalousie, déferlent sur
l’Afrique romaine, et prennent Hippone en 430. Augustin meurt pendant le siège de sa
ville. Les Vandales restent jusqu’à ce que le célèbre général Bélisaire, chef des armées de
l’empereur Justinien de Byzance, parte à la reconquête des anciennes provinces d’Afrique
de l’ouest, en 533. Pourtant, et malgré un système défensif particulièrement important, les
Byzantins sont à leurs tours délogés par les Arabes qui, au bout de nombreux raids
dévastateurs (en 645-646, 656, 670 avec la fondation de Kairouan, 695) atteignent l’océan
Atlantique en 705. La fin du VIIe siècle est toutefois marqué par une forte résistance des
tribus berbères : d’abord avec le chef local Kusayla, tué en 686, et surtout avec la mythique
Kâhina, une combattante berbère des Aurès. En 710 tout le Maghreb est aux mains des
Arabes. Le christianisme ne disparaît pourtant pas aussitôt. Toujours d’après Gilbert
Meynier, notre auteur de référence sur ce sujet138, « la chrétienté d’Algérie, qui portait
assez fortement la marque de son existence citadine, se réfugia entre les murs des cités qui,
elles-mêmes, glissaient insensiblement du christianisme à l’islam. Ce glissement dut sans
doute durer près de cinq siècles pour parvenir à son terme ». Après la conquête du
Maghreb par les Almohades venus du Maroc (XIIe et XIIIe siècles), il ne reste quasiment
plus de chrétiens en Afrique du Nord.
Pourtant, la disparition en cinq siècles de 600 évêchés ne signifie pas automatiquement
que le christianisme ait été partout profondément implanté, particulièrement dans les
137
Gilbert MEYNIER, “Le passage du christianisme à l’Islam en Afrique du Nord VII e - XIIIe siècle”, in
Dominique BORNE-Benoit FALAIZE dir, Religions et colonisation, Afrique - Asie - Océanie - Amériques,
XVIe - XXe siècles, Paris, Les Éditions de l’Atelier / Éditions ouvrières, 2009, p. 129.
138
Ibid. p. 128 à 151.
63
régions berbères. Le christianisme était bien présent dans les cités de la sphère d’influence
romaine, mais rien ne permet d’en dire autant pour les villages des montagnes de Kabylie
ou des Aurès. Gilbert Meynier fait remarquer en effet139 qu’on ne trouve en Algérie aucune
trace du Christianisme comme on peut en repérer en Égypte et en Orient : ni érémitisme, ni
présence de chrétiens dans l’administration arabe, ni traduction de la Bible en dialecte
berbère (l’Amazigh). De plus le passage d’une religion à une autre a pu se faire sans
difficulté :
Il est à parier que nombre de croyants durent penser qu’ils avaient affaire à une forme
humaine renouvelée d’un monothéisme déjà familier. En tout cas, ils n’eurent sûrement
pas l’impression de vivre une rupture. Avant, il y avait Dieu unique que l’on priait en
latin. Après, il y eut Dieu unique que l’on prie en arabe. Avant comme après, le mot
d’ordre non dit dût être : prions en paix140 !
De plus il existe de nombreuses affinités (mode de vie tribale et nomade, par exemple)
entre les nouveaux venus et les anciens habitants berbères. L’islam a donc trouvé, en
Kabylie comme ailleurs parmi les populations berbères, un accueil aisé et profond, alors
que le christianisme des cités n’avait pas eu la même influence auparavant.
La religion du Maghreb est donc bien l’islam. Nous pouvons affirmer cela en tout cas
jusqu’au 5 juillet 1830, date à laquelle le corps expéditionnaire français, débarqué à SidiFerruch le 14 juin, prend d’assaut le repaire de pirates qu’était alors la ville d’Alger. Dans
les clauses de la reddition, il est spécifié que « l’exercice de la religion musulmane restera
libre ». Or quelques faits semblent prouver que ce n’est pas le cas : l’affectation de la
mosquée Ketchawa, à Alger, au culte catholique, par exemple ; ou la destruction de deux
cimetières musulmans pour ouvrir une route. Le christianisme reprend pied au Maghreb,
dans la violence et la terreur. Et l’Algérie est conquise, villes après villes, par une armée
française qui se renforce et qui protège les colons installés difficilement en terre africaine.
La Kabylie, malgré une forte résistance, est soumise en 1857. Curieusement, le général
Randon qui pacifia la Kabylie dut se battre à son tour contre une femme, la célèbre Lalla
Fadhma N’Soumer. Mais cette illustre réplique de la Kâhina est arrêtée le 27 juillet 1857,
ce qui met fin temporairement à toute résistance de la Kabylie. La révolte reprend pourtant
139
Ibid. p. 135.
140
Ibid. p. 137.
64
de plus belle en 1871. Les années 1867 et 1868 sont des années de sécheresse où sévissent
la famine et des épidémies de typhus et de choléra. En métropole le Second Empire
s’effondre, et Paris capitule devant les armées de Bismarck le 28 janvier 1871.
L’instauration de la Troisième République est suivi de peu par l’épisode de la Commune
de Paris (18 mars - 29 mai 1871). Or, dès le 24 octobre 1870, Adolphe Crémieux signe les
décrets qui portent son nom et qui octroient la nationalité française aux juifs d’Algérie. Ces
décrets provoquent immanquablement l’ire des indigènes musulmans incapables
d’accepter que les juifs puissent leur être supérieur en dignité. Pourtant, d’après Daniel
Rivet141, ce ne sont pas ces éléments qui provoquent le mouvement insurrectionnel, dont
l’épicentre est en Kabylie, qui commence à la mi-mars 1871 :
C’est la liquéfaction de l’autorité militaire qui jette dans la révolte les hommes d’épée
et de chapelet. La noblesse d’épée (Djouad) avait été subalternisée par les officiers des
bureaux arabes, mais ses membres ont la certitude que servir des civils précipiterait
leur déclassement et leur ruine matérielle. L’insurrection est commandée par le
“bachaga” Mohamed Moqranî, tué au combat le 5 mai, et par l’importante confrérie de
la Rahmaniya. Elle s’étend jusqu’aux portes d’Alger, avant de refluer et de s’éteindre
en automne. La répression est terrible : la déportation des mille Kabyles en Nouvelle
Calédonie date de cette époque. “Une parole kabyle rapporte qu’on avait enterré la
haine comme de la cendre chaude sous la terre142. 
1-2-Les Kabyles
Lorsque les premiers missionnaires méthodistes français arrivent en Kabylie, ils
trouvent sur place des gens vivant dans un cadre culturel, religieux et économique
particulier et précis. Les Kabyles, à ce moment de leur histoire (vers 1885), sont des
berbères maghrébins musulmans issus d’une culture pré-coloniale (avant 1830) et soumis à
l’épreuve de leur colonisation par les Français. En nous servant beaucoup du livre de
Daniel Rivet143, nous allons d’abord survoler ce que fut la vie des Kabyles avant 1830,
pour mieux comprendre ensuite ce que fut le paysage socio-anthropologique rencontré par
les missionnaires évangéliques en Kabylie à la fin du XIXe siècle.
141
D. RIVET, Op. Cit. p. 173-174.
142
Ibid. p. 174.
143
Ibid.
65
1-2-1- Les Kabyles avant 1830
Le Kabyle est d’abord un musulman :
Comme et plus encore que le christianisme avant la sécularisation, l’islam fournit aux
Maghrébins un langage de base, qui habille leur parler quotidien, sanctifie leurs
pratiques sociales, justifie leur croyance en un ordo mundi144.
Malgré le fait d’appartenir à une collectivité du Far Ouest de l’Islam, les Kabyles, comme
les autres Maghrébins, se savent membres de l’Umma, c‘est-à-dire la communauté des
croyants, concept très proche de l’affirmation chrétienne (ou plus précisément celle de
Martin Luther émise en opposition à l’Église-institution) de l’Église universelle : « L’islam
maghrébin, sunnite et de rite malékite, est travaillé par un idéal unitaire qui fait se fondre le
croyant, particulariste, dans l’universel musulman145. » L’islam rural pratiqué en Kabylie
s’affirme selon trois niveaux, d’après Jacques Berque cité par Daniel Rivet 146. Les Kabyles
sont d’abord attachés à la croyance pré-islamique dans les génies locaux : cette croyance se
matérialise par « des repas sacrificiels pris en commun par la frairie exaltée par ce culterelique d’une civilisation archéo-méditerranéenne147. » Ils sont ensuite membres d’une
tribu et sont donc assujettis au culte du saint ou de la sainte éponyme de la tribu. Enfin ils
adhèrent à une confrérie, la Rhamaniya en Kabylie, personnifiant une identité régionale
mettant le croyant en relation avec l’universel. La richesse de la spiritualité des paysans
berbères de Kabylie n’est donc pas douteuse et se complète, devant les difficultés de la vie
quotidienne et les contraintes imposées par l’occupant colonisateur, par l’attente de type
messianique d’un prince juste et éclairé, le Mahdi.
Les Kabyles vivent donc en tribus, structure de société inverse, selon Daniel Rivet, de
celle proposée par l’État : « L’individu s’y définit comme le dernier rejeton d’une très
longue lignée d’ascendants se déclinant dans l’ordre patrilinéaire : fils de qui ? 148 » En
144
Ibid. p. 59.
145
Ibid. p. 61-62.
146
Ibid. p. 62.
147
Ibid. p. 62.
148
Ibid. p. 91.
66
conséquence, la tribu exclue donc toute forme d’autorité centralisée, et en premier lieu
celle de l’État. Toute la société tient par un jeu équilibré de conflits et d’arbitrages entre
tribus, où le cadi, (le juge), joue un rôle clé.
La vie quotidienne des Kabyles tient plus de la survie. En effet, le climat méditerranéen
est rude car chaud en été et froid en hiver, propice à de longues et catastrophiques
sécheresses. Les sols sont fragiles, et les technologies agricoles restent rudimentaires : les
Kabyles ne possèdent plus la roue, labourent avec l’araire primitif en bois, ignorent la
technique du greffage, et pratiquent une irrigation à toute petite échelle. Ils compensent ces
difficultés technologiques et climatiques par l’association entre voisins. Celle-ci prend une
très grande importance, aussi bien dans la réalisation d’actes concrets que dans la
participation aux travaux saisonniers réglés par le calendrier. « Tout se passe comme si
l’existence économique, autonome en Occident depuis les temps modernes, disparaissait
sous la profusion du social, qualifié d’hyperbolique en Kabylie par Pierre Bourdieu149. »
La place des femmes dans cette société est celle de la « bête de somme de
l’agropasteur150 » puisqu’elle participe activement aux gros travaux agricoles. Elle est
fragilisée dans son rapport à l’homme par le fait qu’elle peut être facilement répudiée,
surtout si elle ne donne pas naissance à des garçons. Les couples sont donc instables, mais
la famille en entier l’est aussi : la mortalité infantile (épidémies récurrentes de rougeole et
de variole, famines) est terrible. L’islam passe de mère à enfant, par l’apprentissage
répétitif de sourates du Coran, comme l’indiquent beaucoup de musulmans devenus
adultes. Enfin la femme âgée, selon les remarques récentes de plusieurs jeunes
chercheuses, peut accéder sur le tard à une position d’autorité au sein de la famille et
parfois de la tribu.
1-2-2- Les conséquences du choc de la colonisation
À l’époque qui nous intéresse, l’extrême fin du XIXe siècle,
En surface l’Algérie indigène se tait. En profondeur, une culture du refus du roumi
bouillonne. Elle se projette dans des contes où l’étranger, assimilé à un ogre terrifiant,
finit toujours par être terrassé par le Musulman. Elle s’ancre dans l’attente du maître de
149
Ibid. p. 87.
150
Ibid. p. 82.
67
l’heure (le Mahdi), qui rétablira l’ordo mundi bouleversé par l’irruption du chrétien151.
Dieu a voulu la victoire du colonisateur, et le Kabyle croyant ne peut que courber l’échine
devant la volonté divine, sachant bien qu’en fin de compte Dieu donnera la victoire future
aux vaincus du présent. Les Kabyles, comme les autres Algériens, subissent la spoliation
de leurs terres, colonisées par les Européens. Ils sont écrasés d’impôts, les impôts arabes
et, en plus, en Kabylie, le lezma. Les cadis ne jouent plus aucun rôle, et la société tribale
rentre en désuétude. Bien que l’État français ne soit guère présent sur les hauteurs de la
Grande Kabylie, la société tribale kabyle remet le sens de son histoire entre les mains du
colonisateur. Le dérèglement du système traditionnel d’entraide dans la production
agricole, joint à un nombre de saisons sèches grandissant, provoque de multiples famines.
La crise économique en Europe se répercute enfin en Algérie et les Kabyles en souffrent
comme les autres. Sans entrer dans les détails d’une situation extrêmement complexe, pour
laquelle nous renvoyons le lecteur au livre de Daniel Rivet152, disons simplement que les
Kabyles qu’ont rencontrés les missionnaires méthodistes en 1885 étaient devenue une
population agricole pauvre, fragilisée par les famines et les épidémies à répétition,
déstructurée socialement, vivant de la haine du colonisateur et de l’espérance
messianique de la venue du Mehdi, apportant avec lui la victoire finale de l’islam sur le
christianisme.
1-3- Le mythe kabyle
Il y a un mythe kabyle. Que l’on soit Algérien de longue date, ou colonisateur
fraichement arrivé, personne ne voit le Kabyle comme faisant partie de la culture ambiante.
Le Kabyle est toujours vu comme supérieurs aux autres habitants berbères ou arabes de
l’Algérie. Ainsi le terme de mythe kabyle a été utilisé par plusieurs auteurs dans des sens
différents, selon que ces auteurs soient Nord-Africain ou Européen. Par exemple, Nedjma
Abdelfettah Lalmi étudie le mythe de l’isolat montagnard kabyle en rapport avec les
plaines et les villes dans le contexte culturel et religieux de la présence arabe au
Maghreb153. Elle en tire la conclusion que la Kabylie, malgré le fait d’être isolée des
151
Ibid. p. 184.
152
Ibid.
153
Nedjma ABDELFETTAH LALMI, Du mythe de l’isolat kabyle, Cahiers d’Études africaines, XLIV (3),
175, 2004, pp. 507-531.
68
grandes voies de passage, est, dans le passé, une forteresse de culture religieuse islamique :
La montagne kabyle elle-même envoie ses ‘ulamas se former et professer, participer à
l’encadrement des villes de Bejaïa et de Tunis en particulier : le fils d’Al Ghubrînî est
mufti à Tunis, Abu Ar-Rûh Al Menguellâtî, cadi à Gabès … sans parler de ceux qui
jouent un rôle actif dans les débats et réformes de l’islam magrébin, dans la diffusion
de textes qui deviendront des références centrales au Maghreb, comme le Mukhtassar
d’Ibn Hâjib. … Dans la ville de Bejaïa, Abû Yahiâ Zakaryâ, (connu sous le nom de
Sidi Yahia) à qui Ibn ‘Arabî consacre une notice élogieuse, après l’avoir rencontré,
vient du pays zouaoua en Grande Kabylie154.
Mais cette vision de la Kabylie n’en reste pas là, puisqu’un autre élément du mythe
rentre en compte :
Vues de Kairouan (sud de la Tunisie) et par les premiers acteurs de la conquête arabe
et islamique, les montagnes autour de Bejaïa sont appelées el ‘adua (l’ennemie) pour
leur résistance.155
De son coté, à partir de l’ouvrage d’Alain Mahé156, Histoire de la Grande Kabylie,
XIXe-XXe siècles, Paris, Bouchène, 2001, Gilbert Grandguillaume157 étudie le mythe kabyle
en rapport avec la nature du lien social en Algérie :
Pour les Français qui adhèrent (à ce mythe) les Kabyles ne sont pas des Arabes, ils sont
peut-être d’anciens chrétiens, ils sont peu attachés à l’islam, leurs coutumes sont
démocratiques, ils sont aptes à devenir de bons citoyens français. À ce titre, ils sont
l’antithèse des Arabes musulmans, mais qui incarnent l’anti-France, l’antichrétienté,
selon une idéologie héritée des croisades.
Notre approche du mythe kabyle ne concerne que celle qu’ont les méthodistes français
entre 1885 et 1919. Mais il faut pour cela que nous nous intéressions à la manière dont les
154
Ibid. p. 518.
155
Ibid, p. 513.
156
Alain MAHÉ, Histoire de la Grande Kabylie, XIXe-XXe siècles, Paris, Bouchène, 2001.
157
Gilbert GRANDGUILLAUME, Mythe kabyle ? Exception kabyle ? http://matoub.kabylie.free.fr / presse /
mythe-kabyle.htm.
69
Français, qu’ils soient dans l’administration française ou dans les Églises missionnaires
françaises, en Algérie, voient le montagnard kabyle en comparaison avec l’Arabe des
plaines et des villes de la côte.
1-3-1- Le regard du colon français sur l’indigène kabyle
Dans les années 1960 on pouvait voir quelques jeunes Kabyles dans les écoles, en
France, et quelques uns d’entre eux avaient les yeux bleus. On disait alors d’eux qu’à
l’inverse des Arabes, les Kabyles descendaient directement d’un mélange de la population
autochtone berbère avec les envahisseurs Vandales du IVe siècle. On disait de ce peuple
kabyle qu’il était fier, fidèle, indépendant, et qu’il prenait le parti, chaque fois qu’il était
envahi, de la religion qui lui permettait de mieux combattre la culture dominante. C’est
ainsi qu’il fut chrétien contre la civilisation romaine, et qu’il fut musulman contre le
christianisme byzantin.
Or tout ce que nous disions alors relevait du mythe kabyle déjà ancien. Le mythe kabyle
tel que nous voulons le décrire, tel qu’il se présente à la fin du XIXe siècle dans les milieux
religieux français, a été abondamment et récemment étudié par plusieurs auteurs158.
Karima Dirèche-Slimane affirme dans un article que les régions berbères, la Kabylie
particulièrement, sont considérées par les Européens comme habitées par des populations
chrétiennes depuis le IIe siècle, et n’ayant revêtu l’islam que par contrainte, à l’image d’un
léger vernis qu’il suffirait de gratter. Elle ajoute que « les discours de légitimation et
d’affirmation de la présence chrétienne sont validés par la prééminence du modèle
civilisationnel européen
et par les lectures du racisme scientifique qui prévalaient à
l’époque159. » Ainsi le mythe décrit les Kabyles comme étant les héritiers de la Romanité,
chrétienne et hautement civilisée, écrasés par l’islam qui les a réduit à la plus extrême
déchéance. Mais sils sont susceptibles de retrouver, tels des phénix, une vie nouvelle dans
le christianisme recouvré, et de servir de tête de pont à la reconquête du Maghreb par les
nouveaux Croisés.
158
Ainsi Karima DIRÈCHE-SLIMANE, Chrétiens de Kabylie, 1873-1954. Une action missionnaire dans
l’Algérie coloniale, Bouchène, Paris, 2004. Dans ce livre l’auteur, confondant les mots chrétiens et
catholiques, travaille sur l’impact des seules missions catholiques en Kabylie dans le contexte colonial.
159
Karima DIRÈCHE, « Convertir les Kabyles : quelles réalités ? » in Dominique BORNE - Benoit
FALAIZE dir. Religions et colonisation, Afrique - Asie - Océanie - Amériques, XVIe - XXe siècles, Paris, Les
Éditions de l’Atelier / Éditions ouvrières, 2009, p. 153.
70
La plupart des représentations que se font des indigènes les Européens colonisateurs
tirent leurs origines de la peur. Les Français en Algérie craignent en permanence une
insurrection générale qui les refoulerait au-delà de la mer. Pour empêcher cela, les colons
comptent fortement sur l’assimilation des peuples colonisés aux valeurs de la civilisation
européenne :
C’est encore une époque où on croit dur comme fer que la Civilisation se communique
de l’élite éclairée au peuple ignorant, du colonisateur à l’indigène, par la force de
l’exemple, et qu’on dissipe un préjugé comme on prend la Bastille ... or le projet
d’injecter la civilisation au peuple vaincu, comme on inocule la vaccine pour extirper
la variole, suscite des réticences sourdes chez les Algériens, qui se dérobent, plutôt
qu’ils ne résistent ouvertement160.
C’est pourquoi les premières écoles franco-arabes ne fonctionnent guère. C’est
pourquoi aussi les indigènes acceptent bien de se faire soigner, mais n’acceptent pas la
vaccination, car ils refusent qu’on leur inoculent quelque chose qui provienne du Roumi.
C’est pourquoi enfin les agro-pasteurs préfèrent garder leurs outils archaïques plutôt que
de se servir des machines agricoles modernes. « Les musulmans se réfugient dans un exil
intérieur que les observateurs superficiels assimilent à l’inertie d’un peuple qui ne croit pas
au progrès et imputent au fatalisme oriental161. »
Cherchons maintenant d’autres témoignages d’Européens confrontés aux indigènes
algériens. Mais ne les cherchons plus ni du coté des colons, portés à dénigrer, ni du coté de
l’administration coloniale ou de l’armée. Cherchons plutôt un éclairage particulier auprès
d’auteurs chrétiens neutres, c’est-à-dire n’ayant aucun intérêt matériel dans leur contact
avec les Algériens, particulièrement avec les Kabyles. Le missionnaire Henri-Samuel
Mayor, que nous aurons l’occasion de rencontrer de nouveau, a écrit en 1895 un petit
opuscule162 : La Grande Kabylie, le pays, le peuple et les essais d’évangélisation jusqu’à
ce jour. Dans sa première partie, Mayor fait l’inventaire de ce qu’un Européen chrétien
160
D. RIVET, op. cit. p. 126-127.
161
Ibid. p. 128.
162
MAYOR, Henri-Samuel, La Grande Kabylie. Le pays, le peuple, et les essais d’évangélisation jusqu’à ce
jour, Lausanne, Bridel, 1895.
71
peut dire des Kabyles. Et, d’après lui :
Évangéliste du 26 octobre 1894, p. 170.
Le peuple kabyle est bien distinct du peuple arabe. Les Kabyles sont généralement de
taille moyenne, bien prise, avec la tête massive, les yeux noirs ou gris ; le teint est
foncé. Les femmes sont grosses et trapues. Les Kabyles connaissent le travail, mais ne
le pratique que forcément. Pour la paresse et l’indolence ils ressemblent aux Arabes
... Le Kabyle est positif, calculateur, intéressé, il ne voit que ce qui donne quelque
profit ... Les Kabyles sont généralement pauvres et avares ... Les Kabyles ont
presque tous le sang vicié. Leurs habitations où l’air ne se renouvelle jamais, l’absence
de lumière, l’humidité, la malpropreté, etc., tout cela renferme les causes de leurs
maladies, dont les principales sont : les fièvres, les ophtalmies, les scrofules, l’anémie,
etc.163
La description que donne Mayor de la société kabyle est à l’avenant. Nous avons par lui
le regard d’un homme appartenant à une civilisation “avancée” qui se penche sur des
163
Ibid, p. 11-12.
72
individus “arriérés” à qui il faut apporter à tout prix les éléments qui leur permettront
d’améliorer leur vie quotidienne.
1-3-2- Le cardinal Lavigerie
Le cardinal Charles Lavigerie, nommé archevêque d’Alger en 1867, participe activement
à la propagation de l’idéologie véhiculée par ce mythe et, de part son autorité, il le
légitimise pour de longues années. D’après François Renault, son biographe le plus récent :
La Kabylie fut la première région à laquelle s’intéressa Lavigerie après la possession
de son siège épiscopal. … Tout prosélytisme devait être exclu afin de ne pas
heurter les esprits ; mais cette première étape s’inscrivait dans une perspective à long
terme d’évangélisation, jugée d’avantage plausible dans ce pays que dans d’autres
régions d’Algérie. Cette espérance reposait sur une certaine vue de l’histoire, selon
laquelle tous les peuples de l’Afrique du Nord, les Berbères, auraient embrassé le
christianisme à l’époque romaine. L’invasion arabe aurait converti par la force ceux
de la plaine, tandis que les montagnes auraient protégé ses habitants et accueilli les
irréductibles. Ces derniers auraient du finalement accepter l’islam, mais de façon très
superficielle, en laissant subsister un fond de traditions chrétiennes que l’on pourrait
faire revivre. Lavigerie avait consulté des ouvrages faisant alors autorité sur ces
questions. Nous connaissons au moins deux des auteurs auxquels lui-même se
réfère : Henri Duveyrier et Eugène Thomas164.
Le Cardinal, jusqu’au bout imprégné de cette idéologie ambiante, n’aura de cesse de
restaurer l’antique siège épiscopal de Carthage, ce qui fut entériné par le pape Léon XIII le
10 novembre 1884.
1-3-3- La reprise du mythe par les méthodistes français
Les méthodistes français et leurs pasteurs sont naturellement des hommes et des
femmes de leurs temps, et participent des mêmes évolutions culturelles que leurs
concitoyens. C’est ainsi qu’en 1884, les méthodistes français réunis en conférence à
164
François RENAULT, Le cardinal Lavigerie, 1825 - 1892. L’Église, l’Afrique, la France, Paris, Fayard,
1992, p. 272.
73
Anduze du 26 juin au 3 juillet décident d’envoyer en Algérie le pasteur John-Wesley
Lelièvre afin d’y opérer une tournée d’exploration et d’en présenter un rapport pour la
Conférence de 1885 sur la possibilité d’une mission méthodiste française en terre d’islam.
Revenu tout juste de son voyage exploratoire pour la conférence de 1885, qui se tient à
Calais du 4 au 11 juin, John-Wesley Lelièvre y présente son rapport dans lequel on peut
lire :
Les Kabyles ne sont pas des Arabes, et, s’il faut en croire la tradition, ils sont venus de
l’Asie bien longtemps avant les descendants d’Ismaël et d’Esaü, puisqu’ils seraient les
descendants des Cananéens qui habitaient la Terre-Sainte avant que Dieu la donnât
aux Hébreux. Au physique, le Kabyle n’a rien d’africain : les yeux bleus et les
cheveux blonds et rouges sont très communs. La tournure d’esprit, le caractère, les
goûts et les habitudes, distinguent absolument les Kabyles des Arabes et présentent
plus d‘un trait commun avec la race à laquelle nous appartenons. Mais ce qui nous
intéresse encore plus, c’est le fait que les tribus Kabyles sont des représentants
modernes des populations chrétiennes de l’Afrique septentrionale, que les Arabes
refoulèrent dans les montagnes et ne reconvertirent que très imparfaitement à
l’islamisme. On trouve encore parmi les Kabyles des traces de l’influence chrétienne.
Je mets au premier rang l’absence absolue de la polygamie, une douceur, une
tolérance remarquable en fait d’opinions religieuses et une disposition très favorable
en faveur de Sidi Aïssa el-Massih (le Seigneur Jésus-Christ). On a aussi observé que
beaucoup d’entre eux portent comme tatouage une croix sur le front165.
Ainsi cette longue citation peut nous convaincre qu’avant même l’arrivée du premier
missionnaire méthodiste venu de France en Kabylie le mythe kabyle est déjà bien implanté
dans l’imaginaire des pasteurs et des lecteurs de l’Évangéliste.
e
2 - Les différentes missions chrétiennes en Kabylie au XIX siècle
Catholiques et protestants français se sont engouffrés dans la percée faite par les forces
militaires françaises dans la citadelle islamique d’Algérie.
« Durant les premières années, la présence de l’Église catholique se réduisit à celle
d’aumôniers militaires. Au fil des ans et avec la décision prise par la France de demeurer
165
Ev. 1886, p. 114.
74
en Algérie, la nécessité s’impose d’une organisation ecclésiastique plus structurée … Le
Saint Siège accepte finalement, en 1838, la création à Alger d’un évêché de type
concordataire assimilé à ceux de la Métropole »166. Les deux premiers évêques sont
Dupuch et Pavy.
De leur coté, « les protestants d’Alger estimèrent en 1833 que les catholiques ayant leur
Église, ils étaient en droit d’en demander une et qu’à tous égards, ce serait préférable à une
simple tolérance passive de la part des autorités locales en ce qui concernait leur culte »167.
Les protestants obtiennent le droit de fonder leur temple à Alger dès 1834. Mais ce n’est
que le 31 décembre 1835 qu’une maison leur est accordée en guise de temple, au 68 rue du
Chêne. Le premier pasteur de l’Église Réformée d’Alger est Napoléon Roussel, qui ne
reste à ce poste qu’un an, jusqu’en décembre 1836.
De plus, il faut remarquer que l’origine des missions catholiques et protestantes est
différente. La mission catholique est suscitée par l’Église catholique en Algérie, alors que
l’Église Réformée de France en Algérie ne participe pas, du moins au début, aux efforts
missionnaires initiaux. L’une et l’autre mission sont étudiées dans les pages suivantes
grâce aux apports de Zohra Aït Abdelmalek168, Christophe Nouvel169, Franck Puaux170, et
Jean-François Zorn171.
2–1-Les premières tentatives missionnaires en Algérie avant 1870
Chronologiquement, l’initiative appartient à la Société des Missions Évangéliques de
Paris (la SMEP). Celle-ci, fondée en 1822, désigne dès le 4 août 1830 deux missionnaires
pour s’implanter en Algérie : Eugène Casalis et Thomas Arbousset. Ceux-ci apprennent la
langue arabe et des rudiments de culture et de religion musulmane en vue de leur départ.
Pourtant, peut-être à cause de l’attitude du gouvernement français, ce projet n’aboutit pas
166
F. RENAULT Op. Cit. p. 126.
167
C. NOUVEL, Op. Cit. p. 8.
168
Z. AIT ABDELMALEK, Op. Cit.
169
C. NOUVEL Op. Cit.
170
F. PUAUX, Op. Cit.
171
J. F. ZORN, Op. Cit.
75
et malgré leur excellente préparation, nos deux missionnaires sont envoyés au Lesotho172.
Le premier missionnaire protestant implanté en Algérie n’est donc pas français. Le
Rev. Nicolayson est envoyé le 1er avril 1831 par la London Society for promoting
Christianity amoungst the Jews pour convertir les juifs d’Alger au christianisme. Il tente
de vendre des Bibles aux quelques 4000 familles juives recensées à Alger. Nicolayson est
rejoint dès le 17 septembre 1832 par Ferdinand Christian Ewald qui se tourne aussitôt vers
les protestants européens disséminés, allemands et français. Celui-ci est très vite interdit de
prédication et part pour Tunis.173 La SMEP n’a pourtant pas dit son dernier mot. À l’appel
du pasteur d’Alger Guillaume Monod, elle envoie en 1852 un de ses missionnaires,
Auguste Pfrimmer, faire un voyage d’exploration en Algérie. Il s’agit pour lui d’évaluer les
possibilités d’évangélisation des musulmans algériens. Et
Le 4 janvier 1854, Pfrimmer communique ses conclusions au comité (de la SMEP) qui
les rapporte ainsi : M. Pfrimmer ne croit pas le moment venu d’entreprendre une œuvre
de conversion des mahométans d’une manière directe et spéciale …174
Le comité de la SMEP accepte les conclusions de son missionnaire : il ne s’engage pas
en Algérie.
De 1858 à 1870, Christophe Nouvel recense trois tentatives avortées de missions
d’origine étrangère. C’est en 1858 la mission sans lendemain du pasteur anglican John
Furniss Ogle, qui meurt en 1885. Puis, en 1861, John Muehleisen Arnold tente de créer,
sans succès, une Moslem Mission Society. Enfin John Bagdon essaye en 1870 d’associer
ses efforts missionnaires avec un jeune baptisé d’origine musulmane, Moustafa Musa ben
Yousouf. Cette association ne survit que quelques mois.175 En ce qui concerne la Kabylie,
on ne peut guère citer que la présence du père Creuzat, au prosélytisme intempestif et
brouillon, dès 1863, à Fort-Napoléon (qui devient Fort-National sous la IIIème République
et qu’on trouve dans les cartes actuelles sous le nom de L’Arbaa Naït Irathen)176.
172
Ibid. p. 63.
173
C. NOUVEL, Op. Cit. p. 30-32.
174
J. F. ZORN, Op. Cit. p. 64.
175
C. NOUVEL, Op. Cit.
176
F. RENAULT, Op. Cit.
76
2-2- Les autres tentatives en Kabylie après 1870
2-2-1- La mission catholique en Kabylie
Nous l’avons vu, l’archevêque d’Alger s’intéresse de près à l’évangélisation de la
Kabylie. Après avoir mis sur pied la Société des Missionnaires d’Afrique (que l’on nomme
très vite les Pères Blancs) qui tient son premier chapitre du 11 au 25 octobre 1874177,
Lavigerie projette une série de fondations de collectivités missionnaires en Kabylie : « En
1873, les missionnaires fondèrent successivement trois stations en Grande Kabylie : à
Taguemount-Azouz, aux Ouadhias et chez les Beni-Arif. La même année, les jésuites, déjà
établis à Fort-National, ouvraient des postes à Djemâa Sahridj, et chez les Beni-Yenni »178.
Cette première vague d’implantations est suivie d’une deuxième, en 1876, à Aït Mengallet
et chez les Beni-Ismaël, puis d’une troisième en Petite Kabylie, à Ighil Ali179.
Pourtant le Cardinal Lavigerie ne manque pas d’autres projets. Il se passionne pour les
affaires françaises des Églises orientales, « posant sa candidature à la succession du
patriarcat latin de Jérusalem »180. Pour ce faire, le cardinal veut redistribuer ses effectifs
encore réduits, et les faire passer de Kabylie en Palestine. Il est donc fortement question,
au début des années 1880, d’abandonner les stations créées en Kabylie. Mais, à la suite
d’un scandale181, les jésuites établis à Djemâa Sahridj et chez lez Beni-Yenni doivent
partir, laissant la place à une occupation par les Pères Blancs.
Si l’on fait un rapide bilan de l’implantation missionnaire catholique en Kabylie, disons
qu’à partir de Fort-National, où les jésuites sont présents dès 1863, les stations se sont
développées majoritairement à l’est de la Grande Kabylie :
Jésuites : Aït Larba (chez les Beni-Yenni)
Djemâa Sahridj
1873
1873
Pères Blancs :
Beni-Arif
1873
Ouadhias
1873
177
Ibid. p. 235.
178
Ibid. p. 277.
179
Ibid. p. 282.
180
Ibid. p. 328.
181
Voir Ibid. p. 385.
77
Tagmount-Azouz
1873
Ouarzen (Beni-Mengallet)
1876
Karrata (Beni-Ismaël)
1876
Ighil Ali
1879
À noter aussi leur présence à Boghni, Bou-Noh, Oued-Aïssi et Tizi-Ouzou. Leur
activité essentielle porte sur l’éducation, Lavigerie leur ayant interdit toute forme de
prosélytisme trop déstabilisant.
2-2-2- Les missions protestantes étrangères en Kabylie
* La North Africa Mission.
Un Anglais, Georges Pearse182, retraité depuis 1870, fait un voyage en Algérie et en
Kabylie pendant l’année 1876. En 1879 il revient, accompagné du couple Guiness.
L’année suivante, les Guiness et les Pearse se mettent d’accord pour évangéliser les
Kabyles. Pearse écrit en 1881 le petit ouvrage Mission chez les Kabyles dont Christophe
Nouvel dit que « si ce document ne fut pas en son temps, un événement littéraire, il reste
important dans les annales des missions chrétiennes parmi les musulmans en ce sens qu’il
contenait les toutes premières informations détaillées sur les conditions de fondation des
missions en Algérie et le récit des expériences des premiers missionnaires »183. Selon
Nouvel184, Pearse achète alors, toujours en 1881, une parcelle de terre à Djemâa Saharidj.
Or, d’après le rapport de H. Krüger185 de 1885 : « La station (catholique) principale, celle
de Djemâa Sahridj, était à vendre il y a quelques années. Elle n’a été réoccupée que depuis
la création d’une école du gouvernement dans le même village, à l’arrivée des
missionnaires anglais ». Toujours en 1881, Pearse engage Edward Glenny en Angleterre,
puis rencontre H. S. Mayor à Glay (Est de la France) avec qui il s’associe, s’adjoint le
Druze converti Selim Zeitoun, et s’installe à Djemâa Sahridj. Il y fonde la North Africa
Mission (la NAM) avec toutes ces personnes. Zeitoun quitte la station très vite. Mayor part
182
Sa biographie se trouve dans J. RUTHERFORD and H. Edward GLENNY, The Gospel in North Africa, in
two parts, London, Percy Lund, Humphies & Co., Ltd., Amen Corner, E.C.; and The Country Press,
Bradford. Office of the Mission, 21, Linton Road, Barking, London, 1900, 2Vol. pp. 133 à 139.
183
C. NOUVEL, Op. Cit. p. 35.
184
Ibid. P ; 36.
185
F. H., KRÜGER, Op. Cit. p. 442.
78
à son tour en mars 1883 pour s’installer à Moknéa, dans la tribu des Beni Ghrobi.
Vers la fin de la même année (1883), M. Glenny revint avec une nouvelle famille
missionnaire, M. et Mme Lamb et leurs enfants ; en septembre 1884, un jeune Suisse,
M. Cuendet, leur fut adjoint186.
* La British and Foreign Bible Society.
Le pasteur Lowitz tient en 1881 un petit dépôt de Bibles à Alger. De son coté M. Mac
Intosh gère lui aussi un dépôt de Bibles, mais à Marrakech en 1884. Sous la nouvelle
direction de M. Summer, les deux dépôts fusionnent en 1902. La Société envoie des
colporteurs vendre des Bibles partout en Algérie, et particulièrement en Kabylie. Toutefois
leur effort d’évangélisation porte surtout sur les soldats de la Légion étrangère.
* La mission des Open Brethen.
Dès 1883 Elsabeth Gillard s’installe à Taaroust (Taaroost) en Kabylie. Elle est rejointe
en 1891 par Allen Moore. Les Darbystes sont présents à Taborourth, Drâa el Mizan,
Tazmat, Akbou, Bougie et Alger.
* Les autres sociétés missionnaires recensées par Christophe Nouvel sont disséminées
en Algérie, et on ne les retrouve pas particulièrement en Kabylie. Elles échappent de ce fait
à notre étude. Il s’agit de la « Mission des Femmes Suédoises », de la Mission de l’Alliance
Suédoise, de la Christian Mission in Many Lands, de la Mission Évangélique Espagnole, et
enfin de la Algier Mission Band de Lilias Trotter, présente à Alger dès 1887.
* L’Église Méthodiste Épiscopale (EME).
Zorha Aït Abdelmalek a particulièrement bien étudié l’implantation de cette Église
missionnaire en Algérie187. Nous reviendrons sur les rapports entre les méthodistes
américains et les méthodistes français en étudiant la fin de la présence de ces derniers en
186
Ibid. p. 495.
187
Z. AIT ABDELMALEK, Op. Cit. p. 57 à 63.
79
Kabylie. Mais nous pouvons déjà constater l’extraordinaire dissymétrie entre la petite
œuvre missionnaire méthodiste française, qui n’a jamais pu fonder une deuxième station ni
avoir en permanence deux pasteurs à poste sans sombrer dans le déficit financier, et la
mission méthodiste américaine, qui fonde sept stations réparties sur l’ensemble du
Maghreb ouest en moins de dix ans ! Ainsi, comme en Métropole avec l’œuvre Gibson, les
méthodistes français en Algérie se trouvent concurrencés sur le même terrain par d’autres
méthodistes, plus nombreux et plus riches, ce qui ne pouvait que leur porter ombrage !
2-2-3- Les missions protestantes françaises en Kabylie
* La Société des Missions Évangéliques de Paris (SMEP)
À tour seigneur tout honneur : la SMEP. Rappelons-nous que cette société a pensé la
première à établir une mission en Algérie, dès 1830. Mais ce projet est resté sans suite. De
même en 1852, avec le rapport aux conclusions négatives signé de M. Pfrimmer. Que fait
donc cette grande société française dont le seul objet, défini par Jean Bianquis comme
étant le même que celui de la Société des Missions de Londres et qu’il « aurait (donc)
certainement souscrit sans réserve », « est de répendre la connaissance du Christ parmi les
païens et les autres nations plongées dans les ténèbres188 » ? Cette question est à l’origine
d’un débat polémique au sein des Églises protestantes en France, débat fort bien analysé et
mis en lumière par Jean-François Zorn189.
Eugène Réveillaud (1851-1935) est issu du catholicisme et converti au protestantisme
évangélique en 1878. Il participe à la fondation de la Société Coligny190, créée pour venir
en aide et accompagner les colons algériens originaires de la vallée de Freissinières, dans
les Hautes Alpes. Il est aussi le fondateur, en 1879, et le premier directeur de
l’hebdomadaire Le Signal. En 1882, Réveillaud fait un voyage en Algérie, et en ramène
une impression mitigée sur l’état spirituel des populations européennes rencontrées. Par
l’intermédiaire de son organe de presse, il interpelle publiquement la SMEP, proposant
même au comité de la Société de s’intéresser un peu moins au Lesotho et un peu plus à
188
Jean BIANQUIS, Les origines de la Société des Missions Evangéliques de Paris, Paris, Société des
Missions Évangéliques, 1930, 1931, 1935, t. 1, p. 43.
189
J. F. ZORN, Op. Cit. p 61-72.
190
F. PUAUX. Op. Cit. p. 408 à 412.
80
l’Algérie, une colonie française !191 D’autre part, « dans une visite d’inspection que M. le
pasteur A. Mettetal fit en 1883 parmi les Églises d’Algérie, il fut particulièrement frappé
des difficultés sans nombres que les pasteurs y rencontrent dans l’exercice de leur
ministère … »192, Auguste Mettetal (Glay, 9 mai 1825 – novembre 1898) était cette
année-là pasteur luthérien et inspecteur ecclésiastique de l’Église de la Confession
d’Augsbourg à Paris. Après ce voyage, il propose la création d’une société de mission en
Algérie et, à la Conférence luthérienne du 18 avril 1883, la décision est prise de fonder
la Société Algérienne et Tunisienne d’Évangélisation.
Jean-François Zorn parle alors d’une campagne de presse, orchestrée aussi bien par Le
Signal que par le pasteur Mettetal (dans sa brochure d’octobre 1883 : Le péril du
Protestantisme en Algérie) qui posent la question : que fait la SMEP pour l’évangélisation
de l’Algérie ? L’Évangéliste prend voix dans ce concert et écrit193, à propos de la société
fondée par Auguste Mettetal :
Une société vient de se constituer à Paris pour l’évangélisation de l’Algérie et de la
Tunisie, ou plus exactement des protestants français comme « si empressés à
soutenir des œuvres lointaines ». … Quant à l’ouvre projetée, elle est bonne
certainement ; mais elle n’embrasse pas tous les besoins. Ce qu’il faudrait avant tout,
ce serait une œuvre missionnaire parmi les Kabyles, et c’est à la Société des
Missions qu’il appartient de faire cela ….
La SMEP, mise au pied du mur, est obligée de répondre à ce feu nourri de questions.
Elle envoie, 32 ans après Pfrimmer, le pasteur missionnaire Frédéric Hermann Krüger en
Algérie pour y faire une étude sur les possibilités d’évangélisation de l’Algérie et
particulièrement de la Kabylie. Krüger reste une année en Algérie et revient au début de
1885 soumettre son rapport au Comité de la SMEP194 : Enquête en Algérie. La cinquième
partie de ce rapport relate les différentes vagues d’implantations missionnaires qu’a connue
la Kabylie : celle de l’Église catholique d’abord, puis celle de la North Africa Mission. À
propos de cette dernière, il cite le cas de H. S. Mayor. Celui-ci quitte en effet, au bout de
191
J. F. ZORN, Op. Cit. ,p. 62.
192
F. PUAUX Op. Cit. p. 87.
193
EV. 1884, p. 155.
194
F. H. KRÜGER. Op. Cit.
81
trois mois, la mission établie à Djemâa Sahridj, pour s’établir à Moknéa en mars 1883.
Krüger termine son rapport par ces mots : « Nous conclurons que la question algérienne est
une question religieuse. S’il en est ainsi, qui donc doit essayer de la résoudre, sinon les
chrétiens français ? C’est là, nous semble-t-il, ce qui se dégage de notre étude. Nous
pouvons ajouter aussitôt que, si l’on tente un essai, c’est en Kabylie qu’il faut le faire »195.
À la lecture du rapport de Krüger, la conclusion qu’en tire la S.M.E.P « coule de source.
Il y a en Kabylie une œuvre missionnaire naissante, c’est celle d’Henri Samuel Mayor que
le voyageur a visité durant trois jours et dont il a apprécié les premiers résultats »196. Elle
décide donc de soutenir Mayor à Moknéa, fin 1886. Or, dès 1884 et pendant l’année
1885, L’Évangéliste, l’organe de presse des méthodistes français, publie deux séries
d’articles de H. S. Mayor. Dans le premier, l’auteur décrit la Kabylie et les Kabyles. Il
raconte la conversion de quelques Kabyles, en particulier celle d’un marabout. Dans la
deuxième il explique à la fois son éviction de la station de Djemâa Sahridj, et son
installation à Moknéa. Mayor nous décrit sa présence à Moknéa comme ambiguë : il y fait
de rares conversions, certes, mais il y trouve aussi une forte opposition, allant même
jusqu’à une tentative d’empoisonnement ! La SMEP salarie donc H. S. Mayor à Moknéa,
jusqu’à ce que, « au cours de l’Assemblée annuelle de la Mission de Paris du 24 avril
1890, Boegner ne peut que reconnaître l’incapacité dans laquelle se trouve la Société de
faire plus pour cette mission … »197, et elle abandonne Mayor à son sort à partir de mars
1894. Et :
Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale, à la demande de la Conférence
consultative des Comités auxiliaires de 1946 et de l’Église Réformée de France, qu’une
Commission de la Mission de Paris reprend la question des diverses possibilités
d’action missionnaire en Algérie. … Ce sera finalement l’action auprès des lettrés, à
laquelle le pasteur Guillaume Monod songeait un siècle auparavant, qui sera entreprise
dans le cadre de l’Église Réformée en liaison avec le Comité auxiliaire de la Mission de
Paris en Algérie198.
195
Ilbid. p. 497.
196
J. F. ZORN, Op. Cit. p. 72.
197
Ibid. p. 73.
198
Ibid. p. 78.
82
* La mission Rolland
Nous n’en dirons que quelques mots, car elle sort, pour l’essentiel, du cadre de notre
étude199. Émile Rolland est ouvrier chez Peugeot à Montbéliard, quand Ruben Saillens lui
propose d’aller évangéliser la Kabylie, dans le giron de la North Africa Mission à Djemâa
Saharidj. Il accepte et part avec sa femme et ses enfants. Deux ans après, en 1904, le
personnel de la mission étant de nouveau au complet, Rolland et sa famille doivent
déménager. Ils vont d’abord à Alger puis, après de nombreuses démarches, Rolland peut
acheter le presbytère de Tizi-Ouzou. La mission est alors fondée, en mars 1908. Émile
Rolland passe son temps en tournées d’évangélisation, pendant que sa femme Emma visite
chez elles les femmes kabyles. La mission, bon an mal an, survivra jusqu’en 1977.
* La mission méthodiste française
Cette mission reste la seule mission française présente en Kabylie en 1894, date de
l’abandon par la Société des Missions Évangéliques de Paris de son soutien à l’action
missionnaire de H. S. Mayor, jusqu’en 1908 et l’installation d’Émile Rolland à TiziOuzou. Nous l’étudions en détail dans la prochaine partie de cet ouvrage. Mais nous
sommes d’ores et déjà bien conscients de l’importance relative de cette petite mission,
pour la présence du protestantisme missionnaire français en Kabylie à la fin du XIX e
siècle.
3- Conclusion : la rencontre de Bougie.
Dans sa cinquième lettre (18 avril 1885) aux lecteurs de L’Évangéliste, le pasteur
Jean-Wesley Lelièvre, en mission d’exploration pour la Conférence méthodiste française,
écrit :
… À peine arrivé à Bougie … je faisais connaissance avec M. Hermann Krüger,
ex-missionnaire au Lesotho … (et cette rencontre) coïncidait avec la visite
trimestrielle de M. Bernard, qui est le pasteur officiel de Bougie. Voilà donc,
199
Sur la mission Rolland, nous conseillons la lecture de Guita et Alfred ROLLAND, Un combat de la foi.
70 ans de vie missionnaire évangélique à Tizi-Ouzou, Crempigny, Mission Rolland, 1984, 271 p.
83
certainement pour la première fois depuis que l’Église chrétienne d’Afrique a été
submergée sous les flots de l’invasion musulmane, voilà donc trois pasteurs réunis à
Bougie, qui est comme le port naturel et le marché prédestiné des deux Kabylies …
comme pour nous préparer … à une entente cordiale et à une collaboration
fraternelle et à des rapports toujours chrétiens. Toujours courtois, nous avons passé
le dimanche ensemble et nous avons célébré la Cène du Seigneur Jésus …200
Nous voulons, par cette évocation irénique, terminer cette courte étude de
l’environnement contextuel de la petite mission méthodiste française en Kabylie. Cette
étude préliminaire est indispensable, car sans elle la présence méthodiste en Kabylie ne
serait guère explicable. Nous avons le sentiment, au point où nous en sommes, d’avoir
parcouru, le long de cercles emboités, le chemin concentrique qui mène à notre sujet. Car
la mission méthodiste française en Kabylie est totalement fille de son époque et de cette fin
du XIXe siècle, si riche et lourde en événements et en bouleversements liés à l’avènement
de la modernité201. Nous espérons donc avoir suffisamment décrit l’environnement
international et historique de cette mission méthodiste française pour pouvoir passer
maintenant, comme le ferait un chercheur utilisant un microscope pour cerner de plus près
son sujet, à l’étude de sa présence en Kabylie entre 1885 et 1919.
200
Ev. 1885.
201
Dont parle, tout au long de 862 pages, Christopher Alan BAYLY, La naissance du Monde Moderne, 1790
- 1914, Paris, Les Editions de l’Atelier / Editions Ouvrières, 2007.
84
Troisième Partie
LA MISSION MÉTHODISTE EN KABYLIE
1- Genèse
1-1- Les prémices
1-1-1- La journée missionnaire de Congénies, le lundi de Pâques 1857
Il faut deux réunions de tous les pasteurs méthodistes français pendant l’année 1852
pour établir les bases de ce qui devient alors la Conférence française202.
Dans le procès-verbal de la deuxième réunion, qui est aussi la première Conférence des
pasteurs et ministres de la section méthodiste de l’Église du Christ, en France et en Suisse,
unis de principe aux sociétés fondées par le révd Jean Wesley, et qui s’est tenue à Nîmes
du 6 au 15 septembre, il est écrit :
202
Voir p. 27.
85
La Conférence décide qu’il y aura :
1- Un fonds d’évangélisation
2- Un fonds des missions étrangères
3- Un fonds auxiliaire de retraite pour les pasteurs âgés ou invalides
4- Qu’il y aura des collectes spéciales pour ces trois fonds
5- Que ces collectes se feront dans l’ordre suivant :
- Vers le mois de mars : collecte dans les Assemblées pour l’évangélisation
- Vers le mois de septembre : collecte dans les Assemblées pour les Missions
- Vers le mois de décembre : collectes, dans les réunions d’expérience, pour le
fonds de retraite.203
Ce fonds réservé aux missions est destiné à la Société anglaise des missions, la WMMS,
qui est à l’origine de la création de stations missionnaires partout dans le monde, et qui a
besoin d’argent pour aider ces stations à devenir financièrement indépendantes. Le
méthodisme français, devenu Église, n’est plus une mission subventionnée par le
Royaume-Uni et doit être, ou devenir très vite, autonome. Chaque pasteur est donc tenu,
chaque année, de réunir ses membres et adhérents pour participer à une journée
missionnaire au cours de laquelle on fait une importante collecte en faveur des missions.
C’est ainsi que le jeune pasteur Auguste Martin204, accepté en 1855 et placé en tant que
novice à Congénies, décide de faire du lundi de Pâques 1857 une journée missionnaire et
d’y évoquer la possibilité d’une mission en Algérie :
Auguste Martin a eu le premier l’idée de fonder une mission méthodiste française en
Kabylie … Son discours produisit une telle impression que, séance tenante, on fit une
collecte qui produisit 132 francs205.
On en parle, en effet, dès la première journée, lors la réunion de l’Assemblée annuelle
203
PvC 1852 p. 20-21.
204
Né à Meuglon (Drôme) vers 1824, Auguste Martin est d’abord instituteur à Dieulefit. Sous l’influence de
François Farjat, un réveil éclate dans cette école, et plusieurs professeurs et élèves se convertissent, dont
Matthieu Alibert, Frédéric Galland, et Daniel Cornud, qui deviennent tous, par la suite, pasteurs méthodistes.
Le ministère d’Auguste Martin, à partir de sa consécration qui a lieu dans la chapelle de la rue Royale à Paris
le 19 juin 1859, dure de 1855 à 1887, pendant lequel il occupe les postes de Congénies, Le Vigan, Uzès,
Alais, Die, Ganges, Joinville et Livron. Pour la retraite, il retourne dans sa maison de famille à Meuglon. Il
meurt à Saint Gilles du Gard le 31 janvier 1909, dans sa 86 e année. Voir sa notice biographique dans AcC
1909, p. 52-54.
205
AcC 1909 p. 54, confirmé par une lettre signée d’Auguste Martin lui-même : CF 1898-2-484-486.
86
du District du Midi qui se tient dans la chapelle de la Fontaine, à Nîmes, sous la présidence
du pasteur Philippe Guiton206. Le frère Gallienne207 donne lecture d’une lettre adressée aux
Archives du Méthodisme :
Racontant comment une proposition a été faite dans une réunion à Congénies tendant à
fonder une mission en Algérie. Le frère De Jersey208 demande si quelque appel nous a
été adressé de ce pays. Nul appel direct, répond le frère Gallienne, ne nous est arrivé ;
mais la spontanéité de la proposition du frère Martin et la manière dont elle a été tout
de suite accueillie par nos amis – témoins leurs dons – ne serait-ce pas un appel ? Ce
serait d’ailleurs, observe-t-on, un excellent moyen d’intégrer nos amis. Entreprenons
de grandes choses, si nous voulons du succès. Quelques frères craignent que les
contributions spéciales en francs de cette œuvre ne soient faites au détriment des
œuvres existantes. Il est répondu que la chose n’est point prouvée, et que d’ailleurs le
Comité méthodiste des missions d’Angleterre qui nous fournit des fonds serait
heureux d’en accueillir cet emploi. Les frères Gallienne et Pulsford voient dans la
formation d’une telle œuvre, dépendant entièrement
des contributions des amis,
lesquels amis auraient une forte part dans la direction, un excellent moyen de les
habituer à prendre du zèle et de la responsabilité. Cette pensée est grandement
accueillie. Sur la proposition du Président de la Conférence, une souscription en
faveur de cette œuvre, est faite dans l’Assemblée séance tenante. Elle produit 87
francs209.
Les Actes de cette Assemblée annuelle du Midi reprennent les mêmes termes ajoutant
toutefois :
206
Natif de Jersey, il commence son ministère dans son île natale, en 1840. L’Assemblée du District Français
de 1842 recommande un échange de pasteurs entre la France et les Îles de la Manche. La Conférence
britannique de 1842 envoie donc Philippe Guiton pour desservir la Drôme et les Hautes-Alpes. Il reste en
France jusqu’en 1844 et rentre dans les Iles. Mais il revient dès 1847, à la demande de l’assemblée du
District français qui a besoin d’un pasteur à Calais. Il reste à Calais jusqu’en 1851, avant d’aller s’installer à
Lisieux (1852-1854). En 1855, il est nommé président du District du Midi et s’établit à Dieulefit pendant
quatre ans. Guiton est à Nîmes à partir de 1859, où il est de nouveau président du District du Midi pendant
deux ans. C’est à Nancy qu’il exerce son dernier poste en France (1865-1867) comme président du District
du Nord. En 1868 il est cédé aux Îles et rentre à Jersey où il prend sa retraite en 1870. Il meurt chez lui en
1883. Son long séjour en France fait de lui le chef de file de plusieurs générations de pasteurs méthodistes.
207
Il s’agit de Matthieu Gallienne père : Voir n. 49 p. 25.
208
Voir n. 47 p. 25.
209
PvM 1857, p. 44-45.
87
L’Assemblée accueille ce projet de fondation d’une mission en Algérie, et autorise les
surintendants dans le District à provoquer la formation de comités dans les diverses
localités de leur ressort pour obtenir des dons. Cette affaire devra être préalablement
portée à la connaissance de la Conférence prochaine pour son approbation210.
La question est en effet soulevée lors de la deuxième séance de la Conférence française
réunie à Lausanne du 2 au 11 septembre 1857. Nous nous permettons de citer de larges
extraits des débats, compte tenu de la saveur du langage utilisé et des informations
importantes qui s’y trouvent. Dans la liste des nouvelles stations à recommander à la
Conférence, après les noms de la Vallée d’Aigues, de Die, de Sauve, d’Uzès et de
Marseille, on trouve le titre Algérie. Et sous ce titre on peut lire :
Le secrétaire donne des explications. Il raconte ce qui s’est passé le lundi de Pâques à
Congénies. La pensée a été qu’une œuvre pareille, appartenant spécialement à nos
Sociétés, les intéresserait vivement. Mais le Comité déjà formé en vue de la chose a agi
avec prudence, en décidant qu’une somme de 4000 fr. devrait être recueillie avant que
l’on commençât à rien faire. Le frère Paul Cook pense que tous seront d’accord pour
approuver ce mouvement, mais la difficulté sera, comment l’organisera-t-on ? Sera-ce
une œuvre à part ? Sera-ce une œuvre missionnaire ? Il rappelle que l’Algérie est
toujours regardée comme une partie de la France … Évidemment cette mission
pourrait nous appartenir. Il propose qu’une commission de 2 ou 3 membres soit
nommée qui examineront ces questions, et élaborent un projet relatif à l’évangélisation
et aux missions. Le président du District lit une recommandation de l’Assemblée du
District ayant trait au même sujet. Le frère Lelièvre : l’étincelle de Congénies a passé
dans le journal Les Archives, et partout où le journal a passé, elle a allumé un feu. À
Aigle en une soirée 36 francs ont été donnés pour cette mission. Le frère Martin fait
observer qu’en Algérie il se trouve différentes populations. Laquelle a-t-on en vue ?
Toutes, répond le frère Lelièvre. Plusieurs frères émettent la pensée qu’il ne faudrait
pas négliger les œuvres que nous avons en main pour en faire une en Algérie. On leur
répond ; les frères Guiton, E. Cook, Massot211, Lelièvre, et le Président prennent part à
210
AcM 1857, p. 70.
211
Ce pasteur est une énigme. Nous ne savons ni où ni quand il est né, mais il n’est pas originaire des Îles. Il
a commencé son ministère en 1840, et il est assistant missionnaire en 1841 dans la Drôme et le Vaucluse. Les
Minutes font silence sur lui entre 1842 et 1844 parce qu’il est à Guernesey. En 1845, il dessert Nyons et les
Hautes-Alpes, ce qu’il fera jusqu’en 1849. Entre 1850 et 1852, on le retrouve dans le Gard-Sud, rayonnant à
partir de Nîmes, en Vaunage et en Gardonnenque. En 1853, il va à Bourdeaux, et en 1856 à Ganges. C’est
son poste final. En 1859, il est nommé président du District du Midi. Il est reconduit à ce poste en 1861,
88
la discussion. La clôture est demandée, et la proposition du frère P. Cook formulée
comme suit et appuyée par le frère E. Cook, est adoptée par 8 voix (3 frères
s’abstiennent) : La Conférence autorise et encourage des collectes en faveur de
l’Algérie, et afin de pouvoir fonder une œuvre durable, elle nomme une commission
chargée d’examiner sérieusement cette question dans ses rapports avec la Commission
d’évangélisation, et avec les missions à placer sous la direction de la Conférence
française. Cette Commission fera un rapport détaillé à la Conférence prochaine, et
présentera un projet d’organisation pour la Commission d’évangélisation212.
Plusieurs remarques s’imposent à la lecture de ce texte. Ce qui frappe d’emblée, c’est
l’extrême complexité de l’appareil administratif de cette petite Église ! Comme on ne sait
pas comment créer une mission, qu’on ne sait pas non plus comment réagira le Comité
britannique des missions, et parce qu’il y a déjà en place une Commission
d’évangélisation, on crée une nouvelle Commission d’étude du projet. De plus, le choix
des buts de la mission n’est pas clair : s’agit-il de partir évangéliser les populations
algériennes ? Et dans ce cas, lesquelles (la réponse de Jean Lelièvre n’est pas sérieuse) ?
Ou bien s’agit-il de mettre en place un moyen de motiver les membres les moins concernés
de leurs propres stations ? Enfin la curieuse remarque de Paul Cook : « L’Algérie est
toujours regardée comme une partie de la France » fait référence, peut-être, à cette
question que pose Daniel Rivet213 : « Algérie : Colonie française ou royaume arabe ? » Il
est vrai que les années 1848-1858 sont pleines d’incertitudes en ce qui concerne le destin
de l’Algérie. La Deuxième République entérine l’idée de l’assimilation de l’Algérie à la
France. Mais à la suite du plébiscite instituant le Second Empire, mal accepté en Algérie,
l’armée reprend ses manoeuvres de conquêtes. La réduction de la Kabylie date de 1857.
Alors : Algérie française ou terre de conquêtes ? Paul Cook est peut-être encore dans une
logique pré-impériale. Ou bien songe-t-il aux missions chez les païens que les grandes
Sociétés missionnaires fondent les unes après les autres, et dont L’Évangéliste se fait
l’écho ?
quand la Conférence le charge de préparer le sermon qui doit précéder les séances de la future Conférence de
1862. Mais les Actes de cette Conférence (1862) indiquent laconiquement, sans aucune explication, que
Pierre Massot ne fait plus partie du Corps méthodiste. D’Après Ev 1894, p. 75, Pierre Massot meurt en mai
1894, à l’âge de 75 ans, dans le poste de la Société Centrale qu’il occupait à Verdun depuis 19 ans.
212
PvC 1857, p. 161-162.
213
D. RIVET, op. cit. p. 121.
89
Charles Cook meurt le 21 janvier de l’année suivante. La Conférence de cette année
1858, qui se tient à Dieulefit du 30 juin au 7 juillet, ne laisse guère de place au projet de
mission en Algérie. Dans sa cinquième séance du mardi 6 juillet, le rapporteur des finances
estime pour l’année 1859 un déficit probable de 15.000 francs, ce qui implique l’aide
accentuée des Britanniques214. La Commission d‘évangélisation est intervenue juste pour
signaler dans son rapport :
Quant à la Société d’évangélisation, on demeure dans le statu-quo.
Pour ce qui est de l’Algérie, on ne peut pas l’occuper, faute d’hommes et de fonds.
1-1-2- Le projet missionnaire de 1858 à 1876
On n’entend plus parler d’une mission en Algérie jusqu’en 1876, à part une question
posée lors de la Conférence de 1859 (Paris, rue Royale, 15-22 juin), concernant l’argent
déjà récolté en faveur d’une œuvre qui n’est pas développée ; dans le rapport de la
Commission d’évangélisation le rapporteur déclare : « On décide … que l’argent collecté
en faveur de l‘Algérie sera placé à intérêt par les soins du Trésorier général215. »
L’évangélisation de l’Algérie est donc une œuvre prématurée pour la petite Église
méthodiste française. Celle-ci se débat d’ailleurs dans d’énormes problèmes financiers, et
nous pouvons légitimement nous poser la question de savoir si émettre à un tel moment
une proposition aussi démesurée que de fonder une mission en Algérie en plein marasme
financier ne participe pas d’une tentative de manœuvre destinée à détourner l’attention à la
fois des membres de l’Église méthodiste en France, mais aussi du Comité des missions
britannique. Après tout, le gouvernement de Charles X n’avait-il pas lancé ses troupes
contre le Dey d’Alger pour détourner les Français de leur pulsion révolutionnaire ?
Pourquoi les méthodistes français n’auraient-ils pas eu le même réflexe ? Et pourtant,
pendant cette longue période, nous pouvons sentir, à la lecture des procès-verbaux et des
Actes des différentes Conférences, comme un murissement de l’idée d’une présence
méthodiste française en Algérie.
Ainsi, au cours de l’assemblée du District du Midi qui s’est tenue entre le 17 et le 24
avril 1861, le secrétaire signale une discussion à propos de Haïti, qui se termine par cette
214
PvC 1858, p. 214.
215
PvC 1859, p. 246.
90
décision :
L’Assemblée de District recommande à la Conférence de nommer une Commission,
qui examinera avec soin tout ce qui pourra concerner :
- Les moyens et opportunités de commencer une mission en Algérie
- S’il serait avantageux et possible de rattacher l’œuvre de Haïti à la Conférence
française
- Ce que la Conférence française pourrait faire en vue du vaste et beau champs
qui s’ouvre à l’Évangile en Italie216.
Pourtant cette proposition de créer une nouvelle commission n’est pas à l’ordre du jour
des séances de la Conférence de Paris, du 21 au 28 juin de la même année. La question est
reprise encore une fois, toujours pendant une assemblée du District du Midi, lors de sa
réunion des 11 au 17 juin 1862 : Il est question aussi de l’Algérie : « Le frère Émile Cook
dit qu’il connaît un ouvrier tout prêt, c’est M. Couton de Codognan. Rien n’est décidé à cet
égard. Renvoyé à la Conférence217. » La Conférence de 1862, Nîmes, 21-27 juin, ne
reprend pas la question. Puis, lors de l’assemblée du District du Midi (qui semble
décidément être le moteur du désir de mission des méthodistes en Algérie !) de 1866
(Dieulefit, 18-26 avril) :
M. Hocquard218 lit une lettre qu’il a reçue de M. Eldin, actuellement en Algérie, qui
désire rentrer parmi nous. Il a été missionnaire wesleyen à Haïti pendant 14 ans, et a
passé par toutes les épreuves de notre noviciat. Il na pas été renvoyé, et les causes pour
lesquelles il a donné sa démission ne lui sont nullement défavorables. L’Assemblée est
d’accord de renvoyer la discussion de cette demande à la Conférence, en la priant de
s’en occuper sérieusement.
La Conférence d’Anduze (du 22 au 30 juin de la même année) reprend en effet la
proposition, sans suite. Par contre, celle-ci exprime sans détour les motivations profondes à
216
PvM 1961, p. 115
217
PvM 1862, p. 144.
218
Philippe Hocquard rentre au noviciat en 1853 et est placé aussitôt à Vauvert. De 1859 à 1862 il est dans la
Drôme, à Dieulefit et Nyons. Après une brève année au Vigan (1866) il est envoyé à Jersey en 1867. Il y
démissionne entre 1870 et 1871. Ph. G. Adair, dans une lettre à la Correspondance fraternelle (CF-1891-4446-447) de 1891 donne de ses nouvelles : Hocquard est devenu marchand de vin de spiritueux à Toulouse,
et vit maritalement avec une dame qui lui a donné 6 enfants (il est déjà marié et père !). Il meurt à Toulouse
en décembre 1890.
91
la source d’une œuvre missionnaire, dont avons déjà parlé, provoquée par la demande du
Canada219 de leur envoyer des pasteurs méthodistes français afin d’y exercer leur ministère
auprès des méthodistes canadiens francophones.
Nous n’avons plus ensuite, jusqu’en 1876, qu’un grand silence des textes sur ce projet
de mission en Algérie. Pourtant nous pouvons distinguer, par ci par là, quelques
résurgences du désir missionnaire des méthodistes français pendant cette période. Il semble
que l’idée initiale ait subi une longue gestation préalable, avant de surgir en 1876 comme
sortie du chapeau d’un prestidigitateur !
1-2- Les voyages d’exploration
Nous avons déjà donné un aperçu des rapports difficiles établis entre la petite Église
méthodiste française et le Comité des missions britannique. Dans l’optique de ce dernier, le
poste missionnaire, où qu’il soit implanté, doit devenir Église, dirigée par les autochtones,
et financièrement autonome. Le cas de la mission en France représente non seulement un
cas particulier, mais un échec flagrant. En effet cette mission, devenue Église, n’est pas
financièrement viable, mais de plus elle voit son déficit s’aggraver d’année en année.
Enfin, les effectifs fondent, et ne sont pas renouvelés.
Nous avons vu que l’année 1876 est l’année charnière de ces rapports tendus entre les
méthodistes des deux cotés de la Manche. Pendant sa séance du mercredi 28 juin au matin,
lors de la Conférence d’Anduze (22-30 juin), les délégués se penchent sur les fameuses
résolutions du Comité de Londres, dont nous ne connaissons pas le texte directement, mais
dont nous pouvons lire la discussion dans le procès-verbal de la Conférence.220 Dans le
même Procès-verbal, page 677, on trouve cette petite phrase qui semble venir de nulle part,
et qui n’est pas reprise dans les Actes de la Conférence : « Séance du vendredi matin, 30
juin. La séance est ouverte à 6 h. du matin par la prière de M. Ozanne221. M. W. Lelièvre
est nommé rapporteur d’un projet d’étude en vue d’une mission en Algérie. » Aucune
discussion ne précède cette décision. Rien ne la laisse présager. À l’évidence il existe un
rapport entre cette décision et les difficultés des méthodistes français au regard de leur
219
Voir p. 53.
220
PvC 1876, p. 670 à 673.
221
James Lihou Ozanne est reçu comme étudiant en 1865 et envoyé à Saint Pierre les Calais auprès du maître
William Cornforth. Il y reste jusqu’à sa pleine réception en 1870. Il est à Jersey de 1870 à 1872, puis à
Anduze de 1873 à 1877, et enfin à Vevey de 1877 jusqu’à sa démission, en 1879.
92
autorité de tutelle financière. On pourrait penser à une fuite en avant ! Nous ne possédons
pas, hélas, les lettres de la Correspondance fraternelle de ces années. Nous y aurions
probablement trouvé, grâce à l’évocation des états d’âme des pasteurs, quelques
indications sur un débat interne en rapport à cette mission en Algérie.
En tous cas la Conférence de 1877 donne quelques informations nouvelles à propos de
l’Algérie : Jean-Wesley Lelièvre répond à une invitation de M. Gustave-Émile Terrasse, un
drômois installé dans une propriété située près d’El Kseur, dans la vallée du Sahel 222 qui
sépare les deux Kabylies, la Grande et la Petite. L’Évangéliste s’en fait l’écho, sous la
plume de Matthieu Lelièvre :
En 1877 un de nos amis de la Drôme installé dans la Vallée du Sahel, près de Bougie,
invitait M. J. W. Lelièvre à lui faire une visite et un moment nous crûmes à la possibilité
d’une mission méthodiste en Algérie ; la Conférence jugea plus prudent d’attendre pour
des considérations toutes financières223…
J.W. Lelièvre revient donc de son voyage en Algérie, un voyage probablement limité à la
région de Bougie et des contreforts de la Petite Kabylie, et expose ses conclusions lors de
la cinquième journée de la Conférence de Paris (22 au 29 juin 1877) :
M. J.W. Lelièvre présente un rapport verbal de son voyage en Algérie. Ce voyage lui
a permis de constater que des centaines de protestants sont privés de tout secours
spirituel et que de nombreuses populations musulmanes seraient accessibles à la
prédication de l’Évangile, il proposerait que des écoles soient fondées à Bougie et
qu’une visite annuelle soit faite, en attendant. L’Assemblée présente à M. Lelièvre
ses remerciements pour cette intéressante communication et il est prié de faire au
Comité de Londres une relation de son voyage et (de) témoigner de l’urgence qu’il y
aurait d’entreprendre une œuvre dans cette région. M. J.W. Lelièvre demande à ce
que les sommes autrefois collectées pour l’Algérie restent affectées à cet objet et que
ce fond soit prélevé de 150 fr. pour couvrir les frais de ce premier voyage
d’exploration. Comme amendement l’Assemblée décide qu’il sera demandé au
Comité des missions de Londres l’autorisation de prélever ces 150 fr. sur nos
collectes missionnaires et qu’il sera fait des recherches dans nos actes et procès222
C. NOUVEL, op. cit. p. 37.
223
Ev 1886, p. 113.
93
verbaux pour connaître les décisions qui ont été prises quant à la gestion des sommes
affectées pour l’Algérie224.
Nous savons, par l’article que J.W. Lelièvre fait passer dans L’Évangéliste du 1er août
1884225, que « notre rapport fut favorable au projet, peut-être trop favorable : car on ne le
prit pas au sérieux, et on ne crut pas même devoir ratifier les conclusions de l’explorateur
en le défrayant de ses dépenses de voyage ». Ce texte confirme deux informations sûres :
les collectes missionnaires sont envoyées au Comité des missions de Londres, et c’est bien
lui qui tient les cordons de la bourse ; et plus personne ne sait ce que sont devenus les
fonds mis de coté, pour la mission en Algérie, depuis 1858 !
Le sujet de la mission en Algérie ne préoccupe plus les méthodistes français pendant les
sept années qui suivent, à part peut-être la lecture, en 1882, faite devant la Conférence de
Nîmes (8-15 juin) par le pasteur Galland, « d’une lettre d’un notaire de Constantine qui
offrirait 1200 fr. par an, si nous voulions fonder une œuvre missionnaire dans ce pays226 ».
La mission méthodiste française en Kabylie doit décidément beaucoup à la petite ville
d’Anduze (Gard). Car c’est dans cette ville, de nouveau, que les pasteurs méthodistes se
réunissent pour leur Conférence annuelle, du 26 juin au 3 juillet 1884. Et c’est lors de la
deuxième séance de la sixième journée que l’intervention de M. Gibson devient décisive :
La séance est ouverte à 2 heures, par une prière du frère Marseille. Mr. Gibson
demande s’il ne serait pas opportun que la Conférence s’occupât de la fondation
d’une mission en Algérie. Il croit que le Comité des missions wesleyennes serait
disposé à nous abandonner en vue de cette œuvre les fonds de missions collectés
dans nos Églises en France. Il est observé que Mr. Gibson n’est pas le premier à
parler d’une telle œuvre. L’idée en est née au sein de la Conférence française ellemême il y a déjà longtemps. Mr. Jenkins dit que l’homme pour fonder cette mission
est tout trouvé en la personne de M. J.W. Lelièvre. Il faudrait que celui-ci alla faire
en Algérie un voyage d’exploration avant la Conférence de 1885. Pour ce qui le
concerne, M. Jenkins est prêt à plaider la cause de cette œuvre auprès du Comité
224
PvC 1877, p. 694-695.
225
Ev. 1884, p. 241-242.
226
PvC 1882, p. 807.
94
dont il fait partie. M. Galland appuie fortement cette motion. Il a en caisse la somme
de 400 fr., qu’il tient à la disposition de la Conférence quand celle-ci voudra
entreprendre la mission algérienne, de plus il offre de plaider chaque année dans son
journal227
les intérêts de cette mission. M. Matthieu Lelièvre demande qu’une
décision pour envoyer cette année M. W. Lelièvre en Algérie afin d’examiner la
situation soit prise sur le champ. M. Pulsford228 parle dans le même sens, et la
Conférence accueille avec empressement l’idée de l’établissement d’une mission en
Algérie, et invite M. W. Lelièvre à y faire cette année-même une visite
d’exploration. Il aura à présenter à la prochaine Conférence un rapport très
détaillé229.
Ce qui compte dans le texte que nous venons de citer est la caution donnée par le
Comité missionnaire de Londres, par l’intermédiaire de Mrs. Gibson et Jenkins, à l’idée
d’une mission méthodiste en Algérie. Ainsi cette mission devient possible ! Pourtant elle
sera financée, non par le Comité britannique, mais par les sommes récoltées en France
pour ce but particulier !
227
La Chambre haute.
228
Luc Pulsford est né à Lille d’un père anglais, installé en France pour ses affaires, et d’une mère française,
le 29 juillet 1816. Pour l’époque, ce pasteur aura une longévité exceptionnelle : 98 ans. Il est converti vers
1831. Le jeune Pulsford suit des cours d’architecture à l’École des Beaux Arts, à Paris, puis dans l’atelier de
M. de Valmont, grâce à qui il entre en contact avec les fidèles de la chapelle Taitbout. Il se rattache à la
Société méthodiste et il est encouragé par W. Toase et Ph. le Bas à entrer dans le ministère. Il est admis au
noviciat en 1841 et aussitôt placé dans le Circuit de Nîmes, avec Hocart d’abord, puis avec Gallienne. De
1843 à 1845, on l’envoie à Reims et à Rouen. En 1846, il est en poste à Bourdeaux. Grâce à l’entremise de
son collègue, P. Roy, il entre en contact épistolaire avec une demoiselle d’Anduze, Suzanne-Julie Comert,
qu’il épouse le 3 mai 1847. C’est le pasteur Soulier d’Anduze qui célébre le mariage, lui qui avait baptisé
Julie (c’est, paraît-il, le premier baptême célébré dans le nouveau Temple d’Anduze, car elle est née le 11
octobre 1823) et qui avait confirmé ce baptême en 1839. Le jeune couple s’installe à Bourdeaux. Ils font un
bref séjour d’une année (1849) à Codognan, puis ils vont à Alais le 17 septembre 1850. À partir de 1852, à
Nîmes, ils dirigent le pensionnat évangélique de jeunes filles, pendant six ans. Le 16 octobre 1857, ils
s’installent à St-Pierre-les-Calais pour deux ans, avant d’aller à Paris, où Luc s’occupe de L’Évangéliste. De
1866 à 1872, le couple est de retour à Anduze, où ils seront de nouveau en 1877, après un séjour de cinq ans
à Thiers. Luc Pulsford perd sa femme à Anduze le 8 juin 1884. Ce fut un immense drame pour lui car son
épouse lui fut une aide extrêmement précieuse tout au long de leur vie commune. Pendant les années
suivantes, il eut, disent les Actes de 1910, une activité intermittente. Il prend sa retraite à Honfleur, où il est
en poste, en 1895, à 79 ans. Il meurt à Honfleur chargé d’ans le 9 janvier 1914. Ce pasteur, très sourd à la
fin de sa vie, aimait beaucoup les enfants, lui qui n’a jamais été père. Il a écrit pour eux et pour les écoles du
Dimanche un recueil de cantique : Chants et Récits Biblique. Mais il en a écrit un autre pour l’Église
Méthodiste : L’Harmonie d’Israël, qui fut très utilisé. Bibliographie : Actes du 61e synode, Paris, notice
nécrologique. Lire aussi : James HOCART, Femme de Pasteur, notes bibliographiques sur Madame Julie
Pulsford, née Comert, Paris, Librairie Évangélique, 1887.
229
PvC 1884, p. 873.
95
L’Évangéliste du vendredi 1er août 1884 s’émeut du fait que l’organe de l’Église
réformée, Le Christianisme, « en annonçant à ses lecteurs que l’Église méthodiste a pris la
résolution de fonder une mission en Algérie, exprime le vœux que nous n’allions pas nous
établir là où il y a déjà des pasteurs évangéliques230 ». Un peu plus loin, le même numéro
de l’hebdomadaire méthodiste signale que « dans une lettre à L’Église libre, M. le pasteur
Lasserre, de Tizi-Ouzou (Consistoire d’Alger) représente la mission projetée en Kabylie
comme une entreprise inutile et ne devant donner aucun résultat231 ». Un fidèle lecteur de
L’Évangéliste, l’ingénieur Krug de Vergèze, écrit à ce journal le 30 septembre une lettre
critiquant sévèrement les prises de positions défaitistes du pasteur Lasserre :
Jusqu’ici on n’a pas cherché à évangéliser l’Algérie, et pour commencer cette
évangélisation on ne pourrait pas mieux choisir qu’en commençant par les Kabyles
… et n’en déplaise à M. Lasserre, pour le moment, les Kabyles sont la seule
portion intéressante de la population algérienne. Serait-ce plutôt les Maltais ou les
Arabes ? … Je suis (pourtant) d’accord avec M. Lasserre sur un point : l’œuvre de
l’évangélisation en Algérie sera difficile, mais au lieu de chercher à vous décourager
il ferait mieux de faire le contraire232.
La Semaine religieuse réagit à son tour aux lettres du pasteur Lasserre parues dans
L’Église libre :
M. Lasserre se montre très sceptique au sujet des résultats possibles de la mission
auprès des Kabyles qui, suivant lui, ne songeraient, pour le moment, qu’à exploiter
les Européens en vue d’un intérêt purement matériel. – C’est possible et même
probable -. Mais ces gens-là ont pourtant une âme, et avec de la patience les
messagers de l’Évangile réussiront certainement à réveiller leurs besoins spirituels,
dussent-ils même attendre l’espace de plusieurs générations pour recueillir le fruit de
leur travail233.
Pour clore cet échange polémique, le pasteur Lasserre répond à M. Krug dans une lettre,
230
Ev 1884, p. 241.
231
Ev 1884, p. 295.
232
Ev 1884, p 320.
233
Cité dans Ev 1884, p. 343.
96
datée du 14 octbre et envoyée à L’Évangéliste :
Je ne nie nullement que les Kabyles ne soient une portion intéressante de la population
algérienne. J’écarte seulement le restrictif seule dont vous avez orné votre affirmation.
Arabes et Maltais ont une âme, et cela seul devrait suffire à les préserver de votre
mépris.
On voit par cet échange aigre-doux que le mythe kabyle est dans toutes les têtes, et que
pour tous les protestants français, quelle que soir leur Église, la Kabylie reste le meilleur,
sinon le seul lieu d’évangélisation possible en milieu musulman.
En tout cas, J.W. Lelièvre embarque à Marseille au printemps 1885. Nous connaissons
assez bien ce voyage missionnaire de J.W. Lelièvre grâce à une série de dix lettres,
envoyées
régulièrement
des
différents
lieux
de
son
séjour,
au
rédacteur
de L’Évangéliste234. Arrivé la veille à Marseille où il descend à l’Hôtel du Danube, J.W.
Lelièvre embarque donc le lundi 23 mars 1885 à bord du bateau à vapeur La Guadeloupe.
Notre pasteur est bien décidé à prendre quelques vacances à l’occasion de cette croisière. Il
essuie une tempête au sud de la Corse, et fait escale à Naples où il est accueilli par le Rev.
T.W. Jones, un pasteur méthodiste installé en Italie depuis vingt ans. Il visite Pompéi et
réembarque. Vendredi matin (27 mars) il passe au large de la Sicile et de l’Etna, et le
samedi à midi le bateau entre à La Goulette, le port de Tunis. Le soir-même il rencontre
M. Durmeyer, aumônier militaire de la Tunisie. Celui-ci a fondé une Église à Tunis, mais
n’a pas encore de temple. La présence du Cardinal Lavigerie se fait sentir partout. Lelièvre
visite Carthage : « Le christianisme revivra ici ; mais c’est M. Durmeyer et non M. de La
Vigerie, qui renoue la chaine qui rattache le présent à un glorieux passé ; c’est lui qui est le
vrai successeur de Cyprien235. » J.W. Lelièvre reste à Tunis du samedi 28 mars au
234
Ev 1885 : Lettre de Tunis : 30 mars, p. 119-121
1e Lettre de Bône, 3 avril, p. 126-127
2e Lettre de Constantine : 7 avril, p. 136-137
3e Lettre de Sétif : 10 avril, p. 143-144
4e Lettre de Bougie : 13 avril, p. 150
5e Lettre de Bougie : 18 avril, p. 159-160
6e Lettre de Mostaganem : 30avril, p. 167-168
7e Lettre d’Oran : 9 mai, p. 175
8e Lettre d’Alger : 17 mai, p. 182-183
Suite : Calais, p. 190-191.
235
Ev 1885, p. 127.
97
mercredi 1er avril. Il prend le train pour Bône le jeudi 2 avril, où il arrive le soir. À Bône il
rencontre le pasteur Meyer et assiste à deux cultes dans le joli petit temple de style
gothique. Il visite les ruines d’Hippone, la ville d’Augustin. Dimanche de Pâques, 5 avril,
Lelièvre est à Constantine. Il assiste au culte présidé par les deux pasteurs, MM. Besançon
et Scherb. Lelièvre part de Constantine le 9 avril, et passe la journée du 10 à Sétif, avant de
repartir le samedi 11 pour Bougie, en passant par le célèbre Chabet el Akra (le ravin de la
mort) : beauté des paysages, pauvreté des habitants ! Le lendemain, c’est la fameuse
rencontre de Bougie dont nous avons déjà parlé236, entre J. W. Lelièvre, Hermann Krüger
et le pasteur de Bougie, M. Bernard. Notre explorateur reste quelques temps à Bougie, sous
une pluie constante, et donne beaucoup de détails descriptifs de la région dans ses lettres :
Parce-que, sans rien préjuger, il me semble que c’est Bougie qui sera le point
d’appui naturel de notre oeuvre, si nous entreprenons une mission parmi les Kabyles
de l’Oued-Sahel et de la Petite Kabylie en général. Et je crois plus que jamais que
c’est en effet dans cette vallée et dans les montagnes de l’Est que nous trouverons un
champ d’évangélisation où personne n‘a jamais pénétré et où les difficultés
matérielles et morales sont, semble-t-il, moins grandes que de l’autre coté du
Djurdjura237.
Lelièvre reste huit jours à Bougie, attendant vainement le beau temps pour pouvoir
rendre visite aux missionnaires de Djemâa Sahridj, à M. Mayor à Moknéa, et au pasteur
Lasserre à Tizi-Ouzou. Il quitte donc Bougie pour Alger où il passe une semaine de
convalescence après avoir été malade à Bougie. À Alger il rencontre MM. Lowitz238 et
Pearse239. Autour du 30 avril Lelièvre est à Mostaganem240. Il y trouve le pasteur Astier
dont il reçoit une grande quantité d’informations utiles. Dans la région montagneuse du
Dahra, il rend visite le dimanche 3 mai aux villages nouveaux de Aïn-Ouïllis et de
Bosquet, où M. Reboul a attiré plusieurs familles méthodistes de Dieulefit et de la Drôme.
236
Voir p. 85.
237
Ev 1885, p. 168.
238
Voir p. 80 : la British and Foreign Bible Society.
239
Voir p. 79 : la North Africa Mission.
240
Dans sa lettre de Mostaganem datée du 30 avril (Ev 1885 p. 167) Lelièvre écrit : « Dans la petite Kabylie
orientale se trouvent les villages où je fis une première visite il y a huit ans ». Cela nous ramène à 1877, date
de son premier voyage en Algérie. Nous ne connaissons pas d’autres voyages, malgré Zohra Aït Abelmalek
(Z. AIT ABDELMALEK, op. cit. p. 37.), citant Mayor, ou Christophe Nouvel (C. NOUVEL, op. cit. p. 37).
98
À Oran il est accueilli par le pasteur Eldin, dont nous avons parlé241, mais il n’a pas le
temps d’aller jusqu’à Tlemcen. Enfin Lelièvre retourne en Kabylie. D’Alger à Tizi-Ouzou
il prend la diligence. Là, fort des bonnes relations épistolaires qu’il entretenait auparavant
avec le pasteur Lasserre, il se présente chez lui en toute confiance, mais Lasserre ne le
reçoit pas (Faut-il s’en étonner, avec ce que nous savons de la polémique antérieure ?).
J.W. Lelièvre rejoint alors Mekla, puis Djemâa Sahridj, grâce à l’aide d’un mulet loué pour
la circonstance. À Djemâa Sahridj il fait la connaissance de l’Écossais Mr. Lamb et du
Suisse M. Cuendet. De plus il a la chance, arrivé à Moknéa, d’y trouver H. Krüger aux
cotés d’H. S. Mayor. Notre voyageur retourne à Alger, autour du 17 mai, où il embarque
pour la France. Il doit être, en effet, présent à la Conférence de Calais qui commence le 3
juin 1885, afin d’y exposer son rapport sur la possibilité d’une mission en Algérie ou, plus
précisément maintenant, en Kabylie.
La Conférence de Calais (4 -11 juin 1885) se trouve donc, quant à l’histoire de la
mission méthodiste en Kabylie, à la croisée des chemins. Les Actes, pourtant, sont avares
en renseignements. Pour la première fois nous y trouvons, toutefois, le titre d’une nouvelle
rubrique : Algérie. Sous ce titre nous pouvons lire :
La Conférence française a écouté avec intérêt la lecture du rapport sur
l’établissement d’une mission présenté par J.W. Lelièvre, qui a fait une visite
d’exploration dans ce pays. Elle a nommé une Commission de cinq pasteurs qui est
chargée de s’adjoindre un nombre égal de laïques. Ces pasteurs sont MM. Pulsford,
J.W. Lelièvre, Matthieu Gallienne242, L.F. Galland243, et O. Prunier.244
241
Voir p. 93.
242
Fils ainé de Matthieu Gallienne père (tous les premiers nés de la famille portent ce prénom) naît en France
en 1840. Il est consacré en 1864 à Bradford et envoyé à Valleraugue où il reste trois ans. Puis trois ans au
Vigan, et à Bourdeaux. En 1874 il est à Nîmes, où il dirige l’institution de jeunes gens et L’Évangéliste. De
1877 à 1880 on le retrouve à Saint Pierre les Calais et en 1880 il reprend la direction de la maison d’étude à
Lausanne pour trois ans. Après un séjour dans les Îles de la Manche, il revient à Nîmes pour prendre les
mêmes responsabilités, de 1891 à 1894. De 1895 à 1897, il dessert Bourdeaux, et de 1897 à 1906, il est à
Paris, chapelle Malesherbes. En 1906 il décide de rentrer chez lui, à Guernesey, mais il ne prend sa retraite
qu’en 1912. Il meurt dans sa maison familiale de Saint Pierre Port en 1922.
243
Nous avons déjà parlé de ce pasteur, page 43, à propos de son petit journal, La Chambre Haute. Il est né
probablement en 1833. Reçu au noviciat en 1861, il est envoyé à Die. Louis Frédéric Galland devait être un
adepte inconditionnel de l’itinérance ! Qu’on en juge : 1861-1865 : Die ; 1865-1869 : Congénies ; 18691872 : Nyons ; 1872-1877 : Thiers ; 1877- après 1885 : Anduze ; depuis environ 1885 -1891 : Valleraugues ;
1891-1893 : Ganges ; 1893-1897 : Bourdeaux, où il prend sa retraite en 1899. Il meurt à Cannes en 1903.
244
AcC 1885 p.15.
99
100
Carte des Kabylies
Émile BRÈS, L’Algérie champ de mission, texte dactylographié, 1947, p. 14.
C’est un peu court : nous ne savons rien ni sur le point de vue des méthodistes anglais
du Comité des missions, ni sur les ouvriers qui pourraient être envoyés en Algérie, ni sur le
soutien éventuel d’une société missionnaire bien française, la SMEP par exemple,
intéressée par une tentative de mission en Algérie. Heureusement le procès-verbal des
réunions de la Conférence est plus explicite. Ainsi nous apprenons qu’au début de la
matinée du 7 juin, lors de la troisième journée,
M. W. Lelièvre lit son rapport sur la mission en Algérie. Mr. Gibson dit : J’ai été
intéressé en entendant le rapport de M. Lelièvre, mais il croit qu’il n’y a pas lieu
d’espérer que nous puissions avoir une allocation spéciale du Comité de Londres. M.
Cook pense que la création de cette mission aurait pour résultat de ranimer le zèle
missionnaire de nos églises qui est en déclin. … [pour] M. Matthieu Lelièvre, ce
n’est pas une mission, c’est un voyage en France. On irait dans une ville, à Bougie
où la vie ne serait pas plus chère, par exemple. Une Église qui a une mission à elle a
un encouragement puissant pour sa vie spirituelle. Quand même on aurait à
abandonner un poste en France, nous ne ferions qu’obéir à l’ordre évangélique qui
ordonne de se transporter ailleurs quand on ne réussit pas dans une ville. Quant aux 5
ou 6000 francs nécessaires nous les aurons au moyen d’une partie des fonds de
missions et au moyen de collectes spéciales faits en dehors de notre public. … Sur
une question qui lui est posée, M. W. Lelièvre déclare qu’il n’est ni assez jeune, ni
assez fort pour entreprendre cette mission. Il faudrait quelqu’un de jeune et de marié.
… M. Cook pense qu’il serait bon de désigner d’ores et déjà les frères qui
pourraient se préparer par la lecture. … M. Thomas Hocart245 se lève pour dire
qu’il consent à aller en Algérie, mais qu’il lui faut une année de lectures et de
préparation ; il demanderait aussi que M. W. Lelièvre vienne l’initier à ses débuts.
M. Bolle fait les mêmes déclarations pour lui et pour sa fiancée246.
245
Ce jeune pasteur vient juste d’être consacré au Saint Ministère avec ses deux collègues, Gustave-Gabriel
Bolle et Georges Godel (AcC 1885, p. 5).
246
PvC 1885, p. 896-897.
101
D’autre part, il apparaît qu’à aucun moment l’Église méthodiste française et la SMEP
ne se soient rapprochées en vue d’un travail missionnaire commun en Algérie ou, plus
précisément, en Kabylie. Lors de la rencontre de Bougie en avril 1885, John-Wesley
Lelièvre, envoyé par l’Église Méthodiste de France, fait la connaissance d’Hermann
Krüger, envoyé par la SMEP. Les rapports d’exploration de l’un et de l’autre paraissent en
même temps en juin 1885. Leurs conclusions sont semblables : l’évangélisation des
musulmans algériens est possible, à condition que cela soit de préférence en Kabylie que
s’établisse une mission protestante française. Mais ni l’un ni l’autre rapport ne cite son
concurrent. À peine si Krüger rappelle que : « L’Église méthodiste fit faire une enquête en
Algérie, il y a environ huit ans, par M. J.W. Lelièvre. Mais la conférence ne donna pas
suite à ce projet. » Krüger ne parle pas non plus de sa rencontre avec Lelièvre à Bougie en
avril de cette même année 1885 !
Il est curieux de constater les rapports croisés et non concurrentiels entre l’Église
Méthodiste de France, qui est le fruit d’une mission des méthodistes d’Outre-Manche en
France (et en Algérie française), alors que la SMEP, bien française, est partie au loin
évangéliser les populations des régions africaines placées sous mandat colonial
britannique ! En tous cas, les méthodistes français n’ont pas songé à demander une
quelconque aide ou un quelconque soutien logistique à la SMEP, car ils dépendaient
presque excusivement de la Conférence britannique. Et les conditions du choix de la
Kabylie comme terre de mission n’ont pas été les mêmes : l’Église méthodiste s’est
implantée là où des colons méthodistes les avaient appelés, alors que la SMEP a salarié
Mayor à Moknéa plus, semble-t-il, pour se débarrasser de la polémique issue de la
brochure du pasteur luthérien Auguste Méttetal : Le péril du protestantisme en Algérie,
d’octobre 1883, dont nous avons parlé p. 78 – 81.
Nous avons donc les réponses à nos premières questions. Le Comité de Londres semble
être favorable au projet, et consentirait même à participer à son financement, ce qui
excluerait de demander de l’aide à une autre société missionnaire française, comme la
SMEP. Et deux jeunes pasteurs sont volontaires pour tenter l’aventure. Restent pourtant
trois questions en suspens : quand, comment, et surtout où cette mission va-t-elle
commencer ?
1-3- Thomas Hocart à Bougie
102
Suite à la Conférence de Calais (1885), Thomas Hocart est « cédé pour l’année aux îles
de la Manche247 ». En a-t-il profité pour se préparer à la grande aventure missionnaire pour
laquelle il s’est porté volontaire ? Il semble bien que non.
En effet, le projet missionnaire démarre vraiment lentement. Ainsi dans la dernière
livraison de la Correspondance fraternelle pour l’année 1885, en date du 19 octobre, le
Correspondant central, Paul Cook, cosigne avec William Corforth un Corrigenda et
Addenda aux Actes de la Conférence de Calais, 1885248 dans lequel on peut lire :
Mission en Algérie. La Commission qui doit se rencontrer avec les secrétaires du
Comité de Londres, est chargé d’aviser aux voies et moyens touchant la fondation de
cette mission. Tout ce que la Commission a pu faire a été de demander que les
collectes faites au sein de notre Église pour les missions, puissent être désormais
affectées à notre mission en Algérie, au lieu de rentrer dans la caisse de la Société de
Londres. Mr Olver nous a répondu que cela lui paraissait raisonnable, et qu’il
tâcherait de nous l’obtenir.
D’autre part L’Évangéliste n’est pas prolixe. Pendant le reste de l’année, ses colonnes
ne présentent que deux articles de Alfred S. Lamb qui racontent chacun une tournée en
Kabylie249. La première se situe autour de Djemâa Sahridj, où il rend visite à Miss Gillard
qui habite à Taâroost. La deuxième le mène à Bougie en passant par Dellys. Dans le port
kabyle, il a cette remarque qui pourrait paraître prémonitoire, étant écrite dans
L’Évangéliste du 28 août :
Nous n’avons pas été moins charmés du paysage de l’Oued-Sahel. Les flancs des
montagnes sont émaillés, si je puis ainsi parler, de villages kabyles, et offrent un
spectacle si agréable que nous nous sommes écriés plus d’une fois : Quel endroit
magnifique pour une œuvre missionnaire parmi les Kabyles ! Tout le long de la
route qui mène à Akbou, sur une longueur de plus de quatre-vingt-dix kilomètres, les
villages kabyles abondent sur les deux rives de l’Oued-Sahel. N’est-ce pas que vous
avez eu la pensée d’établir là la première station missionnaire de votre Église parmi
247
AcC 1885, p.9.
248
CF 1885-4-929 à 932.
249
Ev 1885, p. 256 et 280.
103
les Kabyles ?
L’impact du projet parmi les pasteurs pose aussi question : on pourrait s’attendre à un
enthousiasme exubérant, et on ne trouve dans la Correspondance fraternelle que les échos
d’un silence indifférent. Ainsi, dans la livraison d’avril 1886, Matthieu Audibert250 se
plaint de ne pas avoir de nouvelles du projet d’une mission en Algérie. Mais il met en
garde ses collègues : « Je persiste à penser qu’avant de nous engager dans cette voie, il
nous faut avoir l’assentiment officiel de nos Églises … Nous ne pouvons rien faire et ne
devons rien faire sans leur concours251 …. » Évidemment Audibert sait bien que le
Comité missionnaire britannique ne financera pas le projet missionnaire français, et que
celui-ci ne dépend financièrement que des collectes faites dans les Églises en France.
Louis-Frédéric Galland, quant à lui, va plus loin :
J’apprends que notre mission en Algérie, à peine décidée, rencontre très peu
d’enthousiasme parmi nous. Est-ce vrai ? Ce serait bien triste. Quand nous obtenons
ce que nous avons désiré, est-ce le moment d’hésiter ? Voyez les autres Églises, elles
n’hésitent pas : elles marchent ! Il y a un Comité, mais qui en est président ? Où et
quand va-t-il se réunir ? Frères, courage ! De la foi, de l’énergie et de la virilité, et
que Dieu réveille et sanctifie chacun de nous !252
L’acte officiel de naissance de la mission méthodiste française en Kabylie se trouve en
fait dans le numéro du vendredi 9 avril 1886253 de L’Évangéliste sous la plume de Matthieu
Gallienne (fils). Il s’agit d’un rapport du Comité français des missions envoyé au Bureau
de la Conférence, et dont le président de la Conférence, Paul Cook, autorise la publication.
250
Le mercredi 18 octobre 1899, à Nîmes, les méthodistes sont effondrés en suivant les deux cercueils de M.
et Mme Audibert, morts à vingt-quatre heures d’intervalle. Matthieu Audibert est né à Vergèze
probablement en 1827. Après avoir été prédicateur laïque, il entre au ministère en 1858. Il est consacré avec
Matthieu Lelièvre et Alfred Dupuy à Nîmes le 26 juin 1862. Proposant à Alais, il reste en Cévennes 26 ans
sur les 41 années de son ministère, à Anduze, Lasalle, Ganges et Le Vigan. Mais on le trouve aussi à
Dieulefit, Nancy, Lisieux, Jersey et Nîmes. Il est deux fois président de la Conférence française, en 1886 et
1892. Au Vigan en 1899, il prépare l’enterrement de son épouse, décédée d’une attaque le dimanche 15
octobre, lorsqu’il succombe à son tour d’une embolie le lundi 16 octobre. Les pasteurs aimaient bien leur
collègue bon, calme, et très conservateur. Et ces deux morts conjointes, liées à une série de décès rapprochés
dans leur église, les ont beaucoup ému.
251
CF 1886- ?-936 à 939.
252
CF 1886- ?-942 à 944.
253
Ev 1886, p. 113 à 115.
104
Ce long article retrace l’historique des démarches déjà entreprises, et argumente le choix
de la Kabylie comme lieu d’implantation :
Je pose en principe, dit l’auteur, que nous devons, autant que possible, éviter de nous
fixer là où il y a déjà des missionnaires ou même des pasteurs évangéliques. Il me
semble qu’il vaut mieux ne rien tenter dans la Grande Kabylie, à l’Ouest du
Djurdjura où travaillent MM. Lamb, Cuendet et Mayor et où le comité qui entretient
les deux premiers a l’intention de créer prochainement une nouvelle station. Mais
nous avons devant nous toute la Petite Kabylie, plus peuplée que la Grande et qui
s’est ouverte, d’une façon providentielle, il y a huit ans, grâce à l’excellente
influence que notre ami Terrasse avait su conquérir dans la vallée du Sahel.
C’est pendant la deuxième séance de la Conférence réunie à Nîmes du 27 mai au 3 juin
1886 que « le Président place devant l’assemblée la question de la mission en Kabylie ».
Mr Olver déclare d’abord que le Comité anglais est très favorable au projet. Quant aux
recommandations des quatre Districts, elles sont mitigées :
Nord
: Réserves
Suisse et Dauphiné : ?
Cévennes
: Extrêmement favorable
Midi
: Ne s’exprime pas, par omission.
L’avis du Circuit des Cévennes prévaut et le Comité chargé du projet missionnaire
propose trois décisions :
1 - Il est décidé que nous fondons une mission en Kabylie
2 - La Conférence accepte les offres de services de M. Th. Hocart
3 - M. Th. Hocart se fixera pour la première année à Bougie.
Ces diverses propositions sont appuyées et votées à une grande majorité254.
Désormais plus rien n’empêche M. et Mme Hocart de partir. Dans une lettre
à L’Évangéliste datée du 5 novembre 1886, Thomas Hocart raconte son voyage au
rédacteur. Le couple embarque à Marseille pour Alger, passe par Philippeville, et arrive le
3 novembre 1886 à Bougie, où M. Pfender fils et le pasteur Bernard (le pasteur réformé
254
PvC 1886, p. 927.
105
posté à Aïn-Arnat et desservant Bougie) les accueillent.255
Thomas et Lydie Hocart restent plus d’un an à Bougie, du 3 novembre 1886 au 10 avril
1888. Cette première année passée dans le port naturel des montagnes kabyles et qui
s’étend à l’embouchure de l’Oued Sahel (qu’on appelle la Soummam) permet à notre
missionnaire et à son épouse de s’acclimater aux conditions de vie particulières de
l’Algérie coloniale. Le couple s’installe dans le logement que leur ont procuré leurs
nouveaux amis. Il connaît d’abord les larmes, en vivant la triste expérience de la naissance
suivie presqu’aussitôt de la mort de leur premier enfant. Puis le missionnaire rentre en
contact avec les populations kabyles locales, et se trouve confronté d’emblée au problème
de la langue. Il commence courageusement à apprendre l’arabe et le kabyle. Ayant dès le
départ l’idée de fonder des écoles pour permettre aux futurs transfuges de l’islam d’accéder
par eux-mêmes aux vérités évangéliques, Thomas Hocart s’intéresse aux réalités locales. Il
y a à Bougie la seule école pour fille d’Algérie ! Dans les écoles indigènes, par contre,
réservées aux garçons, on n’étudie que le Coran dans des salles où règnent l’indiscipline et
le désordre.
L’Évangéliste de l’année 1887 est émaillée de six lettres du jeune missionnaire, toutes
envoyées de Bougie. La première, du 14 janvier, fait un bref état des lieux de l’irréligion
des protestants locaux, mais aussi des Kabyles rencontrés. L’auteur s’étend sur le statut
extrêmement fragile de la femme kabyle. La deuxième lettre n’est pas datée, mais Hocart y
raconte la naissance et la mort de son enfant. Il signale aussi les débuts de son
apprentissage des langues arabe et kabyle. La troisième lettre est du 24 avril. L’auteur y
raconte une tournée chez les autres pasteurs évangéliques en Kabylie : Mayor à Moknéa,
Lamb et Cuendet à Djemâa Sahridj. Et Thomas Hocart expose, dans sa quatrième lettre du
13 mai, toujours postée de Bougie, une longue tournée d’évangélisation en Petite Kabylie.
Ces tournées effectuées par Hocart lui permettent d’établir de multiples et utiles relations.
Avec le couple Mayor d’abord, à Moknéa, où notre missionnaire admire la construction de
deux nouvelles huttes : l’une pour l’école, l’autre pour les réunions de couture organisées
par Mme Mayor. Avec Lamb et Cuendet ensuite, à Djemâa Sahridj, où il n’y a pas d’école
car le village possède déjà une école du gouvernement, il prend note que les missionnaires
ont établis un culte dans le village français tout proche de Mekla. Parmi les tribus kabyles
aussi, que ses tournées lui font rencontrer, Hocart connaît de bons et de moins bons
255
Ev 1886 p. 365.
106
contacts. Il constate que la langue kabyle n’est ni écrite ni stabilisée, et que chaque tribu
parle un idiome particulier. Plus loin, à Tâaroost, il fit la connaissance de deux dames
anglaises qui pratiquent une méthode d’évangélisation très particulière : elles reçoivent
chez elles et élèvent maternellement quelques fillettes du village qui ne sont pas orphelines
mais que les parents leur confient et peuvent venir récupérer quand ils le veulent. Enfin
Hocart reçoit bon accueil de la mission des Pères Blancs installée plus haut dans la vallée
de l’Oued Sahel, à Iril-Ali, au sein de la tribu des Béni-Abbès. Là, il apprend comment et à
qui les missionnaires distribuent des médicaments.
À coté de ces lettres on trouve dans L’Évangéliste du 10 juin un texte issu du Comité de
la mission méthodiste en Kabylie. Il est signé d’Onésime Prunier qui, dans la session du 7
juin, étudie le premier rapport de M. Hocart (correspondant à ce que celui-ci a déjà écrit
dans ces lettres précédentes). Dans ce rapport, Th. Hocart propose deux possibilités de
lieux d’implantation : à Tabouda, l’ancienne propriété de feu M. Terrasse où habite encore
Mme veuve Terrasse, ou à Il Maten, un petit village kabyle proche d’El Kseur où se trouve
une maison à vendre. Le Comité refuse l’idée d’installer la mission à Tabouda et, quant à Il
Maten, « le Comité a été d’avis qu’il est indispensable que M. Th. Hocart quitte Bougie au
mois de septembre et il pense que le village d’Il Maten, indiqué dans son rapport, semble
pour le moment le lieu le plus favorable pour sa résidence pendant l’année prochaine256 ».
Malgré l’impatience que l’on devine derrière ces mots du Comité, la cinquième lettre de
notre missionnaire, datée du 19 août 1887, est toujours postée à Bougie. Les tournées de
Thomas Hocart le mènent dans des villages berbères très attachés à l’islam, et il se trouve
confronté à la difficulté de parler de christianisme à des gens dont la religion musulmane,
teintée de merveilleux, participe de leur identité depuis des temps immémoriaux. Le
Comité se réunit encore une fois le 7 novembre. Il constate que « nos projets relatifs à Il
Maten ont été déçus » (mais nous ne savons pas pourquoi), et demande à Thomas Hocart
de continuer ses tournées missionnaires pour trouver un village en Kabylie où s’établir. Le
9 décembre, Thomas Hocart est toujours à Bougie. Il y écrit sa sixième lettre, qui est
adressée aux enfants des familles méthodistes de France, pour les sensibiliser à la mission
en Kabylie.
Il n’y aura pas moins de neuf articles sur la mission en Kabylie dans L’Évangéliste
durant l’année 1888. Mais au début de cette année-là notre missionnaire n’a toujours pas
quitté son port d’attache. Le 16 mars, Hocart écrit de Bougie une lettre racontant sa visite à
256
Ev 1887 p. 178.
107
Taâroost et à Djemâa Sahridj. On peut noter au passage qu’au début de 1888 paraissent
deux ouvrages qui, dans le contexte, prennent de l’importance. Il s’agit de Le caractère
kabyle de Krüger, et de Une excursion au Sahara de Réveillaud.
Puis soudain, par L’Évangéliste257, nous apprenons que Thomas Hocart quitte Bougie le
10 avril pour se fixer sur un terrain, possédant une source, qu’il a acheté dans le village
indigène d’Il Maten où il fait construire d’urgence une installation légère. C’est ainsi que
sa lettre de Kabylie, datée du 5 juillet, est enfin postée d’El Maten (El Maten est le nom du
village français situé dans la vallée de l’Oued Sahel, alors qu’Il Maten, ou Il Mathen, ou
encore Il Matten, est le nom du village Kabyle situé sur les hauteurs) ! Dans cette lettre,
Thomas Hocart précise que « le 12 avril les maçons ont commencé à construire notre
habitation. Il y avait presque assez de pierres sur les lieux pour mener à bonne fin les
travaux de construction de la maison. Il a fallu en charrier à dos de bourricot pour bâtir
l’école258 ». Thomas Hocart continue sa lettre en racontant toutes les difficultés liées à son
installation. C’est pourquoi la Conférence française de 1888, qui se tient au Vigan du 21 au
28 juin, décide que « Il Maten est maintenu sur la liste des stations ». La déception causée
par l’abandon d’Il Maten comme lieu possible d’implantation de la mission est donc bien
oubliée.
Et en France, parmi les méthodistes, comment suit-on le développement du projet
missionnaire ? Le Comité de la mission, en 1887, est présidé par James Hocart. Il se réunit
au moins deux fois, toujours à Nîmes. La réunion du 6 juin est l’occasion, dans
L’Évangéliste, d’autoriser la parution de quelques extraits d’un rapport envoyé par Thomas
Hocart. Ce rapport est le premier d’une longue série. Il ne nous est pas connu en entier,
mais uniquement à travers les quelques citations choisies par L’Évangéliste259. Thomas
Hocart prend enfin lui-même la plume pour écrire, dans L’Évangéliste, le 9 décembre
1887, une lettre « à l’adresse de nos jeunes amis qui collectent pour la mission ». Il y
raconte quelques anecdotes édifiantes. Il a bien de la peine, entre autre, à expliquer aux
jeunes Kabyles ce que c’est que le péché :
Ils ne comprennent pas encore que leur cœur doit être changé pour entrer dans le
ciel, et qu’ils peuvent obtenir le pardon de leurs péchés maintenant pendant qu’ils
257
Ev 1888, p. 116.
258
Ev 1888, p. 236.
259
Ev 1887 p. 177-178.
108
sont jeunes. L’un d’eux me demandait un jour pendant l’école si j’avais vu son cœur,
disant que lui ne l’avait jamais vu.  Mais je sais très bien que ton cœur est méchant
sans l’avoir vu, lui ais-je répondu. Alors c’est Dieu qui a du te le dire, car puisque
tu ne l’as pas vu, tu ne peux pas savoir qu’il est méchant260.
Cet épisode ne relate que l’un des premiers malentendus qui ne cesseront pas de gêner
les efforts missionnaires méthodistes en terre d’islam !
Conclusion
À la veille de son départ pour Il Maten, au printemps de 1888, le couple Hocart peut
donc être fier de son bilan. L’adaptation aussi bien climatique que culturelle s’est bien
passée, et les peurs initiales concernant, entre autre, le fanatisme agressif des musulmans
sont dissipées. Les réalités prennent le dessus : les populations aussi bien européennes
qu’indigènes semblent peu intéressées par la spiritualité. Hocart constate beaucoup de
superstition dans toutes les tribus visitées. D’autre part le pasteur Bernard habite à Aïn
Arnat, à 113 km de Bougie, et ne vient présider le culte à Bougie qu’une fois par trimestre.
Hocart se fait donc un plaisir de seconder le pasteur officiel et d’établir un culte plus
fréquent pour les protestants de Bougie. Thomas Hocart apprend les langues locales,
l’arabe et le kabyle. C’est difficile et cela prend du temps. Lors d’une visite à Djemâa
Sahridj, notre missionnaire passe à Alger prendre livraison de Bibles et de traités chrétiens.
Mais très vite il est obligé d’admettre que la diffusion des traités parmi les musulmans est
inefficace, et que si on veut qu’ils lisent la Bible, il faut d’abord la traduire dans leur
langue. Enfin, les Hocart réunissent chez eux quelques garçons kabyles de 12 à 14 ans et
leur apprennent à lire et à écrire le français. Les jeunes musulmans apprennent aussi à
chanter des cantiques et à réciter par cœur quelques histoires bibliques. Mais le Comité
missionnaire réuni à Nîmes le 6 juin 1887 s’en émeut : il ne veut pas que Hocart fonde une
école à Bougie : il veut que son missionnaire s’installe au plus vite dans une tribu et un
village kabyle pour, là, y fonder en tout premier lieu une école pour les petits kabyles.
Les Hocart se font, de plus, des amis sûrs parmi les Européens. L’avocat Pfender leur
donne des lettres d’introduction pour approcher les Caïds de certaines tribus. Le pasteur
260
Ev 1887 p. 406.
109
Bernard, quant à lui, est si content de la présence de Thomas Hocart à Bougie qu’il écrit
une lettre dithyrambique au rédacteur de L’Évangéliste : « M. et Mme Hocart me
paraissent bien qualifiés pour l’œuvre que vous leur avez confiée. Votre Église a été bien
inspirée en fixant leur choix sur eux261 ».
L’année 1888 est donc l’année d’implantation d’une mission méthodiste en Kabylie, à
Il Maten, en avril pour le missionnaire et son épouse, et en novembre pour l’institutrice.
Dès lors tout est en place : la mission en Kabylie, et le Comité missionnaire en métropole.
Mais, dès le départ, il n’y a pas à Il Maten d’évangélisation pure, comme lors des tournées
missionnaires précédentes. L’installation est liée à la présence d’une école. Petit à petit,
nous prendrons conscience des changements de fonctionnement opérés dans la mission par
la personnalité des différents missionnaires qui s’y suivront. Enfin, la mission est
implantée, elle peut commencer son œuvre évangélisatrice en milieu musulman.
2- Les premiers pas de la mission méthodiste française à Il Maten
2 -1- Les premiers volontaires
Thomas Hocart
Comme c’est souvent la cas dès qu’il s’agit de reconstituer la biographie d’un pasteur
méthodiste, il est nécessaire de retrouver, dans les Actes de la Conférence ou dans les
numéros de L’Évangéliste de l’année de son décès, la notice nécrologique le concernant.
Cette recherche devient problématique dès lors que la date du décès dépasse celle de la
fusion du méthodisme français dans l’Église Réformée de France, en 1939. Or Thomas
Hocart, qui a par ailleurs refusé cette fusion, est mort pendant la seconde guerre mondiale.
En 1943 L’Évangéliste ne paraît plus et les Actes du 4e Synode de l’Union des
Associations Cultuelles Évangéliques des Églises méthodistes de France, Synode qui s’est
tenu à Valleraugue le 4 mai 1943, ne contiennent que trois courtes pages d’informations
succinctes. Par chance, la nouvelle Union d’Églises édite, dès mars 1942, un nouveau
journal trimestriel : Le Lien. Et c’est dans le numéro 7 du Lien, paru en septembre 1943,
que nous trouvons les rares connaissances disponibles sur ce pasteur fondateur de la
mission méthodiste française en Kabylie. Voici donc ce que nous pouvons dire de la vie de
261
Ev 1888 p.37.
110
Thomas Hocart, selon ce numéro du Lien et quelques informations éparses glanées dans les
diverses sources déjà signalées.
La famille Hocart est originaire de la paroisse de Valle, à Guernesey. Et
L’Évangéliste262 nous apprend que :
Le 20 octobre 1889 est décédé, dans sa 80e année, monsieur Thomas Hocart, des
Petites-Hougues, Guernesey, père de M. le pasteur Thomas Hocart, d’Il Maten, et
unique frère survivant de M. le pasteur James Hocart, de Levallois-Perret.
Ajoutons à cela une lettre tirée de la Correspondance fraternelle263 signée de Thomas
Hocart fils et datée du 14 avril 1905, qui raconte le départ, pour le ciel, de sa mère, à
Guernesey. Thomas Hocart père avait un frère, le pasteur James Hocar, et une sœur. James
eut, avec son épouse Élisabeth, née Stiff (morte le 12 mars 1874 à l’âge de 59 ans), cinq
enfants. Rachel, l’aînée, épouse Henri de Jersey. James, le deuxième, devient pasteur, mais
ne reste pas dans l’Église méthodiste. Il prend sa retraite en Belgique. Lydie arrive en
troisième position. C’est elle qui n’a pu se marier avec le jeune pasteur Alcide Lagier264,
brancardier pendant la guerre de 1870-1871, et devenu (probablement) dément à la suite de
cette guerre. Elle a fondé la Maison des enfants qu’elle entretient longtemps avec son père.
Les deux derniers enfants sont Jean (sur qui nous n’avons pas d’information), et Alice
262
Ev 1889 p. 363.
263
CF 1905-2-37-39.
264
En 1871, « Lydie Hocart eut l’immense douleur de se voir enlever, par une maladie mystérieuse et
inguérissable, le jeune pasteur, digne d’elle, qu’elle allait épouser. Aumônier d’ambulance pendant la guerre
de 1870, il vécut quelques semaines au milieu des horreurs de nos premiers revers et de l’invasion
prussienne, et il en rapporta, comme tant d’autres, le germe de l’affection où sombra, avec sa belle
intelligence, le bonheur de sa vie » (Matthieu LELIÈVRE, Mademoiselle Lydie Hocart, in l’Évangéliste du 2
août 1917). Plus tôt, l’Évangéliste (Ev 1994, p. 94) informe son public en 1894 que « La Conférence constate
le décès d’un de ces membres du corp pastoral. Alcide Lagier s’est endormi dans le Seigneur le 26 novembre
dernier ». Ce que nous pouvons dire sur Alcide Lagier tient donc en quelques mots. Il naît au printemps de
1845. En 1963, il est étudiant à Lausanne et il est placé en 1866 sur les listes de réserve, jusqu’en 1868 où il
est à Anduze, avec Luc Pusford. En 1869, on le retrouve à Die, seul cette fois. Lagier est reçu comme
membre du corps pastoral méthodiste en 1870, puis est engagé en tant qu’aumônier dans l’armée. À son
retour en 1871, incapable de reprendre son poste, il est mis en retraite. Tous les actes des Conférences de
1872 à 1893 indiquent : Alcide Lagier est admis à la retraite. Nous ne savons pas où il est interné. Mais il
meurt le 26 novembre 1893, sans que l’Évangéliste n’en fasse part, ni dans sa Chronique nécrologique ni
dans sa rubrique Nouvelles et faits divers. Pour Lydie Hocart, la rupture de ses fiançailles avec Alcide Lagier
est déterminante. « Cette terrible épreuve, survenue quelques jours avant la date fixée pour la célébration du
mariage, en avril 1871, devait imprimer à la vie de M elle Hocart sa direction définitive (Anonyme,
Mademoiselle Lydie Hocart, fondatrice de la Maison des Enfants, 7 avril 1846 - 25 juillet 1917, Paris,
Fischbacher, 1918, p. 12). Lydie Hocart devient l’organisatrice de la Maison des enfants jusqu’à sa mort,
survenue pendant l’été 1916.
.
111
(1850-1863). James Hocart meurt le 17 février 1899 à 86 ans. Thomas Hocart fils, notre
missionnaire, est donc né à Guernesey le 28 août 1856. Ses parents sont affiliés à l’Église
méthodiste locale, et son oncle James participe activement à éveiller sa foi évangélique et
son désir missionnaire. Thomas commence ses études de théologie en 1878 à Lausanne
sous la houlette de W. Cornforth et de M. Gallienne. Il est accepté au proposanat en 1881
et placé à Jersey. Nous savons qu’il est consacré à Guernesey en 1885 « dans la chapelle
de la route de Victoria265 », et c’est à l’occasion de la Conférence de Calais (4-11 juin
1885) qu’il se porte volontaire pour être missionnaire méthodiste en Kabylie. Thomas
Hocart se marie à Guernesey au printemps de 1886 avec mademoiselle Lydie de Jersey
(celle-ci, devenue Mme Lydie Hocart, ne doit pas être confondue avec mademoiselle Lydie
Hocart, troisième fille restée célibataire du pasteur James Hocart père).
Alix Perrier
Le pasteur Matthieu Gallienne (père) écrit de Guernesey dans la Correspondance
fraternelle, le 12 octobre 1888 :
Nous avons ici le missionnaire de la Kabylie. Il profite pour nous intéresser à sa
mission. Ne tardez pas à lui procurer un instituteur ou une institutrice, maintenant que la
salle d’école est prête. C’est essentiel ; c’est même de toute nécessité. Votre vrai, j’allai
dire votre seul champ de travail à Il Maten, pour le moment, ce sont les enfants ;
l’argent viendra quand on vous saura à l’œuvre266.
La requête de Matthieu Gallienne est exaucée rapidement puisque le Comité
missionnaire, réuni le 5 novembre à Congénies, décide de nommer mademoiselle Alix
Perrier comme institutrice à Il Maten :
Le Comité a eu, en effet, la satisfaction de nommer, dans sa séance de lundi, comme
institutrice rattachée à la station missionnaire d’Il Matten Mademoiselle Alix Perrier, de
Quissac, qui s’est sentie poussée, après avoir lu la brochure publiée il y a un an par M. J.W.
Lelièvre267, à offrir ses services à notre mission268.
265
PvC 1885, p. 884.
266
CF 1888-4-151-152.
267
Nous n‘avons pas pu trouver dette brochure !
112
L’institutrice Alix Perrier arrive à Il Maten en janvier 1889. Elle n’y reste qu’un été. En
décembre 1889 elle est rentrée à Quissac. D’après ce que l’on sait d’elle, sa fragilité et sa
timidité ne lui ont pas permis de résister à l’ambiance bruyante et indisciplinée de l’école
où elle était chargée d’instruire les garçons. Nous pouvons, sans trop nous tromper,
imaginer qu’elle a craqué, et qu’elle a demandé son rapatriement dès le mois de
septembre, avant la rentrée scolaire. Les deux autres dames de la mission (Mmes Hocart et
Le Brocq) n’ont pas ce problème, puisqu’elles ne s’occupent que des filles. Par contre
Thomas Hocart plaide désormais pour que ce soit un instituteur, un homme et non plus une
femme, qui vienne à la mission.
Melle Perrier est morte le 2 janvier 1895 à Quissac, chez elle, ce qui nous permet, grâce
à la notice nécrologique de L’Évangéliste, de dire qu’elle avait « un caractère peu
démonstratif et qu’elle a rendu son témoignage chrétien sans beaucoup de bruit »269. C’est
« spontanément, par conviction chrétienne et personnelle, qu’elle s’offrit pour l’oeuvre
missionnaire de la Kabylie. Elle y a fait ce qu’elle y a pu270 … »
Mme Le Brock
Nous ne savons qu’une seule chose de cette fidèle amie des Hocart : elle est originaire
de Jersey. Elle arrive à Il Maten en même temps qu’Alix Perrier, en 1889. À la mission,
elle s’occupe des cours de couture pour les femmes kabyles. Elle rentre chez elle pendant
l’été 1892.
M. Berthault
Le départ d’Alix Perrier laisse un grand vide : l’école reste fermée. Il faut un
instituteur !
D’autre part, le travail de Thomas Hocart devient si important que l’espoir
d’être un jour secondé, puis remplacé à terme, le pousse à écrire plusieurs lettres dans ce
sens à la Conférence française. Celle-ci, à Nîmes (19 – 25 juin 1890), prend en compte
268
Ev 1888 du 9 novembre, p. 345.
269
G. Bolle dans Ev 1905, p.13.
270
J.W. Lelièvre dans Ev 1905, p. 13.
113
cette demande de son missionnaire, et le Procès-verbal de cette Conférence fait état d’une
très vive discussion survenue sur ce sujet dès l’après-midi de la première journée. Le
président de la Conférence, Matthieu Lelièvre, soutenu par le pasteur Jules Guiton,
souhaite envoyer quelqu’un pour soutenir Thomas Hocart. Il propose de nommer Jean-Paul
Cook, petit-fils de Charles Cook, actuellement étudiant en poste à Calais mais ayant déjà
manifesté un ardent désir missionnaire. Le pasteur Audibert, soutenu à son tour par le
pasteur Luc Pulsford, n’est pas de cet avis. Pour lui la Conférence ne peut pas envoyer
Jean-Paul Cook pour deux raisons : Cook n’a pas son brevet d’instituteur (et c’est ce qui
manque le plus pour faire fonctionner l’école d’Il Maten), et il n’a pas fini ses études. Le
pasteur Galland renchérit en affirmant qu’Il Maten a surtout besoin d’un instituteurévangéliste muni de son brevet. La Conférence reste dans l’indécision : « En attendant que
la Conférence puisse envoyer un aide-missionnaire en Kabylie, elle invite le Comité à agir
au mieux des intérêts de la mission. » Cette position ne dirait pas grand-chose par ellemême, si elle n’était accompagnée de la proposition d’envoyer un pasteur, en l’occurrence
Jules Guiton, visiter la mission et encourager le missionnaire. La Conférence vote même
un viatique de cent francs à M. Guiton.
Le pasteur Guiton embarque donc à Cette (Sète) le 26 septembre 1890. Il n’est pas seul
sur le bateau. Un instituteur-évangélique l’accompagne, M. Berthault, volontaire pour
reprendre la direction de l’école, plus ou moins abandonnée depuis le départ de Melle
Perrier. M. Berthault est un ancien élève de l’École d’Évangélisation de Marseille, dirigée
par M. Richard. Il vient à Il Maten pour combler le désir de Thomas Hocart. Or celui-ci
demandait au départ un aide-missionnaire, ce qui ne lui a pas été accordé. Jules Guiton
reste environ deux mois (septembre et octobre) avant de rentrer en France, pendant que M.
Berthault commence l’année scolaire avec une quinzaine d’élèves.
L’activité de Berthault est bien perçue par les enfants kabyles et leurs parents. Hélas,
l’instituteur meurt pendant l’été 1893, alors qu’il était seul à Il Maten.
M. Mézian
Les années 1891-1892 sont des années d’ennuis divers pour Thomas Hocart. Ainsi, un
jeune Kabyle converti, d’origine tunisienne, arrive à la mission d’Il Maten fin 1891 ou
début 1892. Il se nomme M. Mézian, et participe avec le pasteur aux tournées
114
d’évangélisation. Il seconde aussi M. Berthault à l’école de semaine. Thomas Hocart fonde
de grands espoirs sur ce jeune Kabyle, et la mission lui accorde un soutien financier pour
passer son brevet d’instituteur. Mézian est donc à Alger en juillet 1892, et demande aux
autorités françaises le droit d’exercer, à Il Maten, son métier d’instituteur. Mais il ne peut
prouver qu’il a atteint sa majorité, et les autorités le lui contestent. Il n’obtient donc pas
l’autorisation demandée. À partir de ce moment, Mézian se détourne de la mission. Et cette
défection, causée par l’administration française, mais aussi par la famille de Mézian,
perturbe beaucoup Thomas Hocart. Celui-ci écrit à ses collègues, dans une lettre du 14
octobre 1892271 :
Je ne saurais vous dire toute la déception que j’éprouve en voyant Mézian nous quitter.
Après s‘être donné tant de peine et avoir fondé sur lui de si grandes espérances me voilà
obligé de constater qu’il n’est pas pour nous, je veux dire à la mission. C’est une rude
déception.
Melle Merralls
En ce qui concerne le personnel missionnaire à Il Maten, l’année 1893 est une année de
vaches maigres. Thomas Hocart a provoqué la conversion d’une jeune fille d’une famille
de colons, peut-être dans le village de Oued Amizour. Melle Merralls (dont nous ne savons
quasiment rien) passe l’été en Angleterre et, dès le mois d’octobre, est à poste aux côtés de
Mme Hocart à Il Maten pour animer trois classes de couture. Elle aide le couple pendant
l’hiver qui clôt l’année 1893. Et son nom n’apparaît plus après dans nos textes-sources,
sauf à l’occasion d’une lettre de Thomas Hocart, datant du 13 octobre 1910272, qui
confirme la présence de Melle Merralls à Il Maten durant le seul hiver 1893-1894.
Un deuxième pasteur missionnaire ? Jean-Paul Cook
Thomas Hocart participe, en1892, à la Conférence de Ganges en tant qu’invité. Il reste
en France et dans les Îles Anglo-Normandes pendant tout l’été, bien content d’échapper
aux rudes chaleurs de la Kabylie. Mais il doit rentrer d’urgence à Il Maten, suite à la mort
271
CF 1892-4-371-374.
272
CF 1910-4-515-518.
115
inattendue de M. Berthauld. D’autre part Mme Le Brocq est partie, elle est rentrée dans sa
patrie de Jersey le 4 août273 de la même année. Hocart écrit une lettre dans l’Évangéliste,
incluse dans le Rapport missionnaire, où il se plaint de sa solitude pastorale :
Nous ne sommes que deux pour recommencer le travail missionnaire. Mézian, sur
lequel nous avions compté pour remplacer M. Berthauld dans la direction de l’école, est
entré à l’École Normale d’Alger en vue du brevet supérieur. Une amie d’Angleterre qui
devait nous accompagner, pour prendre la place de M me Le Brocq, se voit obligée de
rester en Angleterre jusqu’au mois de janvier. Il est donc assez probable que nous
n’aurons pas d’école de semaine cette année, et c‘est très fâcheux. Que faire, sinon
attendre qu’un ouvrier bien spécialisé se présente ?
La question d’un deuxième missionnaire en Kabylie prend décidément un caractère
rémanent. Nous avons déjà remarqué le désir de Thomas Hocart, dès le mois de janvier
1892274, d’être remplacé par un missionnaire bien Français. Or, à ce désir, Jean-Paul
Cook, alors proposant à Calais, répond dès le 12 avril qu’il est tout à fait d’accord pour être
envoyé en Kabylie. Le Comité missionnaire se réunit fin avril et Matthieu Lelièvre en
donne, pour ses collègues, un compte-rendu dans la Correspondance fraternelle. Il propose
le départ le plus rapide possible de Jean-Paul Cook pour la Kabylie. Il préconise aussi que
Thomas Hocart fasse les démarches pour obtenir sa naturalisation. Ces propositions sont
étudiées pendant la Conférence de Ganges et, après de vifs débats, et sur un dernier
amendement d’Onésime Prunier, le texte sibyllin suivant est voté : « La Conférence décide
que M. Jean-Paul Cook sera mis à part pour l’œuvre de la Kabylie et qu’à la fin de son
noviciat, il sera adjoint à M. Thomas Hocart275. » Pourtant, suite aux alertes dont nous
allons parler276 concernant les menaces de l’administration française sur les missions
anglaises en Algérie, la Conférence vote un texte complémentaire :
La Conférence décide toutefois que, si certaines éventualités venaient à se produire, le
Bureau serait autorisé à prendre les mesures en conséquence et, par exemple, à déplacer
M. Jean-Paul Cook de Calais pour l’envoyer en Kabylie, sauf à pourvoir à son
273
274
Ev 1911 p. 170.
CF 1892-2-506-507.
275
PvC 1892, p. 1092-1093.
276
Voir p. 123 - 125
116
remplacement à Calais277.
Enfin, il faut bien reconnaître que l’année 1892 n’est pas très bénéfique pour Hocart. Il
voit partir, ou déserter, ou mourir, plusieurs membres du personnel de la mission. Il reçoit
la certitude de n’être ni remplacé ni secondé dans de brefs délais. L’amie d’Angleterre qui
devait les rejoindre n’est jamais venue. Il se sent seul, étranger, et malade.
La Conférence méthodiste française se réunit, en cette année 1893, à Paris, du 15 au 23
juin. Elle s’inquiète de la santé de Thomas Hocart, et décide d’envoyer (enfin !) Jean-Paul
Cook en Algérie. Mais il ne peut partir seul car il faut lui adjoindre un instituteurévangéliste breveté : depuis la mort de Berthauld, l’école de jour n’a pas repris à Il Maten !
À la suite d’une longue discussion qui a duré toute la matinée de la deuxième journée,
M. Lelièvre propose et M. Galland appuie : que M. Jean-Paul Cook soit envoyé en
Kabylie pour cette année. Voté par 13 voix contre 3. M. Prunier propose et M. Chastel
appuie : qu’un instituteur soit envoyé en Kabylie au plus vite et, si possible, pour le
mois d’octobre. Voté à l’unanimité278.
Le 18 juin 1893, au cours du culte présidé par William Cornforth dans la chapelle
méthodiste de la rue Roquépine à Paris, M. Jean-Paul Cook est consacré au saint ministère.
Il peut partir. De son côté, Thomas Hocart, toujours malade, décide de prendre quelques
jours de vacances, en septembre, à Dellys avec son épouse et ses enfants. Puis la situation
se débloque enfin au troisième trimestre 1893. M. Jean-Daniel Reboul, un colon de
Relizane, accepte le poste d’instituteur à Il Maten. Il arrive à la station missionnaire le
lundi 11 décembre 1893, après cinq jours de voyage279. Le missionnaire demande alors
aussitôt l’autorisation de réouverture de l’école.
Le 30 octobre 1893, à Nîmes, un culte exceptionnel a lieu en présence du jeune
missionnaire pour remettre à Dieu la mission et les missionnaires d’Il Maten. Jean-Paul
Cook embarque à Marseille le jeudi 2 novembre et, après une escale à Alger, arrive à
Bougie le 5 novembre. Il prend aussitôt le train pour El Kseur, où il est accueilli par le
couple Hocart qui lui présente la région et l’accompagne jusqu’à Il Maten. Un logement
277
AcC 1892, p. 23.
278
PvC 1893, p. 1121-1122.
279
Ev 1893 p. 11.
117
l’attend depuis longtemps déjà.
2-2- Les débuts de l’action de la mission
En décembre 1888 les Hocart sont à Bourdeaux dans la Drôme. C’est dans cette station
que Thomas lance un appel dans L’Évangéliste en faveur de dons en natures, crayons,
plumes et cahiers pour l’école, mais aussi « du calicot écru pour ganduras, du limoges pour
les border, des morceaux d’indiennes et des restes d’autres étoffes, si petits soient-ils, de la
laine de couleur pour couture, du fil et des aiguilles » pour permettre aux jeunes filles
kabyles de travailler et d’apprendre à coudre dans le cadre de réunions de couture que les
missionnaires ont bien l’intention d’organiser dès leur retour.
Le catéchisme
Dès le départ, à Bougie déjà, Thomas Hocart s’attache à toucher les enfants. Il les réunit
à l’ombre d’un mur, sur une placette de village, partout où les Kabyles l’accueillent. Les
pères assistent aux assemblées tôt le matin, avant qu’ils n’aillent rejoindre les troupeaux
dont ils sont les bergers.
L’école de semaine
L’école ouvre officiellement ses portes le 28 mars de cette année 1889 si riche en
événements fondateurs. Melle Perrier en est l’institutrice. Il a fallu presque trois mois pour
obtenir les autorisations nécessaires à cette ouverture, et pourtant l’école n’attire pas
l’engouement des populations kabyles. Les parents sont peu disposés à y envoyer leurs
enfants, ayant toujours peur que les Roumis ne les tournent, c’est-à-dire ne les
convertissent au christianisme. De leur coté, les petits Kabyles sont très indisciplinés, et
ont un grand mépris de la femme (et donc de l’institutrice française !). De plus ils ne
prennent le chemin de l’école qu’épisodiquement. Thomas Hocart vient souvent seconder
Alix Perrier, et présente aux élèves des vignettes colorées représentant « Sidna Aïssa », le
Seigneur Jésus. Il y a donc peu de bonne volonté de la part des enfants, mais toutefois
quelques uns demandent pourtant sincèrement à apprendre à lire et à écrire … et Thomas
Hocart le leur apprend avec les textes des évangiles ! Les élèves sont en moyenne sept à
huit.
118
Il Maten : Maison et école missionnaires
(Évangéliste du 28 octobre 1892 p. 175)
Très vite, un phénomène typique concernant l’école intervient dans l’emploi du temps
des missionnaires dès la fin de l’année 1890. Il s’agit de la récolte des olives qui, du
premier novembre au milieu de décembre, provoque la désertion des Kabyles. Plus
personne à l’école, ni aux réunions de couture, et même les malades sont moins
nombreux ! Cette interruption est interprétée par les missionnaires comme une réplique
kabyle de la récolte de la soie en Cévennes, provoquant les mêmes effets.
L’école de couture
Si l’école des garçons se met en place difficilement, ce n’est pas le cas de la réunion de
couture. Celle-ci, dirigée conjointement par Mmes Hocart et Le Brocq, accueille nombre de
petites et de jeunes filles à qui personne, jamais, n’a appris à coudre. Elles viennent tous
les après-midis, sauf le samedi et le dimanche, et profitent de ce temps pour chanter avec
plaisir des cantiques en kabyle.
119
Les soins aux malades
Dès le début de leur présence à Il Maten, les missionnaires voient venir à eux des
malades. D’abord quelques-uns, puis de plus en plus nombreux, ils viennent s’attrouper
tous les matins devant la maison et attendent leur tour. Thomas Hocart les invite au culte
du matin, et cette pratique devient très vite obligatoire : tout commence par le culte à huit
heures, et ensuite, ensuite seulement, on passe aux soins. Les médicaments utilisés sont
d’ailleurs très simples et très faciles à se procurer, pour soigner les plaies, les ophtalmies
fréquentes, les fièvres. Et très vite se pose le problème du manque de bouteilles, boîtes et
autres récipients pour y mettre les remèdes à emporter. De nombreux appels auront lieu
dans L’Évangéliste en faveur de dons répétés de ces objets indispensables !
Les cultes
Quelques Kabyles participent de temps en temps aux cultes de famille. Mais ce qu’ils
entendent provoque immanquablement de longues discussions d’ordre théologique. Les
arguments des Kabyles sont toujours les mêmes :
- Jésus-Christ est le plus grand des prophètes : soit, mais seulement après Mahomet.
Pourtant ils attendent le retour de Jésus en tant que messie libérateur.
- Jésus-Christ sauveur ? Oui, tout le monde a son sauveur :
Les chrétiens ont Jésus-Christ
Les juifs ont Moïse,
Les musulmans ont Mahomet.
- Jésus n’est pas le Fils de Dieu : Dieu n’a pas d’épouse.
- Jésus n’est pas mort : il est monté au ciel et les juifs ont crucifié un usurpateur.
Lorsque les missionnaires parlent, ils approuvent, mais n’adhèrent pas. Et puis
l’exemple donné par l’irréligion des Roumis ne les portent pas vers le christianisme !
Enfin les Kabyles savent bien que si l’un de leurs jeunes devenait chrétien, il serait
exclu de sa famille, de sa tribu, de son peuple. On pourrait croire qu’il est presque
impossible de donner une instruction chrétienne aux jeunes Kabyles, et pourtant les Pères
Blancs, à Akbou, ont une école de plus de cent élèves !
L’été 1889 provoque le ralentissement des activités à Il Maten, de par l’écrasante
chaleur qui règne en Kabylie. Mais dès le 15 septembre Thomas Hocart organise un culte
120
tous les quinze jours pour la population européenne protestante (et catholique) d’El Kseur.
En octobre, Hocart revient à Bougie dans le but (malgré le refus initial du Comité) de
retrouver ses anciens élèves et de reprendre un catéchisme pour les jeunes Kabyles d’un
coté, et pour les enfants des Européens de l’autre. Ils les réunit (séparément) sous un arbre
hors de la ville, et leur enseigne l’Évangile. Mais il faudrait une chambre, ou un local, et
trouver de l’argent pour payer le voyage en chemin de fer entre Bougie et El Kseur.
Les tournées d’évangélisation dans les villages environnants
Petit à petit la mission prend ses marques, forte de rituels quotidiens et de traditions
naissantes. Tout n’est pas initié : les cultes pour les Kabyles, par exemple, ne sont pas
encore institués régulièrement. Par contre Thomas Hocart commence, dès le printemps de
1890, des tournées d’évangélisation dans les villages environnants, en premier lieu à
Zoubia, le village le plus proche. L’évocation de ces tournées dans L’Évangéliste est
souvent émouvante par la précarité de l’offre évangélique :
Le missionnaire cherche d’ordinaire à se placer près d’une mosquée, assis sur une pierre
ou accroupi par terre à la mode kabyle. On cause d’abord de choses et d’autres, puis
nous ouvrons notre Évangile pour lire un récit. Aussitôt quelqu’un dit : Il va parler de
Sidna Aïça ! Mais n’allez pas croire que les auditeurs soient toujours bien attentifs !280
Hocart en vient à préférer les jours de pluie car les Kabyles désœuvrés se rassemblent
plus facilement à l’abri autour de lui. Ces tournées peuvent être longues et emmener le
missionnaire loin de chez lui. Il trouve partout une franche hospitalité, et les villages où on
la lui refuse sont vraiment rares. Avec le temps, le jeudi devient le jour hebdomadaire de la
visite des villages.
Les contacts avec les autres missionnaires évangéliques en Algérie
Heureusement, on l’a déjà beaucoup remarqué281, Hocart entretient d’excellents
rapports avec les autres missionnaires évangéliques d’origine étrangère installés en
280
Ev 1890, p. 133.
281
Voir p. 82.
121
Kabylie. C’est ainsi que notre missionnaire participe, les 4, 5 et 6 mai 1890 à Djemâa
Sahridj, à une rencontre avec tous ses collègues autour d’un programme très chargé :
Cène. Culte d’édification. Réunions d’évangélisation dans un centre français et dans
un centre kabyle. Étude comparée de quelques portions de la Parole de Dieu, traduites
en kabyle, à cause des variantes de tribu à tribu. Moyens employés pour évangéliser
les Kabyles, tels que : distribution de médicaments, écoles, réunions de couture,
évangélisation suivie dans une localité ou itinérante282.
Déjà, à Il Maten, Hocart pratique tous les moyens d’évangélisation préconisés, mais cet
échange d’expériences lui fait du bien. De plus il se lance avec le soutien de ses amis dans
un projet qui leur est cher : traduire le Nouveau Testament en langue kabyle. Tous, en
effet, décident de s’atteler à cette rude tâche en choisissant, parmi tous les dialectes
kabyles, celui qui leur semble le plus représentatif, à savoir celui que parlent les Kabyles
de la tribu des Zouaoua de la région de Fort National.
Les trois jours que nous avons passés ensemble ont été bien bénis, et nous nous sommes
promis de nous réunir à nouveau, dès que l’occasion se présenterait. Ouvriers d’un
même Maître, il faisait bon se voir et s’entendre !283
C’est pourquoi Thomas Hocart participe, à Alger au printemps 1892, à une réunion (qui
deviendra traditionnelle) avec les pasteurs Lamb et Cuendet. Ces pastorales oecuméniques
locales organisent une rencontre chaque année où, pendant trois jours, les pasteurs
comparent leurs différentes traductions de la première moitié de l’évangile selon Marc.
Cette traduction, si elle est difficile et lente, donne à chaque évangéliste qui y participe
l’occasion d’un travail en profondeur sur le texte biblique, ce qui est nouveau pour
beaucoup d’entre eux. Année après année, ils continuent ce travail de traduction du
Nouveau Testament en langue kabyle. Ils reçoivent rapidement l’aval de la Société
Biblique Britannique et Étrangère pour l’impression. De plus Hocart peut quelques fois
prendre part, avec joie, aux rencontres œcuméniques de prières qui regroupent chaque
semaine toutes les tendances évangéliques protestantes présentes à Alger.
282
Ev 1890, p. 149.
283
Ev 1890, p. 269.
122
2-3- La vie quotidienne à la station missionnaire d’Il Maten
L’année 1891 commence comme celle de 1890, dans le calme et la routine : « Salomon
disait : il n’y a rien de nouveau sous le soleil … et nous serions peut-être tentés de répéter
avec le Sage, au commencement de 1891 : Il n’y aura rien de nouveau sous le soleil, et par
conséquence rien de nouveau cette année284 », nous dit Thomas Hocart, Le 7 janvier.
En l’an 1892, le quatrième Rapport missionnaire est vendu à titre de numéro
exceptionnel de l’Évangéliste. Ce numéro, du 28 octobre, occupe les pages 173 à 178 de
l’hebdomadaire méthodiste, et contient plusieurs splendides gravures. Thomas Hocart y
raconte la vie quotidienne à la mission, vie quotidienne qui ne diffère guère de celle des
années antérieures. Tout est en place à la mission désormais, comme les écoles de jour
(dont le responsable est M. Berthault), les écoles du soir et du dimanche (avec le
missionnaire), les réunions de couture (avec Mmes Hocart et Le Brocq), les visites (aux
dames kabyles par les dames de la mission, et aux villages par Thomas Hocart), les soins
(auxquels tous participent), les veillées où, autour du professeur Hocart, tous les Européens
présents à Il Maten apprennent la langue kabyle. Rien de nouveau sous le chaud soleil de
Kabylie, donc. Thomas Hocart continue, malgré les mêmes difficultés financières
qu’avant, à catéchiser Kabyles et Européens à Bougie. De même, à El Kseur, il continue à
présider le culte pour les Européens tous les quinze jours. Il se plaint de n’avoir toujours
pas réussi à organiser de culte à date et à heure fixe pour les Kabyles. Mais il a la surprise,
lors d’un enterrement qu’il assure à Bougie, puis d’un autre le même jour à l’Oued Marsa,
de rentrer en contact avec la famille Chavannes qui a une propriété proche de ce dernier
village. Les Chavannes invitent Hocart à venir présider un culte régulier dans leur salle à
manger pour les Kabyles qui travaillent sur leur propriété. Hocart accepte, bien sûr : il a
devant lui, pendant ce culte, un public, sinon très attentif, en tout cas très discipliné ! Nous
ne pensons pas que l’évangélisation des Kabyles, rendue obligatoire par ce moyen, soit
plus efficace que dans d’autres lieux !
La mission subit de graves persécutions
La France n’en finit pas de se débattre dans la Grande Dépression (1873-1896). Elle
vient, de plus, de subir l’épopée du Boulangisme qui n’aboutit qu’à une série de
284
CF 1891-1-372-376.
123
frustrations. En effet, la guerre de revanche contre l’Allemagne, réclamée par beaucoup,
n’a pas été déclenchée. D’autre part la Grande-Bretagne se présente de plus en plus aux
yeux des Français comme le principal obstacle à leur propre expansion coloniale. Enfin dès
1892 le journaliste Drummond, au-delà de sa dénonciation du scandale lié à la gestion de
la Compagnie du canal de Panama, favorise une campagne antisémite qui culmine avec
l’affaire Dreyfuss (Octobre 1894-Juillet 1906).
La République se consolide. Elle se laïcise. Depuis la loi du 28 mars 1882, l’école
publique prend en charge l’enseignement primaire, et la loi d’octobre 1886 organise à son
tour le remplacement progressif du personnel religieux, exerçant dans les établissements
publics, par des enseignants laïques.
Le contexte historique ne serait uère compréhensible si l’on ne parlait pas du
développement, au sein de la population française, du sentiment de l’existence d’un
complot, dirigé contre la France, alliant les forces juives, allemandes, protestantes et
anglaises. En 1892, dans l’imaginaire des Français, il s’agit surtout d’un complot angloprotestant. Jean Baubérot et Valentine Zuber ont cosigné un ouvrage bien documenté sur
ce sujet285. Tout en signalant ce complot dans l’espace colonial français, dans les îles du
Pacifique et en Algérie par exemple, les auteurs s’étendent sur le cas significatif de l’île de
Madagascar, où ce complot anglo-protestant a été vivement combattu par les forces
coloniales françaises286. Jean-François Zorn, de son côté, approfondit ce sujet dans son
ouvrage sur la SMEP287.
Au regard de ce contexte, il n’y a aucune raison de penser que les protestants et les
Anglais, à plus forte raison les missionnaires protestants anglais, n’aient pas quelques
ennuis en Algérie française ! C’est ainsi que le contenu de la lettre que Thomas Hocart fait
paraître dans la Correspondance fraternelle, datée du 11 janvier 1892288, n’est explicable
que par le contexte évoqué ci-dessus. Notre missionnaire raconte qu’il reçoit, fin
septembre 1891, la visite d’un photographe allemand. Un peu plus tard, il part animer une
série de réunions d’édification à El Kseur, où il est rejoint par le missionnaire suisse Lamb.
Le maire d’El Kseur intervient : n’est-il pas étonnant de voir ensemble un Allemand, un
285
Jean BAUBÉROT– Valentine ZUBER, Une haine oubliée. L’antiprotestantisme avant le « pacte laïque »
(1870 – 1905), Paris, Albin Michel, 2000, 332 p.
286
Ibid p. 59 à 72.
287
J. F. ZORN, op. cit. p. 182 à 192
288
CF 1892-1-470-475.
124
Anglais, un Suisse et un Français (Berthault) provoquer des réunions soi-disant religieuses
mais peut-être destinées à préparer la venue des troupes anglaises ? Dès ce moment,
Thomas Hocart demande à être remplacé :
Il semblerait donc que je suis un homme dangereux ou plutôt que je le suis devenu.
Presque tous les missionnaires en Algérie sont des Anglais. Il y a quelques Suisses et
un seul Français, M. Berthault. J’ai souvent entendu dire que c’était la politique
anglaise d’envoyer d’abord les missionnaires préparer la voie à la conquête du pays.
Ne soyez donc pas trop étonnés, chers collègues, si vous apprenez un de ces quatre
matins que les Anglais ont pris Alger !! En voilà un peu long pour arriver à dire qu’il
faut un Français à la tête de l’œuvre, mais un Français bien authentique. Autrement,
l’œuvre risque d’être sérieusement entravée par la malveillance des autorités … 289
Il semble que la prédiction de Thomas Hocart se réalise rapidement : il nous apprend
que la fin de l’année 1891 a été déjà marquée, par exemple par le refus des autorités de
Djemâa Sahridj de laisser le missionnaire Lamb libre de prêcher sur la place du village !
Mais la sonnette d’alarme résonne vraiment lorsque L’Évangéliste du 8 juillet 1892290
publie la lettre de protestation envoyée par l’ambassadeur de France à Londres, M.
Waddington, au premier ministre de la reine d’Angleterre, Lord Salisbury. La lettre,
publiée in extenso, rapporte les désordres (vrais ou supposés) causés par les missionnaires
anglais en Kabylie, et demande à Lord Salisbury de faire en sorte que ses ressortissants
cessent leurs actions trublionnes avant que les autorités françaises ne les expulsent.
Thomas Hocart est en France à l’invitation de la Conférence de Ganges (23-30 juin). Il en
profite pour rendre visite à ses parents et amis, et aussi pour rencontrer Alfred Boegner,
directeur de la SMEP, et lui parler de ses inquiétudes291. Ce dernier fait remarquer à notre
missionnaire que Samuel Mayor, à Moknéa, n’a aucun ennui. Boegner conseille à Hocart
289
CF 1892-1-470-475.
290
Ev. 1892, p. 109.
291
En fait, Boegner attendait Hocart pour obtenir de ce dernier des informations sur la mission de H. S.
Mayor à Moknéa : « Relativement à la Kabylie : la commission est d’avis qu’on ne peut actuellement que
compléter l’information [sur Mayor et sa gestion dispendieuse des fonds alloués par la SMEP à la station
misinnaire de Moknéa] ; utiliser la présence à Paris de M. Hocart pour se renseigner sur M. Mayor ; […] et
toujours chercher un bon instituteur (le Comité pense même à embaucher M. Berthault !) (Pv SMEP séance
ordinaire du 13 juin 1892). Quant à la rencontre Boegner-Hocart elle-même, elle n’a pas dû avoir beaucoup
d’influence sur le devenir de la SMEP : « Kabylie : Le Directeur rend compte très rapidemet d’un entretien
qu’il a eu avec M. Hocart, missionnaire méthodiste en Kabylie ; mais le temps dont le Comité dispose est
trop limité pour entrer dans les détails » (Pv SMEP séance extraordinaire du 13 juillet 1892).
125
de demander aux autorités françaises en Algérie un statut identique, pour les missions
protestantes, à celui des Pères Blancs. L’Évangéliste du 29 juillet292 constate toutefois au
cours de l’été un apaisement relatif :
Notre missionnaire en Kabylie, M. Thomas Hocart, nous écrit : Je suis heureux de vous
dire que les difficultés s’aplanissent du coté de l’Algérie. J’ai reçu une lettre de M.
Glenny, président de la North Africa Mission, qui me dit qu’on permet aux
missionnaires anglais de rester, à condition de respecter les lois françaises.
D’autre part, nous avons déjà signalé l’importance prise, dès le début de la présence de
Thomas Hocart à Il Maten, par les soins médicaux donnés aux malades qui viennent
parfois de très loin trouver de l’aide à la mission. Or le pharmacien de Bougie, chez qui
notre missionnaire faisait se ravitaillait, porte plainte et accuse Hocart de se livrer au trafic
de médicaments ! Hocart apprend, alors, qu’il n’a le droit ni de donner ni d’acheter des
médicaments pour les Kabyles. Nous en reparlerons, car d’autres attaques de
l’administration française à ce sujet auront lieu, mais Hocart ne lâche jamais prise, trop
conscient de l’aide réelle qu’il apporte, et de la valeur de cette méthode d’évangélisation
sur laquelle il compte beaucoup.
Du côté de l’administration française, la crise n’est pas terminée. Elle reprend au
printemps 1993. Pendant sa réunion de la fin mars, le Comité missionnaire
A décidé de renforcer au plus tôt la mission par l’envoi de M. J.P. Cook, déjà désigné
par la dernière Conférence. Sa qualité de citoyen français accentuera le caractère
français de notre mission, à un moment où les missionnaires anglais sont menacés
d’expulsion293.
D’après Thomas Hocart294 cette crispation de l’administration française trouve sa
source dans l’affaire de l’Ouganda. Cette zone des Grands Lacs africains peut être
considérée comme un des cas possibles où les missionnaires anglais ont précédé les
militaires et les politiciens venus pour la conquête du pays. À l’époque précise de la
292
Ev. 1892 p. 124.
293
Ev 1893, p. 55.
294
CF 1893-2-33-36.
126
remarque de Thomas Hocart, les Pères Blancs (porteurs des intérêts français) disputaient
aux missions protestantes (d’origine anglaises) leur influence sur le roi d’Ouganda,
Mouanga, dans le cadre de querelles religieuses allant jusqu’à de fréquents massacres295.
Mais l’Ouganda est bien loin, et la zone des Grands Lacs n’était pas prioritaire pour
l’expansion coloniale française.
D’autre part, l’année 1893 est celle de l’Exposition Universelle de Chicago (1er mai – 3
octobre 1893). Et, à l’occasion de celle-ci, le Comité protestant français, réuni à l’initiative
du pasteur Lalot, demande au pasteur Frank Puaux de publier « un ouvrage destiné à faire
connaître l’activité religieuse, charitable et missionnaire des Églises protestantes en France
au XIXe siècle296 ». Or dans ce superbe ouvrage, décoré de nombreuses photos, Matthieu
Lelièvre écrit l’histoire résumée, jusqu’en 1893, de la Mission Méthodiste en Kabylie297.
Dès lors, il devient difficile de cataloguer cette mission parmi les missions anglaises, car
l’ouvrage en question ne met en avant, pour un public universel, que les œuvres
protestantes françaises. C’est pourquoi les choses se calment bien vite et, cette année-là, on
ne parle plus de « persécution religieuse » en Algérie.
Les premières famines, et l’initiative d’une aide par le travail
Les ressources alimentaires des Kabyles se tarissent pendant l’hiver 1892-1893. Après
deux ans de sécheresse, compliqués par le souffle desséchant du sirocco et par plusieurs
passages de sauterelles, les Kabyles n’ont pas pu stocker suffisamment de nourriture pour
faire la jonction avec les récoltes du printemps. La famine s’installe, moins sévèrement
toutefois que dans l’Oranais ou l’Algérois. Mais, pour la première fois depuis qu’il est
arrivé en Kabylie, Thomas Hocart fait état de l’existence de pauvres. Jusque là nous
connaissons ses rapports avec les malades du matin, les femmes du cours de couture, les
enfants des écoles du jeudi et du dimanche, nous savons que la population kabyle est
pauvre, mais le pauvre en tant que tel n’est jamais cité. Le pauvre est un individu encore
plus fragilisé que les autres catégories humaines accueillies à la mission. Les pauvres sont
les malades, les enfants, les femmes, mais aussi les hommes, tous démunis, tous affamés.
295
Maurice ALAIN, « la Région des Lacs », in Collectif, Histoire universelle des Pays et des Peuples, Paris,
Quillet, 1913, T. 7 p.131-134.
296
F. PUAUX, op. cit. p. V.
297
Ibid. p. 40-42.
127
Ce phénomène est donc nouveau pour Hocart, et les réponses qu’il trouve à la résolution
de ce problème orienteront l’action missionnaire initiale vers de nouveaux horizons.
Signalons déjà que L’Évangéliste relaie les informations qu’il reçoit d’Algérie et
recueille tous les dons qui lui arrivent en faveur des Kabyles. Ces dons sont envoyés à
notre missionnaire qui achète de l’orge pour le distribuer gratuitement, litre après litre, aux
plus affamés. C’est ainsi qu’on peut lire dans L’Évangéliste la fierté de Mme Hocart qui
raconte à ses lecteurs, dans une lettre du 16 juin 1893298, que le couple missionnaire a
sauvé de la mort deux bébés en les prenant en charge dans leur maison. Toutefois le point
de vue missionnaire de Thomas Hocart n’est jamais oblitéré : avant chaque distribution
d’orge, il y a lecture de l’Évangile (Thomas Hocart ne connaissait peut-être pas la formule
célèbre : « ventre affamé n’a pas d’oreille ») ! D’autre part, dans la même lettre, Mme
Hocart nous apprend que son mari donne du travail aux plus démunis, pour qu’ils reçoivent
un peu d’argent qui ne soit pas une aumône. Thomas Hocart justifie ainsi cette action :
Pendant les quelques semaines que nous avons donné de l’orge, j’ai fait travailler
quelques-uns de ceux qui avaient le plus besoin d’être aidés. … Quoique cette
méthode de secourir les indigents donne beaucoup de travail et d’ennui, elle vaut
infiniment mieux que celle qui consiste tout simplement à donner de la main à la main.
Les Kabyles sont prédisposés à la paresse et c’est une bonne chose de leur rappeler
quand on le peut que c’est en travaillant qu’ils pourront améliorer leur position.
Devant cette justification pour le moins paternaliste, où le riche missionnaire porte un
regard critique sur le Kabyle à la fois pauvre, chômeur et affamé (trois états d’une même
déserrance) et lui porte secours selon ses propres critères issus de la culture européenne,
pose une fois de plus le problème du missionnaire en milieu colonial. Mais nous verrons
avec Émile Brès fils, plus tard, que ce rapport Évangile-travail peut être théorisé de
manière plus approfondie que ne l’a fait Thomas Hocart. Notre missionnaire est issu de la
gentry des Îles Anglo-Normande, plus proche des salons de thé et des chapelles
chaleureuses, imprégné de valeurs victoriennes, mais il reste pourtant l’initiateur de cette
« méthode » d’évangélisation, contestable à nos yeux post-modernes, et pourtant
parfaitement cohérente avec l’idéologie dominante de la fin du XIXe siècle européen.
Ainsi, quelques années après le début de l’installation d’un missionnaire méthodiste
298
Ev 1893, p. 106-107.
128
français en Kabylie, les besoins de la mission se sont diversifiés : il faudrait à la Il Maten
un fermier, capable d’apprendre aux Kabyles les rudiments d’une agriculture moderne. Il
faudrait aussi un médecin, car les médicaments simples donnés à la mission ne soignent
pas les affections sévères. Hocart se rend bien compte qu’à coté de l’évangélisation directe,
inefficace, la lutte contre les misères sociales des Kabyles devient, par l’exemple de l’aide
bénévole, la seule possibilité de proposer l’Évangile à ces populations.
2-4- La vie du couple missionnaire
Le 5 juillet 1888, Thomas Hocart peut écrire à ses collègues : « La maison est bâtie,
mais non complètement achevée ; l’école est érigée et presque achevée, il manque des
tables et des bancs. Nous attendons l’arrivée d’une personne pour la diriger299. » Le couple
est donc installé extrêmement sommairement, dans deux pièces exigües d’une maison
jouxtant une salle d’école, construite sur un terrain enclavé, entouré d’une population
curieuse de leur présence, méfiante, en procès pour la moindre peccadille. Les Hocart
avouent être, à ce moment-là, très fatigués. Ils décident, probablement avec l’autorisation
du Comité de Nîmes, de rentrer au pays après deux ans et demi d’absence, de revoir leurs
familles
respectives,
et
d’animer
quelques
journées
missionnaires
dans
différentes paroisses (leurs stations) pour favoriser la collecte de fonds destinés à
augmenter le nombre des personnes employées à Il Maten.
Le 4 janvier 1889, en effet, ils embarquent à Marseille. Mais ils ne sont plus seuls ! Melle
Perrier est avec eux, ainsi qu’une amie du couple, Mme Le Brocq. Que fut ce retour à Il
Maten ? Bien sûr, la maison et l’école sont terminées. Mais loger quatre personnes, dont un
couple, dans deux petites pièces, cela relève de l’exploit ! En tout cas le travail
missionnaire proprement dit commence vraiment. L’année 1889 se termine en demi-teinte.
Nous avons vu que Thomas perd son père le 20 octobre. Mais son épouse lui donne une
petite fille, Marie-Hélène, qui naît le 31 décembre.
Les missionnaires souffrent, bien sur, de la solitude. Au début de l’année 1890, ils ne
sont plus représentés, à Il Maten , que par le couple Hocart et leur toute petite fille, et leur
fidèle amie de Jersey, Mme Le Brock. Et, parmi les autres faits saillants de cette année où
« il n’y a rien de nouveau sous le soleil », on ne peut citer qu’une alerte aux sauterelles,
annonciatrices de famine, et des vacances à Dellys, au bord de la mer, de tout le personnel
299
CF 1888-3-115-118.
129
de la mission d’Il Maten.
Le couple missionnaire fête Noël avec leurs amis kabyles, et initient à cette occasion
une distribution de cadeaux aux enfants qui, d’années en années, resteront absolument
identiques : « Chaque enfant a reçu une tasse de café, un morceau de pain, un peu de fil,
une aiguille et un morceau de savon300. »
Ainsi nous avons le shéma classique, répétitif, lassant, de la vie vie quotidienne des
missionnaires à Il Maren, toujours la même, jour après jour et année après année. On peut
donc mieux comprendre l’usure que ressentent les pasteurs et leurs familles et leur désir de
quitter une station où l’existence est si pauvre en événements et en résultats satisfaisants
sur le plan de l’évangélisation.
2-5- En France : l’Évangéliste et les Rapports missionnaires
La Conférence de 1889, à Paris, signale bien que Thomas Hocart y a envoyé son
Rapport annuel, qui a été adopté, et dont L’Évangéliste nous donne quelques extraits301. La
substance de ce rapport se trouve aussi dans les sources que nous utilisons, et dont les
informations se recoupent complaisamment.
Le deuxième Rapport sur la mission méthodiste à Il Maten paraît dans L’Évangéliste de
novembre 1890302. L’auteur, Jules Guiton, parle « de continuité et de consolidation ». Ce
rapport est très descriptif et ne contient que peu d’informations plus précises que celles que
nous pouvons obtenir par ailleurs. Nous retiendrons de ce rapport cette affirmation
péremptoire et significative de l’état d’esprit missionnaire des méthodistes français en
1890 : « N’en déplaise à ceux qui croient qu’il faut courir au plus pressé et ne s’occuper
que des adultes, nous estimons que le meilleur moyen d’évangéliser un peuple, c’est de
s’emparer de l’âme de ses enfants303. » L’intérêt de ce Rapport tient aussi au fait qu’il n’est
plus réservé à la seule Conférence bien qu’il soit commandé par elle, ni au Comité
missionnaire, mais qu’il est directement édité dans L’Évangéliste pour le grand public.
Chaque année les rapports d’activité missionnaire deviennent plus conséquents. À la fin
300
Ev 1893, p.11.
301
Ev 1889, p. 228.
302
Ev 1890, p. 355 à 357.
303
Ev 1890, p. 256.
130
de l’année 1891, le troisième Rapport, sur cinq colonnes de L’Évangéliste304, reprend dans
chaque rubrique l’ensemble des activités de la mission. Dans le quatrième chapitre intitulé
La Kabylie et les autorités, on apprend que « les écoles kabyles-françaises paraissent
devoir se multiplier ». Cette information paraît sonner le glas, à court terme, de
l’école privée et religieuse instituée par les méthodistes à Il Maten.
L’Évangéliste du 20 octobre 1893305 est entièrement consacré, selon une tradition qui
commence à s’établir, au cinquième Rapport (exercice 1892-1893) de la mission
méthodiste en Kabylie. Il ne nous apprend que fort peu de choses nouvelles, sauf dans le
détail, du fonctionnement (au ralenti) de la mission. Les gravures qu’on y trouve sont
encore une fois très belles et très soignées. Ce Rapport, en fait, est destiné à permettre aux
lecteurs fidèles à L’Évangéliste de rester en contact avec la mission qu’ils financent par
leurs dons. Il est aussi proposé à tous les lecteurs protestants français, pour qui la mission
méthodiste française deviendra la seule mission française présente en Algérie, à partir de
l’abandon, par la Société des Missions Évangéliques de Paris, en 1894, du poste
qu’occupait Samuel Mayor à Moknéa306.
2-6- Bilan provisoire
Thomas Hocart est le seul vrai fondateur de la station missionnaire méthodiste française
d’Il Maten. Il a mis en place tous les éléments qui caractérisent cette mission pendant tout
le temps de sa présence en Kabylie. Et il n’a qu’un objectif : l’évangélisation des Kabyles.
Pourtant Hocart était loin d’être l’homme de la situation ! Ce pasteur britannique
préfère sûrement les rencontres pieuses dans les salons où l’on buvait le thé ! Mais il
manifeste un courage et une persévérence, même en temps de persécution, digne de tous
les éloges. Lui, le pasteur méthodiste-type, a du faire le deuil de sa liturgie, de son
ecclésiologie, de ses réunions de classe : il les a troqué contre tous les travaux spécifiques
de la fondation d’une station missionnaire, y compris ceux de la construction de sa maison.
Il a vécu le découragement de voir les musulmans rester « dans leurs erreurs », de travailler
sans résultat, de souffrir de la solitude avec son épouse et son enfant, de vivre une vie à la
fois monotone et épuisante sans voir le moindre progrès.
304
Ev 1891, p. 364 à 366.
305
Ev 1893, p. 165-170.
306
Ev 1893, p.129.
131
Pourtant, sans le vouloir, Thomas Hocart initie, dès les premières famines, l’aide par le
travail. Mais à aucun moment cet « évangile par le travail » n’est théorisé au-delà d’une
simple remarque paternaliste sur le fait qu’il vaut mieux donner de l’argent contre un
travail plutôt qu’en tant qu’aumône.
Maintenant qu’un autre pasteur arrive en renfort, d’autres questions vont se poser, telle
que, par exemple : Comment deux pasteurs, aussi isolés dans un milieu ni très familier ni
très accueillant, vont-ils s’entendre ?
3 - La mission méthodiste en Kabylie, seule mission protestante française
en Algérie !
En cette fin de l’année 1893 la mission méthodiste à Il Maten change donc d’aspect.
Deux pasteurs méthodistes sont à poste, secondés par un instituteur. Les finances de la
mission, gérées par le Comité missionnaire métropolitain, permettent de soutenir
l’ensemble du personnel missionnaire. Enfin les méthodistes sont les seuls missionnaires
protestants français (que sont Jean-Paul Cook et Jean-Daniel Reboul307, Thomas Hocart
n’ayant pas demandé sa naturalisation) présents en Algérie, les seuls qui resteraient si les
missionnaires anglais étaient expulsés !
3-1- Le nouveau personnel missionnaire
Debout : Jean-Paul Cook, et à sa gauche : Thomas Hocart.
« Les deux autres sont les deux missionnaires de Tabaroust. Debout : un des
muletiers en burnous et turban »
Évangéliste du 5 novembre1897, p. 179
307
Voir p. 134.
132
Installation de Jean-Paul Cook
Dès son arrivée, Jean-Paul Cook rentre dans le cadre déjà bien structuré de la mission,
dans un quotidien bien régulé, et se trouve d’emblée en contact avec les réalités kabyles :
maladies, pauvreté, enfants nombreux et incultes, islam tout-puissant. Enfin, disons que
Cook s’acclimate.
Il participe aux distributions d’orge pour les plus pauvres, et aux soins médicaux
prodigués aux enfants. Jean-Paul Cook assiste pour la première fois aux fêtes du jour de
l’an, où l’on étrenne la lanterne magique toute neuve, et où les enfants reçoivent leurs
cadeaux traditionnels. Pendant cet hiver, 150 enfants assistent à cette fête308.
Pendant tout l’été 1894, alors que Cook reste seul à Il Maten, Hocart fait la tournée de
ses amis, de ses parents, et des Églises du Midi à qui il offre des conférences. Il rentre à Il
Maten en automne, et c‘est Cook qui, à son tour, s’en va : celui-ci est en effet convoqué
pour les 28 jours de son service militaire en octobre. Il est engagé dans le 3e Régiment des
Zouaves, 1er Bataillon, 2ème Compagnie, basé à Constantine. Ces quatre semaines sont très
308
Ev 1894, p. 19.
133
dures, mais déterminantes pour notre jeune missionnaire. Il prend conscience, au delà de
la dépravation morale et de l’alcoolisme des soldats qu’il côtoie, de l’immense fragilité
existentielle de beaucoup d’entre eux. Il parle sérieusement (ce qui signifie qu’il les
évangélise !) à plusieurs soldats, et s’exclame : « Il faut aimer les soldats ! » Il profite de
son uniforme de Zouave pour rendre visite au Préfet de la Région afin de lui prouver que la
mission d’Il Maten est bel et bien française !309
Enfin, nous apprenons, dans une lettre du 10 janvier 1896, les fiançailles de Jean-Paul
Cook avec Melle Marguerite Jalabert, une jeune fille membre de l’Église du pasteur Babut,
à Nîmes, qui accepte d’accompagner son futur mari en Kabylie.310
Emma Vulmont
Le personnel de la mission reste à peu près stable pendant l’année 1895. Il nous faut
tout de même signaler la présence de Jules Guiton et de son fils aîné, William-Henri, tous
deux en convalescence d‘une maladie contractée en France. D’autre part, en date du 30
septembre, le Comité missionnaire admet Melle Vulmont comme aide-missionnaire. Celleci arrive à la mission dès le mois d’octobre. À propos de cette nouvelle venue, on trouve
dans l’Évangéliste du 18 septembre de la même année une notice nécrologique consacrée à
une dame nommée Mme Vulmont. On y apprend que cette dame a épousé en troisièmes
noces M. Vulmont, un homme deux fois veuf. Or M. Vulmont est déjà père d’une fille,
Emma, issue de son deuxième mariage. La famille s’installe à El Kseur après 1870.
Vulmont a un fils, qu’il perd, et cinq filles en tout. « L’aînée, Melle Emma Vulmont, a prit
son brevet en sortant du pensionnat évangélique de Nîmes et a travaillé, ensuite, plusieurs
années, comme aide-missionnaire à Il Maten où M. Hocart l’appréciait beaucoup ». En fait,
Melle Emma Vulmont reste à Il Maten jusqu’en 1899.
Jean-Daniel Reboul
L’hiver 1894-1895 est particulièrement difficile : neige, influenza et famine. Ils sont
toujours quatre à Il Maten : M. et Mme Hocart, Jean-Daniel Reboul et Jean-Paul Cook.
309
CF 1894-4-140-141.
310
CF 1896-1-262-263.
134
Dès le début de janvier 1895, les missionnaires apprennent le décès de Mademoiselle
Perrier (2 janvier 1895, à Quissac). Lydie Hocart, particulièrement, est très touchée, et écrit
une très jolie lettre dans L’Évangéliste à ce sujet.311 Mais la vie reprend son cours, et
Reboul, qui reste au chômage puisque l’école de semaine n’obtient toujours pas
l’autorisation d’ouvrir, écrit des poèmes. Il part d’Il Maten vers la fin de novembre 1895.
Nous avons par la suite de ses nouvelles dans l’Évangéliste d’octobre 1897 : Reboul s’est
marié avec une demoiselle Gagnebin, et il est allé exercer son métier d’instituteur en
Tunisie.
Départ de Thomas Hocart et arrivée de Francis de Saint-Vidal
Il y a un problème dont la Conférence de 1894 doit s’occuper. Ce Problème est
important, et pourtant ni les Actes ni l’Évangéliste n’en parlent. La Conférence, en effet, a
invité Thomas Hocart, en tant que missionnaire, sans droit de vote, à venir lui présenter
directement son rapport annuel sur la vie à la mission, dans le cadre d’un voyage estival de
Hocart à travers la France et les Îles Anglo-Normandes. Or, pendant cette Conférence,
Hocart prend la parole. Il confie ces paroles à la Correspondance fraternelle pour que tous
les pasteurs, même ceux qui ne sont pas venus à Nîmes, sachent ce qu’il a à dire :
Quelques collègues ont été étonnés quand je leur ai dit que je ne me croyais pas appelé
à donner ma vie entière à la Mission. … Ce n’a pas été mon rêve d’être missionnaire
… et je me suis mis à la disposition de la Conférence sans beaucoup d’enthousiasme.
… Je suis donc dans la position d’un homme qui garde son poste et qui attend le
moment où il pourra déposer les armes, pour céder sa place à un autre ouvrier. 312
Deux ans plus tard, en 1896, Thomas Hocart « a formellement déclaré au Comité son
désir de quitter la Kabylie en 1897 ou 1898313 ». La Conférence du Vigan (18-24 juin
1897) reprend la question, mais :
La Conférence, ayant appris que M. Hocart avait l’intention de quitter la Kabylie dans
311
Ev 1895, p. 22.
312
CF 1894-3-128-130.
313
CF 1897-3-415-417.
135
un an ou deux, pour des raisons de famille, a voté la résolution suivante : la Conférence,
en adressant à nos chers missionnaires de Kabylie l’expression de son attachement et de
sa reconnaissance, envoie à M. Hocart l’assurance de son entière confiance et décide de
le maintenir à la tête de la mission aussi longtemps que la Providence n’aura pas
expressément montré que sa tâche y était achevée314.
Thomas Hocart redemande aussitôt à être rapatrié ! Hocart se retrouve seul pasteur à Il
Maten, à son tour, pendant l’été 1897. Au tout début de l’année 1898, une lettre de JeanPaul Cook315 manifeste son désir de voir venir à Il Maten un autre missionnaire, M. de
Saint-Vidal, en remplacement de Thomas Hocart qui ne demande qu’à partir. À ce propos
il se plaint que ce désir, manifesté à la Conférence du Vigan, ait été mal interprété par
certains pasteurs qui ont pensé que Jean-Paul Cook était à l’origine de la volonté de
Thomas Hocart de quitter la Kabylie : « On m’a prêté vis à vis de mon collègue M. Hocart,
des sentiments que je n’ai jamais eu et je proteste énergiquement contre de tels soupçons. »
Nous apprenons, par l’Évangéliste du 24 juin (p. 164), que M. de Saint-Vidal et
Madame, née Babut, sont en poste à Ambohibéloma (Madagascar), où ils semblent réussir
dans leur ministère. Pendant ce temps, le Synode (on ne parle plus de « Conférence » à
partir de 1898 !), réuni à Levallois-Perret du 23 juin au 1er juillet, vote deux résolutions :
1- Le Synode autorise le Comité de la mission en Kabylie de prendre les
arrangements nécessaires pour qu’à l’automne 1899 M. Thomas Hocart prenne un
congé prolongé qu’il viendra passer en Europe.
2- Le Synode exprime à M. Jean-Paul Cook son entière confiance et sa vive
sympathie dans l’isolement où il se trouvera. Elle charge le Comité de poursuivre les
démarches en vue de trouver un instituteur-évangéliste316.
Thomas Hocart, malgré toutes ses demandes répétées, reste donc une année de plus en
Kabylie. Le Synode n’a fait qu’accepter, pour 1899, un « congé prolongé ». Et,
curieusement, non seulement Hocart n’écrit pas à ce sujet dans la Correspondance
fraternelle où on l’aurait attendu, mais c’est Jean-Paul Cook qui, dans une lettre du 14
314
AcC 1897 p. 21-22.
315
CF 1898-1-456-457.
316
AcC 1899 p. 23.
136
juillet317, proclame à son tour :
Je ne sais si on a fait part à la Conférence d’une lettre que j’ai écrite au Comité (de la
mission) et dans laquelle je priais ces messieurs de vouloir bien considérer la possibilité
de mon retour dans une Église de France. Diverses considérations et le sentiment de ma
faiblesse et de la stérilité de mes efforts en Kabylie me font hésiter à rester et je me
demande si je suis bien à ma place.
L’année 1899 qui commence est une année charnière dans l’histoire de la mission
méthodiste française en Kabylie. Le Synode 1898 a pris la décision de faire revenir
Thomas Hocart en France, pour « un congé prolongé en Europe ». Et Jean-Paul Cook
commence cette année dans l’inquiétude :
Chers frères, écrit-il le 12 janvier, priez d’une manière toute particulière cette année-ci,
pour notre mission en Kabylie, car elle va passer par un moment bien important, si le
fondateur, M. Hocart, retourne en Europe, et si je reste encore quelques temps seul ou
avec un instituteur ou un aide missionnaire peu au courant des mœurs et de la langue318.
Pourtant Thomas Hocart ne peut pas partir tant qu’il n’est pas remplacé. On avait pensé
à M. de Saint-Vidal, qui est missionnaire de la SMEP à Madagascar. Or justement, dans
l’Évangéliste319, au chapitre des Dernières Nouvelles, nous apprenons que :
M. et Mme de Saint-Vidal ont débarqué à Marseille le mardi 28 février. L’état de santé
de M. de Saint-Vidal s’était aggravé. Atteint de rhumatismes goutteux, avec ulcère à
une jambe, trouble dans les fonctions visuelles et anémie profonde ; il a dû quitter
Tamatave pour essayer de se rétablir en Europe.
Le retour de M. de Saint-Vidal serait-il le signe de la Providence qu’attendait la
Conférence du Vigan en 1897 ? En tous cas, en attendant son hypothétique départ, Thomas
Hocart passe, à Alger, comme chaque année, quelques belles journées de partage et de
traduction bibliques avec les autres pasteurs évangéliques. Il travaille avec M. Cuendet de
317
CF 1899-3-503-505.
318
CF 1899-1-551-553.
319
Ev 1899 p. 36.
137
la N.A.M., à la traduction finale des deux épitres de Paul aux Corinthiens. « C’est
probablement le dernier travail de ce genre que je ferai avant de quitter la Kabylie », dit-il
à ses collègues320.
Lors du Synode de Nîmes (15-22 juin 1899), Thomas Hocart présente son rapport
missionnaire par ces mots déjà entendus : « Les paroles du Sage : Ce qui a été, c’est ce qui
sera ; et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera ; il n‘y a rien de nouveau sous le soleil, sont
un tableau fidèle de la vie en pays musulman. Tout y est d’une désespérante
monotonie321. » Mais, pour le Synode lors de la séance réservée, dans l’emploi du temps, à
la mission, la question la plus importante est celle du retour de M. Hocart. Le Synode a dû
se rendre à l’insistance de M. Hocart et aux raisons qu’il donne pour motiver son retrait de
la mission : « Ce n’est pas sans émotion que le Synode a vu le fondateur de notre mission
renoncer à poursuivre en Kabylie cette œuvre pour laquelle il semblait si bien qualifié322. »
Un peu plus tard, le 14 juillet, William Cornforth demande haut et fort dans la
Correspondance fraternelle des nouvelles de la décision promise par M. de Saint-Vidal.
Émile Bertrand, le correspondant central de la Correspondance fraternelle, lui répond le
24 juillet :
Quant à M. de Saint-Vidal, dont M. Cornforth demande des nouvelles, voici où en
sont les choses. Dès que M. Prunier nous a envoyé ces renseignements pris de Paris
selon la décision du Synode, nous avons lancé une lettre circulaire parmi les membres
du Comité pour que chacun pût être au courant du cas et exprimer son opinion. Cette
lettre n’est pas encore revenue, mais … il est probable qu’à l’heure où vous lirez
ceci, M. de Saint-Vidal aura été définitivement admis comme agent missionnaire323.
De fait, à Il Maten, les choses se précipitent. Tôt le matin du 15 juillet, les Hocart
quittent Il Maten au grand désespoir des Kabyles réunis autour d’eux. Ils partent après
douze ans de défrichage : « Ils ont gagné les cœurs, dit Cook, et bientôt les âmes seront
converties324 ».
Melle Vulmont quitte Il Maten à son tour, le même jour au soir,
320
CF 1899-2-577-578.
321
AcC 1899 p. 22.
322
AcC 1899 p. 24.
323
CF 1899-3-599-602.
324
Ev 1899 p. 118.
138
accompagnée de ces mots laconiques de Jean-Paul Cook : « Elle a cru, pour des raisons
particulières, devoir nous quitter325 ». À noter que la même année, sans que nous puissions
préciser la date, Melle de Jersey quitte aussi Il Maten. Elle y était depuis 1896, de manière
extrêmement discrète car aucun texte ne signale sa présence326. Les Cook restent donc
seuls à Il Maten. Cela ne les empêchent pas de prendre le temps d’un voyage en France au
mois d’août.
M. de Saint-Vidal, comme prévu, est donc cédé par la Société des Missions
Évangéliques de Paris à la mission méthodiste en Kabylie pour y occuper le poste devenu
vacant, et travailler en équipe avec Jean-Paul Cook. Le couple Saint-Vidal compte partir en
octobre 1899. Quant à la famille Cook, elle rentre de son voyage estival en Europe au tout
début d’octobre pour accueillir les nouveaux venus. Ceux-ci, après une réception organisée
par le Comité missionnaire et terminée par une soirée d’adieu dans la chapelle de Nîmes,
partent pour l’Algérie le samedi 14 octobre 1899.
Mésentente entre Jean-Paul Cook et Francis de Saint-Vidal (1899-1901)
Au début, la relation entre les deux missionnaires est excellente. Les fêtes de la fin de
l’année 1899 se déroulent normalement, comme d’habitude, entre macaronis et café pour
les plus pauvres et séances de lanterne magique pour les enfants. M. de Saint-Vidal écrit à
l’Évangéliste pour demander de l’aide en matière de chiffons et de bouteilles.
Le Synode se réunit à Bourdeaux, en l’année 1900, du 28 juin au 5 juillet. Le rapport en
est imprimé sur les colonnes de l’Évangéliste des 6, 13 et 20 juillet. Saint-Vidal est présent
à ce Synode, et y parle de son travail à la mission. Le rapport missionnaire édité dans
l’Évangéliste du 16 novembre327 change de nom. Jusque là il s’intitulait Mission en
Kabylie, et à partir de 1900 il devient : Mission Protestante française en Kabylie. Et, dans
ce rapport, Jean-Paul Cook revient sur l’état de santé de Francis de Saint-Vidal. Celui-ci,
arrivé bien malade de Madagascar, est désormais totalement guéri. Il est de retour à Il
Maten après avoir passé l’été en France. Ainsi, comme l’écrit Cook à ses lecteurs :
« L’œuvre a continué de marcher et les Kabyles sont venus nous trouver comme
précédemment. »
325
Ev 1899 p. 119.
326
Ev 1911 p. 170.
327
Ev 1900, p. 181-186.
139
Le Synode de l’année suivante se tient à Paris, du 14 au 21 juin 1901. L’Évangéliste en
fait le rapport dans ses numéros des 21, 28 juin et 5 juillet. Et c’est à la page 99 de
l’hebdomadaire méthodiste qu’éclate la bombe :
L’ordre du jour appelle l’entretien sur la mission en Kabylie. M. Wood, au nom du
Comité de la mission, met le Synode au courant du conflit regrettable survenu entre
M. Cook et notre agent missionnaire M. de Saint-Vidal. Le Comité a refusé de se
prononcer sur les responsabilités de ce conflit ; mais il croit que la séparation des deux
agents s’impose, et s’en remet à la sagesse du Synode pour la désignation du
missionnaire qu’il faille rappeler …. M. Roux donne lecture d’un rapport qu’il a fait
après un voyage en Kabylie, rapport adressé au bureau du Synode, et dans lequel il
expose les divers aspects du conflit survenu. M. Prunier relève certains faits indiqués
dans les lettres reçues par lui, et qui donnent quelques lumières sur le conflit entre nos
missionnaires. M. Roux rend témoignage à la piété profonde de M. Cook, et demande
le rappel immédiat de M. de Saint-Vidal. M. Guiton demande que le Synode puisse
entendre le point de vue de M. de Saint-Vidal. M. Wood lit une lettre de M. de SaintVidal où il expose ses griefs, et la situation telle qu’il la considère.
Ce texte est d’autant plus important qu’il n’aurait pas du être édité. Edmond Gallienne,
l’auteur de ce compte-rendu, s’en explique dans la Correspondance fraternelle328, alors
que Jules Guiton, dans la même Correspondance du 18 juillet, écrit : « Nous avons tous
regretté la publication dans l’Évangéliste de ce malencontreux compte-rendu relatif à la
Kabylie. Espérons que la chose s‘arrêtera là329. » Les Actes imprimés sont d’ailleurs très
sommaires sur ce sujet : « L’œuvre a souffert cette année de difficultés internes, sur
lesquelles nous n’avons pas à nous étendre330. » Soit. Pourtant la bombe a bien explosé. Et
le rédacteur de l’Évangéliste est obligé de s’excuser331. Puis c’est au tour d’Onésime
Prunier de prendre la plume pour tenter de désamorcer diplomatiquement le conflit :
Contrairement à ce que pourraient faire supposer certaines expressions du
malencontreux compte-rendu publié dans l’Évangéliste, la décision prise par le
328
Voir CF 1901-3-52-53.
329
CF 1901-3-51-52.
330
AcC 1901 p. 20.
331
Ev 1901 p. 101.
140
Synode de ne pas renouveler, à l’expiration de l’année courante, le mandat confié à M.
de Saint-Vidal depuis deux ans, n’est basé sur aucun fait de nature à porter atteinte à
l’honorabilité ou au caractère chrétien de ce frère332.
Onésime Prunier va plus loin dans ses explications en écrivant à ses collègues, le 12
juillet :
M. de Saint-Vidal, froissé jusqu’à l’exaspération de cette publication, a écrit au
directeur de notre journal une longue lettre dont il exigeait l’insertion intégrale, ce qui
eut rendu indispensable un long et pénible exposé de tout le conflit survenu entre lui et
M. Cook. M. Babut, de son coté, nous exprimait, en termes toujours très fraternels et
chrétiens, la peine que lui causait ce fâcheux incident et nous demandait de réparer,
dans la mesure où cela nous était possible, le tort que nous avions fait à son gendre.
C’est ce qui m’a amené à écrire la lettre que vous avez pu lire dans le dernier numéro
de l’Évangéliste. J’espère que cette lettre aura donné satisfaction aux légitimes
exigences de notre excellent ami M. Babut et calmé du moins partiellement l’irritation
de son gendre. Mais je ne me sens pas très rassuré sur les conséquences fâcheuses que
cette triste affaire peut avoir pour l’avenir de notre mission et nous avons besoin de
nous unir tous pour demander à Dieu de réparer le mal déjà fait et d’en faire sortir – si
difficile que cela puisse paraître – un bien réel333.
Ce constat pessimiste est en tout cas partagé par Edmond Gounelle qui, quant à lui, écrit
dans la Correspondance fraternelle :
Ce qui nous afflige profondément, c’est le conflit entre nos deux missionnaires ...  et je
me demande si, là-bas, notre œuvre n’est pas compromise, surtout, si, réellement, au
dire de M. de Saint-Vidal ce scandale n’est ignoré ni des Kabyles, ni des Européens, ni
des autorités. Si M. Cook confirme cette assertion, je crois que nous n’aurons plus qu’à
plier (fermer) boutique334.
Il semble que ces prophéties pessimistes ne se soient pas réalisées, car la mission
méthodiste continue son œuvre à Il Maten, après le départ de Francis de Saint-Vidal. Le 16
332
Ev 1901 p. 105-106.
333
CF 1901-3-65-68.
334
CF 1901-3-52-53.
141
octobre Cook se retrouve seul pasteur à Il Maten. Le couple de Saint-Vidal est parti, ce qui
ne cause aucun problème au missionnaire :
Je sais que quelques-uns d’entre vous, écrit-il à ses collègues, ont cru que les
événements de l’année passée causeraient le plus grand tort à notre mission, et dans le
dernier numéro de la Correspondance fraternelle le secrétaire est très pessimiste. Je
crois au contraire que le départ de notre agent fera le plus grand bien à notre œuvre, et
son séjour ici d’une manière plus prolongée aurait été sa ruine. Mais passons. 335
Nous pouvons nous demander ce qu’est devenu Francis de Saint-Vidal après son
aventure malheureuse en Kabylie. Et c’est le Journal des Missions évangéliques qui
répond à notre question dans son numéro de mars 1911 :
Dernière heure : Mort de M. de Saint-Vidal. Nos apprennons avec tristesse la mort à
Nice, le 29 avril, de M. F. de Saint-Vidal, qui fut, d’octobre 1897 à février 1899,
missionnaire à Madagascar et que l’état de sa santé obligea à rentrer en France, où il a
servi depuis lors la Mission Populaire Évangélique. Nous prions Mme de Saint-Vidal et
ses parents, nos excellents amis M. et Mme Ch. Babut, de recevoir l’expression de notre
profonde sympathie336.
(Notons au passage que la présence de Saint-Vidal à Il Maten n’est même pas évoquée !)
Melle Verdier
Au début de l’automne 1902, à peine rentré à Il Maten après ses vacances estivales, Cook
apprend par la Correspondance fraternelle, dans une lettre du 13 octobre de Matthieu
Gallienne, que « le Comité de la Kabylie vient de décider l’envoi d’une institutrice, Melle
Verdier de Calvisson337. » Melle Verdier part avec un contrat d’un an, car le Comité espère
toujours pouvoir trouver un instituteur plutôt qu’une institutrice. Or Melle Verdier est bien
connue : « elle a été élevée dans notre église de Calvisson où elle a laissé la meilleure
335
CF 1901-4-90.
336
Journal des Missions évangéliques N° de mai 1911, p. 440.
337
CF 1902-4-178-179.
142
impression sur ceux qui l’ont vue : Messieurs Cook et Hocart entre autres338 ». Elle reste
sept ans à la mission, et ne part qu’à l’occasion du départ de Jean-Paul Cook. Elle prend
son poste à Il Maten le 1er octobre 1902.
M. Palpant, artisan-missionnaire
Le Synode reçoit en 1905 un don anonyme de 4000 Fr. destiné à loger un artisan
missionnaire à Il Maten. À ce propos, l’éditorial du Rapport de la mission protestante
française en Kabylie, signé dans l’Évangéliste du 15 octobre 1905 par messieurs Gallienne
(président du Comité) et Bénézet (trésorier), nous en dit plus : M. Palpant est un
prédicateur laïque membre de l’Église de Dieulefit (Drôme), qui s’intéresse à l’œuvre
missionnaire depuis longtemps, et projette d’aller en Kabylie apprendre aux habitants les
rudiments du travail artisanal. Pour ce faire, M. Palpant apprend sur place plusieurs métiers
(menuiserie, ferronnerie, etc.), pensant trouver du travail aux environs d’El Kseur ou d’Il
Maten. Le Comité lui offre le voyage en Kabylie, mais notre artisan ne trouve aucun
emploi salarié. Par contre le don anonyme de 4000 Fr. arrive à point. Grâce à ce fonds, le
Comité envoie Palpant et sa famille à la mission d’Il Maten avec un projet :
M. Palpant se rendra en famille à Il Maten dès le 1er octobre 1905, comme artisanmissionnaire. Ses premiers soins seront de construire une modeste habitation sous
laquelle il compte aménager un atelier. Déjà, dans ce premier travail, il s’efforcera de
dresser (sic) quelques jeunes Kabyles au travail intelligent et au maniement des
outils ; puis, selon les circonstances, il verra ce que l’on peut faire pour créer une
école industrielle339.
Donc, en attendant que la Providence décide de la bonne marche de ce projet, M.
Palpant fait office d’aide-missionnaire pour M. Cook. Le rapport annuel de Jean-Paul
Cook n’apporte que peu d’informations complémentaires. La venue d’un artisanmissionnaire est certes importante, mais il faut absolument faire venir un autre pasteur
missionnaire, car si lui-même est malade ou doit partir, la mission risque l’effondrement !
338
CF 1902-4-178-179.
143
Cook est néanmoins très positif. Il a lu le livre d’Henri Bois sur le réveil au Pays de
Galles340, et imagine très bien l’Algérie devenir, à l’égal de l’Angleterre, un pays du
Réveil !
Rentré en Kabylie mi-septembre, Cook attend Palpant, et apprend le projet de
l’administration française de construire, tout près des bâtiments de la mission à Il Maten,
une école laïque. Cook est très favorable à ce projet. D’abord, si les Kabyles apprennent le
français, ils pourront mieux lire la Bible. Et puis l’arrivée d’une école et d’un instituteur
provoque immanquablement l’amélioration des conditions de vie des populations locales.
Ainsi, sans aucun doute, sera construite une fontaine publique.
3-2- Les nouvelles orientations de la mission
Les premiers pas du nouveau missionnaire
Le lendemain même de l’installation de Jean-Paul Cook, Hocart l’invite, avec Reboul, à
assister à des cours de langue kabyle, deux fois par jour d’abord, puis pendant les trois
veillées hebdomadaires. Thomas Hocart se plaint d’ailleurs de cet état de fait : à son avis
un candidat missionnaire devrait passer une année propédeutique pour apprendre la langue
du pays, avant de subir un examen qui déciderait de la suite à donner à sa vocation
missionnaire.
Les lettres qu’envoie en France le tout nouveau jeune missionnaire sont toutes
construites sur le même modèle : d’abord il remercie les dames et demoiselles qui lui ont
fait parvenir ce qu’il demande, ensuite il leur fournit quelques informations sur la vie
quotidienne à la mission, enfin il les invite de manière pressante à effectuer de nouveaux
dons. Car les besoins sont immenses ! En orge d’abord, qu’il faut acheter pour distribuer ;
en pots et bouteilles, pour y mettre onguents et sirops ; en tissus, pour permettre aux dames
kabyles, lors des réunions de couture, de fabriquer des vêtements pour elles et leurs
enfants. Il y a, derrière ce jeu d’écriture de demandes et de remerciements, une volonté
clairement exprimée de motiver ses lectrices en les faisant participer activement à la vie de
340
H. BOIS, op. cit.
144
la mission. Ainsi, il propose à ses correspondantes de fabriquer des petits sacs, pour
permettre aux Kabyles, qui n’ont pas de poche, d’y mettre leurs objets usuels.
L’impossible réouverture de l’école de semaine
L’année 1894 commence sans histoire. Pourtant la Conférence, réunie à Nîmes du 7 au
14 juin 1894, s’inquiète surtout de la fermeture de l’école d’Il Maten. En effet celle-ci n’a
toujours pas obtenu l’autorisation de l’administration française. Le 16 avril, par exemple,
une lettre envoyée au gouvernement est restée sans réponse. D’ailleurs, lors de différents
contacts, les missionnaires apprennent les raisons qui poussent l’administration à leur
refuser l’ouverture de leur école de semaine. D’abord, le directeur de la mission est de
nationalité anglaise. Ensuite, la salle d’école est en même temps salle de culte : il y a un
mélange des genres inacceptable pour une administration laïque. Au vu de ces motifs, la
Conférence répond en prenant au sérieux la volonté de l’État. Elle décide la construction à
Il Maten d’une deuxième salle qui sera cette fois uniquement réservée à l’école. Ensuite
elle demande à son missionnaire Thomas Hocart de se faire naturaliser français. Elle exige
enfin que le Comité missionnaire ne perde pas de vue la résolution de ce problème, et qu’il
continue coûte que coûte ses démarches en vue de la réouverture de l’école341.
En janvier 1895, le gouverneur d’Algérie est à Paris. Onésime Prunier en profite pour le
rencontrer et plaider la cause de l’école d’Il Maten, en vain. De plus, dès le 11 avril, les
missionnaires reçoivent un avis défavorable et définitif sur l’avenir de l’école de semaine :
« Les autorités ont positivement refusé l’ouverture de l’école de semaine », nous dit JeanPaul Cook342. Dès lors, que faire de Jean-Daniel Reboul ? Thomas Hocart, quant à lui,
réagit violemment. Une des conditions de la réouverture de l’école était sa naturalisation.
Or justement, au même moment, une série d’articles dans différents journaux algériens
prétendent que « les missionnaires anglais se faisaient naturaliser pour mieux faire passer
la Colonie entre les mains des Anglais343 ». Dans ces conditions, Hocart abandonne toute
idée de naturalisation, et reste anglais. Il renonce aussi à l’école, et répète à qui veut
l’entendre que la mission, décidément, doit être dirigée par un ou des Français ! Lors de la
Conférence de Paris (13 – 20 juin 1895) on fait lecture, cette fois, de deux rapports
341
AcC p. 23-25 et Ev 1894, p. 98.
342
CF 1895-2-180-182.
343
CF 1895-2-190-192.
145
missionnaires : en effet Jean-Paul Cook et Thomas Hocart écrivent, chacun de son côté,
leur compte-rendu des activités missionnaires en Kabylie. La Conférence est bien d’accord
pour envoyer à Il Maten un évangéliste-médecin, réclamé par les missionnaires, mais n’en
a pas les moyens financiers. Elle ne demande plus la présence d’un instituteur, mais
procède au contraire au licenciement de Jean-Daniel Reboul qui n’a décidément pas
d’emploi à l’école de la mission.
En attendant cette très hypothétique autorisation, Melle Verdier soigne les malades. Et
puis, en 1903, M. et Mme Cook innovent ! Deux orphelines, dont l’aînée est bien malade,
sont rejetées de partout, et le couple Cook les accueille chez eux. C’est la première fois
qu’une telle chose se fait, et les conséquences de cet acte sont importantes. En attendant
d’en savoir plus, les deux orphelines, Lahaldja et Djora, trouvent chez les Cook le gîte et le
couvert, chantent des cantiques, et profitent de l’influence religieuse du pasteur et de sa
famille.
Nouvelles persécutions
En ce début de l’année 1895 les nuages s’accumulent de nouveau sur l’avenir de la
mission méthodiste en Kabylie. L’éditorial de l’Évangéliste du 23 août 1895, signé par
Émile Bertrand, dévoile de manière humoristique et très polémique une violente attaque, à
l’Assemblée Nationale, contre les missions méthodistes britanniques présentes dans les
colonies françaises. Le député de l’île de la Réunion, M. de Mahy, se plaint des
agissements de ces méthodistes à Madagascar (Bertrand signale au passage,
malicieusement, qu’il n’y a, à cette date, aucun méthodiste stricto sensu dans la grande
Île) ! Et le député d’Oran, M. Saint-Germain, reprend le même thème à propos de
l’Algérie. L’attaque vise surtout la North Africa Mission établie à Djemâa Sahridj, mais les
missionnaires d’Il Maten en reçoivent le contre coup. « D’autre part, ajoute Saint-Germain,
les missionnaires distribuent des médicaments et exercent illégalement la médecine en
donnant des médicaments ». Bertrand conclut son article par ces mots : « Il y a chez un
grand nombre de nos compatriotes un sentiment vague d’un danger que court la France. »
C’est ainsi que de Mahy et Saint-Germain ne sont que les porte-paroles de cette peur
diffuse, qu’ils canalisent vers les missions protestantes anglaises installées dans les
colonies françaises, celles-ci faisant office de bien pratiques boucs émissaires.
Pendant l’été 1895, Thomas Hocart et sa famille prennent cinq semaines de vacances
traditionnelles à Dellys. Et, pour ne pas perdre de temps, Hocart y distribue des feuillets
146
imprimés pour l’évangélisation. Or un journal local, le Radical algérien, prend
connaissance d’un de ces feuillet, et en tire la substance d’un article au titre évocateur : Les
Anglais en Kabylie. On peut lire, dans cet article, que :
Le Gouvernement général, qui prétend tout savoir, ignore les agissements de ces
individus à mine suspecte qui s’en vont, le sac au dos, comme de simples colporteurs,
distribuant des bibles aux colons de nos campagnes, mais en réalité prêchant la révolte
aux indigènes … les Anglais nous envahissent sous une forme apparemment
religieuse en attendant qu’ils puissent, au jour d’une conflagration européenne,
s’emparer de notre colonie les armes à la main344.
M. Saint-Germain, relayé par le lieutenant-colonel Guérin et le député de Mahy, réitère,
en novembre 1896 à l’Assemblée Nationale, ses attaques contre les méthodistes anglais.
Émile Bertrand, à nouveau, prend la plume pour une réponse digne et ferme. Il constate
que M. Saint-Germain :
- Utilise toujours le mot méthodiste abusivement.
- Raconte des faits peut-être exacts mais grossis à l’extrême.
- Profère quelques accusations qui sont simplement ridicules,
- Et d’autres qui sont complètement fausses.
« Les missionnaires, ajoute Bertrand, sont des gens qui vont, au prix de bien des
sacrifices, faire en Algérie, pour dire le moins, oeuvre de civilisation et de philanthropie ».
De son coté, Mr. Edward-W. Glenny, secrétaire de la Société des Missions Évangéliques
pour le Nord de l’Afrique, répond à Saint-Germain dans The Christian en expliquant le
rôle réel joué par les missions anglaises en Algérie. Ce n’est pourtant pas fini ! Au début
du mois de décembre, deux journaux algériens, la Dépêche algérienne et le Télégramme
algérien, se servent du Rapport missionnaire de 1896, paru dans l’Évangéliste et envoyé
gracieusement (et imprudemment) par Jean-Paul Cook aux rédacteurs des différents
journaux, pour attaquer de manière extrêmement violente la petite mission d’Il Maten. Ce
sont des accusations de trahison envers la France, et d’envahissement dangereux d’un parti
étranger et hostile. Heureusement le pasteur de l’Église Réformée d’Alger, Charles
Jaulmes, cousin de Jean-Paul Cook, écrit à la Dépêche algérienne pour affirmer
publiquement que Cook est bien français, malgré son nom à consonance anglaise. Cook
344
Cité par Thomas Hocart dans CF 1895-4-213-215.
147
lui-même est allé à Alger à la rencontre des rédacteurs des journaux. Il est bien reçu en
général, sauf par le peu courtois responsable du Radical algérien.
Les ennuis ne cessent pas pour autant, malgré toutes les tentatives d’apaisement. Les
missionnaires constatent en effet, en janvier 1897, une persécution des élèves suisses à
l’école d’El Kseur. D’autre part, un garde champêtre vient à Il Maten espionner la mission.
Enfin, lorsque Cook rend visite à l’administrateur local, celui-ci se méfie. Émile Bertrand
écrit aux deux journaux algériens responsables de cette campagne de diffamation, et les
lettres qu’il a écrites sont insérées dans ces journaux, ce qui a pour mérite de calmer un peu
les esprits. À la fin du mois de janvier 1897, on peut dire que tout est terminé. Cette
attaque par les hommes politiques en France et par la presse algérienne est la plus
importante que les missionnaires méthodistes ont eu à subir. C’est aussi la dernière, car,
malgré quelques escarmouches, la mission d’Il Maten ne sera plus attaquée aussi
violement. Il faut ajouter que Thomas Hocart, directement concerné par sa nationalité, a
profité de cette crise pour redemander son retour en France !
En 1903, Thomas Hocart est rentré en France. Jean-Paul Cook est seul missionnaire à Il
Maten et il endure une nouvelle campagne calomnieuse dans Le Journal de Bizerte et
l’Écho d’Oran. Il paraît que les dames missionnaires anglaises enlèvent les enfants
orphelins ou pauvres, et les envoient en Angleterre pour être formés comme agents à la
solde de la perfide Albion ! Peut-être à cause de cette campagne de presse Cook n’obtient
pas, une fois encore, malgré une nouvelle demande, l’autorisation d’ouverture de l’école de
semaine.
Impact de la mission méthodiste dans le protestantisme français
Sur un plan plus général, il semble que, quelques temps après les grandes persécutions
de 1895, la mission méthodiste d’Il Maten commence à interpeller les protestants français.
Dès le mois de novembre 1896, peut-être en rapport avec les attaques subies par les
missionnaires méthodistes en Algérie, l’Évangéliste, signale un fait divers lourd de
conséquences : « Un chrétien baptiste, M. Émile Rolland, doit aller comme colporteur
évangéliste en Kabylie, au compte de la Société des Missions du Nord de l’Afrique345. »
Plus tard, l’Évangéliste fait état de nombreuses conversions effectuées dans le monde
musulman non arabe. Il ajoute : « L’Union chrétienne de Bourdeaux vient de décider tout
345
Ev 27 novembre 1896, p. 144. Sur Émile Rolland, voir p. 176-177.
148
récemment d’avoir une réunion consacrée à la mission une fois tous les deux mois, et elle a
choisi la mission méthodiste en Kabylie comme le champ de travail auquel elle désire
particulièrement s’intéresser346 ».
De son côté, le Supplément de l’Almanach français des missions évangéliques à
Montauban, en février 1898, parle d’Il Maten. Cette mission méthodiste en Kabylie devient
le sujet de la semaine de prière pour les missions, décrétée par l’Almanach des missions,
pour la semaine du 10 au 16 juillet 1898. Dans le Rapport missionnaire N° 10347, du 4
novembre 1898, Cook affirme que :
Ce qui m’encourage, dit-il, c’est un mouvement qui semble s’opérer dans notre cher
pays de France pour la conversion des musulmans … Nous avons reçu, cette année,
plusieurs lettres de plusieurs membres d’unions chrétiennes de jeunes gens nous
demandant de leur écrire pour les tenir régulièrement au courant de nos efforts. Des
Comités régionaux de mission, fondés en France pour prier pour les missions et
recueillir les dons en leur faveur, nous ont fait dire qu’ils pensaient à nous et priaient
pour nous.
Nous pensons que cette émulation en faveur de la mission méthodiste française en
Kabylie provient au moins de deux sources. La première tient à la publicité faite à la
mission d’Il Maten par les débats à l’Assemblée Nationale et aux articles polémiques des
journaux algériens. La deuxième cause se trouve dans le fait que les missionnaires
méthodistes en Kabylie sont toujours les seuls missionnaires protestants français en
Algérie !
Les Kabylias
Un appel signé de Mme Marguerite Cook en personne, daté du 18 décembre 1898,
paraît dans l’Évangéliste. Intitulé : Aux amies de la mission en Kabylie348, Mme Cook y
propose la création, dans chaque Église, d’une société de jeunes filles qui s’intéressent à la
mission, société nommée Kabylia. Chaque Kabylia aurait à sa tête une responsable chargée
de réunir les jeunes filles autour de :
346
Ev 13 mai 1897, p. 74-75.
347
Ev 1898 p. 177 à 182.
348
Ev 1898, 30 décembre, p. 211-212.
149
- Réunions de prières,
- Réunions de coutures,
- Collectes et souscriptions.
La première Kabylia est fondée à Caveyrac le 1er janvier 1899, et se réunit tous les jeudi.
Pourtant Marguerite Cook n’a rien inventé ! En effet Jean-François Zorn parle, dans son
ouvrage sur la SMEP, des Zambézias mises en place par Alfred Bertrand pour soutenir la
mission de Coillard dans la région du Zambèze :
Au 1er janvier 1898, [soit un an avant la création de la première Kabylia349 !] dix-huit
des ces Zambézias existent déjà, six en France, cinq en Alsace, sept en Suisse, reliées
entre elles par un secrétariat situé à Genève, dirigé par Édouard Favre et par une
nouvelle publication, Les Nouvelles du Zambèze qui vient de voir le jour. […] Les
Zambézias remportent un beau succès, puisque c’est grâce à elles que l’expédition de
Coillard et ses compagnons est financée et que, désormais, la caisse du Zambèze est
alimentée. En août 1898 elles sont une soixantaine dans quatorze pays d’Europe et
une centaine en janvier 1904350.
Bien sûr, les Kabylias ne concurrencent pas les Zambézias, mais pourtant il est à
remarquer que dans les deux cas ce sont les organisations à Genève qui prennent le plus
d’importance.
La loi de séparation des Églises et de l’État.
Les méthodistes français sont dans l’inquiétude et l’expectative à l’orée de la nouvelle
année 1906. Deux événements bousculent leur quiétude et les contraignent à l’attention la
plus soutenue. Nous avons déjà parlé du livre d’Henri Bois qui provoque une immense
bouffée d’espérance dans les milieux évangéliques. Mais aussi la Loi de séparation des
Églises et de l’État vient d’être votée : joie certes pour les méthodistes, mais prudence tout
de même. Car les inventaires à venir (des biens de la mission en Kabylie aussi) risquent de
poser quelques problèmes351.
349
Note de l’auteur.
350
Jean-François ZORN, op. cit. p. 480-481.
351
Gilles Manceron étudie la question dans Gilles MANCERON, L’étrange application de la loi de 1905
dans les colonies, in Dominique BORNE et Benoit FALAIZE dir. Religions et colonisation, Afrique - Asie Océanie - Amériques, XVIe - XXe siècles, Paris, Les Éditions de l’Atelier / Éditions ouvrières, 2009, p. 101à
107. Nous le citons, p. 102 : « L’article 43 de la loi de 1905 prévoyait que : Des règlements d’administration
150
3-3 : Vie quotidienne à la mission
Généralités
De graves inondations provoquent beaucoup de dégâts dans la vallée de l’Oued Sahel,
pendant l’automne 1895, mais Il Maten n’est pas touché. Les fêtes de fin d’année 1895
reproduisent comme chaque année les mêmes séances de lanterne magique et les
distributions de cadeaux, cette fois pour 170 enfants.
Le jour de l’an 1896 se passe comme d’habitude. Signalons pourtant une nouveauté à
Noël, qui deviendra elle aussi une tradition annuelle : les missionnaires reçoivent les plus
pauvres parmi les pauvres du village à la mission et leur offrent un repas composé de
macaronis à la sauce piquante, de pain et de café. À la fin du mois d’avril, la famine se fait
sentir de nouveau à Il Maten : la jonction de l’approvisionnement avec le mois de juin
s’avère difficile. C’est la reprise de l’assistance par le travail, des distributions d’orge, mais
la caisse des pauvres est vide et les sauterelles arrivent !
L’hiver 1897-1898 est particulièrement terrible, accompagné de la fameuse trilogie
faim-froid-neige. La famine revient (les récoltes 1897 ont été mauvaises) avec son cortège
d’affamés aux portes de la mission. La fête de Noël, autour des macaronis sauce piquante,
du pain et du café, a réuni 80 miséreux dont certains, pour nourrir leur famille, ne mangent
pas et, versant le café dans les macaronis, ramènent la mixture à la maison. En mars un
orage dévastateur complète le tableau : il y a beaucoup de dégâts, même à Il Maten, et
Cook a échappé par miracle à la noyade. Pourtant, pendant l’été de la même année, la
sécheresse est telle que les sources tarissent, et les Kabyles accusent les missionnaires de
publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable à l’Algérie et aux
colonies. Elle avait donc vocation à s’appliquer à ces territoires, sa mise en œuvre y relevant de décrets
particuliers. Or, en définitive, la plupart des territoires coloniaux se sont répartis en deux catégories : ceux où
aucun décret n’est intervenu et, par conséquent, où la loi de séparation n’est pas entrée juridiquement en
application, et ceux de Madagascar et de l’Algérie où des décrets ont formellement appliqué la loi mais en
l’adaptant de telle manière que cela contredisait son principe essentiel de non intervention de l’État dans
l’organisation des cultes et la rémunération de leurs ministres. Le cas le plus caractéristique est celui de
l’Algérie, où la loi de 1905 s’est appliquée en 1907, par un décret ayant pour objectif le contrôle de l’islam
… ce qui a perpétué le concordat colonial antérieur sous couvert d’une application juridique de la loi de
séparation et en vidant celle-ci de son contenu ». En fait, le législateur visait l’islam, mais l’Église catholique
en a profité. Il est vrai que les Églises protestantes missionnaires non concordataires en Algérie ne sont
évidemment pas concernées. Néanmoins, les biens immobiliers à Il Maten semblent n’avoir pas été
inventoriés au même titre que ceux de métropole.
151
retenir l’eau !
La famine continue pendant tout le printemps 1898. Les missionnaires cherchent des
solutions, et Thomas Hocart raconte que « il y a quelques mois la mission a fait
l’acquisition d’un nouveau jardin rempli de pierres »352. Les missionnaires emploient donc
quelques miséreux valides et leur font monter des murs avec les pierres du jardin, à raison
de 1,25 Fr par jour pour les hommes et 0,50 Fr pour les garçons, deux fois par semaine, au
titre de l’assistance par le travail. L’année se termine par un appel qui vient de Jules
Guiton, dans l’Évangéliste du 9 décembre353, en faveur de l’achat du champ dans lequel la
maison de la mission est enclavé depuis dix ans. Cet hectare de terrain est à vendre pour la
somme de 2000 Fr., dont 1500 Fr. sont déjà apportés par les missionnaires. Reste à lancer
une souscription de 800 Fr., dont 500 Fr. pour le solde du prix du terrain, 200 Fr. de frais
d’achat, et 100 Fr. pour refaire le chemin d’accès et relever les murs. La souscription est
close rapidement le 31 mars 1899, par l’apport des derniers 10 Fr. offerts de la part de
James Hocart, qui vient de mourir, ce qui porte la somme totale souscrite à 804 Fr. 354 Le
jour de Noël de cette année regroupe 120 affamés autour du repas devenu traditionnel. Et,
le jour de l’an, 300 enfants sont réunis en trois fois pour regarder la lanterne magique, et
recevoir du café et du savon.
Thomas Hocart, dans sa contribution au onzième Rapport missionnaire (1899), revient
sur une activité nouvelle qu’il a initié à la mission : il fait office de scribe pour les Kabyles,
qui ont besoin d’envoyer des lettres ou de l’argent à des parents éloignés. Et Cook, dans
son propre rapport, nous explique comment évangéliser avec quatre couleurs :
Le noir symbolise l’état de l’âme du pécheur.
Le rouge, c’est le sang du Christ venu sauver le pécheur.
Le blanc représente l’âme du pécheur lavé de ses péchés par le sang du Christ.
L’or, enfin, est la couleur de l’âme sanctifiée et glorieuse.
L’année 1900 se termine comme les autres années, par de joyeuses fêtes à la mission, le
22 décembre, juste avant le début du Ramadhan. L’hiver est dur, et plusieurs tempêtes
sévissent et démolissent le toit de plusieurs chaumières.
Dans son rapport missionnaire, paru dans l’Évangéliste du 16 novembre 1901, Cook
revient sur la mort d’Émile Bertrand. Il constate que les rapports avec l’administration
352
CF 1898-2-493-494.
353
Ev 1898 p. 199.
354
Ev 1899 p. 54.
152
civile s’améliorent, que la mission continue d’être bien soutenue par les Églises en
métropole (les Kabylias par exemple), et que l’œuvre (catéchismes, soins aux malades,
cultes pour les Européens, tournées dans les tribus) continue. Mais toujours pas de
conversion :
Courage donc, chers amis des Kabyles, qui aimez, et soutenez l’œuvre d’Il Maten. Nos
efforts et nos prières ne sont pas inutiles, et un jour viendra, plus tôt peut-être que nous
le pensons, où nous verrons la moisson toute prête et les conversions se manifester dans
notre tribu des Fenaïas355.
L’année 1901 se clôt dans la plus pure des traditions, par un repas de macaronis sauce
piquante servi avec du café à 130 pauvres de tous âges, le 22 décembre. Les Kabyles
vivent toujours dans une grande détresse sociale. Mme Cook écrit à ce sujet dans
l’Évangéliste356, demande de l’aide, et en reçoit.
La misère est telle à la mission pendant l’année 1902 qu’on assiste à une recrudescence
de vols nocturnes et de tentatives de vols effectués par les voleurs en essayant de percer les
murs de la maison. L’ordinaire des fêtes de fin d’année est améliorée cette année-là par
des apports en argent et en cadeaux de la Kabylia de Genève, décidément très active.
D’ailleurs, au printemps 1903, la présidente de cette Kabylia, Mme Vallot, vient en
personne visiter la mission.
L’école du jeudi prend de l’ampleur. Les enfants viennent au catéchisme très tôt le
matin, pour pouvoir rejoindre au plus vite les troupeaux dont ils sont les bergers. La
hiérarchie des récompenses offertes aux catéchumènes à la fin de l’année scolaire est
édifiante : les bons élèves reçoivent 100% de l’étoffe nécessaire à la confection d’une
chemise ; les autres n’en reçoivent que 50% ou même 25%.
Les malades sont de plus en plus nombreux à attendre leur tour, le matin, devant les
bâtiments de la mission. Les maladies les plus courantes sont la gale, la teigne, les
ophtalmies, les fièvres et les plaies syphilitiques.
Les bâtiments ont d’ailleurs reçu quelques réparations d’assainissement et de
sécurisation (contre les vols !) et le missionnaire a construit un bassin pour retenir l’eau
nécessaire à l’arrosage. Enfin, au grand effroi de Jean-Paul Cook, un café clandestin a
355
Ev 1901 p. 192.
356
Ev 1902 p. 23.
153
ouvert ses portes à Il Maten en 1903, et, scandale suprême, on y joue aux cartes !
Un voyage en bicyclette
Le début de l’année 1897 est marqué par le long voyage en bicyclette à travers l’Algérie
qu’effectue, du 1er mars au 2-3 avril, le pasteur Émile Bertrand. Il part de Congénies pour
Cette (Sète), prend le bateau et débarque à Alger. Il pédale jusqu’à Sétif sous la pluie, en
passant par Menerville (Themia), Palestro (Lakhdaria), Bouira, Aumale (Sour El Ghozlan).
De Sétif il va à Constantine le 11 mars. Il fait un rapide aller et retour jusqu’à Tunis, va
dans le sud approcher le désert à Batna, et revient à Sétif. Les Berbères rencontrés
racontent qu’ils ont vu un « roumi sur son chameau de fer » ! Il boucle son voyage en
partant pour Bougie, par le fameux Châbet el Akrâ, et est reçu à Il Maten par Cook et
Hocart. Il visite Moknéa et Tabaroust, à partir d’Il Maten, et revient à Alger, puis à
Congénies, toujours à bicyclette. Cette visite d’Émile Bertrand à Il Maten restera pour les
missionnaires un des moments les plus marquants de l’année.
La mission s’expose !
Bref, tout va très bien à la mission d’Il Maten. À noter, de plus, que la mission
méthodiste en Kabylie s’expose ! En effet, dans la Correspondance fraternelle, Matthieu
Lelièvre apprend à ses collègues que :
La Société des Missions de Paris vient de nous offrir une petite place dans
l’emplacement qui lui est réservé à l’Exposition (il s’agit de l’Exposition Universelle de
Paris, 15 avril – 12 novembre 1900). Notre mission en Kabylie y figurera donc. C’est
une bonne occasion d’affirmer notre caractère de mission française357.
Les premières conversions
L’année 1904 ouvre à la station missionnaire un avenir plein de joyeuses promesses.
Les deux orphelines recueillies à la mission se sont converties au christianisme ! Jean-Paul
Cook l’affirme à ses collègues :
357
CF 1900-2-678-679.
154
La conversion de ces deux petites orphelines recueillies à la mission nous font
beaucoup de bien et stimule notre ardeur. Elles sont très gaies et très entrain et le
courage qu’elles ont montré en ne faisant pas le Ramadhan a été un stimulant qui
leur a fait du bien. Elles ont un grand désir de mieux connaître la parole de Dieu et
de suivre les enseignements du Sauveur. Elles chantent des cantiques toute la journée
et paraissent fort heureuses. Dans leurs prières viennent souvent ces paroles : Je te
remercie, Ô Dieu, de ce que tu m’as donné le pain, la joie et le salut en JésusChrist358.
La nouvelle est d’importance. Lahaldja et Djora sont les deux premières converties de
l’islam au christianisme dans la station missionnaire méthodiste française d’Il Maten, soit
après 17 ans de présence de la mission ! Mais une question se pose immédiatement : quelle
est la valeur de ces conversions ? Car enfin ces deux petites orphelines, d’une part sont en
rupture totale avec leur milieu de naissance, et d’autre part sont résolument immergées
dans le monde franco-chrétien que représente la famille Cook à Il Maten. Sont-ce des
conversions opportunistes, guidées par le seul désir de ne pas être obligées de quitter la
mission ? Sont-ce des conversions quasiment imposées par l’insistance de l’évangélisation
agressive du missionnaire ? L’avenir seul pourra donner des réponses à ces questions.
Mais nous pouvons déjà remarquer, dans l’optique du missionnaire, l’importance du refus
du Ramadhan comme signe visible et tangible d’abandon de l’islam au profit d’une
conversion au christianisme. En tout cas nos deux jeunes converties ont un impact certain à
Il Maten même. Elles subissent d’abord, bien sûr, une légère persécution : on les appelle
Françaises ou Chrétiennes, mots qui, en langue kabyle, ne sont pas des compliments.
Ensuite, et surtout, elles se posent devant les autres comme l’exemple de ce qui peut se
faire : on peut sortir de l’islam ! Ainsi le muletier de la mission se trouve intéressé à son
tour.
Il neige beaucoup pendant l’hiver 1904-1905. Il y a jusqu’à 70 cm sur les toits et les
oliviers souffrent et cassent. Les trois convertis restent pour l’instant fidèles à la foi
chrétienne, et ne subissent aucune flambée de fanatisme contre leur choix religieux. Peutêtre en est-il ainsi tout simplement parce que les trois personnes converties sont les trois
Kabyles les plus proches, de part leur travail ou la force des choses, de l’influence du
missionnaire. Thomas Hocart est pourtant beaucoup plus optimiste à ce sujet. Pendant le
358
CF 1904-1-262-263.
155
Synode de Codognan (15-22 juin 1905), il exprime en effet sa joie d’avoir appris que dans
les autres stations missionnaires en Algérie on a assisté à de nombreuses nouvelles
conversions. Serait-ce le réveil tant attendu qui serait en vue ?
3-4 : La vie des pasteurs et de leurs familles
Pendant cet automne 1895, Cook est en France pour une tournée de visites dans sa
famille et dans les Églises des Cévennes et de la plaine nîmoise. Il reste un mois en
Europe, du 3 septembre au 3 octobre. Le mariage de Jean-Paul Cook et Marguerite Jalabert
a lieu à Nîmes le mardi 26 février 1896. Et Madame Cook arrive en renfort à la mission
dès le 1er mai ! C’est l’époque de la cueillette des olives. Comme chaque année, Cook
remarque que pendant cette époque, moins de malades se présentent à la mission. Par
contre, il constate une augmentation de la mortalité des nourrissons, par suite du manque
de soins de la part de leurs mamans occupées ailleurs.
Le 29 mai 1896, la famille Hocart s’agrandit d’un fils ! La Conférence de cette annéelà, réunie du 18 au 25 juin à Dieulefit, fait état de la situation financière préoccupante de la
mission. Le Comité missionnaire renouvelé décide pourtant que chacun des missionnaires,
à tour de rôle, viendra passer le gros des chaleurs estivales en France. Cette année c’est le
tour de Thomas Hocart. Il part donc en France, avec sa famille, dès le 18 juillet. Fin août,
Hocart anime des conférences à Guernesey. En octobre, il fait un tour de France, et il est
attendu, pour une série de conférences, dans les Églises du Midi, à partir du 1 er novembre.
Visiblement, Thomas Hocart n’est pas pressé de rentrer en Kabylie !
Pendant ce temps, Jean-Paul Cook reste seul maître à bord. Le couple s’est installé
confortablement dans la nouvelle salle, prévue pour l’école et devenue inutile et libre. Il
subit les premiers vols inquiétants, opérés par des jeunes gens connus, membres du
catéchisme. Cook remarque à ce propos qu’il est presque impossible de faire avouer à un
Kabyle le vol qu’il a commis. Marguerite Cook a accouché d’un petit garçon le 11 mai
1897, et Cook rejoint sa famille à Nîmes pendant l’été avant d’aller en Angleterre effectuer
une tournée de collectes en faveur des caisses de la mission. Et puis, en 1899, Jean-Paul
Cook, vit une expérience particulièrement déterminante, la deuxième après ses 28 jours de
service militaire chez les Zouaves du régiment de Constantine. Cook a été invité pour la
première fois, en 1898, à assister au Synode de l’Église Réformée d’Algérie et de Tunisie,
à Constantine. En ce printemps 1899, l’invitation est réitérée. Il part donc pour le Synode,
qui se tient à Oran, où il présente aux synodaux la mission méthodiste d’Il Maten. Or,
156
pendant les séances de ce Synode, deux orateurs retiennent particulièrement son attention.
Le pasteur Charles Jaulmes d’Alger, tout d’abord, qui milite pour que les Synodes de
l’ERF et de l’Église de la Confession d’Augsbourg soient conjoints, et voudrait qu’il n’y
ait plus qu’un et unique Synode annuel regroupant tous les pasteurs d’Algérie. À son tour
le pasteur Rappard, de Saïda, parle de l’œuvre qu’il fait parmi les soldats de la Légion
Étrangère. Cook prend donc contact, pendant une pause, avec le pasteur Rappard, et celuici invite notre missionnaire à venir à Saïda visiter son œuvre. Jean-Paul Cook répond à
l’invitation et, dans deux lettres envoyées à l’Évangéliste, il s’étend sur ce qu’il a vu et
montre tout l’intérêt que lui procure l’aumônerie en milieu militaire. À Saïda, ce sont 2000
soldats, en majorité allemands d’origine, qui baignent dans l’immoralité et l’ivrognerie. La
Société Centrale d’Évangélisation (qui émane de l’ERF) a envoyé le pasteur Rappard dans
cette population particulière pour en faire l’aumônerie. Rappard réussit très bien dans sa
délicate mission. Il préside des cultes improvisés, où chacun est libre d’écouter ou non,
dans une vaste salle réservée à la lecture et aux jeux de société. Lors de chaque culte, 65
soldats en moyenne participent et chantent des cantiques, accompagnés par Mme Rappard
au piano. Le pasteur dirige aussi, au sein de la Légion, une œuvre d’abstinence. Et Cook,
très impressionné, écrit en rentrant à Il Maten : « Ma visite à Saïda m’a fait du bien. » En
fait, cette visite est à l’origine d’un changement futur de son ministère, plus tard, lorsqu’il
aura quitté Il Maten.
En 1900, Jean-Paul Cook participe comme chaque année, en mai, au Synode de l’Église
Réformée d’Algérie et de Tunisie, et Mme Cook, restée à Il Maten, subit l’assaut nocturne
de quelques voleurs, heureusement sans conséquence.
Et l’année 1901 commence sous les meilleurs auspices. Le pasteur Théophile Roux
vient en visite à Il Maten en se parcourant la Kabylie à dos de mulet. Le 29 avril, il
raconte dans l’Évangéliste : « avec MM. Cook et de Saint-Vidal, j’ai eu des compagnons
de voyage charmants359 ». Il est convaincu que l’œuvre missionnaire n’est pas stérile :
« Difficile, oui ; lente et de nature à éprouver notre patience, assurément ; sans fruit, non. »
Bref tout continue de bien aller, à part le deuil consécutif au décès d’Émile Bertrand, et
quelques secousses telluriques qui endommagent la maison des missionnaires. Saint-Vidal
souffre toujours de douleurs diverses à la tête, mais apparemment sans gravité. Et puis la
joie rayonne à Il Maten : les Cook, en ce printemps 1901, baptisent leur deuxième
359
Ev 1901 p. 76.
157
enfant360 !
Après le départ de Francis de Saint-Vidal, pendant l’été 1901, Jean-Paul Cook, avec sa
famille, passe le gros des chaleurs en Suisse, auprès de Mme Sophie Cook, la mère du
pasteur. En septembre, grâce à l’invitation d’une amie d’Alger, les Cook assistent aux
grandes réunions religieuses de Keswick, dans le nord de l’Angleterre. Quinze
rassemblements d’édification par jour, dans une tente assez grande pour contenir jusqu’à
5000 personnes, dans le but de convertir, ou de reconvertir, même les pasteurs, tout cela
ravit notre missionnaire qui repart ressourcé. Rentré de son périple européen, Jean-Paul
Cook part à Bougie accomplir ses treize jours de service militaire. Son travail consiste à
repeindre les murs de l’Hôpital de Bougie, mais, dit-il, « ce qui m’a le plus intéressé, ce
sont les détenus militaires » hospitalisés.
Cook est seul pasteur désormais. Il n’a pas le temps de faire de longues tournées parmi
les tribus. Il semble toutefois qu’il n’a pas perdu l’espoir de la réouverture d’une école de
semaine, car il cherche un instituteur. À noter qu’à Il Maten, la mission possède désormais
une véritable bibliothèque religieuse écrite en kabyle : des traités, 80 cantiques, et le
Nouveau Testament, écrit en caractères romains, fruit du travail de Thomas Hocart.
La famille au grand complet part pour la métropole le 30 juin 1902. Cook fait une
tournée de conférences en Cévennes, à Branoux, Blanave, la Favède et à la Grand-Combe.
Il visite aussi les Églises de Normandie. Et il écrit à ses collègues, le 30 septembre :
« Nous espérons avoir bientôt une aide, une demoiselle du Midi de la France qui s’offre
comme institutrice361. »
Le Synode 1903 est réunit à Nîmes entre le 11 et le 19 juin. À la lecture du rapport de
M. Cook, le Synode prend la mesure de la solitude de son missionnaire. Cook demande
avec insistance l’aide d’un autre pasteur. Mais les fonds manquent. Que faire ? M. Faivre,
un laïque qui est secrétaire du Comité de la mission, fait une proposition rapidement
acceptée. « Le Synode, sur la demande du Comité de la mission, décide qu’à partir du mois
d’octobre 1904, un de nos proposants sera placé pour un an auprès du missionnaire362 ».
360
Théophile Roux, qui écrit les impressions de sa visite à Il Maten dans l’Évangéliste du 20 avril 1901,
signale que la famille Cook a deux enfants, Maurice et Pierre-Charles, dont le dernier, Pierre-Charles, vient
d’être baptisé. Or le couple accueille au début de 1902 sa première fille, Odette, qui arrive après les deux
garçons.
361
Ev 1902 p. 178.
362
Ev 1903 p. 98.
158
En 1904, cela fait maintenant trois ans pleins que Jean-Paul Cook est seul pasteur à Il
Maten. Il n’y a pas eu de proposant, comme il avait été décidé. Cook renouvelle donc sa
demande d’aide d’un deuxième pasteur. Le quatrième enfant du couple Cook, PhilippeJean, naît à Neuchâtel au début de septembre 1904. La famille rentre à Il Maten dans les
premiers jours d’octobre, avec l’idée de la construction d’un hôpital de quelques lits à la
mission. Ils créent donc, dès leur arrivée, une caisse réservée à cet effet. Le petit PhilippeJean ne supporte pas le voyage de retour et meurt à Il Maten à la fin d’octobre. Il est
enterré dans le champ nouvellement acquit par la mission. Dans un article de l’Évangéliste
du 25 novembre, Jean-Paul Cook remercie ceux qui ont manifesté leur sympathie après la
mort de son fils, et annonce une nouvelle importante : le muletier de la mission a refusé à
son tour de faire le Ramadhan !
Comme chaque année, la famille Cook passe l’été 1905 en France. Cette année-là, ils
sont en vacance en Cévennes. Par ailleurs le couple missionnaire subit une série de deuils
dès le printemps 1906. Le père de Marguerite, Ferdinand Jalabert, meurt à Saint Chaptes le
13 avril à l’âge de 64 ans. Et la mère de Jean-Paul, qui venait régulièrement tous les hivers
à Il Maten, meurt à Nîmes le samedi 21 avril, dans sa 83e année. Madame Sophie Cook,
née Audebez, est la fille du pasteur de la Chapelle Taitbout à Paris. Paul Cook l’a épousé
en deuxième noce, en1859, après le rapide décès de sa première épouse, Catherine Richez.
Jean-Paul Cook participe au Synode d’Anduze (6-13 juillet 1906). Il y présente son
rapport qui contient un optimisme tel qu’il enflamme son auditoire. La mission se porte au
mieux, les relations avec l’administration française sont au beau fixe, les soins médicaux
sont reconnus, les Kabyles croient que Christ est sur le point de revenir, et tout va si bien
que le besoin est venu de fonder de nouvelles stations missionnaires méthodistes en
Algérie.
Les paroles pleines de foi et d’enthousiasme de notre cher missionnaire, sont
chaleureusement applaudies. Le Synode, profondément édifié par son zèle, n’hésite
pas à entrer dans le chemin de la foi et, malgré la perspective d’un déficit probable, il
vote en principe l’envoi d’un second missionnaire en Kabylie … L’ouvrier qui sera
placée sous la surintendance de M. Cook est déjà trouvé. M. Émile Brès fils, élève de
la Société des Missions Évangéliques de Paris, s’est offert à notre Comité
missionnaire. Le Comité dont il relève nous le cède dans les conditions et les termes
les plus fraternels363.
363
Ev 1906 p. 106.
159
En effet le nom d’Émile Brès fils est accolé à celui de Jean-Paul Cook-Jalabert dans la
liste des stations pour l’année 1906-1907 au poste d’Il Maten. L’Évangéliste du 19 octobre
1906, qui est consacré à la mission et au Rapport d’activité de l’année écoulée, commence
par un éditorial (signé par Émile Brès père, président du Comité, par M. Guérin-Puech, le
nouveau trésorier, et par G. Gallienne, le secrétaire) dans lequel on peut lire : « Notre
personnel est donc au complet. M. et Mme Brès vont soutenir et fortifier l’élan imprimé à
notre œuvre par M. et Mme Cook-Jalabert, vaillamment secondés par Melle Verdier et M.
Palpant364. » D’autre part, pour le jeune Émile Brès, l’année 1906 est décidément une
grande année. La décision de partir étant prise, tout va très vite. Il est d’abord consacré à
Dieulefit, le 31 juillet, lors d’un culte présidé par le pasteur Alfred Boegner, directeur de la
SMEP, dans le temple de l’Église réformée. Brès y rend un vibrant et chaleureux hommage
à son Église d’origine, l’Église méthodiste. Sur cette lancée, il se marie deux semaines plus
tard, le 12 septembre, à Bourdeaux, avec mademoiselle Marie de Jersey, une des filles du
pasteur Henri de Jersey. Et le jeune couple se prépare aussitôt à partir en Kabylie. À
Nîmes, le 15 novembre, une veillée d’adieux est organisée en faveur d’Émile Brès et de
son épouse. Ils sont à Il Maten dans la première quinzaine de décembre.
3-5 : Les Rapports missionnaires
Comme d’habitude, le 6e Rapport (il s’agit du rapport que Thomas Hocart a présenté à
la Conférence de Nîmes, 7-14 juin 1994) reprend toutes les informations sur le
fonctionnement de la mission. On y apprend ainsi quelques anecdotes significatives. On
peut, par exemple être admiratif devant l’effort des dames missionnaires qui arrivent à
réunir autant de filles et de fillettes dans les réunions de couture, où elles apprennent à
coudre, certes, mais aussi à chanter des cantiques et à entendre l’Évangile. Et, que dire de
l’étonnement des missionnaires quand on leur amène de toutes petites filles, et que leurs
parents leur avouent tout simplement que c’est pour la récompense qu’ils laissent leurs
filles venir assister aux réunions des Roumis ! Nous apprenons aussi que, au-delà du
budget global de la mission, incluant les salaires, les déplacements et les frais de
fonctionnement, les missionnaires ont mis en place un système de caisses alimentées par
des appels aux dons dans l’Évangéliste ou dans les Églises : il y a une caisse des pauvres,
364
Ev 1906 p. 165.
160
une caisse des récompenses, un fond spécial pour l’achat d’un champ, un autre fond pour
la construction de la nouvelle salle d’école, et une caisse pour les malades (en déficit
chronique !)
Le septième Rapport, daté du 1er novembre 1895, occupe tout le numéro de
l’Évangéliste consacré à la mission en Kabylie. À coté des superbes gravures, on y apprend
que les enfants ont fait une grève pendant un certain temps, que les missionnaires reçoivent
plus de cent malades par jour, deux jours par semaine, et qu’en France on se plaint d’eux :
« Toujours pas de conversion ! Vous ne faites donc rien ! »
Dans le Rapport N° 8 de l’Évangéliste365 Théophile Roux écrit qu’il y a à Il Maten
« quatre classes de couture, dont trois tenues par Melle Vulmont et une par la bonne de Mme
Hocart qui désirait faire quelque chose pour aider directement dans l’œuvre ». L’auteur
signale de plus une désertion des écoliers, par suite de l’ouverture, dans le village voisin de
Takhelicht, d’une nouvelle école coranique. Il remarque enfin l’importance de l’aspect
philanthropique de l’œuvre, nécessaire comme préalable à l’évangélisation : 5912 malades
ont reçu soins et Évangile pendant l’année. À noter enfin que, pour la première fois dans
un Rapport missionnaire, on trouve, non plus des gravures, mais d’authentiques
photographies !
Le neuvième Rapport366, paru le 5 novembre 1897, considère que l’événement le plus
grave de l’année est la demande de Thomas Hocart de rentrer en France. Il faut donc
commencer à réfléchir à la manière de remplacer le missionnaire qui, décidément, insiste
sur sa volonté de départ. On pense au jeune Junod, encore étudiant, qui serait volontaire,
mais il est de nationalité suisse, ce qui pose un problème en rapport avec la xénophobie
ambiante ! Ce rapport contient en particulier une photographie montrant, côte à côte et bien
reconnaissables, les deux missionnaires en costumes coloniaux, lors d’un pique-nique367.
Le Rapport sur la Mission de l’année 1902-1903 présente quelques nouveautés, malgré
le fait, nous dit Cook, que « notre œuvre se poursuit calmement, patiemment, mais, je le
crois, sûrement et profondément368 ». Vers la fin de l’année, Il Maten connaît une épidémie
de petite vérole (la variole). Il y a quelques morts et, à l’occasion de l’une d’elles, Cook
peut constater l’impossibilité d’exercer son ministère pastoral : lors de l’enterrement, les
365
Ev 30 octobre 1896, p. 173 à 178.
366
Ev 1897 p. 177 à 182.
367
Voir cette photo p. 132.
368
Ev 1903 p. 181.
161
Kabyles restent entre eux et n’acceptent pas que Cook dise ou fasse quoi que ce soit.
Le Rapport missionnaire de 1903-1904 est présenté au Synode de Paris (9-16 juin
1904). Il contient une superbe photo de Jean-Paul Cook en costume berbère369, et parle
abondamment des deux orphelines converties. De plus nous apprenons que désormais un
docteur vient de Bougie procéder aux opérations chirurgicales les plus urgentes et
prodiguer les soins les plus délicats. Il faut dire que les Français ont construit un hôpital à
Sidi-Aïch, le chef-lieu du canton, mais les Kabyles n’y vont pas. Alors le docteur Legrain
vient à Il Maten, trois à quatre fois par an à partir de 1904. La présence de ce docteur
permet au Synode d’abandonner l’ancien projet d’envoyer à Il Maten un médecinévangéliste qu’il n’avait de toute façon pas les moyens d’entretenir. L’école de semaine,
décidément, n’obtient toujours pas d’autorisation d’ouverture. Melle Verdier reste pourtant,
fidèle au poste, bien utile dans son travail d’infirmière. L’argent manque à la mission. Le
champ près des bâtiments est acheté, et il n’y a plus de fonds disponibles. Mais, sur ce
champ, on a cultivé orge et blé qui sont distribués, comme chaque année, aux plus pauvres.
Le déficit prévu en 1906 culmine à 4500 Fr. ! Le rapport, quant à lui, signé de JeanPaul Cook, n’annonce rien de bien nouveau, si ce n’est le vent d’optimisme qui a soufflé
dans les voiles du Synode. L’œuvre sociale est appréciée par l’administration qui est plus
orientée qu’avant vers le bien-être des populations kabyles. Le culte pour les Européens à
El Kseur continue, toutes les trois semaines, et un culte à Bougie a été inauguré en 1905.
Les réunions de réveil à Alger ont reçu la visite de M. Ruben Saillens, et Cook y a
participé avec son ami M. Émile Rolland. Par contre, le projet d’un petit hôpital à Il Maten
tourne court : il fallait 6000 Fr. au moins pour commencer les travaux et la caisse spéciale
à ce projet ne contient que 284 Fr. ! M. Palpant a fini sa maison, avec l’atelier. Les trois
nouveaux convertis donnent le bon exemple aux populations locales. Mais les finances du
Comité missionnaire sont au plus bas : il ne peut plus assurer le salaire de Melle Verdier.
Pourtant celle-ci reste, ayant trouvé une autre source de financement. Cependant le besoin
d’argent devient crucial pour la mission, car il faut construire un local pour les Brès, il faut
acheter les outils pour l’atelier de M. Palpant, et enfin il faudra bientôt reconstruire la
maison missionnaire qui tombe en ruine !
L’année 1906 se termine dans la joie d’une petite communauté méthodiste cernée par
les populations musulmanes qu’ils sont venus évangéliser. La fête de Noël regroupe 150
personnes parmi les plus pauvres alors que la grande fête de fin d’année réunit, quant à
369
Voir p. 2.
162
elle, 110 garçons et 100 filles. La mission prend un tour nouveau : un atelier missionnaire,
beaucoup d’espérance et le personnel au complet. Que sera 1907 ?
3-6- Bilan : le ministère de Thomas Hocart
Nous pouvons déjà, au terme de la présence de Thomas Hocart à la tête de la mission
méthodiste française en Kabylie, faire un premier et court bilan des douze premières
années de travail missionnaire.
La première question que l’on pourrait légitimement se poser est celle-ci : Quels
résultats ? Les réunions de couture, les catéchismes, les cultes avant les soins et les
distributions d’orge, les visites à domicile, les tournées dans les villages, tout cela, en
douze ans d’efforts, n’a produit aucune conversion. Le 14 juillet 1898, dans une lettre à la
Correspondance fraternelle, Thomas Hocart se plaint car il n’a pas été possible de fonder
un culte pour les musulmans : « Il faut qu’un musulman soit malade ou un enfant pour
accepter de venir au culte370 ». En fait, la mission d’Il Maten, en 1899, paraît n’avoir pas
vraiment commencé, en douze ans, à évangéliser les Kabyles. Les missionnaires vivent au
milieu d’une population kabyle dont l’identité est musulmane, mais aussi traumatisée
durablement par la répression qui a suivi la révolte de 1871, et frustrée par la spoliation
exercée par la politique de colonisation. Les Kabyles, sans rien dire, sont donc bien décidés
à n’accepter la présence des missionnaires que dans la mesure où ces derniers peuvent leur
être utiles. Les missionnaires comprennent très vite que l’évangélisation frontale, telle
qu’elle est pratiquée en France, n’a aucune chance en Kabylie. Ils fondent alors leurs
espoirs dans les services qu’ils peuvent rendre aux populations locales, et évangéliser par
la patience et par l’exemple. Mais qu’on les soigne ou qu’on les nourrisse, les Kabyles ne
remercient pas ! En définitive, les deux religions, islam et christianisme, ne
s’interpénètrent pas, à l’image des deux peuples qui vivent côte à côte en s’ignorant le plus
possible. En Algérie, après la conquête, plus que partout ailleurs, les chances d’une
conversion des musulmans à l’Évangile sont quasi nulles. Ce phénomène de deux blocs
culturels et religieux qui s’opposent dans un statu quo stable et hostile provoque aussi,
assurément, l’impression de monotonie ressentie par les missionnaires. Rien ne se passe,
malgré un emploi du temps épuisant.
La deuxième question que nous nous sommes posé est celle-ci : « qu’est-ce que cette
370
CF 1898-3-500-503.
163
mission méthodiste en Kabylie a de spécifiquement méthodiste, justement ? Nous sommes
tenté de répondre spontanément : rien ! Les paroles du prédicateur, du catéchète, de
formation méthodiste, sont celles d’un prédicateur, d’un catéchète protestant évangélique.
Aucun des moyens de grâce utilisés par les méthodistes en France et en Europe ne trouve
son application en Kabylie. Ce fait explique peut-être le succès des pastorales évangéliques
d’Alger, regroupant tous les pasteurs ayant pourtant des orientations théologiques
différentes. Il explique peut-être aussi le désir du pasteur Jaulmes d’Alger de réunir tous
les pasteurs d’Algérie lors d’un seul synode. Nous avons l’impression que face à un islam
devenu une sorte de colonne vertébrale identitaire d’un peuple frustré, les différences entre
les chrétiens protestants s’estompent et qu’une sorte de front commun évangélique tente de
se former.
La troisième question est peut-être plus anecdotique, mais dans le contexte d’isolement
et de restrictions que connaissent nos missionnaires en Kabylie, elle trouve sa légitimité :
qu’en est-il des relations entre les deux pasteurs missionnaires ? Il semble n’y avoir eu
aucune animosité particulière. Par contre, il ne semble pas que les deux hommes n’aient eu
de relation profondément amicale. On a le sentiment de deux fortes personnalités très
indépendantes, vivant ensembles et cependant séparées. Ainsi par exemple, il peut y avoir
dans la Correspondance fraternelle deux lettres de Kabylie, disant les mêmes choses dans
deux langages différents. Dans les Rapports missionnaires, ce sont deux rapports qui se
suivent et se chevauchent. Le plus extraordinaire peut-être, c’est lorsque Jean-Paul Cook
apprend par le Comité missionnaire le désir de Thomas Hocart de quitter la mission :
Hocart n’avait rien dit à son voisin immédiat. Enfin le départ de Melle Vulmont le même
jour que celui de la famille Hocart, accompagné d’une remarque acerbe de Jean-Paul
Cook, montre à l’évidence qu’au sein même de la mission existe des clans avec des jeux
d’influences complexes. D’ailleurs, après le passage de Thomas Hocart, les relations entre
les deux pasteurs sont quasi inexistantes. Nous pensons que cet état de fait a été le seul
possible dans un tel contexte, et ce qui a sauvé la mission est certainement la très forte
personnalité de chacun des pasteurs, et l’immense sentiment de leur responsabilité
respective.
Nous ne pouvons pas terminer ce chapitre sans donner quelques nouvelles du
devenir de Thomas Hocart après son épisode missionnaire. Avec un caractère forgé à
l’école de la mission en milieu musulman, Thomas Hocart rentre tout heureux dans le
milieu méthodiste version métropolitaine. D’abord placé à Bourdeaux pendant trois ans, de
1899 à 1902, il monte ensuite à Paris-Ternes pour dix années, au cours desquelles il est par
164
deux fois président du Synode (1907 et 1912). La guerre le surprend à Nîmes, où il est
établi depuis 1912, et où, en 1917, il prend un congé de deux ans pour raison de santé.
Mais il reprend du service au Havre, de 1919 à 1923, date à laquelle il prend sa retraite à
Guernesey. En 1925, pourtant, on le retrouve dans la région parisienne, où il s’occupe des
Kabyles qui habitent cette même région. Il est au service de la Mission Nord-africaine.
Hocart est retourné six fois en Kabylie après son départ, et son dernier voyage date de
1940. À cette date, il a déjà refusé de rentrer dans l’Église Réformée de France, avec son
collègue Parker. D’ailleurs à la fin de l’année 1940, à la mort de Parker, alors que luimême a atteint ses 84 ans, Thomas Hocart accepte de se charger de la desserte de la
paroisse méthodiste de Nîmes, jusqu’en 1942. Il meurt à Nîmes à la suite d’une courte
maladie, à l’âge de 87 ans, le 24 juillet 1943371.
4 – Le ministère d’Émile Brès et l’Évangile du travail
4-1- Le personnel missionnaire de la mission d’Il Maten avant la Grande Guerre.
Jean-Paul Cook, une personnalité complexe.
Jean-Paul Cook a, certainement, ce qu’on nomme communément une forte
personnalité. Il commence sa surintendance du poste missionnaire d’Il Maten par un
conflit avec Francis de Saint-Vidal, si grave que l’avenir même de la mission est
compromis et que Francis de Saint-Vidal doit rentrer en France. Et il termine cette même
surintendance, dix ans plus tard, avec un autre conflit, aussi grave que le premier, qui
l’oppose à son cousin Émile Brès fils. Mais c’est Cook qui s’en va cette fois-ci.
Le Synode, réuni à Dieulefit entre le 10 et le 17 juin 1909, se félicite du développement
de l’école industrielle de M. Palpant, et aussi des travaux encourageants des deux
missionnaires. Les Actes de ce Synode nous fournissent une information importante qui se
présente comme le sommet émmergé d’un redoutable iceberg :
371
Nous avons trouvé ces renseignements succincts dans le N° 7 du Lien, l’organe trimestriel des
Associations Cultuelles Évangéliques des Églises Méthodistes de France, de septembre 1943. Les chroniques
nécrologiques sont de W. H. Guiton, S. Samouélian et S. Boissier. Ce numéro du Lien montre enfin une
superbe photo de Thomas Hocart âgé, petit homme maigre et volontaire qui impose, au-delà du temps, un
immense respect.
165
Le Synode, reconnaissant envers M. Jean-Paul Cook pour les services rendus par lui
pendant les seize ans de son activité en Kabylie, lui accorde, sur sa demande, un an de
congé372.
Pour compléter cette information que rien ne laissait présager, dans la Liste des
Stations, au chapitre Mission en Kabylie, Il Maten, il est écrit : « Émile Brès fils ; Palpant,
artisan missionnaire. Un an de congé est accordé à J.P. Cook. » De plus, le 9 juillet, le
Comité de la Kabylie lance un appel à remplacer Melle Verdier qui s’en va le 1er octobre, en
même temps que Jean-Paul Cook. Que s’est-il donc passé ?
Pour parler de ce qui semble être une crise majeure au sein de la mission, il nous faut
partir de trois points de vue différents : le point de vue officiel du Synode, et les
interprétations des deux missionnaires, qui se révèlent divergentes, sinon contradictoires.
Nous avons vu que le Synode donne une année de congé à Jean-Paul Cook. Mais le
problème remonte déjà en octobre 1908, date à laquelle le Comité, recevant la démission
du missionnaire Cook pour le 30 septembre 1909,
a décidé d’insister auprès de notre missionnaire pour qu’il revint sur sa décision et de lui
exprimer, par la même occasion, toute sa confiance et sa reconnaissance pour son fidèle
ministère à Il Maten. À son grand regret, dans sa séance du 8 janvier (1909), le Comité a
été obligé d’enregistrer la démission de M. Cook comme missionnaire à Il Maten373.
Nous avons le point de vue de Jean-Paul Cook lui-même dans une lettre envoyée à
l’Évangéliste et datée du 16 juillet 1909 :
L’Évangéliste vous a appris que je quitte Il Maten cette année. En effet, par suite de
circonstances particulières, malgré mon profond amour pour cette œuvre à laquelle
j’ai consacré seize ans de ma vie, je me suis vu forcé de donner ma démission. …
Non seulement je ne perds pas courage, mais je caresse même l’espoir de fonder en
Kabylie un grand hôpital protestant, indépendant de toute couleur ecclésiastique, où
nous pourrons recevoir les Kabyles de toutes les missions … En attendant, Il a
ouvert la voie pour que j’aille entreprendre une œuvre spéciale de mission dans le
372
AcC 1909 p. 18.
373
Ev 1909 p. 98.
166
département d’Oran. … Je tiendrai aussi des réunions de réveil et d’évangélisation,
cherchant à faire en Afrique cette œuvre d’avant-garde que va entreprendre notre
frère Ullern en France. … Je ne veux pas finir cette lettre de Kabylie … sans dire
un mot de remerciement à Melle Verdier, qui a cru aussi devoir se retirer »374.
Deux mots de ce texte retiennent l’attention : les circonstances particulières du départ
de Jean-Paul Cook, et le fait d’être forcé de démissionner. Qu’est-ce à dire ? Nous
pourrions avoir des informations supplémentaires dans la correspondance particulière et
privée que Jean-Paul Cook entretenait avec certains de ses collègues en France,
correspondance que possédait le regretté pasteur Roby Bois et à laquelle Madeleine
Souche, auteur de La Mission Méthodiste française en Kabylie375, a eu accès. Par contre
nous avons le point de vue d’Émile Brès fils dans son rapport dactylographié : Mission de
l’Afrique du Nord376 où, au chapitre sur « les problèmes de la mission protestante en
Kabylie »377 il nous dit :
En 1906 M. Cook, fatigué et découragé, avait demandé à rentrer en France dans une
paroisse méthodiste. C’est alors que le Comité missionnaire s’était adressé à M.
Alfred Boegner qui me fit céder fraternellement378 à la mission méthodiste. Comme
cette mission ne pouvait entretenir qu’un seul missionnaire, il était entendu qu’au
bout de deux ans M. Cook rentrerait en France après m’avoir formé. Mais au bout de
trois ans, M. Cook, encouragé, désirait rester à Il Maten. L’ayant appris, j’envoyai
ma démission au Comité, mais ce dernier ne voulut pas l’accepter et maintint la
décision du retour de M. Cook en France. Ce dernier alors donna sa démission et
entra au service de la mission de Miss Trotter à Alger.
À part la dernière information qui n’est pas exacte, le reste de ce texte explique
374
Ev 1909 p. 115.
375
Madeleine SOUCHE, La Mission méthodiste française en Kabylie. Des missionnaires protestants face à
la colonisation et à l’Islam (1885 - 1919), dans Jean-Yves CARLUER (dir), L’évangélisation. Des
protestants évangéliques en quête de conversions, Charols, Excelsis, Coll. “Collection d’études sur le
Protestantisme Évangélique”, 2006, p. 116 à 140.
376
Émile BRÈS Fils, Mission de l’Afrique du Nord, document dactylographié, Saint-Péray (Ardèche), 18
octobre 1941.
377
Ibid p. 10.
378
C’est nous qui soulignons.
167
les circonstances particulières dont parlait Jean-Paul Cook et son départ forcé.
Citons enfin Madeleine Souche qui apporte par d’autres canaux un certain nombre
d’informations supplémentaires sur cette démission surprise :
En 1909, le Comité blâme Cook, qui a proposé sa démission, de vouloir assister au
Synode, alors que Brès est obligé de quitter l’Algérie, par décision synodale de 1908,
pour être admis dans le corps pastoral (PV du Comité du 27/05/09). Le problème des
caisses particulières finit également par être posé. Le Comité estime qu’elles font dévier
vers elles des fonds qui autrement seraient arrivés à la Caisse centrale et décide de les
supprimer. Cook est révolté et demande à quitter Il Maten (Lettre de Th. Roux à Cook,
le 12/10/08). E. Brès est, par ailleurs, en froid avec son cousin qu’il accuse d’avoir fait
traîner la reconnaissance de son ministère pastoral. Cook écrit à Palpant : Il est évident
que l’année prochaine, je ne resterai pas avec M. Émile Brès (Lettre du 10/07/08)379.
Jean-Paul Cook et sa famille quittent donc Il Maten, en même temps que Melle Verdier,
un jour proche du 1er octobre 1909. Jean-Paul Cook s’installe avec sa famille à Oran. Il
écrit dans la Correspondance fraternelle une lettre de cette ville datée du 11 octobre. Il a le
cœur gros d’avoir quitté la mission d’Il Maten. Ils habitent dans une jolie villa des hauts
d’Oran, dominant la mer, et Cook n’a qu’un désir : « visiter à l’intérieur du département
les [protestants] disséminés qui sont assez abandonnés380. » Ses enfants vont à l’école, ce
qui est pour ceux-ci un changement notable !
Jean-Paul Cook ne reste pas à Oran bien longtemps. Dès le début de 1910 il est à
Colomb-Béchar. Laissant femme et enfants à Oran, il accepte le poste, offert par la Société
Centrale Protestante d’Évangélisation (ERF)381, d’aumônier de la Légion Étrangère.
Enfin ! Sommes-nous tenté de dire : en effet voilà longtemps déjà que ce poste semblait
attirer vivement Jean-Paul Cook ! Il passe au Maroc en 1911, puis mène une vie errante
dans le Sud marocain en suivant les convois militaires. Il reste au Maroc pendant toute la
durée de la guerre et démissionne de l’aumônerie en 1919 pour prendre, à Alger, « la
direction d’une œuvre d’évangélisation parmi les Arabes d’Algérie et de Tunisie », oeuvre
379
M. SOUCHE, op. cit. p.128.
380
CF 1909-4-424-426.
381
Ceci n’a rien d’étonnant : nous avons vu déjà tout l’intérêt de Jean-Paul Cook pour l’aumônerie de la
Légion Étrangère. Mais nous n’oublions pas non plus son amitié (voir page 156) avec le pasteur Rappart,
aumônier de la Légion Étrangère à Saïda, lui-même employé par la Société Cintinentale e’Évangélisation !
168
qui n’est que la continuation de l’œuvre créée par Lilias Trotter. Il y reste jusqu’en 1923,
date à laquelle il est mis en congé par l’Église méthodiste française, alors qu’il est cédé à la
Société des Missions Évangéliques de Paris et à la Société d’Évangélisation des Colonies
pour occuper le poste de Dakar au Sénégal. Il revient en Algérie en 1926, toujours pour le
compte des Sociétés ci-dessus citées. Il est enfin cédé, provisoirement, à l’Église Réformée
Évangélique en 1927 pour une œuvre pastorale et missionnaire en Algérie, jusqu’en 1929,
où il demande sa retraite, qu’il prend sur place à Mennerville. Jean-Paul Cook meurt en
1938 à Tizi Ouzou, lors d’une concentration missionnaire.
Émile Brès fils, le visionnaire.
En 1907, Il n’y a toujours que trois convertis à la mission, les deux orphelines et le
muletier. Émile Brès fait paraître, à ce propos, dans l’Évangéliste, un feuilleton romancé
qui raconte le chemin de la conversion de Mohand Ou Amar, le muletier de la mission.
Dans son rapport au Synode, le jeune missionnaire dit tout son contentement de la bonne
entente qu’il entretient avec son cousin Jean Cook (qu’il préfère appeler Jean plutôt que
Jean-Paul), et avec M. Palpant. Émile Brès rentre en France à la fin de l’année 1907. Le 6
janvier 1908 il participe à une réunion du Comité missionnaire dont le secrétaire est alors
W.H. Guiton. Brès doit partir pour une tournée de conférences dans les Églises réformées
et luthériennes du Nord et de l’Est de la France. De retour à Paris, il se joint à la « Réunion
annuelle des missions », place Malesherbes, le dimanche 9 février 1908. Il y parle de la
mission à Il Maten et pense que :
L’activité missionnaire s’exerce dans cinq branches diverses, dont trois sont
particulièrement intéressantes :
- Les tournées à travers les tribus kabyles
- L’école industrielle
- L’œuvre intime et profonde faite parmi les ouvriers à la Station382.
Puis, pendant le printemps 1908, Émile Brès fils écrit une série d’articles dans
l’Évangéliste : À travers la Kabylie, qui est le récit de ses promenades et les description
382
Ev 1908 p. 26.
169
des paysages qu’il a rencontré en Grande Kabylie.383
Après le Synode de Nîmes (20juin – 2 juillet 1908), la famille Palpant part à Dieulefit
prendre quelques vacances. Émile Brès-de Jersey, qui est resté à Il Maten, reçoit du
Synode une mauvaise nouvelle. Au bout de deux années normales de proposanat, il n’est
toujours pas accepté comme pasteur méthodiste, alors que son collègue Bernard, par
exemple, est consacré officiellement. Dans la première lettre (du 15 juillet 1908) qu’Émile
Brès fils adresse à la Correspondance fraternelle, on peut lire son insatisfaction :
Quand on est loin et qu’on a particulièrement besoin de sympathie, en raison des
difficultés exceptionnelles de l’œuvre, les coups portent d’avantage. Voici le texte de
ma demande, qui avait d’ailleurs obtenu l’appui unanime du District du Midi : si vous
trouvez que mon titre de missionnaire consacré de la Société des Missions de Paris,
joint à mes deux années de ministère en Kabylie, peuvent me tenir lieu de noviciat
règlementaire, je serai profondément heureux, etc. … Et voici qu’on me répond
laconiquement : qu’il était préférable que pendant une année je sois considéré comme
proposant régulier384.
Les Actes du Synode de Dieulefit (10-17 juin 1909) nous fournissent cette information
importante : « M. Émile Brès-de Jersey fils, précédemment consacré, et employé depuis
trois ans comme missionnaire en Kabylie, est pleinement admis dans le corps pastoral385 ».
Enfin ! Après cet épisode, on comprend mieux, comme l’a signalé Madeleine Souche386,
que la mésentente entre Jean-Paul Cook et Émile Brès ait pris une telle ampleur387 !
Fin 1908, Brès termine son livre : Que penser de l’Islam ?388 Dans ce petit opuscule de
124 pages, Brès fait l’apologie de la religion chrétienne à travers une attaque en règle de
l’islam.
Mais nous tenons à ce qu’on soit persuadé d’une chose : c’est que notre sévérité vis-à383
Ev 1908 p. 86, 90, 94 et 98-99.
384
CF 1908-3-331-334.
385
AcC 1909 p. 5.
386
M. SOUCHE, op. cit. p.128.
387
Voir p. 168 ss.
388
Émile BRÈS Fils (Brès de Jersey), Que penser de l’Islam ? Paris, Mission en Kabylie (service des
Publications), Librairie générale et Protestante, 1909, 121 p.
170
vis des institutions provient d’une grande pitié envers les personnes. Plus nous les
connaissons, et plus nous constatons quel abyme de ténèbres est le cœur des
Musulmans, mais plus aussi nous les aimons, et si nous découvrons leurs plaies, c’est en
médecin qui, débordé, appelle au secours d’autres médecins, car le pouvoir de guérir
nous est à tous donné, avec l’amour et la force du Christ389.
Après une longue évocation de l’histoire de l’implantation de l’islam dans le monde,
avec son cortège de barbarie (« Sans cimeterre390 point de conversion391 ! »), Brès s’étend
sur la morale musulmane :
Elle offre un mélange déconcertant de rêves philosophiques et mystiques, d’affirmations
réformatrices, d’un génie excellant également à la poésie, à la diplomatie, aux armes et
au gouvernement, et d’autre part d’imposture, d’hypocrisie, d’injustice, de sensualité et
de cruauté392.
Brès s’attache enfin à démontrer l’importance des missions chrétiennes :
Le Péril vert s’ajoutera, ainsi, au Péril jaune, d’une façon redoutable, au cours du XX e
siècle, à moins que l’intervention énergique des missions chrétiennes ne détache
radicalement les indigènes de l’islam393.
Il étudie ensuite quelques compromis islamo-chrétiens (prenant en exemple la Turquie)
et utilise les vingt dernières pages de son livre à recenser les missions chrétiennes en terre
d’islam à partir du temps de Raymond Lulle (début du XIVe siècle). Il termine par la vision
des ossements désséchés d’Ézéchiel394 et par l’appel du Christ à la mission. Mais il ne dit
pas un mot de la station méthodiste française d’Il Maten ! Pourtant Émile Brès nous donne
dans son livre une information que nous n’avons pas pu confirmer, mais qui a son
importance :
389
Ibid. p. 5.
390
Sabre oriental à lame courbe.
391
Ibid. p. 8.
392
Ibid. p. 21.
393
Ibid. p. 49.
394
Ez 37.
171
En 1906, la première conférence universelle des missions auprès des musulmans s’est
réunie au Caire et a rassemblé 62 délégués qui représentaient 29 sociétés d’Europe et
d’Amérique395.
Émile Brès reste seul pasteur à Il Maten après le départ de Cook. Le couple
missionnaire est donc bien solitaire, le personnel étant réduit à l’extrême. Brès envoie alors
un vibrant appel dans l’Évangéliste en faveur de l’embauche d’un aide-missionnaire
secondé par un médecin-missionnaire. Il justifie cette demande par l’opportunité, pour le
christianisme, de supplanter l’islam qui se trouve, en ce moment de l’histoire,
suffisamment affaibli :
Partout l’islam est à l’ordre du jour, l’heure est unique : l’équilibre séculaire de cette
religion est comme momentanément rompu. Demain peut-être elle aura trouvé un
nouvel équilibre dans je ne sais quel compromis avec la civilisation égoïste et
matérialiste. Profitons de cette heureuse crise pour proclamer l’Évangile de la liberté,
de la sainteté et de l’amour !396
L’Évangéliste des 20 et 27 septembre 1912 contient397 un long article d’Émile Brès,
Appel aux Églises, qui y fait le bilan de l’évangélisation des musulmans dans le Nord de
l’Afrique. Après un rappel historique des débuts de la mission en terre d’Islam, suivi d’un
inventaire des difficultés rencontrées par les missionnaires, Émile Brès se place dans le
sillage de la Conférence missionnaire d’Edimbourg (« qui se préoccupa des musulmans et
fonda une Commission de l’islam, dont une sous-commission siège à Paris398 ») et des
deux Conférences missionnaires en pays mahométans du Caire (Égypte, 1906) et de
Lucknow (Indes, 1911) pour fonder sa propre Union pour l’évangélisation des musulmans
du Nord de l’Afrique. Constatant le rapport de force entre les mondes chrétien et
musulman, il invite les chrétiens (français) à se mobiliser pour sortir les musulmans (des
territoires français) des erreurs de l’islam. Les critères d’adhésion à cette Union sont
simples : « Il suffit, pour en devenir membre, de nous écrire, en s’engageant à prier pour
395
Émile BRÈS Fils (Brès de Jersey), op. cit. p. 105.
396
Ev 1910 p. 58.
397
Ev1912 p. 148-149 et 153-154.
398
Ev 1911 p. 148.
172
les musulmans et à faire quelque chose pour eux399. »
La totalité de l’article d’Émile Brès est repris dans un petit fascicule imprimé chez A.
Coueslant à Alençon et Cahors400. Seul ajout à l’article d’Émile Brès de l’Évangéliste,
l’auteur explicite pour nous ce que signifie faire quelque chose pour les musulmans :
Que puis-je faire pour les musulmans ?
Prier pour eux, en croyant à leur conversion
Me demander si je ne suis pas appelé, moi-même, à devenir missionnaire.
Envoyer une cotisation annuelle proportionnelle à mes ressources, fonder une
bourse d’élève, un lit d’hôpital, etc.
Étudier l’islam à l’aide des ouvrages d’inspiration à la fois scientifique et
chrétienne qui lui sont consacrés en français et en anglais.
M’opposer, au nom des faits, aux propos qui représentent l’islam comme une
bonne religion « adaptée aux besoin des Orientaux ».
Représenter la cause des musulmans dans mon cercle d’amis, dans mon Église,
dans mon « Union », dans mon « Activité », dans mon école.
Propager le mouvement par des causeries et des conférences.
Gagner de nouveaux adhérents, car notre Union doit recruter, pour vaincre, un
grand nombre de bonnes volontés.
Collecter au moyen de feuilles envoyées sur demande, de boîtes missionnaires
et de tirelires.
Écrire au secrétaire de l’Union pour le fortifier auprès des Kabyles et dans ses
efforts pour éveiller l’intérêt des chrétiens en leur faveur.
Visiter, si mes ressources me le permettent, les stations missionnaires d’Algérie.
Travailler, aux réunions de couture, à faire des gandouras (chemises) pour les
petits musulmans indigents.
Recueillir pour le dispensaire les bouteilles, boîtes et pots de pharmacie, le
vieux linge et les vieux habits.401
À la lecture de ce programme on peut constater à quel point il s’apparente à celui des
Kabylias. Mais en plus des travaux pratiques proposés, Brès pousse à l’étude de l’islam,
399
Ev 1912 p. 154.
400
BRÈS Émile Fils, Union pour l’évangélisation des Musulmans du Nord de l’Afrique, Alençon et Cahors,
Coueslant, 1912, 11 p.
401
É. BRÈS Fils, Union pour l’évangélisation des Musulmans du Nord de l’Afrique, p. 11.
173
non pas pour l’idéal religieux qu’il colporte, bien sûr, mais pour mieux le contrer et en
débusquer les erreurs. Et, à part les paragraphes qui semblent concerner plus
particulièrement la mission d’Il Maten, ce texte paraît oecuménique dans les buts qu’ils
proposent.
Dans le Rapport missionnaire annuel de 1912402, Brès revient sur la fondation de cette
Union :
Quelques amis et moi avons fondé, il y a un mois ou deux, l’Union pour
l’évangélisation des musulmans du Nord de l’Afrique, ligue de prière et d’action
destinée surtout à unir et à multiplier nos amis non-méthodistes. Un mois après sa
fondation, notre Union compte 70 membres dont un qui souscrit une somme annuelle de
800 Fr.
Émile Brès constate que de tous côtés on s’intéresse à l’islam, on prend la mesure de
son importance et du danger potentiel qu’il contient face aux civilisations chrétiennes. Et il
se réjouit de cette prise de conscience, pensant que les musulmans se convertiraient en
masse grâce à l’action efficace des sociétés chrétiennes réveillées
Mais laissons Émile Brès pour l’instant, nous le retrouverons à propos de son œuvre
majeure : Oberlin403.
Hélène de Jersey
Hélène de Jersey, la sœur de Marie de Jersey, épouse d’Émile Brès, rejoint le couple
missionnaire en 1909, à Il Maten, où elle vient les aider pour un an. Mais elle quitte la
mission dès le début du mois de janvier 1910 pour raison de santé.
Augusta Butticaz et Cécile Annen
L’année 1911 commence plutôt bien pour Émile Brès. Il passe Noël 1910 en famille à
Livron et en profite pour répondre à l’invitation d’un Comité suisse et se trouve à Chexbres
en janvier suivant. Voilà déjà quelques temps qu’il cherche une aide, et il ne se prive pas
402
Ev 1912, supplément au N° du 1er novembre.
403
Voir p. 180 ss.
174
d’en faire la demande partout où il passe. À Chexbres il reçoit l’offre, non pas d’une, mais
de deux demoiselles, et il y voit bien sûr l’attention de Dieu, Augusta Buticaz et Cécile
Annen. La première est née en Kabylie mais, après la faillite de son père venu en tant que
colon en Algérie, elle est rentrée avec lui en Suisse et habite Chexbres. La seconde, quant à
elle, vient de Jussy, près de Genève. Et toutes deux veulent se consacrer à l’oeuvre
missionnaire en Kabylie. Alors, compte tenu des difficultés financières qu’il traverse, le
Comité missionnaire décide de joindre dès maintenant Melle Buticaz à l’équipe
missionnaire, et de n’envoyer Melle Annen qu’en octobre, si cela devient possible. La
famille Brès rentre donc à Il Maten, avec Melle Buticaz et leur nouveau né, le 16 janvier
1911. Avant le Synode, dans une lettre envoyée à la Correspondance fraternelle et datée
du 15 avril 1911404, Émile Brès fils raconte aux autres pasteurs comment les Églises dites
de Jarnac ont répondu à ses prières pour avoir une seconde aide missionnaire, en lui
accordant « une souscription qui sera annuelle autant que cela sera possible » :
Voici la lettre que je viens de recevoir du trésorier d’un des synodes régionaux des
églises dites de Jarnac, en réponse à mon appel en faveur d’une deuxième demoiselle
missionnaire : "Cette réponse à vos prières, la vraie prédestination de ces jeunes filles
pour votre œuvre, la manière dont elles vous étaient envoyées […] tout cela me
paraissait tellement remarquable que j’en ai fait le récit à une réunion des amis des
missions".
Le courrier du trésorier de ces Églises contenait, en sus de la lettre, deux billets de
100Fr ! Du coup Melle Cécile Annen peut venir ! Cet hiver, elle a été malade de la
scarlatine mais elle est tout à fait guérie, alors qu’Augusta Buticaz, elle est terriblement
éprouvée par le climat et n’arrive plus à s’alimenter correctement. 405
Melle Annen arrive à Il Maten le 9 octobre. Et, dès le 27 octobre, elle fait part de ses
premières impressions sur la Kabylie aux lecteurs de l’Évangéliste :
Des haies de cactus aux épines provocantes nous annoncent l’approche du village :
nous y voici en effet, nous traversons ses ruelles étroites et rocailleuses, examinés
curieusement par les habitants qui nous regardent au seuil de leurs demeures.
404
CF 1911-2-568-570.
405
CF 1911-2-568-570.
175
Plusieurs nous saluent gentiment, l’on voit qu’ils sont amis de la mission406.
4-2- La mission change de cap
Dernières inquiétudes
La mission connaît quelques tracasseries, en ce début d’année, causées par
l’administration qui se bat contre toutes les formes de prosélytisme. Cette légère flambée
de soupçons provient probablement de la campagne de presse organisée en France par
Édouard Drummond qui reprend les vieilles antiennes contre les missions anglaises en
Algérie déjà émises, dix ans plus tôt par le député Saint-Germain. Toute cette agitation
n’entame pas, en tout cas, la bonne disposition des Kabyles en faveur des missionnaires
d’Il Maten et de l’Évangile qu’ils annoncent.
L’arrivée d’Émile Rolland et la fondation de la mission Rolland
Au mois de mars 1908, la mission méthodiste d’Il Maten cesse d’être la seule mission
protestante française en Algérie. En effet Émile Rolland achète le 4 janvier de la même
année le presbytère vide de l’Église réformée à Tizi Ouzou et y fonde les bases de la
Mission Rolland407. Nous avons déjà dit quelques mots, pages 77-78, de cet ouvrier devenu
missionnaire. Émile Rolland est accompagné en Kabylie par son épouse Emma, ses trois
enfants Daniel, Guita et Samuel, sa sœur Louly, « et une jeune femme anglaise, Miss Clara
Fountain, reçue en visite pour quelques jours seulement. En fait Dieu l’a choisie pour son
œuvre en Kabylie, et elle servira pendant soixante-dix ans408 ». Le premier converti se
nomme Mohand Saïd, et Émile Rolland, dans le jardin du presbytère, construit un
baptistère autour de la source. Pendant la Grande Guerre, deux camps de prisonniers
allemands sont ouverts en Kabylie, et Rolland devient leur aumônier. Daniel Rolland,
l’aîné de ses fils, meurt au front le premier. Samuel est tué à son tour en 1918. En 1924, le
406
Ev 3 novembre 1911.
407
G. et A. ROLLAND, op. cit. p. 52.
408
Ibid. p. 61-62.
176
neveu d’Émile, Alfred Rolland, épouse Guita et se met à l’œuvre à Tizi Ouzou. Petit à petit
la mission Rolland prend une importance considérable en Grande Kabylie, de par sa
présence évangélisatrice. L’ancien presbytère prend le nom de La Consolation, et les
jeunes filles rejetées par la coutume kabyle, qu’elles qu’en soient les raisons, y trouvent
refuge. Émile Rolland meurt le vendredi 23 novembre 1934 et Alfred reprend le flambeau.
La mission continue son travail à travers la seconde guerre mondiale et la guerre
d’indépendance algérienne, jusqu’à l’Arrêté du Wali de Tizi Ouzou, daté du 22 juillet
1976, qui réquisitionne les bâtiments de la mission en en expulsant les missionnaires :
« Article I : Sont placés sous la protection de la Willaya, tous les biens meubles et
immeubles de l’établissement : Mission Rolland à Tizi Ouzou ». Pendant la période qui
nous intéresse, soit jusqu’en 1919, le livre de Guita et Alfred Rolland signale les contacts
pris entre la mission Rolland et les autres sociétés missionnaires implantées en Algérie.
Les auteurs citent Lilas Trotter à Alger, les missionnaires de la NAM à Djemâa Sahridj, et,
nous dit-on, « En mai 1913, […] Émile participe à une réunion de prières chez les
méthodistes américains d’Alger (en présence de l’évêque Hartzel)409 ». Mais la mission
méthodiste française d’Il Maten n’est jamais citée410, alors que Cook et Rolland se
connaissent et s’estiment. En définitive les destinées des deux missions restent parallèles
sans jamais se confondre.
Oberlin, l’école industrielle : christianisme social ?
Le Rapport missionnaire411 de 1907 reprend les termes des rapports présentés au
Synode de Paris. C’est ainsi que Cook nous apprend que Palpant a construit sa maison sur
deux étages : l’atelier est au rez-de-chaussée alors que l’habitation occupe le premier étage.
Quant aux Brès, ils logent provisoirement dans le dispensaire. Palpant construit deux
modestes petites salles, l’une destinée aux réunions et l’autre pour servir de nouveau
dispensaire. L’arrivée de M. Palpant et de sa famille change ainsi la physionomie de la
mission, car l’école industrielle mise en place est le lieu d’évangélisation rêvé par Thomas
Hocart et Jean-Paul Cook sous la forme d’une impossible école de semaine. Dans l’école
409
Ibid. p. 69.
410
sauf Ibid. p. 42 : c’est le moment où le couple Rolland cherche des fonds pour acheter le presbytère de tizi
Ouzou et où ils rendent visite à Jean-Paul Cook à Il Maten, mais nous ne savons pas le résultat des
tractations.
411
Ev du 25 octobre 1907 p. 169 à 174.
177
de Palpant, en effet, les jeunes garçons peuvent apprendre à travailler le bois, le fer et le
jardin, mais aussi et surtout ils peuvent apprendre à lire et à écrire, dans le contexte
religieux imposé par le culte matinal. Cook, lui, reprend ses cours de langue kabyle pour
les nouveaux arrivés. L’école industrielle ouvre ses portes le 28 février 1907. M. Palpant y
reçoit trois garçons à qui il commence à apprendre certaines activités manuelles, surtout la
menuiserie. Il leur apprend aussi à lire, et Palpant préside un culte pour eux en kabyle,
chaque matin. Les garçons ont en plus un jardinet à disposition pour y travailler.
En 1908, le Synode a lieu à Nîmes, du 20 juin au 2 juillet. Il accueille trois
représentants de la mission : Palpant, Hocart et Cook. Palpant est ravi : son école
industrielle fonctionne bien, et il travaille aussi pour les indigènes autour d’Il Maten. Il a
initié des cours du soir pour apprendre à lire et à écrire en kabyle à eux qui le désirent.
Thomas Hocart est enthousiasmé par les développements de la mission : il souhaiterais que
les convertis fassent des sacrifices en l’honneur de leur appartenance à Jésus-Christ, allant
jusqu’au don d’une offrande. Mais Jean-Paul Cook conteste cette vision des choses, car il
ne veut pas (encore) faire de ses Kabyles convertis des membres d’Église. La soirée du
mercredi 1er juillet est consacré à la mission : c’est la première fois !
L’école du Gouvernement est construite, à 100 mètres de la mission, et ouvre trois
classes début octobre 1908. Quant à l’école industrielle, elle prend son essor et possède
désormais un budget indépendant. Et, en cette fin d’année 1908, Palpant reçoit même un
élève qui lui est envoyé par les missionnaires de Djemâa Sahridj.
Le 13 février 1909 M. Palpant inaugure la Maison des apprentis, qui est une salle de
repos complémentaire à l’atelier, en offrant un gigantesque couscous. Mais l’atelier luimême n’est pas terminé, et il manque toujours à Palpant une forge portative et des outils
pour la forge et la menuiserie. L’activité de Palpant prend de plus en plus de place dans la
réflexion du Synode. C’est ainsi que, en 1910, « le Synode décide que l’artisan
missionnaire [M. Palpant] aura droit de vote au titre de délégué laïque412 ».
À Il Maten, Émile Brès, maintenant directeur de la mission, est aidé de sa femme et du
couple Palpant. Le 18 octobre 1909 il est à Sainte-Croix en Suisse, où il donne une
conférence devant des étudiants de Suisse Romande réunis pour une retraite spirituelle.
C’est de là qu’il écrit à ses collègues une lettre où il jette les bases de son projet
missionnaire en Kabylie :
412
Ev 1910 p. 107.
178
Toutes les missions en terre d’islam bien organisées sont triples :
- Au centre : œuvre religieuse.
- D’un coté : œuvre scolaire destinée à transformer la mentalité des musulmans
et à déraciner leurs superstitions.
- De l’autre : œuvre médicale destinée à leur montrer l’amour du Christ pour
nous et en nous. Nous avons tout cela en germe à Il Maten avec le dispensaire et
l’école maternelle, mais sans parler de l’œuvre religieuse à laquelle je voudrais me
consacrer tout entier413.
En 1911 M. Palpant, dans ses ateliers, enseigne les techniques artisanales à six élèves,
dont certains partagent leurs temps avec les cours qu’ils prennent à l’école du
Gouvernement désormais toute proche. Car l’administration française ne délaisse pas la
Kabylie : elle construit six nouvelles écoles pour garçons sur le territoire de l’importante
tribu des Fenaïas, à laquelle appartiennent les habitants d’Il Maten.
Émile Brès nous dit dans une lettre que « M. Palpant désire beaucoup acheter un moulin
à huile, situé à une demie heure d’Il Maten, sur une route, et qui lui permettrait de
développer son école manuelle mieux qu’à Il Maten. Nous aurions ainsi deux foyers
missionnaires au lieu d’un414 ». De son coté le Comité missionnaire se réunit à Cavairac le
22 août 1911. Suite à deux démissions, le nouveau président est Auguste Faure (qui
remplace Émile Ullern) et le nouveau secrétaire est W. Junod (en remplacement d’Edmond
Gounelle). Les deux missionnaires, Brès et Palpant, sont présents. Et « le Comité autorise
les démarches en vue de l’achat d’une ferme, où se fixerait M. Palpant, avec son école
industrielle415. » Il est vrai que cette activité industrielle de l’œuvre missionnaire à Il
Maten devient de plus en plus importante, et commence à gagner de l’argent, car les
ouvriers apprentis fabriquent des objets qui se vendent bien.
Le projet de réforme administrative occupe l’essentiel du temps réservé au Synode de
Paris (Rue Demours) entre le 16 et le 19 juin 1914.
Il s’intéresse pourtant à la mission, dans le cadre de la discussion d’un projet très
ambitieux proposé par le missionnaire. Émile Brès avait déjà exposé son projet lors
d’une conférence faite devant l’auditoire de la Société Coligny, en juin 1914, dont le
413
CF 1909-4-437-440.
414
Ibid.
415
Ev 1911 p. 143.
179
titre était : La fondation d’un atelier de tapis et d’une ferme missionnaire. Il s’ouvre
de ce projet devant le Synode, ayant comme argument supplémentaire le fait que
deux nouvelles recrues sont annoncées. En effet, Mesdemoiselles Gaussen et
Labarthe veulent travailler à la mission. Pourquoi ne viendraient-elles pas à Il Maten
pour lancer le projet d’une école de fabrication de tapis d’Orient ? Certains synodaux
pensent que ce projet est trop prématuré, ou trop lourd pour un homme seul.
Finalement, le Synode vote la résolution suivante, notée dans les Actes : Le Synode,
sympathique à toute expansion de l’action évangélique et sociale en Kabylie, nomme
une commission pour examiner le projet de M. Brès et charge le Comité de trouver
les voies et moyens pour engager le plus tôt possible les demoiselles missionnaires
qui se sont offertes et leur procurer un stage dans les écoles de la Colonie416.
Pendant la guerre, en 1915, l’oeuvre industrielle prend une ampleur nouvelle. Un petit
magasin est construit, où l’on vend la production d’huile d’olive (le missionnaire vient
d’acheter une oliveraie et possède déjà le moulin à huile) et des figues. Émile Brès justifie
cette évolution commerciale de l’aventure missionnaire par le fait que les nouveaux
baptisés subissent une persécution larvée et perfide de la part de leurs anciens
coreligionnaires. Et ils n’ont plus la possibilité de se nourrir ni de vivre décemment dans
leur ancienne société restée musulmane. Brès pense que ces nouveaux chrétiens doivent
trouver, au sein de la mission, les moyens de vivre, de gagner un peu d’argent, de pratiquer
leur nouvelle religion dans le calme avec les autres chrétiens. Il imagine déjà de regrouper
ces nouveaux convertis dans une cité chrétienne en marge de la société musulmane, et
autonome :
Grâce à Dieu nous avons les éléments d’une œuvre industrielle prospère, nous pourrions
exporter de l’huile, des figues, des tapis, des poiriers, du bois sculpté, les ventes d’essai
que j’ai faites dans chacune de ces branches m’ont toutes rapportées un bénéfice.
D’autre part, les Kabyles ne demandent qu’à travailler sous notre direction417.
Petit à petit l’œuvre industrielle prospère :
Voici une nomenclature des objets fabriqués et mis en vente : paniers, tables à thé de
416
Ev 1914 p. 111 et AcC 1914 p. 20.
417
Ev décembre 1915, pages intercalaires.
180
style arabe, à six et huit cotés, coffrets, plateaux, cadres pour tableaux, cadres à
photographies et porte photos de style berbère, coupe papiers, cuillères kabyles,
broches arabes, tapis berbères. À cette liste il faut ajouter les comestibles : crème de
lentilles, fèves, orge, pois chiches, grains grillés, lentilles en grain, fèves fines
décortiquées, huiles d’olives, figues, raisins secs, dattes.418
Et Louis Parker, dans le Rapport de 1915, ajoute : « Pour indiquer d’un mot le but de
cette branche industrielle, M. Brès l’a nommée Oberlin, tout son programme étant de faire
d’Il Maten, peu à peu, un nouveau Ban de la Roche419. » Le personnel de la mission
s’étoffe aussi, grâce à quelques souscriptions généreuses et anonymes. Ainsi, Melle Buticaz
ayant refusé de retourner en Kabylie, les demoiselles Annen et Gaussen font ensemble le
voyage et embarquent à Marseille le 4 octobre. Melle Labarthe reste à Il Maten. Mais :
Nous avons malheureusement à prendre congé de notre artisan-missionnaire, M.
Palpant, qui a travaillé neuf ans à Il Maten, de 1905 à 1914 … Nous pensions que M.
Palpant reprendrait sa place à notre station après la guerre, mais il nous a fait savoir, dès
maintenant, que nous ne devons plus compter sur lui420.
Voilà qui est étonnant ! Nous pouvons comprendre le refus de Melle Buticaz, qui souffre
de l’estomac, de revenir à Il Maten. Mais le refus de M. Palpant ? Lui qui a fondé l’œuvre
industrielle à Il Maten ? Lui qui a formé toute une génération de jeunes artisans kabyles et
qui leur a appris les rudiments du christianisme social ? Enfin, laissons pour l’instant cette
question en suspens421. Dans le même rapport, le missionnaire s’étend un peu plus sur
Oberlin. Dans son article, après avoir trouver quelques citations bibliques adéquates et
quelques exemples missionnaires récents, il pose la question : « Quoi de mieux à faire que
de rechercher les modestes talents que Dieu a départi aux indigènes pour tâcher de les faire
fructifier par quelques industries de montagne bien dirigées, en les attachant aux principes
chrétiens comme ils attachent leurs vignes aux troncs fermes des frênes ?422 » Le 16
octobre 1916, il est en France et assiste à la réunion du Comité de la mission qui est aussi
418
Ev 25 octobre 1916, supplément.
419
Ibid.
420
Ibid.
421
Nous reprenons cette discussion au p. 202 ss.
422
Ibid.
181
le Bureau du Synode (de 1914). Pendant cette rencontre, Brès :
a exposé tout au long son point de vue et justifié ses méthodes, montrant l’absolue
nécessité de l’œuvre industrielle, pour permettre aux convertis de l’islam,
excommuniés par leurs concitoyens, de trouver un gagne pain et un abri. Les
missionnaires de Kabylie sont d’accord maintenant pour reconnaître qu’il est
moralement et matériellement impossible à un musulman converti de continuer à
vivre au milieu des siens en professant la foi chrétienne. Il faut donc créer un refuge
pour les nouveaux convertis. C’est ce que notre missionnaire essaye de faire,
s’efforçant de créer à Il Maten une vraie cité chrétienne423.
Il est intéressant de voir aussi ce que pensent les autres missionnaires évangéliques
proches d’Il Maten. Émile Brès fils nous en donne une indication :
Lettre de M. Griffith, missionnaire darbyste à Tazmalt :
J’ai été heureux de voir de près la petite œuvre industrielle que vous avez entreprise
si courageusement. Il est difficile pour les amis de la mission de comprendre
pourquoi vous faites telle ou telle chose. Mais prenez courage, les résultats
prouveront que vous avez été inspirés par de bons motifs et que vous avez agi dans
le but de garder les hommes et les femmes à la mission pour mieux les instruire dans
les choses de Dieu …424
Le Bureau du Synode se réunit les 27 et 28 juin 1917 en l’absence persistante de la
tenue d’un vrai Synode. Après la liste des mouvements pastoraux, Louis Parker, rédacteur
de compte-rendu de la réunion, ajoute : « M. Palpant, libéré de ses obligations militaires à
l’occasion de la naissance d’un sixième enfant, est retourné en Kabylie, où de nouveaux
développements sont à l’étude425. » Palpant de retour à Il Maten ? Il avait pourtant assuré
de plus vouloir y aller426. Et puis le trésorier commun au Bureau du Synode et au Comité
de la mission avoue qu’il lui manque 8472, 05 fr. pour boucler le budget de la mission au
30 septembre ! Mais laissons la parole à Émile Brès fils qui écrit dans le seul recueil de
423
Ev 24 mai 1917 p. 63.
424
É. BRÈS Fils, Mission de l’Afrique du Nord, p. 3.
425
Ev 5 juillet 1917, p. 80.
426
Voir p. 193.
182
lettres de la Correspondance fraternelle parue pendant la guerre. Sa lettre, postée d’Il
Maten le 10 janvier 1917, signale une nouvelle visite de M. Griffith à la mission. Là il
tente de positionner la mission d’Oberlin par rapport à celle d’évangélisation :
En effet, dit-il, cette branche industrielle n’est qu’une branche auxiliaire, elle n’est
qu’une servante de l’autre, qu’un moyen d’affermir les convertis et perdrait sa raison
d’être dès qu’elle cesserait d’appuyer l’oeuvre spirituelle. Nous avons à Il Maten
trois organes que nous recommandons à vos prières :
- L’Église des Kabyles convertis d’Europe,
- L’Union des Chrétiens qui prient et donnent pour eux,
- Oberlin qui s’efforce d’amener les premiers au niveau des deuxièmes par le
travail et l’éducation.427
Quant à M. Émile Brès fils, il est difficile de ne pas voir en lui, quoi qu’il en dise, le chef
d’une entreprise économique. Ainsi le fragment d’une de ses lettres, reproduit dans
l’Évangéliste428, nous en convainc :
Vous ne sauriez croire avec quelle gratitude, je vois enfin les filles dotées d’un
superbe atelier, clair et vaste avec bonne exposition au soleil ! J’aimerais vous
envoyer une photographie de ces neuf chères fillettes travaillant à la mise en sac des
fécules sous l’œil de Melle Gaussen qui, assise à son bureau dans la salle même, fait
de la correspondance, tandis que les femmes tamisent, repassent au moulin dans
l’autre partie de l’atelier ; une série de 40 caisses ouvrant sur le coté, numérotées et
étiquetées, permet aux fillettes de placer leurs sacs variés à l’abri des rats.
Il est temps de se poser la question : y a-t-il un rapport entre Oberlin à Il Maten et le
christianisme social en Europe ? Ce n’est pas ici le lieu d’une étude approfondie de ce
mouvement chrétien particulier, mais bien d’établir les bases d’une possible typologie. Si
l’on part de la notion d’évangélisation, il est naturel d’enisager d’abord les populations sur
lesquelles s’exercent le discours des missionnaires chrétiens. Ainsi les mouvements de
réveil du XIXe siècle s’appliquent-ils à convertir les chrétiens dont la foi affaiblie les
raproche de l’athéisme. Mais aussi, de la même manière, les sociétés missionnaires
s’adressent-elles aux populations du monde encore païennes, n’ayant jamais rencontrées le
427
CF 1917-1-6-7.
428
Ev 23 mars 1918, p. 26.
183
Christ sauveur ! Qu’en est-il alors de ces mouvements missionnaires particuliers dont la
charge est de convertir au christianisme les fidèles des autres religions monothéistes que
sont le judaïsme et l’islam ?
Le christianisme social est né au sein des populations chrétiennes des pays occidentaux
d’Europe et d’Amérique du Nord, qui connaissent, en cette deuxième partie du XIXe
siècle, la révolution industrielle et ses conséquences malheureuses sur son versant social.
Ce mouvement chrétien est une réponse européenne et chrétienne au problème posé par la
paupérisation croissante des masses ouvrières. En France, particulièrement,
Les grands thèmes du discours chrétien social sont déjà présents chez Tommy Fallot
(1844-1904) : la nécessité d’une réflexion théologique sur les questions sociales, l’appel
à lutter contre les iniquités, la possibilité d’un socialisme évangélique, l’espérance de
l’établissement du Royaume de Dieu sur terre, l’influence du milieu social sur la
formation de “l’homme spirituel”429.
Il s’agit donc d’un mouvement chrétien, parallèle au socialisme politique et
économique, dans lequel les chrétiens sociaux veulent faire advenir le Royaume de Dieu
sur terre, alors que les socialistes athées veulent, eux, instaurer le royaume de l’homme
social (« L’Internationnale sera le genre humain ») !
Le mouvement missionnaire protestant français, quant à lui, s’est intéressé, bien sûr, à
la déchristianisation de la France, et a été tenté par la théologie du christianisme social
(nous pensons à la Mission Populaire Évangélique de Robert Mac All (1821-1893) ; ou à
l’Armée du Salut de William Booth (1829-1912) ; et aussi à la Société Centrale Protestante
d’Évangélisation, issue de l’ERF). Mais c’est sur la Société des Missions Évangéliques de
Paris que nous nous penchons particulièrement, en rapport à sa volonté d’évangéliser les
nations païennes. En lisant l’ouvrage de Jean-François Zorn consacré à cette société
missionnaire430, nous constatons l’existence d’une dérive, dans le temps, de l’action
missionnaire qui passe de l’évangélisation directe à l’évangélisation indirecte par le travail.
Prenons l’exemple de l’étude que fait Jean-François Zorn de la Société Agricole et
Industrielle de l’Ogooué (SAIO). Cette « expérience chrétienne-sociale au Gabon » associe
trois buts :
429
Jean BAUBÉROT et Lucie KAENNEL, article Christianisme social / socialisme chrétien, in Pierre
GISEL Dir., Encyclopédie du Protestantisme, Cerf/Labor et Fides, Paris/Genève, 1995, p. 214-216.
430
J. F. ZORN, op. cit. p. 102-107.
184
Décharger les missionnaires de leurs tâches matérielles en confiant la gestion des
magasins, les problèmes d’approvisionnement et d’habitat à des hommes compétents,
former les autochtones à l’exploitation agricole rationnelle, contribuer à l’autofinancement de la Mission par la création d’une branche commerciale431.
Félix Faure étudie la question. Si un Africain se converti au christianisme, il se trouve
en rupture avec son milieu initial traditionnel :
Dans ces conditions, une grande responsabilité pèse sur la Mission. Si elle n’est pas en
mesure d’offir au converti les conditions d’une vie nouvelle dans un milieu nouveau,
celui-ci risque fort de retourner au paganisme, et c’est le déshonneur, ou de tomber dans
le milieu européen, et c’est la déchéance432.
Et Félix Faure utilise les arguments du christianisme social pour proposer la fondation,
à côté de l’œuvre spirituelle proprement dite, d’une « Société annexe de la Société des
Missions pour la charger de toute l’activité chrétienne sociale ». Ainsi, ajoute JeanFrançois Zorn dans un autre article sur le même sujet433 :
Dans le contexte de la colonisation, avec le projet d’une scierie et d’une plantation dans
deux stations missionnaires, respectivement N’Gômo et Samkita, la SAIO se donne
donc pour double objectif de développer la valeur travail et le sens du commerce chez
les convertis, afin d’enrayer des pratiques d’exploitation quasi esclavagistes du fait du
contact brutal du monde des Blancs avec celui du groupe bantou (Pahoin ou Fang et
Galoa) dispersés et non sédentarisés.
On peut donc affirmer que le but de la SAIO est bien de donner, par le travail et
l’Évangile, une forme adaptée d’autonomie et de liberté aux populations converties au
christianisme, de manière à ce que celles-ci ne soient ni tentées de retourner au paganisme
traditionnel, ni expoitées par l’appétit économique du colonisateur européen.
431
Ibid. p. 102.
432
Ibid. p. 103.
433
Jean-François ZORN, « “L’Évangile du travail”. Expériences de christianisme social dans la mission
protestante dans l’Entre-deux-guerres », in Jean PIROTTE (dir), Les conditions matérielles de la mission.
Contraintes, dépassements et imaginaires, Paris, Karthala, 2005, p. 413-426.
185
Pourtant, sommes-nous dans le même cas de figure à Il Maten ? Bien sûr, Émile Brès,
qui vient de la SMEP, se tient au courant des débats qui agitent la grande société
missionnaire française, et aussi de ses réalisations, comme la SAIO au Gabon. En fait les
conditions trouvées au Gabon ne sont pas celles rencontrées à Il Maten. Les populations
kabyles sont concentrées, homogènes, et l’islam participe de leur cohésion à la fois sociale,
tribale, économique, traditionnelle et familiale. L’islam est parfaitement en phase avec leur
mode de vie. Un converti kabyle aura donc les mêmes difficultés qu’un converti Fang,
mais augmentées de manière exponentielle ! Dans ce cas, Oberlin est-il une réponse
adéquate au problème posé par la déculturation d’un Kabyle converti au christianisme ? Ce
débat traverse le Synode de l’Église Méthodiste de France dès le début de la pratique, par
Brès à Il Maten, de « l’évangélisation par le travail ». En effet, lors de son entretien avec
les représentants de la SMEP, en octobre 1918, le pasteur méthodiste Louis Parker avoue :
Nous n’avons pas toujours compris dans notre synode la nécessité de l’œuvre
industrielle telle que voulait la réaliser notre mission. À une certaine date, nous avons
même exigé que M. Brès y renonçât ; nous lui avons interdit d’utiliser pour cette œuvre
les bâtiments de la mission. Nous pensions alors qu’il suffisait de prêcher l’Évangile
pour obtenir des conversions, et nous demandions qu’on se bornât à faire dans le pays
des tournées proprement missionnaires. L’expérience a montré les difficultés pratiques à
une pareille méthode et son inefficacité absolue. Ainsi les faits ont donné raison à notre
missionnaire contre l’opinion ancienne du synode434.
Pour Brès, en effet, la condition nécessaire à la conversion d’un Kabyle consiste à
extirper celui-ci de son milieu d’origine et, une fois qu’il est converti, de le protéger de ce
milieu devenu hostile. Oberlin devient, par le travail producteur de biens et donc d’argent,
un lieu de vie possible pour le Kabyle chrétien. Nous rejoignons alors la définition que
donne Félix Faure de la responsabilité de la mission, mais dans un cadre d’une dimension
beaucoup plus contraignante de par l’extrême cohésion de la société kabyle.
En conclusion, le christianisme social est bien à l’origine d’un débat qui dépasse les
sociétés occidentales chrétiennes et industrialisées, et qui touche aussi l’ensemble des
peuples du monde, comme étant une forme particulière d’évangélisation possible des
populations non-chrétiennes.
434
Pv SMEP 14 octobre 1918, p. 235.
186
Ramadhan et réveil
Le Rapport de la mission, que l’on trouve dans l’Évangéliste du 23 octobre 1908 (p. 165 à
172) fait état des craintes qu’éprouvent les missionnaires pendant le Ramadhan : les
nouveaux convertis ne vont-ils pas retourner à l’islam ? En effet, dans tous les postes
missionnaires, le Ramadhan est considéré comme le pilier de l’islam le plus caractéristique
de la vie sociale des musulmans kabyles. Ce jeûne rituel rythme et structure la
communauté, et le rompre signifie du même coup pour le Kabyle rompre avec ses attaches
familiales et tribales. On comprend donc aisément que les nouveaux convertis ne se
séparent qu’à contre-cœur de ce symbole fort de leur appartenance à la société kabyle et
villageoise. Et on comprend aussi, bien sûr, à quel point les missionnaires insistent sur la
rupture du Ramadhan, comme preuve du détachement du converti de tout ce qui participait
de son ancienne vie, famille, tribu et village compris, pour s’attacher définitivement et sans
retour au Christ et à la religion chrétienne. Jean-Paul Cook, de son côté, part à Alger
discuter, avec les autres pasteurs évangéliques d’Algérie, des nouveaux convertis. Il en
profite pour faire une tournée de collectes en Algérie et s’arrête à Djemâa Sahridj pour
assister à deux baptêmes de Kabyles nouvellement convertis. D’autre part une lettre
envoyée par les missionnaires (Brès, Palpant, Annen) au Synode d’Anduze (qui se réunit à
partir du 19 juin 1912) montre de plus un optimisme tempéré par le fait que « il y a
plusieurs années à peine on ne comptait pas un seul Kabyle baptisé, aujourd’hui il y en a
plusieurs sur les trois stations de Djemâa Sahridj et de Tizi Ouzou ; nul doute que, si nous
persévérons, il n’y en aient bientôt aussi à Il Maten et à Tabarourth435 ».
À la fin du mois d’avril 1910, les lecteurs de l’Évangéliste ont la surprise de trouver,
dans les colonnes de leur hebdomadaire, une lettre qui leur est adressée et qui est signée
par les premiers « convertis » d’Il Maten :
Les chrétiens d’Il Maten et de Zoubia saluent le Comité de Kabylie et toute
l’Église. Nous croyons maintenant en Notre Seigneur Jésus-Christ de tout notre cœur ;
nous étions dans les ténèbres, mais nous sommes dans la lumière. Nous ne voulons pas
retourner en arrière, mais marcher de l’avant, et nous désirons amener d’autres
Kabyles à Jésus-Christ. Nous sommes heureux, nous vous écrivons cette lettre afin que
435
Ev 1913 p. 119.
187
vous nous connaissiez et que nous vous connaissions.
Signatures : Mohand Ou Amar Aouzelig
Mohand Ou Fenaï
Saïd Ou Ahmed
Mohand Ou Hamish
Mohand El Mahdi.436
Cette lettre, on l’imagine aisément, rencontre un beau succès dans les Églises de
France. Elle exprime en effet tous les espoirs de ceux qui soutiennent la mission de toutes
leurs forces. Il y a donc, enfin, des Kabyles convertis à Il Maten ! Émile Brès fils tempère
pourtant, dans le Rapport missionnaire d’octobre437, l’enthousiasme de ses lecteurs :
Il ne faut pas regarder cela comme des conversions au sens plein du terme, mais
comme des actes de bonne volonté pouvant être le point de départ d’une série
d’expériences nouvelles, et d’une découverte progressive du Christ, de ses exigences
morales, et de la puissance du Saint-Esprit. Il serait peu sage d’attendre d’un Kabyle
une conversion soudaine qui le transforme tout à coup en en faisant un Saint Paul.438
La période de Noël 1913 marque un tournant dans la marche de la mission méthodiste
en Kabylie. Émile Brès fils, revient de la conférence de Tazemalt :
À l’instar de ce qu‘avait fait M. Griffith, avec souffrance et avec larmes, pour obtenir un
triage entre les vrais convertios et les autres, j’ai rédigé un acte de foi et de consécration
à Christ, qui a été signé d’abord avec enthousiasme par Mohand Ou Fenaï et trois
autres, puis par plusieurs439.
Treize hommes déjà ont signé d‘une croix (Brès y voit un symbole fort !) ce fameux
papier. Mais cette signature fait-elle des Kabyles d’Il Maten de véritables chrétiens ? Nous
pouvons en douter, bien sûr, malgré l’immense respect que les populations de Kabylie ont
pour la culture de l’écrit. En tous cas Émile Brès, lui, interprète ces signatures comme le
436
Ev 1910 p. 43.
437
Ev 1910 p. 169-172.
438
Ev 1910 p. 171.
439
Ev 1913 p. 82.
188
signe d’un réveil et, de fait, ses réunions de prière sont de plus en plus suivies.
Nouveaux cultes
Le déficit chronique des finances du Comité de la Kabylie pousse les missionnaires à
trouver par eux-mêmes de nouvelles sources de financement. Depuis 1905 ils vont
régulièrement à Bougie présider un culte pour les Européens. Or, nous dit Émile Brès fils
dans son rapport au Synode de Paris, (28 juin – 3 juillet 1907) :
L’arrangement pourrait être conclu (avec les protestants de Bougie et des environs)
par lequel ils nous fourniraient une subvention de 1 500 à 2 000 Fr. en échange de
services plus réguliers, tous les quinze jours par exemple, et d’une activité pastorale
suffisante … permettant à nos amis de Bougie à El Kseur d’établir un budget
progressif jusqu’à ce qu’ils aient de quoi payer un pasteur en titre440.
Le Synode voit d’un bon œil cette proposition : « Le Synode autorise nos missionnaires
à entrer en pourparler avec les protestants de Bougie, pour voir dans quelles conditions, ils
peuvent assurer des services réguliers441 », et les Actes de 1907 s’en font l’écho :
Du coté des protestants algériens à portée de notre mission, une œuvre pastorale semble
s’ouvrir comme sphère d’action complémentaire et comme ressource financière au
profit de l’œuvre kabyle442.
Mais le budget 1908 de la mission est toujours déficitaire, et les recettes restent
insuffisantes. Le Comité missionnaire, réuni le 28 octobre, décide d’éditer le Rapport sous
forme de brochure et de le vendre indépendamment de l’Évangéliste.
Le missionnaire signale que la Convention chrétienne de Chexbres (Canton de Vaud) à
laquelle il a assisté en 1911 envoie à Bougie une jeune évangéliste d’origine iranienne,
Melle Ioussouf, accompagnée de sa mère adoptive, Melle Lacoste. Le Rapport de l’année
suivante nous apprend la fondation, à Bougie, d’une Église protestante. Le pasteur Cot y
440
Ev 1907 p. 171.
441
Ev 1907 p. 102.
442
AcC 1907, p.34.
189
travaille avec Melle Ioussouf, qui s’occupe des femmes arabo-turques, et de Melle Brittle, qui
vient de Djemâa Sahridj et qui s’adresse plus particulièrement aux femmes kabyles.
La Conférence d’Edimbourg et les conférences indigènes des convertis kabyles
Le début de l’été 1910 est marqué par un événement important : la conférence
missionnaire d’Edimbourg se réunit entre le 21 et le 26 juin. L’Évangéliste en parle, bien
que le Comité missionnaire de la Kabylie ne soit pas invité, et pour cause :
Le comité international … décida que la seule qualification requise pour participer
était que la société ou le comité missionnaire soutint des missionnaires à l’étranger. On
décida que la représentation … se limiterait aux sociétés ayant des agents sur les
champs de missions étrangères et dépensant pour celles-ci au moins £ 2000 par an.443
Ainsi le budget (déficitaire) de la mission française ne donne pas au Comité de la
Kabylie les moyens d’être représenté. Y a-t-il des regrets exprimés ? Les articles (peu
nombreux) de l’Évangéliste de l’année 1910 parlent des réunions des commissions de la
conférence de manière très objective, et ne manifestent aucun sentiment particulier. La
Correspondance fraternelle, elle, est muette sur l’ensemble de l’année. Il semble donc que,
si la Conférence d’Édimbourg ait été comprise comme un événement important, les
séances et les conclusions de la conférence sont passés très au-dessus des préoccupations
quotidiennes des pasteurs méthodistes en France.
Enfin Jean-Paul Cook est invité à assister, du 22 au 24 novembre 1909, à la première
Conférence indigène des convertis kabyles qui se tient à Djemâa Sahridj. Devant les
missionnaires rassemblés venant de sept stations missionnaires différentes, c’est l’occasion
pour les premiers indigènes convertis, encore fort peu nombreux, de témoigner
publiquement de leur nouvelle foi444. Il semble que ces conférences aient été organisées de
manière à se réunir tous les quatre ans, chaque fois dans une station invitante différente445.
443
David A. KERR et Kenneth R. ROSS, La Conférence missionnaire mondiale d’Édimbourg en 1910, dans
Jean-François ZORN, Claire-Lise LOMBARD, Jacques MATTHEY dir., La Conférence missionnaire
mondiale Édimbourg 1910, Clamecy, Karthala, Coll. “Histoire et Missions Chrétiennes”, mars 2010, p. 13.
444
Ev 1909 p. 199.
445
Vu le silence des textes, nous n’avons aucune précision sur le mode d’invitation, ni sur le choix des
invités.
190
C’est ainsi que la deuxième Conférence des convertis kabyles a lieu à Tazmalt, la station
missionnaire de M. Griffith, pasteur baptiste, du 1er au 4 avril 1913. La conférence
représente encore sept stations missionnaires évangélistes, et permet à des Kabyles de plus
en plus nombreux convertis de confesser leur foi nouvelle devant un public de pasteurs
attendris. Et le représentant de la mission méthodiste à cette conférence est Thomas
Hocart, qui a fait le voyage. À cette occasion, Émile Brès reçoit plusieurs visites ; celle de
Thomas Hocart, justement, accompagné de Théophile Roux, puis celles de Jean-Paul
Cook, d’Émile Rolland de Tizi Ouzou et d’Eugène Reveillaud, sénateur et membre
influent de l’Union pour l’évangélisation des musulmans du Nord de l’Afrique.
Le déficit financier
Le Comité missionnaire français signale un déficit annuel de 2500 Fr pour l’année
1909. La souscription populaire lancée dans le but d’effacer ce déficit n’a donné que 200
Fr. ! Quant au Synode réuni à Lasalle du 30 juin au 6 juillet 1910, il décide, au matin du
mercredi 3 juillet, d’augmenter le salaire d’Émile Brès de 500 Fr. et d’allouer une somme
de 10.000 Fr. à la construction d’une nouvelle maison au missionnaire et à sa famille. C’est
une grande et belle maison, avec un étage, et un avant-toit qui couvre deux vérandas, une
au premier étage et l’autre au rez de chaussée. Mais l’état des finances dévoilé dans le
Rapport 1911 est révélateur. Sur un total de 13 846, 75 Fr. de recettes, 1 800 Fr.
proviennent directement des travaux de l’école industrielle, ce qui correspond tout de
même à 13%. Pourtant le déficit reste, lui, très élevé : 1 176, 86 Fr., soit 8,5%. Il est donc
vrai que la construction de la maison a grevé un budget déjà mal équilibré !
Les Actes du Synode (Codognan, 6-13 juin 1912) nous alertent un peu plus:
Notre mission en Kabylie a rencontré des difficultés sérieuses ces derniers temps, mais
nous espérons que, grâce aux mesures votées par le Synode, elle va reprendre un nouvel
essor446.
Quelles sont ces difficultés ? Quelles sont les mesures prises par le Synode ? Les
difficultés dont parlent les Actes du Synode de Codognan sont en fait d’ordre financier : la
mission souffre d’un déficit abyssal de 2400 Fr. Ce déficit trouve sa source dans un
446
AcC 1912, p. 37-38.
191
reliquat déjà ancien, augmenté cette année par les frais liés à la construction de la maison
et aux salaires des deux nouvelles venues, les demoiselles Buticaz et Annen. Le Comité de
la mission lance une souscription spéciale avec des parts de 20 Fr., dès le 16 août, pour
résorber ce déficit avant le 30 septembre, date de la fin de l’exercice comptable annuel.
4-3- La vie quotidienne à Il Maten
L’hiver 1908-1909 est encore un hiver de famine, qui touche toutes les classes sociales
indigènes. Le Docteur Legrain, toujours aussi dévoué, est accompagné à partir d’avril par
un autre médecin, le Docteur Treille. La mission héberge dans ses locaux jusqu’à 21
malades intransportables La mission accueille trois Kabyles qui, convertis, ont rejoint les
rangs des chrétiens d’Il Maten et qui participent, avec eux, aux réunions de prières pendant
les veillées. D’autre part la mission, si elle connaît dorénavant un déficit chronique et
impossible à combler, vit les meilleurs moments de son existence, car les Kabyles, comme
l’administration française, la voit désormais de façon plutôt sympathique. Les choses sont
donc infiniment plus faciles qu’au temps des pionniers !
La fin de l’année 1912 est ponctuée, comme d’habitude, par les fêtes et les repas.
Émile Brès reçoit la visite de Melle Vulmont, et celle de M. Billy, membre du Comité de la
Société des Missions Évangéliques de Paris. Brès raconte ce qui pourrait nous sembler un
exploit, mais qui pour lui n’a que le nom d’évangélisation agressive :
M’étant déchaussé j’entrai, par exemple, dans la grande mosquée d’un village appelé
Aourit, c’est à dire La Hauteur, et je m’accroupi à la turque dans la niche du
marabout pour lire le Psaume 51. Le marabout entra pour présider à la prière du soir.
Je n’étais pas sans inquiétude sur la façon dont il accueillerait mon audace. Je me
levai et lui offrit de lui rendre la place qui lui appartenait. Il refusa et m’invita
courtoisement à continuer : mais comme je m’efforçais de montrer la nécessité de la
nouvelle naissance, il me somma de dire pourquoi je ne priais pas selon le rituel
musulman, alors que Jésus le faisait. Vous avez mutilé les Écritures, ajouta-t-il, et
le premier qui l’ait fait est un nommé Bouloï (Saint Paul). L’auditoire semblait
partagé, Dieu veuille que mes appels aient laissé quelques traces !447
L’hiver 1912-1913 est un hiver de famine à Il Maten. Émile Brès distribue de l’orge
447
Ev 1913 p. 17.
192
jusqu’à ce que la caisse des pauvres présente un déficit de 400 Fr. Heureusement
l’Administration française vient à son aide : en mai (peut-être un peu tard !) elle procède à
son tour aux distributions d’orge, soulageant d’autant notre missionnaire.
En 1914, La mission reçoit en octobre la visite de son fondateur, Thomas Hocart. Celuici revient, onze ans après, et apprécie le changement qui s’est opéré dans les rapports entre
les Kabyles et les missionnaires : la confiance s’est installée, et favorise les conversions.
Le Roumi n’est plus le « Français-chrétien-ennemi » installé proche du village, il est
homme de Dieu et il aide les Kabyles, par amour chrétien. Dans la lettre que Thomas
Hocart écrit pour la Correspondance fraternelle, il énumère l’ensemble des personnes qui
ont travaillé à Il Maten, depuis le début. Pour lui, Brès et Palpant sont les missionnaires de
la « deuxième génération »448. La mission prend de l’ampleur, mais Émile Brès avoue que,
seul, il est obligé de restreindre bon nombre de ses activités, en particulier ses visites dans
les tribus lointaines.
Le Rapport missionnaire de 1917, qui a paraît-il paru sous forme de brochure, ne nous
est pas connu. L’Évangéliste continue pourtant à nous informer régulièrement, une fois
tous les quinze jours, de ce qui se passe en Kabylie. Or justement, un jeune cultivateurjardinier, M. Nicoud, est volontaire pour rejoindre le personnel d’Il Maten. « La station
sera pourvue ainsi d’un pasteur, de deux directeurs de travaux (Melle Gaussen pour les
femmes et les jeunes filles ; M. Nicoud pour les hommes et les garçons), d’une demoiselle
évangéliste (Melle Annen) et d’une demoiselle pour l’œuvre médicale (Melle Labarthe)449 ».
Et M. Palpant ? Il n’est pas revenu à Il Maten, et nous en avons l’explication dans le
procès-verbal de la rencontre des d’avril 1918 entre les délégués de l’Église méthodiste et
ceux de la SMEP, où Parker n’hésite pas à dire :
Il y a eu des tiraillements entre les ménages des missionnaires à cause de la petitesse des
locaux dans lesquels ils devaient cohabiter : c’est ainsi que les relations n’ont pas été
satisfaisantes entre M. Brès et M. Cook-Jalabert, et plus tard entre M. Brès et M.
Palpant450.
448
CF 1910-4-515-518.
449
Ev 3 janvier 1918, p. 1-2.
450
Pv SMEP 14 octobre 1918, p. 236.
193
4-4 - Et la vie quotidienne des missionnaires ?
Jean-Paul Cook et sa famille passent l’été 1907 en Europe. Mme Cook accouche de
jumeaux à Neuchâtel, en août, et la famille rentrent à Il Maten au début septembre parce
que les Brès sont fatigués (ils sont restés seuls pendant l’été). Palpant doit partir faire ses
28 jours de service militaire à Constantine. Mme Palpant, de plus, est malade ainsi que ses
trois enfants. D’ailleurs, pendant l’été, les Palpant ont perdu le plus jeune de leurs enfants,
âgé de dix mois, qu’ils ont enterré dans le champ, à côté de la tombe de Philippe-Jean
Cook. L’année suivante Jean-Paul Cook reste à Il Maten à partir du 1er septembre 1908.
Les Palpant passent l’été dans la Drôme, et les Brès sont au bord de la mer. Les enfants de
Cook sont avec leur mère dans le Poitou. Jean-Paul Cook est donc seul, mais il n’a rien à
faire : tous les Kabyles sont aux champs. Le Rapport missionnaire 1908-1909 ne contient
plus, dans l’Évangéliste du 15 octobre451, ni photo ni gravure. C’est un modeste rapport (ce
rapport est en fait prévu pour paraître sous la forme d’une brochure). Deux bonnes
nouvelles y sont signalées : la naissance d’un garçon chez les Brès et celle d’une fille chez
les Palpant.
À la fin de l’année 1910, Mme Brès rejoint sa belle-famille à Livron, dans le poste
qu’occupe alors M. Émile Brès père, et accouche du petit Marc-Charles, le 22 novembre.
Si l’on compte aussi la naissance de Charles-Henri Palpant, à Il Maten le 26 janvier 1911,
nous obtenons le chiffre de neuf enfants jouant dans le jardin de la mission !
L’été 1911 passe donc agréablement pour les Brès installés dans leur nouvelle et
confortable maison. Mais ils sont très seuls : les Palpant sont rentrés en France le 22 juin
pout y vivre la saison chaude au frais, et Melle Buticaz les accompagne supportant de moins
en moins bien le climat de la Kabylie. Le seul document joint au Rapport annuel de la
mission452 est une photo de la nouvelle maison construite sur l’emplacement de l’ancienne.
En octobre tout le monde retourne à Il Maten pour la saison d’hiver, après avoir voyagé
jusqu’à Nîmes pour participer à la réunion du Comité de la mission du 7 octobre. La petite
Marguerite-Cécile Brès naît à Il Maten le 22 mars 1912. Et Melle Buticaz, qui souffre
toujours de l’estomac, est obligée de rentrer en Suisse, à son grand désespoir, avant l’été.
La mission à Il Maten passe l’été sans les demoiselles missionnaires qui sont en France,
451
Ev 1909 p. 164-165.
452
Ev du 13 novembre 1911, p. 161 à 163.
194
faisant des conférences en Vaunage. Melle Annen se repose, et Melle Buticaz se soigne,
avant d’espérer rentrer toutes deux en Kabylie en octobre. Lorsqu’elles arrivent à Il Maten,
elles reçoivent une pénible nouvelle : deux petits tertres ont agrandi le carré des tombes
sous le grand caroubier du jardin de la mission, la tombe de Marguerite-Cécile Brès, morte
à l’âge de 18 mois, et celle de Violette Palpant, dont le décès remonte au début de l’été.
4-5 Relations de la mission avec la métropole
Le Synode de Paris-Malesherbes (13-16 juin 1911) n’ajoute rien à ce que nous savons déjà.
Par contre, dans la Correspondance fraternelle qui a suivi le Synode, Émile Brès
communique deux faits, sur lesquels nous n’avons, par ailleurs, aucune autre information :
1- « Vous avez dû, au Synode, vous occuper de règlements au sujet de la mission alors
que vous auriez bien préféré (et nous aussi) vous occuper de sa marche spirituelle, mais il y
avait longtemps que le besoin se faisait sentir de constitution qui fixât les attributions de
chacun et prévînt ainsi la confusion et le désordre453 ». Nous n’avons pas retrouvé ces
règlements.
2- Et, à ce propos, Brès nous avoue quelques divergences d’opinion sur des points de
détail avec les membres du Comité de la mission. Quelles divergences ? Nous en saurons
plus un peu plus loin, quand nous étudierons l’incompréhension grandissante de la
Conférence française face à l’évolution de la mission mise entre les mains du seul Émile
Brès.
Le Synode de 1912 ne fait que signaler, au passage, le centenaire de la Société des
Missions Méthodistes Wesleyenne (la WMMS) pour se pencher plutôt sur ses problèmes
de réorganisation interne. Il donne donc rendez-vous au prochain Synode, qui sera un
Synode général, pour répondre à la question de l’orientation à donner aux Églises.
Laissons le dernier mot au missionnaire Brès qui, dans le Rapport annuel 1914 de la
mission, écrit : « Cette année 1913-1914, qui finit dans l’angoisse et le deuil, a été pour
notre œuvre, jusqu’en juillet, une année de bénédiction et la meilleure que nous ayons
passée en Kabylie454. » En effet, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie le 2 août 1914,
et à la France, alliée de la Russie, le 3 août. C’est le début de la Grande Guerre.
453
CF 1911-3-577-578.
454
Ev du 11 novembre 1914, pages intercalaires.
195
5 – La Guerre de 1914-1918 et la fin de la mission méthodiste française
en Kabylie
Comme on pouvait s’y attendre, la guerre provoque un tarissement rapide de nos
sources documentaires. L’Évangéliste ne sort plus des presses qu’une fois tous les quinze
jours, et la Correspondance fraternelle se raréfie : au lieu des quatre recueils trimestriels
de lettres, nous n’en possédons qu’un pour quatre ans, daté de janvier 1917 (mais peut-être
en existent-ils d’autres dont nous n’ayons pas connaissance !). Les exemplaires de
l’Évangéliste de la période étudiée sont donc nos sources les plus précieuses, notamment
les Rapports missionnaires annuels qui continuent, bon an mal an, de paraître.
Le premier effet de la guerre consiste en un brutal affaissement des rentrées financières,
et en pertes de pasteurs et de fidèles, mobilisés. L’éditorial de l’Évangéliste du 11
novembre 1914, signé de Thomas Hocart, est révélateur. Il est intitulé Notre détresse et
énumère les mesures drastiques prises par le Comité missionnaire :
Les demoiselles missionnaires en congé ont été invitées à rester dans leurs familles,
le Comité ne pouvant pas se charger de leur entretien pendant la durée de la guerre.
Au lieu du Rapport annuel, il sera publié une simple feuille encadrée dans
l’Évangéliste par motif d’économie. Le salaire des missionnaires a été réduit de 100
Fr. par trimestre pour chacun des missionnaires (les demoiselles missionnaires ne
touchant plus aucun salaire). Les allocations pour les différentes branches d’activité
ont été supprimées, sauf une modeste allocation pour médicaments. M. Palpant,
notre artisan-missionnaire, est mobilisé et au front. M. Brès, seul à Il Maten, va se
trouver bien affaibli pour continuer l’oeuvre missionnaire.455
5-1 Les premiers morts
L’année 1914 finit dans le deuil pour les méthodistes français qui perdent leur premier
pasteur. Le jeune Bertin Aguillon tombe, en effet, dès le 20 septembre, à Hattonchatel dans
la Meuse, où il était infirmier-brancardier. Il est originaire des Vignes, un hameau proche
de Valleraugue, où il est né le 24 juin 1885. Il est admis par le Synode de Nîmes (1908) à
455
Ibid.
196
commencer son noviciat à Bourdeaux. Il est consacré au ministère pastoral en 1910456 Il
est en poste à Anduze au moment de sa mobilisation. Et meurt à 29 ans, laissant une veuve.
Et l’année 1915 commence elle aussi dans le deuil. Le pasteur Onésime Prunier perd le
quatrième de ses six enfants, son fils Robert, tué en Argonne le 17 janvier. Il reçoit une
balle dans le front en se penchant pour relever un blessé, car il était engagé comme
ambulancier. Robert Prunier se préparait à être pasteur, mais plutôt dans l’Église réformée
de France, attiré qu’il était par le christianisme social457. Ces deux pasteurs, heureusement,
sont les seuls pasteurs (méthodistes ou, comme Robert Prunier, de la famille) tombés
pendant la Grande Guerre. D’autres pasteurs sont décédés, mais pas par fait de guerre
5-2 Fonctionnement de la mission pendant la guerre
La mission d’Il Maten, gérée par Émile Brès seul
La mission, dont le Comité est toujours resté dans le Midi de la France, continue de
fonctionner, avec Émile Brès seul à Il Maten, et avec un budget diminué de moitié !
Le Synode ne se réunit pas en 1915. Le Bureau élu en 1914 continue son travail et
prend la direction de la gestion de la mission, remplaçant de fait le Comité missionnaire.
Le Rapport annuel, sur deux pages intercalaires, est inclus dans l’Évangéliste du 9
décembre 1915458. Et la lettre d’Émile Brès aux amis des Kabyles, qu’il contient, est
intéressante à plus d’un titre. Par exemple, nous sommes en droit de penser que la misère
des Kabyles doit augmenter considérablement en ce début de guerre, puisque le budget
missionnaire ne permet plus d’aide sous forme de temps de travail ou en distribution
d’orge. Mais Brès nous apprend qu’il n’en est pas ainsi, paradoxalement, car de
nombreuses familles ont plusieurs de leurs hommes au front, et reçoivent une allocation
donnée, comme en France et au même taux, aux familles de ceux qui sont mobilisés. Si
bien que les Kabyles sont plus riches que d’habitude, malgré le renchérissement des
produits alimentaires de base !
Quant à l’œuvre elle-même, M. Brès peut être fier : il a baptisé sept nouveaux
456
AcC 1910, p. 5 : « Le service de consécration a eu lieu en plein air, dans les environs de Lasalle. Le
sermon a été prononcé par M. le pasteur O. Prunier, qui a pris pour texte le mot : consacrer. »
457
Anonyme, In Memoriam, Compte rendu du service religieux célébré à la mémoire de Robert Prunier,
Alençon et Cahors, Coueslant, 1915.
458
Ev du 9 décembre 1915, p. 147 à 150.
197
convertis, et son fidèle muletier Mohand Ou Amar, converti depuis longtemps, demande à
son tour le baptême. Et puis la famille Brès n’est pas tout à fait seule. M elle Labarthe, en
effet, les a rejoint à Noël 1914, à ses propres frais, et leur est d’une aide inappréciable car
les demoiselles Annen et Buticaz sont restées en Suisse, et Melle Gaussen n’est pas venue à
Il Maten, par manque d’argent. Émile Brès, de plus, préside à deux bénédictions de
mariage pendant l’été 1915. Avec les baptêmes, il peut parler, désormais, d’un réveil parmi
les Kabyles à Il Maten. Si bien qu’en lieu et place du logement du deuxième missionnaire,
il installe une chapelle, la première dans l’histoire de la mission méthodiste en Kabylie.
La question de la tenue du Synode se pose de nouveau en 1916. Et, pour finir, celui-ci
n’est pas convoqué. Le Bureau du Synode se réunit à Paris les 14 et 15 juin 1916
pour régler les affaires courantes.
Le bureau s’est occupé de la mission en Kabylie. Notre missionnaire, M. E. Brès fils,
renonce au congé annuel auquel il a droit cette année, pour rester à son poste. La
situation financière a paru assez satisfaisante pour permettre le retour, en octobre, d’une
des demoiselles missionnaires, Melle Annen459.
L’éditorial du Rapport missionnaire commence par fêter les dix ans de présence de M.
Émile Brès fils à Il Maten ! Il continue en comptant 12 convertis à la mission. Deux
d’entre eux font le bonheur du missionnaire par leur dévouement à la cause chrétienne : le
muletier Mohand Ou Amar et la jeune Méléha. Au 15 mai, il manque encore 9281,40 Fr.
pour boucler le budget, clôt le 30 septembre. Le déficit se creuse en doublant presque
chaque année. En 1914, le budget est de 16 000 Fr. et passe à 8 000 Fr. en 1915 : il manque
donc 8 000 Fr. chaque année, et le personnel missionnaire est (presque) au complet …
Le développement du conflit qui oppose Brès et Cook
Pendant tout le temps de la guerre, une crise profonde s’est développée entre Émile
Brès fils et Jean-Paul Cook-Jalabert, crise qui a en fait provoqué la fin de la mission
protestante française à Il Maten. La méthode Oberlin, en effet, ne plaît pas à tout le monde.
Sur le conflit qui en a résulté, nous avons deux points de vue : celui de Brès, qui nous est
459
Ev 6 juillet, p. 75.
198
connu, et celui de Cook, qui est connu par Madeleine Souche460.
Mais laissons d’abord la parole à Brès :
Une terrible attaque contre cette méthode [Oberlin] … est déclanchée en 1918 par
M. Griffith, aidé par M. Cook, mais le Synode méthodiste en France (Synode de
Bourdeaux, 5-8 septembre 1918) justifie M. Brès et blâme M. Cook, … et décide
de rechercher une société importante qui puisse défendre efficacement ses agents
contre les calomnies du dehors et en même temps donner à l’œuvre les dimensions
plus vastes que son succès réclame461.
Et Brès ajoute462 :
M. Griffith avait, en 1916, loué mes efforts d’évangélisation par le travail, pourquoi
en 1918 a-t-il changé d’avis, je ne le sais absolument pas ; … sans rien dire, il s’est
entendu avec M. Cook, alors au Maroc, ce dernier est venu faire une enquête, non
pas sur la station, car il n’a questionné ni moi, ni ma femme, ni les demoiselles
missionnaires, ni les convertis, mais uniquement les catholiques du dehors, d’El
Kseur (13 km.), essayant d’obtenir, mais en vain, des témoignages écrits contre moi,
dénaturant les faits les plus beaux. … Sans m’avertir, sans que rien fasse prévoir ce
coup de tonnerre dans un ciel rempli des clartés de l’aurore par les petits réveils à Il
Maten de 1914-1915, il écrivit au Comité, de connivence avec M. Griffith, des
horreurs qu’il rétracta cinq mois après, reconnaissant qu’il ne pouvait les prendre à
son compte et que c’étaient seulement des bruits entendus.
Madeleine Souche, de son coté, explique le départ de Palpant, qui reproche à Brès de
se kabyliser : « M. Brès fait ses tournées en s’habillant en Kabyle, il ne lui manque qu’un
chapelet … et il est plus que jamais la risée des indigènes »463. Quant à Jean-Paul Cook
lui-même, son jugement est sévère :
460
M. SOUCHE, op. cit. p. 116 à 140.
461
É. BRÈS Fils, Mission de l’Afrique du Nord, p. 4.
462
Ibid p. 10.
463
M. SOUCHE, op. cit. p. 139.
199
Notre manière de conduire l’œuvre missionnaire est bien différente. Pour moi l’œuvre
spirituelle était la bonne. Prêcher le Christ et son amour par la croix, oui. J’avais plus
d’écoles, plus de réunions, plus de tournées missionnaires, tout était pour la parole de
Dieu. Comme me le disait en pleurant ce Kabyle : maintenant tout est pour le
commerce, le commerce a tué la parole de Dieu. … De par sa volonté, M. Brès
permet aux Kabyles chrétiens qui communient de lever le verre au lieu de le boire :
est-ce une nouvelle coutume méthodiste ? Christ a dit : Buvez-en tous. M. Brès a
décidé qu’il suffisait de lever le verre … M. Brès a tué l’œuvre, et je le crois et je ne
suis pas le seul à le croire. Lui-même est persuadé du contraire, il dit modestement
qu’il a obtenu des résultats et commence à organiser une communauté berbère.
J’aurais mieux aimé une communauté chrétienne464.
Brès cite une circulaire465, signée de Louis Parker et datée du 14 février 1920, qui
revient sur le conflit et l’explique. Louis Parker revisite l’histoire de la mission pendant les
années de guerre. Et il affirme que « l’action que M. Cook a jugé bon de prendre n’a fait
que précipiter les choses (la nécessité d’un Comité plus fort, plus ample)466 ».
Essayons, à partir de tous ces témoignages, de reconstituer les faits.
D’un voyage à Il Maten où ils étaient allés se recueillir sur la tombe d’un de leurs
enfants, les époux Cook ramènent des bruits de scandales : Brès aurait menacé d’un
coup de fusil un gardien couché avec une des filles qui étaient hébergées à la
mission, une autre jeune pensionnaire, enceinte, se serait suicidée, … Le directeur
est accusé de négligence. Mais, plus fondamentalement, ce sont les positions
théologiques pratiques du pasteur Brès qui posent problème467.
Brès se défend, demande une enquête impartiale. Les enquêteurs sont difficiles à
trouver, même parmi les missionnaires voisins d’Il Maten, et l’affaire traîne de janvier à
septembre 1918. Brès en appelle au Synode de Bourdeaux, « pour se justifier des attaques
de M. Cook. Mais en l’absence de M. Cook, M. Brès ne pouvait se justifier sans accuser
464
Ibid. p. 139.
465
Émile BRÈS Fils, Mission de l’Afrique du Nord, p. 10.
466
Ibid. p. 10.
467
M. SOUCHE, op. cit. p. 138.
200
M. Cook de s’être fait contre lui le rapporteur des faits ou des dires qu’il considérait
comme portant atteinte à son honorabilité. M. Cook n’étant pas là, la Commission se
trouvait dans une impasse468 ».
Plus tard, M. Cook reconnaît que beaucoup de ses allégations participent, en fait, de la
calomnie. Mais le mal est fait. Émile Brès est placé à Asnières, peut-être pour l’éloigner un
temps de la Kabylie, où Oberlin et la théologie qui l’accompagne et le justifie sont
contestés.
5-3- La fin de la mission méthodiste française à Il Maten
Le synode de Bourdeaux et la SMEP
L’urgence de la tenue d’un Synode s’est fait durement sentir pendant les années de
guerre. Celle-ci n’est d’ailleurs même pas terminée que le Bureau du Synode décide,
malgré tout, de réunir celui-ci à Bourdeaux entre le 5 et le 8 septembre 1918. M. Bysshe,
surintendant de l’œuvre méthodiste épiscopale en France, est présent au Synode469. Sont
présents aussi Melle Lina Gaussen, M. et Mme Brès et leurs enfants, et Melle Labarthe. Melle
Gaussen est accompagnée du petit Kabyle qu’elle a adopté. Le témoignage d’Émile Brès
devant le Synode, corroboré par les autres membres de la délégation d’Il Maten, est
irénique : après le réveil de 1914, la mission a connu sept autres baptêmes, et « une
vingtaine de Kabyles, cette année, ont rompu vraiment avec le grand jeûne musulman, le
Rhamadan470 ». Pourtant, et curieusement, le Synode place Émile Brès fils en poste à
Asnières. Le Synode s’en explique ainsi :
À propos du stationnement de M. Brès fils à Asnières, ajoutons, pour être complet,
qu’il demeure le surintendant d’Il Maten, mais qu’il est chargé provisoirement de
plaider en France, par la plume et par la parole, la cause de l’évangélisation des
musulmans, pour trouver des ressources financières nouvelles ». Et « pendant
468
Ibid. p. 10.
469
Par l’Évangéliste du 25 juin469 1909 nous apprenons qu’a eu lieu, à Grenoble, le deuxième Synode de
l’Église Méthodiste Épiscopale, présidé par son Évêque, le Dr Burt, du 25 au 30 mai 1909. Ces méthodistes
américains ont débarqué à Marseille probablement en 1907, sont remontés le long de la Vallée du Rhône en
1908, et ont ouvert de nouvelles salles à Villefranche du Rhône et à Bandol au cours de l’année 1909. Ils
éditent un nouvel organe de presse, Le Flambeau.
470
Ev 12 septembre 1918 p. 74.
201
l’absence du missionnaire, le personnel de la mission sera composé de Melles Labarthe
et Gaussen. M. Émile Brès, pendant la durée de son séjour en France, exercera la
surintendance de la mission.471
Il est vrai que la charge confiée à Émile Brès de trouver de nouveau financements pour
Il Maten est appropriée : le déficit est colossal, et des négociations ont déjà eu lieu avec la
Société des Missions Évangéliques de Paris pour « obtenir une coopération dans
l’administration de la mission en Kabylie472 ».
Émile Brès reprend d’abord contact avec le directeur de la SMEP, le pasteur Jean
Bianquis, et rendez-vous est pris pour l’après-midi du 14 octobre 1918. La trace de la
conversation reste dans les procès-verbaux de la Comission exécutive de la SMEP.
L’Église méthodiste est représentée par les pasteurs Parker et Auguste Faure, et le laïque
M. Faivret. Tous sont délégués par le synode. Pour la SMEP sont présents M. de Vismes,
M. Beigbeder, M. Allier et le directeur M. Jean Bianquis. Les méthodistes exposent leurs
désirs :
1) Établir la coopération de la SMEP dans l’administration de la Mission de Kabylie
2) Établir un projet d’accord spécifiant dans quelles conditions cette coopération
pourra se réaliser.
3) Présenter un rapport sur ce sujet au prochain synode lequel statuera en 1919473.
Pressés d’expliquer pourquoi ils font cette demande, les délégués méthodistes
répondent que le synode, à cause de la guerre, a perdu le contact avec sa mission, et qu’il
est de toute façon débordé par la tâche. De plus, l’œuvre industrielle d’Émile Brès
demande plus de personnel et plus de compétences. À propos de la personnalité d’Émile
Brès, Parker confirme ce que nous savons par ailleurs, que Brès est en conflit avec ses
collègues, à propos de son œuvre industrielle, et de l’exiguïté des locaux qui pose de vrais
problèmes de cohabitation. Les méthodistes précisent leurs désirs aux délégués de la
SMEP : ils souhaitent partciper de plein droit à une commission mixte qui gèrerait la
mission avec les moyens financiers conjoints, le tout dirigé par Émile Brès.
471
Ev 12 septembre 1918, p. 75.
472
Ibid.
473
Pv SMEP 14 octobre p. 234.
202
M. Allier demande si une solution ne devrait pas être cherchée dans la constitution
d’une société industrielle, analogue à notre SAIO. Cette société pourrait être créée par le
synode méthodiste en faisant appel à des compétences spéciales, celles-ci pouvant être
prises au sein du Comité des Missions474.
Sentant les réticences des délégués de la SMEP,
M. Auguste Faure se sent pressé d’avouer que la personnalité de M. Brès est un des
éléments essentiels de la question. Si tous rendent justice à sa piété, à sa droiture et à
son zèle, tous ne sont pas convaincus de sa compétence. Il est probable qu’avec un autre
missionnaire475 l’offre présentée n’aurait pas été faite au Comité des Missions476.
En conclusion de ses échanges, il est décidé entre autre que le Comité des Missions
étudiera la question dans sa séance du 4 novembre, et qu’après cette date seulement le
Comité rentrera en contact avec M. Brès. Une deuxième rencontre sera alors possible, le 18
novembre, entre les délégués de la SMEP et ceux de l’Église méthodiste accompagnés de
leur pasteur missionnaire.
Le compte-rendu de la séance du 4 novembre rapporte pourtant que :
Une conversation s’engage à la suite de laquelle le Comité émet l’avis unanime que,
devant l’impossibilité où nous sommes, étant donné les circonstances actuelles, nos
charges déjà excessives, […] nous ne serions absolument pas compris de nos amis si
nous leur annoncions la reprise même indirecte ou progressive d’une œuvre nouvelle
[…]. Il estime, dans ces conditions, qu’il est absolument inutile de faire venir à la
Maison des Missions les membres de la commission méthodiste pour, après une
discussion d’une après-midi entière477, arriver à dire à ces frères que nous ne pouvons
rien faire pour eux.
Malgré la déception que cette attitude pourra causer à M. Brès, il paraît sage au Comité
de dire dès maintenant à nos frères méthodistes que nous ne pouvons rien faire
474
Pv SMEP 14 octobre p. 237.
475
N’oublions pas que Brès est un ancien élève de la Maison des Missions !
476
Pv SMEP 18 octobre p. 237-238.
477
Celle du 18 octobre !
203
actuellement pour l’œuvre de Kabylie. Le Directeur est chargé d’en informer M. Parker.
L’accord avec les méthodistes épiscopaliens américains
Ayant ainsi appris la défection de la SMEP,
M. Brès, demeuré surintendant de la mission, et le Comité, obtiennent en 1919 le
transfert de la mission, ses immeubles, ses ouvriers en bloc, à l’Église Méthodiste
Épiscopale que le Comité de continuation de la Conférence missionnaire universelle
d’Edimbourg a chargé de l’Afrique du Nord à défaut de la Société des Missions de
Paris, et qui a recueilli déjà plusieurs petites œuvres missionnaires en Afrique du
Nord478.
Un petit ouvrage, intitulé Les pierres crieront479, édité à El Biar (Alger) et daté de
novembre 1960, raconte l’histoire abrégée de cette fameuse Mission méthodiste épiscopale
en Afrique du Nord480. Et ce qu’il dit sur le passage d’Il Maten entre les mains de cette
mission américaine complète la version donnée par M. Brès :
La mission de l’Église Méthodiste en Afrique du Nord est en marge d’une Conférence
internationale des Écoles du Dimanche qui eut lieu à Rome en 1907. Les délégués
américains à cette conférence voyageaient vers l’Italie à bord de deux paquebots qui
firent escale à Alger. Le S.S. Romanic y fit escale le matin du 8 mai, et les délégués
purent visiter les quelques œuvres missionnaires qui existaient dans la ville depuis une
vingtaine d’années. Venus en visiteurs fort peu informés, ils s’en allèrent avec la
conviction d’avoir entendu un appel de Dieu. Deux semaines après l’escale algéroise,
ces voyageurs avaient déjà réuni les fonds ou les promesses de fonds suffisants pour
inaugurer une nouvelle mission chrétienne en terre d’islam. L’annonce en fut faite à la
Conférence même, et il fut précisé que la nouvelle mission en Afrique du Nord serait
placée sous la responsabilité de l’Église méthodiste481.
478
Émile BRÈS Fils, Mission de l’Afrique du Nord, p. 10.
479
H. L AURBAKKEN, W. N. HEGGOY, Paul BRES, Les Pierres crieront, El Biar (Algérie), 1960, 45 p.
480
Qui n’a pas ou peu de contact avec la mission de l’Église méthodiste épiscopale américaine en France
dont nous avons parlé p.204, n. 469.
481
Ibid. p. 8-9
204
Les Églises représentées à la Conférence de Rome promettent, en plus de leur
intercession, une aide financière pour une durée de cinq ans. L’Évêque Hartzell est
pressenti pour diriger cette mission et il l’accepte. Six mois après, L’Église Méthodiste
Épiscopalienne donne son accord à la création de cette mission. Un an plus tard (1908),
l’Évêque Hartzell peut déclarer : « L’œuvre a commencé. L’Église méthodiste a planté son
étendard devant les remparts de l’islam en Afrique du Nord482. » Et la première assemblée
annuelle de la mission en Afrique du Nord de l’Église Méthodiste Épiscopalienne a lieu à
Alger, du 1er au 5 avril 1910. En 1919, cette mission possède cinq stations : Tunis (1908),
Alger (1908), Constantine (1910), Oran (1911), Fort National (1911), auxquelles se
joignent Il Maten en 1919 et Sousse en 1920. « Il entrait dans le plan méthodiste de créer
un milieu composé de chrétiens de toutes les souches, un milieu où le chrétien d’origine
kabyle ou arabe se sentirait aussi à l’aise que le chrétien d’origine européenne483 ».
Émile Brès, au Synode de Bourdeaux, entre sûrement en contact avec le surintendant
Bysshe de l’œuvre méthodiste épiscopale en France. Il ne peux pas ne pas connaître non
plus l’œuvre des méthodistes américains en Afrique du Nord, présents à Fort National et à
Constantine, aux portes d’Il Maten ! Avec le Comité de la mission, il travaille donc, à
partir d’Asnières, à céder la mission d’Il Maten aux méthodistes épiscopaux présents en
Algérie. Le Synode de 1919 se tient à Paris (Rue Demours), entre le 10 et le 14 juin. Pour
la première fois depuis 1888, la station nommée : Kabylie, Il Maten a disparu des Actes.
Émile Brès fils se trouve désormais sous la rubrique : Pasteur cédé à l’Église méthodiste
épiscopale. Enfin, dans les Actes du Synode de 1919, nous trouvons la chronique
nécrologique de la mission méthodiste française en Kabylie :
Considérant que les démarches du Comité auprès de la Société des Missions
Évangéliques de France, en vue d’une coopération, n’ont pas abouti ; et que, d’autre
part, le secrétaire général de la Société des Missions Wesleyennes de Londres se
montre favorable à une cession de notre mission de Kabylie aux méthodistes
épiscopaux déjà installés en Afrique du Nord ; … décide, sur la proposition du
Comité missionnaire, d’accepter le principe du transfert de l’administration de la
mission d’Il Maten à la Société des Missions de l’Église Méthodiste Épiscopale du
482
Ibid, p. 11.
483
Ibid, p. 18.
205
Nord de l’Afrique.484
Le Comité français de la mission est chargé de la vente des immeubles, et de régler
toutes les questions afférentes à cette cession. Pourtant « le Synode émet le vœux que
l’Église Méthodiste de France, qui a fondé la mission en Kabylie, continue à s’intéresser à
cette œuvre qui lui est chère, en collaborant à son développement par ses prières et par ses
dons485 ». Émile Brès fils reste à Il Maten. Il est heureux de constater que les Américains
tiennent à aider la mission, d’une part pour financer la venue d’une quatrième aidemissionnaire, d’autre part pour construire l’hôpital tant désiré. Et il ajoute, dans une lettre
du 17 juillet 1919 :
On voit par ces deux exemples combien nous devons être reconnaissants aux
méthodistes d’au-delà de l’Atlantique de venir nous aider à porter le fardeau. Rien ne
sera changé au point de vue spirituel, mais du point de vue administratif, nous aurons le
bénéfice de l’expérience d’une des plus grandes sociétés des missions du monde … 486
L’histoire de la mission méthodiste française en Kabylie s’arrête là. L’histoire de la
mission méthodiste épiscopalienne commence, mais c’est déjà une autre histoire !
5-4- Bilan
Essayons de suivre encore un peu, à travers les rares textes qui éclairent notre route, la
trace du dernier pasteur en poste à Il Maten sous la direction de l’Église méthodiste
française. L’Église méthodiste épiscopale prend donc possession de la station d’Il Maten
en 1919. Tout le personnel est conservé, et le Synode provincial de l’Afrique du Nord de
l’Église américaine insiste sur la nécessaire solidarité entre l’ancienne et la nouvelle
propriétaire de la mission, et demande à l’Église Méthodiste Française une mutuelle
coopération. Pendant la guerre, le budget de la mission est passé de 16 000 Fr. à 8 000 Fr.
par an. En 1920, il passe à 160 000 Fr. soit vingt fois plus, répartis ainsi : 120 000 Fr. pour
484
AcC 1919, p. 16.
485
Ibid. p. 16-17.
486
Ev 27 juillet 1919, p. 64.
206
les dépenses courantes, et 40 000 fr. affectés à la construction de nouveaux bâtiments.
Même en tenant compte que le Franc 1919 n’a plus la valeur du Franc 1914, Émile Brès
est désormais à l’abri des problèmes d’argent ! Il en profite pour appeler à son aide le
pasteur Rochedieu, alors en poste à Montbezat, dans la Haute-Loire. M. Rochedieu
accepte, et vient s’installer à Il Maten.
D’ailleurs le personnel de la mission ne cesse de s’étoffer. En 1921, Émile Bès travaille
avec trois jeunes aides kabyles, pendant que M. Rochedieu s’occupe de la jeunesse. M elle
Labarthe est employée à l’œuvre religieuse auprès des femmes, M elle Gaussen gère la
crèche et l’œuvre médicale, et Melle Parker prend en main l’œuvre industrielle féminine,
avant de s’intéresser à l’école dont la construction est prévue. Enfin, un docteur est payé
pour venir chaque semaine.
Et puis la mission s’exporte ! Vingt hectares de terrain sont achetés à Sidi Aïch, dans la
vallée, avec une maison dans laquelle M. Brès et sa famille s’installent en 1922. À Il
Maten, 43 Kabyles sont baptisés dans l’année. Et le nombre des membres d’Église passe
de 60 à 90. L’école de tapis d’Orient reçoit en cette année 1921 une médaille d’or à Alger,
et continue d’employer les femmes seules, abandonnées ou veuves. Enfin, une nouvelle
infirmière diplômée arrive de Genève. Bref, l’activité de la mission explose, libérée par
l’apport d’argent frais. Émile Brès est enthousiasmé. Il devient secrétaire de la Conférence
Méthodiste Épiscopale en Afrique du Nord, et membre de son Conseil Régional. Installé à
Sidi Aïch, il y transporte l’œuvre masculine, laissant l’œuvre féminine à Il Maten. Un
téléphone relie les deux stations, ainsi qu’une automobile pour laquelle, à Il Maten, on a
construit un garage.
Mais, en 1923, la crise mondiale atteint l’Amérique du Nord. En Kabylie, tous les
projets s’arrêtent brutalement, tout est en suspens, rien n’est terminé. L’œuvre fonctionnait
si bien …
Mais, chose grave, écrit Brès, M. Frease (l’évêque méthodiste) ne s’est pas rendu
compte du désir des Kabyles de vivre en village chrétien, il a même fait marche arrière
au point de vue industriel, ne voulant conserver que des écoles et non des œuvres d’aide
réelle aux indigents et aux jeunes ménages, comme s’était la tradition (sic) d’Il
Maten487.
487
É. BRÈS Fils, Mission de l’Afrique du Nord, p. 7.
207
Les textes ne parlent plus d’Oberlin, mais il semble bien que, même si au début des
relations entre Émile Brès fils et l’Église Méthodiste Épiscopale celle-ci n’était pas hostile
au projet industriel du missionnaire, elle le devient désormais, et désavoue la théologie du
salut par le travail488 préconisé par Émile Brès. La défiance est telle que Mr. Frease
transfert à Alger la gestion financière d’Il Maten, en en dépossédant Brès.
Celui-ci, toujours préoccupé de la réalisation de sa cité chrétienne, prend acte du fait
que son projet n’est plus réalisable à Il Maten. Il confie la direction de la station à M.
Rochedieu, fait revenir Melle Annen de Suisse, refuse le poste d’Alger, pourtant
prestigieux, et quitte l’Algérie en 1924. « Il suggère (à Mr. Frease) la création d’une œuvre
pour les Kabyles émigrés en France, dans l’espoir de fonder là-bas une cité-jardin-kabylemodèle qui permettra aux ouvriers rentrés dans leur chère Kabylie d’y appliquer les
révélations spirituelles et sociales trouvées dans cette cité »489.
M. Frease joue le jeu. Il propose à Émile Brès de demander 10 000 Fr. au Synode
français pour démarrer l’œuvre à Paris, ville où il y a le plus de Kabyles. Mais le Synode
refuse, et Frease renonce. Émile Brès part alors à Lyon (à Paris les Kabyles sont trop
dispersés et l’anarchie règne à Marseille). Là, le missionnaire a d’emblée beaucoup de
problèmes pour trouver où loger son projet, à cause de l’hostilité des Lyonnais. Il fonde
tout de même une Association d’aide aux émigrés et aux travailleurs Nord-africains.
Ainsi, malgré d’énormes difficultés, Émile Brès cherche toujours à établir quelque part son
village chrétien. Mais, en 1925, la Conférence méthodiste épiscopale « lui demande de
renoncer à s’occuper des immigrés et des Kabyles ; il donne sa démission, à condition
qu’on lui rembourse ses frais, et il part avec armes et bagages 490» pour la Drôme.
Dans les Actes du Synode méthodiste français de 1930, Émile Brès fils est pour la
première fois considéré comme démissionnaire. Jusque là, il était cédé à l’Église
Méthodiste Épiscopale. Émile Brès fait un intérim à Livron, puis un autre à Cliousclat,
avant de prendre en charge le poste de Saint Péray en Ardèche (nous ne savons pas dans
quelle Église) où il reste de 1929 à 1941. Pendant ces douze années ardéchoises, M. Brès
ne cesse pas de tenter de revenir en Algérie. Mais il se heurte à un front du refus contre sa
488
« Les méthodes missionnaires doivent être systhématiquement chrétiennes-sociales » (Ibid. p. 5).
489
Ibid p. 7.
490
É. BRÈS Fils, Mission de l’Afrique du Nord, p. 8.
208
théologie de l’évangélisation par le travail, déjà contesté par Jean-Paul Cook, Palpant, et
Griffith, sans compter l’évêque Frease, et contre son projet utopique de cité chrétienne
refuge idéale. Émile Brès ne peut donc pas revenir évangéliser l’Algérie.
Et pourtant nous possédons un texte signé par Émile Brès et daté du 27 avril 1947. Il se
présente comme « Missionnaire envoyé en Kabylie, par la Société des Missions de Paris ;
participant au Synode Réformé de 1946 – Alger ; Président de la Commission
d’Évangélisation de la Conférence Méthodiste de l’Afrique du Nord », et les destinataires
de ce texte sont respectivement : « Monsieur le Président de la Fédération Protestante de
France ; Monsieur le Directeur de la Société des Missions de Paris ; Monsieur le Président
du Conseil Régional Algérien des Églises Réformées »491. Ce texte est une apologie un peu
confuse d’une mission en Kabylie qui devrait être prise en charge par la SMEP. Mais ce
texte est aussi la dernière trace que nous possédions d’Émile Brès. Enfin, en 1955, nous
savons que c’est son fils, le pasteur Paul Brès, qui remplace Alfred Rolland à la tête du
« Conseil des missions en Algérie » alors qu’il est lui-même surintendant de la mission
méthodiste américaine en Algérie492.
491
Émile BRÈS, L’Algérie champ de mission, Texte dactylographié, sans lieu, 1947.
492
Guita et Alfred ROLLAND, Un combat de la foi. 70 ans de vie missionnaire évangélique à Tizi-Ouzou,
Crempigny, Mission Rolland, 1984, p. 181.
209
CONCLUSION GÉNÉRALE
Nous avons essayé de suivre pas à pas l’histoire de la petite mission méthodiste
française en Kabylie, minuscule avatar de la grande épopée missionnaire de la WMMS
(Société Missionnaire Méthodiste Wesleyenne). Et, nous l’avons vu, cette histoire se
décompose facilement en trois temps, chacun dominé par la personnalité du pasteur qui a
la charge de la mission. Ces trois temps sont aussi fortement influencés par les idéologies
qui, même en Kabylie, orientent la vie du monde en cette fin du XIXe siècle.
* La première implantation, avec le pasteur anglais Thomas Hocart, s’est opérée dans
l’orbe de la Conférence de Berlin (1885). À ce moment la colonisation, accompagnée de sa
batterie d’arguments qui la justifient, commence pour de bon. Thomas Hocart est le typemême du pasteur missionnaire anglais évangélisant en terre étrangère, peu préoccupé
d’ouvrir la voie aux armées conquérantes, mais seulement d’amener les Kabyles de son
village et des villages environnants à l’Évangile. La seule différence avec ses collègues des
autres stations missionnaires en pays lointains, c’est qu’il se heurte à un front solide de
coutumes ancestrales kabyles puissantes, d’hostilité récurrente contre l’occupant français
de la Kabylie, et d’attachement irréductible à l’islam.
210
Il s’épuise à la tâche, prêchant l’Évangile sur les places des villages ou sous les auvents
des mosquées, en vain, à des gens qui n’ont, et de loin, ni la même culture ni les mêmes
schémas mentaux capables d’autoriser des relations de simple compréhension.
Le missionnaire et sa famille occupent un petit logement à peine salubre, subissent le
climat rude et contrasté de la Kabylie, sans se plaindre. En effet, ils sont entourés de
Kabyles beaucoup plus à plaindre qu’eux.
Après cette évangélisation « pure et dure » mais inefficace, les soins aux malades
prennent le relais. Hocart développe l’évangélisation par les soins médicaux. Il pense que
eux qui viennent à la mission, les malades entre autres, doivent avant tout y rencontrer le
Christ.
Et, petit à petit, ce sont les plus pauvres, les plus malades, les plus abandonnés qui
entendent l’Évangile, sans pour autant que celui-ci pénètre bien profond dans leur cœur.
Hocart est celui aussi qui a tenté de mettre en place, à Il Maten, une école de semaine (ce
qui, pour nous, est l’école primaire). L’idée est fondamentale pour les méthodistes
français : par l’école, les jeunes appennent à lire et à écrire, et apprennent la langue
française, ce qui les rend autonome quant à la lecture personnelle de la Bible. Quand
Thomas Hocart s’en va, en 1893, il est épuisé et déçu : pas de conversion, encore moins de
baptême, et aucun Kabyle qui se sente, de près ou de loin, concerné par l’Évangile.
*
Jean-Paul Cook le remplace à la direction de la mission. Le style est différent. Jean-
Paul Cook est français, d’origine anglaise par son grand-père Charles Cook. Et le
missionnaire se heurte, quant à lui, à la défiance de l’administration française qui avait déjà
causé des ennuis à Thomas Hocart. Mais sa jeunesse et son dynamisme, son goût pour
l’Afrique du Nord et de la mission, lui permettent de combattre efficacement contre les
détracteurs, en France, des missions protestantes d’origine anglaise en Algérie. Cook
continue ce qu’avait commencé Hocart, les soins aux malades, mais accentue l’aide aux
plus défavorisés, en particulier pendant les grandes famines hivernales. Thomas Hocart
avait initié les distributions d’orge, les grands repas de macaronis à la sauce piquante à
Noël, et le payement contre quelques piécettes d‘argent d’un peu de travail manuel. Cook
développe l’ensemble du volet social de la mission.
Mais son caractère trop indépendant le pousse à l’aventure, et l’aumônerie des
légionnaires de la Légion Étrangère l’attire vivement. Il avait commencé son ministère à Il
Maten par un violent conflit avec M. de Saint-Vidal, que le Synode méthodiste français lui
avait envoyé pour le seconder. Et il quitte la mission sur un autre conflit avec son cousin
Émile Brès venu, lui aussi, à son aide.
211
* Émile Brès, qui est totalement français, reprend donc le flambeau en 1909. C’est un
intellectuel de son époque, vivant pleinement la montée en puissance des grandes
idéologies sociales et utopiques, et qui essaye de concilier la foi chrétienne avec l’idée de
progrès social. Il analyse aussi l’islam comme une force aliénante, soumettant les peuples à
un esclavage dont il faut les délivrer par la conversion à l’Évangile. Mahomet est un faux
prophète et un menteur pour Brès, qui n’a pas de mots trop durs contre l’islam et son
prophète, et qui se bat pour libérer les Kabyles de son emprise. Pour ce faire, il développe
imprudemment le concept d’évangélisation par le travail, mettant en place une structure
artisanale, industrielle et commerciale, rentable, et justifiée par le besoin qu’ont les
Kabyles convertis de se protéger de leur milieu d’origine devenu hostile. D’ailleurs les
conversions et les baptêmes se multiplient : les Kabyles se pressent autours de la mission,
certainement attirés par l’espoir d’une vie meilleure. Et ils comprennent naturellement que
le passage par le christianisme leur apporte du travail et de la considération.
Brès est alors très contesté, aussi bien par Jean-Paul Cook que par les autres pasteurs
missionnaires en Kabylie. Un dernier conflit, particulièrement violent, oppose Jean-Paul
Cook et Émile Brès, et entraine la fin de la direction française de la mission méthodiste en
Kabylie, qui passe sous administration méthodiste américaine.
Au terme de cette évocation, il est difficile de ne pas admirer le courage, la
détermination et la foi de ces pasteurs venus de France pour évangéliser des Kabyles
musulmans. Et que dire de leurs épouses, participant à la vie de la mission tout en élevant
leurs enfants nés dans des conditions pour le moins précaires ! Si nous faisons le compte
des naissances et des morts, nous trouvons dans la période 1887–1912, quatorze
naissances, trois chez les Hocart, six chez les Cook et trois chez les Brès, auquelles il faut
ajouter, chez les Palpant, deux naissances. Et, en plus de celle de M. Berthault, mort en
1893, quatre petites tombes s’alignent, côte à côte, dans le jardin de la mission : une pour
chaque famille.
Mais malgré tout, nous pensons que cette mission en Kabylie, désirée et fondée par la
petite Église méthodiste française en perte de vitesse, était dès le départ vouée à l’échec.
Le manque de moyens financiers ne permettait pas d’avoir deux pasteurs en poste, à moins
d’un déficit prévisible, et encore moins de pouvoir ouvrir d’autres stations missionnaires.
Et les conflits, inévitables dans l’isolement d’Il Maten et l’éloignement du Comité de la
mission, seule autorité de référence, ont amoindri systématiquement l’impact de la
propagation de l’Évangile, car les Kabyles ne pouvaient y voir qu’un contre-témoignage et
212
un mauvais exemple.
L’Église Méthodiste Épiscopale qui a pris le relais à la station méthodiste d’Il Maten,
est restée en Algérie, sous des fortunes différentes, fidèle au méthodisme traditionnel alors
que l’Église Méthodiste de France se fondait dans la nouvelle Église Réformée de France
en 1939.
La présence de l’Église Méthodiste Épiscopale est toujours sensible en Kabylie. Son
premier pasteur d’origine kabyle s’appelle Saïd Flici. Il était originaire de Djemâa Sahridj,
et « il devint pasteur de plein droit, en 1920, ayant reçu les deux consécrations pastorales
(diacre et ancien) que l’Église méthodiste a hérité des anglicans et des catholiques. Il n’y
avait pas eu de Kabyle ministre de l’Évangile depuis la disparition de l’ancienne Église
d’Afrique493 ».
Actuellement nous connaissons au moins deux sites internet de Kabyles évangéliques,
et nous sommes en rapport avec un pasteur méthodiste kabyle avec qui, un jour, nous
espérons visiter Il Maten et la Kabylie.
Enfin, ce travail sur la mission méthodiste française en Kabylie ne trouve sa raison
d’être qu’en relation avec un double projet plus vaste :
1) écrire l’histoire du méthodisme français. Nous avons entendu l’appel de Sébastien Fath :
Bien que l’ancrage évangélique en France ne date pas d’hier, puisqu’il remonte
aujourd’hui à plus de deux siècles, son étude systématique n’est pas encore assez
avancée pour permettre une monographie détaillée. … Implantés plus récemment
que leurs aînés, les protestants évangéliques n’ont pas encore bénéficié de
suffisamment d’enquêtes précises pour qu’une grande synthèse
d’ensemble soit
envisageable. Nombreuses sont les cultures évangéliques à n’avoir pas encore jamais
fait l’objet de recherches académiques. On attend toujours une thèse sur les
assemblées de frères larges, ou sur les darbystes. L’histoire et la sociologie des Églises
évangéliques libres, amorcée grâce au travail de Claude Baty (1999) et d’André
Encrevé (1986) mériterait aussi une relecture complète sous le prisme des sciences
sociales. Quant aux nouvelles unions d’Églises charismatiques ou pentecôtistes, elles
font l’objet depuis vingt-cinq ans d’études de plus en plus nombreuses, en particulier
sous l’angle anthropologique, mais les approches monographiques font défaut, ce qui
493
H. L AURBAKKEN, W. N. HEGGOY, P. BRES, op. cit. p. 20.
213
est aussi le cas pour les baptistes français après 1950. Même le méthodisme
hexagonal, qui compte parmi les courants évangéliques les plus anciennement situés,
n’a jamais fait l’objet d’une étude complète, en dépit du travail de Pierre Sogno sur
ses origines (Sogno 1970)494.
2) Évaluer les rapports non aboutis de cette mission méthodiste française avec le
mouvement missionnaire francophone incarné par la SMEP qui n’a pas pu ou voulu
intégrer cette branche méthodiste et l’a laissée entre les mains de la mission épiscopale
américaine …
Et, à la suite du travail que nous proposons aujourd’hui à l’attention du lecteur, nous
comptons, grâce aux apports des membres de la Société d’Études du Méthodisme Français
récemment créée par quelques étudiants de l’Institut protestant de théologie de Montpellier
et leur professeur M. Jean-François Zorn, participer à l’effort commun demandée par
Sébastien Fath pour mettre à disposition de tous les chercheurs le maximum de
connaissances sur tous les aspects de l’histoire du méthodisme français.
Ce mémoire ne se veut être qu’une modeste contribution utile à la construction de
l’édifice commun. Nous n’en sommes qu’au commencement !
494
Sébastien FATH, Du ghetto au réseau. Le protestantisme évangélique en France, 1800 – 2005, Genève,
Labor et Fides, 2005, p 16.
214
BIBLIOGRAPHIE
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Abrégé : DMWM
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Abrégé : AcC-année-page
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jusqu’en 1893 (complet).
Abrégé : PvC-année-page
215
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Abrégé : AM
L’Evangéliste, Journal du Méthodisme pour les Pays de langue française, à partir du 1er
Janvier 1858 (fait suite aux Archives du Méthodisme).
Abrégé : Ev-année-page
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Abrégé : JME
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Abrégé : Pv SMEP-date-page.
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