La chute du funambule À Jim Brenon Et Aurélien Morrison
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La chute du funambule À Jim Brenon Et Aurélien Morrison
La chute du funambule À Jim Brenon Et Aurélien Morrison Chapitre 1 : Septembre J'habitais dans une grande ville tumultueuse, Coca-Cola City, très représentative du monde. Une fois qu'on avait découvert tout de cette ville plus rien à l'extérieur n'était nouveau. Toute la complexité du monde en miniature était réunit. Dans un monde conformiste toutes les villes se ressemblent. Le vingt et unième siècle avait déjà transformé la Terre comme s'il était venu d'une autre planète et continuait sur sa lancée tambour battant. On le savait tous, Internet avait pris possession de la planète et rien ne serait plus jamais comme avant. C'était un tournant de notre Histoire. Une événement avait également fait beaucoup de bruit, c'était la mort de Dieu. Mais d'autres personnes l'avaient déjà remplacé depuis un moment. Ces écrivains, héros, stars, leaders étaient les Nouvelles Idoles. Et vous savez aussi bien que moi que leurs voies étaient aussi pénétrables celles du Vieux. Je faisais partie d'une bande, comme tout le monde. C'était un groupe de personnes qui se côtoient parce les autres ont ce qu'on a pas, même si on était tous très similaires finalement. C'était encore l'été. On pouvait encore marcher pieds nus dans l'herbe, nous faire doubler par un papillon et aller s'asseoir pour siroter une bière en fumant un cigarette. L'été à l'état pur quoi. Au début de cette année là, on peut dire que ça planait pour nous. On était tous heureux sans vraiment s'en rendre compte, on s'en rendrait compte quand plus tard, tout ira mal. C'était notre dernière année au lycée. Après ça on aurait tous notre diplôme en poche pour partir faire les cinq dernières années d'études de notre vie avant de pouvoir trouver un job qu'on déteste, nous marier avec une personne détestable, élever des sales gamins et mourir dans l'oubli et le mépris. Mais pour l'instant l'ambiance était donc au beau fixe, pour toute la bande. On était cinq dans ce groupe. Pour commencer il y avait Christy. Une fille de l'est. Sa famille avait fuit la pauvreté (on se fuit jamais la richesse) pour la retrouver ici après trois nouvelles générations. Ces trois générations s'étaient battues pour qu'un jour un membre de la famille puisse enfin réussir ici, donner un sens à tous ça quoi. Ce membre, c'était Christy, et elle en avait vraiment envie. Elle réussira sûrement d'ailleurs. Elle avait passé son enfance à lire derrière des lunettes cassées tous les livres poussiéreux de sa famille. Sa spécialité était la philosophie. Des philosophes grecs jusqu'au contemporains elle savait tout. Elle avait choisi sa ligne de vie à elle comme on choisit une religion. Le nihilisme, sa défense contre le monde entier et plus particulièrement contre tous les garçons qui lui couraient après. Elle était froide. Ils arrivaient pour la draguer, elle levait les yeux, les regardait dans les yeux, leurs lèvres devenaient violettes et ils repartaient tous totalement terrifiés. La raison pour laquelle elle était avec nous c'est que Matt, sans pourtant le vouloir, peut-être même parce qu'il n'avait jamais voulu, avait briser la glace autour de son cœur de jeune adolescente qui croit encore en le prince charmant. Ensuite, il y avait Martin. Un gars du sud, ses parents étaient un jour parti en vacance dans cette ville et avaient décidé de ne jamais en repartir. Pour que leur fils puisse mieux s'intégrer ils l'avaient appelé Martin, un nom banal que pourtant personne ne porte. Mohamed, qui ne sonne pourtant pas très occidental paraît parfois plus commun. Mais ça avait marché, il s'était intégré malgré la pigmentation de sa peau. Preuve en était, il faisait partie de la bande et c'était lui qui mettait l'ambiance. Le genre trop sociable pour être honnête. Le talent qui provoquait l'admiration de tous c'était son oreille absolu. Le jour où il l'apprit il se passionna pour la musique, pour ne pas que ça ne lui serve à rien. Lui disait plutôt que ça aurait été une injustice de ne pas se servir d'un don aussi fantastique que beaucoup désirait. Martin était le genre de garçon que personne ne pouvait détester, il était sympathique avec tout le monde, même les inconnus, et jamais il n'avait entendu d'injure ou avait été témoin de violence ailleurs que sur un écran. Ces deux choses l'amusaient particulièrement d'ailleurs. Pourtant c'est énervant. L'autre fille de la bande était Jean, ça se prononce comme le pantalon. Sa famille avait toujours vécu ici et y avait fait fortune. Elle se vantait de s'être bronzée sur les plus belles plages du monde, en Asie, en Europe, en Amérique, en Océanie et en Afrique. Si elle avait pu elle aurait été se dorer le cuir sur une autre planète. Elle représentait le cliché de la petite bourgeoise. Sa façon de bouger très théâtrale dans des vêtements dont personne ne connaissait les marques mais dont tout le monde avait une idée du coût. Toujours à la dernière mode de tout, elle adhérait aux futures modes avant que ce soit des modes et dès que les gens commençaient à en parler elle s'en désintéressait totalement. Elle méprisait le passé et était passionnée par l'avenir. Elle n'avait jamais connu de problèmes existentiels. C'est pour ça qu'elle faisait partie de la bande, elle ne posait jamais aucun problème et riait de tout et n'importe quoi. Pourtant tout le monde voyait que derrière son coté distingué apparaissait un autre plus sauvage, ça lui faisait un charme. L'élément essentiel de la bande, le personnage principal, c'était Matt, de l'ouest. On a tous connu un Matt. Un garçon un peu plus grand que la moyenne, cheveux courts, mince mais musclé, et très beau. Inutile de dire que toutes les filles lui couraient après. Mais il s'en fichait, il prenait ça avec humour et rougissait quand Martin ou moi lui en parlions. C'était le meilleur sur le terrain de sport et en classe. Le garçon parfait en somme. Son père était à la tête d'un empire immobilier qui possédait la moitié de la ville. La condition pour qu'il mette la main sur l'héritage et l'entreprise c'était l'obtention de son diplôme cette année. Après ça il aurait un travail et une forte somme d'argent pour commencer passivement dans la vie active. Autant dire que tout roulait pour lui. C'est peut-être parce qu'il avait un peu honte de sa bonne étoile qu'il se promenait toujours avec un dizaine de pièces de monnaies pour en donner aux sans-abris qu'il voyait durant la journée, tentant d'oublier que ces déchets allaient le dépenser en picolant. Matt participait donc activement au chiffre d'affaire des pinards discount. On s'était connu très jeune et on avait évolué ensemble. Les autres me voyaient comme son second, celui qui le suivait partout mais moins bon que lui et qui servait avant tout à le mettre un peu plus en valeur. Matt me donnait l'illusion que c'était faux pour garder intact l'amitié qui nous unissait. Enfin, le dernier élément de cette bande c'était moi, Tom, du nord. Mes parents étaient décédés dans un accident de voiture quelques mois après ma naissance. J'aime le rôle du ténébreux, on y pense pas mais les orphelins jouent beaucoup là-dessus. J'habitais chez mon oncle, qui d'ailleurs n'était jamais à la maison et quand il y était c'était pour ne pas parler. Je suivais le cursus de tous les gens de mon âge mais j'ignorais où tout ceci allait me mener. Je suivais juste le mouvement par peur de faire une faute qui me condamnerait. J'étais moyen en tout, ni trop bon ni trop mauvais. Avant Matt j'étais très solitaire, il m'avait donné l'envie d'apprendre à comprendre les gens. J'étais passionné par l'histoire. Mes lectures ne se bornaient qu'à cela. Au début du mois de septembre j'étudiais le mouvement de contestation des années soixante aux États-Unis. C'était le début de l'année scolaire, la rentrée des classes. Toute la bande se demandait si nous allions tomber dans la même classe. Christy voulait être seulement avec Matt. Martin voulait être avec Jean. Jean voulait être avec Martin. Seuls Matt et moi désirions que l'on soit tous ensemble sinon rien. Et c'est finalement ce qui est arrivé. Nous étions tous ensemble pour la dernière année au lycée de notre vie. Tous le monde était ravi. Nous avions les enseignants que vous voulions. La meilleure professeure de philosophie pour Christy. Le meilleur professeur de science pour Martin. La meilleure professeure de français pour Jean. Le meilleur professeur de mathématique pour Matt. Et le meilleur professeur d'histoire pour moi, même j'avais pas besoin de cours pour apprendre. Notre emploi du temps était chargé avec des heures libres bien placées le lundi matin et le vendredi après-midi. Nous mangions ensemble au lycée le midi puis discutions de choses et d'autres dehors, sous les derniers souffles de l'été, sous les derniers rayons ardents de l'été, jusqu'à la reprise des cours. On pouvait vraiment dire que tout allait vraiment pour le mieux. La vie au lycée est faite de routine. On se lève le matin, puis on se lave, puis on va en cours, puis on mange, puis on retourne en cours, puis en arrivant chez soi on décompresse, puis on mange, puis si on a le courage on fait ses devoirs, puis on dort. Et cela cinq fois pas semaine, on vit la même journée cinq fois par semaine, de quoi devenir fou, sauf qu'on est trop fatigué pour l'être. Environ une semaine après le début des cours, Matt accompagnait Christy et moi à la librairie du père de Sacha. Sacha était une fille qui sortait rarement de chez elle. Elle passait son temps à se documenter sur tout, son ambition était d'un jour tout savoir. Je me moquais pas parce que certains veulent devenir des rockstars sans savoir chanter et d'autres veulent être acteurs alors qu'ils n'ont aucune subtilité. Sacha avait la peau blanche, des cheveux noirs ébouriffés et des lunettes qui cachaient en partie les énormes cernes qu'elle avait sous ses yeux. Au lycée, c'était elle l’ultime symbole de la contrefaçon culturelle. Elle pouvait tout avoir. Je connaissais Sacha depuis des années, c'est elle qui commandait les livres d'histoire dont j'avais besoin par le billet de la librairie de son père, derrière le dos de ce dernier. Cette fois-ci était pourtant différente, c'était la première fois que je commandais des biographies qui avaient moins d'un siècle. J'avais sélectionné Janis Joplin, Jimi Hendrix et Jim Morrison. Le budget que me donnait mon oncle pour les livres ne m'autorisait pas à plus de trois livres, mais j'étais très satisfait. Matt me regardait comme un père regarde un enfant qui vit sa passion, je lui rendais en retour un je t'emmerde amical. Il souriait calmement. J'ai payé Sacha et nous sommes partis pour suivre Christy. Comme les parents de Christy ne pouvaient pas se permettre de dépenser de l'argent pour aider leur fille à résoudre ses problèmes existentiels, à la fois intellectuels et frivoles, elle avait décidé de voler ses lectures dans la librairie de la plus laide des vendeuses de la ville. Amusés, Matt et moi la suivions pour l'épauler. Nous sommes entrés et Matt est allé demander un livre qui n'existait pas d'un auteur qui n'existait pas non plus à la dame. Pendant ce temps je suivais Christy. Elle prit une dizaine de livres, les mit dans son sac rapidement, le ferma et me regarda, l'air satisfaite. Cette fois c’était moi qui la regardait avec le sourire paternel, et son regard me disait implicitement ce que j'avais dit à Matt explicitement. À la sortie j'ai observé qu'il n'y avait aucun dispositif qui empêchait les vols. Peut-être que cette dame n'avait pas d'argent pour en payer, ou qu'elle faisait confiance à ses clients ou encore qu'elle voulait contribuer à la démocratisation du savoir de manière subtile. Nous étions tous satisfaits et nous rejoignîmes Jean et Martin qui buvaient un soda dans un bar situé à proximité du lycée. Matt avait donné des pièces à trois clochards sur le chemin, en rougissant toutefois du pouvoir que sa naissance lui donnait. Matt a ensuite raconté ce qu'avait fait Christy sur les rires de tous et sous le regard indifférent de Christy qui était très heureuse au fond que Matt parle d'elle. La semaine voyait le début des évaluations. Tout le monde était stressé. Mais finalement toute la bande avait décroché des notes très satisfaisantes. Nous passions notre temps entre amis la semaine, à réviser le soir, à dormir la nuit et avec notre famille le week-end. Le week-end Christy lisait seule dans sa chambre. Martin sortait dans la rue aider toutes les personnes âgées qu'il voyait pour le plaisir de discuter, il devait aimer respirer la merde des autres. Jean fréquentait les expositions d'arts bourgeoises, d'autres merdes qu'on croit un peu plus raffinées. Matt pratiquait toutes sortes de sports pendant que son casque audio lui récitait ses leçons. Et moi, je partais en observation dans les lieux publiques pour épier le comportement humain. Ce qui était de loin le plus excitant toutefois c'était le passage de la semaine au weekend, à savoir le vendredi soir. Le moment où nous allions à des soirées de quelques dizaines de personnes chez des parents absents. C'était le moment où nous étions plus ou moins nousmêmes. On buvait, on fumait mais surtout on riait. C'était le seul moment où, ivre, Christy insultait les cadavres décomposés d'anciens intellectuels et nous démontrait que c'était elle qui avait raison. Nous ne comprenions rien et riions pendant qu'elle s’énervait contre nous pour finalement s'abandonner au rire collectif. Martin, lui, nous racontait des blagues racistes, serrait tout le monde dans ses bras et pleurait de joie auprès de chaque personne présente pour lui montrer l'affection qu'il avait pour elle. Jean parlait des artistes et des collectionneurs. Nous montrant que tous les clichés étaient bien fondés. Elle fumait cigarette sur cigarette en nous parlant des « plumes au cul » que se mettaient les gens du milieu artistique. Matt arrivait et prenait une fille en chasse sous le coup de l'ivresse. Dès que la fille cédait il la regardait et partait en rougissant de honte d'avoir utilisé ses talents. Pendant ce temps je me lançais dans des imitations de personnages populaires du lycée, j'avais un assez bon succès avec ce genre de numéro. Je balançais des saloperies sur des gens que je n'aimais pas. Je voyais alors l'utilité de tant observer les gens. Quand je ne faisais pas ça je discutais avec les personnalités les plus étranges de la soirée, j'entrais dans leur jeu jusqu'à m'en lasser et partais lorsqu'ils allaient se resservir un verre de plus, un verre de trop. Je rejoignais alors Matt et nous allions nous asseoir dans la rue fumer un paquet de cigarette en discutant de tout et de rien. Toutes les soirées se ressemblaient mais aucunes n'étaient les mêmes. C'était ça qui nous permettait de ne pas nous en lasser, même si c'était stérile. En cours Matt et Christy étaient en pleine rivalité. C'était celui ou celle qui répondait le plus souvent aux questions en faisait les remarques les plus subtiles et intéressantes qui l'emportait. Ils se regardaient avec un sourire bienveillant lorsque l'autre se montrait plus pertinent. Matt rougissait modestement dans la victoire et Christy était très fière de briller devant lui. Les deux prenaient ça très au sérieux sous les rires amusés de Martin et Jean. Moi j'observais ce duel d'un œil attentif et intéressé, griffonnant parfois quelques notes sur leurs attitudes. Je m'aventurais parfois à placer une remarque impertinente comme par exemple il est quelle heure ? En sport c'était Matt qui donnait le ton. Il ne se contentait pas, comme beaucoup, de courir avec le ballon pour marquer dans un total oubli du reste de l'équipe. Il donnait l'illusion aux autres qu'ils étaient indispensable à la victoire même si c'était faux. Il était le soleil et le reste de l'équipe représentait les astres qui tournaient autour. Il était comme d'habitude dans une meilleure condition physique que la vieille. C'était en repoussant ses limites qu'il avançait. Et il n'avait jamais reculé, pour l'instant. Le mois de septembre passa ainsi tranquillement. Une journée cependant allait changer la routine. C'était le matin, j'arrivais toujours en premier au lycée, et j'en profitais pour lire en attendant l'arrivé des autres devant la salle de classe. J'en étais à la biographie de Jim Morrison. Ce personnage m'intriguait, je ne sais pourquoi. La photographie de lui sur la couverture avait un je ne sais quoi de mystique, de divin, il paraissait à la fois béni et maudit. Je pense que ce qu'il avait de différent par rapport aux autres rock-stars c'était le fait d'être un véritable génie, paradoxe pour une star du rock'n'roll, et en plus de ça il était vraiment très beau. Une sorte de garçon parfait avec tous les défauts du monde. Je finissais la dernière ligne du livre lorsque Matt arriva. Pendant dix minutes alors je lui parlais de cet intriguant personnage dont j'avais lu une vie de vingt-sept ans en une semaine. Je crois pouvoir dire avec certitude que Jim Morrison l'a fasciné immédiatement. Au point que Matt, qui ne lisait pourtant jamais, me demanda de lui prêter la biographie. J'avais tellement envi de discuter de cette incroyable garçon avec un autre que moi-même que je lui ai donné naturellement, plus pour mon plaisir que le sien. Il prit le livre, qui faisait plusieurs centaines de pages, sourit, et me dit : – C'est un sacré pavé que tu me donnes là. Je crois que ce serait plus intéressant d'entendre sa voie et de le voir bouger pour commencer. Il y aurait pas des films sur lui ? Ou des documentaires ? – Oui oui il y en a. Il y un film et plusieurs documentaires. Tu peux passer par Sacha pour te les procurer. Quel que soit ce que tu veux en une semaine tu l'as. – Je vais faire comme ça. – Tu l'as prend quand même la biographie ? – Oui oui. Évidemment. Il va bien falloir que je croise toutes les informations pour découvrir la vérité de toute façon. – Ouais, t'as certainement raison. Je crois que c'est à partir de ce moment là qu'est arrivé l'énorme tournant de nos vies à Matt et moi. Après cette scène, qui pourtant peut paraître anodine, rien n'allait plus jamais être comme avant. On était monté dans un train qui ne pouvait pas s'arrêter et dont nous ne pouvions descendre. Nous n'en avions cependant pas encore conscience, comme toi. Chapitre 2 : Octobre En octobre, le ton de l'année allait être donné. Toute la bande se portait bien. Nos notes étaient les meilleurs de la classe, sauf les miennes. Notre avenir semblait donc tout tracé. Le premier lundi d'octobre, nous sortions tous d'un week-end qui marquait la fin de l'été. Contrairement à la traditionnelle soirée du vendredi soir nous avions décidé que nous irions tous au cinéma. Enfin non, Jean avait décidé de payer le cinéma pour tout le monde, donc le vendredi nous étions obligés d'aller au cinéma. Nous étions seuls dans la salle, devant un film obscur, d'un obscur cinéaste danois. J'étais assis tout à gauche, puis il y avait Matt, Christy, Jean et enfin Martin. Quand nous sommes sortis Jean a disputé Martin parce qu'il avait discuté pendant tout le film. Je n'ai rien dis parce que ça m'avait permis de ne pas trop m'ennuyer. Matt était pensif et Christy simulait la lassitude mais je savais qu'elle était inquiète pour lui. Nous avons mangé tous ensemble. Personne ne parlait mis à part Jean et Martin. À la fin du repas nous nous sommes salués avant de rentrer chez nous chacun de notre coté. Le lundi donc, un jour pluvieux, personne ne souriait. Je suis arrivé en premier au lycée. À la sonnerie la bande était au complète excepté Matt. Ce jour-là il était arrivé en retard de cinq minutes au premier cours. Du jamais vu. Mais ce n'était pas ça qui nous avait le plus choqué, c'était ses cheveux. Contrairement à l'habitude, il n'avait pas été chez le coiffeur ce week-end là. Il est venu s'asseoir à coté de moi. Lorsque je lui demandé pourquoi il n'avait pas les cheveux impeccablement coupés et coiffés et il m'a répondu en souriant qu'il « n'en avait vraiment plus rien à foutre de ça ». Puis il m'a expliqué qu'il avait passé son week-end a regarder tous les documentaires qu'il avait réussi à télécharger sur Jim Morrison en me promettant de me rendre la biographie la semaine suivante. J'ai acquiescé d'un signe de tête et continué de recopier le cours qui était au tableau. Oui tu l'as remarqué il n'est pas passé par Sacha, sûrement parce qu'il ne pouvait pas attendre. Ce jour-là Christy a fait le cours toute seule pendant que Matt regardait par la fenêtre avec un sourire béat mais pensif. Toute la semaine il n'était plus à ce qu'il faisait. Dès que nous avions une heure d'étude il s'éclipsait pour aller lire la biographie que je lui avais passé. Sur son visage on pouvait lire ses réactions sur les différentes périodes de la vie de cet auteur-compositeurinterprète, poète, acteur et réalisateur qu'était Morrison. Il était vraiment passionné. Si en cours il ne faisait rien c'était la même chose en sport. J'étais dans l'équipe de Matt, contre celle de Martin. Nous étions en train de perdre quand Matt a regardé le tableau d'affichage. Puis il s'est emparé du ballon et a additionné les points jusqu'au coup de sifflet final qui signifiait notre étrange victoire. Dans les vestiaires je lui ai conseillé de se concentrer un peu plus sur les cours et le sport et de garder Jim Morrison pour le week-end. À ce moment j'ai cru voir dans ses yeux qu'il venait de faire le rapprochement entre l'arrivé de Jim Morrison dans sa vie et son désintéressement pour ses études et ses cheveux. La semaine s'est déroulée ainsi. Le vendredi matin, Matt me rendait la biographie qu'il avait fini et l'après-midi je voulais profiter des quelques heures disponibles entre la fin des cours et le début de la soirée pour aller acheter des livres à Sacha. Matt m'accompagna pour l'unique raison que j'allais faire l'acquisition de livres que Jim Morrison avait lu dans sa jeunesse. Tout comme Matt j'étais passionné par la star, même si je n'avais osé l'avouer qu'à lui de peur d'ennuyer les autres et de donner une mauvaise image de Morrison. Ce qui m'attirait, moi, c'était de comprendre pourquoi ce garçon s'était comporté ainsi. Si son enfance pouvait l'expliquer j'avais décidé d'axer mes recherches sur ses lectures, et il y en avait beaucoup. Nous sommes arrivés devant la porte de Sacha, qui semblait venir de se réveiller. Elle m'a tendu ma commande de quatre livres en me félicitant de mon choix (j'avais pu commander un livre en plus en sacrifiant toutefois une partie de mes économies). J'ai alors échangé un sourire complice avec Matt, j'ai payé et j'ai commencé à partir. Mais Matt a lui aussi payé Sacha et elle lui a donné deux sacs qui devaient contenir environ une dizaine de livres chacun. Matt m'a alors demandé quels livres j'avais. Je lui est alors montré. Il y avait Jack Kerouac, Sophocle, Arthur Rimbaud et Friedrich Nietzsche. Il me les rendit et j'ai alors remarqué qu'il n'allait pas en direction de l'appartement où se déroulait la soirée. – Matt ! C'est pas par ici le lieu de la soirée. – Je sais oui mais j'y vais pas. – Pourquoi ? T'as jamais loupé une soirée alors pourquoi tu louperais celle-là ? – J'ai autre chose à faire mec. – Tu vas me laisser m'ennuyer tout seul las-bas ? Me tromper avec des livres qui vont t’abîmer les yeux alors que tes yeux pourraient prendre leur pied à me regarder ? – T'es pas obligé d'y aller. – Pourquoi tu viens pas ? Qu'est-ce que tu vas faire ? – Bah j'ai acheté plusieurs biographies de Morrison à Sacha. Je vais mettre toute les chances de mon coté pour en lire le plus possible pendant le week-end. Tu vois j'ai pas vraiment de temps à perdre en moment. – Pourquoi en lire plusieurs ? – Pour comparer les faits et me rapprocher un peu plus de la vérité. – Mais... À ce moment il m'avait déjà tourné le dos. Je suis donc parti à la soirée seul. Je suis resté près de Martin qui m'a remonté le moral comme il a pu. J'ai rarement bu autant, j’enchaînais canette sur canette. Puis je me suis effondré sur le sol parce que l'alcool avait vaincu mon organisme. Je me souviens juste d'avoir vu un garçon me porter et m'allonger sur le canapé. Le lendemain matin je suis rentré chez moi. Mon oncle a senti mon odeur et m'a dit d'aller me laver. J'ai consacré le samedi à mes devoirs. Je faisais mes devoirs le week-end pour toute la semaine afin d'avoir plus de temps durant la semaine. J'ai ensuite passé mon dimanche à lire les livres que j'avais acheté. Chaque ligne que je lisais m'expliquait un détail de plus sur Jim Morrison. Kerouac, par le billet de Dean Moriarty me montrait la passion qu'avait eu Morrison pour la route durant son adolescence. Nietzsche me montrait la ligne de conduite de Morrison, le carpe diem. Sophocle, sa passion pour l'enfant qui tue son père et baise sa mère. J'ai donc réussi à faire le lien que Morrison faisait entre la destruction des idoles de Nietzsche et l'histoire d’Œdipe. Rimbaud m'a permis de faire le lien entre les paroles des musiques des Doors avec l'écriture de ce poète. Pourtant je n'avais pas accès au poèmes de Morrison. Ces recueils étaient conservés par des collectionneurs qui ne me les lâcheraient seulement contre une forte somme d'argent, que je n'avais évidement pas. Par contre ma théorie sur l'impact des lectures de Morrison sur lui avait eu un franc succès que j'avais bien l'intention de continuer à exploiter. Qui plus est je me cultivais en continuant de vivre ma passion, celle de comprendre les êtres humains. Si Morrison ne m'ouvrait pas encore les portes de la perception il m'ouvrait au moins celles de la connaissance. Le lundi matin, quand je suis arrivé au lycée, Matt y était déjà. Nous avions tous deux des cernes sous les yeux et un sourire paisible. Nous avons donc discuté sur notre week-end, puis de Jimmy, ensuite de Jim Morrison et enfin de James Douglas Morrison. Nous nous racontions des petites anecdotes marrantes qu'il avait vécu. Nous étions entrain de rire quand les autres sont arrivés, donc on arrêté de rire. Ils avaient tous passés un mauvais week-end, ce qui mit fin à nos rires pour faire la gueule par politesse. Pendant la journée Matt participait très activement aux cours, laissant Christy complètement sur le carreau. Elle nous dit ensuite qu'elle s'en fichait mais son mensonge était trop flagrant pour être pris au sérieux alors nous nous sommes gentiment moqués d'elle, ce qui l'a fit finalement rire. Matt ne s'était toujours pas coupé les cheveux mais il était revenu au mieux de sa forme. Malgré le fait qu'il n'avait pas pratiqué de sport durant son week-end il gagna tous ses matchs en sport. Il riait, hurlait et souriait en permanence. Il était vraiment surexcité, ce qui me fatiguait, comme si il pompait mon énergie. Le mardi midi, avant d'entrer en cours, Matt et moi sommes allés aux toilettes. Là un garçon qui avait dû redoubler un nombre inimaginable d'années tourmentait un élève de première année. Matt a fais semblant de ne rien voir puis au moment de partir il s'est jeté sur cet idiot. Il lui mis plusieurs coups de poings, puis de pieds lorsqu’il fut au sol. Il s'est ensuite abaissé et a commencé à l'étrangler. Pendant ce temps j'étais paralysé, je voyais déjà la scolarité de Matt réduite à néant après un « renvoi pour violence sur un camarade ». Je repris pourtant mes esprits et réussis à l'écarter de sa victime. Matt me repoussa violemment, sortit du scotch de son sac, traîna l'élève dans un des toilettes et ferma la porte. Je serais certainement intervenu si je n'avais pas été un lâche. Même si croyez-moi il faut du courage pour avouer qu'on est lâche. J'entendis des bruits de scotchs, des cris, puis le silence. Matt sortit alors des toilettes et je devinais alors qu'il avait bâillonné sa victime dans cette cabine. Il me regarda en souriant et nous sommes partis. Nous n'avons jamais parlé de cet événement. Pourtant ce jour-là j'ai découvert que Matt était capable de violence et même si ce n'était que justice je n'ai plus jamais regardé mon meilleur ami de la même façon. La semaine se passa ensuite dans le silence. Matt n'allait apparemment plus venir aux soirées du vendredi, j'en faisais alors autant, pour ce soir-là du moins. Le vendredi soir je suis alors rentré chez moi. J'ai regardé une émission de télé-réalité en notant quelques thèses sur les raisons qui pouvaient bien pousser tant de gens à les regarder, en vain. Le samedi je passais la journée à faire mes devoirs, à relire mes cours, enfin à faire le point sur une année scolaire qui venait pourtant de débuter. Le dimanche, je ne pouvais pas sortir observer les gens dans la rue parce qu'il pleuvait, alors je suis allé dans un centre commercial pour le faire. Mais cette sortie n'était qu'une excuse, en réalité, j'avais simplement besoin de sortir pour prendre l'air et penser à Matt. C'était quand même dingue ce qui c'était passé. En vrai un type ne fait pas ça. Le lundi matin, sans aucun livre à me mettre sous la dent, je fumais devant le lycée, assis et adossé au portail. Quelques rayons de soleil matinales décidaient de faire figure de transition entre un reste d'été et un automne qui débutait. Tous les lycéens semblaient heureux, ils riaient tous en groupe de choses que l'on ne peut comprendre seulement si on appartient à ce cercle d'amis, des délires quoi. Matt est alors arrivé avec son casque audio sur les oreilles. Il m'a aperçu et à quelques mètres de lui j'entendais ce qu'il écoutait avec tant de joie. C'était The Doors. Il a enlevé son casque et m'a dit qu'il avait passé le week-end à écouter tous leurs morceaux. Je souris et nous sommes allés en cours. En cours il s'est assis à coté de moi, m'a fait part ses thèses sur des musiques que je n'avais pas écouté. Il savait parfaitement que je ne voyais pas de quoi il parlait, il voulait juste en parler à quelqu'un qui l'écoutait. Il m'expliqua que c'était Sacha qui lui avait vendu tous les albums qu'il avait pu mettre dans son casque. Je ne lui en dis rien mais je lui en voulais de ne pas m'en avoir parlé pour que je l'accompagne. C'est le soir que j'ai compris qu'il ne l'avait pas fait dans mon dos contre moi, mais simplement parce qu'il avait honte de pouvoir s'acheter tout ce dont il désirait. Comme si je l'aurais jugé, moi, le Tom. Matt avait laissé sa compétition avec Christy de coté pour le plus grand malheur de celle-ci. Il se contentait des meilleurs notes de la classe. Certainement pour que ses parents continuent de le laisser acheter tout ce qu'il voulait. On aurait pu voir l'arrêt de ses participations comme un abandon face à la supériorité de Christy. Mais pas du tout, enfaîte il donnait plus l'impression d'avoir pris ça pour un jeu dont il s'était finalement lassé. Matt ne parlait jamais de Jim Morrison avec les autres et changeait de conversation quand ils arrivaient. Seulement ils étaient tous au courant du centre de nos discutions, mais ils en riaient, amusés certainement d'avoir des « fans » au sein de la bande. Bizarrement Christy n'avait pas essayé de s'intéresser à Morrison pour se rapprocher de Matt. Je pense qu'elle le trouvait sans intérêt. Elle devait penser que toutes les rockstars étaient toutes les mêmes après tout, ou bien elle avait déjà dépassé le stade d'avoir une idole. Peut-être même grâce ou à cause de Nietzsche. Je dois dire que ce je lisais ne m'influençais pas du tout. Le vendredi, en fin d'après-midi et après la sonnerie final, je commençais à m'en aller mais Matt m'a retenu. La bande arriva alors. Il me proposa de passer la soirée chez lui pour qu'on profite du fait que ses parents soient partis en vacances pour le week-end avec sa sœur Mary pour pouvoir discuter. J'acceptais. Martin, peut-être vexé d'être mis de coté, dit à Matt : « Fais attention Matt, à trop vivre pour Jim Morrison je vais commencer à croire que t'es gay et plus aucune fille ne t'approchera ». C'était évidement une plaisanterie et Jean en ria de bon cœur. Mais Matt regarda Martin et lui mit un violent coup de poing dans le plexus. Martin s'écroula et Jean, hors d'elle, se dressa devant Matt, le poussa de ses petites mains et l'insulta « d'homme des cavernes ». Christy partit en pleurant. Quand à moi je suivi mon meilleur ami qui commençait déjà à partir. Je trouvais que tout le monde avait eu une réaction disproportionnée, sauf moi, évidement. Nous avons mangé dans un fast-food. J'avais décidé de ne pas abordé le sujet. Le repas se fit en silence. Matt paya avec un air très sûr de lui. Nous avons marché puis nous avons croisé une fille qui se disputait avec son petit ami, Matt sourit, donc moi aussi. Arrivé chez lui nous nous sommes assis sur sa terrasse puis nous avons commencé à fumer et à boire. Matt avait donc déjà prévu ma venue. Nous n'avons pas parlé de l'incident qu'il y avait eu avec, ou plutôt contre, Martin. Nous avons parlé des raisons possibles des différents choix qu'avait fait Jim Morrison au cours de sa vie. Mes lectures m'ont permis d'émettre des hypothèses que je trouvais très pertinentes mais Matt, lui, expliquait tout comme si cela avait été lui. Même si je doutais de ses réponses je n'osais pourtant rien lui dire, par peur du conflit. Le lendemain je suis rentré chez moi. Ma première semaine de vacances a été très monotones. J'écrivais des thèses sur les raisons qui pouvaient pousser les gens à commettre des actes absurdes. Mais cela ne marchait pas très bien. Un jour le téléphone sonna, c'était Jean, elle me proposait de venir à un vernissage dans une galerie d'art avec elle. N'ayant rien de mieux à faire et commençant à mal supporter le poids de la solitude je décidais de l'accompagner. Le soir je retrouvais donc Jean devant la galerie. Elle était dans une somptueuse robe qui devait dater de la dernière mode ou de futur, celle que les pauvres mortels ne connaîtront quand dans quelques siècles, lorsque l'humanité clonera Karl Lagerfeld. Elle sourit quand elle vit que pour une telle occasion j'étais tout de même simplement venu avec un simple jean et un simple T-shirt. En entrant j'ai découvert un univers à part. Tous les hommes avaient mis leur plus beau costume et offert à leur compagne la plus belle robe. Le contraste entre leur tenu et la mienne m'amusais mais je pris tout de même un air gêné, par politesse et jeu. Ils discutaient à voix basse et riaient tous très fort, parlant d'une chose apparemment supérieure au sort des petits bébés africains qui meurent tous les jours pour eux : « l'art ». C'était très intéressant de les entendre discuter. Je notais quelques notes sur cette soirée dans ma mémoire pour les réécrire chez moi. Jean était vraiment dans son élément, très heureuse. C'était apaisant de la voir comme ça. Elle m'expliquait la démarche artistique de chaque tableau. Je ne comprenais toutefois pas pourquoi l’artiste faisait si compliqué quand il pouvait se contenter de l'écrire explicitement. Je demandais donc la raison de ce mystère à Jean qui ria de bon cœur et d'un rire moqueur et me dit : « c'est de la masturbation intellectuelle, faut pas chercher ». Elle me demanda ensuite si je désirais venir manger avec les autres bourgeois mais je refusais car ma tête était déjà pleine à craquer de notes sur ce milieu. Je suis partis en la remerciant de ne pas avoir abordé l’altercation entre Matt et Martin. Sauf qu'elle semblait l'avoir déjà oubliée. La deuxième et dernière semaine de vacances fut consacrée à la rédaction minutieuse de mes notes et hâtives mes devoirs. Chapitre 3: Novembre J'attendais avec impatience la reprise des cours. Je n'avais pas dormi de la nuit. J'étais trop excité à l'idée qu'il puisse se passer quelque chose, n'importe quoi. Je voulais revoir du monde pour pouvoir continuer à vivre au travers. Je voulais m'évader de moi, qu'on me sorte de moi, que quelqu'un me prête sa vie, juste pour voir ce que ça faisait d'en avoir une. Mais comme dès qu'on imagine un événement futur, quand il arriva mon zèle battu en retraite face à la déception. Parce que c'était une reprise comme une autre. Une routine qui reprend. Une reprise qui plombe. Le matin je suis arrivé en courant, croyant être en retard. Mais non, de plus personne n'était là. Je me suis assis, les yeux livides dans le vide. Puis les autres sont arrivés, tous au même moment. Je voulais leur sauter dessus et les serrer dans mes bras, mais mon corps, lui, refusait, préférant certainement obéir à mon orgueil. Toutes mes bonnes intentions étaient déjà réduites en fumée. La vue de Martin, Jean et Christy a enflammé mon esprit. Mais lorsque j'ai vu Matt, qui n'avait toujours pas été chez le coiffeur, arriver deux secondes après, sa seule présence provoqua l'effet d'un rayon de glace ardent qui me transperça le cœur. Il n'avait pas l'air d'être spécialement froid pourtant. Il suivait les autres de bon cœur, un étrange sourire aux lèvres. Mais j'ai eu peur de ce qui pouvait arriver. Aux souvenirs des dernières fois où nous nous étions vus j'appréhendais maintenant ce qu'il pouvait faire. Je le voyais maintenant comme un psychopathe imperturbable, incontrôlable et surtout imprévisible. J'avais du mal à voir en lui mon ami d'il y avait encore quelques mois auparavant. Et pourtant c'était bien lui. L'automne était maintenant là. Tout le monde s'était rhabillé et les arbres s'étaient déshabillés. La pluie nous mouillait, le vent nous séchait. On était fripé. Les cours suivaient leur programme. En histoire je participais seul. Les autres élèves n'étaient pas rétablis de leurs vacances, ce qui me laissait le champ libre. Mais c'est en français, bizarrement quoique logiquement, que j'impressionnais tout le monde, y compris moi. Mes remarques sur les textes étaient très pertinentes. Je devais cela à mes débuts de lecteur dans la littérature et mon esprit critique d'adolescent merdique. Jim Morrison m'avait donné envie de lire alors que Rousseau m'en avait dégoutté. Jean, qui d'habitude était la seule donc la meilleure dans ce cours me regardait en souriant silencieusement. Je sentais le poids de son regard. C'était d'ailleurs très agréable, il me recouvrait d'une couverture chauffante à l'intérieur de laquelle je me sentais bien. Le vendredi j'allais chercher seul mes livres. Je pus une nouvelle fois acheter quatre livres en sacrifiant de nouveau une part de mes économies. Certains disent que l'art est à portée de tous mais c'est totalement faux, pour étancher ma soif il m'aurait fallu une bonne vingtaine de livres. Je sonnais à la porte. J'attendis quelques secondes et Sacha arriva, fidèle à elle-même donc aux autres. Elle avait les yeux dans un très mauvais état, elle se forçait à sourire. Je m'en voulais de la déranger mais comme un drogué avait besoin de sa dose, j'avais besoin de mes livres. La littérature était devenue pour moi une drogue après seulement quatre livres. C'était devenu aussi vital que de respirer. Elle me donna le sac et je lui donnais l'argent. Je n'avais pas très envie de rentrer chez moi pour lire pourtant. J'avais vraiment envie d'une bonne bière bien fraîche. Donc je rejoignis Martin, Jean et Christy au lieu de la soirée. Matt n'était toujours pas là mais je m'y était habitué donc ça ne me dérangeait presque plus. J'étais assis à coté de Christy, sur un magnifique canapé en cuir. Elle philosophait devant des garçons qui ne pensait qu'à finir la nuit avec elle une fois qu'elle se tairait, quand l'alcool aurait fini pas l'achever. Mais elle tenait bon. Quand un d'entre eux essayait de s'approcher elle le repoussait subtilement mais franchement. J'étais là. Assis à coté de la fille la plus en vue de la soirée. Je n'en avais pourtant vraiment rien à faire de ce privilège. Je prenais trois bières dans le frigo, une fois que je les avais fini j'allais en chercher trois autres. Je fumais trois cigarettes pour boire une bière. La voix de Christy donnait un coté dynamique à ma soirée même si je ne l'écoutais pas. Finalement les garçons s'étaient couchés seuls. L'alcool et la fatigue les avaient tous fait abandonner un par un. Je remarquais cela parce que Christy ne me parlait plus qu'à moi. Ce soir-là nous avons dormi chacun la tête sur l'épaule de l'autre. Le lendemain je me suis réveillé avant tout le monde. J'ai pris mon sac et je suis rentré chez moi en laissant Christy allongée sur le canapé sous une couverture que j'avais volé, comme un voleur, à l'un de ses prétendants dont on voyait maintenant qu'il avait la main dans son pantalon. Chez moi je fis rapidement mes devoirs et avec une facilité déconcertante. Puis je sortis enfin mes nouveaux livres et les lus. Je n'ai pas dormi de la nuit du samedi au dimanche. Je commençais par Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de William Blake. Jim Morrison avait sûrement du s'en inspirer pour les paroles de ses chansons et de ses poèmes. Je n'ai pourtant pas vu beaucoup de choses qui avaient un lien avec la vie de Morrison. Sauf ce passage :« Si les portes de la perceptions étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est, infinie ». C'était certainement de là que provenait le nom du groupe, The Doors. Continuant sur ma lancée je lisais maintenant Les portes de la perceptions d'Aldous Huxley. Titre inspiré du livre que je venais de finir. Ici, c'était flagrant, les drogues psychédéliques sont incontournables dans vie de Morrison. Je compris donc que c'était pour atteindre une sorte de nirvana, pour avoir une perception différente du monde. Ce qui en plus entrait en relation avec le chamanisme. Les chamans prenaient des drogues pour entrer en contact avec leurs dieux. Je ne pense pourtant pas que Jim Morrison ait vu Dieu. À moins que Dieu l'ai aperçu dans entrebâillement de la porte et lui ait fait la blague du seau d'eau. Ensuite est venu le tour de Catch 22 de Joseph Heller. J'étais un peu décourager en le voyant parce qu'il était vraiment gros. Mais ce livre était à mourir de rire. Un antihéros nommé Yossarian était confronté à des personnages tous plus absurdes les uns que les autres dans une base militaire qui avait pour but de bombarder les méchants durant la seconde guerre mondiale. Je pense que Jim Morrison a prit ce livre très au sérieux. Son père était un officier de la marine qui s'est battu au Vietnam , il détestait son père. Ce livre a du attiser la haine que Morrison avait contre l'armée et son absurdité. Il aurait même pu écrire ce livre. Enfin après cet assez volumineux livre j'ai lu L'étranger d'Albert Camus qui était beaucoup plus court. J'avais beaucoup entendu parler de cet auteur mais je n'avais jamais été jusqu'à le lire. Là encore l'absurde était très présent et l'injustice également. Le livre présentait la solution contre l'absurde, enfaîte plutôt la réaction à adopter. C'est la révolte. C'était certainement pour cela que Morrison était très engagé et donc très révolté. Pourtant dans le style de vie de Morrison l'absurde était très présent. Peut-être se battait-il donc également contre lui-même. Je refermais le livre et je vis que la nuit était tombée. Que demain ce serait lundi. Donc qu'il fallait aller dormir maintenant. Je ne dormis pourtant pas de la nuit. J'émettais quelques théories sur Morrison, puis j'ai pensé à Matt. Je ne l'avais finalement pas vu en seul à seul depuis la veille des vacances. Je me dis qu'il fallait que j'y remédie la semaine prochaine. Minuit passa, donc cette semaine je devais m'occuper de ça. Le lundi matin je suis presque arrivé en retard. J'étais fatigué. J'ai survolé la journée, totalement déconnecté de la réalité. Je ne pensais à rien. Les autres parlaient et riaient, et moi je n'arrivais même pas à avoir la moindre émotion. Ce jour-là mon cœur était emballé dans un film plastique. Le soir je me couchais à vingt-et-une heure. Ce qui était très tôt. Je ne voulais pas passer à coté de mon mardi. En cours je discutais avec Matt. Nous répondions de temps en temps aux questions des professeurs pour ne pas passer pour des élèves perturbateurs. Sauf que l'ambivalence est une notion trop complexes pour les professeurs, simples fonctionnaires, ce qui l’irritait. Matt était de bonne humeur même si cela paraissait fragile. Toute la journée j'hésitais à lui demander de passer la soirée du vendredi avec moi, mais j'avais peur parce que je ne savais pas comment je pouvais réagir à une réponse négative. Finalement pendant le dernier cours de la journée je me suis lancé : – Matt, ça te dit qu'on passe la soirée du vendredi ensemble ? Juste toi et moi avec quelques bières, une soirée tranquille quoi. – Bah disons que vendredi je suis pris. J'ai un truc important à faire tu vois. – D'accord. Bon bah on essayera de se voir un autre jour alors. – Mais samedi je suis disponible. Mes parents sont pas là du week-end. Donc samedi soir tu passes à dix-neuf heure. On ira manger ensemble puis on rentrera chez moi. Ça te va ? – Parfait. La sonnerie retenti. C'était la fin du mardi. Je rentrais chez moi en me demandant ce qu'avait prévu de faire Matt ce vendredi. Jean prenait le même chemin que moi pour se rendre je ne sais où. Elle me dit que vendredi elle allait suivre Matt en se cachant pour voir où il allait aller après le lycée. Elle me dit qu'elle me dirait ça lundi matin. J’acquiesçais en me disant qu'il irait certainement chez lui pour lire, regarder ou écouter n'importe quoi au sujet de Morrison, puis nos chemins se séparèrent. La semaine fut très rapide. Il ne se passa rien. Le vendredi soir j'allais à la soirée avec Christy et Martin. J'étais le seul à savoir où était Jean. Jean ne viendrait pas à la soirée. Juste après elle devait partir avec ses parents faire quelque chose quelque part. Je trouvais ça dommage, j'avais très envie de voir Jean pour qu'elle me dise où Matt était aller. Parce que même si je voyais Matt le lendemain cela aurait été déplacé de lui demander ce qu'il avait fait la veille car je n'étais pas sa mère, après tout. Le mois de novembre avait définitivement achevé l'été. Il faisait froid dans l'appartement. Le garçon qui habitait dedans mit en route le chauffage. Je ne trouvais pourtant pas ça très efficace, donc je bu plusieurs verres de whisky pour me réchauffer. Au bout d'un moment je me suis effondré par terre pour me réveiller le lendemain midi. Il restait le garçon qui habitait ici et Martin qui m'attendait pour me ramener chez moi. Devant ma porte je priais pour ne pas que mon oncle soit là. Une preuve de plus que Dieu n'existe pas puisque mon oncle était là et m'attendais. Je me défendais avant même qu'il n'attaque : – D'accord j'ai bu. T'étais sûrement inquiet mais tout va bien, Martin m'a raccompagné ici. – Ne t'inquiète pas Tom. Je n'ai rien à te reprocher. Je sais que tu passes des vendredis soirs très arrosés mais tu sais j'ai vu tes résultats scolaires et ils assez bons. Donc si tu as besoin de décompresser après les cours je comprend. Fais juste attention et si tu rentres plus tard que prévu passes-moi un coup de fil, ça m'évitera de faire à manger pour quelqu'un qui est absent. – Oui. Merci. J'ai le temps de prendre une douche avant qu'on mange ? – Tu manges tout seul faut que j'y aille moi. Salut. – Salut. Ainsi j'avais donc d'assez bons résultats. Je pris ma douche et allais voir sur Internet. Effectivement mon oncle avait raison. Je devais être dans la moitié des bons élèves. L'après-midi je fis une sieste puis je partis chez Matt. Matt était en forme ce soir-là. Nous sommes allés manger dans un fast-food avant de rentrer chez lui. Dès que nous sommes arrivés il a sauté sur son ordinateur et mit un album des Doors. Nous étions dans sa chambre et sur son bureau je vis les recueils de poèmes qu'avait écrit Jim Morrison, le sac plastique de la librairie de Sacha était juste à coté.. Il y avait Celebration of the Lizard, The New Creatures, et An American Prayer. Il avait certainement acheté ça hier soir après les cours. Jean n'aurait donc rien à m'apprendre lundi. Je faisais comme si je n'avais rien vu, et Matt fit comme si il ne m'avait pas vu. La suite de la soirée nous avons joué à faire semblant. Nous parlions des habitudes de Morrison lorsque, sur le ton de l'humour taquin donc sérieux, j'ai dis à Matt : – Comme tu lui voles à peu près tout. Pourquoi tu ne joues pas à faire le funambule sur les toits? – J'y ai pensé mais enfaîte j'ai le vertige. Donc je le fais pas. À ce moment là Matt venait de dire une chose forte. Il venait de se trouver un défaut. Je ne pensais même pas qu'il en avait un. J'ai compris ensuite à son sourire que c'était peut-être une manière de contre-attaquer. Après ça Matt a commencé à boire à un rythme effréné. Trente minutes après il hurlait des insultes debout sur la grande table en bois entourée de cuir du salon et, une heure après il était couché par terre, la tête dans sa bave. Je le laissais là pendant que je buvais les deux dernières bières puis je l'ai porté jusqu'à sa chambre. Ensuite je suis allé dormir dans le canapé. Je n'ai même pas pensé à fouiller sa chambre. J'ai préféré prendre ça comme une marque de bon fond plutôt que de me qualifié de tête-en-l'air. Le lendemain, lorsque je me suis réveillé, Matt m'avait déjà préparé mon petit-déjeuner et un Dafaglan. J'ai mangé puis je suis rentré chez moi. Cette fois-ci je n'ai pas prié, et mon oncle n'était pas là. Je buvais un thé lorsque j'ai réalisé que je n'avais toujours pas fait mes devoirs. Ce sont ces derniers qui ont achevé mon très fatigant week-end d'adolescent hédoniste et peut-être un peu oisif. Le lundi matin je suis arrivé vingt minutes avant le début des cours. Dix minutes après Jean est arrivée. Elle s'est précipitée vers moi et j'ai tout de suite dit : – Oui je sais que Matt a été chez Sacha vendredi soir. J'ai vu qu'il avait de nouveaux livres sur son bureau. Salut Jean. T'as passé un bon week-end toi ? – Matt n'a pas été cherché des livres chez Sacha vendredi soir. Je l'ai suivi jusqu'à la librairie. Sacha n'est pas descendue, Matt est entré directement. J'ai pris un verre dans le bar en face. J'ai attendu pendant une heure et demi. Après j'ai dû partir mais le lendemain soir j'ai appelé Sacha pour savoir ce qu'il s'était passé. – Tu connais Sacha ? – Oui on était à la maternelle ensemble. Après j'ai été dans une école privé moi donc je l'ai plus vu. – Comment t'as eu le numéro alors? – C'est un ami qui me l'a donné. – Bon, d'accord, et alors ? – Et alors Matt est venu chez Sacha et a couché avec. Il a dormi chez elle le soir. Son père n'était pas là. Et le lendemain il est reparti à midi avec les livres qu'il avait commandé. – Elle est sûr ton info ? – C'est Sacha elle-même qui me l'a dit alors je la crois. Je l'ai menacé de balancer ce qu'elle faisait à son père, les moyens permettent la fin. – OK. On fait quoi alors ? – Bah rien. On ne dit rien à personne. Et surtout rien à Christy. – Hum hum. Puis les autres sont arrivés. Jean et moi avons regardé Matt d'un drôle d’œil toute la journée en tentant de les cacher. Il nous regardait en souriant. On ne savait pas si il savait qu'on savait, c'est ça qui nous tenait à l'écart de lui. À première vue il n'avait évidement rien fait de mal. Mais c'était symbolique. Il n'aimait pas Sacha. S'il n'y avait pas le spectre de Morrison au-dessus de lui tout irait mieux. Martin se doutait de quelque chose. Il est venu vers Jean et moi et elle lui a dit. Martin ne dirait rien. Matt se rapprochait de Christy. Il s'asseyait à coté d'elle en cours. Il l'a félicitait. Toutes les occasions étaient bonnes pour provoquer un contact physique avec elle. Évidement elle était aux anges. Elle se voyait déjà marier avec Matt et avec trois enfants qui courent dans le jardin. Mais c'était un songe. On regardait ça dans d'un très mauvais œil. Nous devions avertir Christy. Pourtant nous ne voulions pas lui faire de mal. Donc nous n'avons rien fait, toujours ce manque de courage qui me donne la rage. Toute la semaine s'est passée comme ça. Ils étaient tous les deux. Il ne manquait qu'une étincelle pour qu'ils soient en couple. Christy l'attendait. Matt lui, c'était impossible d'être dans sa tête. Il souriait à Christy naïvement, comme un enfant, puis elle riait, ensuite il se tournait vers nous et l'on pouvait lire dans ses yeux qu'au moindre geste contre lui de notre part il pouvait exécuter son otage, Christy. Nous avions donc les mains liés. Mais même si on aurait pu faire quelque chose on l'aurait pas fait. Le vendredi soir Matt avait décidé de venir avec nous à la soirée. Il était assis avec Christy, ils étaient isolés. Christy ne buvait presque pas mais Matt buvait pour deux. Martin jouait son rôle auprès des autres, il occupait la galerie pendant que Jean et moi surveillions Matt. Tout en les observant je pensais aux garçons, puis aux filles et enfin aux couples. Je pense que les garçons sont dans le fond romantique mais ne veulent pas le paraître tandis que les filles, elles, ne sont pas romantiques mais veulent le paraître. Enfin peut-être que je me fis trop aux apparences. La soirée se passait dans un appartement, au second étage, dans un très beau quartier de Caféine Boulevard. Vers une heure du matin Christy et Matt ont pris leur veste et ont commencé à partir. Jean et moi allions les suivre mais Matt nous a dit : « vous inquiétez pas on peut sortir seul. Le quartier est sûr ». Je commençais déjà à perdre espoir lorsqu'ils ont refermé la porte mais Jean m'a dit que depuis le balcon nous pouvions sûrement les entendre. Elle avait malheureusement tord. Christy a pris la main de Matt et ils ont marché ensemble jusqu'au bout de la rue. Nous avons ensuite vu Christy parler, Matt répondre, Christy s'effondrer, Matt partir. On ne savait pas lire sur les lèvres mais on avait une petite idée de ce qu'il lui avait dit. Jean et moi avons donc couru jusqu'à elle. Elle avait demandé à Matt si il voulait entamer une relation avec elle. Il a refusé. La petite Christy pleurait. Nous l'avons ramené à l'appartement. Elle a pleuré puis elle s'est endormie. Le matin Martin et moi l'avons ramené chez elle. La lâcheté n'empêche pas la gentillesse. Pour ne pas avoir à penser j'ai passé mon week-end à faire mes devoirs et à réviser. La semaine qui allait venir était appréhendée par tout le monde. Sauf pour Matt je pense. Il était avec nous. Personne n'osait rien lui dire, même pas Jean, Christy, Martin, et encore moins moi. Il faisait comme si de rien n'était. Christy aussi. Nous ne pouvions tout de même pas le virer de la bande, il traversait juste une mauvaise passe. En cours il répondait à toutes les questions des professeurs en souriant si modestement que c'en était arrogant. Personne ne voulait entrer en compétition avec lui, personne ne voulait parler de toute façon. Je lui ai juste demandé : – Pourquoi t'as fait ça ? – Quoi Sacha ou Christy ? – Les deux. – C'était marrant. – Non pas du tout. – Si mais vous prenez tout au premier degré et sans recul. Prenez du recul vous verrez que c'est pas du tout important, ensuite prenez au second degré et là vous allez bien rigolez. – J'aimerais, on aimerait tous. En sport il formait une équipe à lui seul. Personne ne réussissait à lui prendre le ballon, dans son équipe personne ne pouvait le toucher. Parfois quelques filles criaient qu'il était le meilleur, alors il souriait et les regardait du coin de l’œil. Le vendredi soir fut la libération suprême pour tout le monde, sauf Matt. Nous sommes tous rentrés chez nous séparément. Personne n'avait le moral pour une nouvelle soirée. Personne ne parlait. L'hiver, qui n'était pourtant pas encore arrivé, avait déjà glacé nos cordes vocales. Le week-end je le passais encore à travailler. Si moi je n'allais pas mieux, Matt, lui, était à son apogée. Chapitre 4: Décembre Le lundi matin je suis venu plus tard que d'habitude. Je voulais que les autres arrivent avant moi pour ne pas me retrouver seul avec Matt. J'avais peur de lui. Ce n'était plus l'ami d'avant, c'était autre chose. Je ne pourrais pas tenir une année dans ces conditions, j'en avais assez, il devait se passer quelque chose. Je n'avais pas qu'à espérer et attendre. Par chance sur la route je vis les autres, je les rejoignis donc et nous fîmes la route ensemble. Finalement j'étais le seul à avoir peur. Martin rirait quelle que soit la situation, Jean se défendrait s'il arrivait quelque chose et Christy, elle, se tairait de toute façon. Nous sommes arrivés et Matt était déjà devant la salle, à attendre, calme, serein. Il nous a vu et a souri d'un air narquois. C'en était trop. Alors je suis parti, je ne voulais plus rien avoir à faire avec lui, il me révulsait. Les autres ne m'ont pas suivi, ils n'en avaient pas la force, ils préféraient encore souffrir. Je suis parti fumer et suis revenu pour le premier cours de la journée. En cours il fixait chaque personne qui parlait. Son regard était si pesant que l'on ne pouvait discerner si il allait se jeter sur la personne visée pour l'embrasser ou l'étrangler. Les filles rougissaient, les garçons stressaient. Même le professeur était perturbé par son regard. J'aurais pu être mal à l'aise mais je n'avais pas peur, je pouvais le regarder dans les yeux, même si désormais il me dégoûtait. D'ailleurs je pense qu'il le savait. Aux récréations et le midi j'étais avec Mary , la sœur de Matt. Elle me disait que chez lui Matt était silencieux, et que ça gênait les invités, ses parents et elle-même. Ce silence qu'il imposait était pire que s'il disait les pires atrocités. Je ne m'inquiétais pourtant pas. Il allait bien un jour se passer quelque chose. Un jour cela devrait cesser. Personne ne pouvait supporter ça indéfiniment. Mary était différente de son frère, c'était un enfant sage alors que lui ressemblait à un enfant sauvage. Elle n'était pas sportive et travaillait très dur pour ne pas avoir de trop mauvaises notes alors que Matt, au contraire, était naturellement doué pour ces deux domaines. La semaine passa, en cours je travaillais sans regarder personne. Lorsque je croisais les yeux de Martin, Jean ou Christy je posais sur eux un regard compatissant, qu'ils prenaient avec gratitude. Ils comprenaient mon choix mais n'avaient définitivement pas le courage de me suivre. Ils soutenaient Matt, le supportaient, ou plutôt le surveillaient. Mais lui s'en fichait. Le vendredi soir, comme chaque premier vendredi du mois je suis allé voir Sacha pour recevoir ma commande de livres. J'appréhendais sa vue, son regard. Elle sortit de chez elle, me donna le sac et moi l'argent. Je n'avais plus d'économies pour acheter quatre livres comme les deux derniers mois, j'en recevais donc trois. Le silence était très lourd. Il était gelé. Je ne voulais pas l'entendre, elle ne voulait apparemment pas parler. Je commençai à partir lorsqu'elle me dit : – Je suis désolé. J'étais sur que tu allais l'apprendre, que vous alliez l'apprendre. Mais Matt me plaît vraiment. C'était pas juste pour coucher avec quelqu'un. – Oui il te plaît, comme toutes les filles. Sauf que t'as pas couché avec Matt mais Jim. Si ça avait été Matt, ça ne serait pas arrivé. Matt ne joue pas avec les sentiments des filles, il ne joue pas sur son physique. Matt ne joue pas. – Je sais. – Si tu ne lui avais pas tout donné sur Morrison on en serait certainement pas là, et j'aurais encore mon meilleur ami. Sauf que ton égoïsme l'as tué. – C'est pas de ma faute ! Lorsqu'on me demande quelque chose je le donne moi. Avant moi Matt ne lisait pas. Grâce à moi il se cultive, il a appris plein de choses. – Et maintenant il fait souffrir tout le monde autour de lui. Jean, Christy, Martin, Mary, ses parents et moi. – Tu es jaloux de lui c'est tout. – Non. Je suis jaloux de Morrison, parce que lui intéresse Matt, parce que lui a changé Matt au point que maintenant il se prostitue. Tu t'es trompé, Matt ne reviendra pas vers toi. Il a coché ton nom sur sa liste et maintenant tu es de l'histoire ancienne pour lui. Tu as perdu. Si tu avais résisté, si tu avais résisté jusqu'à ce qu'il ait traversé cette mauvaise passe tu aurais eu une chance de l'avoir. Sauf que maintenant c'est fini pour toi, tu n'es plus dans la course. – Je le sais. Si tu savais comme j'ai honte. Aide-moi, s'il te plaît. Tu es mon ami non ? – Plus maintenant. Je croyais être ton ami mais je te reconnais plus. À présent je te connais aussi bien que la caissière d'un supermarché, et c'est ainsi que je te considère. Au revoir, on se revoit le mois prochain. Sur ce elle a commencé a pleurer. Une autre jour je serais revenu m'excuser et la serrer dans mes bras pour la consoler mais pas aujourd'hui, plus maintenant. Évidement je n'allais pas à la soirée du vendredi. Je préférais rentrer chez moi. À ma surprise mon oncle était là. Il vit que je ça n'allais pas pour moi. Il décida de m'emmener dans un bar, à ma grande surprise, pour que je puisse lui raconter ce qui m'empêchait de sourire, à ma très grande surprise. Car il s'agissait bien de ça, j'avais perdu mon sourire au moment où j'avais perdu mon meilleur ami. Nous étions donc au bar, sur une banquette qui faisait un angle. Je commandai une bière, lui commanda un russe blanc. Le bar qui se nommait L'étalon italien était dirigé par un certain Paul, un homme très sympathique. Sa bonne humeur était telle qu'elle résista à ma mauvaise. Mon oncle a attendu que j'ai bu plusieurs verres pour parler, il n'a pas essayé de me presser. Au bout d'un moment alors, je lui ai tout dit. Tout ce qui c'était passé depuis septembre, Matt, Morrison, les soirées du vendredi, Sacha, tout. Il m'a laissé parler, a attendu puis m'a dit que tout n'allait pas si mal, que tout allait s'arranger, que Matt reviendrait et les beaux jours aussi. Et moi je l'ai cru, pas par certitude mais parce j'avais besoin d'entendre quelque chose de rassurant pour m'y accrocher en attendant que la tempête passe. Nous sommes rentré tard le soir, enfaîte au petit matin. J'ai dormi puis mangé à mon réveil, après ça j'ai retiré du sac les livres que j'avais acheté à Sacha. Je décidais de commencer par Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. J'avais choisi ce livre parce que Rimbaud disait que Baudelaire était le premier « voyant ». Je voulais donc vérifier ça par moi-même. Le samedi je dévorais ces poèmes. C'était grandiose, cette longue lutte entre le Spleen et l'Idéal. Les sonnets ont été inventé par un homme qui avait prévu Baudelaire, c'est certain. Les onze premiers vers montrent l'aspiration à l'Idéal et les trois derniers montrent finalement l'abandon au Spleen. C'était génial, à chaque sonnet j'espérais voir triompher l'Idéal. Puis vint la victoire du Spleen dans le dernier quatrain du dernier poème Spleen. Ensuite Baudelaire montre que l'abandon et le spleen n'ont rien de trop dramatique avec le dernier vers d'Horreur Sympathique : « De l'Enfer où mon cœur se plaît ». Enfin le dernier mot est à l'horloge, le temps qui vainc Baudelaire comme il vainc tous les hommes d'ailleurs. Ce que je pouvais toutefois reprocher à ce recueil était qu'il y avait peut-être un peu trop de poèmes, mais c'est certainement parce que je ne peux pas tout à fait comprendre Baudelaire, moi, pauvre mortel. La certitude que j'avais, et qui me concernait, était que lire Les Fleurs du Mal était le B-A-BA quand on est dans le social comme moi. Le lendemain, dimanche donc, je lisais le très classique Roméo et Juliette de Shakespeare. J'ai beaucoup aimé. Shakespeare, cet homme qui résume le monde en une seule phrase mais qui a besoin de trois pages pour dire « Je t'aime », sauf qu'il ne le dit même pas. Cela n'enlevait pourtant évidement rien à son talent. Le reste du week-end qui me restait fut consacré à mes devoirs et mes leçons, choses beaucoup moins amusantes je vous l'avoue, qui n'ont d'ailleurs plus aucun intérêt après avoir lu Shakespeare et Baudelaire. Le lundi matin, le premier jour de la dernière semaine de cours avant les vacances je ne voulais toujours pas fréquenter la bande, je ne fréquentais pas plus Mary d'ailleurs. Le midi je mangeais seul et je lisais Du côté de chez Swann de Proust à chaque fois que j'en avais l'occasion et ce durant toute la semaine. Le vendredi matin Matt eu une altercation avec la professeure de français. Elle soutenait la thèse que l’œuvre est plus importante que l'artiste, lui le contraire. Pour moi cela dépendait de l'artiste, certains avait une personnalité qui dépassait l’œuvre, comme Salvador Dalí et d'autre non comme par exemple Choderlos de Laclos. La prof avançait des arguments et Matt aussi. Cependant à un moment Matt n'a pas su répondre. Il a donc insulté la prof et est parti en courant en claquant la porte. Martin a alors rompu le silence en riant, ce qui a permis à tout le monde de reprendre son souffle, mais sans rire. Jean a jeté un regard tout plein de mépris sur la porte. Christy est restée bouche bée. Quand à moi j'ai simplement soupiré. Le midi Matt n'a pas rejoint la bande, ce que j'ai donc fais. Il a mangé avec un groupe de filles. Ces filles faciles qui craquent pour les beaux et grands sportifs. La bande m'a alors raconté que Matt n'avait pas beaucoup parlé en mon absence et que je lui avais manqué. J'ai fais comme si je m'en fichais même si au fond ça m'a fait plaisir. Je décidais de passer la soirée avec eux, c'était après tout la dernière de l'année. Après de dernier cours de la journée je finissais mon livre. Proust était grandiose, la construction des phrases, si légendaires, méritaient ce titre. Les petites réflexions sur l'anticipation d'un événement et la déception qu'elle engendre ou encore sur l'habitude m'ont beaucoup touché, certainement parce qu'elles sont universelles. C'est d'ailleurs amusant parce que Shakespeare, lui, parle de sujets existentiels comme la vie, l'amour, la mort alors que Proust parle de sujet sans aucune importance mais qui nous concerne tout autant si ce n'est plus. Néanmoins je ne pouvais pas apprécier l’œuvre en entière puisque je n'étais pas sorti de mon enfance depuis si longtemps que ça. Je décidais donc que je lirais À la recherche du temps perdu lorsque je serais bien plus vieux pour pouvoir l'apprécier dans son intégralité. La soirée avait très bien débuté. Je faisais même quelques imitations, comme au bon vieux temps, pour divertir les autres. Tout le monde était à son poste. À cette soirée il y avait même Lola, la fille la plus peste et pouf et la plus populaire du lycée. Je ne voulais même pas la regarder afin de lui montrer qu'elle avait peu d'importance pour moi. Même si je n'en avais pas plus pour elle. Toute la bande la haïssait. Nous lui souhaitions tous beaucoup de mal. De toute façon c'était à coup sûr ce qui allait lui arriver, au mieux elle pourrait plus tard prétendre à un poste de secrétaire pour une minable compagnie d'imprimerie. J'appris même avec plaisir qu'elle était venue pour voir Matt puisqu'il n'était pas là. Cependant quelques minutes plus tard, Matt est arrivé. Martin lui a tout de suite appris pourquoi Lola était ici. Matt a alors souri. Il s'est dirigé d'un pas élancé, qui trahissait beaucoup de confiance en soi, vers elle. Il n'a pas eu besoin de beaucoup lui parler. Il lui a pris la main et ils sont partis dans la chambre des parents du type qui invitait ce soir-là. Personne n'a osé les déranger. Le lendemain lorsque j'ai ouvert les yeux Matt était en face de moi, nous étions nez-à-nez, il souriait. Il m'a dit de regarder à ma gauche, ce que je fis, et je vis Lola qui pleurait, par terre, le maquillage jusqu'aux joues. Matt a levé les sourcils pour mieux arborer ses yeux malicieux et m'a dit « Alors ? ». J'ai souris et je lui ai dit « Bien joué. C'était aussi amusant que de faire souffrir Christy et Sacha ? ». Là dessus il est parti, vexé. Je savais bien qu'il voulait me faire plaisir, mais je ne trouvais vraiment pas ça très moral. Même si cela faisait rire Jean et Martin ; Christy, elle, était déjà partie en pleurant depuis longtemps j'imagine. Ensuite je suis rentré chez moi. Les vacances de fin d'année commençaient. Malgré toutes ces lumières le froid me touchait beaucoup plus. J'ai dormi toute la journée. Je me suis réveillé en fin d'après-midi. J'ai relu et trié mes différentes notes sur les sujets qui m'intéressaient puis j'ai mangé seul devant un documentaire sur les poulpes, qui sont plus intelligents qu'on ne le pense d'ailleurs, avant de m'endormir. Je n'avais aucune idée de ce que je pourrais bien faire de mes vacances. Deux semaines d'ennuis allaient donc pouvoir commencées. Le mardi de la première semaine j'ai reçu un appel de Mary qui me disait qu'elle était au courant que je passais Noël seul et me demandait si je désirais le passer chez elle. Même si je savais qu'il y aurait Matt je décidais de venir pour avoir un minimum de vie sociale ce jour de fête, qui célébrait la naissance d'un mythomane certes, mais qui était toutefois symbolique. Je savais que la famille de Matt n'avait pas un mode vestimentaire très classe malgré le faîte qu'elle soit très bourgeoise mais pour une occasion comme celle-ci, pour à peu près coller à l'ambiance, j'optais pour mettre la seule chemise que j'avais. La tentative était tout de même vaine puisque j'avais un jean délavé trop grand et une paire de Converse All Star que j'avais depuis maintenant trois ans et demi. Finalement lorsque je suis arrivé les rires de Mila, Robert, Matt et Mary m'ont montré que ma tentative, même si elle les avait beaucoup amusé, avait tout de même même été inutile. Moi j'avais un goût amer dans la bouche car à chaque tentative pour m'intégrer dans un milieu j'étais à coté de la plaque. J'avais apporté une modeste bouteille de champagne pour ne pas venir les mains vides, Robert, le père de Matt, me donna un bienveillant sourire pour récompenser mon effort. Comme son fils il était plus ou moins gêné par sa réussite. Sous le sapin il n'y avait aucun cadeau, j'ai donc pensé qu'ils les gardaient pour se les offrir le lendemain matin, quand je ne serais plus là. Même si une certaine distance subsistait ils me donnaient l'impression de faire partie de la famille, mais si ce n'était que pour une nuit, en particulier Mila, la mère de Matt. J'ai remarqué qu'il y avait comme qui dirait un froid ce soir entre Robert et Matt, ils ne s'adressaient pas la parole, ils devaient avoir des comptes à régler. Le repas fut très convivial. Je parlais de mes lectures avec Mila, qui avait évidement lu les mêmes à mon âge, tandis que Robert parlait avec Mary de ses résultats scolaires sous le regard à la fois hautain et désabusé de Matt. Vers trois heures du matin Robert m'a ramené chez moi. Il riait en entendant les divagations de l'adolescent que j'étais, qui avait lutté et qui avait finalement perdu contre l'alcool. Il m'a porté et m'a allongé sur mon lit, pendant ces quelques minutes, ou moins, j'ai entrevu la sensation que ça procurait d'avoir un père : du vide devant l'acquis. Le lendemain je me suis réveillé à trois heures de l'après-midi. Comme prévu je n'avais aucun cadeau, je n'en voulais pas. Être athée et recevoir des cadeaux à Noël était une bêtise pour moi. Je ne voulais pas profiter de l'occasion comme font beaucoup et puis de toute façon mon oncle n'avait pas d'argent à dépenser pour une fête aussi futile. Je suis passé devant le téléphone fixe et j'ai vu qu'il y avait un nouveau message, il était du téléphone portable de Mary. Il disait : « Bonjour Tom. C'est horrible. Quand mon père est rentré hier soir il s'est disputé avec Matt parce que ses notes sont en chute libre depuis le début de l'année. Mon père l'a donc déshérité. De ce fait Matt n'aura ni un sou ni un emploi dans l'entreprise familiale lorsqu'il aura sa majorité et son diplôme de fin d'année. Après ça Matt est parti en courant et on ne sait pas où il est. Si tu as une idée d’où il pourrait être rappelle-moi je t'en prie. ». Évidement je n'ai pas rappelé Mary. Matt n'était pas stupide, il était forcément en sécurité quelque part chez une connaissance. Je ne voulais vraiment pas m'occuper de ce genre de soucis bourgeois. Si Matt n'avait pas l'argent et le travail il n'aurait qu'à faire comme tout le monde : en trouver un pour gagner sa vie, c'était aussi simple que ça pour moi. On peut survivre sans privilège, même lorsque l'on est habitué à une vie de petit bourgeois. Pendant deux jours j'ai ensuite fait mes devoirs puis j'ai appelé Martin pour moi aussi apporter mon aide aux gens qui par ce froid étaient dans la plus grande nécessité du monde. Ce n'était évidement qu'une excuse, je voulais juste échapper à la solitude et observer les gens. Martin et moi travaillions donc pour une association qui apportait des couvertures, de la nourriture et de la chaleur humaine à des sans-abris. Martin n'hésitait pas à les faire rire et à les aider de tout son cœur, à l'inverse de moi qui en retrait portait les couvertures et la nourriture sans même oser prononcer un mot. Ces personnes n'étaient pas de véritables personnes pour moi. J'avais du mal à les regarder autrement que par pitié. Je les aidais mais ce n'était que pour ne pas être seul, c'était une excuse. De plus je les utilisais comme sujets pour voir jusqu’où un être humain pouvait perdre sa dignité. Martin m'a dit que pour le nouvel an une soirée était prévu, de plus c'était également le dix-septième anniversaire de Jean. Je lui demandai si Matt serait présent, il m'a répondu que non, ma réponse était donc la même. Je n'avais pas spécialement envie de voir Matt, ce n'était qu'un subterfuge, un prétexte pour refuser. J'avais trop vu de monde en travaillant bénévolement pour cette association, j'avais maintenant besoin de solitude avant d'attaquer les cours. Mes derniers jours de vacances je les ai passé à réviser entre deux siestes. Je faisais ça machinalement. Je ne voulais pas me fatiguer donc je dormais le plus possible pour ne pas trop réfléchir. Évidement la veille de la rentrée je n'ai pas dormi de la nuit. J'ai donc réfléchis et pour fêter le nouveau tour que la Terre avait fait autour du soleil je pris la résolution de pardonner à Matt, d’essayer de l'aider, même si cela allait à l'encontre de mes principes empiriques car pour moi tout le monde devait se débrouiller seul dans la vie, comme moi. Chapitre 5: Janvier Le lundi matin, premier lundi de cette nouvelle année, j'arrivais en avance, comme à mon habitude. La bonne humeur des autres allait amplifier ma mauvaise. Je savais qu'il s'était forcément passé beaucoup de choses pendant les vacances mais cette fois je n'avais plus envie, parce qu'à chaque changement la situation empirait. Je n'étais pas dans le même rythme que la vie. J'étais comme d'habitude : décalé. L'hiver était là. Il me giflait le visage. Mes lèvres étaient violettes. Ma peau était devenue très blanche. L'hiver me purifiait des excès de l'été. L'hiver à l'état dur. J'étais seul devant la salle quand la bande est arrivée. Ils avaient tous tant changé, mis à part Martin que j'avais vu vers la fin des vacances. Jean était dans des vêtements d'hiver tout à fait chic. ET même si je n'aimais pas bien ce style vestimentaire je dois avouer qu'elle était rayonnante par son contraste avec le froid, comme le genre de filles qu'on voit passer dans la rue mais qu'il est totalement hors de question d'aller aborder. Comme un fantôme qui passe dans le ciel, même un voleur ne pouvait pas la saisir. Christy était habillée dans des tons gris mais ses vêtements n'avaient aucune importance. Sa peau était blanche comme la mienne et la neige. On aurait cru voir de la neige blanche et fraîche sur de la grise qui a déjà plusieurs jours. Elle était sublime. Toutefois on peut penser que c'est le contraste entre son visage et ses vêtements qui la rendait si belle. Cependant je dois admettre que c'est Matt qui m'a le plus interloqué. Ses cheveux bruns touchaient maintenant légèrement ses yeux, comme des sortes de petites grilles, sauf qu'elles accentuaient son regard : cette épée qui transperçait le cœur des filles et coupait en morceaux celui des garçons. Il était dans des vêtements de cuirs, comme Jim Morrison. Un pantalon et une veste en cuir avec un t-shirt blanc et un paire de santiags. Il ressemblait à un ange qui claque la porte au paradis pour aller en enfer, ce qui d'une certaine façon était le cas. On aurait pu croire qu'il était ridicule, évidement, mais une fois que ses yeux se posaient sur quelqu'un, la personne était pétrifiée et dans l’incapacité de réfléchir. D'ailleurs je connus cet état lorsqu'il m'a aperçu et regardé pour me saluer. Ils étaient tous de très bonne humeur, même Christy. Dans cette situation je ne pouvais me résoudre à me tenir encore à l'écart de la bande. On se souhaita à tous une bonne année et une bonne santé même si malgré tout nous étions arrivés à un âge où chaque année est pire que la précédente. Ensuite vint le tour de ce que nous avions fait de nos vacances. Je savais déjà ce qu'avait fait Martin des siennes, c'était donc celles des autres qui m'intéressaient, et surtout Matt. Jean avait passé quelques jours à la montagne puis avait fait la tournée des expositions des fêtes de fin d'année. Christy avait passé son temps à lire. Toutes les deux avaient donc passé des vacances plutôt ennuyeuses. Matt ne dit rien. En cours je lui demandais donc ce qui s'était passé le soir de Noël. Il me dit qu'il s'était disputé avec son père pour des broutilles, qu'il avait donc passé le reste des vacances chez un ami (dont il ne me dit ni le nom ni ce qu'ils avaient fait) et qu'enfin il était revenu habiter chez lui hier soir. Je devais donc me contenter de cela et ça me suffisait amplement. Le midi, après que nous ayons mangé Matt s'est écarté de nous pour aller voir un garçon qui devait avoir environ vingt-cinq ans. Il faisait donc et déjà pédophile devant un lycée. Je demandai donc à Jean, qui était à coté de moi : – C'est qui le type avec qui est Matt ? – Tyler. – Je m'en fiche de son nom je t'ai demandé qui c'était. – C'est un dealer. – Mais on en connaît pas nous des dealers ? On a déjà un dealer attitré alors pourquoi aller vers ce mec là ? – Évidement mais notre dealer à nous il ne vend que des drogues douces alors que lui il vend de tout : de l'aspirine au cyanure. – Tu sous-entends que Matt, maintenant, prend de la cocaïne ou de l’héroïne ? – Pourquoi il irai voir un gars comme Tyler sinon ? – Ouais tu dois avoir raison. – Évidement. – Et tu penses que Matt a été habité chez ce type pendant les vacances lorsqu'il a en quelque sorte fugué ? – Ça ne fait aucun doute. T'es idiot ou quoi ? – Non. Je demande en espérant que tu m'apprennes que je le suis. Ces deux nouvelles ne me surprenait même pas. Matt avait atteint le point zéro dans mon estime. Pourtant la plupart des gens qui prennent de la drogue c'est parce qu'ils s'ennuient où qu'ils ont des problèmes. Matt ne pouvait pas s'ennuyer et le problème qu'il avait concernant son avenir pouvait facilement être réglé en travaillant en temps soit peu en cours. Une troisième raison était donc envisageable et beaucoup plus crédible : Jim Morrison. Cette raison posait donc une nouvelle question, pourquoi Morrison m'élevait-il vers l'Idéal tandis qu'il faisait tomber Matt dans le Spleen ? Certainement parce que lui et moi ne faisions pas raisonner en nous Morrison de la même façon. C'est étrange qu'un chose puisse avoir des effets différentes sur deux personnes aussi proches que nous. Matt discutait avec ce garçon qui avait le don d'arranger les problèmes des autres dans un but lucratif. Un travail aussi fascinant que méprisable que celui d'être un dealer. Durant la semaine Matt arrivait souvent drogué en cours. Parfois la drogue lui donnait une énergie d'enfer, il souriait et répondait constamment aux questions des professeurs. Parfois c'était tout le contraire, il était mal et avait la tête dans ses bras et dormait, secoué par des rictus de douleurs. Les garçons et les filles de la classe le trouvait « cool ». Mais dans la bande personne ne supportait ça, tantôt il fallait le contenir pour ne pas qu'il insulte, frappe ou drague tout le monde ; tantôt il fallait le porter pour ne pas qu'il reste allongé toute la journée dans les couloirs. C'était insupportable. C'est à ce moment là que j'ai décidé que je n'aurais jamais d'enfant. Le vendredi soir j'avais décidé de ne pas aller à la soirée parce que je n'avais plus envie de m'occuper de Matt. J'allais donc chercher mes livres chez Sacha. Arrivé devant sa porte elle me tendit le sac, moi l'argent puis je commençai à partir lorsqu'elle me dit : – Matt va bien ? – Génial il s'est mit aux drogues dures et pourrit la vie de toute la bande. Et ça c'est en partie grâce à toi. Merci infiniment gentille de dévouée Sacha. – Je crois que tu surestimes mon rôle dans cette histoire. D'accord c'est moi qui lui est donnée ce qu'il demandait mais c'est toi qui lui a parlé de Morrison en premier ! En entendant ces mots je compris ma part de responsabilité dans cette histoire mais je ne voulais pas avoir à l'assumer devant Sacha. S'il arrivait quelque chose à Matt à cause de Morrison ce serait de faute. Il fallait que je protège Matt parce qu'après tout c'est moi qui avait été l'élément déclencheur de son idolâtrie pour Morrison. Pourtant je n'avais pas le courage de me rendre à la soirée, je comptais donc sur Martin, Jean et Christy pour me remplacer ce soir-là en faisant une nouvelle fois la résolution de prendre soin de lui en attendant que la tempête passe. En arrivant chez moi je fis mes devoirs pour pouvoir passer le reste mon week-end à lire les livres que j'avais acheté. Je commençais par Candide de Voltaire. J'ai adoré. Je ne pensais pas qu'un livre qui critiquait le monde pouvait être aussi agréable à lire. J'avais appréhendé le faîte qu'il puisse être un peu lourd. L'écriture de Voltaire était très habile, avec une technique naïve à la Socrate qui révélait un certain fatalisme. Un vrai génie littéraire qui en plus de donné du plaisir à lire donnait également envie de passer une soirée à rire avec cet homme qui devait être très agréable. Je poursuivis avec Les Rêveries du promeneur solitaire de JeanJacques Rousseau, l'ennemi de Voltaire. C’était tout le contraire de ce dernier. C'était lourd, ennuyant et à chaque phrase j'avais envie de hurler à Rousseau : « Vas-y mec ! Suicides-toi qu'on en parle plus ! Tout le monde te déteste alors t'as pas à hésiter ! ». Malgré que je détestais Rousseau je devais cependant avouer que son écriture était très habile, ce qui ajoutait en plus à ma haine qu'un homme aussi médiocre ait un aussi grand talent. Rousseau était un pré-romantique, ce qui me dégoûtât donc du romantisme. Le dernier livre que je lus durant ce week-end fut Dom Juan de Molière. Encore une fois la critique de la société était sublime. La scène entre le pauvre, Dom Juan et Sganarelle fut ma préférée. Molière faisait passer ses idées si bien à travers Dom Juan que le personnage aurait pu porter son nom. Il est vrai que les humains qui prient sont le plus souvent plus malheureux que ceux qui sont sans scrupules. Sans scrupules pour moi signifie sans attache, ce qui signifie libre. La tirade de l'infidélité selon Dom Juan était grandiose, encore une fois très habile (ce week-end décidément !). Évidement je ne pouvais adhérer à cette doctrine mais elle m'a fait comprendre qu'un philosophie sert avant tout à donner bonne conscience. Une philosophie comme la philosophie chrétienne empêche de faire beaucoup de choses, comme la plupart des religions d'ailleurs, alors je pense que tout le monde devrait avoir la sienne pour être tout à fait libre de ses actions et pouvoir toucher le bonheur. Mais ceci est mon avis très personnel et je sais que qu'il pose des problèmes moraux. Ça fait donc de moi un immoraliste en quelque sorte. Mais j'avais maintenant mal à la tête à force de réfléchir, je me décidais donc à dormir puisque demain une nouvelle semaine commençait où je devrais tenter d'aider Matt. Le lundi matin j'arrivais avant les autres. Ils arrivèrent dix minutes après, la mine basse, sauf Matt qui souriait. Matt avait un coquard à l’œil gauche. À part je lui demandais donc : – Salut. – Hey salut mec, comment ça va ? – C'est à moi de te le demander, ta un œil qui foire on dirait. – Oui t'as vu ça ? – Bah c'est assez flagrant. Comment tu t'es fait ça ? – C'est un affreux malentendu, vraiment. C'est regrettable d'ailleurs d'en venir à la violence. – Et pourquoi un type aurait voulu te mettre un coup de poing ? – Je te raconte. Il était venu à la soirée avec sa copine, et puis il l'a laissé pour parler de football avec ses copains. Je voulais pas qu'elle se sentent seule alors j'ai été vers elle. J'ai toujours été trop gentil, tu le sais bien. Une jolie fille seule moi ça me faisait mal de la voir comme ça. Donc on a discuté et puis elle aussi elle a bu donc on s'est rapproché donc on a couché ensemble donc quand je suis ressorti du lit d'amour des parents du gars (parce que la soirée se passait chez lui en plus) il m'a frappé. C'est vraiment dégueulasse de traiter ses invités comme ça. Il n'y a plus de morale dans notre monde mec. Mais ça aurait pu être pire parce que Martin est venu me protéger comme je vacillais sur mes faibles jambes. Du coup le gars a viré Jean, Christy, Martin, sa copine et moi. On est tous rentré chez nous et la fille a dormi chez Jean. – Je vois, ouais. Heureusement que tétais là mec. Et le type a quitté sa copine ? – Bah oui il allait pas la garder après qu'elle est couché avec un autre dans le lit de ses parents. Il l'avait mauvaise le gars, il l'a vraiment mal pris. – Je crois qu'avec un peu d'imagination je peux comprendre sa réaction. – En tout cas je veux plus y retourner chez lui moi. – Lui non plus je pense. Sur ce Matt est rentré en cours et la bande et moi aussi. Toutes les filles de la classe se sont inquiétées pour Matt, ce qui leur donnait un prétexte pour s'approcher de lui, difficile de dire s'il jouait avec ça ou s'il en avait besoin. Toute la semaine Matt a été défoncé. En sport il s'effondrait sur le terrain et disait au prof qu'il souffrait de vertige. Je le rattrapais à chaque fois, mon zèle réussissait à faire face à ses abandons. Cependant le vendredi midi nous avons décidé de demander à Matt d'arrêter ses bêtises. Il nous a écouter sans dire un mot puis a sourit et il a dit qu'il comprenait et que « c'était vraiment pas sympa de se part ». Il avait l'air d'être résolu à tout arrêter, même si c'était plus pour nous rassurer que pour sa santé mentale et physique. Dans ces conditions je décidais de venir à la soirée du vendredi. De plus je n'avais vraiment rien de mieux à faire. La soirée fut très tranquille. Matt restait collé à Christy et fuyait devant les avances des filles quand Christy ne les repoussait pas elle-même. Martin, Jean et moi avons beaucoup rit pendant que Matt et Christy parlaient dans leur coin. Je passais mon week-end à réviser puis à écrire une thèse sur la relation entre les idoles et leurs fans. Les fans qu'on appellent aussi « supportèrent » ne supportent rien, enfaîte ils sont soulevés. Ils se laissent porter par une idole. Cette idole peut porter des millions de fans, il ne faut donc pas s'étonner si elle prend de la drogue pour se soulager. Prenons l'exemple, au hasard, de Jim Morrison. Il portait une maison de disques à qui il devait faire gagner des millions de dollars, il devait supporter des millions de fans et faire face à des pressions politiques, médiatiques et culturelles. Personne ne peut survivre à tout ceci seul. C'est donc un appel à l'aide logique de prendre de la drogue. J'ai réfléchis à la mort d'Albert Camus et je suis persuadé et convaincu que c'est un suicide. Camus était l'écrivain en vogue du moment grâce au pris Nobel de littérature. Il avait plusieurs projets, dont celui de passer de l'absurde à l'amour. C'était une personne que tout le monde écoutait. Je pense qu'il n'a pas supporté toutes ces pressions et que dans cette voiture il a tué Michel Gallimard en provocant cet accident. Ce n'est pas du tout étonnant que le suicide soit la réponse d'une idole à son publique. Toutefois ceci n'est que l'avis d'un lycéen futile et certainement stupide mais je garde quand même cette thèse dans l'espoir d'en avoir peut-être un jour une meilleure même si celle-ci tient la route à mon sens. La semaine suivante Matt s'est tenu tranquille, il est resté collé à nous pour être sûr de ne faire aucune bêtise. C'était rassurant de l'avoir à portée de main mais fatigant de l'avoir constamment sur le dos. En cours il se contentait d'écrire, en sport il baissait la tête lorsqu’il gagnait. Toute le monde était ravis. Néanmoins il se retenait et j'aurais aimé que ça lui paraisse normal de ne pas se faire remarquer, mais pour l'instant je ne voulais pas lui en parler, la paix restait quand même fragile et un rien l'aurait fait basculer de l'autre coté. Le vendredi c'était l'anniversaire de Martin. Comme il était majeur et que maintenant nous n'aurions plus jamais de problème pour acheter de l'alcool nous décidâmes d'aller au bar à L'étalon italien pour fêter ça. Avant nous appelions des connaissances où nous donnions de l'argent à des clochards pour nous en procurer. Jean et Matt payaient des tournées toutes les demi-heures et Paul, le patron du bar, nous les apportait. Quel joie pour Martin de pouvoir présenter une carte d'identité qui l'autorisait à boire tant qu'il voudrait même si c'était assez dangereux finalement. Il y avait une petite scène où un vieux groupe de jazz mettait l'ambiance. Au milieu des blagues et des rires je prenais conscience que cette année nous allions tous devenir majeurs. Cette soirée symbolisait la fin et le point de départ d'une nouvelle période pour nous. Mais je ne voulais pas trop y penser. À la fermeture nous sommes rentrés chez nous chacun de notre coté. Le lendemain nous allions tous au vernissage d'une galerie d'art. L'exposition s'appelait Spleen et Idéal, elle se déroulait sur trois pièces. La première montrait le Spleen avec notamment un aquarium fermé remplie d'excréments peint avec des couleurs vives. La seconde montrait la lutte avec notamment une photo d'une partie d'échec. La dernière, Idéal, montrait notamment une image du film Eyes wide shut de Stanley Kubrick. Nous avons fait le tour en passant environ deux ou trois minutes devant chaque œuvre. Sauf Matt qui en passait vingt. Cette exposition était un message d'espoir qui nous encourageait à nous battre pour devenir meilleur dans notre spécialité. C'est normal que Matt ait adoré plus que nous, même si nous avons tous aimé. Le dimanche j'ai fait mes devoirs. Cette activité me semblait de plus en plus absurde, j'avais l'impression d'être Sisyphe. Mais je n'avais pas le courage de me révolter, comme la plupart des gens d'ailleurs. Le conformisme conforte et réconforte. La dernière semaine du mois fut une énorme déception pour la bande. Le jeudi nous sortions après la sonnerie et nous avons vu Matt qui achetait de la drogue à Tyler en essayant de se cacher. Christy est partie en pleurant, Martin a fait semblant de ne pas voir, et Jean et moi sommes partis sans rien dire, déçus. Le lendemain, vendredi, nous avons tout de même décider d'aller à la soirée. J'accompagnais Martin pour aller chercher l'alcool, c'était maintenant son nouveau rôle. Toute la soirée Matt s'est défoulé. Nous étions tous trop faible pour le contenir alors nous avons bu bien plus que de raison pour ne pas avoir à répondre de ses actes et avoir une excuse à peu près valable. Le lendemain matin nous sommes tous vite parti. Le reste du week-end j'ai fait mes devoirs en les faisant durer afin de ne pas réfléchir. C'est certainement le secret des prolétaires pour ne pas voir le faîte qu'ils sont exploités : travailler pour ne pas réfléchir. Chapitre 6: Février Le lundi matin tout le monde a fait comme si le jeudi et le vendredi de la semaine passée n'avaient jamais existé. Tout était faux, les mots, les gestes, les sourires, les regards. C'était insupportable. Et pourtant moi aussi je souriais, comme beaucoup font d'ailleurs, préférant s'amuser d'un mensonge plutôt que d'en découdre avec la vérité. L'abandon au Spleen est toujours plus facile que de lutter pour l'Idéal. Même si j'avais envie de me battre l'envie de suffisait pas, il fallait encore la force, le courage et la volonté, je n'avais aucune de ces choses aujourd'hui. En cours Matt m'a dit que ses parents n'étaient pas chez lui de la semaine et que je pouvais habiter chez lui en attendant si je le voulais. Sans réfléchir, j'ai accepté. Donc le lundi soir j'ai fait mes bagages (ce qui a été très rapide), j'ai prévenu mon oncle et le mardi soir après les cours j'ai emménagé chez Matt. J'avais oublié que Mary allait être là, lorsque je l'ai vu Matt a compris ce que j'ai pensé et il m'a dit qu'elle ne répéterait rien à personne, donc qu'on pouvait faire ce qu'on voulait. Alors le soir, quand bien même les cours reprenaient le lendemain, nous avons bu du whisky et fumé jusqu'à l'aube. Nous sommes arrivés en cours en puant le tabac et l'alcool, sales, vacillants, et pourtant joyeux comme jamais. J'avais retrouvé mon meilleur ami. C'était de nouveau lui et moi, ensemble. Évidement je savais que ce que je faisais était contre mes principes mais je m'étais promis qu'après cette semaine je serai raisonnable jusqu'à la fin de l'année. Le soir nous avons continué sur le même régime en remplaçant les cigarettes par de la marijuana. Quand Matt a sorti de l'herbe du tiroir de son bureau je n'ai même pas réagi, comme si c'était normal, sauf que ça ne l'était pas. Le jeudi matin c'était une nouvelle journée de débauche. Un micro-quotidien c'était formé entre Matt et moi. Les jours se ressemblaient mais ça aurait pu durer une éternité sans qu'aucun de nous ne s'en plaigne. Le vendredi soir nous avons été à la soirée. Tout, tous, toute et toutes tournaient autour de nous. La soirée est passée très vite, nous avons rit, chanté, hurlé et dansé. Tout ceci avec l'alcool comme carburant. Sauf qu'à un moment donné c'est devenu le trou noir, soit je me suis écroulé par terre ou alors mon esprit a préféré censurer la fin de la soirée. J'ai repris mes esprits dans le lit de Matt, je n'avais aucune idée de comment j'avais atterri ici. J'ai regardé l'heure, il était quinze heure, la journée était donc foutue. Je suis descendu dans le salon et Matt m'a apporté quelques trucs à manger. Nous avons passé l'après-midi à regarder des films des frères Coen. Puis vers vingtet-une heure nous avons été mangé à la pizzeria. Ensuite Matt m'a dit qu'on allait aller s'amuser. J'étais sceptique mais je l'ai tout de même suivi. Il m'a amené dans un appartement où nous étions les plus jeunes, la moyenne d'âge devait être de vingt-cinq ans. C'était là qu'habitait Tyler. Au début nous avons ri tous les trois. Tyler avait beaucoup de charme, il aurait pu faire acheter un vieux tacot six millions de dollars à n'importe qui tellement il savait bien s'exprimer. Au bout d'une demi heure, il m'a proposé d'aller me piquer à l’héroïne mais j'ai refusé, donc Matt aussi. La musique était affreusement forte, ce n'était pas de la musique d'ailleurs : c'était du bruit. Je suis parti fumer une cigarette dehors puis, ne retrouvant pas Matt dans l'appartement, j'ai demandé à Tyler qui m'a indiqué une pièce au fond du couloir. J'y suis donc allé et j'ai vu une dizaine de garçons qui violaient une fille qui était complètement défoncée. J'ai refermé la porte et je suis parti. Ensuite j'ai croisé Matt et nous sommes rentrés chez lui ensemble. Évidement il savait ce que je pensais de tout ça. Nous n'avons pas dit un mot, ce n'était pas nécessaire, nous savions déjà tout. Une fois arrivé chez lui j'ai rapidement réuni mes affaires et je suis rentré chez moi. Dès que je suis arrivé chez moi j'ai pris une douche d'environ une heure, je me sentais plus sale que jamais. Ensuite j'ai été dormir. J'ai passé le samedi à dormir d'ailleurs, puis le dimanche à faire mes devoirs. Le lundi Matt est venu s'excuser. La bande m'a alors demandé ce qu'il s'était passé. À la fin de chaque cours les professeurs m'ont demandé ce que j'avais eu la semaine passé. Le soir mon oncle m'a demandé pourquoi j'avais l'air si fatigué. J'ai répondu à Matt que ce n'était rien, à la bande qu'il ne s'était rien passé, aux profs que je n'avais rien eu et à mon oncle qu'on m'avait ennuyé toute la journée. Il m'a répondu que j'avais oublié d'aller acheter des livres vendredi dernier. Cela m'était complètement sorti de la tête. J'ai alors pris conscience que Matt avait une très mauvaise influence sur moi et que je devais dorénavant prendre garde si je ne voulais pas passer de l'autre coté. J'avais des principes mais dès que Matt était là j’oubliais tout et je me laissais entraîner. Le mardi, la routine (comme la nature) a repris ses droits. La suite de la semaine n'a été que des jours semblables. Matt délirait sous LSD pendant que nous échangions des regards fatigués. Le vendredi soir je suis allé avec Christy chez Sacha. Mauvaise idée d'ailleurs que les deux se voient, mais je m'en fichais complètement. Nous n'avons pas échangé un mot. Elle a essayé d'engager la discussion en feignant que j'avais donné trop d'argent pour démentir une seconde plus tard. Je ne me suis même pas retourné. Ensuite nous sommes allés dans une librairie où Christy a volé une dizaine de livres de poches. Sur le chemin pour aller à la soirée, je l'ai entendu pousser un léger rire, je me suis tourné vers elle et elle m'a dit : – Pourquoi est-ce que t'achète encore des livres à Sacha ? – Parce que ses prix sont imbattables. – Moi ses prix je les bat avec ma méthode. Pourquoi ne pas voler les livres dont tu as besoin ? – Je sais pas trop. Peut-être qu'au fond de moi j'ai envi de participer à la société de consommation. C'est comme ça que marche notre système après tout. – Il est daubé ton système et tu le sais bien. Pourquoi il faudrait payer pour être cultivé ? – Il faut bien payé pour que les auteurs continuent d'écrire. Si personne n'achetait plus de livres, il n'y aurait plus d'écrivains. – Ouais mais toi t'as acheté des livres qu'à des types morts. Ils en profitent pas de ton fric les cadavres et puis leur famille a qu'à bosser au lieu de vivre sur le dos des macchabées. – Bon je dois avouer que t'as raison Christy. Mais ça me fais un peu flipper de voler tu vois. Je suis pas un voleur et j'ai été élevé dans une famille catholique. Si toi tu peux dormir la nuit avec ça sur la conscience tant mieux, mieux je peux pas. Désolé. – Fous-toi de ma gueule. Au début ça fait peur mais après tu verras c'est très excitant, puis finalement ça devient aussi stressant que de se laver les dents. – Bon alors j'ai pas le choix. D'accord je vais faire comme toi maintenant, mais seulement si tu viens avec moi. – Ça marche. – Et si je dois un jour acheter un auteur qui est encore en vie je passerai par Sacha. – Pas de problème. Nous sommes arrivés à la soirée, c'était assez bruyant, plein de petits groupes qui discutaient. Nous nous sommes assis vers Jean et Martin, j'ai commencé à parler des cours et Jean m'a dit de la fermer parce que c'était les vacances. Je n'y avais même pas pensé mais effectivement c'était les vacances. Cependant je ne ressentais pas le besoin de vacances, j'étais en forme et j'aurais pu faire encore deux ou trois semaines de cours. Nous discutions maintenant de ce qu'on allait faire pendant les vacances. Je n'ai pourtant aucune idée de ce qu'ils ont dit parce que je n'ai pas du tout écouté. Je regardais Matt qui parlait, debout, avec deux garçons et une fille. Ils avaient l'air très sérieux. Je me suis alors tourné vers Martin : – C'est qui les trois qui parlent avec Matt ? – La fille c'est Jamy et les deux types Johnny et Bobby. – Je m'en fout de comment ils s’appellent. Il fait quoi Matt avec eux ? – Bah ils montent un groupe. – Groupe de quoi ? – De musique. Matt m'a demandé quelques conseils pour chanter. Il m'a dit qu'il allait rejoindre un groupe. Leur groupe s'appelle Room Window. – Et ils vont jouer où ? – Au bar de Paul : L'étalon italien, tous les samedis soir à partir de la semaine prochaine. J'étais cloué. Personne ne m'en avait parlé. Ils n'avaient vraiment pas l'air d'un groupe. Les deux garçons étaient petits et gros, la fille était blonde et sale (même si elle était attirante) et Matt lui était un grand fauve tout de cuir vêtu. Ils n'avaient vraiment rien en commun. J'étais toutefois décidé à aller les voir jouer la semaine prochaine. Parce que c'était mon pote. Parce que j’aimais ce bar. Parce que j'aimais la musique. Parce que je voulais contempler cette fille sans avoir l'air d'un pervers. Parce que j'aime faire ce que je veux même si pour cela je dois trouver des prétextes bidons. Cette nouvelle avait fait battre mon cœur à cent à l'heure même si ça m'étonnait autant que lorsque je vois le soleil se lever à l'aube. J'ai donc prit la bouteille de whisky et je suis allé boire tout seul dans mon coin. Le lendemain la propriétaire de l'appartement m'a viré à coups de balais. En rentrant chez moi j'ai pris une douche puis j'ai commencé mes devoirs afin de pouvoir passer le reste de mes vacances tranquillement. J'ai fait durer mes devoirs jusqu'à samedi. Tout était vraiment parfais, j'allais avoir les meilleurs notes de la classe sans aucun doute. J'ai également rédigé quelques thèses sur la relation entre les fans et les idoles. Le samedi je suis allé à L'étalon italien seul avec Christy parce que Jean et Martin était parti en vacances à la montagne, à leur grand regret d'ailleurs. Le ski est une chose totalement absurde, il s'agit de descendre une pente pour la remonter ensuite et recommencer. Les gens qui vont faire du ski s'afflige la même punition que celles des dieux à Sisyphe, sauf qu'ils le font par choix et de bon cœur. Les parents de Matt y étaient également mais lui avait préféré resté chez lui. Nous sommes arrivés à dix-neuf heures trente, le concert commençait à vingt heures. Le bar était bondé (principalement des jeunes filles, enfin de mon âge quoi), je suis entré en suivant Christy qui poussait les gens pour se faire un chemin. Nous avons ensuite attendu qu'un groupe de jeunes aillent fumer dehors et nous nous sommes assis à leur table. Nous avons commander deux bières, Christy avait atteint le bon âge deux jours avant. Finalement Room Window est arrivé à vingt heures trente. Les instruments étaient déjà près sur la petite scène. Les trois premiers se sont mis en place, Jamy était donc guitariste, et les deux autres garçons étaient au synthétiseur et à la batterie. Je ne savais jamais lequel était Bobby et lequel était Johnny. Lorsque Matt est monté sur scène toutes les filles se sont mises à crier, sauf Christy bien entendu. Ensuite pendant quatre heures ils ont fait des reprises de The Doors qui n'étaient pas si mal d'ailleurs, Matt avait réussi à modifier sa voix en buvant une gorgée de whisky entre chaque chanson. Il était habillé tout en cuir avec un t-shirt blanc, finalement à la fin du concert il était torse nu, brillant de sueur. La soirée s'est terminé après que Matt se soit évanoui sur scène, complètement ivre. Tout le monde était très satisfait par le concert, Paul, le groupe, les gens qui étaient venus, tous, sauf Christy et moi parce que nous savions que Matt s'était enfoncé un peu plus encore dans on se savait plus trop quoi. Le bar a mis une trentaine de minutes à se vider. Christy et moi sommes restés silencieux pendant ce temps, puis nous sommes partis en se souhaitant respectivement de bonnes vacances. Lorsque je suis rentré chez moi j'ai vu le sac de livres posé sur mon bureau. Demain allait commencer mes lectures. Après une bonne nuit de sommeil je commençais directement par Le Procès de Franz Kafka. Ce livre m'a beaucoup plu. Ce pauvre Monsieur K. qui tente en vain de comprendre cette machination, pris au piège par un système absurde qui le rend totalement impuissant, lui qui joue à un jeu sans en connaître les règles. Finalement il est dès le début condamner, comme chaque personne. Malgré la révolte que j'éprouvais devant l'absurde je ne pouvais m'empêcher de sourire de la fatalité parfois, comme lorsque chaque fois que K. fait quelque chose on lui dit que cela ne jouera pas en sa faveur. L'écriture de Kafka était génial, j'avais l'impression qu'il écrivait d'un seul jet, que son encre était du talent pur, qu'il allait chercher à la source sans la traiter d'aucune façon. Cette lecture me prit la journée. Le lendemain je lisais Le Pigeon de Patrick Süskind. J'ai trouvé ce livre extrêmement drôle. L'histoire de ce Jonathan qui voit sa vie bouleversé par un pigeon. Sa vie était tellement vide et bien réglée qu'un simple pigeon suffisait à bouleverser sa vie. Et L'homme passe alors une journée monstrueuse, dort à l’hôtel, puis prend son courage à deux mains pour revenir le lendemain chez lui pour affronter le pigeon, mais celui-ci n'est plus là. Süskind met en dérision avec humour la quotidien, la peur du changement quel qu'il soit et le fait de faire un gros problème de ce qui n'en est même pas un. Le livre qui suis m'a prit jusqu'à la fin des vacances. C'était le mythique Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline. Il n'y a pas beaucoup de chose à redire à l'histoire, c'est celle de Céline. On apprend comment avec ses expériences il a pu tirer des conclusions générales sur la guerre, la nation, la colonialisme, le capitalisme, le travail à la chaîne, etc... L'écriture en langage familier était nouvelle pour moi, je n'avais vraiment jamais lu ça. On peut penser que c'est plus facile d'écrire comme on parle mais c'est entièrement faux. Céline, comme Voltaire, se fait passer pour plus naïf qu'il ne l'est pour renforcer le fatalisme. C'est un pur génie de l'écriture. Je n'avais jamais été face à un style aussi présent auparavant. Après ce livre on comprend que Céline n'a plus rien à apprendre sur la vie, l'amour et la mort. Le samedi soir je suis retourné voir Room Window, simplement parce que je ne savais pas quoi faire. Paul a bien voulu m'approvisionner en bière toute la soirée malgré que je n'avais pas l'âge requis. Matt payait pour moi. Ce soir là Matt a prit plus de liberté, il fumait également des joints en plus de boire du whisky. Tyler était présent avec plusieurs de ses amis et amies, Matt lui faisait énormément de pub puisqu'il testait le produit devant plusieurs dizaines de personnes. La soirée s'est finie après que Matt se soit écroulé par terre, vers une heure du matin cette fois. Après ça je suis rentré chez moi, j'ai été dormir puis j'ai tenté d'écrire un article sur Céline, en vain. Je n'ai pas réussi à dormir de la nuit tellement je continuais d'essayer de mettre des mots sur Céline mais je crois que ce livre, cette longue suite de mots, dépassent les mots. Lorsque j'entendis les trois coups de trois heures du matin je compris aussitôt que la reprise des cours allait être dure. Chapitre 7: Mars Le lundi matin, j'ai failli arriver en retard au premier cours. De toute la journée je n'ai rien fait ni rien dit, j'étais vraiment trop fatigué. Ça me gonflait d'être crevé. J'ai rendu les devoirs que je devais rendre. Je n'avais rien à corriger pendant les corrections puisque tout était juste. Je décidai que j'allais montrer tout ce que j'écrivais à la professeure de français. À la fin du cours, je lui donnai plusieurs pochettes où il y avait une ou deux centaines d'articles sur tout et n'importe quoi mais toujours sur les gens. Je suis asocial qui travaille dans le social. La journée du mardi fut ennuyante à mourir. Nous étions en visite au journal local. Nous avions la possibilité de parler aux journalistes, aux correcteurs et au rédacteur en chef. J'écoutais donc parler un journaliste qui me racontait qu'il avait conscience que ses articles parlaient de potins sans importance mais que le travail était tranquille et son salaire pas trop mauvais. Ensuite il me ficha la paix et je vis Matt qui parlait avec une correctrice. Évidement ils devaient parler de tout sauf du journal. Elle avait environ la quarantaine et était obnubilé par Matt qui souriait naïvement. C'était un enfant qui jouait. En sortant du journal je lui ai demandé : – Vous parliez de quoi ? – Bah elle m'a vu dans le bar du coup elle aimerait rédigé un mini-article sur moi dans son torchon. Parce que les correcteurs ont le droit de proposer des articles pour le journal, en tout cas elle, elle peut. – Et t'as accepté ? – Bah oui. Je vois pas pourquoi j'aurais refusé. Et comme ça peut-être qu'il y aura des adultes la prochaine fois qu'on jouera, j'avoue que les hurlements des adolescentes commencent à me lasser. – OK. L'ambiance est bonne dans le groupe ? – Oui oui très bonne même, tout se passe très bien. – Je pourrais passer un samedi avec vous avant et après le concert ? – Pourquoi ? – Pour écrire un papier dessus. – OK. C'est bizarre, je pensais que tu désapprouvais ce groupe. C'est pas le cas? – Si mais je vais pouvoir m'en faire une vraie idée comme ça et qui t'as dit que je comptais écrire une éloge ? – Rien. OK. Pourquoi pas. Même si le mercredi il ne se passa rien, le week-end que j'allais passer allait être plein. Le vendredi je devais aller à la librairie avec Christy, puis à la soirée, mon samedi serait prit avec le groupe et mon dimanche pour mes devoirs. Le jeudi la professeure de français me rendit ma pochette. – C'est très bien ce que tu écris, très intéressant. – Merci. – Tu pourrais peut-être publié ça dans un journal, tu pourrais avoir une sorte de chronique. – Je ne sais pas trop quel journal voudrait de ça. – J'ai une amie qui travail dans un journal qui pourrait chaque mois te laisser un peu de place pour tes articles. – Ouais pourquoi pas. – En plus ça pourrait te faire un peu d'argent. Tes notes sont très bonnes, tu auras sûrement ton diplôme avec mention et tu bénéficieras d'une bourse. Ça pourrait te permettre de ne pas avoir à travailler à l'université. – Ce serait pas mal en effet. – Tu vas où l'année prochaine ? – J'en ai vraiment aucune idée. Peut-être en sociologie ou en lettre. – Réfléchis bien avant de te décider, tu pars pour cinq ans minimum. – D'accord. C'est étrange quand même que cette prof ait lu si vite mes papiers. J'en ai tiré une certitude, soit les profs sont des menteurs ou alors ils ne foutent rien de leurs week-ends. J'ai surtout retenu que cinq ans, c'était trop. Comment je pourrai tenir cinq années de cours encore ? Voici qui allait plomber ma fin de semaine et peut-être même ma vie. Je n'ai pas dormi de la nuit. Je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie. L'idéal pour moi se serait de pouvoir passer mes journées à lire et écrire ou observer les gens et écrire un papier dessus ou encore mieux même : ne rien faire. Ne rien faire, vraiment ce serait le mieux, je crois que c'est le but ultime de la vie de chacun. Les gens normaux travaillent pour pouvoir glander tranquillement une fois arrivés à la retraite. Le vendredi, la dernière journée de la semaine pour la plupart des gens du lycée était mon véritable début de semaine. Je n'allais pas rattraper mes heures de sommeils perdues pendant le week-end. La journée de cours fut longue. Les cours étaient inintéressants. J'apprenais beaucoup plus de choses en lisant tranquillement chez moi, ici soit les profs n'allaient pas assez vite ou alors des élèves ralentissaient le passage à une nouvelle leçon parce qu'ils ne comprenaient pas. À la fin de la journée, lorsque la sonnerie retentit, ce fut pour moi une énorme libération. À peine je me levai de ma chaise que Christy vint en face de moi et me dit : – Alors on y va ? – Laisse-moi me lever, sortir, aller pisser, me laver les mains, en serrer d'autres, fumer une cigarette et on y va. – Parfait. Nous étions dehors. J'étais assis sur un banc à coté du lycée, je fumais tranquillement, Christy se tenait devant moi. Elle était surexcitée. Enfin elle allait emmenée quelqu'un dans son monde, et peut-être que cette personne allait le comprendre. En voyant son visage il était clair qu'elle ne volait pas juste pour ne pas payer ses livres. Pour elle ça avait une saveur particulière. Peut-même qu'en faîte elle était accroc au vol, j'avais entendu dire que ça existait. Cette fille était à la fois complètement folle et diaboliquement intelligente. Je la voyais regarder toutes les cinq secondes si je n'avais pas fini ma cigarette, lorsqu'il n'en restait plus qu'environ un quart elle s’excitait de plus en plus. Pour abréger ses souffrances je l'écrasai contre le talon de ma chaussure et nous sommes partis. – Bon alors t'as quoi sur ta liste Tom ? – Anthony Burgess, Jean Giraudoux et Von Goethe. – Que des bons. Ils sont tous morts donc on les vole tous. T'as assez de place dans ton sac de cours pour mettre trois livres ? – En serrant un peu oui. Et puis on peut mettre trois ou quatre voitures dans un Eastpak. – Vrai et parfait. Nous sommes entrés dans la librairie de la vieille dame, elle regardait la télévision, ce qui nous laissait le champ libre. Il n'y avait toujours pas de portiques de sécurités. J'ai d'abord suivi Christy qui a été prendre ses livres très calmement et naturellement. Moi je stressais pour deux. Après elle m'a prit la main jusqu'au rayon des romans, celui qui me concernait. – Christy, tu peux pas le faire pour moi s'il te plaît ? Juste pour cette fois. – Hors de question. Je me suis alors dépêché de prendre les trois livres dont j'avais besoin, en les faisant toutefois tombé deux fois chacun et en peinant pour ouvrir et fermer mon sac. Nous nous sommes ensuite dirigés vers la sortie. Christy souriait aux anges tandis que moi je baissais les yeux. Nous passions la sortie lorsque la dame nous demanda : « Vous êtes sûres que vous ne voulez pas de sacs ? ». Je me suis tout de suite mis à courir pendant que Christy riait en marchant tranquillement, elle ne s'était même pas retournée. Nous sommes ensuite allé à la soirée. Matt était déjà là, avec Tyler. Ils planaient tous les deux sous LSD dans le jardin. Martin, Jean, Christy et moi nous nous sommes assis sur la canapé, à boire et boire encore. J'ai alors demandé si ils savaient déjà où ils iraient l'année prochaine, ils le savaient tous. J'étais enfaîte le seul à ne pas avoir encore avoir d'avenir. La nouvelle me déboussola. Je sortis dehors fumer et boire. Matt vint me voir, il me réconforta comme il put puis je rentrai dormir chez moi vers trois ou quatre heure du matin. Le lendemain je devais rejoindre le groupe à quatorze heure. Donc je dormi jusqu'à midi. Le temps de me laver, de manger un morceau et je suis parti. Je rejoignis Room Window devant la maison de chez Matt. Ils étaient tous ici à m'attendre. Finalement je me rendis compte que je n'avais rien pris pour écrire, chose que je n'ai pas dite car elle aurait fait mauvaise impression pour une première rencontre avec le groupe. Nous nous sommes assis dans le salon et Matt a distribué la liste des morceaux, dans l'ordre chronologique, qu'ils allaient jouer ce soir. Les visages de Bobby et Johnny n'exprimaient rien. Ils écoutaient poliment, ni heureux ni malheureux. On aurait pu les remplacer par un disque sur scène. Ils ne servaient à rien. Jamy, elle, regardait Matt en le dévorant des yeux, un sourire admiratif aux lèvres. Elle était un peu baisser, les coudes sur ses genoux. La vision qu'elle avait de Matt, en contre-plongée, devait donner un merveilleux plan pour elle. Ensuite Matt a commencé à parler à parler de ce qu'il contait faire pendant chaque morceau. Il savait dans quel état il serait à chaque moment, il prenait tout en compte : le publique, l'alcool, les joints, le LSD. C'était étrange d'entendre ça alors que sur scène j'avais l'impression que tout était improvisé, c'était finalement un chaos maîtrisé. Matt dirigeait tout. Il n'était pas seulement le leader du groupe, le groupe, c'était lui. Johnny et Bobby approuvaient tout, ils savaient que sans Matt aucun bar ne voudrait d'eux, ni même personne. Jamy était très heureuse, elle ne prononçait pas un mot de peur que Matt ne soit pas d'accord. Moi pendant ce temps je notais tout dans ma tête, je ne voulais pas en perdre une miette. Après ça nous avons mangé. Puis nous nous sommes rendus au bar, par la porte de derrière. Les trois musiciens réglaient leurs instruments et Matt discutait avec Paul de la façon dont la soirée allait se dérouler. Il n'y avait pas beaucoup de monde dans le bar. Seulement des ivrognes du genre à insulter les adolescents de pédés et les adolescentes de salopes. Puis une journaliste est venue. Les trois autres membres du groupe ont commencé à s'approcher mais elle leur a dit qu'elle ne voulait parler qu'avec Matt. Je suis alors rentré chez moi. J'ai rédigé tout ce que j'avais vu puis je suis retourné à L'étalon italien. J'ai joué des épaules pour rentrer, j'ai appelé Paul pour avoir une table, je me suis assis, j'ai commandé un verre, puis j'ai observé ce qui se passait sur scène. Matt suivait son plan à la lettre. Les autres jouaient normalement. À la fin du concert j'ai attendu que la salle se vide puis j'ai rejoint le groupe. Paul a alors fermé la bar pour que le groupe puisse boire un verre tranquillement. Bobby et Johnny ont pris un soda, Jamy et moi une bière, et Matt un whisky. Ils ont bu calmement puis Johnny et Bobby sont partis de leur coté et Jamy et Matt du leur. Moi je suis rentré chez moi en pensant que ça n'avait pas valu le coût de revenir ce soir. Le lendemain, dimanche, j'ai passé ma journée à faire mes devoirs. Je n'ai même pas pu commencer de lire une seul ligne d'un de mes livres. La semaine se passa ensuite très vite. C'était un semaine d’évaluations. Chaque soir lorsque je rentrais chez moi c’était pour me replonger dans mes cours. Je ne pouvais pas respirer l'odeur du printemps qui arrivait, je devais relire des cours qui ne m'intéressaient pas. Je n'avais pas une minute de disponible pour lire mes livres. Le vendredi soir à la fin du dernier contrôle toute la classe a poussé un long soupire. Nous sommes sortis tous les cinq et Jamy nous à rejoint à la sortie du lycée. Nous étions donc six. Sur le chemin pour aller à la soirée personne n'a dit un mot. La présence de Jamy, que nous ne connaissions pas (hormis Matt) jetait un froid. Nous n'avions rien contre elle mais personne ne voulait parler de choses personnelles devant une inconnue. Jamy et Matt se tenaient la main. C'était donc la nouvelle conquête de Matt. Je ne sais pourquoi je n'y avais pas pensé, c'était logique après tout. D'ailleurs cela n'étonna personne. Martin et Jean faisaient comme si de rien n'était. Christy, elle, cachait sa souffrance derrière faux-sourire ou peutêtre que je me faisais un film. La soirée fut banale, je parlait avec Jean, Martin et Christy tandis que Matt et Jamy avaient disparu dans la chambre des parents de la personne qui organisait la soirée. Nous avions tous besoin de décompresser après cette rude semaine, donc aucun alcool fort. La conversation n'était pas à un haut niveau, d'habitude nous parlions de sujets d'actualité, de politique ou d'écrivains. Cette fois nous plaisantions sur tout et rien, comblant chaque blanc par des idées noires. Le lendemain lorsque je suis rentré chez moi je me suis écroulé sur mon lit pour lire confortablement. J'ai bâclé mes devoirs avant midi et j'ai commencé par lire Les souffrances du jeune Werther de Goethe. L'histoire était assez classique. Le titre résume très bien le roman, une jeune homme, Werther, qui souffre, trop, et qui se suicide. Je me suis douté très vite que Werther allait se suicider, et, vu comme il souffrait et me faisait souffrir, c'était ce qu'il pouvait faire de mieux. J'avoue ne pas avoir aimé ce classique. De toute façon le romantisme est un mouvement que j'ai beaucoup de mal à apprécier, certainement parce que je ne m'identifie pas du tout au personnage, baignant dans le nihilisme de ma génération. J'ai ensuite lu La guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux. J'ai adoré, l'écriture de Giraudoux est géniale, très habile et très agréable. Son talent a argumenter également, normal pour un diplomate. J'ai particulièrement aimé la huitième scène de l'acte deux. Ce débat entre Andromaque et Hélène sur l'amour où leur philosophie différente s'affronte sur un terrain où aucune des deux ne peut avoir raison parce les sentiments ne se discutent pas. L'autre scène qui j'ai beaucoup aimé, et que j'ai le plus relu, est la treizième de l'acte deux, le dialogue entre Ulysse et Hector. Je pense que tout le génie de Giraudoux est là. Il reprend brillamment le thème du héros (Hector) qui lutte contre sa destiné et qui finalement s'y résigne. Même s'il est sûr qu'il va perdre, comme à mon avis tous les lecteurs ou spectateurs j'ai espéré de tout mon cœur qu'il réussisse. Je crois que c'est la scène de théâtre que je préfère. Pour finir ce fut le tour de L'orange mécanique d'Anthony Burgess. J'avais déjà vu le film réalisé par Stanley Kubrick et je l'avais trouvé très bon. D'ailleurs tous les adolescents ont vu ce film. C'est une sorte de passage obligé, un peu comme la drogue, la cigarette et l'alcool. Ou même comme Requiem for a Dream, Fight Club ou Trainspotting. Personne n'y échappe, ou alors il faut être un ermite. L'écriture de Burgess est monumentale. Il maîtrise la langue et même les langues comme personne et récrée même tout un langage dans le livre, le nasdat. Au début j'ai trouvé le livre difficile à lire, il fallait voir ce que les mots signifiaient dans le lexique de la fin du livre. Mais au bout d'un certain moment ce n'est plus du tout une contrainte parce que l'on connaît la langue. Lire ce livre, c'est devenir bilingue. J'ai d'ailleurs prit l'habitude de penser dans cette langue depuis. Une chose m'a surprise, la dernier chapitre. Il n'y est pas dans le film. Après m'être renseigné j'ai appris que Stanley Kubrick ne l'avait pas dans sa version du livre. Pourtant je trouve qu'elle est très importante parce que l'on voit qu'Alex Delarge n'est pas un garçon qui allait être violent jusqu'à la fin de ses jours. C'était juste une passade de l'adolescence. L'adieu qu'il fait tout à la fin m'a presque fait pleurer, je ne voulais pas couper les ponts avec ce personnage. Mais je me suis fait une raison parce que la suite c'est celle de n'importe qu'elle adulte. Il faut aussi évidement parler de la déshumanisation de l'homme, thème important de ce livre mais je crois que tout le monde en a parlé assez comme ça, ce qu'il faut simplement retenir c'est qu'un homme mécanique ou qui n'a pas de sentiment n'est pas un homme, classique. D'ailleurs si Kubrick avait réalisé, comme il le voulait, A.I. Intelligence artificielle, il se serrait contredis puisque le film montre qu'un robot peut être plus humain qu'un humain. La semaine suivante a été celle de la remise de nos devoirs. Toute la bande avait eu de bonnes notes, excepté Matt. Il s'en fichait d'ailleurs, lorsque je lui demandai ce qu'il en pensait il me répondit que « les notes ça n'étaient que de l’encre sur du papier ». À présent Jamy faisait en quelque sorte parti de la bande. Elle nous écoutait parlé mais nous n'avons jamais entendu le son de sa voix, si ce n'est pour dire des banalités de couples à Matt. Ils avaient l'air heureux ensemble et finalement ce n'était pas une mauvaise fille malgré son look un peu étrange. Ils formaient un couple peu commun, lui avec ses vêtements de cuirs et elle branchée glam rock. Imaginez ce qu'aurait donné Jim Morrison en couple avec David Bowie travesti pour avoir une idée du tableau. Le vendredi soir je n'avais pas le moral pour aller à la soirée alors j'ai réfléchis sur la relation entre le cinéma et la littérature. Évidement la littérature était une source sûr pour faire un film, logique même, c'était un scénario quasiment déjà écrit. Ma réflexion a dévié et dévié encore et je me suis dit que lire un livre c'était réaliser un film dans sa tête. Lorsque nous lisons un livre, il n'y a aucune image, donc le lecteur pour tout choisir, il est libre. Il prend les personnes qu'il veut pour faire les personnages, les décors qu'il veut, les positions de la caméra, les constructions de plans, les costumes etc... Ce qui limite son pouvoir ou sa liberté c'est l'écrivain qui décide, en faisant des descriptions, d'imposer des choses au lecteur. Je crois que c'est pour ça que les gens en général n'aiment pas trop les descriptions, parce que l'écrivain empiète sur leur territoire et leur créativité. On retrouve la même chose dans le cinéma. C'est pour ça que tout le monde préfère en général le livre au film. Car le réalisateur n'a pas réalisé le livre de la même façon que nous dans notre tête. Il existe autant d'adaptations en films d'un roman que de personnes qui le lisent. Le réalisateur nous montre ce qu'il s'est passé dans sa tête pendant sa lecture. Le cinéma c'est une sorte de dictature parce que le réalisateur ne laisse aucune liberté au spectateur. Mais c'est très intéressant de voir comme un réalisateur, donc une autre personne, a lu le livre. Certaines personnes sont mécontentes lorsque le film n'est pas fidèle au roman. Je pense au contraire que c'est très important, si le réalisateur respecte le roman alors il n'y pas lieux de faire un film, les spectateurs n'ont qu'à lire le roman. Illustrons ceci par exemple : The Shining de Stanley Kubrick, le film ne respecte pas le roman de Stephen King, et pourtant il est tout simplement énorme, mieux que le livre d'ailleurs. J'ai passé tout mon samedi à écrire des observations de ce genre, ce qui m'a permis d'apprendre à aimer les réécritures aussi bien que les œuvres originales. Puis j'ai encaissé mon dimanche à faire mes devoirs. Ces réflexions me donnaient envie de faire du cinéma mon métier, de devenir réalisateur pour montrer au gens comment j'ai lu un livre. Ou écrire des scénarios pour voir comment un cinéaste l'imaginerai. L'expérience me semblait très intéressante. Je crois avoir trouvé le métier que j'aimerai exercer, même si c'est au fond assez mégalo. J'ai d'ailleurs fait mes vœux pour l'année prochaine en cinéma, lettres modernes, droit, et information-communication. J’espérais vraiment être pris dans un des ces domaines sinon ma vie serait vraiment foutu. La dernière semaine du mois mars commença pas une nouvelle inattendu et pourtant très attendue. Matt et Jamy avaient rompu pendant le week-end. C'est Martin qui m'avait raconté ça parce que de la bande c'était lui le plus proche du groupe. Le samedi soir Matt et Jamy avaient décidé de ne pas aller jouer au bar pour passer la nuit ensemble. Le lendemain Johnny et Bobby les ont appelé pour les virer du groupe. Ils ont ensuite rappelé Paul qui les a viré puisque Matt n'était plus là. Mais comme il n'y avait plus de groupe Matt et Jamy n'avaient plus de lien, ils se sont séparés d'un commun d'accord. Surtout que Matt avait déjà fait quelques infidélités avec des amies de Tyler. Le lendemain toute la bande avait déjà oublié cette histoire. Personne dans la bande n'avait jamais adoré le groupe. Le fait que Matt s'en désintéresse a eu pour effet de nous rapprocher. Il n'arrivait plus en retard en cours, ou ivre, ou drogué. Seulement j'avais l'impression que Jamy avait emporté une partie de lui avec elle. Il ne parlait plus, ne riait plus, ne souriait plus. La semaine passa vite, tant mieux d'ailleurs. Le vendredi soir je passais la soirée avec Matt, nous étions à l'écart de la bande, et il me dit tout. Que tous les samedis soirs il se droguait avec Tyler, que maintenant c'était une habitude, comme se laver les dents. Qu'il n'en à jamais rien eu à faire du groupe. Qu'il ne pouvait plus aimer, enfin dans l'hypothèse où il avait déjà aimé. Que Jamy avait emporté avec elle tout l'amour qu'il aurait pu donner à une autre. Qu'il avait fondé trop d'espoir sur elle. Que c'était fini. Que c'était elle qui l'avait quitté. Au bout d'un moment l'alcool l'a mit par terre. Je l'ai donc ramené jusque dans un lit. Deux minutes plus tard une fille vint s'allonger se blottir contre lui. Je n'avais pas le courage d'aller la chasser, j'étais trop fatigué, et puis elle ne faisait rien de mal. Le week-end je l'ai passé à faire mes devoirs dans mon lit. Le printemps n'était là qu'officiellement malgré son odeur qui flottait dans l'air. J'avais la sensation que lorsque le soleil reviendrait mes batteries se rechargeraient et que j'aurais l'énergie nécessaire pour faire plus de choses. Chapitre 8: Avril Le lundi, les premiers rayons de soleil sont arrivés. Pour encaisser la perte du groupe et surtout de Jamy, Matt était passé au niveau supérieur de la drogue. Le LSD n'était plus assez fort pour lui, il s'était maintenant mis à l’héroïne et la cocaïne. Il ne voulait absolument plus penser. La drogue était devenue pour lui un moyen de compenser un vide dans sa vie. Il avait prit conscience de ce vide lorsque je lui avais fait découvrir Jim Morrison. Depuis, pour ne pas repenser à ce vide il avait dû recourir à un moyen de le combler. Il y avait eu les filles, l'alcool, la cigarette, la marijuana, le shit, le LSD, le groupe, la dernière chance avait été Jamy. Toujours dans l'axe de Morrison, il avait trouvé un nouveau moyen. J'essayais de lui en parler mais il ne pouvait rien entendre, il n'était pas en état. C'est certainement aussi pour ne pas m'entendre qu'il se mettait dans cet état. Le problème était de savoir ce qu'il pourrait bien faire par la suite. Dans qu'elle période il pourrait bien se lancer ? Je n'en avais aucune idée et c'est ce qui m'effrayait. Les cours étaient ennuyeux au possible mais je me découvrais acteur en simulant d'y être intéressé en posant des questions. J'ai même fait illusion devant toute la bande. À la fin du cours de français, plus tard dans la journée, j'ai été discuter avec la professeure de français. – Bonjour Tom. – Bonjour madame. Je crois avoir trouvé ce que j'aimerais faire plus tard. C'est très réfléchis croyez-moi. J'aimerai travailler dans le cinéma. Être réalisateur ou scénariste, mais pas les deux. – Mais c'est pas des métiers ça. – Comment ça ? – Tu ne peux pas gagner ta vie en faisant ça. En plus tu n'as jamais été en cours de cinéma audiovisuel. – Mais beaucoup de réalisateurs n'ont fait aucune école de cinéma. Pourquoi pas moi ? – Parce que. C'est comme vouloir être artiste. Tu vas te retrouver SDF sur Hollywood Boulevard. Non, ce que tu devrais faire c'est une université de lettres modernes. Tu es bien parti et avec t'es notes tu y seras facilement. Trouves-toi un vrai métier et ensuite tu pourras réaliser tes films ou écrire tes scénarios le week-end. – Mais ce n'est pas ce que je veux faire. – Mais c'est ce que tu feras. Sur ces mots je suis parti, blasé. Ma semaine était foutue. La seule personne avec qui je pouvais parler de cela sans qu'elle se moque de moi était Matt. Je lui expliquais ce qui m'attirait dans le cinéma et racontais la discussion que j'avais eu avec la professeure. Il m'écoutait calmement, puis me dit de faire ce que je voulais après tout, c'était ce que lui faisait et il n'en avait pas encore eu à se plaindre. La semaine est passée vite. Le vendredi soir Christy et moi sommes allés voler les livres dont nous avions besoin. Je fus très confiant cette fois-ci, je tremblais juste assez pour ressentir du plaisir. Christy prit une dizaine de livres, ce qui était sensé l'occuper durant toute les vacances. Je fus plus modeste, je pris quatre livres, un de plus que d'habitude. Pour une raison simple d'ailleurs, je voulais avoir chaque livre de Thomas Harris où était mentionné Hannibal Lecter. Mon choix étonnait Christy, elle me rappela que je devais acheter les livres d’auteurs encore en vie. Elle avait raison et moi lassé alors je lui ai dit : « la prochaine fois, promis ». Ensuite nous nos sommes rendus à la soirée. Je n'ai rien dit aux autres de mon envie de travailler dans le cinéma par peur des moqueries. Pendant la soirée j'ai aperçu Matt qui était dans la salle de bain, il allait se piquer. J'ai pris sa seringue, sa cuillère, sa saloperie et j'ai jeté tout ça par la fenêtre de l'appartement. Il s'est excusé du regard et est parti dans la nuit. Je ne me faisais aucune illusion, il allait rechercher sa dope. Pourtant il n'est pas revenu. J'ai bu un dernière bière et je suis rentré chez moi sans prévenir personne. De toute façon je les reverrais à la rentrée, dans deux semaines. Lorsque je fus dans mon lit, aussitôt je ressentis dans chacun de mes muscles que j'étais bel et bien en vacance. Je ne savais pas trop ce que j'allais bien pouvoir faire de mes vacances, mais pour l'instant je n'en avais rien à faire. Je voulais juste dormir. J'allais commencer ces vacances par lire les livres que j'avais volé. La première question que je me suis posé, c'est celle que tous les pères se posent lorsqu'ils veulent que leurs enfants voient les Star Wars : faut-il les voir dans le sens de leurs sorties où dans l'ordre chronologique des événements ? J'ai décidé de les voir par date de sorties. N'y voyez là aucune réflexion, plutôt un manque de courage pour réfléchir. Je commençais donc par Dragon rouge de Thomas Harris. Je n'ai jamais été fan des policiers mais j'ai beaucoup aimé celui-ci. Il y a une tension insupportable mais très excitante. À la fin du livre j'ai poussé un long soupire, pas parce que je n'ai pas aimé mais parce que j'étais content que la torture de Will Graham s'arrête. On remarque que chaque page le pousse un peu plus vers ses limites. Si bien qu'une page de plus et il aurait craqué. Du moins c'est mon point de vue. Je n'ai pas été déçu du fait qu'il n'y est presque pas Hannibal Lecter. Peut-être qu'il y serait davantage dans le prochain. Et le prochain, c'est maintenant : Le silence des agneaux. Livre devenu mythique grâce au film de Jonathan Demme avec Jodie Foster et Anthony Hopkins. Cette fois Hannibal était beaucoup plus présent. Il devient même presque un gentil grâce ou à cause du docteur Chilton. En lisant ce livre j'ai été pris de quelque chose qui ne m'était jamais arrivée. Dans le livre il y a une sorte de compte à rebours avant que Jame Gumb ne tue Catherine Martin. J'étais à une cinquantaine de pages de la fin du livre et il était trois heures du matin. J'ai fermé le livre et je me suis couché. J'ai attendu dix minutes et je savais que je ne pourrais pas dormir parce que demain il serai trop tard, Catherine Martin serait morte. Dans une geste héroïque j'ai ouvert le livre pour le finir. J'étais incroyablement fatigué mais j'avais l'impression que j'avais réussi à sauver la victime avec l'aide de Clarice Starling. Après ça je me suis effondré de sommeil dans mon lit avec le sourire d'un héros qui rentre chez lui. Dès le lendemain j'ai enchaîné avec Hannibal. Le livre était plus long mais il n'en était pas pour autant mieux. Une nouvelle aurait suffis. Cette fois Hannibal Lecter est le grand gentil qui sauve même Clarice Starling du méchant Mason Verger. Puis ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. J'étais vraiment déçu mais je dois avouer qu'après deux livres aussi bons il y avait peu de chance que le troisième soit à la hauteur. Je n'ai rien à dire d'autre sur ce livre. Pour ne pas avoir cet échec trop pesant je continuais tout de suite avec le suivant : Hannibal Lecter- les origines du mal. Cette fois Hannibal n'a plus rien de méchant grâce à ce bon vieux Freud qui explique tout. Hannibal n'est plus un tueur en série qui tue pour le plaisir mais gentil petit garçon qui veut venger sa sœur dont il a fait un festin avec des nazis. Je caricature mais bon. C'est donc à cause de ces derniers qu'Hannibal prend goût à la chair humaine. Malgré le blâme que je viens de faire ce livre est en tout point admirable. Le génie de Thomas Harris à l'état pure. Une histoire géniale avec toujours cette écriture qui s'adapte aux contextes pour mieux faire ressortir les thèmes. Mon quota de livres achevés pour le mois je restais chez moi jusqu'à la fin de la semaine pour faire mes devoirs et me reposer. L'oisiveté faisait passe le temps plus vite que n'importe quelle autre activité. Mais les examens de fin d'année se rapprochaient petit à petit, je relisais donc tous mes cours. Je n'arrivais pas à les apprendre, je les connaissais déjà. Je n'aurais donc pas eu besoin de m'inquiéter si je savais déjà mes cours sauf que passer des heures et des heures à relire un cours donne une certaine confiance en soi, confiance que je n'avais donc pas. La deuxième semaine était donc détendue, j'en profitais pour voir Martin. J'arrivais un grand sourire aux lèvres et lui un air gêné. Nous passâmes la journée à profiter du soleil qui était maintenant installé. Il m'apprit que Matt avait trouvé une nouvelle fille, elle s’appelait Angela, elle avait huit ans de plus que lui et exerçait la profession de prostituée. Il l'avait trouvé à une soirée et était tombé amoureux d'elle, elle aussi puisqu'elle ne le faisait pas payer. À la fin de la journée je ressentais une grosse envie de parler de ça à Matt. Donc le soir même je l'ai appelé. Et le lendemain nous nous sommes vus. Donc le lendemain après-midi je me suis rendu chez lui, mais j'avais oublié ma tirade moralisatrice. Il n'y avait que lui et Angela. Ils était assis tous les deux sur le canapé, détendus. Moi j'étais dans le fauteuil, très tendu. Angela n'était pas forcément belle mais elle avait énormément de charme, le genre de charme qui fait que lorsqu'elle est dans une pièce un garçon aussi peu charismatique que moi se tait et regarde ses chaussures. C'est donc ce que je fis jusqu'à ce que Matt me demande mes dernières lectures. Je lui répondis d'une voix sans conviction et là Angela s’enthousiasma et me fit ses critiques personnelles des quatre livres. Elles étaient d'ailleurs très subtiles, j'étais en général du même avis qu'elle mais j'appuyais sur les points on nous divergions. Plus le temps passait et plus elle montait dans mon estime, ça me gênait. Matt avait un léger sourire et nous écoutait parler tranquillement. Quand l'heure est venue de partir il m'a dit de venir à la soirée du prochain samedi. J'ai répondu que j'y serai, plus par bonne humeur que par conviction. Le soir même, Martin, qui était au courant que j'avais vu Matt et Angela l'après-midi, m'appela pour me demander comment c'était déroulée ma journée. Je lui répondis la vérité, qu'Angela, malgré sa profession, n'était pas une mauvaise fille. Il fut à la fois étonné et rassuré. Je lui dit également, en cachant comme je pus mon appréhension et mon excitation, que j'irai à une soirée le samedi avec Matt et Angela. Lui n'y serait assurément pas, Jean et Christy non plus. Le samedi je rejoignis Matt et Angela chez lui puis nous partîmes tous les trois à la soirée. C'était dans une énorme maison, presque un manoir. Matt et Angela connaissaient tout le monde, quelques heures après moi aussi. Plus le temps passait et plus les gens allaient dormir. Les places pour dormir : canapés, lits, sacs de couchage, diminuaient peu à peu mais je voulais resté éveillé le plus longtemps possible pour discuter avec Angela. Finalement nous n'étions plus que trois, Matt a pris Angela par la main et ils sont partis dormir dans le dernier lit de disponible. Je me suis retrouvé tout seul, seul survivant dans une fosse commune. J'ai fini une bouteille de whisky puis je me suis endormi par terre. Le matin Matt et Angela étaient déjà partis. Je me suis levé puis je suis parti discrètement sans dire au revoir à qui que ce soit. Je suis rentré chez moi et je me suis rendu compte que nous étions dimanche et que demain c'était déjà la rentrée. Le lundi matin la bande ne m'a pas adressé un mot, mis à part Matt. Ils me considéraient comme un traître de pactiser avec une péripatétipute, mais je m'en moquais royalement. C'était tout de même la seule qui analysait comme moi les livres. J'avais toutefois conscience que ça allait être dur de la revoir. Matt ne la voyait que le soir puisqu'elle le raccompagnait chez lui et le week-end. Je l'attendais donc avec lui après les cours toute la semaine. Nous parlions d'Angela, lui restait antipathique tandis que mon intérêt pour elle grandissait. Le vendredi soir Martin, Jean et Christy sont partis à une soirée, Angela, Matt et moi à une autre. Je préférais être dans ce camp, je me découvrais une attirance pour le glauque et le risque. C'était au même endroit que l'autre fois. Tout le monde était de très bonne humeur, ce qui fait que très tôt des gens dormaient par terre. La plupart des lits étaient donc libres, ce qui laissait l’embarras du choix à ceux qui pourraient encore se tenir sur leurs jambes. Matt buvait énormément, je parlais avec Angela puis le regardais et chaque fois il vidait un nouveau verre de whisky. Matt commençait à être en très sale état. Angela tenait extrêmement bien l'alcool, malgré les nombreux verres qu'elle avait bu (bien plus que moi), elle était dans son état normal. Moi je divaguais au hasard, je ne savais plus du tout ce que je disais. Pendant un silence de quelques secondes Matt s'est levé et est parti se coucher sans adresser un regard à Angela et moi. J'ai souri, gêné ; elle a souri, comme d'habitude. Lorsque Matt a disparut elle m'a pris par la main et emmener dans une immense chambre. Je n'étais jamais entré dans une chambre ici, je ne savais si elles étaient toutes comme ça. Mais c'est sans importance, ce qui compte c'est que cette nuit là la petite-amie de mon meilleur l'a trompé avec moi. Et j'étais innocent, je n'avais rien fait, c'était sa faute à elle. Je n'étais coupable que d'être resté allongé en érection, elle était coupable de s'être mise sur moi en bougeant. Mais je ne me plaignais pas. Je ne lui ai jamais demandé des comptes et elle ne m'en a jamais reparlé. C'était ma première fois, et avec une pro en plus. Le lendemain matin quand nous sommes ressortis de la chambre Matt nous a vu. Il n'a rien dit. Moi j'avais un sourire naïf, sourire qui est resté jusqu'à la fin du week-end. Il n'allait quand même pas me faire une crise de jalousie alors que sa copine se faisait payer toute la semaine pour baiser avec n'importe qui. J'étais très embêté mais Matt n'avait pas l'air d'en tenir rigueur, il était froid avant et était toujours froid après. C'est ce qui ne me donnait pas trop mauvaise conscience. Matt et Angela sont partis très vite. Moi je suis resté déjeuné avec ceux qui étaient là. Puis j'ai mangé le midi avec eux. Puis le soir aussi. Finalement j'ai décidé de repasser la soirée ici. Il y avait moins de monde mais je me suis bien amusé. C'était très détendu, totalement dénué d'intérêt, une pause cérébrale. C'est une autre fille qui m'a amené dans sa chambre ce soir-là. Après un baiser on a baisé. J'ai passé une nuit superbe. Le matin je me suis levé et je suis parti tout de suite. En rentrant chez moi je m'en voulais d'avoir passé ce week-end. J'avais bu et fumé cigarettes et joints plus que de raison. Je n'avais pas été très productif et je n'étais pas sorti écrire un peu sur les gens alors que le temps ne demandait que ça. Je me suis alors promis de ne plus recommencer. De plus j'avais encore tous mes devoirs à faire avec une gueule de bois pas possible. Je suis rentré, j'ai pris une douche, j'ai mangé un morceau, j'ai bâclé mes devoirs, j'ai remangé et ça y est j'étais effondré sur mon lit, je dormais déjà. Chapitre 9 : Mai Le lundi matin au réveil j'allais beaucoup mieux. Matt est arrivé en retard ivre et très amaigri, tout le monde le regardait. Même le prof avait des absences où il le fixait pendant quelques dizaines de secondes, mais ça ne dérangeait personne. Matt ne voyait rien, il était complètement blasé, il ne répondait à rien, ne disait et ne faisait rien et pourtant tout le monde le regardait. Après les cours je m'attendais à voir Angela puisqu'elle avait l'habitude de raccompagner Matt chez lui. Voyant qu'elle n'était pas là je bafouillait une excuse à Matt pour ne pas avoir à rentrer seul avec lui. Il me serra la main et je vis qu'il avait des marques d'impact sur le poing, je ne dis rien et partis tout de suite. Lui avait bien vu que j'avais remarqué, il savait que je savais, sauf que je ne savais pas de quoi il s'agissait. Le lendemain et durant le reste de la semaine il affichait un sourire glauque, un vrai psychopathe. Tout le monde flippait. Parfois il riait sans raison. Un midi Martin parlait d'un attentat suicide ou d'une catastrophe naturelle, ça n'a aucune importance, et Matt s'est mis à prendre un fou rire. Moi je m'en fichais parce qu'après tout ce genre de chose ne me touchait absolument pas, mais les autres de la bande l'ont mal pris. Parfois en cours pendant que le prof parlait il soupirait en souriant, fixant le prof droit dans les yeux. Il se mettait tout le monde à dos. La bande le fuyait, les profs le détestaient, Angela je ne sais pas. J'étais le seul à rester, en souvenir de ce qu'il était ou parce que j'avais espoir qu'il y est une quelconque amélioration, ne serait-ce qu'un mot. Un soir j'ai croisé Angela dans la rue, elle avait un œil au bord noir qu'elle tentait de masquer comme elle pouvait avec ses cheveux et du maquillage. Mais elle a vu que j'avais remarquer. J'ai tout de suite fait le rapprochement avec le poing de Matt. Elle a compris que j'étais au courant. Je lui ai dit que ce serait cool de se revoir et elle m'a dit qu'elle serait à la soirée de Tyler ce week-end et que peut-être on s'y verrait. Après ça elle est partie précipitamment. Le vendredi soir à la librairie j'ai pris des livres de Bret Easton Ellis parce qu'on m'avait dit que c'était trop cool parce que ça parlait de drogue, d'argent et de sexe. N'ayant rien contre la bonne littérature et ces sujets j'ai pris Moins que zéro, Zombies, Suite(s) impériale(s), et American Psycho. Après ça j'ai été posé les livres chez moi et j'ai filé chez Tyler. J'ai salué quelques personnes avec qui j'avais sympathisé. La fille avec qui j'avais couché ne se souvenait plus de moi, ou peut-être que je l'ai confondu avec une autre, c'est sans importance de toute façon. Vexé de ne pas y voir Matt et Angela j'ai bu des whiskycoca toute la soirée en tirant sur les joints qui passaient devant moi. Je n'ai pris aucune autre drogue même s'il en circulait beaucoup. Finalement vers trois ou quatre heure du matin j'ai commencé à me lever pour aller dormir dans une chambre libre et une fille qui avait passé la soirée à coté de moi m'a dit : « attends je viens avec toi ». On a été se couché dans le lit, collés l'un contre l'autre. Et de sa main elle a commencé à me caresser l'entre-jambe. J'ai fait semblant de dormir ou de somnoler pendant quelques minutes pour finalement conclure que je ne m'en débarrasserai pas alors j'ai conclu avec elle. Quand j'ai vu que l'aube pointait j'ai paniqué puis j'ai simulé un orgasme en tentant de jouer la comédie du mieux que je pouvais et je me suis endormi direct après. Je me suis réveillé dans l'après-midi, elle était toujours là. Je me suis échappé du lit rapidement pour ne pas avoir la responsabilité des rapports conjugaux avec cette personne que je ne connaissais même pas. J'ai pris un café avec des céréales, on était environ une dizaine dans le manoir. Un mec est venu vers moi avec des yeux rouges comme si ils avait des cerises à la place des yeux et il m'a proposé de finir une demi bouteille de rhum à deux. Je lui ai demandé un Doliprane ou un Dafalgan ou un Efferalgan, il en avait dans sa poche, j'ai trouvé ça bizarre mais prévoyant. Après en avoir pris deux grammes nous avons fini cette bouteille. Il est parti dormir content. J'ai ensuite trouvé puis demandé à Tyler si il n'avait pas vu Matt et Angela, il m'a dit qu'ils passeraient sûrement ce soir. Devant mon insistance il m'a demandé en riant si j'avais prévu un plan à trois avec eux. Sans répondre j'ai été dans le salon m'asseoir avec les autres. Finalement je me suis endormi et lorsque je me suis réveillé ma tête était sur les jambes d'une fille qui me caressait les cheveux. Je crois que c'était la même que la nuit dernière. Ce genre de fille floue, ni brune ni blonde, avec des proportions si parfaites qu'on voit partout dans les magazines et qui font qu'on ne remarque même plus leur perfection. Ce qui a pour résultat qu'on ne porte plus notre attention sur elles mais sur des filles qui ont plus de personnalité physique. Enfin je veux pas épiloguer là-dessus. À ma montre il était déjà vingt-trois heure. Tout le monde était déjà dans l'état euphorique de l'alcool. La soirée du samedi soir battait son plein quoi. J'ai donc pris une bouteille de vodka et j'en ai vidé un tiers pour me chauffer la gorge. Il y avait des cries et la musique passait de vieux rock des années soixante. Il n'y avait ni Tyler, ni Matt, ni Angela dans le manoir alors j'ai décidé d'aller dehors pour boire une bière et fumer une cigarette. C'est là que je les ai trouvé tous les trois. Tyler engueulait Matt qui souriant, Angela baissait les yeux avec gravité. J'ai hésité à m'approcher mais j'ai décidé d'attendre à une vingtaine de mètres d'eux. Une ou deux cigarettes plus tard j'ai laissé tomber la bière et ils ont remarqué ma présence puis Matt a pris Angela par la main pour venir vers moi. Je lui ai demandé si ça allait et il m'a répondu qu'un à moment ou un autre la musique s'arrête et c'est à ce moment là on se fait disputer pour le bruit. Angela a fuit mon regard et Tyler est venu vers moi pour me dire que Matt lui devait juste un peu d'argent mais que maintenant tout était réglé. J'ai suivi Matt et Angela dans le manoir. Quand je suis arrivé Matt embrassait une autre fille juste devant Angela qui avait la mine basse. Il m'a regardé en souriant et est parti boire avec d'autres. J'ai tenté de parler à Angela mais elle est partie. J'ai été voir Matt qui, devant mon inquiétude, m'a pris à part dans une pièce rempli de gens somnolant aux drogues dures. – Écoute mec je t'en veux pas d'avoir couché avec Angela, vraiment, c'est son métier après tout, même si t'as eu le privilège de pas la payer pour ça. Je dois beaucoup d'argent à Tyler mais il a besoin de moi à ses soirées parce que j'attire du monde, toi par exemple. Donc il espère que je vais le rembourser et qu'on continuera d'être de bons amis. Mais si je le fais pas il devra me faire passer à tabac par ses gros bras, normal quoi. – Putain de merde, tu veux que je lui parle ? – Pour dire quoi ? Laisse-moi régler ça. – Tu vas demander à ton père de payer ? – Non il a pas besoin de savoir que son fils se drogue et je veux pas lui mentir. Enfin t'inquiète pas, c'est la fête ce soir alors profite. – OK. On se bourre la gueule tous les deux comme au bon vieux temps d'il y a quelques mois ? – OK mec. Après ce revirement de situation on a picolé en riant, évitant les sujets tabous. Ensuite on est retourné à l'intérieur, il a été parlé à deux filles, il est partie avec une et l'autre est venu me prendre moi. Comme j'avais passé une bonne soirée j'ai été super bon toute la nuit. Le matin devant mon café je m'en suis voulu pour Angela puis je suis rentré chez moi. J'ai fait ce que j'avais à faire, c'est-à-dire mes devoirs et ma toilette, et le lendemain je suis arrivé de bonne humeur en cours, malgré le fait que mon meilleur ami se soit endetté auprès d'un gros dealer, qu'il bat sa petite amie qui est une prostituée, et qu'il soit complètement déjanté. Pour arranger le tout j'avais l'intention d'aller voir le père de Matt pour qu'il paye pour son fils, de demander à Angela de quitter Matt, et enfin de passer plus de temps avec ce dernier pour tenter de le canaliser. J'avais décider de me fixer pour objectif une étape de mon plan par semaine. Je voulais commencer par m'occuper d'Angela. Elle recommençait à raccompagner Matt chez lui le soir. Je les suivais discrètement et une fois qu'il était rentrer chez lui je me dirigeais vers elle. Elle était étonnée de me voir. Je lui ai exposé rapidement la situation en la regardant le moins possible dans les yeux. Quand j'eus fini elle me dit simplement : « Tu oublies un détail capital, je l'aime ». Et là elle est partie, me laissant surpris et confus. Ça commençait par un échec, ce qui était très frustrant et décourageant. La semaine s'est passée tranquillement, si Angela avait raconté ma stupide action à Matt il n'en laissait rien paraître. Calme et complice avec tout le monde. Les profs nous pressaient de réviser pour l'examen de fin d'année, nous disions oui avec la nuque mais non avec le sourire. Je passais la soirée du vendredi chez Matt. Il n'arrêtait pas de renifler depuis quelques semaines, mois peut-être. Je venais de comprendre pourquoi, c'était à cause de la cocaïne. C'était même certainement cette drogue qui l'avait autant endetté. Nous avons discuté longuement et calmement et à un moment, après un silence il a lâché : « Angela m'a quitté, con hein ? ». Moi je n'ai pas répondu, lui il a ri. Après ça il s'est levé et il est parti se coucher, ce qui m'a évité de lui demander pourquoi, sa réponse aurait été plus dure à entendre que de poser la question. Je suis resté dormir chez lui pour veiller à ce qu'il ne fasse pas de bêtise. Dans le lit j'avais l'impression d'être un gardien de but, je ne faisais rien mais mes muscles étaient si contractés que ça m'a crevé et au bout de vingt minutes je me suis endormi. À mon réveil j'ai couru vers sa chambre, il n'y était pas. Alors je me suis précipité dans le salon et je l'ai aperçu qui prenait son café et une cigarette sur la terrasse. Il m'a regardé en souriant, une trentaine de minutes plus tard j'étais parti. Je ne savais pas si Angela l'avait quitté à cause de moi mais j'étais content qu'elle l'est fait. Même si du coup je n'avais plus aucune chance de la voir. Une fois chez moi j'ai commencé par réviser des cours pour l'examen mais lorsque j'ai aperçu la pile de libres que j'avais acheté la semaine d'avant j'ai préféré me plonger dedans. En deux jours j'ai donc lu Moins que zéro et la suite, Suite(s) impériale(s). Je les ai lu d'une traite et j'ai beaucoup aimé. J'imagine que la plupart des gens apprécient parce que ça touche au milieu de l'argent, la drogue, la violence et le sexe mais je crois que tout ça n'est fait que montrer à quel point malgré tout ce qu'ils possèdent les personnages sont totalement blasés. Je me suis identifié à Clay, j'ai identifié Matt à Julian et Angela à Blair puis Rain. Ceci est assez caricatural et pas tout à fait exact, cependant c'est comme ça que je voyais les choses. J'ai préféré nier le rapport entre ces deux romans et ma vie même si dans un cas comme dans l'autre c'est contestable. Je me sentais juste mieux en pensant cela. Ces deux chefs-d’œuvre terminés mon week-end l’était aussi. J'ai donc été dormir avec dans ma ligne de mire la prochaine étape de mon plan. La première n'avait pas marché comme je le souhaitais mais mon but avait été atteint. Je verrais bien comment la seconde allait se passer. La semaine s'est passée tranquillement. Chaque soir Matt rentrait avec des personnes différentes que je n'avais jamais vu. En cours il était silencieux, se contentant d'écrire le cours. Enfin, si il se séchait pas, ce qui était devenu une de ses habitudes. Avec le bande il est était sympathique mais réservé, parfois même maladroit. Je me demandais bien comment j'aurais pu voir son père à son insu. Donc, l'air de rien, en cours je lui ai demandé ce qu'il faisait ce week-end. Il me dit qu'il passerait le week-end entier chez Tyler et la somme exacte qu'il lui devait, une somme à cinq chiffres. Je lui dis qu'on s'y verrait peut-être, sachant qu'il y avait peu de chance pour que j'y sois. J'aurais aimé qu'il me dise qu'il ne bougeait pas du week-end, ça m'aurait donné une excuse pour ne rien avoir à faire. Le vendredi soir j'ai suivi Matt après les cours, il s'en allait direct chez Tyler. Je me suis donc rendu chez lui. J'ai frappé à la porte et son père m'a ouvert, il était seul. Il m'a proposé une cigarette que j'ai refusé pour faire genre gentil garçon. Il m'a dit que Matt n'était pas là et je lui ai dit que je voulais lui parler à lui et il m'a demandé pourquoi et j'ai tout raconté d'une traite. J'ai dit que Matt s'était endetté auprès d'un dealer à cause d'une fille, qu'elle était partie en lui laissant les dettes et qu'il avait besoin de vingt mille pour régler le truc. Il me regarda, incrédule, et dit qu'il donnera ça à Matt pour son anniversaire qui était la semaine prochaine. Il n'avait pas l'air de me croire, je crois qu'il pensait que je disais ça parce que Matt m'avait dit de le faire pour avoir beaucoup d'argent à son anniversaire, que j'avais complètement oublié d'ailleurs. Je suis reparti quasiment juste après avec une sale boule au ventre, une boule de merde. J'ai hésité et finalement j'ai ressenti le besoin d'aller à une soirée, je voulais aller chez Tyler mais après cette conversation ça me semblait assez limite, donc je suis parti à la soirée où allait le reste de la bande. Une fois arrivé ils se sont moqués de moi en disant que j'étais un revenant ou un chien qui revenait au chenil. Je l'avais mauvaise alors je les ai insulté et j'ai été vers d'autres personnes tout en buvant whisky sur whisky. Je me suis alors rendu compte de ma préférence nouvelle pour le whisky. Comme j'étais tendu et de mauvaise humeur je devenais sarcastique. Ça a énervé les gens avec qui j'étais et finalement trois garçons m'ont amené dehors. Ils m'ont menacé si je n'arrêtais pas, je leur ai répondu d'aller se faire foutre. Un d'eux m'a mis pas terre comme un lutteur et ils m'ont mis des coups de pieds, évitant soigneusement mon visage. Toutefois je m’en suis tiré avec un coquard. Il faisait encore nuit lorsque je suis revenu à moi. J'ai réussi à trouver le trajet de chez moi en boitant et j'ai été me coucher après avoir fumer trois autre cigarettes dans mon lit. Je me suis réveillé en milieu d'après-midi. J'ai fais mes devoirs consciencieusement et j'ai passé le reste du week-end à lire Zombies, qui n'était pas un livre facile à lire. J'ai marqué le nom du narrateur à chaque début de chapitre et le relisait deux fois. Au début ça paraissait être un livre assez classique de Bret Easton Ellis mais les vampires ont complètement changés la donne. Au début lorsque les vampires étaient évoqué je pensais que c'était une expression pour dire qu'à Hollywood les gens se mangeaient entre eux, où que les personnages sont assez tarés pour y croire, mais enfaîte non il y a vraiment des vampires. N'empêche que ce chapitre, le dixième, était mon préféré. C'est quand même incroyable qu'à vingt ans un homme puisse écrire ce genre de chose, c'est un niveau simplement irréel. C'est certainement un des cinq meilleurs écrivains de l'histoire de la littérature, si ce n'est le meilleur. C'est d'ailleurs un blasphème de limiter son œuvre à des mots, même si son œuvre est des mots. Enfin faut que j'arrête de lui cirer les pompes maintenant, ça devait être un relent d'alcool ou d'une homosexualité refoulée. Le lundi matin tout le monde me regardait à cause de mon coquard. J'avais maintenant une réputation de mec vicieusement intelligent qui saute sur toutes filles et qui boit comme un trou. Ce n'était pas vraiment faux mais c'était carrément caricatural. Je lisais maintenant American Psycho à chaque moment où je n'étais pas en cours. Ce qui rajoutait à ma réputation. Toutefois Matt me volait la vedette parce qu'il avait encore vraiment maigri et qu'il arborait également des traces de coups sur le visage. Je ne savais pas si cela provenait de collègues d'Angela ou des gros bras de Tyler ou de son père ou d'un inconnu dans la rue ou de lui-même et je n'avais aucune envie de lui demander. Lui ne m'a pas demandé quoi que ce soit à propos de son père ou du week-end chez Tyler, peut-être parce qu'il s'en fichait où qu'il ne voulait pas toucher une corde sensible ou pour ne pas qu'à mon tour je le questionne. C'était une sorte d'accord de bon procédé implicite. En tout cas on a passé la semaine ensemble, la bande était fâchée contre moi et évitait de toute façon Matt. On restait là, il regardait les gens et le ciel pendant que je lisais. En cours on restait à coté, toujours silencieux. Finalement le jeudi je lui ai demandé ce qu'il faisait ce week-end. Il me dit qu'il allait certainement aller chez Tyler, qu'il allait le payer grâce à l'argent qu'il avait eu pour son anniversaire et comme l'histoire serait réglée il y resterait pour le week-end. Je lui dit que j'y passerai certainement le samedi soir, il me répondit OK et le silence a repris. J'ai passé mon vendredi et samedi à lire et finalement je suis venu à bout d'American Psycho. J'ai adoré. Les répétitions de « et » sont absolument fantastique, mieux que Süskind dans Le parfum. Les conversations sans intérêt. Patrick Bateman qui avoue que sa confession ne sert à rien. Les meurtres. Quel livre. Encore une fois on ne peut pas réduire les mots d'un génie avec les siens. Pour avoir une idée d’à quel point le livre est bon il faut le lire. C'est tout. Très enthousiasmé je suis parti chez Tyler de bonne humeur. J'ai vu Matt qui m'a sourit donc j'ai été vers lui. On s'est marré avec un groupe de hippies à l'esprit super ouvert, je ne savais pas si il jouait ou si il en faisait exprès, peut-être bien qu'il faisait exprès de jouer. On a bu que des bières et fumé énormément de joints, je ne sais pas en tout combien on en a vu passer, peut-être vingt ou trente, c'était absolument énorme. Finalement, dans le délire collectif un hippie a proposé à Matt et moi de prendre chacun une fille et de faire l'amour tous ensemble. L'idée me paraît bizarre maintenant mais dans le contexte ça ne l'était pas du tout parce qu'on avait dans l'idée de sauver le monde par l'amour collectif. Jeunesse désabusée mais utopiste. Donc on est monté dans le chambre et on commencé à faire ça dans des positions bizarres. Finalement ça a fini par Matt et moi allongé côte à côte avec les deux filles qui nous faisaient des fellations. Matt me regardait en faisant des mimiques marrantes, on se retenait de rire en se mordant les lèvres, c'était vraiment bizarre et énorme. Le matin, on s'est tiré direct chez lui, ses parents et sa sœur n'étaient pas là. On a passé la journée allongé sur des chaises longues dans son jardin à bronzer en buvant du whisky à gogo. On était super posé. On a commandé des pizzas pour le soir et je suis rentré chez moi vers vingt-deux heure. En mai fait ce qu'il te plaît. Chapitre 10 : Juin Le lundi matin j'ai pris conscience que l'examen commençait dans trois semaines, là j'ai commencé à vraiment paniquer. J'ai décidé de prendre des mesures d'austérités, comme le gouvernement, mais pour les examens. Pour commencer je ne lirai pas de livres mais mes cours, ce qui m'emmerdait quand même pas mal parce que j'en apprenais plus en lisant un livre qu'en une année de cours. Je me suis également interdit les soirées, quelle qu'elle soit. Je ne pouvais vraiment pas faire plus alors je me suis limité à ça, ce qui était déjà un grand sacrifice. En cours toute la classe était tendue, sauf Matt. Les profs tentaient de nous calmer grâce à l'humour, mais l'humour des profs tu sais à quel point il est limité. Donc on stressait quasiment tous. C'était trop chiant. Les profs qui n'avaient pas encore finit le programme nous conseillaient de regarder dans le livre pour les cours qu'ils manqueraient et les autres profs qui avaient fini le programme nous faisaient faire des révisions pendant qu'ils restaient assis à ne rien faire. La plupart des élèves prenaient du Xanax, ceux dont les parents ne voulaient pas qu'ils en prennent l'achetaient dans les couloirs où à la sortie du lycée. Moi je n'en prenais pas, je ne voulais pas passer un examen sous médicament, par éthique. Ma méthode pour me détendre c'était d'aller vers Matt et de l’écouter parler des diplômes. Il me disait que c'était qu'un bout de papier qui disait que t'es un bon petit soldat conformiste, que t'as bien appris tes leçons à l'éconnericole et qu'il y avait mieux à faire que d'aller en cours. Il n'avait pas tout à fait tord mais il s'agissait que de pouvoir aller à l'université l'année prochaine, ce diplôme était mon ticket de sortie et d'entrée. J'en avais vraiment assez de ce lycée, rien en particulier ne me déplaisait mais j'avais juste besoin de neuf, j'étais lassé de cette routine. Et puis je ne savais même pas si Matt bluffait, d'ailleurs, qui aurait pu le savoir ? Je me préoccupais de façon virtuelle de son état. J'observais son évolution mais n'agissais plus. Il buvait, apparemment ne se droguait plus et offrait toutes sortes de cadeaux à sa sœur. Des vêtements, des objets high-tech, des livres et divers trucs. Il faisait aussi ses adieux au lycée, content. Pendant une semaine ce fut des adieux et des mains moites qui se serraient, des embrassades à chaudes larmes, des enlacements tremblants. J'ai vite fini mon tour. J'ai reçu un mail de l’université de Folio City qui m'annonçait que j'étais pris, à condition d'avoir mon diplôme, en cinéma avec en complément lettres modernes. La nouvelle m'a plus fait stresser que rassurer. Le vendredi soir, par réflexe ou pour profiter de l'oubli momentané des examens, j'ai été à la librairie, seul, voler quelques livres. J'ai fait ça en pilotage automatique, oubliant la vendeuse et la loi. J'ai pris Les choses de Georges Perec, Maximes de La Rochefoucauld et La Mort d'Ivan Illitch de Tolstoï. Les prendre ne m'obligeait en rien à les lire avant les examens après tout. J'ai commencé à aller à la soirée mais il n'y aurait eu personne, j'ai donc décidé de ne pas être personne et de rentrer chez moi pour réviser. Toutes ces matières, ces cahiers remplis de mots de la bande, de notes et de dessins étaient plus triste à voir que de réviser. Ça m'a aidé à réviser d'ailleurs. Le samedi j'ai révisé, encore et encore. Ce n'est que le soir que j'ai craqué et que j'ai lu La mort d'Ivan Illitch. J'ai adoré avec quelle franchise Tolstoï peignait les être humains dans tout ce qu'ils ont de minables, de faux, de bas et de méprisables. Je me demande comment ses amis ont réagis lorsqu'il ont lu ça. Même si j'avais son œil pour voir les humains jamais je n'oserai écrire de telles choses parce qu'on me prendrait pour un salaud au lieu de se remettre en question et d'accepter cette partie de soi-même qui est si détestable. On ne peut pas dire que je me sentais mieux mais lire quelque chose d'intéressant m'a fait énormément de bien malgré un sentiment de culpabilité. Le dimanche j'ai tenté de réviser le moins possible en prenant mon temps pour manger, me laver, aller au toilette. Je suis resté trente minutes sur le trône à tenter de chier la merde que je n'avais même pas. Je me suis accepté en tant qu'être humain donc imparfait. Je vais d'ailleurs vous faire une confession. J'ai menti. Quand je dis que je bois du whisky j'oublie de préciser que j'y met toujours du Coca-Coca, sinon ça me brûle la gorge. Voilà c'est dit. Faute avouée s'il vous plait oubliez. Le lundi matin j'ai été en cours. Sauf qu'il n'y avait personne. J'ai appelé Matt, je le réveillais apparemment, et il m'a dit que c'était la semaine de révision et qu'on avait pas cours. La nouvelle me blasa définitivement et je suis rentré chez moi réviser. Finalement j'étais près à aller au lycée parce que le temps y passait plus vite que chez moi. En rentrant j'étais si énervé que j'ai rangé mes révisions et j'ai passé ma semaine à lire les livres que j'avais acheté en regrettant qu'ils soient si courts. J'ai commencé par Les choses de Perec. Encore une fois ce n'était pas un portait élogieux des humains, mais plus encore du monde matérialiste dans lequel on vivait. Je n'ai jamais vraiment aimé l'argent ou les objets, préférant volontiers la compagnie des autres à celle d'un mixeur multifonction. Mais je dois avouer que beaucoup de gens étaient comme ça avec une soif d'argent très effrayante et une ambition très arrogante finalement. J'ai eu peur de tomber là-dedans un jour et je me suis dis que pour ne pas que ça m'arrive il fallait que je fasse des études pour avoir une situation confortable dans quelques années pour ne pas être frustré comme le couple dans le livre. Ça m'a aidé a révisé même si au fond je n'en pensais pas un mot. Quand ma soif de révisions c'est finie, après une journée environ, j'ai lu les Maximes. Comme Tolstoï La Rochefoucauld éclairait toute la noirceur des hommes, et même des femmes. Je m'amusais à reconnaître mes défauts ou ceux de mes connaissances dans ces phrases. C'était très cynique et pourtant je me suis beaucoup amusé. Ici encore je me demandais comment on pouvait faire lire ça à ses amis sans qu'ils en soient choqués. Peut-être qu'il ne l'a jamais fait ou que ses amis s'en sont amusés. Après tout ça ne m'avait pas vraiment choqué moi. Après avoir fini ce livre je me suis rendu compte que je n'en avais plus et pas plus l'envie de réviser. J'aurai dû voler de gros dictionnaires. J'étais une nouvelle fois, blasé. Mais j'ai quand même relu et relu mes leçons. Ce qui était embêtant et frustrant c'est que je n’apprenais vraiment rien qui soit intéressant, tout au plus j'approfondissais ma culture générale. Au bout d'un moment je me suis mis à apprendre les méthodes. C'était chiant, je vais vous l'épargner. Le vendredi matin je me suis sentis vraiment au point. Je savais tout. Désormais on pouvait me rebaptiser Wikipédia. J'ai appelé Martin et il m'a dit qu'il y avait une soirée ce soir avec plein de gens du lycée, dans un champ, histoire de faire de grands adieux collectifs. Vexé qu'on ne m'est pas prévenu, mais pas rancunier parce que j'avais vraiment besoin de m'amuser, j'y suis allé. C'était une fête très fatigante et vite lassante. La musique était bien trop forte, les gens trop euphoriques, la drogue trop présente et les adieux trop déchirants. De ma vie je ne reverrais aucun des ces élèves. Et aucun membre de la bande n'allait dans ma ville l'année prochaine. J'allais me retrouver seul pour un nouveau départ. J'étais à la fois effrayé et excité à cette idée. J'allais pouvoir mentir à tout le monde sur moi sans risque d'être percé à jour. Finalement j'étais réjoui que tout finisse. J'ai trouvé Martin qui m'a serré dans ses bras et invité d'autres personnes que je ne connaissais pas pour un gros câlin collectif. À moitié étouffé j'ai réussi à m'en tirer. J'ai aperçu Christy qui m'a gratifié d'un signe de la main et d'un sourire amical, elle s'ennuyait. Je n'ai pas été vers elle parce que je préférais tenter de me tirer définitivement de cet ennui seul plutôt que de l'aider. J'ai vu Jean qui parlait avec conviction et d'autres personnes. Je n'ai pas osé l'interrompre et puis elle n'avait jamais été très sentimentale. J'ai cherché mais je n'ai pas trouvé Matt. Donc je me suis excentré afin de pouvoir récupérer et fumer. J'ai été de l'autre coté d'un fossé et j'ai regardé ces gens que je n'allais plus revoir et d'autres que je n'avais jamais vu. C'est là qu'est arrivé Matt, derrière moi. Il m'a salué. On s'est remémoré les meilleurs moments qu'on avait passé ensemble, donc aucun de l'année qu'on venait de passer. On a fumé quelques joints, il a été chercher quelques bières et Christy. Nous avons enfumé et noyé notre mélancolie jusqu'à l'aube. À chaque silence nous nous disions, pour nous rassurer, que c'était le moment que ça se finisse puisque nous n'avions plus rien à nous dire. On s'est amusé à faire la liste des défauts des autres, puis les nôtres, ce qui a été plus long parce qu'on voulait être réconforté par les autres. On a parlé de ce qu'on avait pensé de nous quand on s'était rencontré. Christy pensait que j'étais limité, donc elle m'a trouvé attendrissant pour ne pas dire méprisant. Elle pensait que Matt était mon grandfrère spirituel, donc mon contraire. Matt a dit qu'il avait trouvé Christy différente et qu'elle était opposée aux autres filles qu'il avait rencontré avant. Il a dit que c'était la première personne à lui avoir donnée l'impression d'être un idiot, ce qui l'a encouragé à s'améliorer. Qu'elle était la première surhumaine qu'il rencontré. Il a dit qu'il m'avait adoré dès le début parce qu'il voyait en moi ce que les autres voulaient à tout prix cacher. Que j'étais le premier humain qu'il avait rencontré. J'ai dit que j'avais trouvé Christy aussi belle qu'intelligente donc que j'étais très intimidé. Puis j'ai vite deviné qu'elle était abordable pourvu qu'on est le courage de l'aborder. Qu'elle m'avait encouragé à lire, que j'avais pris un plaisir fou à entrer dans son monde, que c'était comme une grande-sœur pour moi. J'ai dit qu'au début Matt représentait pour moi le cliché parfait du grand mec beau et con. Que ça m'était vite passé quand il est venu vers moi et qu'il s'est offert le cœur ouvert. Qu'il m'avait encouragé à écrire, à sortir, à m'ouvrir, à vivre quoi. On a tous réprimé nos larmes en souriant. Ces compliments, bien que faciles et convenus, étaient aussi agréables que sincères. C'est quand on est sur le point de perdre les gens qu'on peut être entièrement sincère avec eux. J'ai encore la certitude aujourd'hui que ce soir si on ne s'était jamais vraiment apprécié et qu'on traînait ensemble par intérêt on aurait pas hésité à dire du mal des autres. Finalement c'était un très bon moment, j'étais avec les deux personnes que j'estimais et respectais le plus. Je ne m’attendais vraiment pas à passer ce genre de nuit mais j'ai adoré même si les choses auraient été différentes si on avait été moins pudique envers les autres. En rentrant chez moi le samedi matin j'ai dormi et je me suis réveillé en fin de soirée. J'ai commencé à me plonger dans mes cours mais j'ai bu la tasse alors je suis remonté à la surface. J'ai regardé des Very Bad Blague jusqu'à dimanche, en fin d'aprèsmidi. Puis j'ai été me coucher. La semaine d'examens a été crevante. Je n'ai vraiment pas aimé. Comme j'avais bien appris mes leçons je répondais à tout en pilotage automatique. Matt se tirait une heure après le début de chaque épreuve. Il écrivait vite, au fur et à mesure qu'il réfléchissait, et ne faisait jamais de brouillon. Il était si réfléchissant que j'en avais mal aux yeux. On a passé la semaine ensemble. Il m'attendait à la sortie de la salle et nous fumions, en mangeait, on refumait et on y retournait. Pendant cette semaine je n'ai pas révisé une seule fois. Chez moi je regardais des vidéos débiles sur Youtube. Pendant la semaine qui allait décider si j'allais à l'université l'année prochaine ou encore au lycée je n'ai absolument rien foutu si ce n'est noircir des pages sans vraiment réfléchir et regarder des vidéos en réfléchissant tout de même un peu plus. C'était la semaine la moins enrichissante de ma vie, en plus le stress me donnait la diarrhée, trop cool. Je me demande pourquoi je stressais d'ailleurs puisque j'avais pas mal de points d'avances. L'année d'avant j'avais réussis mes épreuves avec brio alors que ma moyenne était à peine au-dessus de la moyenne. Le week-end qui suivait était celui de la fête de la musique. J'y ai retrouvé Matt et Christy. On a perdu environ cinquante pour cent de notre audition à écouter de mauvais groupes et on est parti chez Matt. On a parlé des épreuves. On a échangé nos réponses en améliorant à peine. On a regardé la télé puis on a arrêté parce qu'on sentait qu'on devenait des idiots peu à peu. On a bu du whisky mélangé à du Coca-Cola. On a discuté de nos avenirs rêvés à qui on échappait à mesure que les instants passaient. Pour ne pas que ce soit trop triste on en riait, comme si c'était des rêves d'enfants et qu'on avait grandi. Par pudeur personnel et respect pour les autres je ne dirai rien de plus à ce sujet. Pendant qu'on buvait, j'étais assez éméché, j'ai regardé Christy et Matt. Je me suis rendu compte qu'une femme qui buvait était une scène très sensuelle contrairement à l'image de la grosse qui boit autant que son mari et qui est aussi féminine que lui. Je me suis rendu compte, en riant moins, que Matt avait vraiment maigri. Il était maintenant très mince et si il n'avait pas de graisse il n'avait pas plus de muscle, ses cheveux étaient à présent mi-longs. J'ai réprimé une mimique de tristesse et je me suis replongé dans l'ambiance. Quelques temps plus tard, je n'ai aucune idée de la durée, même approximative, je me suis allongé et là j'ai compris que la soirée était finie pour moi. Matt et Christy en ont rit. Ils ont continué de parler puis quand ils ont cru que je dormais ils ont parlé de moi. Sauf que j'étais trop ivre pour comprendre, de plus ils ne parlaient pas assez fort. Le matin j'ai déjeuné avec eux et je suis reparti avec Christy, puis continué seul lorsque nos chemins se sont séparés. En rentrant il a fallu que je me replonge dans des révisions. J'avais quelques jours avant de passer mon oral. Je n'ai pas vraiment révisé, j'ai plutôt relu des cours. Le beau temps était de retour et je n'avais vraiment plus aucune envie de gâcher ma vie. Je me suis rassuré en me disant que j'avais certainement bien réussi mes épreuves et que j'avais des points d'avances. J'ai marché et j'ai flâner, observer les touristes et les premiers jeunes qui travaillaient pendant l'été. Le stress n'est remonté que quand je me suis retrouvé sur le lieu de l'examen. J'étais fatigué parce que j'avais déjà adopté l'horloge du sommeil des vacances. Une fille de ma classe m'a passer des antistress à base de jus de poissons et de fleurs, bizarre et inefficace. Quand mon tour est arrivé j'étais impatient que ça se termine. J'ai parlé en regardant ma montre pour ne pas que les deux professeurs me coupent la parole à la fin du temps que j'avais. Puis ils m'ont posé des questions pièges, hors-sujet, je répondais du mieux que je pouvais et là ils commençaient à s’énerver, alors j’avouais qu'en dix minutes je n'avais effectivement pas le temps de développer un sujet sur lequel des hommes avaient voué leur vie. Ils l'ont très mal pris. Quand ça s'est terminé je suis parti en vitesse en entendant des élèves me souhaiter de bonnes vacances à qui je ne répondais pas puisque je me fichais de leurs vacances étant donné que je ne les reverrais plus de ma vie. Une fois chez moi je me suis allongé dans mon lit en tentant de réaliser que c'était fini. Toutes ces épreuves sans intérêt, ce stress stérile, cette Amazonie que je devais détruire malgré moi. J'ai bien dormi et le mois qui avait le jour le plus long était fini. Chapitre 11 : Juillet Je dois avouer que le début des vacances était placé sous le joug des lois de l'oisiveté. Les premiers jours je n'ai vraiment rien fait, rassuré que les dés soient jetés et un peu stressé dans l'attente des résultats. J'ai repoussé l'achat de livres pour m'obliger à récupérer. Ces journées ont été bénéfique pour mon corps et mon esprit au prix qu'elles le soient pour ma culture. Le trois juillet, date de l'anniversaire de la mort de Jim Morrison, j'ai passé la nuit avec Matt. Nous avons été sur une colline, où il n'y avait personne, et nous avons vidé des bières, incinéré des cigarettes, quelques joints et parlé peu tout en écoutant The Doors sur le portable de Matt. Nous étions dans un cliché solennelle. J'avais maintenant plus de recul par rapport à Morrison. Je ne l'avais pas oublié parce que ma passion de la littérature m'était venu de lui, mais il avait aussi changé mon meilleur ami. Ils étaient tous deux la base sur laquelle j'avais cumulé tant de richesses. Cet année je m'étais construis à mesure que Matt s'était détruit. Quelques jours plus tard, que j'ai passé devant la télé, c'était enfin le jour des résultats. Comme je ne voulais pas me retrouver devant le tableau des admis sans savoir si j'ai mon diplôme j'ai demandé à Christy de m'avertir des résultats dès qu'elle les aurait. J'avais de peur de venir en perdant et de me retrouver dans le camp des losers en baissant les yeux devant les vainqueurs. Je me demandais comment les autres pouvaient procéder autrement que moi mais j'étais rassurer par le fait que c'était néanmoins possible. Ce qui nous paraît absurde a parfois un bon coté. J'ai tremblé et fumé frénétiquement et finalement j'ai reçu un sms de Christy qui, et je cite, disait : « tu l'as ». Par politesse moins que par amitié je lui ai demandé si elle l'avait. J'étais trop heureux pour attendre sa réponse alors j'ai couru jusqu'au lycée pour savoir. En arrivant j'ai vu des élèves sourire et d'autres pleurer, certains étaient venus accompagnés par leurs parents et prenaient la pose avec les résultats à la main. Je m'en fichais. J'ai marché avec la même démarche qu'un général de retour d'une campagne victorieuse. J'ai été devant le tableau et sans surprise j'ai vu mon nom dans la liste des admis. J'avais une mention. J'ai ensuite regardé si le reste de la bande l'avait eu, c'était le cas, avec mention. La vie est soudain devenue belle. Tout glissait comme sur de la vaseline. Je baisais la vie et jouissais pendant qu'elle me faisait la même chose. J'ai été récupéré mes notes. Je ne vais pas vous les donner, vous êtes pas mes parents, d'ailleurs personne ne l'est. J'ai salué quelques professeurs qui m'ont félicité en me demandant où j'irai l'année prochaine. C'est là que j'ai réalisé que je ne retournerais plus jamais dans ce lycée. En marchant dans les couloirs j'ai retrouvé la bande au grand complet. Martin, Jean, Christy et Matt étaient là, devant moi, une dernière fois ici. On a traîné dans tous les couloirs en se racontant nos anecdotes. Les chroniques de trois années ensemble. On a même parlé des mauvais moments qu'on avait passé cette année, comme si c'était déjà vieux, comme si aujourd'hui plus ne pouvait nous toucher, comme si comme ça quoi. On a appelé nos familles pour les prévenir, on a été félicité, comme convenu. Puis on a fumé. On a parlé avec d'autres élèves. Mary nous a rejoint. Elle nous avait toujours considéré comme des exemples en gardant ses distances. Elle vivait en avance ce qui lui arriverait deux ans plus tard. En sortant du lycée j'ai croisé un garçon qui venait s'inscrire au lycée avec son père. Je me suis souvenu de moi à son age. Je m'étais promis que je ne fumerais pas, que je ne boirais pas, que je ne me droguerais pas, que je bosserais tous les jours, que je ne baiserais pas mais ferais l'amour. J'étais arrivé avec plein d'espoir et j'en étais ressorti désabusé. Peut-être que c'est ça grandir. Il n'y avait plus rien à faire au lycée et on avait plus rien à faire ensemble mais on voulait encore profiter de la journée. Alors on a été manger au Macdonald tous les six. Mary ne disait rien pour ne pas faire ressortir un peu plus qu'elle n’avait rien à faire là. Sauf qu'elle aurait pu, sa présence était agréable parce qu'elle était témoin de notre narcissisme. Après manger on s'est quitté en se promettant de se rejoindre chez Martin le soir même avec toutes nos affaires de cours. J'ai fais la sieste pendant l'après-midi puis j'ai préparé mes affaires pour en finir avec le lycée. Chez Martin Mary n'était pas là. On a fait un barbecue, c'est Matt, Martin et moi qui nous en occupions sous les moqueries de Jean et Christy. On a mangé dehors. J'avais l'impression qu'on était des adultes, maintenant je sais que non. Le repas a traîné en longueur. On a passé plus de temps à boire et fumer qu'à vraiment manger. Puis les filles ont débarrassé et on est rentré à l'intérieur pour ne pas se faire dévorer par les moustiques. Les parents de Martin n'étaient pas là. Il a allumé la cheminé et nous avons taillé sur les profs en brûlant leurs cours. C'était jouissif, plus que de tourner la page nous les brûlions. Nous avons donné aux autres les directions où nous allions aller. Christy allait en lettres classiques. Jean en management. Martin en droit. Matt arrêtait les cours. Moi vous le savez. On s'est juré de garder le contact, qu'on se verrait pendant les vacances et après la rentrée. Qu'on retournait au lycée tous les cinq. Qu'on s'appellerait chaque week-ends. Etc... Martin et Jean ont proposé qu'on parte en vacance tous les cinq la semaine d'après. Dans l'euphorie nous avons tous accepté avec joie. Tout était prêt pour qu'on dorme sur place mais j'ai préféré rentrer chez moi. Ces excès d’hypocrisie m'avait dégoutté. Je ne partais pas pour revenir au même endroit mais pour découvrir autre chose. Lorsqu'on tourne la page on ne doit pas retourner en arrière, sinon on ne l'a pas vraiment tourner. Je préférais arracher la page et la bouffer tout de suite. Matt et Christy ont décidé de rentrer aussi. On a commencé à partir ensemble et Matt a proposé d'aller chez lui. Nous étions d'accord. Chez lui nous nous sommes dit la vérité même si elle était déchirante. Après ces vacances ensemble on ne se reverrait certainement plus et plus rien ne serait jamais comme avant de toutes façons. Nous étions tout de même soulagé d'avoir dit la vérité et que nous soyons tous d'accord. On a beaucoup parlé même si on a pas dit grand' chose. Le lendemain matin je suis rentré chez moi. Mais une fois chez moi je ne tenais pas en place alors je suis parti chercher des livres à la librairie. J'ai hésité à les voler mais ça ne m'amusait pas du tout alors j'ai été payer. La vendeuse a souri. Elle m'a demandé si j'étais reçu, m'a félicité de mes choix de livres et fait remarquer que c'était la première fois que je prenais des livres malgré que ce n'était pas ma première venue. J'ai acquiescé à chaque phrase et je suis rentré chez moi. J'ai compris en repartant que jamais je ne reverrais Sacha, ce qui m'a pincé le cœur puis j'ai réalisé que ça ne me faisait rien. Pendant la semaine je ne suis rentré chez moi que pour dormir. J'ai traîné dans des parcs pieds nus en me délectant du beau temps et m'asseyant sur des bancs pour lire. J'ai commencé par lire Cosmopolis de Don Dellilo. J'ai adoré l’odyssée de ce jeune garçon mégalo et narcissique qui perd tout sur une erreur et une envie d'une nouvelle coupe de cheveux. Le style était cru et violent. La phrase qui m'a achevé était Ma prostate est asymétrique. Quel esprit dérangé et génial pouvait bien écrire ça ? C'était jouissif. J'ai continué avec Bright Lights, Big City de Jay McInerney, le frère littéraire de Bret Easton Ellis. L'utilisation de la seconde personne du singulier était absolument géniale. Si j'y avais pensé j'aurais écrit le livre que vous lisez en ce moment en l'employant. Le livre était assez similaire à Les Fleurs du Mal de Baudelaire. La déchéance d'un homme qui tente de se rattraper par tous les moyens mais qui se résout finalement de toucher le fond et qui décide de tout recommencer une fois que c'est fait, mais Baudelaire va jusqu'à l'échéance du temps. Finalement c'était un livre contre l'amour puisque tous les problèmes du personnage viennent de sa séparation avec sa femme. Tu n'es tout de même pas tombé si bas, te dis-tu. Il te reste encore un semblant de dignité. Décidément ce mois littéraire était placé sous le signe de la déchéance alors que j'étais en pleine ascension. J'ai continué avec Prières exaucées de Truman Capote. J'ai adoré comme jamais je n'avais adoré le personnage de Jones. C'était devenu mon idéal. Je voulais ressembler à ce garçon libre et talentueux. À la fin du livre je me surpris à me rêver comme lui. Puis je me suis demandé si un film avait été fait à partir de ce livre. Donc j'ai remis mes chaussures et je suis rentré chez moi en courant pour le savoir. Selon mes recherches sur Internet ce n'était pas le cas. J'ai commencé par être déçu puis j'ai fini par me voir en réalisateur, scénariste et acteur principal dans ce film que je rêvais maintenant de faire un jour. On verse plus de larmes pour des prières exaucées que pour des prières non exaucées. À la fin de cette semaine j'ai préparé ma valise pour aller à l’aéroport rejoindre la bande. Mon oncle me promis de s'occuper des papiers administratifs pour l'université en mon absence. Tout glissait. C'est vraiment chiant de monter dans un avion de nos jours. Un gars qui bossait à l'aéroport à demandé à Martin si il y avait une bombe dans sa valise. Je me demande si quelqu'un a déjà répondu sérieusement par oui à cette question. Le voyage était ennuyant, trop long et trop de monde. Je me demandais comment les vacances sur terre allaient bien pouvoir justifier un tel enfer en l'air. On a réussi à atterrir à Ray Ban Island. J'ai pressé les autres pour qu'ils prennent leurs valises parce que je voulais quitter cet aéroport à tous les prix. Nous sommes montés dans un taxi, un monospace où nous avions nos affaires aux pieds et sur les genoux et on a atteint le loft que les parents de Jean avaient loué. Matt et moi avons vite compris qu'on ne pourrait pas ramener de filles ici pendant ces vacances. On était dépité pendant les autres se moquaient de nous. Pendant deux semaines nous avons vécus les mêmes journées. On buvait sur la plage, parlait avec les indigènes qui nous prenait pour des sauvages. Ils étaient curieux de savoir à quoi ressemblait la vraie vie, à l’extérieur de l’île. Il semblait surpris que la planète ne vienne pas habiter ici. Nous restions toujours groupé. La nuit Matt et Christy venaient me réveiller pour qu'on visite la ville. C'était rafraîchissant mais pas du tout constructif. Notre trio s’essoufflait malgré nos efforts. Il n'y a qu'une soirée qui n'a pas ressemblé aux autres. Une nuit Matt m'a réveillé pour qu'on sorte. Je l'ai suivi jusqu'à une boite de nuit. Dès que je suis rentré j'ai ressenti l'envie d'en sortir. On s'est assis sur un banquette en buvant pendant que d'autres dansaient. Nous avons tout les deux repéré une proie, enfin deux filles qui nous attiraient. Elles avaient l'air relativement proche. Matt m'a amené jusqu'à elle et nous avons commencé à boire ensemble. Elle ont commencé à nous demander si nous étions des vampires, elles avaient l'air sérieuse alors on a répondu que non. Nous avons discuté de l'île et de nous. À chaque changement de musique je refusais systématiquement d'aller danser puisque je ne savais pas danser, pas plus que je n'avais envie de me ridiculiser. Finalement un slow est passé. Alors Matt a pris sa blonde et j'ai pris ma brune et nous sommes allés danser. C'était assez agréable bien qu’ennuyeux. Quand la musique s'est finie Matt et la blonde n'était plus là. J'ai proposé à la fille de sortir dehors. On est sorti, courant et riant sur la plage en se moquant des gens. Puis elle m'a demandé si on rentrait chez elle ou chez moi. J'ai dit que si je rentrais à cette heure-ci mes amis allaient me tuer. Pour que je reste en vie on est allé chez elle. C'était un appartement assez sympa et visiblement pas de vacances puisque la décoration était assez étudiée. En tendant l'oreille j'ai entendu qu'un couple baisait pas loin. Ça a du inspiré la suite de la nuit parce qu'elle et moi aussi. Le lendemain matin je me suis réveillé seul. Je ne me souvenais pas d'avoir éjaculer alors j'avais certainement dormi pendant. J'ai été sur la balcon pour fumer une cigarette et j'ai vu Matt qui faisait la même chose. On a échangé un sourire et une des filles m'a amené un café. Dès qu'elles ont eu le dos tourné on a pris nos affaires et on s'est tiré. Le reste des vacances on a évité de sortir de peur de les recroiser. De retour à Coca-Cola City on s'est redit une nouvelle fois adieux et je suis rentré chez moi. Ces vacances m'avait fatigué et j'avais besoin de récupérer. En rentrant chez moi oncle m'a appris que j'étais définitivement pris à l’université. Rassuré sur mon avenir j'ai déballé mes affaires et j'ai été me coucher. Puis un appel de Matt m'a réveillé. Il m'a expliqué qu'il s'était battu avec son père parce qu'il ne lui avait pas dit qu'il partait. Son père s'était inquiété pour la santé de son fils alors il avait tenté de le frapper lorsque Matt est rentré. Son père l'avait viré, déshérité et renié. Mais il ne m'appelait pas pour me raconter ses problèmes mais pour me demander si il pouvait loger quelques temps chez moi en attendant de demander à d'autres. J'étais si fatigué que j'ai accepté. Matt est arrivé chez moi ivre avec pour bagage un sac de voyageur. Depuis le début de l'été il se contentait toujours de son pantalon en cuir et de t-shirts blancs. Tout cela gâchait mes vacances mais je ne pouvais pas laisser un type qui représentait tant de souvenirs dormir dehors pour mon confort personnel. Je l'ai accueilli à bras ouverts et les yeux fermés. J'avais l'espoir que ces vacances allaient être reposantes mais finalement elles étaient aussi crevantes que les cours. Le mois était fini et l'écart entre Matt et moi se creusait. Mon avenir se dessinait pendant que celui de Matt s'effaçait. Chapitre 12 : août Matt s'est très vite installé chez moi. Il aidait mon oncle à passer le balai, cuisiner et faire la vaisselle. On sortait dans les rues le soir. On discutait de tout et même de rien quand les mots ne suffisaient plus. La journée on lisait dans les parcs. Matt était venu avec moi acheter trois livres. Il lisait d'autres livres qu'il avait emmené pendant que je lisais les miens. Il lisait essentiellement de la poésie. Je l'ai vu lire des auteurs comme Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Pier Paolo Pasolini ou encore Charles Baudelaire. Pendant ce temps je lisais Le Festival de la couille et autres histoires vraies de Chuck Palahniuk. Ce livre était totalement déjanté avec des histoires comme il est impossible d'en inventer. Palahniuk mettait en lumière les stars de l'ombre. Il faisait la démonstration de la richesse que contenait la moisissure de notre monde actuel. Je l'ai adoré et envié de faire de ces découvertes son métier. Thompson annonçait l’apocalypse et Palahniuk soulevait les ruines pour en faire le bilan. Puis un matin Matt a disparu. Il m'a laissé un mot sur mon bureau. « Merci pour tout mec mais malheureusement je peux pas continuer comme ça. J'aimerais te dire avec mes mots ce que je ressens mais un mec l'a fait fait mieux que moi. Je fais parti de ceux qui ont la démence de vivre, de discourir, d'être sauvés, qui veulent jouir de tout dans un seul instant, ceux qui ne savent pas bailler. T'as deviné que c'est du Kerouac. Réfléchis bien et si t'es comme moi alors on se retrouvera. » J'ai été sensible à ce mot mais je n'ai pas réagi. J'ai décidé de finir les romans que j'avais acheté avant de me décider. De plus ça me permettait de me reposer. J'ai lu Demande à la poussière de John Fante. C'était génial. L'auteur est évidement le personnage principal, Arturo Bandini. Il n'a pas peur de se peindre comme un jeune prétentieux minable qui tente de s'élever sans relâche vers le rêve américain. On le voit fauché, puis aisé pour finir fauché etc. John Fante n'a pas peur de dire qui il est. Charles Bukowski l'a dit mieux que moi Here, at last,a man how don't affraid about emotion. Je m'excuse de citer si souvent mais les citations justifient mieux mes propos parce que je n'ai pas la prétention d'être un bon critique. J'ai ensuite lu L'attrape-coeur de Salinger. Je ressentais dans ma chair chaque phrase, même ce que je n'avais pas vécu me semblait familier. J'ai eu une envie de fuir ma vie pour partir à la rencontre de la réalité. J'ai eu cette envie comme lorsque l'on voit ou lit Into the wild. Je n'avais aucune obligation avant la rentrée alors j'ai fait mon sac et je suis parti. J'avais envie de tout voir dans les moindres détails. Seulement après une journée j'ai compris que seul je n'avais pas la folie nécessaire pour avoir des histoires à raconter. Alors j'ai décidé de partir à la recherche de Matt. Son mot m'encouragerait dans cette direction. Il n'avait plus de téléphone donc j'ai appelé la bande. Ils l'avaient tous logé mais à présent personne ne savait où il était. J'ai alors cherché chez Jamy, Angela, puis finalement chez Tyler. J'avais l'impression de revivre cette année, avec toujours un sentiment de déjà-vu. Je me sentais comme Edward Norton lorsqu'il cherche partout Brad Pitt dans Fight Club. C'est finalement chez Sacha que je l'ai trouvé. Elle m'a accueilli avec surprise, simplement vêtu d'un T-shirt à l’effigie de Mike Like, puis dirigé vers la chambre de Matt. Je l'ai vu torse nu, il sentait l'alcool et le sexe. Je lui ai proposé de partir avec moi voir autre chose. Il a sourit et nous sommes partis. On est partis en stop jusqu'à BiC City. On a été pris en stop par un couple d'artistes bizarres. Ils nous ont invité à boire un café quand on est arrivé à destination. Enfaîte seul l'homme était artiste, il était peintre et s'appelait Anthony Taylor. Et la femme était sa muse, ce qui avait l'air de beaucoup l'amuser, et s'appelait Michelle Summum. Ils allaient dans cette ville pour faire une exposition. Je les avais déjà vu dans quelques magazines où ils avaient l'air bien plus heureux qu'en réalité, surtout lui. J'ai demandé à Anthony Taylor un autographe, ce qui a rendu son sourire plus honnête tandis que celui de sa femme est devenu crispé. On s'est quitté peu après le silence que cette signature a causé, à la grande déception de Matt qui aurait bien passé plusieurs semaines avec eux. Nous avons logé dans un hôtel pendant quelques jours. Je le voyais écrire sur un carnet assez souvent. Moi je n'arrivais à rien. Nous avons traîné avec des dealers, des clochards et des prostituées. Rien ne me surprenais jamais. Je trouvais normal tout ce que se passait alors que l'existence même de ces gens étaient par définition choquante. C'est peut-être ça vivre avec son temps et l'accepté. Matt s'est mis en quatre pour que je m'amuse mais il désespérait que rien ne me choque. Il tentait de me faire aimer ce qu'il aimait mais il y mettait trop d'ardeur pour que je puisse être sensible à ces choses plus qu'à lui. C'est peut-être pour ça qu'un matin je l'ai vu rassembler ses affaires, être surpris que je le surprenne pendant qu'il m'abandonnait, et partir en me disant que de toute façon il fallait que je grandisse seul et qu'il serait à ma fête d'anniversaire. J'avais complètement oublié que je devais rentrer à temps pour fêter mon anniversaire mais ça me paraissait encore trop loin pour que je rentre maintenant. Et puis je ne voyais pas ce que j'aurais bien faire chez moi. En sortant de l’hôtel, pour me changer les idées, la réceptionniste m'a remis une enveloppe de la part de Matt. Il y avait assez d'argent pour que je paye la chambre, mange et exerce des loisirs futiles. Je passais mes après-midis à explorer la ville, ses musées, ses cinéma, et je suis finalement entré dans la galerie où était exposé Anthony Taylor. Les tableaux avaient chaque fois pour titre une émotion comme la colère ou la tendresse. Ils étaient abstrait mais représentaient mieux l'émotion qu'une œuvre figurative. En un seul tour on passait par tous les états. Je suis resté pendant dix minutes devant La Béatitude. Si j'avais pu me payer ce tableau j'aurais été heureux toute ma vie. À part cette exposition je dois avouer que mes journées étaient tristes. La nuit c'était bien mieux. J'allais dans des bars et je sympathisais avec les gens pour qu'ils me payent des verres. Ils y avait des jeunes ennuyeux qui me racontaient leur vie que j'avais déjà entendu mille fois. Ça me rendait triste de m'y identifier. Et il y avait des vieux beaucoup plus intéressant qui racontait des histoires croustillantes sur leur famille ou leur patron. À l'aube je rentrais à l’hôtel pour dormir. Sans Matt je redécouvrais tout. Mais bientôt je pris mes habitudes à BiC City, ce qui me démoralisait. Donc je décidais de rentrer à Coca-Cola City. En partant pour rentrer chez moi j'ai réalisé que les grands espoirs que j'avais placé dans cette aventure étaient trop grands pour moi. J'ai donc décidé de rentrer chez moi comme un chrétien qui voulait pêcher et qui rentre finalement bredouille. J'ai décidé de passer une dernière nuit dans cette ville, à errer parce que je me méfiais de qui pourrait me prendre en pleine nuit. J'ai alors rejoint les personnages que Matt m'avait présenté. À force de traîner dans les banlieues avec des dealers j'ai maintenant peur du noir. À force de traîner avec des clochards à présent je pue la crasse de la défaite face à la vie. À force de baiser des putes que je déteste je n'arrive actuellement plus à faire l'amour aux filles que j'aime. Me voilà raciste, puant et frigide ; du moins pour un temps. Toutes ces expériences destructrices pour un malheureux paragraphe, c'était du gâchis. Il allait faire jour dans environ deux heures. Je me suis planté debout à la sortie de la ville et j'ai tendu le pouce. J'ai été pris en stop par un certain Gaspard qui était parti voir une fille à BiC City et qui était très heureux. Son escapade avait l'air de l'avoir fait renaître. Il voulait absolument rentrer avant l'aube. J'ai pensé qu'il avait peut-être été trompé sa femme et qu'il devait rentrer au plus vite pour qu'elle se réveille à ses cotés. Il roulait si vite que j'avais peur qu'il nous tue dans son euphorie. Il était si plein de vie et décalé que mes idées noires sont parties. Je me sentais bien. J'ai revu mes jugements et je me suis reconstruis. Cette petite odyssée m'avait lavé. J'avais l'impression de vivre la suite du roman de Jay McInerney. En rentrant chez moi j'ai pris une douche froide. La canicule faisait tomber les vieux comme des mouches et ces mouches bouffaient leur chair pourrissante. Lorsque j'ai posé des affaires sur mon lit j'ai vu une lettre, elle était de Matt. Il me disait que mon anniversaire se ferait chez lui et qu'il avait tout réglé, je n'avais qu'à m'y rendre le jour de ma majorité. En attendant mon anniversaire je n'ai rien fait. J'ai profité du soleil et flâné sur Internet. Déjà j'attendais la rentrée avec impatience. Je voulais tous les oublier. Ils m'énervaient tous. Après cette fête, à l'aube, je tirerais le rideau sur le passé sans me retourner. Je les tuerais métaphoriquement, tous. Malgré toutes ces pensées j'étais heureux, excité, je bouillonnais d'impatience. C'est à cette période que Tony Scott est mort. J'avais tellement aimé Le Fan et True Romance que j'ai laissé un commentaire sur sa page Allociné : Les drogués au cinéma, comme moi, perdent un de leur meilleur dealer. Cette nouvelle a chassé mes idées noires. Comme on aurait pu s'y attendre le jour de mon anniversaire est arrivé. J'avais fait la sieste en fin d'après-midi alors lorsque je me suis réveillé il faisait déjà nuit. En me levant je suis vite passé dans la salle de bain et je suis parti. Il n'y avait personne dans les rues. J'ai tenté de me rappeler pourquoi j'y allais et je pense y être allé pour sucer une dernière fois le sang de mes amis avant de les enterrer dans le jardin de ma mémoire. En arrivant chez Matt j'ai revu tout le monde sauf lui. J'ai salué la bande, les membres de Room Window, Mary, Tyler, Angela, Sacha et d'autres du lycée. La plupart était déjà entamé par l'alcool. Étant totalement sobre je savourais mon sentiment de puissance. Il y avait deux catégories d'invité. Les premiers étaient ceux qui n'étaient pas au courant de mon anniversaire et qui s'en fichaient lorsqu'ils l'apprenaient. Les autres me le souhaitaient dès qu'ils me voyaient. Finalement les premiers étaient les moins embêtant, sauf que je ne les connaissais pas. Les parents de Matt étaient de toute évidence absent. J'ai commencé à boire. Il ne restait rien à mangé. Je voyais un peu partout des bougies, des restes de gâteaux et de pizzas. Je marchais entre les invités, je ne voulais côtoyer personne, mais j'étais bien. Après deux verres de vodka glacée j'ai voulu aller fumer dehors. C'était certainement autorisé à l'intérieur mais j'avais besoin d'un peu d'air. Je ne pensais à rien d'important, du moins j'ai oublié lorsqu'une fille que je n'avais jamais vu est venue me parler. Elle s'appelait Marie-Nella. J'ai commencé par rire parce que personne ne m'avait jamais fait cette blague mais enfaîte c'était vraiment son prénom. Elle m'a demandé si c'était moi Tom Harrison. J'ai répondu que oui. Donc elle m'a parlé de l'université, elle allait à la même que moi et me demandait si on pouvait traîner ensemble à Folio City parce qu'elle n'y avait jamais mis les pieds. Je trouvais sa démarche étrange mais elle était si amusante que j'ai accepté. On a discuté de nos années au lycée, en évitant les clichés des expériences de débauches. Elle venait de BiC City, en repartant de la ville Matt l'avait invité à cette soirée. Apparemment ils n'avaient pas couché ensemble et elle n'avait pas plus de sympathie que ça pour lui. Elle m'a dit qu'elle était venue pour absorber de la matière afin d'écrire une chronique dans le genre de Chuck Palahniuk. J'ai trouvé ça très drôle et elle et moi avons décidé de retourner à l'intérieur pour mettre l'essence des invités dans le récipient du carnet de MarieNella. Je lui ai fait visité la maison, présenté mes connaissances et bu quelques shooters de tequila pour me détendre. Je lui racontais des anecdotes amusantes sur les invités. Quand nous avons été seul Tyler est arrivé pour me donner un sachet d'herbe en guise de cadeau d'anniversaire. Je l'ai remercié même si je n'avais rien pour rouler. Grâce au fantôme de Jim Morrison qui devait planer sur les lieux ce soir-là Marie-Nella avait tout ce qu'il fallait. Nous avons décidé de monter dans une chambre pour rouler et fumer tranquillement sans que personne ne nous dérange. Nous sommes entrés dans le chambre de Mary mais Matt et Christy copulaient copieusement. Matt nous a tout de même salué. Nous avons ensuite été dans la chambre de Matt et un couple que je ne connaissais pas faisait la même chose. Sauf que cette fois j'ai pris la main de Marie-Nella et nous sommes passés par la fenêtre pour atteindre le toit à l'aide du chéneau. On était bien. Elle roulait minutieusement pendant que je réalisais en parlant tout haut que Matt et Christy couchaient ensemble. Par pur intérêt littéraire Marie-Nella m'a demandé de me raconter pourquoi, alors je l'ai fait et je me suis rendu compte qu'il n'y avait rien d'étonnant là-dedans. Après ça j'ai parlé de Matt. Que je l'avais vu taper un type cette année, qu'il avait tapé sa copine prostituée, qu'il avait monté un groupe, qu'il s'était drogué à tout et qu'on avait passé des moments formidables ensemble ces trois derniers mois. J'étais assez ému et je souriais, elle aussi mais comme si j'étais un enfant et que ce n'était pas si important. Je parlais sans m'arrêter et elle m'écoutait tout en prenant quelques notes sur son carnet rouge Oxford. Elle ne m'écoutait pas comme je l'aurai voulu mais même s'il n'y avait eu personne ça n'aurait rien changé. Nous avons fumé quelques joints, entre trois et cinq je dirais. Et un bras s'est agrippé au toit. C'était Matt qui montait, il avait l'air réellement ivre et ne portait que son pantalon de cuir. Je lui ai proposé de tirer sur le joint mais il a refusé. Il s'est assis à coté de moi. J'étais au milieu. Entre mon passé et mon futur. Je me sentais gêné, je ne savais pas quoi dire, j'avais peur qu'un d'eux se sente de trop. À ma surprise c'est Marie-Nella qui a pris la parole pour demander à Matt qui était Christy pour lui. Il a sourit et l'a regardé comme une star à qui on pose une question pertinente après tant d'années de léchage de bottes. Il a sorti un sachet de poudre blanche de sa poche et a tracé une ligne sur son avant-bras. Il la sniffé entièrement en finissant pas se pincer le nez avant de le relâcher et de renifler. Il nous a dit qu'il n'y avait que les coupables qui se justifiaient. Puis il s'est levé en vacillant un peu et il s'est approché du bord. Je lui ai dit de revenir mais m'a fait un signe de la main pour ne pas que je m'inquiète. Il a commencé à marcher près du bord, comme un funambule. Je lui rappelé qu'il avait le vertige. Il a souri, m'a regardé et levé un sourcil. Puis il a continué à marcher, et il est tombé. Je me suis précipité sur le bord, Marie-Nella aussi, et nous l'avons vu sur le sol sur le dos sur une flaque de sang sous son crâne. Je n'ai pas réalisé. J'avais l'impression que c'était un trucage. J'ai observé s'il n'y avait pas un faux-raccord pour avoir une preuve que c'était faux. Quand des gens se sont précipités vers lui j'ai compris que ça ne pouvait pas être une blague, c'était trop glauque pour être faux. J'ai vu Martin appelé du secours avec son téléphone. J'ai vu Tyler et Angelina partir en courant. J'ai vu Jamy prendre Mary dans ses bras. J'ai vu Jean totalement paniquée qui criait sur tout le monde pour qu'il s'écarte. J'ai vu Christy pleurer, assise près de Matt, la main sur son cœur. Puis j'ai regardé Marie-Nella, elle fermait les yeux. Il y a eu des sirènes. J'ai tout raconté des dizaines de fois en tentant de ne jamais rien déformer de la seule vérité. Personne n'a douté que c'était un accident ou que je l'ai tué. Sauf moi, je pense qu'un homicide ou un suicide était plus plausible venant de Matt. Marie-Nella a appelé ses parents pour qu'ils viennent nous chercher. J'ai passé la nuit à écouter ses parents m'expliquer que la mort faisait partie de la vie. Je n'y croyais pas mais je n'avais pas le courage de m'énerver. Le lendemain matin ses parents m'ont ramené chez moi. Mon oncle ne m'a pas dit un mot. Il savait et n'avait pas la prétention de m'apprendre quoi que ce soit. À l'incinération de Matt il y avait le même casting qu'à mon anniversaire. Sauf Angela et Tyler qui étaient remplacés par Mila et Robert, les parents de Matt. Ils m'ont dit qu'il fallait que je passe chercher un carton à mon nom. Ils ont retrouvé dans la chambre de Matt une lettre d'indications en cas de décès au cas où il lui arriverait un accident de la vie ou de la mort. Je refuse de parler de testament, on écrit pas ce genre de chose à cet age. J'ai répondu que je passerai avant la fin des vacances et je suis retourné vers Marie-Nella. Christy était entourée de Martin et de Jean. Le corps de Matt est rentré dans cette cheminé pendant que Light My Fire des Doors résonnait. Nous avons tous poussé un sourire triste. Personne n'avait osé s'y attendre. Beaucoup on parlé. C'était un concours de celui qui raconterait le plus d'anecdotes et qui ferait la plus grosse liste de compliments. Je ne leur en voulais pas. C'était convenu. J'ai laissé tout le monde parler et je suis parti. J'ai traîné un peu dans la rue en fumant et me rappelant de tout ce que j'avais vécu avec lui. Je suis passé dans un magasin me prendre une bouteille de whisky, la caissière ne m'a pas demandé ma carte d'identité. J'ai marché jusqu'à la colline où nous avions passé la nuit le trois juillet, date d'anniversaire de la mort de Jim Morrison. Il y avait encore nos mégots et des bouteilles vides par terre Je me suis rappelé de chaque souvenir jusqu'à sa chute. Je m'en voulais. Finalement si je ne lui avais pas parlé de Morrison il serait peutêtre encore en vie. Mais je ne pouvais rien changer à ce qui était arrivé. Dans la nuit j'ai entendu des pas, j'ai pensé à m'en aller mais j'avais déjà trop bu pour avoir peur. Rien de pire n'aurait pu m'arriver. J'ai alors vu la bande et Marie-Nella. On a souri en se reconnaissant. Tout était décidément si stéréotypé, je ne pouvais décidément pas y échapper. Nous avons parlé de lui encore et encore, évitant soigneusement les mauvais moments ou les termes péjoratifs sur Matt. C'était insupportable mais il fallait que ça soit fait, une fois pour toutes. Peut-être qu'un an après on se dirait la vérité mais pour le moment il ne fallait surtout pas marcher hors des sentiers battus. Si Matt avait été là ils n'aurait hésité, lui. À l'aube nous sommes tous partis de notre coté. J'ai été chez Matt plus pour en finir avec tout ça que pour voir ce que sa mort m'avait fait gagner. Ses parents m'ont dirigé vers sa chambre. Mary n'était pas là, bizarrement. Il y avait un carton avec une étiquette où était écrit Tom Harrison. J'ai ouvert le carton. Il y avait un paquet cadeau où se trouvait les recueils de poèmes de Jim Morrison dans leurs éditions originales, j'ai souri en me rappelant du jour où il les avait acheté dans mon dos. Dessous il y avait des dizaines de carnets avec des vers et des dessins griffonnés. Un seul était sous film plastique et en bonne état. Je l'ai ouvert. C'était un recueil de poèmes de Matt intitulé La chute du funambule. J'ai tout remis dans le carton et je l'ai ramené chez moi en remerciant puis saluant Mila et Robert. Le lendemain je partais à Folio City avec Marie-Nella. J'ai mis à la poubelle toutes les photos de moi que j'ai trouvé. À présent, sans passé, je n'avais plus qu'à construire mon futur. Je faisais mes valises et j'ai remarqué que les papiers qui recouvraient mon bureau depuis près d'un an avaient caché la biographie de Jimi Hendrix et de Janis Joplin. J'ai pensé à toutes ces fois où j'aurais pu les lire lorsque je m'ennuyais. Puis j'ai pensé au garçon que j'étais quand je les avais acheté. Je les ai jeté à la poubelle en pensant au mal que j'avais fait en lisant la biographie de Morrison et je suis monté dans le voiture des parents de Marie-Nella. Finalement tout était fini. J'ai effacé de mon portable les numéros de Jean, de Christy et de Martin en gardant celui de Matt. En voyant son prénom j'ai eu envie de l'appeler, de lui donner rendezvous sur la colline, que je l'attendais avec impatience pour qu'on boive quelques bières en discutant. Déjà mon pote me manquait. La voiture a démarré et ma vie a redémarré. La voiture est partie et une partie de ma vie aussi. Je n'ai plus rien à vous écrire. Alors je vais m'en aller vers l'inconnu et vous laisser sur un poème de Matt : Je me présente En sonate Et vous hante Je suis Matt Saltimbanque En manque Ça a commencé En début d'année Ma vie était si nulle Que je suis devenu funambule J'ai claqué la porte à ma vie Pour entrer dans celle de Jimmy J'ai marché sur un fil Aussi fin qu'un cil Mais j'avais le vertige Trop pour la voltige Alors j'ai pris des substances Pour avoir la puissance De choisir l'excitation tragique À l'ennui chronique Et en un an et des adieux J'ai plus vécu que d'autres vieux Me voici dans les cieux Je vous passe le salut de Dieu