La chute du funambule À Jim Brenon Et Aurélien Morrison

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La chute du funambule À Jim Brenon Et Aurélien Morrison
La chute du funambule
À Jim Brenon
Et Aurélien Morrison
Chapitre 1 : Septembre
J'habitais dans une grande ville tumultueuse, Coca-Cola City, très
représentative du monde. Une fois qu'on avait découvert tout de
cette ville plus rien à l'extérieur n'était nouveau. Toute la
complexité du monde en miniature était réunit. Dans un monde
conformiste toutes les villes se ressemblent.
Le vingt et unième siècle avait déjà transformé la Terre comme s'il
était venu d'une autre planète et continuait sur sa lancée tambour
battant. On le savait tous, Internet avait pris possession de la
planète et rien ne serait plus jamais comme avant. C'était un
tournant de notre Histoire. Une événement avait également fait
beaucoup de bruit, c'était la mort de Dieu. Mais d'autres personnes
l'avaient déjà remplacé depuis un moment. Ces écrivains, héros,
stars, leaders étaient les Nouvelles Idoles. Et vous savez aussi bien
que moi que leurs voies étaient aussi pénétrables celles du Vieux.
Je faisais partie d'une bande, comme tout le monde. C'était un
groupe de personnes qui se côtoient parce les autres ont ce qu'on a
pas, même si on était tous très similaires finalement.
C'était encore l'été. On pouvait encore marcher pieds nus dans
l'herbe, nous faire doubler par un papillon et aller s'asseoir pour
siroter une bière en fumant un cigarette. L'été à l'état pur quoi. Au
début de cette année là, on peut dire que ça planait pour nous. On
était tous heureux sans vraiment s'en rendre compte, on s'en
rendrait compte quand plus tard, tout ira mal. C'était notre dernière
année au lycée. Après ça on aurait tous notre diplôme en poche
pour partir faire les cinq dernières années d'études de notre vie
avant de pouvoir trouver un job qu'on déteste, nous marier avec
une personne détestable, élever des sales gamins et mourir dans
l'oubli et le mépris. Mais pour l'instant l'ambiance était donc au
beau fixe, pour toute la bande. On était cinq dans ce groupe.
Pour commencer il y avait Christy. Une fille de l'est. Sa famille
avait fuit la pauvreté (on se fuit jamais la richesse) pour la
retrouver ici après trois nouvelles générations. Ces trois
générations s'étaient battues pour qu'un jour un membre de la
famille puisse enfin réussir ici, donner un sens à tous ça quoi. Ce
membre, c'était Christy, et elle en avait vraiment envie. Elle
réussira sûrement d'ailleurs. Elle avait passé son enfance à lire
derrière des lunettes cassées tous les livres poussiéreux de sa
famille. Sa spécialité était la philosophie. Des philosophes grecs
jusqu'au contemporains elle savait tout. Elle avait choisi sa ligne
de vie à elle comme on choisit une religion. Le nihilisme, sa
défense contre le monde entier et plus particulièrement contre tous
les garçons qui lui couraient après. Elle était froide. Ils arrivaient
pour la draguer, elle levait les yeux, les regardait dans les yeux,
leurs lèvres devenaient violettes et ils repartaient tous totalement
terrifiés. La raison pour laquelle elle était avec nous c'est que
Matt, sans pourtant le vouloir, peut-être même parce qu'il n'avait
jamais voulu, avait briser la glace autour de son cœur de jeune
adolescente qui croit encore en le prince charmant.
Ensuite, il y avait Martin. Un gars du sud, ses parents étaient un
jour parti en vacance dans cette ville et avaient décidé de ne
jamais en repartir. Pour que leur fils puisse mieux s'intégrer ils
l'avaient appelé Martin, un nom banal que pourtant personne ne
porte. Mohamed, qui ne sonne pourtant pas très occidental paraît
parfois plus commun. Mais ça avait marché, il s'était intégré
malgré la pigmentation de sa peau. Preuve en était, il faisait partie
de la bande et c'était lui qui mettait l'ambiance. Le genre trop
sociable pour être honnête. Le talent qui provoquait l'admiration
de tous c'était son oreille absolu. Le jour où il l'apprit il se
passionna pour la musique, pour ne pas que ça ne lui serve à rien.
Lui disait plutôt que ça aurait été une injustice de ne pas se servir
d'un don aussi fantastique que beaucoup désirait. Martin était le
genre de garçon que personne ne pouvait détester, il était
sympathique avec tout le monde, même les inconnus, et jamais il
n'avait entendu d'injure ou avait été témoin de violence ailleurs
que sur un écran. Ces deux choses l'amusaient particulièrement
d'ailleurs. Pourtant c'est énervant.
L'autre fille de la bande était Jean, ça se prononce comme le
pantalon. Sa famille avait toujours vécu ici et y avait fait fortune.
Elle se vantait de s'être bronzée sur les plus belles plages du
monde, en Asie, en Europe, en Amérique, en Océanie et en
Afrique. Si elle avait pu elle aurait été se dorer le cuir sur une
autre planète. Elle représentait le cliché de la petite bourgeoise. Sa
façon de bouger très théâtrale dans des vêtements dont personne
ne connaissait les marques mais dont tout le monde avait une idée
du coût. Toujours à la dernière mode de tout, elle adhérait aux
futures modes avant que ce soit des modes et dès que les gens
commençaient à en parler elle s'en désintéressait totalement. Elle
méprisait le passé et était passionnée par l'avenir. Elle n'avait
jamais connu de problèmes existentiels. C'est pour ça qu'elle
faisait partie de la bande, elle ne posait jamais aucun problème et
riait de tout et n'importe quoi. Pourtant tout le monde voyait que
derrière son coté distingué apparaissait un autre plus sauvage, ça
lui faisait un charme.
L'élément essentiel de la bande, le personnage principal, c'était
Matt, de l'ouest. On a tous connu un Matt. Un garçon un peu plus
grand que la moyenne, cheveux courts, mince mais musclé, et très
beau. Inutile de dire que toutes les filles lui couraient après. Mais
il s'en fichait, il prenait ça avec humour et rougissait quand Martin
ou moi lui en parlions. C'était le meilleur sur le terrain de sport et
en classe. Le garçon parfait en somme. Son père était à la tête d'un
empire immobilier qui possédait la moitié de la ville. La condition
pour qu'il mette la main sur l'héritage et l'entreprise c'était
l'obtention de son diplôme cette année. Après ça il aurait un travail
et une forte somme d'argent pour commencer passivement dans la
vie active. Autant dire que tout roulait pour lui. C'est peut-être
parce qu'il avait un peu honte de sa bonne étoile qu'il se promenait
toujours avec un dizaine de pièces de monnaies pour en donner
aux sans-abris qu'il voyait durant la journée, tentant d'oublier que
ces déchets allaient le dépenser en picolant. Matt participait donc
activement au chiffre d'affaire des pinards discount. On s'était
connu très jeune et on avait évolué ensemble. Les autres me
voyaient comme son second, celui qui le suivait partout mais
moins bon que lui et qui servait avant tout à le mettre un peu plus
en valeur. Matt me donnait l'illusion que c'était faux pour garder
intact l'amitié qui nous unissait.
Enfin, le dernier élément de cette bande c'était moi, Tom, du nord.
Mes parents étaient décédés dans un accident de voiture quelques
mois après ma naissance. J'aime le rôle du ténébreux, on y pense
pas mais les orphelins jouent beaucoup là-dessus. J'habitais chez
mon oncle, qui d'ailleurs n'était jamais à la maison et quand il y
était c'était pour ne pas parler. Je suivais le cursus de tous les gens
de mon âge mais j'ignorais où tout ceci allait me mener. Je suivais
juste le mouvement par peur de faire une faute qui me
condamnerait. J'étais moyen en tout, ni trop bon ni trop mauvais.
Avant Matt j'étais très solitaire, il m'avait donné l'envie
d'apprendre à comprendre les gens. J'étais passionné par l'histoire.
Mes lectures ne se bornaient qu'à cela. Au début du mois de
septembre j'étudiais le mouvement de contestation des années
soixante aux États-Unis.
C'était le début de l'année scolaire, la rentrée des classes. Toute la
bande se demandait si nous allions tomber dans la même classe.
Christy voulait être seulement avec Matt. Martin voulait être avec
Jean. Jean voulait être avec Martin. Seuls Matt et moi désirions
que l'on soit tous ensemble sinon rien. Et c'est finalement ce qui
est arrivé. Nous étions tous ensemble pour la dernière année au
lycée de notre vie. Tous le monde était ravi. Nous avions les
enseignants que vous voulions. La meilleure professeure de
philosophie pour Christy. Le meilleur professeur de science pour
Martin. La meilleure professeure de français pour Jean. Le
meilleur professeur de mathématique pour Matt. Et le meilleur
professeur d'histoire pour moi, même j'avais pas besoin de cours
pour apprendre.
Notre emploi du temps était chargé avec des heures libres bien
placées le lundi matin et le vendredi après-midi. Nous mangions
ensemble au lycée le midi puis discutions de choses et d'autres
dehors, sous les derniers souffles de l'été, sous les derniers rayons
ardents de l'été, jusqu'à la reprise des cours. On pouvait vraiment
dire que tout allait vraiment pour le mieux.
La vie au lycée est faite de routine. On se lève le matin, puis on se
lave, puis on va en cours, puis on mange, puis on retourne en
cours, puis en arrivant chez soi on décompresse, puis on mange,
puis si on a le courage on fait ses devoirs, puis on dort. Et cela
cinq fois pas semaine, on vit la même journée cinq fois par
semaine, de quoi devenir fou, sauf qu'on est trop fatigué pour
l'être.
Environ une semaine après le début des cours, Matt accompagnait
Christy et moi à la librairie du père de Sacha. Sacha était une fille
qui sortait rarement de chez elle. Elle passait son temps à se
documenter sur tout, son ambition était d'un jour tout savoir. Je me
moquais pas parce que certains veulent devenir des rockstars sans
savoir chanter et d'autres veulent être acteurs alors qu'ils n'ont
aucune subtilité. Sacha avait la peau blanche, des cheveux noirs
ébouriffés et des lunettes qui cachaient en partie les énormes
cernes qu'elle avait sous ses yeux. Au lycée, c'était elle l’ultime
symbole de la contrefaçon culturelle. Elle pouvait tout avoir. Je
connaissais Sacha depuis des années, c'est elle qui commandait les
livres d'histoire dont j'avais besoin par le billet de la librairie de
son père, derrière le dos de ce dernier. Cette fois-ci était pourtant
différente, c'était la première fois que je commandais des
biographies qui avaient moins d'un siècle. J'avais sélectionné Janis
Joplin, Jimi Hendrix et Jim Morrison. Le budget que me donnait
mon oncle pour les livres ne m'autorisait pas à plus de trois livres,
mais j'étais très satisfait. Matt me regardait comme un père
regarde un enfant qui vit sa passion, je lui rendais en retour un je
t'emmerde amical. Il souriait calmement. J'ai payé Sacha et nous
sommes partis pour suivre Christy.
Comme les parents de Christy ne pouvaient pas se permettre de
dépenser de l'argent pour aider leur fille à résoudre ses problèmes
existentiels, à la fois intellectuels et frivoles, elle avait décidé de
voler ses lectures dans la librairie de la plus laide des vendeuses de
la ville. Amusés, Matt et moi la suivions pour l'épauler. Nous
sommes entrés et Matt est allé demander un livre qui n'existait pas
d'un auteur qui n'existait pas non plus à la dame. Pendant ce temps
je suivais Christy. Elle prit une dizaine de livres, les mit dans son
sac rapidement, le ferma et me regarda, l'air satisfaite. Cette fois
c’était moi qui la regardait avec le sourire paternel, et son regard
me disait implicitement ce que j'avais dit à Matt explicitement. À
la sortie j'ai observé qu'il n'y avait aucun dispositif qui empêchait
les vols. Peut-être que cette dame n'avait pas d'argent pour en
payer, ou qu'elle faisait confiance à ses clients ou encore qu'elle
voulait contribuer à la démocratisation du savoir de manière
subtile.
Nous étions tous satisfaits et nous rejoignîmes Jean et Martin qui
buvaient un soda dans un bar situé à proximité du lycée. Matt
avait donné des pièces à trois clochards sur le chemin, en
rougissant toutefois du pouvoir que sa naissance lui donnait. Matt
a ensuite raconté ce qu'avait fait Christy sur les rires de tous et
sous le regard indifférent de Christy qui était très heureuse au fond
que Matt parle d'elle.
La semaine voyait le début des évaluations. Tout le monde était
stressé. Mais finalement toute la bande avait décroché des notes
très satisfaisantes. Nous passions notre temps entre amis la
semaine, à réviser le soir, à dormir la nuit et avec notre famille le
week-end. Le week-end Christy lisait seule dans sa chambre.
Martin sortait dans la rue aider toutes les personnes âgées qu'il
voyait pour le plaisir de discuter, il devait aimer respirer la merde
des autres. Jean fréquentait les expositions d'arts bourgeoises,
d'autres merdes qu'on croit un peu plus raffinées. Matt pratiquait
toutes sortes de sports pendant que son casque audio lui récitait
ses leçons. Et moi, je partais en observation dans les lieux
publiques pour épier le comportement humain. Ce qui était de loin
le plus excitant toutefois c'était le passage de la semaine au weekend, à savoir le vendredi soir. Le moment où nous allions à des
soirées de quelques dizaines de personnes chez des parents
absents. C'était le moment où nous étions plus ou moins nousmêmes. On buvait, on fumait mais surtout on riait.
C'était le seul moment où, ivre, Christy insultait les cadavres
décomposés d'anciens intellectuels et nous démontrait que c'était
elle qui avait raison. Nous ne comprenions rien et riions pendant
qu'elle s’énervait contre nous pour finalement s'abandonner au rire
collectif. Martin, lui, nous racontait des blagues racistes, serrait
tout le monde dans ses bras et pleurait de joie auprès de chaque
personne présente pour lui montrer l'affection qu'il avait pour elle.
Jean parlait des artistes et des collectionneurs. Nous montrant que
tous les clichés étaient bien fondés. Elle fumait cigarette sur
cigarette en nous parlant des « plumes au cul » que se mettaient
les gens du milieu artistique. Matt arrivait et prenait une fille en
chasse sous le coup de l'ivresse. Dès que la fille cédait il la
regardait et partait en rougissant de honte d'avoir utilisé ses
talents. Pendant ce temps je me lançais dans des imitations de
personnages populaires du lycée, j'avais un assez bon succès avec
ce genre de numéro. Je balançais des saloperies sur des gens que
je n'aimais pas. Je voyais alors l'utilité de tant observer les gens.
Quand je ne faisais pas ça je discutais avec les personnalités les
plus étranges de la soirée, j'entrais dans leur jeu jusqu'à m'en lasser
et partais lorsqu'ils allaient se resservir un verre de plus, un verre
de trop. Je rejoignais alors Matt et nous allions nous asseoir dans
la rue fumer un paquet de cigarette en discutant de tout et de rien.
Toutes les soirées se ressemblaient mais aucunes n'étaient les
mêmes. C'était ça qui nous permettait de ne pas nous en lasser,
même si c'était stérile.
En cours Matt et Christy étaient en pleine rivalité. C'était celui ou
celle qui répondait le plus souvent aux questions en faisait les
remarques les plus subtiles et intéressantes qui l'emportait. Ils se
regardaient avec un sourire bienveillant lorsque l'autre se montrait
plus pertinent. Matt rougissait modestement dans la victoire et
Christy était très fière de briller devant lui. Les deux prenaient ça
très au sérieux sous les rires amusés de Martin et Jean. Moi
j'observais ce duel d'un œil attentif et intéressé, griffonnant parfois
quelques notes sur leurs attitudes. Je m'aventurais parfois à placer
une remarque impertinente comme par exemple il est quelle
heure ?
En sport c'était Matt qui donnait le ton. Il ne se contentait pas,
comme beaucoup, de courir avec le ballon pour marquer dans un
total oubli du reste de l'équipe. Il donnait l'illusion aux autres
qu'ils étaient indispensable à la victoire même si c'était faux. Il
était le soleil et le reste de l'équipe représentait les astres qui
tournaient autour. Il était comme d'habitude dans une meilleure
condition physique que la vieille. C'était en repoussant ses limites
qu'il avançait. Et il n'avait jamais reculé, pour l'instant.
Le mois de septembre passa ainsi tranquillement. Une journée
cependant allait changer la routine. C'était le matin, j'arrivais
toujours en premier au lycée, et j'en profitais pour lire en attendant
l'arrivé des autres devant la salle de classe. J'en étais à la
biographie de Jim Morrison. Ce personnage m'intriguait, je ne sais
pourquoi. La photographie de lui sur la couverture avait un je ne
sais quoi de mystique, de divin, il paraissait à la fois béni et
maudit. Je pense que ce qu'il avait de différent par rapport aux
autres rock-stars c'était le fait d'être un véritable génie, paradoxe
pour une star du rock'n'roll, et en plus de ça il était vraiment très
beau. Une sorte de garçon parfait avec tous les défauts du monde.
Je finissais la dernière ligne du livre lorsque Matt arriva. Pendant
dix minutes alors je lui parlais de cet intriguant personnage dont
j'avais lu une vie de vingt-sept ans en une semaine. Je crois
pouvoir dire avec certitude que Jim Morrison l'a fasciné
immédiatement. Au point que Matt, qui ne lisait pourtant jamais,
me demanda de lui prêter la biographie. J'avais tellement envi de
discuter de cette incroyable garçon avec un autre que moi-même
que je lui ai donné naturellement, plus pour mon plaisir que le
sien. Il prit le livre, qui faisait plusieurs centaines de pages, sourit,
et me dit :
– C'est un sacré pavé que tu me donnes là. Je crois que ce serait
plus intéressant d'entendre sa voie et de le voir bouger pour
commencer. Il y aurait pas des films sur lui ? Ou des
documentaires ?
– Oui oui il y en a. Il y un film et plusieurs documentaires. Tu
peux passer par Sacha pour te les procurer. Quel que soit ce
que tu veux en une semaine tu l'as.
– Je vais faire comme ça.
– Tu l'as prend quand même la biographie ?
– Oui oui. Évidemment. Il va bien falloir que je croise toutes
les informations pour découvrir la vérité de toute façon.
– Ouais, t'as certainement raison.
Je crois que c'est à partir de ce moment là qu'est arrivé l'énorme
tournant de nos vies à Matt et moi. Après cette scène, qui pourtant
peut paraître anodine, rien n'allait plus jamais être comme avant.
On était monté dans un train qui ne pouvait pas s'arrêter et dont
nous ne pouvions descendre. Nous n'en avions cependant pas
encore conscience, comme toi.
Chapitre 2 : Octobre
En octobre, le ton de l'année allait être donné. Toute la bande se
portait bien. Nos notes étaient les meilleurs de la classe, sauf les
miennes. Notre avenir semblait donc tout tracé. Le premier lundi
d'octobre, nous sortions tous d'un week-end qui marquait la fin de
l'été. Contrairement à la traditionnelle soirée du vendredi soir nous
avions décidé que nous irions tous au cinéma. Enfin non, Jean
avait décidé de payer le cinéma pour tout le monde, donc le
vendredi nous étions obligés d'aller au cinéma. Nous étions seuls
dans la salle, devant un film obscur, d'un obscur cinéaste danois.
J'étais assis tout à gauche, puis il y avait Matt, Christy, Jean et
enfin Martin. Quand nous sommes sortis Jean a disputé Martin
parce qu'il avait discuté pendant tout le film. Je n'ai rien dis parce
que ça m'avait permis de ne pas trop m'ennuyer. Matt était pensif
et Christy simulait la lassitude mais je savais qu'elle était inquiète
pour lui. Nous avons mangé tous ensemble. Personne ne parlait
mis à part Jean et Martin. À la fin du repas nous nous sommes
salués avant de rentrer chez nous chacun de notre coté.
Le lundi donc, un jour pluvieux, personne ne souriait. Je suis
arrivé en premier au lycée. À la sonnerie la bande était au
complète excepté Matt. Ce jour-là il était arrivé en retard de cinq
minutes au premier cours. Du jamais vu. Mais ce n'était pas ça qui
nous avait le plus choqué, c'était ses cheveux. Contrairement à
l'habitude, il n'avait pas été chez le coiffeur ce week-end là. Il est
venu s'asseoir à coté de moi. Lorsque je lui demandé pourquoi il
n'avait pas les cheveux impeccablement coupés et coiffés et il m'a
répondu en souriant qu'il « n'en avait vraiment plus rien à foutre
de ça ». Puis il m'a expliqué qu'il avait passé son week-end a
regarder tous les documentaires qu'il avait réussi à télécharger sur
Jim Morrison en me promettant de me rendre la biographie la
semaine suivante. J'ai acquiescé d'un signe de tête et continué de
recopier le cours qui était au tableau. Oui tu l'as remarqué il n'est
pas passé par Sacha, sûrement parce qu'il ne pouvait pas attendre.
Ce jour-là Christy a fait le cours toute seule pendant que Matt
regardait par la fenêtre avec un sourire béat mais pensif.
Toute la semaine il n'était plus à ce qu'il faisait. Dès que nous
avions une heure d'étude il s'éclipsait pour aller lire la biographie
que je lui avais passé. Sur son visage on pouvait lire ses réactions
sur les différentes périodes de la vie de cet auteur-compositeurinterprète, poète, acteur et réalisateur qu'était Morrison. Il était
vraiment passionné.
Si en cours il ne faisait rien c'était la même chose en sport. J'étais
dans l'équipe de Matt, contre celle de Martin. Nous étions en train
de perdre quand Matt a regardé le tableau d'affichage. Puis il s'est
emparé du ballon et a additionné les points jusqu'au coup de sifflet
final qui signifiait notre étrange victoire. Dans les vestiaires je lui
ai conseillé de se concentrer un peu plus sur les cours et le sport et
de garder Jim Morrison pour le week-end. À ce moment j'ai cru
voir dans ses yeux qu'il venait de faire le rapprochement entre
l'arrivé de Jim Morrison dans sa vie et son désintéressement pour
ses études et ses cheveux.
La semaine s'est déroulée ainsi. Le vendredi matin, Matt me
rendait la biographie qu'il avait fini et l'après-midi je voulais
profiter des quelques heures disponibles entre la fin des cours et le
début de la soirée pour aller acheter des livres à Sacha. Matt
m'accompagna pour l'unique raison que j'allais faire l'acquisition
de livres que Jim Morrison avait lu dans sa jeunesse. Tout comme
Matt j'étais passionné par la star, même si je n'avais osé l'avouer
qu'à lui de peur d'ennuyer les autres et de donner une mauvaise
image de Morrison. Ce qui m'attirait, moi, c'était de comprendre
pourquoi ce garçon s'était comporté ainsi. Si son enfance pouvait
l'expliquer j'avais décidé d'axer mes recherches sur ses lectures, et
il y en avait beaucoup.
Nous sommes arrivés devant la porte de Sacha, qui semblait venir
de se réveiller. Elle m'a tendu ma commande de quatre livres en
me félicitant de mon choix (j'avais pu commander un livre en plus
en sacrifiant toutefois une partie de mes économies). J'ai alors
échangé un sourire complice avec Matt, j'ai payé et j'ai commencé
à partir. Mais Matt a lui aussi payé Sacha et elle lui a donné deux
sacs qui devaient contenir environ une dizaine de livres chacun.
Matt m'a alors demandé quels livres j'avais. Je lui est alors montré.
Il y avait Jack Kerouac, Sophocle, Arthur Rimbaud et Friedrich
Nietzsche. Il me les rendit et j'ai alors remarqué qu'il n'allait pas
en direction de l'appartement où se déroulait la soirée.
– Matt ! C'est pas par ici le lieu de la soirée.
– Je sais oui mais j'y vais pas.
– Pourquoi ? T'as jamais loupé une soirée alors pourquoi tu
louperais celle-là ?
– J'ai autre chose à faire mec.
– Tu vas me laisser m'ennuyer tout seul las-bas ? Me tromper
avec des livres qui vont t’abîmer les yeux alors que tes yeux
pourraient prendre leur pied à me regarder ?
– T'es pas obligé d'y aller.
– Pourquoi tu viens pas ? Qu'est-ce que tu vas faire ?
– Bah j'ai acheté plusieurs biographies de Morrison à Sacha. Je
vais mettre toute les chances de mon coté pour en lire le plus
possible pendant le week-end. Tu vois j'ai pas vraiment de
temps à perdre en moment.
– Pourquoi en lire plusieurs ?
– Pour comparer les faits et me rapprocher un peu plus de la
vérité.
– Mais...
À ce moment il m'avait déjà tourné le dos. Je suis donc parti à la
soirée seul. Je suis resté près de Martin qui m'a remonté le moral
comme il a pu. J'ai rarement bu autant, j’enchaînais canette sur
canette. Puis je me suis effondré sur le sol parce que l'alcool avait
vaincu mon organisme. Je me souviens juste d'avoir vu un garçon
me porter et m'allonger sur le canapé.
Le lendemain matin je suis rentré chez moi. Mon oncle a senti
mon odeur et m'a dit d'aller me laver. J'ai consacré le samedi à mes
devoirs. Je faisais mes devoirs le week-end pour toute la semaine
afin d'avoir plus de temps durant la semaine. J'ai ensuite passé
mon dimanche à lire les livres que j'avais acheté. Chaque ligne
que je lisais m'expliquait un détail de plus sur Jim Morrison.
Kerouac, par le billet de Dean Moriarty me montrait la passion
qu'avait eu Morrison pour la route durant son adolescence.
Nietzsche me montrait la ligne de conduite de Morrison, le carpe
diem.
Sophocle, sa passion pour l'enfant qui tue son père et baise sa
mère. J'ai donc réussi à faire le lien que Morrison faisait entre la
destruction des idoles de Nietzsche et l'histoire d’Œdipe.
Rimbaud m'a permis de faire le lien entre les paroles des musiques
des Doors avec l'écriture de ce poète. Pourtant je n'avais pas accès
au poèmes de Morrison. Ces recueils étaient conservés par des
collectionneurs qui ne me les lâcheraient seulement contre une
forte somme d'argent, que je n'avais évidement pas. Par contre ma
théorie sur l'impact des lectures de Morrison sur lui avait eu un
franc succès que j'avais bien l'intention de continuer à exploiter.
Qui plus est je me cultivais en continuant de vivre ma passion,
celle de comprendre les êtres humains. Si Morrison ne m'ouvrait
pas encore les portes de la perception il m'ouvrait au moins celles
de la connaissance.
Le lundi matin, quand je suis arrivé au lycée, Matt y était déjà.
Nous avions tous deux des cernes sous les yeux et un sourire
paisible. Nous avons donc discuté sur notre week-end, puis de
Jimmy, ensuite de Jim Morrison et enfin de James Douglas
Morrison. Nous nous racontions des petites anecdotes marrantes
qu'il avait vécu. Nous étions entrain de rire quand les autres sont
arrivés, donc on arrêté de rire. Ils avaient tous passés un mauvais
week-end, ce qui mit fin à nos rires pour faire la gueule par
politesse.
Pendant la journée Matt participait très activement aux cours,
laissant Christy complètement sur le carreau. Elle nous dit ensuite
qu'elle s'en fichait mais son mensonge était trop flagrant pour être
pris au sérieux alors nous nous sommes gentiment moqués d'elle,
ce qui l'a fit finalement rire. Matt ne s'était toujours pas coupé les
cheveux mais il était revenu au mieux de sa forme. Malgré le fait
qu'il n'avait pas pratiqué de sport durant son week-end il gagna
tous ses matchs en sport. Il riait, hurlait et souriait en permanence.
Il était vraiment surexcité, ce qui me fatiguait, comme si il
pompait mon énergie.
Le mardi midi, avant d'entrer en cours, Matt et moi sommes allés
aux toilettes. Là un garçon qui avait dû redoubler un nombre
inimaginable d'années tourmentait un élève de première année.
Matt a fais semblant de ne rien voir puis au moment de partir il
s'est jeté sur cet idiot. Il lui mis plusieurs coups de poings, puis de
pieds lorsqu’il fut au sol. Il s'est ensuite abaissé et a commencé à
l'étrangler. Pendant ce temps j'étais paralysé, je voyais déjà la
scolarité de Matt réduite à néant après un « renvoi pour violence
sur un camarade ». Je repris pourtant mes esprits et réussis à
l'écarter de sa victime. Matt me repoussa violemment, sortit du
scotch de son sac, traîna l'élève dans un des toilettes et ferma la
porte. Je serais certainement intervenu si je n'avais pas été un
lâche. Même si croyez-moi il faut du courage pour avouer qu'on
est lâche. J'entendis des bruits de scotchs, des cris, puis le silence.
Matt sortit alors des toilettes et je devinais alors qu'il avait
bâillonné sa victime dans cette cabine. Il me regarda en souriant et
nous sommes partis. Nous n'avons jamais parlé de cet événement.
Pourtant ce jour-là j'ai découvert que Matt était capable de
violence et même si ce n'était que justice je n'ai plus jamais
regardé mon meilleur ami de la même façon.
La semaine se passa ensuite dans le silence. Matt n'allait
apparemment plus venir aux soirées du vendredi, j'en faisais alors
autant, pour ce soir-là du moins. Le vendredi soir je suis alors
rentré chez moi. J'ai regardé une émission de télé-réalité en notant
quelques thèses sur les raisons qui pouvaient bien pousser tant de
gens à les regarder, en vain. Le samedi je passais la journée à faire
mes devoirs, à relire mes cours, enfin à faire le point sur une année
scolaire qui venait pourtant de débuter. Le dimanche, je ne pouvais
pas sortir observer les gens dans la rue parce qu'il pleuvait, alors je
suis allé dans un centre commercial pour le faire. Mais cette sortie
n'était qu'une excuse, en réalité, j'avais simplement besoin de
sortir pour prendre l'air et penser à Matt. C'était quand même
dingue ce qui c'était passé. En vrai un type ne fait pas ça.
Le lundi matin, sans aucun livre à me mettre sous la dent, je
fumais devant le lycée, assis et adossé au portail. Quelques rayons
de soleil matinales décidaient de faire figure de transition entre un
reste d'été et un automne qui débutait. Tous les lycéens semblaient
heureux, ils riaient tous en groupe de choses que l'on ne peut
comprendre seulement si on appartient à ce cercle d'amis, des
délires quoi.
Matt est alors arrivé avec son casque audio sur les oreilles. Il m'a
aperçu et à quelques mètres de lui j'entendais ce qu'il écoutait avec
tant de joie. C'était The Doors. Il a enlevé son casque et m'a dit
qu'il avait passé le week-end à écouter tous leurs morceaux. Je
souris et nous sommes allés en cours.
En cours il s'est assis à coté de moi, m'a fait part ses thèses sur des
musiques que je n'avais pas écouté. Il savait parfaitement que je ne
voyais pas de quoi il parlait, il voulait juste en parler à quelqu'un
qui l'écoutait. Il m'expliqua que c'était Sacha qui lui avait vendu
tous les albums qu'il avait pu mettre dans son casque. Je ne lui en
dis rien mais je lui en voulais de ne pas m'en avoir parlé pour que
je l'accompagne. C'est le soir que j'ai compris qu'il ne l'avait pas
fait dans mon dos contre moi, mais simplement parce qu'il avait
honte de pouvoir s'acheter tout ce dont il désirait. Comme si je
l'aurais jugé, moi, le Tom.
Matt avait laissé sa compétition avec Christy de coté pour le plus
grand malheur de celle-ci. Il se contentait des meilleurs notes de la
classe. Certainement pour que ses parents continuent de le laisser
acheter tout ce qu'il voulait. On aurait pu voir l'arrêt de ses
participations comme un abandon face à la supériorité de Christy.
Mais pas du tout, enfaîte il donnait plus l'impression d'avoir pris
ça pour un jeu dont il s'était finalement lassé.
Matt ne parlait jamais de Jim Morrison avec les autres et changeait
de conversation quand ils arrivaient. Seulement ils étaient tous au
courant du centre de nos discutions, mais ils en riaient, amusés
certainement d'avoir des « fans » au sein de la bande. Bizarrement
Christy n'avait pas essayé de s'intéresser à Morrison pour se
rapprocher de Matt. Je pense qu'elle le trouvait sans intérêt. Elle
devait penser que toutes les rockstars étaient toutes les mêmes
après tout, ou bien elle avait déjà dépassé le stade d'avoir une
idole. Peut-être même grâce ou à cause de Nietzsche. Je dois dire
que ce je lisais ne m'influençais pas du tout.
Le vendredi, en fin d'après-midi et après la sonnerie final, je
commençais à m'en aller mais Matt m'a retenu. La bande arriva
alors. Il me proposa de passer la soirée chez lui pour qu'on profite
du fait que ses parents soient partis en vacances pour le week-end
avec sa sœur Mary pour pouvoir discuter. J'acceptais. Martin,
peut-être vexé d'être mis de coté, dit à Matt : « Fais attention Matt,
à trop vivre pour Jim Morrison je vais commencer à croire que t'es
gay et plus aucune fille ne t'approchera ». C'était évidement une
plaisanterie et Jean en ria de bon cœur. Mais Matt regarda Martin
et lui mit un violent coup de poing dans le plexus. Martin s'écroula
et Jean, hors d'elle, se dressa devant Matt, le poussa de ses petites
mains et l'insulta « d'homme des cavernes ». Christy partit en
pleurant. Quand à moi je suivi mon meilleur ami qui commençait
déjà à partir. Je trouvais que tout le monde avait eu une réaction
disproportionnée, sauf moi, évidement.
Nous avons mangé dans un fast-food. J'avais décidé de ne pas
abordé le sujet. Le repas se fit en silence. Matt paya avec un air
très sûr de lui. Nous avons marché puis nous avons croisé une fille
qui se disputait avec son petit ami, Matt sourit, donc moi aussi.
Arrivé chez lui nous nous sommes assis sur sa terrasse puis nous
avons commencé à fumer et à boire. Matt avait donc déjà prévu
ma venue. Nous n'avons pas parlé de l'incident qu'il y avait eu
avec, ou plutôt contre, Martin. Nous avons parlé des raisons
possibles des différents choix qu'avait fait Jim Morrison au cours
de sa vie. Mes lectures m'ont permis d'émettre des hypothèses que
je trouvais très pertinentes mais Matt, lui, expliquait tout comme si
cela avait été lui. Même si je doutais de ses réponses je n'osais
pourtant rien lui dire, par peur du conflit.
Le lendemain je suis rentré chez moi. Ma première semaine de
vacances a été très monotones. J'écrivais des thèses sur les raisons
qui pouvaient pousser les gens à commettre des actes absurdes.
Mais cela ne marchait pas très bien. Un jour le téléphone sonna,
c'était Jean, elle me proposait de venir à un vernissage dans une
galerie d'art avec elle. N'ayant rien de mieux à faire et
commençant à mal supporter le poids de la solitude je décidais de
l'accompagner.
Le soir je retrouvais donc Jean devant la galerie. Elle était dans
une somptueuse robe qui devait dater de la dernière mode ou de
futur, celle que les pauvres mortels ne connaîtront quand dans
quelques siècles, lorsque l'humanité clonera Karl Lagerfeld. Elle
sourit quand elle vit que pour une telle occasion j'étais tout de
même simplement venu avec un simple jean et un simple T-shirt.
En entrant j'ai découvert un univers à part. Tous les hommes
avaient mis leur plus beau costume et offert à leur compagne la
plus belle robe. Le contraste entre leur tenu et la mienne
m'amusais mais je pris tout de même un air gêné, par politesse et
jeu. Ils discutaient à voix basse et riaient tous très fort, parlant
d'une chose apparemment supérieure au sort des petits bébés
africains qui meurent tous les jours pour eux : « l'art ». C'était très
intéressant de les entendre discuter. Je notais quelques notes sur
cette soirée dans ma mémoire pour les réécrire chez moi. Jean était
vraiment dans son élément, très heureuse. C'était apaisant de la
voir comme ça. Elle m'expliquait la démarche artistique de chaque
tableau. Je ne comprenais toutefois pas pourquoi l’artiste faisait si
compliqué quand il pouvait se contenter de l'écrire explicitement.
Je demandais donc la raison de ce mystère à Jean qui ria de bon
cœur et d'un rire moqueur et me dit : « c'est de la masturbation
intellectuelle, faut pas chercher ».
Elle me demanda ensuite si je désirais venir manger avec les
autres bourgeois mais je refusais car ma tête était déjà pleine à
craquer de notes sur ce milieu. Je suis partis en la remerciant de ne
pas avoir abordé l’altercation entre Matt et Martin. Sauf qu'elle
semblait l'avoir déjà oubliée.
La deuxième et dernière semaine de vacances fut consacrée à la
rédaction minutieuse de mes notes et hâtives mes devoirs.
Chapitre 3: Novembre
J'attendais avec impatience la reprise des cours. Je n'avais pas
dormi de la nuit. J'étais trop excité à l'idée qu'il puisse se passer
quelque chose, n'importe quoi. Je voulais revoir du monde pour
pouvoir continuer à vivre au travers. Je voulais m'évader de moi,
qu'on me sorte de moi, que quelqu'un me prête sa vie, juste pour
voir ce que ça faisait d'en avoir une. Mais comme dès qu'on
imagine un événement futur, quand il arriva mon zèle battu en
retraite face à la déception. Parce que c'était une reprise comme
une autre. Une routine qui reprend. Une reprise qui plombe.
Le matin je suis arrivé en courant, croyant être en retard. Mais
non, de plus personne n'était là. Je me suis assis, les yeux livides
dans le vide. Puis les autres sont arrivés, tous au même moment.
Je voulais leur sauter dessus et les serrer dans mes bras, mais mon
corps, lui, refusait, préférant certainement obéir à mon orgueil.
Toutes mes bonnes intentions étaient déjà réduites en fumée.
La vue de Martin, Jean et Christy a enflammé mon esprit. Mais
lorsque j'ai vu Matt, qui n'avait toujours pas été chez le coiffeur,
arriver deux secondes après, sa seule présence provoqua l'effet
d'un rayon de glace ardent qui me transperça le cœur. Il n'avait pas
l'air d'être spécialement froid pourtant. Il suivait les autres de bon
cœur, un étrange sourire aux lèvres. Mais j'ai eu peur de ce qui
pouvait arriver. Aux souvenirs des dernières fois où nous nous
étions vus j'appréhendais maintenant ce qu'il pouvait faire. Je le
voyais maintenant comme un psychopathe imperturbable,
incontrôlable et surtout imprévisible. J'avais du mal à voir en lui
mon ami d'il y avait encore quelques mois auparavant. Et pourtant
c'était bien lui.
L'automne était maintenant là. Tout le monde s'était rhabillé et les
arbres s'étaient déshabillés. La pluie nous mouillait, le vent nous
séchait. On était fripé.
Les cours suivaient leur programme. En histoire je participais seul.
Les autres élèves n'étaient pas rétablis de leurs vacances, ce qui
me laissait le champ libre. Mais c'est en français, bizarrement
quoique logiquement, que j'impressionnais tout le monde, y
compris moi. Mes remarques sur les textes étaient très pertinentes.
Je devais cela à mes débuts de lecteur dans la littérature et mon
esprit critique d'adolescent merdique. Jim Morrison m'avait donné
envie de lire alors que Rousseau m'en avait dégoutté. Jean, qui
d'habitude était la seule donc la meilleure dans ce cours me
regardait en souriant silencieusement. Je sentais le poids de son
regard. C'était d'ailleurs très agréable, il me recouvrait d'une
couverture chauffante à l'intérieur de laquelle je me sentais bien.
Le vendredi j'allais chercher seul mes livres. Je pus une nouvelle
fois acheter quatre livres en sacrifiant de nouveau une part de mes
économies. Certains disent que l'art est à portée de tous mais c'est
totalement faux, pour étancher ma soif il m'aurait fallu une bonne
vingtaine de livres. Je sonnais à la porte. J'attendis quelques
secondes et Sacha arriva, fidèle à elle-même donc aux autres. Elle
avait les yeux dans un très mauvais état, elle se forçait à sourire. Je
m'en voulais de la déranger mais comme un drogué avait besoin
de sa dose, j'avais besoin de mes livres. La littérature était devenue
pour moi une drogue après seulement quatre livres. C'était devenu
aussi vital que de respirer. Elle me donna le sac et je lui donnais
l'argent.
Je n'avais pas très envie de rentrer chez moi pour lire pourtant.
J'avais vraiment envie d'une bonne bière bien fraîche. Donc je
rejoignis Martin, Jean et Christy au lieu de la soirée. Matt n'était
toujours pas là mais je m'y était habitué donc ça ne me dérangeait
presque plus. J'étais assis à coté de Christy, sur un magnifique
canapé en cuir. Elle philosophait devant des garçons qui ne pensait
qu'à finir la nuit avec elle une fois qu'elle se tairait, quand l'alcool
aurait fini pas l'achever. Mais elle tenait bon. Quand un d'entre eux
essayait de s'approcher elle le repoussait subtilement mais
franchement.
J'étais là. Assis à coté de la fille la plus en vue de la soirée. Je n'en
avais pourtant vraiment rien à faire de ce privilège. Je prenais trois
bières dans le frigo, une fois que je les avais fini j'allais en
chercher trois autres. Je fumais trois cigarettes pour boire une
bière. La voix de Christy donnait un coté dynamique à ma soirée
même si je ne l'écoutais pas.
Finalement les garçons s'étaient couchés seuls. L'alcool et la
fatigue les avaient tous fait abandonner un par un. Je remarquais
cela parce que Christy ne me parlait plus qu'à moi. Ce soir-là nous
avons dormi chacun la tête sur l'épaule de l'autre.
Le lendemain je me suis réveillé avant tout le monde. J'ai pris mon
sac et je suis rentré chez moi en laissant Christy allongée sur le
canapé sous une couverture que j'avais volé, comme un voleur, à
l'un de ses prétendants dont on voyait maintenant qu'il avait la
main dans son pantalon.
Chez moi je fis rapidement mes devoirs et avec une facilité
déconcertante. Puis je sortis enfin mes nouveaux livres et les lus.
Je n'ai pas dormi de la nuit du samedi au dimanche. Je
commençais par Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de William
Blake. Jim Morrison avait sûrement du s'en inspirer pour les
paroles de ses chansons et de ses poèmes. Je n'ai pourtant pas vu
beaucoup de choses qui avaient un lien avec la vie de Morrison.
Sauf ce passage :« Si les portes de la perceptions étaient
nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est,
infinie ». C'était certainement de là que provenait le nom du
groupe, The Doors.
Continuant sur ma lancée je lisais maintenant Les portes de la
perceptions d'Aldous Huxley. Titre inspiré du livre que je venais
de finir. Ici, c'était flagrant, les drogues psychédéliques sont
incontournables dans vie de Morrison. Je compris donc que c'était
pour atteindre une sorte de nirvana, pour avoir une perception
différente du monde. Ce qui en plus entrait en relation avec le
chamanisme. Les chamans prenaient des drogues pour entrer en
contact avec leurs dieux. Je ne pense pourtant pas que Jim
Morrison ait vu Dieu. À moins que Dieu l'ai aperçu dans
entrebâillement de la porte et lui ait fait la blague du seau d'eau.
Ensuite est venu le tour de Catch 22 de Joseph Heller. J'étais un
peu décourager en le voyant parce qu'il était vraiment gros. Mais
ce livre était à mourir de rire. Un antihéros nommé Yossarian était
confronté à des personnages tous plus absurdes les uns que les
autres dans une base militaire qui avait pour but de bombarder les
méchants durant la seconde guerre mondiale. Je pense que Jim
Morrison a prit ce livre très au sérieux. Son père était un officier
de la marine qui s'est battu au Vietnam , il détestait son père. Ce
livre a du attiser la haine que Morrison avait contre l'armée et son
absurdité. Il aurait même pu écrire ce livre.
Enfin après cet assez volumineux livre j'ai lu L'étranger d'Albert
Camus qui était beaucoup plus court. J'avais beaucoup entendu
parler de cet auteur mais je n'avais jamais été jusqu'à le lire. Là
encore l'absurde était très présent et l'injustice également. Le livre
présentait la solution contre l'absurde, enfaîte plutôt la réaction à
adopter. C'est la révolte. C'était certainement pour cela que
Morrison était très engagé et donc très révolté. Pourtant dans le
style de vie de Morrison l'absurde était très présent. Peut-être se
battait-il donc également contre lui-même.
Je refermais le livre et je vis que la nuit était tombée. Que demain
ce serait lundi. Donc qu'il fallait aller dormir maintenant. Je ne
dormis pourtant pas de la nuit. J'émettais quelques théories sur
Morrison, puis j'ai pensé à Matt. Je ne l'avais finalement pas vu en
seul à seul depuis la veille des vacances. Je me dis qu'il fallait que
j'y remédie la semaine prochaine. Minuit passa, donc cette
semaine je devais m'occuper de ça.
Le lundi matin je suis presque arrivé en retard. J'étais fatigué. J'ai
survolé la journée, totalement déconnecté de la réalité. Je ne
pensais à rien. Les autres parlaient et riaient, et moi je n'arrivais
même pas à avoir la moindre émotion. Ce jour-là mon cœur était
emballé dans un film plastique.
Le soir je me couchais à vingt-et-une heure. Ce qui était très tôt. Je
ne voulais pas passer à coté de mon mardi.
En cours je discutais avec Matt. Nous répondions de temps en
temps aux questions des professeurs pour ne pas passer pour des
élèves perturbateurs. Sauf que l'ambivalence est une notion trop
complexes pour les professeurs, simples fonctionnaires, ce qui
l’irritait. Matt était de bonne humeur même si cela paraissait
fragile. Toute la journée j'hésitais à lui demander de passer la
soirée du vendredi avec moi, mais j'avais peur parce que je ne
savais pas comment je pouvais réagir à une réponse négative.
Finalement pendant le dernier cours de la journée je me suis
lancé :
– Matt, ça te dit qu'on passe la soirée du vendredi ensemble ?
Juste toi et moi avec quelques bières, une soirée tranquille
quoi.
– Bah disons que vendredi je suis pris. J'ai un truc important à
faire tu vois.
– D'accord. Bon bah on essayera de se voir un autre jour alors.
– Mais samedi je suis disponible. Mes parents sont pas là du
week-end. Donc samedi soir tu passes à dix-neuf heure. On
ira manger ensemble puis on rentrera chez moi. Ça te va ?
– Parfait.
La sonnerie retenti. C'était la fin du mardi.
Je rentrais chez moi en me demandant ce qu'avait prévu de faire
Matt ce vendredi. Jean prenait le même chemin que moi pour se
rendre je ne sais où. Elle me dit que vendredi elle allait suivre
Matt en se cachant pour voir où il allait aller après le lycée. Elle
me dit qu'elle me dirait ça lundi matin. J’acquiesçais en me disant
qu'il irait certainement chez lui pour lire, regarder ou écouter
n'importe quoi au sujet de Morrison, puis nos chemins se
séparèrent.
La semaine fut très rapide. Il ne se passa rien.
Le vendredi soir j'allais à la soirée avec Christy et Martin. J'étais le
seul à savoir où était Jean. Jean ne viendrait pas à la soirée. Juste
après elle devait partir avec ses parents faire quelque chose
quelque part. Je trouvais ça dommage, j'avais très envie de voir
Jean pour qu'elle me dise où Matt était aller. Parce que même si je
voyais Matt le lendemain cela aurait été déplacé de lui demander
ce qu'il avait fait la veille car je n'étais pas sa mère, après tout.
Le mois de novembre avait définitivement achevé l'été. Il faisait
froid dans l'appartement. Le garçon qui habitait dedans mit en
route le chauffage. Je ne trouvais pourtant pas ça très efficace,
donc je bu plusieurs verres de whisky pour me réchauffer. Au bout
d'un moment je me suis effondré par terre pour me réveiller le
lendemain midi. Il restait le garçon qui habitait ici et Martin qui
m'attendait pour me ramener chez moi.
Devant ma porte je priais pour ne pas que mon oncle soit là. Une
preuve de plus que Dieu n'existe pas puisque mon oncle était là et
m'attendais. Je me défendais avant même qu'il n'attaque :
– D'accord j'ai bu. T'étais sûrement inquiet mais tout va bien,
Martin m'a raccompagné ici.
– Ne t'inquiète pas Tom. Je n'ai rien à te reprocher. Je sais que
tu passes des vendredis soirs très arrosés mais tu sais j'ai vu
tes résultats scolaires et ils assez bons. Donc si tu as besoin
de décompresser après les cours je comprend. Fais juste
attention et si tu rentres plus tard que prévu passes-moi un
coup de fil, ça m'évitera de faire à manger pour quelqu'un qui
est absent.
– Oui. Merci. J'ai le temps de prendre une douche avant qu'on
mange ?
– Tu manges tout seul faut que j'y aille moi. Salut.
– Salut.
Ainsi j'avais donc d'assez bons résultats. Je pris ma douche et
allais voir sur Internet. Effectivement mon oncle avait raison. Je
devais être dans la moitié des bons élèves. L'après-midi je fis une
sieste puis je partis chez Matt.
Matt était en forme ce soir-là. Nous sommes allés manger dans un
fast-food avant de rentrer chez lui. Dès que nous sommes arrivés il
a sauté sur son ordinateur et mit un album des Doors.
Nous étions dans sa chambre et sur son bureau je vis les recueils
de poèmes qu'avait écrit Jim Morrison, le sac plastique de la
librairie de Sacha était juste à coté.. Il y avait Celebration of the
Lizard, The New Creatures, et An American Prayer. Il avait
certainement acheté ça hier soir après les cours. Jean n'aurait donc
rien à m'apprendre lundi. Je faisais comme si je n'avais rien vu, et
Matt fit comme si il ne m'avait pas vu. La suite de la soirée nous
avons joué à faire semblant.
Nous parlions des habitudes de Morrison lorsque, sur le ton de
l'humour taquin donc sérieux, j'ai dis à Matt :
– Comme tu lui voles à peu près tout. Pourquoi tu ne joues pas
à faire le funambule sur les toits?
– J'y ai pensé mais enfaîte j'ai le vertige. Donc je le fais pas.
À ce moment là Matt venait de dire une chose forte. Il venait de se
trouver un défaut. Je ne pensais même pas qu'il en avait un. J'ai
compris ensuite à son sourire que c'était peut-être une manière de
contre-attaquer.
Après ça Matt a commencé à boire à un rythme effréné. Trente
minutes après il hurlait des insultes debout sur la grande table en
bois entourée de cuir du salon et, une heure après il était couché
par terre, la tête dans sa bave. Je le laissais là pendant que je
buvais les deux dernières bières puis je l'ai porté jusqu'à sa
chambre. Ensuite je suis allé dormir dans le canapé. Je n'ai même
pas pensé à fouiller sa chambre. J'ai préféré prendre ça comme une
marque de bon fond plutôt que de me qualifié de tête-en-l'air.
Le lendemain, lorsque je me suis réveillé, Matt m'avait déjà
préparé mon petit-déjeuner et un Dafaglan. J'ai mangé puis je suis
rentré chez moi.
Cette fois-ci je n'ai pas prié, et mon oncle n'était pas là. Je buvais
un thé lorsque j'ai réalisé que je n'avais toujours pas fait mes
devoirs. Ce sont ces derniers qui ont achevé mon très fatigant
week-end d'adolescent hédoniste et peut-être un peu oisif.
Le lundi matin je suis arrivé vingt minutes avant le début des
cours. Dix minutes après Jean est arrivée. Elle s'est précipitée vers
moi et j'ai tout de suite dit :
– Oui je sais que Matt a été chez Sacha vendredi soir. J'ai vu
qu'il avait de nouveaux livres sur son bureau. Salut Jean. T'as
passé un bon week-end toi ?
– Matt n'a pas été cherché des livres chez Sacha vendredi soir.
Je l'ai suivi jusqu'à la librairie. Sacha n'est pas descendue,
Matt est entré directement. J'ai pris un verre dans le bar en
face. J'ai attendu pendant une heure et demi. Après j'ai dû
partir mais le lendemain soir j'ai appelé Sacha pour savoir ce
qu'il s'était passé.
– Tu connais Sacha ?
– Oui on était à la maternelle ensemble. Après j'ai été dans une
école privé moi donc je l'ai plus vu.
– Comment t'as eu le numéro alors?
– C'est un ami qui me l'a donné.
– Bon, d'accord, et alors ?
– Et alors Matt est venu chez Sacha et a couché avec. Il a dormi
chez elle le soir. Son père n'était pas là. Et le lendemain il est
reparti à midi avec les livres qu'il avait commandé.
– Elle est sûr ton info ?
– C'est Sacha elle-même qui me l'a dit alors je la crois. Je l'ai
menacé de balancer ce qu'elle faisait à son père, les moyens
permettent la fin.
– OK. On fait quoi alors ?
– Bah rien. On ne dit rien à personne. Et surtout rien à Christy.
– Hum hum.
Puis les autres sont arrivés. Jean et moi avons regardé Matt d'un
drôle d’œil toute la journée en tentant de les cacher. Il nous
regardait en souriant. On ne savait pas si il savait qu'on savait,
c'est ça qui nous tenait à l'écart de lui. À première vue il n'avait
évidement rien fait de mal. Mais c'était symbolique. Il n'aimait pas
Sacha. S'il n'y avait pas le spectre de Morrison au-dessus de lui
tout irait mieux.
Martin se doutait de quelque chose. Il est venu vers Jean et moi et
elle lui a dit. Martin ne dirait rien.
Matt se rapprochait de Christy. Il s'asseyait à coté d'elle en cours.
Il l'a félicitait. Toutes les occasions étaient bonnes pour provoquer
un contact physique avec elle. Évidement elle était aux anges. Elle
se voyait déjà marier avec Matt et avec trois enfants qui courent
dans le jardin. Mais c'était un songe.
On regardait ça dans d'un très mauvais œil. Nous devions avertir
Christy. Pourtant nous ne voulions pas lui faire de mal. Donc nous
n'avons rien fait, toujours ce manque de courage qui me donne la
rage.
Toute la semaine s'est passée comme ça. Ils étaient tous les deux.
Il ne manquait qu'une étincelle pour qu'ils soient en couple.
Christy l'attendait. Matt lui, c'était impossible d'être dans sa tête. Il
souriait à Christy naïvement, comme un enfant, puis elle riait,
ensuite il se tournait vers nous et l'on pouvait lire dans ses yeux
qu'au moindre geste contre lui de notre part il pouvait exécuter son
otage, Christy. Nous avions donc les mains liés. Mais même si on
aurait pu faire quelque chose on l'aurait pas fait.
Le vendredi soir Matt avait décidé de venir avec nous à la soirée.
Il était assis avec Christy, ils étaient isolés. Christy ne buvait
presque pas mais Matt buvait pour deux. Martin jouait son rôle
auprès des autres, il occupait la galerie pendant que Jean et moi
surveillions Matt. Tout en les observant je pensais aux garçons,
puis aux filles et enfin aux couples. Je pense que les garçons sont
dans le fond romantique mais ne veulent pas le paraître tandis que
les filles, elles, ne sont pas romantiques mais veulent le paraître.
Enfin peut-être que je me fis trop aux apparences.
La soirée se passait dans un appartement, au second étage, dans un
très beau quartier de Caféine Boulevard. Vers une heure du matin
Christy et Matt ont pris leur veste et ont commencé à partir. Jean
et moi allions les suivre mais Matt nous a dit : « vous inquiétez
pas on peut sortir seul. Le quartier est sûr ». Je commençais déjà à
perdre espoir lorsqu'ils ont refermé la porte mais Jean m'a dit que
depuis le balcon nous pouvions sûrement les entendre. Elle avait
malheureusement tord. Christy a pris la main de Matt et ils ont
marché ensemble jusqu'au bout de la rue. Nous avons ensuite vu
Christy parler, Matt répondre, Christy s'effondrer, Matt partir. On
ne savait pas lire sur les lèvres mais on avait une petite idée de ce
qu'il lui avait dit.
Jean et moi avons donc couru jusqu'à elle. Elle avait demandé à
Matt si il voulait entamer une relation avec elle. Il a refusé. La
petite Christy pleurait. Nous l'avons ramené à l'appartement. Elle a
pleuré puis elle s'est endormie. Le matin Martin et moi l'avons
ramené chez elle. La lâcheté n'empêche pas la gentillesse.
Pour ne pas avoir à penser j'ai passé mon week-end à faire mes
devoirs et à réviser.
La semaine qui allait venir était appréhendée par tout le monde.
Sauf pour Matt je pense. Il était avec nous. Personne n'osait rien
lui dire, même pas Jean, Christy, Martin, et encore moins moi. Il
faisait comme si de rien n'était. Christy aussi. Nous ne pouvions
tout de même pas le virer de la bande, il traversait juste une
mauvaise passe. En cours il répondait à toutes les questions des
professeurs en souriant si modestement que c'en était arrogant.
Personne ne voulait entrer en compétition avec lui, personne ne
voulait parler de toute façon. Je lui ai juste demandé :
– Pourquoi t'as fait ça ?
– Quoi Sacha ou Christy ?
– Les deux.
– C'était marrant.
– Non pas du tout.
– Si mais vous prenez tout au premier degré et sans recul.
Prenez du recul vous verrez que c'est pas du tout important,
ensuite prenez au second degré et là vous allez bien rigolez.
– J'aimerais, on aimerait tous.
En sport il formait une équipe à lui seul. Personne ne réussissait à
lui prendre le ballon, dans son équipe personne ne pouvait le
toucher. Parfois quelques filles criaient qu'il était le meilleur, alors
il souriait et les regardait du coin de l’œil.
Le vendredi soir fut la libération suprême pour tout le monde, sauf
Matt. Nous sommes tous rentrés chez nous séparément. Personne
n'avait le moral pour une nouvelle soirée. Personne ne parlait.
L'hiver, qui n'était pourtant pas encore arrivé, avait déjà glacé nos
cordes vocales.
Le week-end je le passais encore à travailler. Si moi je n'allais pas
mieux, Matt, lui, était à son apogée.
Chapitre 4: Décembre
Le lundi matin je suis venu plus tard que d'habitude. Je voulais
que les autres arrivent avant moi pour ne pas me retrouver seul
avec Matt. J'avais peur de lui. Ce n'était plus l'ami d'avant, c'était
autre chose. Je ne pourrais pas tenir une année dans ces
conditions, j'en avais assez, il devait se passer quelque chose. Je
n'avais pas qu'à espérer et attendre.
Par chance sur la route je vis les autres, je les rejoignis donc et
nous fîmes la route ensemble. Finalement j'étais le seul à avoir
peur. Martin rirait quelle que soit la situation, Jean se défendrait
s'il arrivait quelque chose et Christy, elle, se tairait de toute façon.
Nous sommes arrivés et Matt était déjà devant la salle, à attendre,
calme, serein. Il nous a vu et a souri d'un air narquois. C'en était
trop. Alors je suis parti, je ne voulais plus rien avoir à faire avec
lui, il me révulsait. Les autres ne m'ont pas suivi, ils n'en avaient
pas la force, ils préféraient encore souffrir. Je suis parti fumer et
suis revenu pour le premier cours de la journée.
En cours il fixait chaque personne qui parlait. Son regard était si
pesant que l'on ne pouvait discerner si il allait se jeter sur la
personne visée pour l'embrasser ou l'étrangler. Les filles
rougissaient, les garçons stressaient. Même le professeur était
perturbé par son regard. J'aurais pu être mal à l'aise mais je n'avais
pas peur, je pouvais le regarder dans les yeux, même si désormais
il me dégoûtait. D'ailleurs je pense qu'il le savait.
Aux récréations et le midi j'étais avec Mary , la sœur de Matt. Elle
me disait que chez lui Matt était silencieux, et que ça gênait les
invités, ses parents et elle-même. Ce silence qu'il imposait était
pire que s'il disait les pires atrocités. Je ne m'inquiétais pourtant
pas. Il allait bien un jour se passer quelque chose. Un jour cela
devrait cesser. Personne ne pouvait supporter ça indéfiniment.
Mary était différente de son frère, c'était un enfant sage alors que
lui ressemblait à un enfant sauvage. Elle n'était pas sportive et
travaillait très dur pour ne pas avoir de trop mauvaises notes alors
que Matt, au contraire, était naturellement doué pour ces deux
domaines.
La semaine passa, en cours je travaillais sans regarder personne.
Lorsque je croisais les yeux de Martin, Jean ou Christy je posais
sur eux un regard compatissant, qu'ils prenaient avec gratitude. Ils
comprenaient mon choix mais n'avaient définitivement pas le
courage de me suivre. Ils soutenaient Matt, le supportaient, ou
plutôt le surveillaient. Mais lui s'en fichait.
Le vendredi soir, comme chaque premier vendredi du mois je suis
allé voir Sacha pour recevoir ma commande de livres.
J'appréhendais sa vue, son regard. Elle sortit de chez elle, me
donna le sac et moi l'argent. Je n'avais plus d'économies pour
acheter quatre livres comme les deux derniers mois, j'en recevais
donc trois. Le silence était très lourd. Il était gelé. Je ne voulais
pas l'entendre, elle ne voulait apparemment pas parler. Je
commençai à partir lorsqu'elle me dit :
– Je suis désolé. J'étais sur que tu allais l'apprendre, que vous
alliez l'apprendre. Mais Matt me plaît vraiment. C'était pas
juste pour coucher avec quelqu'un.
– Oui il te plaît, comme toutes les filles. Sauf que t'as pas
couché avec Matt mais Jim. Si ça avait été Matt, ça ne serait
pas arrivé. Matt ne joue pas avec les sentiments des filles, il
ne joue pas sur son physique. Matt ne joue pas.
– Je sais.
– Si tu ne lui avais pas tout donné sur Morrison on en serait
certainement pas là, et j'aurais encore mon meilleur ami. Sauf
que ton égoïsme l'as tué.
– C'est pas de ma faute ! Lorsqu'on me demande quelque chose
je le donne moi. Avant moi Matt ne lisait pas. Grâce à moi il
se cultive, il a appris plein de choses.
– Et maintenant il fait souffrir tout le monde autour de lui.
Jean, Christy, Martin, Mary, ses parents et moi.
– Tu es jaloux de lui c'est tout.
– Non. Je suis jaloux de Morrison, parce que lui intéresse Matt,
parce que lui a changé Matt au point que maintenant il se
prostitue. Tu t'es trompé, Matt ne reviendra pas vers toi. Il a
coché ton nom sur sa liste et maintenant tu es de l'histoire
ancienne pour lui. Tu as perdu. Si tu avais résisté, si tu avais
résisté jusqu'à ce qu'il ait traversé cette mauvaise passe tu
aurais eu une chance de l'avoir. Sauf que maintenant c'est fini
pour toi, tu n'es plus dans la course.
– Je le sais. Si tu savais comme j'ai honte. Aide-moi, s'il te
plaît. Tu es mon ami non ?
– Plus maintenant. Je croyais être ton ami mais je te reconnais
plus. À présent je te connais aussi bien que la caissière d'un
supermarché, et c'est ainsi que je te considère. Au revoir, on
se revoit le mois prochain.
Sur ce elle a commencé a pleurer. Une autre jour je serais revenu
m'excuser et la serrer dans mes bras pour la consoler mais pas
aujourd'hui, plus maintenant.
Évidement je n'allais pas à la soirée du vendredi. Je préférais
rentrer chez moi. À ma surprise mon oncle était là. Il vit que je ça
n'allais pas pour moi. Il décida de m'emmener dans un bar, à ma
grande surprise, pour que je puisse lui raconter ce qui m'empêchait
de sourire, à ma très grande surprise. Car il s'agissait bien de ça,
j'avais perdu mon sourire au moment où j'avais perdu mon
meilleur ami.
Nous étions donc au bar, sur une banquette qui faisait un angle. Je
commandai une bière, lui commanda un russe blanc. Le bar qui se
nommait L'étalon italien était dirigé par un certain Paul, un
homme très sympathique. Sa bonne humeur était telle qu'elle
résista à ma mauvaise. Mon oncle a attendu que j'ai bu plusieurs
verres pour parler, il n'a pas essayé de me presser. Au bout d'un
moment alors, je lui ai tout dit. Tout ce qui c'était passé depuis
septembre, Matt, Morrison, les soirées du vendredi, Sacha, tout. Il
m'a laissé parler, a attendu puis m'a dit que tout n'allait pas si mal,
que tout allait s'arranger, que Matt reviendrait et les beaux jours
aussi. Et moi je l'ai cru, pas par certitude mais parce j'avais besoin
d'entendre quelque chose de rassurant pour m'y accrocher en
attendant que la tempête passe.
Nous sommes rentré tard le soir, enfaîte au petit matin. J'ai dormi
puis mangé à mon réveil, après ça j'ai retiré du sac les livres que
j'avais acheté à Sacha.
Je décidais de commencer par Les Fleurs du Mal de Charles
Baudelaire. J'avais choisi ce livre parce que Rimbaud disait que
Baudelaire était le premier « voyant ». Je voulais donc vérifier ça
par moi-même. Le samedi je dévorais ces poèmes. C'était
grandiose, cette longue lutte entre le Spleen et l'Idéal. Les sonnets
ont été inventé par un homme qui avait prévu Baudelaire, c'est
certain. Les onze premiers vers montrent l'aspiration à l'Idéal et les
trois derniers montrent finalement l'abandon au Spleen. C'était
génial, à chaque sonnet j'espérais voir triompher l'Idéal. Puis vint
la victoire du Spleen dans le dernier quatrain du dernier poème
Spleen. Ensuite Baudelaire montre que l'abandon et le spleen n'ont
rien de trop dramatique avec le dernier vers d'Horreur
Sympathique : « De l'Enfer où mon cœur se plaît ». Enfin le
dernier mot est à l'horloge, le temps qui vainc Baudelaire comme
il vainc tous les hommes d'ailleurs. Ce que je pouvais toutefois
reprocher à ce recueil était qu'il y avait peut-être un peu trop de
poèmes, mais c'est certainement parce que je ne peux pas tout à
fait comprendre Baudelaire, moi, pauvre mortel. La certitude que
j'avais, et qui me concernait, était que lire Les Fleurs du Mal était
le B-A-BA quand on est dans le social comme moi.
Le lendemain, dimanche donc, je lisais le très classique Roméo et
Juliette de Shakespeare. J'ai beaucoup aimé. Shakespeare, cet
homme qui résume le monde en une seule phrase mais qui a
besoin de trois pages pour dire « Je t'aime », sauf qu'il ne le dit
même pas. Cela n'enlevait pourtant évidement rien à son talent.
Le reste du week-end qui me restait fut consacré à mes devoirs et
mes leçons, choses beaucoup moins amusantes je vous l'avoue, qui
n'ont d'ailleurs plus aucun intérêt après avoir lu Shakespeare et
Baudelaire.
Le lundi matin, le premier jour de la dernière semaine de cours
avant les vacances je ne voulais toujours pas fréquenter la bande,
je ne fréquentais pas plus Mary d'ailleurs. Le midi je mangeais
seul et je lisais Du côté de chez Swann de Proust à chaque fois que
j'en avais l'occasion et ce durant toute la semaine.
Le vendredi matin Matt eu une altercation avec la professeure de
français. Elle soutenait la thèse que l’œuvre est plus importante
que l'artiste, lui le contraire. Pour moi cela dépendait de l'artiste,
certains avait une personnalité qui dépassait l’œuvre, comme
Salvador Dalí et d'autre non comme par exemple Choderlos de
Laclos. La prof avançait des arguments et Matt aussi. Cependant à
un moment Matt n'a pas su répondre. Il a donc insulté la prof et est
parti en courant en claquant la porte. Martin a alors rompu le
silence en riant, ce qui a permis à tout le monde de reprendre son
souffle, mais sans rire. Jean a jeté un regard tout plein de mépris
sur la porte. Christy est restée bouche bée. Quand à moi j'ai
simplement soupiré.
Le midi Matt n'a pas rejoint la bande, ce que j'ai donc fais. Il a
mangé avec un groupe de filles. Ces filles faciles qui craquent
pour les beaux et grands sportifs. La bande m'a alors raconté que
Matt n'avait pas beaucoup parlé en mon absence et que je lui avais
manqué. J'ai fais comme si je m'en fichais même si au fond ça m'a
fait plaisir. Je décidais de passer la soirée avec eux, c'était après
tout la dernière de l'année.
Après de dernier cours de la journée je finissais mon livre. Proust
était grandiose, la construction des phrases, si légendaires,
méritaient ce titre. Les petites réflexions sur l'anticipation d'un
événement et la déception qu'elle engendre ou encore sur
l'habitude m'ont beaucoup touché, certainement parce qu'elles sont
universelles. C'est d'ailleurs amusant parce que Shakespeare, lui,
parle de sujets existentiels comme la vie, l'amour, la mort alors
que Proust parle de sujet sans aucune importance mais qui nous
concerne tout autant si ce n'est plus. Néanmoins je ne pouvais pas
apprécier l’œuvre en entière puisque je n'étais pas sorti de mon
enfance depuis si longtemps que ça. Je décidais donc que je lirais
À la recherche du temps perdu lorsque je serais bien plus vieux
pour pouvoir l'apprécier dans son intégralité.
La soirée avait très bien débuté. Je faisais même quelques
imitations, comme au bon vieux temps, pour divertir les autres.
Tout le monde était à son poste. À cette soirée il y avait même
Lola, la fille la plus peste et pouf et la plus populaire du lycée. Je
ne voulais même pas la regarder afin de lui montrer qu'elle avait
peu d'importance pour moi. Même si je n'en avais pas plus pour
elle. Toute la bande la haïssait. Nous lui souhaitions tous beaucoup
de mal. De toute façon c'était à coup sûr ce qui allait lui arriver, au
mieux elle pourrait plus tard prétendre à un poste de secrétaire
pour une minable compagnie d'imprimerie. J'appris même avec
plaisir qu'elle était venue pour voir Matt puisqu'il n'était pas là.
Cependant quelques minutes plus tard, Matt est arrivé. Martin lui a
tout de suite appris pourquoi Lola était ici. Matt a alors souri. Il
s'est dirigé d'un pas élancé, qui trahissait beaucoup de confiance
en soi, vers elle. Il n'a pas eu besoin de beaucoup lui parler. Il lui a
pris la main et ils sont partis dans la chambre des parents du type
qui invitait ce soir-là. Personne n'a osé les déranger.
Le lendemain lorsque j'ai ouvert les yeux Matt était en face de
moi, nous étions nez-à-nez, il souriait. Il m'a dit de regarder à ma
gauche, ce que je fis, et je vis Lola qui pleurait, par terre, le
maquillage jusqu'aux joues. Matt a levé les sourcils pour mieux
arborer ses yeux malicieux et m'a dit « Alors ? ». J'ai souris et je
lui ai dit « Bien joué. C'était aussi amusant que de faire souffrir
Christy et Sacha ? ». Là dessus il est parti, vexé. Je savais bien
qu'il voulait me faire plaisir, mais je ne trouvais vraiment pas ça
très moral. Même si cela faisait rire Jean et Martin ; Christy, elle,
était déjà partie en pleurant depuis longtemps j'imagine.
Ensuite je suis rentré chez moi. Les vacances de fin d'année
commençaient. Malgré toutes ces lumières le froid me touchait
beaucoup plus. J'ai dormi toute la journée. Je me suis réveillé en
fin d'après-midi. J'ai relu et trié mes différentes notes sur les sujets
qui m'intéressaient puis j'ai mangé seul devant un documentaire
sur les poulpes, qui sont plus intelligents qu'on ne le pense
d'ailleurs, avant de m'endormir. Je n'avais aucune idée de ce que je
pourrais bien faire de mes vacances. Deux semaines d'ennuis
allaient donc pouvoir commencées.
Le mardi de la première semaine j'ai reçu un appel de Mary qui
me disait qu'elle était au courant que je passais Noël seul et me
demandait si je désirais le passer chez elle. Même si je savais qu'il
y aurait Matt je décidais de venir pour avoir un minimum de vie
sociale ce jour de fête, qui célébrait la naissance d'un mythomane
certes, mais qui était toutefois symbolique.
Je savais que la famille de Matt n'avait pas un mode vestimentaire
très classe malgré le faîte qu'elle soit très bourgeoise mais pour
une occasion comme celle-ci, pour à peu près coller à l'ambiance,
j'optais pour mettre la seule chemise que j'avais. La tentative était
tout de même vaine puisque j'avais un jean délavé trop grand et
une paire de Converse All Star que j'avais depuis maintenant trois
ans et demi.
Finalement lorsque je suis arrivé les rires de Mila, Robert, Matt et
Mary m'ont montré que ma tentative, même si elle les avait
beaucoup amusé, avait tout de même même été inutile. Moi j'avais
un goût amer dans la bouche car à chaque tentative pour
m'intégrer dans un milieu j'étais à coté de la plaque.
J'avais apporté une modeste bouteille de champagne pour ne pas
venir les mains vides, Robert, le père de Matt, me donna un
bienveillant sourire pour récompenser mon effort. Comme son fils
il était plus ou moins gêné par sa réussite.
Sous le sapin il n'y avait aucun cadeau, j'ai donc pensé qu'ils les
gardaient pour se les offrir le lendemain matin, quand je ne serais
plus là. Même si une certaine distance subsistait ils me donnaient
l'impression de faire partie de la famille, mais si ce n'était que pour
une nuit, en particulier Mila, la mère de Matt. J'ai remarqué qu'il y
avait comme qui dirait un froid ce soir entre Robert et Matt, ils ne
s'adressaient pas la parole, ils devaient avoir des comptes à régler.
Le repas fut très convivial. Je parlais de mes lectures avec Mila,
qui avait évidement lu les mêmes à mon âge, tandis que Robert
parlait avec Mary de ses résultats scolaires sous le regard à la fois
hautain et désabusé de Matt.
Vers trois heures du matin Robert m'a ramené chez moi. Il riait en
entendant les divagations de l'adolescent que j'étais, qui avait lutté
et qui avait finalement perdu contre l'alcool. Il m'a porté et m'a
allongé sur mon lit, pendant ces quelques minutes, ou moins, j'ai
entrevu la sensation que ça procurait d'avoir un père : du vide
devant l'acquis.
Le lendemain je me suis réveillé à trois heures de l'après-midi.
Comme prévu je n'avais aucun cadeau, je n'en voulais pas. Être
athée et recevoir des cadeaux à Noël était une bêtise pour moi. Je
ne voulais pas profiter de l'occasion comme font beaucoup et puis
de toute façon mon oncle n'avait pas d'argent à dépenser pour une
fête aussi futile. Je suis passé devant le téléphone fixe et j'ai vu
qu'il y avait un nouveau message, il était du téléphone portable de
Mary. Il disait : « Bonjour Tom. C'est horrible. Quand mon père
est rentré hier soir il s'est disputé avec Matt parce que ses notes
sont en chute libre depuis le début de l'année. Mon père l'a donc
déshérité. De ce fait Matt n'aura ni un sou ni un emploi dans
l'entreprise familiale lorsqu'il aura sa majorité et son diplôme de
fin d'année. Après ça Matt est parti en courant et on ne sait pas où
il est. Si tu as une idée d’où il pourrait être rappelle-moi je t'en
prie. ». Évidement je n'ai pas rappelé Mary. Matt n'était pas
stupide, il était forcément en sécurité quelque part chez une
connaissance. Je ne voulais vraiment pas m'occuper de ce genre de
soucis bourgeois. Si Matt n'avait pas l'argent et le travail il n'aurait
qu'à faire comme tout le monde : en trouver un pour gagner sa vie,
c'était aussi simple que ça pour moi. On peut survivre sans
privilège, même lorsque l'on est habitué à une vie de petit
bourgeois.
Pendant deux jours j'ai ensuite fait mes devoirs puis j'ai appelé
Martin pour moi aussi apporter mon aide aux gens qui par ce froid
étaient dans la plus grande nécessité du monde. Ce n'était
évidement qu'une excuse, je voulais juste échapper à la solitude et
observer les gens. Martin et moi travaillions donc pour une
association qui apportait des couvertures, de la nourriture et de la
chaleur humaine à des sans-abris. Martin n'hésitait pas à les faire
rire et à les aider de tout son cœur, à l'inverse de moi qui en retrait
portait les couvertures et la nourriture sans même oser prononcer
un mot.
Ces personnes n'étaient pas de véritables personnes pour moi.
J'avais du mal à les regarder autrement que par pitié. Je les aidais
mais ce n'était que pour ne pas être seul, c'était une excuse. De
plus je les utilisais comme sujets pour voir jusqu’où un être
humain pouvait perdre sa dignité.
Martin m'a dit que pour le nouvel an une soirée était prévu, de
plus c'était également le dix-septième anniversaire de Jean. Je lui
demandai si Matt serait présent, il m'a répondu que non, ma
réponse était donc la même. Je n'avais pas spécialement envie de
voir Matt, ce n'était qu'un subterfuge, un prétexte pour refuser.
J'avais trop vu de monde en travaillant bénévolement pour cette
association, j'avais maintenant besoin de solitude avant d'attaquer
les cours.
Mes derniers jours de vacances je les ai passé à réviser entre deux
siestes. Je faisais ça machinalement. Je ne voulais pas me fatiguer
donc je dormais le plus possible pour ne pas trop réfléchir.
Évidement la veille de la rentrée je n'ai pas dormi de la nuit. J'ai
donc réfléchis et pour fêter le nouveau tour que la Terre avait fait
autour du soleil je pris la résolution de pardonner à Matt, d’essayer
de l'aider, même si cela allait à l'encontre de mes principes
empiriques car pour moi tout le monde devait se débrouiller seul
dans la vie, comme moi.
Chapitre 5: Janvier
Le lundi matin, premier lundi de cette nouvelle année, j'arrivais en
avance, comme à mon habitude. La bonne humeur des autres allait
amplifier ma mauvaise. Je savais qu'il s'était forcément passé
beaucoup de choses pendant les vacances mais cette fois je n'avais
plus envie, parce qu'à chaque changement la situation empirait. Je
n'étais pas dans le même rythme que la vie. J'étais comme
d'habitude : décalé.
L'hiver était là. Il me giflait le visage. Mes lèvres étaient violettes.
Ma peau était devenue très blanche. L'hiver me purifiait des excès
de l'été. L'hiver à l'état dur.
J'étais seul devant la salle quand la bande est arrivée. Ils avaient
tous tant changé, mis à part Martin que j'avais vu vers la fin des
vacances. Jean était dans des vêtements d'hiver tout à fait chic. ET
même si je n'aimais pas bien ce style vestimentaire je dois avouer
qu'elle était rayonnante par son contraste avec le froid, comme le
genre de filles qu'on voit passer dans la rue mais qu'il est
totalement hors de question d'aller aborder. Comme un fantôme
qui passe dans le ciel, même un voleur ne pouvait pas la saisir.
Christy était habillée dans des tons gris mais ses vêtements
n'avaient aucune importance. Sa peau était blanche comme la
mienne et la neige. On aurait cru voir de la neige blanche et
fraîche sur de la grise qui a déjà plusieurs jours. Elle était sublime.
Toutefois on peut penser que c'est le contraste entre son visage et
ses vêtements qui la rendait si belle.
Cependant je dois admettre que c'est Matt qui m'a le plus
interloqué. Ses cheveux bruns touchaient maintenant légèrement
ses yeux, comme des sortes de petites grilles, sauf qu'elles
accentuaient son regard : cette épée qui transperçait le cœur des
filles et coupait en morceaux celui des garçons. Il était dans des
vêtements de cuirs, comme Jim Morrison. Un pantalon et une
veste en cuir avec un t-shirt blanc et un paire de santiags. Il
ressemblait à un ange qui claque la porte au paradis pour aller en
enfer, ce qui d'une certaine façon était le cas. On aurait pu croire
qu'il était ridicule, évidement, mais une fois que ses yeux se
posaient sur quelqu'un, la personne était pétrifiée et dans
l’incapacité de réfléchir. D'ailleurs je connus cet état lorsqu'il m'a
aperçu et regardé pour me saluer.
Ils étaient tous de très bonne humeur, même Christy. Dans cette
situation je ne pouvais me résoudre à me tenir encore à l'écart de
la bande.
On se souhaita à tous une bonne année et une bonne santé même si
malgré tout nous étions arrivés à un âge où chaque année est pire
que la précédente. Ensuite vint le tour de ce que nous avions fait
de nos vacances. Je savais déjà ce qu'avait fait Martin des siennes,
c'était donc celles des autres qui m'intéressaient, et surtout Matt.
Jean avait passé quelques jours à la montagne puis avait fait la
tournée des expositions des fêtes de fin d'année. Christy avait
passé son temps à lire. Toutes les deux avaient donc passé des
vacances plutôt ennuyeuses. Matt ne dit rien. En cours je lui
demandais donc ce qui s'était passé le soir de Noël. Il me dit qu'il
s'était disputé avec son père pour des broutilles, qu'il avait donc
passé le reste des vacances chez un ami (dont il ne me dit ni le
nom ni ce qu'ils avaient fait) et qu'enfin il était revenu habiter chez
lui hier soir. Je devais donc me contenter de cela et ça me suffisait
amplement.
Le midi, après que nous ayons mangé Matt s'est écarté de nous
pour aller voir un garçon qui devait avoir environ vingt-cinq ans.
Il faisait donc et déjà pédophile devant un lycée. Je demandai donc
à Jean, qui était à coté de moi :
– C'est qui le type avec qui est Matt ?
– Tyler.
– Je m'en fiche de son nom je t'ai demandé qui c'était.
– C'est un dealer.
– Mais on en connaît pas nous des dealers ? On a déjà un dealer
attitré alors pourquoi aller vers ce mec là ?
– Évidement mais notre dealer à nous il ne vend que des
drogues douces alors que lui il vend de tout : de l'aspirine au
cyanure.
– Tu sous-entends que Matt, maintenant, prend de la cocaïne ou
de l’héroïne ?
– Pourquoi il irai voir un gars comme Tyler sinon ?
– Ouais tu dois avoir raison.
– Évidement.
– Et tu penses que Matt a été habité chez ce type pendant les
vacances lorsqu'il a en quelque sorte fugué ?
– Ça ne fait aucun doute. T'es idiot ou quoi ?
– Non. Je demande en espérant que tu m'apprennes que je le
suis.
Ces deux nouvelles ne me surprenait même pas. Matt avait atteint
le point zéro dans mon estime. Pourtant la plupart des gens qui
prennent de la drogue c'est parce qu'ils s'ennuient où qu'ils ont des
problèmes. Matt ne pouvait pas s'ennuyer et le problème qu'il avait
concernant son avenir pouvait facilement être réglé en travaillant
en temps soit peu en cours. Une troisième raison était donc
envisageable et beaucoup plus crédible : Jim Morrison. Cette
raison posait donc une nouvelle question, pourquoi Morrison
m'élevait-il vers l'Idéal tandis qu'il faisait tomber Matt dans le
Spleen ? Certainement parce que lui et moi ne faisions pas
raisonner en nous Morrison de la même façon. C'est étrange qu'un
chose puisse avoir des effets différentes sur deux personnes aussi
proches que nous.
Matt discutait avec ce garçon qui avait le don d'arranger les
problèmes des autres dans un but lucratif. Un travail aussi
fascinant que méprisable que celui d'être un dealer.
Durant la semaine Matt arrivait souvent drogué en cours. Parfois
la drogue lui donnait une énergie d'enfer, il souriait et répondait
constamment aux questions des professeurs. Parfois c'était tout le
contraire, il était mal et avait la tête dans ses bras et dormait,
secoué par des rictus de douleurs. Les garçons et les filles de la
classe le trouvait « cool ». Mais dans la bande personne ne
supportait ça, tantôt il fallait le contenir pour ne pas qu'il insulte,
frappe ou drague tout le monde ; tantôt il fallait le porter pour ne
pas qu'il reste allongé toute la journée dans les couloirs. C'était
insupportable. C'est à ce moment là que j'ai décidé que je n'aurais
jamais d'enfant.
Le vendredi soir j'avais décidé de ne pas aller à la soirée parce que
je n'avais plus envie de m'occuper de Matt. J'allais donc chercher
mes livres chez Sacha. Arrivé devant sa porte elle me tendit le sac,
moi l'argent puis je commençai à partir lorsqu'elle me dit :
– Matt va bien ?
– Génial il s'est mit aux drogues dures et pourrit la vie de toute
la bande. Et ça c'est en partie grâce à toi. Merci infiniment
gentille de dévouée Sacha.
– Je crois que tu surestimes mon rôle dans cette histoire.
D'accord c'est moi qui lui est donnée ce qu'il demandait mais
c'est toi qui lui a parlé de Morrison en premier !
En entendant ces mots je compris ma part de responsabilité dans
cette histoire mais je ne voulais pas avoir à l'assumer devant
Sacha. S'il arrivait quelque chose à Matt à cause de Morrison ce
serait de faute. Il fallait que je protège Matt parce qu'après tout
c'est moi qui avait été l'élément déclencheur de son idolâtrie pour
Morrison. Pourtant je n'avais pas le courage de me rendre à la
soirée, je comptais donc sur Martin, Jean et Christy pour me
remplacer ce soir-là en faisant une nouvelle fois la résolution de
prendre soin de lui en attendant que la tempête passe.
En arrivant chez moi je fis mes devoirs pour pouvoir passer le
reste mon week-end à lire les livres que j'avais acheté.
Je commençais par Candide de Voltaire. J'ai adoré. Je ne pensais
pas qu'un livre qui critiquait le monde pouvait être aussi agréable à
lire. J'avais appréhendé le faîte qu'il puisse être un peu lourd.
L'écriture de Voltaire était très habile, avec une technique naïve à
la Socrate qui révélait un certain fatalisme. Un vrai génie littéraire
qui en plus de donné du plaisir à lire donnait également envie de
passer une soirée à rire avec cet homme qui devait être très
agréable.
Je poursuivis avec Les Rêveries du promeneur solitaire de JeanJacques Rousseau, l'ennemi de Voltaire. C’était tout le contraire de
ce dernier. C'était lourd, ennuyant et à chaque phrase j'avais envie
de hurler à Rousseau : « Vas-y mec ! Suicides-toi qu'on en parle
plus ! Tout le monde te déteste alors t'as pas à hésiter ! ». Malgré
que je détestais Rousseau je devais cependant avouer que son
écriture était très habile, ce qui ajoutait en plus à ma haine qu'un
homme aussi médiocre ait un aussi grand talent. Rousseau était un
pré-romantique, ce qui me dégoûtât donc du romantisme.
Le dernier livre que je lus durant ce week-end fut Dom Juan de
Molière. Encore une fois la critique de la société était sublime. La
scène entre le pauvre, Dom Juan et Sganarelle fut ma préférée.
Molière faisait passer ses idées si bien à travers Dom Juan que le
personnage aurait pu porter son nom. Il est vrai que les humains
qui prient sont le plus souvent plus malheureux que ceux qui sont
sans scrupules. Sans scrupules pour moi signifie sans attache, ce
qui signifie libre. La tirade de l'infidélité selon Dom Juan était
grandiose, encore une fois très habile (ce week-end décidément !).
Évidement je ne pouvais adhérer à cette doctrine mais elle m'a fait
comprendre qu'un philosophie sert avant tout à donner bonne
conscience. Une philosophie comme la philosophie chrétienne
empêche de faire beaucoup de choses, comme la plupart des
religions d'ailleurs, alors je pense que tout le monde devrait avoir
la sienne pour être tout à fait libre de ses actions et pouvoir
toucher le bonheur. Mais ceci est mon avis très personnel et je sais
que qu'il pose des problèmes moraux. Ça fait donc de moi un
immoraliste en quelque sorte.
Mais j'avais maintenant mal à la tête à force de réfléchir, je me
décidais donc à dormir puisque demain une nouvelle semaine
commençait où je devrais tenter d'aider Matt.
Le lundi matin j'arrivais avant les autres. Ils arrivèrent dix minutes
après, la mine basse, sauf Matt qui souriait. Matt avait un coquard
à l’œil gauche. À part je lui demandais donc :
– Salut.
– Hey salut mec, comment ça va ?
– C'est à moi de te le demander, ta un œil qui foire on dirait.
– Oui t'as vu ça ?
– Bah c'est assez flagrant. Comment tu t'es fait ça ?
– C'est un affreux malentendu, vraiment. C'est regrettable
d'ailleurs d'en venir à la violence.
– Et pourquoi un type aurait voulu te mettre un coup de poing ?
– Je te raconte. Il était venu à la soirée avec sa copine, et puis il
l'a laissé pour parler de football avec ses copains. Je voulais
pas qu'elle se sentent seule alors j'ai été vers elle. J'ai toujours
été trop gentil, tu le sais bien. Une jolie fille seule moi ça me
faisait mal de la voir comme ça. Donc on a discuté et puis
elle aussi elle a bu donc on s'est rapproché donc on a couché
ensemble donc quand je suis ressorti du lit d'amour des
parents du gars (parce que la soirée se passait chez lui en
plus) il m'a frappé. C'est vraiment dégueulasse de traiter ses
invités comme ça. Il n'y a plus de morale dans notre monde
mec. Mais ça aurait pu être pire parce que Martin est venu me
protéger comme je vacillais sur mes faibles jambes. Du coup
le gars a viré Jean, Christy, Martin, sa copine et moi. On est
tous rentré chez nous et la fille a dormi chez Jean.
– Je vois, ouais. Heureusement que tétais là mec. Et le type a
quitté sa copine ?
– Bah oui il allait pas la garder après qu'elle est couché avec un
autre dans le lit de ses parents. Il l'avait mauvaise le gars, il
l'a vraiment mal pris.
– Je crois qu'avec un peu d'imagination je peux comprendre sa
réaction.
– En tout cas je veux plus y retourner chez lui moi.
– Lui non plus je pense.
Sur ce Matt est rentré en cours et la bande et moi aussi. Toutes les
filles de la classe se sont inquiétées pour Matt, ce qui leur donnait
un prétexte pour s'approcher de lui, difficile de dire s'il jouait avec
ça ou s'il en avait besoin.
Toute la semaine Matt a été défoncé. En sport il s'effondrait sur le
terrain et disait au prof qu'il souffrait de vertige. Je le rattrapais à
chaque fois, mon zèle réussissait à faire face à ses abandons.
Cependant le vendredi midi nous avons décidé de demander à
Matt d'arrêter ses bêtises. Il nous a écouter sans dire un mot puis a
sourit et il a dit qu'il comprenait et que « c'était vraiment pas
sympa de se part ». Il avait l'air d'être résolu à tout arrêter, même
si c'était plus pour nous rassurer que pour sa santé mentale et
physique.
Dans ces conditions je décidais de venir à la soirée du vendredi.
De plus je n'avais vraiment rien de mieux à faire. La soirée fut très
tranquille. Matt restait collé à Christy et fuyait devant les avances
des filles quand Christy ne les repoussait pas elle-même. Martin,
Jean et moi avons beaucoup rit pendant que Matt et Christy
parlaient dans leur coin.
Je passais mon week-end à réviser puis à écrire une thèse sur la
relation entre les idoles et leurs fans. Les fans qu'on appellent
aussi « supportèrent » ne supportent rien, enfaîte ils sont soulevés.
Ils se laissent porter par une idole. Cette idole peut porter des
millions de fans, il ne faut donc pas s'étonner si elle prend de la
drogue pour se soulager. Prenons l'exemple, au hasard, de Jim
Morrison. Il portait une maison de disques à qui il devait faire
gagner des millions de dollars, il devait supporter des millions de
fans et faire face à des pressions politiques, médiatiques et
culturelles. Personne ne peut survivre à tout ceci seul. C'est donc
un appel à l'aide logique de prendre de la drogue.
J'ai réfléchis à la mort d'Albert Camus et je suis persuadé et
convaincu que c'est un suicide. Camus était l'écrivain en vogue du
moment grâce au pris Nobel de littérature. Il avait plusieurs
projets, dont celui de passer de l'absurde à l'amour. C'était une
personne que tout le monde écoutait. Je pense qu'il n'a pas
supporté toutes ces pressions et que dans cette voiture il a tué
Michel Gallimard en provocant cet accident.
Ce n'est pas du tout étonnant que le suicide soit la réponse d'une
idole à son publique. Toutefois ceci n'est que l'avis d'un lycéen
futile et certainement stupide mais je garde quand même cette
thèse dans l'espoir d'en avoir peut-être un jour une meilleure
même si celle-ci tient la route à mon sens.
La semaine suivante Matt s'est tenu tranquille, il est resté collé à
nous pour être sûr de ne faire aucune bêtise. C'était rassurant de
l'avoir à portée de main mais fatigant de l'avoir constamment sur
le dos. En cours il se contentait d'écrire, en sport il baissait la tête
lorsqu’il gagnait. Toute le monde était ravis. Néanmoins il se
retenait et j'aurais aimé que ça lui paraisse normal de ne pas se
faire remarquer, mais pour l'instant je ne voulais pas lui en parler,
la paix restait quand même fragile et un rien l'aurait fait basculer
de l'autre coté.
Le vendredi c'était l'anniversaire de Martin. Comme il était majeur
et que maintenant nous n'aurions plus jamais de problème pour
acheter de l'alcool nous décidâmes d'aller au bar à L'étalon italien
pour fêter ça. Avant nous appelions des connaissances où nous
donnions de l'argent à des clochards pour nous en procurer. Jean et
Matt payaient des tournées toutes les demi-heures et Paul, le
patron du bar, nous les apportait. Quel joie pour Martin de pouvoir
présenter une carte d'identité qui l'autorisait à boire tant qu'il
voudrait même si c'était assez dangereux finalement. Il y avait
une petite scène où un vieux groupe de jazz mettait l'ambiance. Au
milieu des blagues et des rires je prenais conscience que cette
année nous allions tous devenir majeurs. Cette soirée symbolisait
la fin et le point de départ d'une nouvelle période pour nous. Mais
je ne voulais pas trop y penser.
À la fermeture nous sommes rentrés chez nous chacun de notre
coté.
Le lendemain nous allions tous au vernissage d'une galerie d'art.
L'exposition s'appelait Spleen et Idéal, elle se déroulait sur trois
pièces. La première montrait le Spleen avec notamment un
aquarium fermé remplie d'excréments peint avec des couleurs
vives. La seconde montrait la lutte avec notamment une photo
d'une partie d'échec. La dernière, Idéal, montrait notamment une
image du film Eyes wide shut de Stanley Kubrick. Nous avons fait
le tour en passant environ deux ou trois minutes devant chaque
œuvre. Sauf Matt qui en passait vingt. Cette exposition était un
message d'espoir qui nous encourageait à nous battre pour devenir
meilleur dans notre spécialité. C'est normal que Matt ait adoré plus
que nous, même si nous avons tous aimé.
Le dimanche j'ai fait mes devoirs. Cette activité me semblait de
plus en plus absurde, j'avais l'impression d'être Sisyphe. Mais je
n'avais pas le courage de me révolter, comme la plupart des gens
d'ailleurs. Le conformisme conforte et réconforte.
La dernière semaine du mois fut une énorme déception pour la
bande. Le jeudi nous sortions après la sonnerie et nous avons vu
Matt qui achetait de la drogue à Tyler en essayant de se cacher.
Christy est partie en pleurant, Martin a fait semblant de ne pas
voir, et Jean et moi sommes partis sans rien dire, déçus.
Le lendemain, vendredi, nous avons tout de même décider d'aller à
la soirée. J'accompagnais Martin pour aller chercher l'alcool,
c'était maintenant son nouveau rôle. Toute la soirée Matt s'est
défoulé. Nous étions tous trop faible pour le contenir alors nous
avons bu bien plus que de raison pour ne pas avoir à répondre de
ses actes et avoir une excuse à peu près valable.
Le lendemain matin nous sommes tous vite parti.
Le reste du week-end j'ai fait mes devoirs en les faisant durer afin
de ne pas réfléchir. C'est certainement le secret des prolétaires
pour ne pas voir le faîte qu'ils sont exploités : travailler pour ne
pas réfléchir.
Chapitre 6: Février
Le lundi matin tout le monde a fait comme si le jeudi et le
vendredi de la semaine passée n'avaient jamais existé. Tout était
faux, les mots, les gestes, les sourires, les regards. C'était
insupportable. Et pourtant moi aussi je souriais, comme beaucoup
font d'ailleurs, préférant s'amuser d'un mensonge plutôt que d'en
découdre avec la vérité. L'abandon au Spleen est toujours plus
facile que de lutter pour l'Idéal. Même si j'avais envie de me battre
l'envie de suffisait pas, il fallait encore la force, le courage et la
volonté, je n'avais aucune de ces choses aujourd'hui.
En cours Matt m'a dit que ses parents n'étaient pas chez lui de la
semaine et que je pouvais habiter chez lui en attendant si je le
voulais. Sans réfléchir, j'ai accepté. Donc le lundi soir j'ai fait mes
bagages (ce qui a été très rapide), j'ai prévenu mon oncle et le
mardi soir après les cours j'ai emménagé chez Matt. J'avais oublié
que Mary allait être là, lorsque je l'ai vu Matt a compris ce que j'ai
pensé et il m'a dit qu'elle ne répéterait rien à personne, donc qu'on
pouvait faire ce qu'on voulait.
Alors le soir, quand bien même les cours reprenaient le lendemain,
nous avons bu du whisky et fumé jusqu'à l'aube. Nous sommes
arrivés en cours en puant le tabac et l'alcool, sales, vacillants, et
pourtant joyeux comme jamais. J'avais retrouvé mon meilleur ami.
C'était de nouveau lui et moi, ensemble. Évidement je savais que
ce que je faisais était contre mes principes mais je m'étais promis
qu'après cette semaine je serai raisonnable jusqu'à la fin de
l'année. Le soir nous avons continué sur le même régime en
remplaçant les cigarettes par de la marijuana. Quand Matt a sorti
de l'herbe du tiroir de son bureau je n'ai même pas réagi, comme si
c'était normal, sauf que ça ne l'était pas.
Le jeudi matin c'était une nouvelle journée de débauche. Un
micro-quotidien c'était formé entre Matt et moi. Les jours se
ressemblaient mais ça aurait pu durer une éternité sans qu'aucun
de nous ne s'en plaigne.
Le vendredi soir nous avons été à la soirée. Tout, tous, toute et
toutes tournaient autour de nous. La soirée est passée très vite,
nous avons rit, chanté, hurlé et dansé. Tout ceci avec l'alcool
comme carburant. Sauf qu'à un moment donné c'est devenu le trou
noir, soit je me suis écroulé par terre ou alors mon esprit a préféré
censurer la fin de la soirée.
J'ai repris mes esprits dans le lit de Matt, je n'avais aucune idée de
comment j'avais atterri ici. J'ai regardé l'heure, il était quinze
heure, la journée était donc foutue. Je suis descendu dans le salon
et Matt m'a apporté quelques trucs à manger. Nous avons passé
l'après-midi à regarder des films des frères Coen. Puis vers vingtet-une heure nous avons été mangé à la pizzeria. Ensuite Matt m'a
dit qu'on allait aller s'amuser.
J'étais sceptique mais je l'ai tout de même suivi. Il m'a amené dans
un appartement où nous étions les plus jeunes, la moyenne d'âge
devait être de vingt-cinq ans. C'était là qu'habitait Tyler. Au début
nous avons ri tous les trois. Tyler avait beaucoup de charme, il
aurait pu faire acheter un vieux tacot six millions de dollars à
n'importe qui tellement il savait bien s'exprimer.
Au bout d'une demi heure, il m'a proposé d'aller me piquer à
l’héroïne mais j'ai refusé, donc Matt aussi. La musique était
affreusement forte, ce n'était pas de la musique d'ailleurs : c'était
du bruit. Je suis parti fumer une cigarette dehors puis, ne
retrouvant pas Matt dans l'appartement, j'ai demandé à Tyler qui
m'a indiqué une pièce au fond du couloir. J'y suis donc allé et j'ai
vu une dizaine de garçons qui violaient une fille qui était
complètement défoncée. J'ai refermé la porte et je suis parti.
Ensuite j'ai croisé Matt et nous sommes rentrés chez lui ensemble.
Évidement il savait ce que je pensais de tout ça. Nous n'avons pas
dit un mot, ce n'était pas nécessaire, nous savions déjà tout. Une
fois arrivé chez lui j'ai rapidement réuni mes affaires et je suis
rentré chez moi.
Dès que je suis arrivé chez moi j'ai pris une douche d'environ une
heure, je me sentais plus sale que jamais. Ensuite j'ai été dormir.
J'ai passé le samedi à dormir d'ailleurs, puis le dimanche à faire
mes devoirs.
Le lundi Matt est venu s'excuser. La bande m'a alors demandé ce
qu'il s'était passé. À la fin de chaque cours les professeurs m'ont
demandé ce que j'avais eu la semaine passé. Le soir mon oncle m'a
demandé pourquoi j'avais l'air si fatigué. J'ai répondu à Matt que
ce n'était rien, à la bande qu'il ne s'était rien passé, aux profs que je
n'avais rien eu et à mon oncle qu'on m'avait ennuyé toute la
journée. Il m'a répondu que j'avais oublié d'aller acheter des livres
vendredi dernier. Cela m'était complètement sorti de la tête. J'ai
alors pris conscience que Matt avait une très mauvaise influence
sur moi et que je devais dorénavant prendre garde si je ne voulais
pas passer de l'autre coté. J'avais des principes mais dès que Matt
était là j’oubliais tout et je me laissais entraîner.
Le mardi, la routine (comme la nature) a repris ses droits. La suite
de la semaine n'a été que des jours semblables. Matt délirait sous
LSD pendant que nous échangions des regards fatigués.
Le vendredi soir je suis allé avec Christy chez Sacha. Mauvaise
idée d'ailleurs que les deux se voient, mais je m'en fichais
complètement. Nous n'avons pas échangé un mot. Elle a essayé
d'engager la discussion en feignant que j'avais donné trop d'argent
pour démentir une seconde plus tard. Je ne me suis même pas
retourné. Ensuite nous sommes allés dans une librairie où Christy
a volé une dizaine de livres de poches.
Sur le chemin pour aller à la soirée, je l'ai entendu pousser un
léger rire, je me suis tourné vers elle et elle m'a dit :
– Pourquoi est-ce que t'achète encore des livres à Sacha ?
– Parce que ses prix sont imbattables.
– Moi ses prix je les bat avec ma méthode. Pourquoi ne pas
voler les livres dont tu as besoin ?
– Je sais pas trop. Peut-être qu'au fond de moi j'ai envi de
participer à la société de consommation. C'est comme ça que
marche notre système après tout.
– Il est daubé ton système et tu le sais bien. Pourquoi il faudrait
payer pour être cultivé ?
– Il faut bien payé pour que les auteurs continuent d'écrire. Si
personne n'achetait plus de livres, il n'y aurait plus
d'écrivains.
– Ouais mais toi t'as acheté des livres qu'à des types morts. Ils
en profitent pas de ton fric les cadavres et puis leur famille a
qu'à bosser au lieu de vivre sur le dos des macchabées.
– Bon je dois avouer que t'as raison Christy. Mais ça me fais un
peu flipper de voler tu vois. Je suis pas un voleur et j'ai été
élevé dans une famille catholique. Si toi tu peux dormir la
nuit avec ça sur la conscience tant mieux, mieux je peux pas.
Désolé.
– Fous-toi de ma gueule. Au début ça fait peur mais après tu
verras c'est très excitant, puis finalement ça devient aussi
stressant que de se laver les dents.
– Bon alors j'ai pas le choix. D'accord je vais faire comme toi
maintenant, mais seulement si tu viens avec moi.
– Ça marche.
– Et si je dois un jour acheter un auteur qui est encore en vie je
passerai par Sacha.
– Pas de problème.
Nous sommes arrivés à la soirée, c'était assez bruyant, plein de
petits groupes qui discutaient. Nous nous sommes assis vers Jean
et Martin, j'ai commencé à parler des cours et Jean m'a dit de la
fermer parce que c'était les vacances. Je n'y avais même pas pensé
mais effectivement c'était les vacances. Cependant je ne ressentais
pas le besoin de vacances, j'étais en forme et j'aurais pu faire
encore deux ou trois semaines de cours.
Nous discutions maintenant de ce qu'on allait faire pendant les
vacances. Je n'ai pourtant aucune idée de ce qu'ils ont dit parce
que je n'ai pas du tout écouté. Je regardais Matt qui parlait, debout,
avec deux garçons et une fille. Ils avaient l'air très sérieux. Je me
suis alors tourné vers Martin :
– C'est qui les trois qui parlent avec Matt ?
– La fille c'est Jamy et les deux types Johnny et Bobby.
– Je m'en fout de comment ils s’appellent. Il fait quoi Matt
avec eux ?
– Bah ils montent un groupe.
– Groupe de quoi ?
– De musique. Matt m'a demandé quelques conseils pour
chanter. Il m'a dit qu'il allait rejoindre un groupe. Leur groupe
s'appelle Room Window.
– Et ils vont jouer où ?
– Au bar de Paul : L'étalon italien, tous les samedis soir à partir
de la semaine prochaine.
J'étais cloué. Personne ne m'en avait parlé. Ils n'avaient vraiment
pas l'air d'un groupe. Les deux garçons étaient petits et gros, la
fille était blonde et sale (même si elle était attirante) et Matt lui
était un grand fauve tout de cuir vêtu. Ils n'avaient vraiment rien
en commun. J'étais toutefois décidé à aller les voir jouer la
semaine prochaine. Parce que c'était mon pote. Parce que j’aimais
ce bar. Parce que j'aimais la musique. Parce que je voulais
contempler cette fille sans avoir l'air d'un pervers. Parce que j'aime
faire ce que je veux même si pour cela je dois trouver des
prétextes bidons.
Cette nouvelle avait fait battre mon cœur à cent à l'heure même si
ça m'étonnait autant que lorsque je vois le soleil se lever à l'aube.
J'ai donc prit la bouteille de whisky et je suis allé boire tout seul
dans mon coin. Le lendemain la propriétaire de l'appartement m'a
viré à coups de balais.
En rentrant chez moi j'ai pris une douche puis j'ai commencé mes
devoirs afin de pouvoir passer le reste de mes vacances
tranquillement.
J'ai fait durer mes devoirs jusqu'à samedi. Tout était vraiment
parfais, j'allais avoir les meilleurs notes de la classe sans aucun
doute. J'ai également rédigé quelques thèses sur la relation entre
les fans et les idoles.
Le samedi je suis allé à L'étalon italien seul avec Christy parce
que Jean et Martin était parti en vacances à la montagne, à leur
grand regret d'ailleurs. Le ski est une chose totalement absurde, il
s'agit de descendre une pente pour la remonter ensuite et
recommencer. Les gens qui vont faire du ski s'afflige la même
punition que celles des dieux à Sisyphe, sauf qu'ils le font par
choix et de bon cœur. Les parents de Matt y étaient également
mais lui avait préféré resté chez lui.
Nous sommes arrivés à dix-neuf heures trente, le concert
commençait à vingt heures. Le bar était bondé (principalement des
jeunes filles, enfin de mon âge quoi), je suis entré en suivant
Christy qui poussait les gens pour se faire un chemin. Nous avons
ensuite attendu qu'un groupe de jeunes aillent fumer dehors et
nous nous sommes assis à leur table. Nous avons commander deux
bières, Christy avait atteint le bon âge deux jours avant.
Finalement Room Window est arrivé à vingt heures trente. Les
instruments étaient déjà près sur la petite scène. Les trois premiers
se sont mis en place, Jamy était donc guitariste, et les deux autres
garçons étaient au synthétiseur et à la batterie. Je ne savais jamais
lequel était Bobby et lequel était Johnny.
Lorsque Matt est monté sur scène toutes les filles se sont mises à
crier, sauf Christy bien entendu. Ensuite pendant quatre heures ils
ont fait des reprises de The Doors qui n'étaient pas si mal
d'ailleurs, Matt avait réussi à modifier sa voix en buvant une
gorgée de whisky entre chaque chanson. Il était habillé tout en cuir
avec un t-shirt blanc, finalement à la fin du concert il était torse
nu, brillant de sueur. La soirée s'est terminé après que Matt se soit
évanoui sur scène, complètement ivre. Tout le monde était très
satisfait par le concert, Paul, le groupe, les gens qui étaient venus,
tous, sauf Christy et moi parce que nous savions que Matt s'était
enfoncé un peu plus encore dans on se savait plus trop quoi.
Le bar a mis une trentaine de minutes à se vider. Christy et moi
sommes restés silencieux pendant ce temps, puis nous sommes
partis en se souhaitant respectivement de bonnes vacances.
Lorsque je suis rentré chez moi j'ai vu le sac de livres posé sur
mon bureau. Demain allait commencer mes lectures. Après une
bonne nuit de sommeil je commençais directement par Le Procès
de Franz Kafka.
Ce livre m'a beaucoup plu. Ce pauvre Monsieur K. qui tente en
vain de comprendre cette machination, pris au piège par un
système absurde qui le rend totalement impuissant, lui qui joue à
un jeu sans en connaître les règles. Finalement il est dès le début
condamner, comme chaque personne. Malgré la révolte que
j'éprouvais devant l'absurde je ne pouvais m'empêcher de sourire
de la fatalité parfois, comme lorsque chaque fois que K. fait
quelque chose on lui dit que cela ne jouera pas en sa faveur.
L'écriture de Kafka était génial, j'avais l'impression qu'il écrivait
d'un seul jet, que son encre était du talent pur, qu'il allait chercher
à la source sans la traiter d'aucune façon.
Cette lecture me prit la journée. Le lendemain je lisais Le Pigeon
de Patrick Süskind.
J'ai trouvé ce livre extrêmement drôle. L'histoire de ce Jonathan
qui voit sa vie bouleversé par un pigeon. Sa vie était tellement
vide et bien réglée qu'un simple pigeon suffisait à bouleverser sa
vie. Et L'homme passe alors une journée monstrueuse, dort à
l’hôtel, puis prend son courage à deux mains pour revenir le
lendemain chez lui pour affronter le pigeon, mais celui-ci n'est
plus là.
Süskind met en dérision avec humour la quotidien, la peur du
changement quel qu'il soit et le fait de faire un gros problème de
ce qui n'en est même pas un.
Le livre qui suis m'a prit jusqu'à la fin des vacances. C'était le
mythique Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.
Il n'y a pas beaucoup de chose à redire à l'histoire, c'est celle de
Céline. On apprend comment avec ses expériences il a pu tirer des
conclusions générales sur la guerre, la nation, la colonialisme, le
capitalisme, le travail à la chaîne, etc...
L'écriture en langage familier était nouvelle pour moi, je n'avais
vraiment jamais lu ça. On peut penser que c'est plus facile d'écrire
comme on parle mais c'est entièrement faux. Céline, comme
Voltaire, se fait passer pour plus naïf qu'il ne l'est pour renforcer le
fatalisme. C'est un pur génie de l'écriture. Je n'avais jamais été
face à un style aussi présent auparavant. Après ce livre on
comprend que Céline n'a plus rien à apprendre sur la vie, l'amour
et la mort.
Le samedi soir je suis retourné voir Room Window, simplement
parce que je ne savais pas quoi faire. Paul a bien voulu
m'approvisionner en bière toute la soirée malgré que je n'avais pas
l'âge requis. Matt payait pour moi.
Ce soir là Matt a prit plus de liberté, il fumait également des joints
en plus de boire du whisky. Tyler était présent avec plusieurs de
ses amis et amies, Matt lui faisait énormément de pub puisqu'il
testait le produit devant plusieurs dizaines de personnes.
La soirée s'est finie après que Matt se soit écroulé par terre, vers
une heure du matin cette fois. Après ça je suis rentré chez moi, j'ai
été dormir puis j'ai tenté d'écrire un article sur Céline, en vain.
Je n'ai pas réussi à dormir de la nuit tellement je continuais
d'essayer de mettre des mots sur Céline mais je crois que ce livre,
cette longue suite de mots, dépassent les mots. Lorsque j'entendis
les trois coups de trois heures du matin je compris aussitôt que la
reprise des cours allait être dure.
Chapitre 7: Mars
Le lundi matin, j'ai failli arriver en retard au premier cours. De
toute la journée je n'ai rien fait ni rien dit, j'étais vraiment trop
fatigué. Ça me gonflait d'être crevé. J'ai rendu les devoirs que je
devais rendre. Je n'avais rien à corriger pendant les corrections
puisque tout était juste.
Je décidai que j'allais montrer tout ce que j'écrivais à la
professeure de français. À la fin du cours, je lui donnai plusieurs
pochettes où il y avait une ou deux centaines d'articles sur tout et
n'importe quoi mais toujours sur les gens. Je suis asocial qui
travaille dans le social.
La journée du mardi fut ennuyante à mourir. Nous étions en visite
au journal local. Nous avions la possibilité de parler aux
journalistes, aux correcteurs et au rédacteur en chef. J'écoutais
donc parler un journaliste qui me racontait qu'il avait conscience
que ses articles parlaient de potins sans importance mais que le
travail était tranquille et son salaire pas trop mauvais.
Ensuite il me ficha la paix et je vis Matt qui parlait avec une
correctrice. Évidement ils devaient parler de tout sauf du journal.
Elle avait environ la quarantaine et était obnubilé par Matt qui
souriait naïvement. C'était un enfant qui jouait.
En sortant du journal je lui ai demandé :
– Vous parliez de quoi ?
– Bah elle m'a vu dans le bar du coup elle aimerait rédigé un
mini-article sur moi dans son torchon. Parce que les
correcteurs ont le droit de proposer des articles pour le
journal, en tout cas elle, elle peut.
– Et t'as accepté ?
– Bah oui. Je vois pas pourquoi j'aurais refusé. Et comme ça
peut-être qu'il y aura des adultes la prochaine fois qu'on
jouera, j'avoue que les hurlements des adolescentes
commencent à me lasser.
– OK. L'ambiance est bonne dans le groupe ?
– Oui oui très bonne même, tout se passe très bien.
– Je pourrais passer un samedi avec vous avant et après le
concert ?
– Pourquoi ?
– Pour écrire un papier dessus.
– OK. C'est bizarre, je pensais que tu désapprouvais ce groupe.
C'est pas le cas?
– Si mais je vais pouvoir m'en faire une vraie idée comme ça et
qui t'as dit que je comptais écrire une éloge ?
– Rien. OK. Pourquoi pas.
Même si le mercredi il ne se passa rien, le week-end que j'allais
passer allait être plein. Le vendredi je devais aller à la librairie
avec Christy, puis à la soirée, mon samedi serait prit avec le
groupe et mon dimanche pour mes devoirs.
Le jeudi la professeure de français me rendit ma pochette.
– C'est très bien ce que tu écris, très intéressant.
– Merci.
– Tu pourrais peut-être publié ça dans un journal, tu pourrais
avoir une sorte de chronique.
– Je ne sais pas trop quel journal voudrait de ça.
– J'ai une amie qui travail dans un journal qui pourrait chaque
mois te laisser un peu de place pour tes articles.
– Ouais pourquoi pas.
– En plus ça pourrait te faire un peu d'argent. Tes notes sont
très bonnes, tu auras sûrement ton diplôme avec mention et tu
bénéficieras d'une bourse. Ça pourrait te permettre de ne pas
avoir à travailler à l'université.
– Ce serait pas mal en effet.
– Tu vas où l'année prochaine ?
– J'en ai vraiment aucune idée. Peut-être en sociologie ou en
lettre.
– Réfléchis bien avant de te décider, tu pars pour cinq ans
minimum.
– D'accord.
C'est étrange quand même que cette prof ait lu si vite mes papiers.
J'en ai tiré une certitude, soit les profs sont des menteurs ou alors
ils ne foutent rien de leurs week-ends.
J'ai surtout retenu que cinq ans, c'était trop. Comment je pourrai
tenir cinq années de cours encore ? Voici qui allait plomber ma fin
de semaine et peut-être même ma vie.
Je n'ai pas dormi de la nuit. Je n'avais aucune idée de ce que je
voulais faire de ma vie. L'idéal pour moi se serait de pouvoir
passer mes journées à lire et écrire ou observer les gens et écrire
un papier dessus ou encore mieux même : ne rien faire. Ne rien
faire, vraiment ce serait le mieux, je crois que c'est le but ultime de
la vie de chacun. Les gens normaux travaillent pour pouvoir
glander tranquillement une fois arrivés à la retraite.
Le vendredi, la dernière journée de la semaine pour la plupart des
gens du lycée était mon véritable début de semaine. Je n'allais pas
rattraper mes heures de sommeils perdues pendant le week-end.
La journée de cours fut longue. Les cours étaient inintéressants.
J'apprenais beaucoup plus de choses en lisant tranquillement chez
moi, ici soit les profs n'allaient pas assez vite ou alors des élèves
ralentissaient le passage à une nouvelle leçon parce qu'ils ne
comprenaient pas. À la fin de la journée, lorsque la sonnerie
retentit, ce fut pour moi une énorme libération. À peine je me levai
de ma chaise que Christy vint en face de moi et me dit :
– Alors on y va ?
– Laisse-moi me lever, sortir, aller pisser, me laver les mains,
en serrer d'autres, fumer une cigarette et on y va.
– Parfait.
Nous étions dehors. J'étais assis sur un banc à coté du lycée, je
fumais tranquillement, Christy se tenait devant moi. Elle était
surexcitée. Enfin elle allait emmenée quelqu'un dans son monde,
et peut-être que cette personne allait le comprendre. En voyant son
visage il était clair qu'elle ne volait pas juste pour ne pas payer ses
livres. Pour elle ça avait une saveur particulière. Peut-même qu'en
faîte elle était accroc au vol, j'avais entendu dire que ça existait.
Cette fille était à la fois complètement folle et diaboliquement
intelligente. Je la voyais regarder toutes les cinq secondes si je
n'avais pas fini ma cigarette, lorsqu'il n'en restait plus qu'environ
un quart elle s’excitait de plus en plus. Pour abréger ses
souffrances je l'écrasai contre le talon de ma chaussure et nous
sommes partis.
– Bon alors t'as quoi sur ta liste Tom ?
– Anthony Burgess, Jean Giraudoux et Von Goethe.
– Que des bons. Ils sont tous morts donc on les vole tous. T'as
assez de place dans ton sac de cours pour mettre trois livres ?
– En serrant un peu oui. Et puis on peut mettre trois ou quatre
voitures dans un Eastpak.
– Vrai et parfait.
Nous sommes entrés dans la librairie de la vieille dame, elle
regardait la télévision, ce qui nous laissait le champ libre. Il n'y
avait toujours pas de portiques de sécurités. J'ai d'abord suivi
Christy qui a été prendre ses livres très calmement et
naturellement. Moi je stressais pour deux. Après elle m'a prit la
main jusqu'au rayon des romans, celui qui me concernait.
– Christy, tu peux pas le faire pour moi s'il te plaît ? Juste pour
cette fois.
– Hors de question.
Je me suis alors dépêché de prendre les trois livres dont j'avais
besoin, en les faisant toutefois tombé deux fois chacun et en
peinant pour ouvrir et fermer mon sac. Nous nous sommes ensuite
dirigés vers la sortie. Christy souriait aux anges tandis que moi je
baissais les yeux. Nous passions la sortie lorsque la dame nous
demanda : « Vous êtes sûres que vous ne voulez pas de sacs ? ». Je
me suis tout de suite mis à courir pendant que Christy riait en
marchant tranquillement, elle ne s'était même pas retournée.
Nous sommes ensuite allé à la soirée. Matt était déjà là, avec
Tyler. Ils planaient tous les deux sous LSD dans le jardin. Martin,
Jean, Christy et moi nous nous sommes assis sur la canapé, à boire
et boire encore. J'ai alors demandé si ils savaient déjà où ils iraient
l'année prochaine, ils le savaient tous. J'étais enfaîte le seul à ne
pas avoir encore avoir d'avenir. La nouvelle me déboussola. Je
sortis dehors fumer et boire. Matt vint me voir, il me réconforta
comme il put puis je rentrai dormir chez moi vers trois ou quatre
heure du matin. Le lendemain je devais rejoindre le groupe à
quatorze heure. Donc je dormi jusqu'à midi.
Le temps de me laver, de manger un morceau et je suis parti. Je
rejoignis Room Window devant la maison de chez Matt. Ils étaient
tous ici à m'attendre. Finalement je me rendis compte que je
n'avais rien pris pour écrire, chose que je n'ai pas dite car elle
aurait fait mauvaise impression pour une première rencontre avec
le groupe.
Nous nous sommes assis dans le salon et Matt a distribué la liste
des morceaux, dans l'ordre chronologique, qu'ils allaient jouer ce
soir. Les visages de Bobby et Johnny n'exprimaient rien. Ils
écoutaient poliment, ni heureux ni malheureux. On aurait pu les
remplacer par un disque sur scène. Ils ne servaient à rien. Jamy,
elle, regardait Matt en le dévorant des yeux, un sourire admiratif
aux lèvres. Elle était un peu baisser, les coudes sur ses genoux. La
vision qu'elle avait de Matt, en contre-plongée, devait donner un
merveilleux plan pour elle.
Ensuite Matt a commencé à parler à parler de ce qu'il contait faire
pendant chaque morceau. Il savait dans quel état il serait à chaque
moment, il prenait tout en compte : le publique, l'alcool, les joints,
le LSD. C'était étrange d'entendre ça alors que sur scène j'avais
l'impression que tout était improvisé, c'était finalement un chaos
maîtrisé.
Matt dirigeait tout. Il n'était pas seulement le leader du groupe, le
groupe, c'était lui. Johnny et Bobby approuvaient tout, ils savaient
que sans Matt aucun bar ne voudrait d'eux, ni même personne.
Jamy était très heureuse, elle ne prononçait pas un mot de peur
que Matt ne soit pas d'accord. Moi pendant ce temps je notais tout
dans ma tête, je ne voulais pas en perdre une miette.
Après ça nous avons mangé. Puis nous nous sommes rendus au
bar, par la porte de derrière. Les trois musiciens réglaient leurs
instruments et Matt discutait avec Paul de la façon dont la soirée
allait se dérouler.
Il n'y avait pas beaucoup de monde dans le bar. Seulement des
ivrognes du genre à insulter les adolescents de pédés et les
adolescentes de salopes.
Puis une journaliste est venue. Les trois autres membres du groupe
ont commencé à s'approcher mais elle leur a dit qu'elle ne voulait
parler qu'avec Matt. Je suis alors rentré chez moi.
J'ai rédigé tout ce que j'avais vu puis je suis retourné à L'étalon
italien. J'ai joué des épaules pour rentrer, j'ai appelé Paul pour
avoir une table, je me suis assis, j'ai commandé un verre, puis j'ai
observé ce qui se passait sur scène.
Matt suivait son plan à la lettre. Les autres jouaient normalement.
À la fin du concert j'ai attendu que la salle se vide puis j'ai rejoint
le groupe. Paul a alors fermé la bar pour que le groupe puisse
boire un verre tranquillement. Bobby et Johnny ont pris un soda,
Jamy et moi une bière, et Matt un whisky. Ils ont bu calmement
puis Johnny et Bobby sont partis de leur coté et Jamy et Matt du
leur. Moi je suis rentré chez moi en pensant que ça n'avait pas valu
le coût de revenir ce soir.
Le lendemain, dimanche, j'ai passé ma journée à faire mes devoirs.
Je n'ai même pas pu commencer de lire une seul ligne d'un de mes
livres.
La semaine se passa ensuite très vite. C'était un semaine
d’évaluations. Chaque soir lorsque je rentrais chez moi c’était
pour me replonger dans mes cours. Je ne pouvais pas respirer
l'odeur du printemps qui arrivait, je devais relire des cours qui ne
m'intéressaient pas. Je n'avais pas une minute de disponible pour
lire mes livres. Le vendredi soir à la fin du dernier contrôle toute
la classe a poussé un long soupire.
Nous sommes sortis tous les cinq et Jamy nous à rejoint à la sortie
du lycée. Nous étions donc six. Sur le chemin pour aller à la soirée
personne n'a dit un mot. La présence de Jamy, que nous ne
connaissions pas (hormis Matt) jetait un froid. Nous n'avions rien
contre elle mais personne ne voulait parler de choses personnelles
devant une inconnue. Jamy et Matt se tenaient la main. C'était
donc la nouvelle conquête de Matt. Je ne sais pourquoi je n'y avais
pas pensé, c'était logique après tout. D'ailleurs cela n'étonna
personne. Martin et Jean faisaient comme si de rien n'était.
Christy, elle, cachait sa souffrance derrière faux-sourire ou peutêtre que je me faisais un film.
La soirée fut banale, je parlait avec Jean, Martin et Christy tandis
que Matt et Jamy avaient disparu dans la chambre des parents de
la personne qui organisait la soirée. Nous avions tous besoin de
décompresser après cette rude semaine, donc aucun alcool fort. La
conversation n'était pas à un haut niveau, d'habitude nous parlions
de sujets d'actualité, de politique ou d'écrivains. Cette fois nous
plaisantions sur tout et rien, comblant chaque blanc par des idées
noires.
Le lendemain lorsque je suis rentré chez moi je me suis écroulé
sur mon lit pour lire confortablement. J'ai bâclé mes devoirs avant
midi et j'ai commencé par lire Les souffrances du jeune Werther de
Goethe.
L'histoire était assez classique. Le titre résume très bien le roman,
une jeune homme, Werther, qui souffre, trop, et qui se suicide. Je
me suis douté très vite que Werther allait se suicider, et, vu comme
il souffrait et me faisait souffrir, c'était ce qu'il pouvait faire de
mieux. J'avoue ne pas avoir aimé ce classique. De toute façon le
romantisme est un mouvement que j'ai beaucoup de mal à
apprécier, certainement parce que je ne m'identifie pas du tout au
personnage, baignant dans le nihilisme de ma génération.
J'ai ensuite lu La guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean
Giraudoux. J'ai adoré, l'écriture de Giraudoux est géniale, très
habile et très agréable. Son talent a argumenter également, normal
pour un diplomate. J'ai particulièrement aimé la huitième scène de
l'acte deux. Ce débat entre Andromaque et Hélène sur l'amour où
leur philosophie différente s'affronte sur un terrain où aucune des
deux ne peut avoir raison parce les sentiments ne se discutent pas.
L'autre scène qui j'ai beaucoup aimé, et que j'ai le plus relu, est la
treizième de l'acte deux, le dialogue entre Ulysse et Hector. Je
pense que tout le génie de Giraudoux est là. Il reprend brillamment
le thème du héros (Hector) qui lutte contre sa destiné et qui
finalement s'y résigne. Même s'il est sûr qu'il va perdre, comme à
mon avis tous les lecteurs ou spectateurs j'ai espéré de tout mon
cœur qu'il réussisse. Je crois que c'est la scène de théâtre que je
préfère.
Pour finir ce fut le tour de L'orange mécanique d'Anthony
Burgess. J'avais déjà vu le film réalisé par Stanley Kubrick et je
l'avais trouvé très bon. D'ailleurs tous les adolescents ont vu ce
film. C'est une sorte de passage obligé, un peu comme la drogue,
la cigarette et l'alcool. Ou même comme Requiem for a Dream,
Fight Club ou Trainspotting. Personne n'y échappe, ou alors il faut
être un ermite.
L'écriture de Burgess est monumentale. Il maîtrise la langue et
même les langues comme personne et récrée même tout un
langage dans le livre, le nasdat. Au début j'ai trouvé le livre
difficile à lire, il fallait voir ce que les mots signifiaient dans le
lexique de la fin du livre. Mais au bout d'un certain moment ce
n'est plus du tout une contrainte parce que l'on connaît la langue.
Lire ce livre, c'est devenir bilingue. J'ai d'ailleurs prit l'habitude de
penser dans cette langue depuis.
Une chose m'a surprise, la dernier chapitre. Il n'y est pas dans le
film. Après m'être renseigné j'ai appris que Stanley Kubrick ne
l'avait pas dans sa version du livre. Pourtant je trouve qu'elle est
très importante parce que l'on voit qu'Alex Delarge n'est pas un
garçon qui allait être violent jusqu'à la fin de ses jours. C'était juste
une passade de l'adolescence. L'adieu qu'il fait tout à la fin m'a
presque fait pleurer, je ne voulais pas couper les ponts avec ce
personnage. Mais je me suis fait une raison parce que la suite c'est
celle de n'importe qu'elle adulte. Il faut aussi évidement parler de
la déshumanisation de l'homme, thème important de ce livre mais
je crois que tout le monde en a parlé assez comme ça, ce qu'il faut
simplement retenir c'est qu'un homme mécanique ou qui n'a pas de
sentiment n'est pas un homme, classique. D'ailleurs si Kubrick
avait réalisé, comme il le voulait, A.I. Intelligence artificielle, il se
serrait contredis puisque le film montre qu'un robot peut être plus
humain qu'un humain.
La semaine suivante a été celle de la remise de nos devoirs. Toute
la bande avait eu de bonnes notes, excepté Matt. Il s'en fichait
d'ailleurs, lorsque je lui demandai ce qu'il en pensait il me répondit
que « les notes ça n'étaient que de l’encre sur du papier ». À
présent Jamy faisait en quelque sorte parti de la bande. Elle nous
écoutait parlé mais nous n'avons jamais entendu le son de sa voix,
si ce n'est pour dire des banalités de couples à Matt. Ils avaient
l'air heureux ensemble et finalement ce n'était pas une mauvaise
fille malgré son look un peu étrange. Ils formaient un couple peu
commun, lui avec ses vêtements de cuirs et elle branchée glam
rock. Imaginez ce qu'aurait donné Jim Morrison en couple avec
David Bowie travesti pour avoir une idée du tableau.
Le vendredi soir je n'avais pas le moral pour aller à la soirée alors
j'ai réfléchis sur la relation entre le cinéma et la littérature.
Évidement la littérature était une source sûr pour faire un film,
logique même, c'était un scénario quasiment déjà écrit. Ma
réflexion a dévié et dévié encore et je me suis dit que lire un livre
c'était réaliser un film dans sa tête. Lorsque nous lisons un livre, il
n'y a aucune image, donc le lecteur pour tout choisir, il est libre. Il
prend les personnes qu'il veut pour faire les personnages, les
décors qu'il veut, les positions de la caméra, les constructions de
plans, les costumes etc... Ce qui limite son pouvoir ou sa liberté
c'est l'écrivain qui décide, en faisant des descriptions, d'imposer
des choses au lecteur. Je crois que c'est pour ça que les gens en
général n'aiment pas trop les descriptions, parce que l'écrivain
empiète sur leur territoire et leur créativité.
On retrouve la même chose dans le cinéma. C'est pour ça que tout
le monde préfère en général le livre au film. Car le réalisateur n'a
pas réalisé le livre de la même façon que nous dans notre tête. Il
existe autant d'adaptations en films d'un roman que de personnes
qui le lisent. Le réalisateur nous montre ce qu'il s'est passé dans sa
tête pendant sa lecture. Le cinéma c'est une sorte de dictature
parce que le réalisateur ne laisse aucune liberté au spectateur. Mais
c'est très intéressant de voir comme un réalisateur, donc une autre
personne, a lu le livre.
Certaines personnes sont mécontentes lorsque le film n'est pas
fidèle au roman. Je pense au contraire que c'est très important, si
le réalisateur respecte le roman alors il n'y pas lieux de faire un
film, les spectateurs n'ont qu'à lire le roman. Illustrons ceci par
exemple : The Shining de Stanley Kubrick, le film ne respecte pas
le roman de Stephen King, et pourtant il est tout simplement
énorme, mieux que le livre d'ailleurs.
J'ai passé tout mon samedi à écrire des observations de ce genre,
ce qui m'a permis d'apprendre à aimer les réécritures aussi bien
que les œuvres originales. Puis j'ai encaissé mon dimanche à faire
mes devoirs.
Ces réflexions me donnaient envie de faire du cinéma mon métier,
de devenir réalisateur pour montrer au gens comment j'ai lu un
livre. Ou écrire des scénarios pour voir comment un cinéaste
l'imaginerai. L'expérience me semblait très intéressante. Je crois
avoir trouvé le métier que j'aimerai exercer, même si c'est au fond
assez mégalo.
J'ai d'ailleurs fait mes vœux pour l'année prochaine en cinéma,
lettres modernes, droit, et information-communication. J’espérais
vraiment être pris dans un des ces domaines sinon ma vie serait
vraiment foutu.
La dernière semaine du mois mars commença pas une nouvelle
inattendu et pourtant très attendue. Matt et Jamy avaient rompu
pendant le week-end. C'est Martin qui m'avait raconté ça parce
que de la bande c'était lui le plus proche du groupe. Le samedi soir
Matt et Jamy avaient décidé de ne pas aller jouer au bar pour
passer la nuit ensemble. Le lendemain Johnny et Bobby les ont
appelé pour les virer du groupe. Ils ont ensuite rappelé Paul qui les
a viré puisque Matt n'était plus là. Mais comme il n'y avait plus de
groupe Matt et Jamy n'avaient plus de lien, ils se sont séparés d'un
commun d'accord. Surtout que Matt avait déjà fait quelques
infidélités avec des amies de Tyler.
Le lendemain toute la bande avait déjà oublié cette histoire.
Personne dans la bande n'avait jamais adoré le groupe. Le fait que
Matt s'en désintéresse a eu pour effet de nous rapprocher. Il
n'arrivait plus en retard en cours, ou ivre, ou drogué. Seulement
j'avais l'impression que Jamy avait emporté une partie de lui avec
elle. Il ne parlait plus, ne riait plus, ne souriait plus.
La semaine passa vite, tant mieux d'ailleurs.
Le vendredi soir je passais la soirée avec Matt, nous étions à
l'écart de la bande, et il me dit tout. Que tous les samedis soirs il se
droguait avec Tyler, que maintenant c'était une habitude, comme
se laver les dents. Qu'il n'en à jamais rien eu à faire du groupe.
Qu'il ne pouvait plus aimer, enfin dans l'hypothèse où il avait déjà
aimé. Que Jamy avait emporté avec elle tout l'amour qu'il aurait
pu donner à une autre. Qu'il avait fondé trop d'espoir sur elle. Que
c'était fini. Que c'était elle qui l'avait quitté. Au bout d'un moment
l'alcool l'a mit par terre. Je l'ai donc ramené jusque dans un lit.
Deux minutes plus tard une fille vint s'allonger se blottir contre
lui. Je n'avais pas le courage d'aller la chasser, j'étais trop fatigué,
et puis elle ne faisait rien de mal.
Le week-end je l'ai passé à faire mes devoirs dans mon lit. Le
printemps n'était là qu'officiellement malgré son odeur qui flottait
dans l'air. J'avais la sensation que lorsque le soleil reviendrait mes
batteries se rechargeraient et que j'aurais l'énergie nécessaire pour
faire plus de choses.
Chapitre 8: Avril
Le lundi, les premiers rayons de soleil sont arrivés.
Pour encaisser la perte du groupe et surtout de Jamy, Matt était
passé au niveau supérieur de la drogue. Le LSD n'était plus assez
fort pour lui, il s'était maintenant mis à l’héroïne et la cocaïne. Il
ne voulait absolument plus penser. La drogue était devenue pour
lui un moyen de compenser un vide dans sa vie. Il avait prit
conscience de ce vide lorsque je lui avais fait découvrir Jim
Morrison. Depuis, pour ne pas repenser à ce vide il avait dû
recourir à un moyen de le combler. Il y avait eu les filles, l'alcool,
la cigarette, la marijuana, le shit, le LSD, le groupe, la dernière
chance avait été Jamy. Toujours dans l'axe de Morrison, il avait
trouvé un nouveau moyen. J'essayais de lui en parler mais il ne
pouvait rien entendre, il n'était pas en état. C'est certainement
aussi pour ne pas m'entendre qu'il se mettait dans cet état. Le
problème était de savoir ce qu'il pourrait bien faire par la suite.
Dans qu'elle période il pourrait bien se lancer ? Je n'en avais
aucune idée et c'est ce qui m'effrayait.
Les cours étaient ennuyeux au possible mais je me découvrais
acteur en simulant d'y être intéressé en posant des questions. J'ai
même fait illusion devant toute la bande. À la fin du cours de
français, plus tard dans la journée, j'ai été discuter avec la
professeure de français.
– Bonjour Tom.
– Bonjour madame. Je crois avoir trouvé ce que j'aimerais faire
plus tard. C'est très réfléchis croyez-moi. J'aimerai travailler
dans le cinéma. Être réalisateur ou scénariste, mais pas les
deux.
– Mais c'est pas des métiers ça.
– Comment ça ?
– Tu ne peux pas gagner ta vie en faisant ça. En plus tu n'as
jamais été en cours de cinéma audiovisuel.
– Mais beaucoup de réalisateurs n'ont fait aucune école de
cinéma. Pourquoi pas moi ?
– Parce que. C'est comme vouloir être artiste. Tu vas te
retrouver SDF sur Hollywood Boulevard. Non, ce que tu
devrais faire c'est une université de lettres modernes. Tu es
bien parti et avec t'es notes tu y seras facilement. Trouves-toi
un vrai métier et ensuite tu pourras réaliser tes films ou écrire
tes scénarios le week-end.
– Mais ce n'est pas ce que je veux faire.
– Mais c'est ce que tu feras.
Sur ces mots je suis parti, blasé. Ma semaine était foutue. La seule
personne avec qui je pouvais parler de cela sans qu'elle se moque
de moi était Matt. Je lui expliquais ce qui m'attirait dans le cinéma
et racontais la discussion que j'avais eu avec la professeure. Il
m'écoutait calmement, puis me dit de faire ce que je voulais après
tout, c'était ce que lui faisait et il n'en avait pas encore eu à se
plaindre.
La semaine est passée vite. Le vendredi soir Christy et moi
sommes allés voler les livres dont nous avions besoin. Je fus très
confiant cette fois-ci, je tremblais juste assez pour ressentir du
plaisir. Christy prit une dizaine de livres, ce qui était sensé
l'occuper durant toute les vacances. Je fus plus modeste, je pris
quatre livres, un de plus que d'habitude. Pour une raison simple
d'ailleurs, je voulais avoir chaque livre de Thomas Harris où était
mentionné Hannibal Lecter. Mon choix étonnait Christy, elle me
rappela que je devais acheter les livres d’auteurs encore en vie.
Elle avait raison et moi lassé alors je lui ai dit : « la prochaine fois,
promis ».
Ensuite nous nos sommes rendus à la soirée. Je n'ai rien dit aux
autres de mon envie de travailler dans le cinéma par peur des
moqueries. Pendant la soirée j'ai aperçu Matt qui était dans la salle
de bain, il allait se piquer. J'ai pris sa seringue, sa cuillère, sa
saloperie et j'ai jeté tout ça par la fenêtre de l'appartement. Il s'est
excusé du regard et est parti dans la nuit. Je ne me faisais aucune
illusion, il allait rechercher sa dope. Pourtant il n'est pas revenu.
J'ai bu un dernière bière et je suis rentré chez moi sans prévenir
personne. De toute façon je les reverrais à la rentrée, dans deux
semaines.
Lorsque je fus dans mon lit, aussitôt je ressentis dans chacun de
mes muscles que j'étais bel et bien en vacance. Je ne savais pas
trop ce que j'allais bien pouvoir faire de mes vacances, mais pour
l'instant je n'en avais rien à faire. Je voulais juste dormir.
J'allais commencer ces vacances par lire les livres que j'avais volé.
La première question que je me suis posé, c'est celle que tous les
pères se posent lorsqu'ils veulent que leurs enfants voient les Star
Wars : faut-il les voir dans le sens de leurs sorties où dans l'ordre
chronologique des événements ? J'ai décidé de les voir par date de
sorties. N'y voyez là aucune réflexion, plutôt un manque de
courage pour réfléchir.
Je commençais donc par Dragon rouge de Thomas Harris. Je n'ai
jamais été fan des policiers mais j'ai beaucoup aimé celui-ci. Il y a
une tension insupportable mais très excitante. À la fin du livre j'ai
poussé un long soupire, pas parce que je n'ai pas aimé mais parce
que j'étais content que la torture de Will Graham s'arrête. On
remarque que chaque page le pousse un peu plus vers ses limites.
Si bien qu'une page de plus et il aurait craqué. Du moins c'est mon
point de vue. Je n'ai pas été déçu du fait qu'il n'y est presque pas
Hannibal Lecter. Peut-être qu'il y serait davantage dans le
prochain.
Et le prochain, c'est maintenant : Le silence des agneaux. Livre
devenu mythique grâce au film de Jonathan Demme avec Jodie
Foster et Anthony Hopkins. Cette fois Hannibal était beaucoup
plus présent. Il devient même presque un gentil grâce ou à cause
du docteur Chilton. En lisant ce livre j'ai été pris de quelque chose
qui ne m'était jamais arrivée. Dans le livre il y a une sorte de
compte à rebours avant que Jame Gumb ne tue Catherine Martin.
J'étais à une cinquantaine de pages de la fin du livre et il était trois
heures du matin. J'ai fermé le livre et je me suis couché. J'ai
attendu dix minutes et je savais que je ne pourrais pas dormir
parce que demain il serai trop tard, Catherine Martin serait morte.
Dans une geste héroïque j'ai ouvert le livre pour le finir. J'étais
incroyablement fatigué mais j'avais l'impression que j'avais réussi
à sauver la victime avec l'aide de Clarice Starling. Après ça je me
suis effondré de sommeil dans mon lit avec le sourire d'un héros
qui rentre chez lui.
Dès le lendemain j'ai enchaîné avec Hannibal. Le livre était plus
long mais il n'en était pas pour autant mieux. Une nouvelle aurait
suffis. Cette fois Hannibal Lecter est le grand gentil qui sauve
même Clarice Starling du méchant Mason Verger. Puis ils
vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. J'étais vraiment
déçu mais je dois avouer qu'après deux livres aussi bons il y avait
peu de chance que le troisième soit à la hauteur. Je n'ai rien à dire
d'autre sur ce livre.
Pour ne pas avoir cet échec trop pesant je continuais tout de suite
avec le suivant : Hannibal Lecter- les origines du mal. Cette fois
Hannibal n'a plus rien de méchant grâce à ce bon vieux Freud qui
explique tout. Hannibal n'est plus un tueur en série qui tue pour le
plaisir mais gentil petit garçon qui veut venger sa sœur dont il a
fait un festin avec des nazis. Je caricature mais bon. C'est donc à
cause de ces derniers qu'Hannibal prend goût à la chair humaine.
Malgré le blâme que je viens de faire ce livre est en tout point
admirable. Le génie de Thomas Harris à l'état pure. Une histoire
géniale avec toujours cette écriture qui s'adapte aux contextes pour
mieux faire ressortir les thèmes.
Mon quota de livres achevés pour le mois je restais chez moi
jusqu'à la fin de la semaine pour faire mes devoirs et me reposer.
L'oisiveté faisait passe le temps plus vite que n'importe quelle
autre activité. Mais les examens de fin d'année se rapprochaient
petit à petit, je relisais donc tous mes cours. Je n'arrivais pas à les
apprendre, je les connaissais déjà. Je n'aurais donc pas eu besoin
de m'inquiéter si je savais déjà mes cours sauf que passer des
heures et des heures à relire un cours donne une certaine confiance
en soi, confiance que je n'avais donc pas.
La deuxième semaine était donc détendue, j'en profitais pour voir
Martin. J'arrivais un grand sourire aux lèvres et lui un air gêné.
Nous passâmes la journée à profiter du soleil qui était maintenant
installé. Il m'apprit que Matt avait trouvé une nouvelle fille, elle
s’appelait Angela, elle avait huit ans de plus que lui et exerçait la
profession de prostituée. Il l'avait trouvé à une soirée et était
tombé amoureux d'elle, elle aussi puisqu'elle ne le faisait pas
payer. À la fin de la journée je ressentais une grosse envie de
parler de ça à Matt. Donc le soir même je l'ai appelé. Et le
lendemain nous nous sommes vus.
Donc le lendemain après-midi je me suis rendu chez lui, mais
j'avais oublié ma tirade moralisatrice. Il n'y avait que lui et Angela.
Ils était assis tous les deux sur le canapé, détendus. Moi j'étais
dans le fauteuil, très tendu. Angela n'était pas forcément belle mais
elle avait énormément de charme, le genre de charme qui fait que
lorsqu'elle est dans une pièce un garçon aussi peu charismatique
que moi se tait et regarde ses chaussures. C'est donc ce que je fis
jusqu'à ce que Matt me demande mes dernières lectures. Je lui
répondis d'une voix sans conviction et là Angela s’enthousiasma et
me fit ses critiques personnelles des quatre livres. Elles étaient
d'ailleurs très subtiles, j'étais en général du même avis qu'elle mais
j'appuyais sur les points on nous divergions. Plus le temps passait
et plus elle montait dans mon estime, ça me gênait. Matt avait un
léger sourire et nous écoutait parler tranquillement. Quand l'heure
est venue de partir il m'a dit de venir à la soirée du prochain
samedi. J'ai répondu que j'y serai, plus par bonne humeur que par
conviction.
Le soir même, Martin, qui était au courant que j'avais vu Matt et
Angela l'après-midi, m'appela pour me demander comment c'était
déroulée ma journée. Je lui répondis la vérité, qu'Angela, malgré
sa profession, n'était pas une mauvaise fille. Il fut à la fois étonné
et rassuré. Je lui dit également, en cachant comme je pus mon
appréhension et mon excitation, que j'irai à une soirée le samedi
avec Matt et Angela. Lui n'y serait assurément pas, Jean et Christy
non plus.
Le samedi je rejoignis Matt et Angela chez lui puis nous partîmes
tous les trois à la soirée. C'était dans une énorme maison, presque
un manoir. Matt et Angela connaissaient tout le monde, quelques
heures après moi aussi. Plus le temps passait et plus les gens
allaient dormir. Les places pour dormir : canapés, lits, sacs de
couchage, diminuaient peu à peu mais je voulais resté éveillé le
plus longtemps possible pour discuter avec Angela. Finalement
nous n'étions plus que trois, Matt a pris Angela par la main et ils
sont partis dormir dans le dernier lit de disponible. Je me suis
retrouvé tout seul, seul survivant dans une fosse commune. J'ai
fini une bouteille de whisky puis je me suis endormi par terre.
Le matin Matt et Angela étaient déjà partis. Je me suis levé puis je
suis parti discrètement sans dire au revoir à qui que ce soit. Je suis
rentré chez moi et je me suis rendu compte que nous étions
dimanche et que demain c'était déjà la rentrée.
Le lundi matin la bande ne m'a pas adressé un mot, mis à part
Matt. Ils me considéraient comme un traître de pactiser avec une
péripatétipute, mais je m'en moquais royalement. C'était tout de
même la seule qui analysait comme moi les livres. J'avais toutefois
conscience que ça allait être dur de la revoir. Matt ne la voyait que
le soir puisqu'elle le raccompagnait chez lui et le week-end. Je
l'attendais donc avec lui après les cours toute la semaine. Nous
parlions d'Angela, lui restait antipathique tandis que mon intérêt
pour elle grandissait.
Le vendredi soir Martin, Jean et Christy sont partis à une soirée,
Angela, Matt et moi à une autre. Je préférais être dans ce camp, je
me découvrais une attirance pour le glauque et le risque. C'était au
même endroit que l'autre fois. Tout le monde était de très bonne
humeur, ce qui fait que très tôt des gens dormaient par terre. La
plupart des lits étaient donc libres, ce qui laissait l’embarras du
choix à ceux qui pourraient encore se tenir sur leurs jambes. Matt
buvait énormément, je parlais avec Angela puis le regardais et
chaque fois il vidait un nouveau verre de whisky. Matt
commençait à être en très sale état. Angela tenait extrêmement
bien l'alcool, malgré les nombreux verres qu'elle avait bu (bien
plus que moi), elle était dans son état normal. Moi je divaguais au
hasard, je ne savais plus du tout ce que je disais.
Pendant un silence de quelques secondes Matt s'est levé et est parti
se coucher sans adresser un regard à Angela et moi. J'ai souri,
gêné ; elle a souri, comme d'habitude. Lorsque Matt a disparut elle
m'a pris par la main et emmener dans une immense chambre. Je
n'étais jamais entré dans une chambre ici, je ne savais si elles
étaient toutes comme ça. Mais c'est sans importance, ce qui
compte c'est que cette nuit là la petite-amie de mon meilleur l'a
trompé avec moi. Et j'étais innocent, je n'avais rien fait, c'était sa
faute à elle. Je n'étais coupable que d'être resté allongé en érection,
elle était coupable de s'être mise sur moi en bougeant. Mais je ne
me plaignais pas. Je ne lui ai jamais demandé des comptes et elle
ne m'en a jamais reparlé. C'était ma première fois, et avec une pro
en plus. Le lendemain matin quand nous sommes ressortis de la
chambre Matt nous a vu. Il n'a rien dit. Moi j'avais un sourire naïf,
sourire qui est resté jusqu'à la fin du week-end. Il n'allait quand
même pas me faire une crise de jalousie alors que sa copine se
faisait payer toute la semaine pour baiser avec n'importe qui.
J'étais très embêté mais Matt n'avait pas l'air d'en tenir rigueur, il
était froid avant et était toujours froid après. C'est ce qui ne me
donnait pas trop mauvaise conscience. Matt et Angela sont partis
très vite. Moi je suis resté déjeuné avec ceux qui étaient là. Puis
j'ai mangé le midi avec eux. Puis le soir aussi. Finalement j'ai
décidé de repasser la soirée ici. Il y avait moins de monde mais je
me suis bien amusé. C'était très détendu, totalement dénué
d'intérêt, une pause cérébrale. C'est une autre fille qui m'a amené
dans sa chambre ce soir-là. Après un baiser on a baisé. J'ai passé
une nuit superbe. Le matin je me suis levé et je suis parti tout de
suite.
En rentrant chez moi je m'en voulais d'avoir passé ce week-end.
J'avais bu et fumé cigarettes et joints plus que de raison. Je n'avais
pas été très productif et je n'étais pas sorti écrire un peu sur les
gens alors que le temps ne demandait que ça. Je me suis alors
promis de ne plus recommencer. De plus j'avais encore tous mes
devoirs à faire avec une gueule de bois pas possible.
Je suis rentré, j'ai pris une douche, j'ai mangé un morceau, j'ai
bâclé mes devoirs, j'ai remangé et ça y est j'étais effondré sur mon
lit, je dormais déjà.
Chapitre 9 : Mai
Le lundi matin au réveil j'allais beaucoup mieux. Matt est arrivé
en retard ivre et très amaigri, tout le monde le regardait. Même le
prof avait des absences où il le fixait pendant quelques dizaines de
secondes, mais ça ne dérangeait personne. Matt ne voyait rien, il
était complètement blasé, il ne répondait à rien, ne disait et ne
faisait rien et pourtant tout le monde le regardait.
Après les cours je m'attendais à voir Angela puisqu'elle avait
l'habitude de raccompagner Matt chez lui. Voyant qu'elle n'était
pas là je bafouillait une excuse à Matt pour ne pas avoir à rentrer
seul avec lui. Il me serra la main et je vis qu'il avait des marques
d'impact sur le poing, je ne dis rien et partis tout de suite. Lui avait
bien vu que j'avais remarqué, il savait que je savais, sauf que je ne
savais pas de quoi il s'agissait.
Le lendemain et durant le reste de la semaine il affichait un sourire
glauque, un vrai psychopathe. Tout le monde flippait. Parfois il
riait sans raison. Un midi Martin parlait d'un attentat suicide ou
d'une catastrophe naturelle, ça n'a aucune importance, et Matt s'est
mis à prendre un fou rire. Moi je m'en fichais parce qu'après tout
ce genre de chose ne me touchait absolument pas, mais les autres
de la bande l'ont mal pris. Parfois en cours pendant que le prof
parlait il soupirait en souriant, fixant le prof droit dans les yeux. Il
se mettait tout le monde à dos. La bande le fuyait, les profs le
détestaient, Angela je ne sais pas. J'étais le seul à rester, en
souvenir de ce qu'il était ou parce que j'avais espoir qu'il y est une
quelconque amélioration, ne serait-ce qu'un mot.
Un soir j'ai croisé Angela dans la rue, elle avait un œil au bord noir
qu'elle tentait de masquer comme elle pouvait avec ses cheveux et
du maquillage. Mais elle a vu que j'avais remarquer. J'ai tout de
suite fait le rapprochement avec le poing de Matt. Elle a compris
que j'étais au courant. Je lui ai dit que ce serait cool de se revoir et
elle m'a dit qu'elle serait à la soirée de Tyler ce week-end et que
peut-être on s'y verrait. Après ça elle est partie précipitamment.
Le vendredi soir à la librairie j'ai pris des livres de Bret Easton
Ellis parce qu'on m'avait dit que c'était trop cool parce que ça
parlait de drogue, d'argent et de sexe. N'ayant rien contre la bonne
littérature et ces sujets j'ai pris Moins que zéro, Zombies, Suite(s)
impériale(s), et American Psycho. Après ça j'ai été posé les livres
chez moi et j'ai filé chez Tyler.
J'ai salué quelques personnes avec qui j'avais sympathisé. La fille
avec qui j'avais couché ne se souvenait plus de moi, ou peut-être
que je l'ai confondu avec une autre, c'est sans importance de toute
façon. Vexé de ne pas y voir Matt et Angela j'ai bu des whiskycoca toute la soirée en tirant sur les joints qui passaient devant
moi. Je n'ai pris aucune autre drogue même s'il en circulait
beaucoup. Finalement vers trois ou quatre heure du matin j'ai
commencé à me lever pour aller dormir dans une chambre libre et
une fille qui avait passé la soirée à coté de moi m'a dit : « attends
je viens avec toi ». On a été se couché dans le lit, collés l'un contre
l'autre. Et de sa main elle a commencé à me caresser l'entre-jambe.
J'ai fait semblant de dormir ou de somnoler pendant quelques
minutes pour finalement conclure que je ne m'en débarrasserai pas
alors j'ai conclu avec elle. Quand j'ai vu que l'aube pointait j'ai
paniqué puis j'ai simulé un orgasme en tentant de jouer la comédie
du mieux que je pouvais et je me suis endormi direct après.
Je me suis réveillé dans l'après-midi, elle était toujours là. Je me
suis échappé du lit rapidement pour ne pas avoir la responsabilité
des rapports conjugaux avec cette personne que je ne connaissais
même pas. J'ai pris un café avec des céréales, on était environ une
dizaine dans le manoir. Un mec est venu vers moi avec des yeux
rouges comme si ils avait des cerises à la place des yeux et il m'a
proposé de finir une demi bouteille de rhum à deux. Je lui ai
demandé un Doliprane ou un Dafalgan ou un Efferalgan, il en
avait dans sa poche, j'ai trouvé ça bizarre mais prévoyant. Après
en avoir pris deux grammes nous avons fini cette bouteille. Il est
parti dormir content.
J'ai ensuite trouvé puis demandé à Tyler si il n'avait pas vu Matt et
Angela, il m'a dit qu'ils passeraient sûrement ce soir. Devant mon
insistance il m'a demandé en riant si j'avais prévu un plan à trois
avec eux. Sans répondre j'ai été dans le salon m'asseoir avec les
autres.
Finalement je me suis endormi et lorsque je me suis réveillé ma
tête était sur les jambes d'une fille qui me caressait les cheveux. Je
crois que c'était la même que la nuit dernière. Ce genre de fille
floue, ni brune ni blonde, avec des proportions si parfaites qu'on
voit partout dans les magazines et qui font qu'on ne remarque
même plus leur perfection. Ce qui a pour résultat qu'on ne porte
plus notre attention sur elles mais sur des filles qui ont plus de
personnalité physique. Enfin je veux pas épiloguer là-dessus.
À ma montre il était déjà vingt-trois heure. Tout le monde était
déjà dans l'état euphorique de l'alcool. La soirée du samedi soir
battait son plein quoi. J'ai donc pris une bouteille de vodka et j'en
ai vidé un tiers pour me chauffer la gorge. Il y avait des cries et la
musique passait de vieux rock des années soixante. Il n'y avait ni
Tyler, ni Matt, ni Angela dans le manoir alors j'ai décidé d'aller
dehors pour boire une bière et fumer une cigarette.
C'est là que je les ai trouvé tous les trois. Tyler engueulait Matt qui
souriant, Angela baissait les yeux avec gravité. J'ai hésité à
m'approcher mais j'ai décidé d'attendre à une vingtaine de mètres
d'eux. Une ou deux cigarettes plus tard j'ai laissé tomber la bière et
ils ont remarqué ma présence puis Matt a pris Angela par la main
pour venir vers moi. Je lui ai demandé si ça allait et il m'a répondu
qu'un à moment ou un autre la musique s'arrête et c'est à ce
moment là on se fait disputer pour le bruit. Angela a fuit mon
regard et Tyler est venu vers moi pour me dire que Matt lui devait
juste un peu d'argent mais que maintenant tout était réglé.
J'ai suivi Matt et Angela dans le manoir. Quand je suis arrivé Matt
embrassait une autre fille juste devant Angela qui avait la mine
basse. Il m'a regardé en souriant et est parti boire avec d'autres. J'ai
tenté de parler à Angela mais elle est partie. J'ai été voir Matt qui,
devant mon inquiétude, m'a pris à part dans une pièce rempli de
gens somnolant aux drogues dures.
– Écoute mec je t'en veux pas d'avoir couché avec Angela,
vraiment, c'est son métier après tout, même si t'as eu le
privilège de pas la payer pour ça. Je dois beaucoup d'argent à
Tyler mais il a besoin de moi à ses soirées parce que j'attire
du monde, toi par exemple. Donc il espère que je vais le
rembourser et qu'on continuera d'être de bons amis. Mais si je
le fais pas il devra me faire passer à tabac par ses gros bras,
normal quoi.
– Putain de merde, tu veux que je lui parle ?
– Pour dire quoi ? Laisse-moi régler ça.
– Tu vas demander à ton père de payer ?
– Non il a pas besoin de savoir que son fils se drogue et je veux
pas lui mentir. Enfin t'inquiète pas, c'est la fête ce soir alors
profite.
– OK. On se bourre la gueule tous les deux comme au bon
vieux temps d'il y a quelques mois ?
– OK mec.
Après ce revirement de situation on a picolé en riant, évitant les
sujets tabous. Ensuite on est retourné à l'intérieur, il a été parlé à
deux filles, il est partie avec une et l'autre est venu me prendre
moi. Comme j'avais passé une bonne soirée j'ai été super bon toute
la nuit. Le matin devant mon café je m'en suis voulu pour Angela
puis je suis rentré chez moi.
J'ai fait ce que j'avais à faire, c'est-à-dire mes devoirs et ma
toilette, et le lendemain je suis arrivé de bonne humeur en cours,
malgré le fait que mon meilleur ami se soit endetté auprès d'un
gros dealer, qu'il bat sa petite amie qui est une prostituée, et qu'il
soit complètement déjanté. Pour arranger le tout j'avais l'intention
d'aller voir le père de Matt pour qu'il paye pour son fils, de
demander à Angela de quitter Matt, et enfin de passer plus de
temps avec ce dernier pour tenter de le canaliser.
J'avais décider de me fixer pour objectif une étape de mon plan
par semaine. Je voulais commencer par m'occuper d'Angela. Elle
recommençait à raccompagner Matt chez lui le soir. Je les suivais
discrètement et une fois qu'il était rentrer chez lui je me dirigeais
vers elle. Elle était étonnée de me voir. Je lui ai exposé rapidement
la situation en la regardant le moins possible dans les yeux. Quand
j'eus fini elle me dit simplement : « Tu oublies un détail capital, je
l'aime ». Et là elle est partie, me laissant surpris et confus. Ça
commençait par un échec, ce qui était très frustrant et
décourageant.
La semaine s'est passée tranquillement, si Angela avait raconté ma
stupide action à Matt il n'en laissait rien paraître. Calme et
complice avec tout le monde. Les profs nous pressaient de réviser
pour l'examen de fin d'année, nous disions oui avec la nuque mais
non avec le sourire.
Je passais la soirée du vendredi chez Matt. Il n'arrêtait pas de
renifler depuis quelques semaines, mois peut-être. Je venais de
comprendre pourquoi, c'était à cause de la cocaïne. C'était même
certainement cette drogue qui l'avait autant endetté. Nous avons
discuté longuement et calmement et à un moment, après un silence
il a lâché : « Angela m'a quitté, con hein ? ». Moi je n'ai pas
répondu, lui il a ri. Après ça il s'est levé et il est parti se coucher,
ce qui m'a évité de lui demander pourquoi, sa réponse aurait été
plus dure à entendre que de poser la question. Je suis resté dormir
chez lui pour veiller à ce qu'il ne fasse pas de bêtise. Dans le lit
j'avais l'impression d'être un gardien de but, je ne faisais rien mais
mes muscles étaient si contractés que ça m'a crevé et au bout de
vingt minutes je me suis endormi.
À mon réveil j'ai couru vers sa chambre, il n'y était pas. Alors je
me suis précipité dans le salon et je l'ai aperçu qui prenait son café
et une cigarette sur la terrasse. Il m'a regardé en souriant, une
trentaine de minutes plus tard j'étais parti.
Je ne savais pas si Angela l'avait quitté à cause de moi mais j'étais
content qu'elle l'est fait. Même si du coup je n'avais plus aucune
chance de la voir.
Une fois chez moi j'ai commencé par réviser des cours pour
l'examen mais lorsque j'ai aperçu la pile de libres que j'avais
acheté la semaine d'avant j'ai préféré me plonger dedans. En deux
jours j'ai donc lu Moins que zéro et la suite, Suite(s) impériale(s).
Je les ai lu d'une traite et j'ai beaucoup aimé. J'imagine que la
plupart des gens apprécient parce que ça touche au milieu de
l'argent, la drogue, la violence et le sexe mais je crois que tout ça
n'est fait que montrer à quel point malgré tout ce qu'ils possèdent
les personnages sont totalement blasés. Je me suis identifié à Clay,
j'ai identifié Matt à Julian et Angela à Blair puis Rain. Ceci est
assez caricatural et pas tout à fait exact, cependant c'est comme ça
que je voyais les choses. J'ai préféré nier le rapport entre ces deux
romans et ma vie même si dans un cas comme dans l'autre c'est
contestable. Je me sentais juste mieux en pensant cela.
Ces deux chefs-d’œuvre terminés mon week-end l’était aussi. J'ai
donc été dormir avec dans ma ligne de mire la prochaine étape de
mon plan. La première n'avait pas marché comme je le souhaitais
mais mon but avait été atteint. Je verrais bien comment la seconde
allait se passer.
La semaine s'est passée tranquillement. Chaque soir Matt rentrait
avec des personnes différentes que je n'avais jamais vu. En cours il
était silencieux, se contentant d'écrire le cours. Enfin, si il se
séchait pas, ce qui était devenu une de ses habitudes. Avec le
bande il est était sympathique mais réservé, parfois même
maladroit.
Je me demandais bien comment j'aurais pu voir son père à son
insu. Donc, l'air de rien, en cours je lui ai demandé ce qu'il faisait
ce week-end. Il me dit qu'il passerait le week-end entier chez Tyler
et la somme exacte qu'il lui devait, une somme à cinq chiffres. Je
lui dis qu'on s'y verrait peut-être, sachant qu'il y avait peu de
chance pour que j'y sois. J'aurais aimé qu'il me dise qu'il ne
bougeait pas du week-end, ça m'aurait donné une excuse pour ne
rien avoir à faire.
Le vendredi soir j'ai suivi Matt après les cours, il s'en allait direct
chez Tyler. Je me suis donc rendu chez lui. J'ai frappé à la porte et
son père m'a ouvert, il était seul. Il m'a proposé une cigarette que
j'ai refusé pour faire genre gentil garçon. Il m'a dit que Matt n'était
pas là et je lui ai dit que je voulais lui parler à lui et il m'a
demandé pourquoi et j'ai tout raconté d'une traite. J'ai dit que Matt
s'était endetté auprès d'un dealer à cause d'une fille, qu'elle était
partie en lui laissant les dettes et qu'il avait besoin de vingt mille
pour régler le truc. Il me regarda, incrédule, et dit qu'il donnera ça
à Matt pour son anniversaire qui était la semaine prochaine. Il
n'avait pas l'air de me croire, je crois qu'il pensait que je disais ça
parce que Matt m'avait dit de le faire pour avoir beaucoup d'argent
à son anniversaire, que j'avais complètement oublié d'ailleurs.
Je suis reparti quasiment juste après avec une sale boule au ventre,
une boule de merde. J'ai hésité et finalement j'ai ressenti le besoin
d'aller à une soirée, je voulais aller chez Tyler mais après cette
conversation ça me semblait assez limite, donc je suis parti à la
soirée où allait le reste de la bande.
Une fois arrivé ils se sont moqués de moi en disant que j'étais un
revenant ou un chien qui revenait au chenil. Je l'avais mauvaise
alors je les ai insulté et j'ai été vers d'autres personnes tout en
buvant whisky sur whisky. Je me suis alors rendu compte de ma
préférence nouvelle pour le whisky. Comme j'étais tendu et de
mauvaise humeur je devenais sarcastique. Ça a énervé les gens
avec qui j'étais et finalement trois garçons m'ont amené dehors. Ils
m'ont menacé si je n'arrêtais pas, je leur ai répondu d'aller se faire
foutre. Un d'eux m'a mis pas terre comme un lutteur et ils m'ont
mis des coups de pieds, évitant soigneusement mon visage.
Toutefois je m’en suis tiré avec un coquard.
Il faisait encore nuit lorsque je suis revenu à moi. J'ai réussi à
trouver le trajet de chez moi en boitant et j'ai été me coucher après
avoir fumer trois autre cigarettes dans mon lit.
Je me suis réveillé en milieu d'après-midi. J'ai fais mes devoirs
consciencieusement et j'ai passé le reste du week-end à lire
Zombies, qui n'était pas un livre facile à lire. J'ai marqué le nom du
narrateur à chaque début de chapitre et le relisait deux fois. Au
début ça paraissait être un livre assez classique de Bret Easton
Ellis mais les vampires ont complètement changés la donne. Au
début lorsque les vampires étaient évoqué je pensais que c'était
une expression pour dire qu'à Hollywood les gens se mangeaient
entre eux, où que les personnages sont assez tarés pour y croire,
mais enfaîte non il y a vraiment des vampires. N'empêche que ce
chapitre, le dixième, était mon préféré. C'est quand même
incroyable qu'à vingt ans un homme puisse écrire ce genre de
chose, c'est un niveau simplement irréel. C'est certainement un des
cinq meilleurs écrivains de l'histoire de la littérature, si ce n'est le
meilleur. C'est d'ailleurs un blasphème de limiter son œuvre à des
mots, même si son œuvre est des mots. Enfin faut que j'arrête de
lui cirer les pompes maintenant, ça devait être un relent d'alcool
ou d'une homosexualité refoulée.
Le lundi matin tout le monde me regardait à cause de mon
coquard. J'avais maintenant une réputation de mec vicieusement
intelligent qui saute sur toutes filles et qui boit comme un trou. Ce
n'était pas vraiment faux mais c'était carrément caricatural. Je
lisais maintenant American Psycho à chaque moment où je n'étais
pas en cours. Ce qui rajoutait à ma réputation.
Toutefois Matt me volait la vedette parce qu'il avait encore
vraiment maigri et qu'il arborait également des traces de coups sur
le visage. Je ne savais pas si cela provenait de collègues d'Angela
ou des gros bras de Tyler ou de son père ou d'un inconnu dans la
rue ou de lui-même et je n'avais aucune envie de lui demander. Lui
ne m'a pas demandé quoi que ce soit à propos de son père ou du
week-end chez Tyler, peut-être parce qu'il s'en fichait où qu'il ne
voulait pas toucher une corde sensible ou pour ne pas qu'à mon
tour je le questionne. C'était une sorte d'accord de bon procédé
implicite.
En tout cas on a passé la semaine ensemble, la bande était fâchée
contre moi et évitait de toute façon Matt. On restait là, il regardait
les gens et le ciel pendant que je lisais. En cours on restait à coté,
toujours silencieux. Finalement le jeudi je lui ai demandé ce qu'il
faisait ce week-end. Il me dit qu'il allait certainement aller chez
Tyler, qu'il allait le payer grâce à l'argent qu'il avait eu pour son
anniversaire et comme l'histoire serait réglée il y resterait pour le
week-end. Je lui dit que j'y passerai certainement le samedi soir, il
me répondit OK et le silence a repris.
J'ai passé mon vendredi et samedi à lire et finalement je suis venu
à bout d'American Psycho. J'ai adoré. Les répétitions de « et » sont
absolument fantastique, mieux que Süskind dans Le parfum. Les
conversations sans intérêt. Patrick Bateman qui avoue que sa
confession ne sert à rien. Les meurtres. Quel livre. Encore une fois
on ne peut pas réduire les mots d'un génie avec les siens. Pour
avoir une idée d’à quel point le livre est bon il faut le lire. C'est
tout.
Très enthousiasmé je suis parti chez Tyler de bonne humeur. J'ai
vu Matt qui m'a sourit donc j'ai été vers lui. On s'est marré avec un
groupe de hippies à l'esprit super ouvert, je ne savais pas si il
jouait ou si il en faisait exprès, peut-être bien qu'il faisait exprès de
jouer. On a bu que des bières et fumé énormément de joints, je ne
sais pas en tout combien on en a vu passer, peut-être vingt ou
trente, c'était absolument énorme. Finalement, dans le délire
collectif un hippie a proposé à Matt et moi de prendre chacun une
fille et de faire l'amour tous ensemble. L'idée me paraît bizarre
maintenant mais dans le contexte ça ne l'était pas du tout parce
qu'on avait dans l'idée de sauver le monde par l'amour collectif.
Jeunesse désabusée mais utopiste.
Donc on est monté dans le chambre et on commencé à faire ça
dans des positions bizarres. Finalement ça a fini par Matt et moi
allongé côte à côte avec les deux filles qui nous faisaient des
fellations. Matt me regardait en faisant des mimiques marrantes,
on se retenait de rire en se mordant les lèvres, c'était vraiment
bizarre et énorme.
Le matin, on s'est tiré direct chez lui, ses parents et sa sœur
n'étaient pas là. On a passé la journée allongé sur des chaises
longues dans son jardin à bronzer en buvant du whisky à gogo. On
était super posé. On a commandé des pizzas pour le soir et je suis
rentré chez moi vers vingt-deux heure.
En mai fait ce qu'il te plaît.
Chapitre 10 : Juin
Le lundi matin j'ai pris conscience que l'examen commençait dans
trois semaines, là j'ai commencé à vraiment paniquer. J'ai décidé
de prendre des mesures d'austérités, comme le gouvernement,
mais pour les examens. Pour commencer je ne lirai pas de livres
mais mes cours, ce qui m'emmerdait quand même pas mal parce
que j'en apprenais plus en lisant un livre qu'en une année de cours.
Je me suis également interdit les soirées, quelle qu'elle soit. Je ne
pouvais vraiment pas faire plus alors je me suis limité à ça, ce qui
était déjà un grand sacrifice.
En cours toute la classe était tendue, sauf Matt. Les profs tentaient
de nous calmer grâce à l'humour, mais l'humour des profs tu sais à
quel point il est limité. Donc on stressait quasiment tous. C'était
trop chiant. Les profs qui n'avaient pas encore finit le programme
nous conseillaient de regarder dans le livre pour les cours qu'ils
manqueraient et les autres profs qui avaient fini le programme
nous faisaient faire des révisions pendant qu'ils restaient assis à ne
rien faire.
La plupart des élèves prenaient du Xanax, ceux dont les parents ne
voulaient pas qu'ils en prennent l'achetaient dans les couloirs où à
la sortie du lycée. Moi je n'en prenais pas, je ne voulais pas passer
un examen sous médicament, par éthique. Ma méthode pour me
détendre c'était d'aller vers Matt et de l’écouter parler des
diplômes. Il me disait que c'était qu'un bout de papier qui disait
que t'es un bon petit soldat conformiste, que t'as bien appris tes
leçons à l'éconnericole et qu'il y avait mieux à faire que d'aller en
cours. Il n'avait pas tout à fait tord mais il s'agissait que de pouvoir
aller à l'université l'année prochaine, ce diplôme était mon ticket
de sortie et d'entrée. J'en avais vraiment assez de ce lycée, rien en
particulier ne me déplaisait mais j'avais juste besoin de neuf, j'étais
lassé de cette routine. Et puis je ne savais même pas si Matt
bluffait, d'ailleurs, qui aurait pu le savoir ?
Je me préoccupais de façon virtuelle de son état. J'observais son
évolution mais n'agissais plus. Il buvait, apparemment ne se
droguait plus et offrait toutes sortes de cadeaux à sa sœur. Des
vêtements, des objets high-tech, des livres et divers trucs. Il faisait
aussi ses adieux au lycée, content.
Pendant une semaine ce fut des adieux et des mains moites qui se
serraient, des embrassades à chaudes larmes, des enlacements
tremblants. J'ai vite fini mon tour.
J'ai reçu un mail de l’université de Folio City qui m'annonçait que
j'étais pris, à condition d'avoir mon diplôme, en cinéma avec en
complément lettres modernes. La nouvelle m'a plus fait stresser
que rassurer.
Le vendredi soir, par réflexe ou pour profiter de l'oubli momentané
des examens, j'ai été à la librairie, seul, voler quelques livres. J'ai
fait ça en pilotage automatique, oubliant la vendeuse et la loi. J'ai
pris Les choses de Georges Perec, Maximes de La Rochefoucauld
et La Mort d'Ivan Illitch de Tolstoï. Les prendre ne m'obligeait en
rien à les lire avant les examens après tout.
J'ai commencé à aller à la soirée mais il n'y aurait eu personne, j'ai
donc décidé de ne pas être personne et de rentrer chez moi pour
réviser. Toutes ces matières, ces cahiers remplis de mots de la
bande, de notes et de dessins étaient plus triste à voir que de
réviser. Ça m'a aidé à réviser d'ailleurs.
Le samedi j'ai révisé, encore et encore. Ce n'est que le soir que j'ai
craqué et que j'ai lu La mort d'Ivan Illitch. J'ai adoré avec quelle
franchise Tolstoï peignait les être humains dans tout ce qu'ils ont
de minables, de faux, de bas et de méprisables. Je me demande
comment ses amis ont réagis lorsqu'il ont lu ça. Même si j'avais
son œil pour voir les humains jamais je n'oserai écrire de telles
choses parce qu'on me prendrait pour un salaud au lieu de se
remettre en question et d'accepter cette partie de soi-même qui est
si détestable.
On ne peut pas dire que je me sentais mieux mais lire quelque
chose d'intéressant m'a fait énormément de bien malgré un
sentiment de culpabilité.
Le dimanche j'ai tenté de réviser le moins possible en prenant mon
temps pour manger, me laver, aller au toilette. Je suis resté trente
minutes sur le trône à tenter de chier la merde que je n'avais même
pas. Je me suis accepté en tant qu'être humain donc imparfait. Je
vais d'ailleurs vous faire une confession. J'ai menti. Quand je dis
que je bois du whisky j'oublie de préciser que j'y met toujours du
Coca-Coca, sinon ça me brûle la gorge. Voilà c'est dit. Faute
avouée s'il vous plait oubliez.
Le lundi matin j'ai été en cours. Sauf qu'il n'y avait personne. J'ai
appelé Matt, je le réveillais apparemment, et il m'a dit que c'était
la semaine de révision et qu'on avait pas cours. La nouvelle me
blasa définitivement et je suis rentré chez moi réviser. Finalement
j'étais près à aller au lycée parce que le temps y passait plus vite
que chez moi.
En rentrant j'étais si énervé que j'ai rangé mes révisions et j'ai
passé ma semaine à lire les livres que j'avais acheté en regrettant
qu'ils soient si courts. J'ai commencé par Les choses de Perec.
Encore une fois ce n'était pas un portait élogieux des humains,
mais plus encore du monde matérialiste dans lequel on vivait. Je
n'ai jamais vraiment aimé l'argent ou les objets, préférant
volontiers la compagnie des autres à celle d'un mixeur
multifonction. Mais je dois avouer que beaucoup de gens étaient
comme ça avec une soif d'argent très effrayante et une ambition
très arrogante finalement. J'ai eu peur de tomber là-dedans un jour
et je me suis dis que pour ne pas que ça m'arrive il fallait que je
fasse des études pour avoir une situation confortable dans
quelques années pour ne pas être frustré comme le couple dans le
livre. Ça m'a aidé a révisé même si au fond je n'en pensais pas un
mot.
Quand ma soif de révisions c'est finie, après une journée environ,
j'ai lu les Maximes. Comme Tolstoï La Rochefoucauld éclairait
toute la noirceur des hommes, et même des femmes. Je m'amusais
à reconnaître mes défauts ou ceux de mes connaissances dans ces
phrases. C'était très cynique et pourtant je me suis beaucoup
amusé. Ici encore je me demandais comment on pouvait faire lire
ça à ses amis sans qu'ils en soient choqués. Peut-être qu'il ne l'a
jamais fait ou que ses amis s'en sont amusés. Après tout ça ne
m'avait pas vraiment choqué moi.
Après avoir fini ce livre je me suis rendu compte que je n'en avais
plus et pas plus l'envie de réviser. J'aurai dû voler de gros
dictionnaires. J'étais une nouvelle fois, blasé. Mais j'ai quand
même relu et relu mes leçons. Ce qui était embêtant et frustrant
c'est que je n’apprenais vraiment rien qui soit intéressant, tout au
plus j'approfondissais ma culture générale. Au bout d'un moment
je me suis mis à apprendre les méthodes. C'était chiant, je vais
vous l'épargner.
Le vendredi matin je me suis sentis vraiment au point. Je savais
tout. Désormais on pouvait me rebaptiser Wikipédia. J'ai appelé
Martin et il m'a dit qu'il y avait une soirée ce soir avec plein de
gens du lycée, dans un champ, histoire de faire de grands adieux
collectifs. Vexé qu'on ne m'est pas prévenu, mais pas rancunier
parce que j'avais vraiment besoin de m'amuser, j'y suis allé.
C'était une fête très fatigante et vite lassante. La musique était bien
trop forte, les gens trop euphoriques, la drogue trop présente et les
adieux trop déchirants. De ma vie je ne reverrais aucun des ces
élèves. Et aucun membre de la bande n'allait dans ma ville l'année
prochaine. J'allais me retrouver seul pour un nouveau départ.
J'étais à la fois effrayé et excité à cette idée. J'allais pouvoir mentir
à tout le monde sur moi sans risque d'être percé à jour. Finalement
j'étais réjoui que tout finisse.
J'ai trouvé Martin qui m'a serré dans ses bras et invité d'autres
personnes que je ne connaissais pas pour un gros câlin collectif. À
moitié étouffé j'ai réussi à m'en tirer. J'ai aperçu Christy qui m'a
gratifié d'un signe de la main et d'un sourire amical, elle
s'ennuyait. Je n'ai pas été vers elle parce que je préférais tenter de
me tirer définitivement de cet ennui seul plutôt que de l'aider. J'ai
vu Jean qui parlait avec conviction et d'autres personnes. Je n'ai
pas osé l'interrompre et puis elle n'avait jamais été très
sentimentale. J'ai cherché mais je n'ai pas trouvé Matt. Donc je me
suis excentré afin de pouvoir récupérer et fumer.
J'ai été de l'autre coté d'un fossé et j'ai regardé ces gens que je
n'allais plus revoir et d'autres que je n'avais jamais vu. C'est là
qu'est arrivé Matt, derrière moi. Il m'a salué. On s'est remémoré
les meilleurs moments qu'on avait passé ensemble, donc aucun de
l'année qu'on venait de passer. On a fumé quelques joints, il a été
chercher quelques bières et Christy. Nous avons enfumé et noyé
notre mélancolie jusqu'à l'aube. À chaque silence nous nous
disions, pour nous rassurer, que c'était le moment que ça se finisse
puisque nous n'avions plus rien à nous dire. On s'est amusé à faire
la liste des défauts des autres, puis les nôtres, ce qui a été plus long
parce qu'on voulait être réconforté par les autres. On a parlé de ce
qu'on avait pensé de nous quand on s'était rencontré.
Christy pensait que j'étais limité, donc elle m'a trouvé attendrissant
pour ne pas dire méprisant. Elle pensait que Matt était mon grandfrère spirituel, donc mon contraire.
Matt a dit qu'il avait trouvé Christy différente et qu'elle était
opposée aux autres filles qu'il avait rencontré avant. Il a dit que
c'était la première personne à lui avoir donnée l'impression d'être
un idiot, ce qui l'a encouragé à s'améliorer. Qu'elle était la
première surhumaine qu'il rencontré. Il a dit qu'il m'avait adoré
dès le début parce qu'il voyait en moi ce que les autres voulaient à
tout prix cacher. Que j'étais le premier humain qu'il avait
rencontré.
J'ai dit que j'avais trouvé Christy aussi belle qu'intelligente donc
que j'étais très intimidé. Puis j'ai vite deviné qu'elle était abordable
pourvu qu'on est le courage de l'aborder. Qu'elle m'avait encouragé
à lire, que j'avais pris un plaisir fou à entrer dans son monde, que
c'était comme une grande-sœur pour moi. J'ai dit qu'au début Matt
représentait pour moi le cliché parfait du grand mec beau et con.
Que ça m'était vite passé quand il est venu vers moi et qu'il s'est
offert le cœur ouvert. Qu'il m'avait encouragé à écrire, à sortir, à
m'ouvrir, à vivre quoi.
On a tous réprimé nos larmes en souriant. Ces compliments, bien
que faciles et convenus, étaient aussi agréables que sincères. C'est
quand on est sur le point de perdre les gens qu'on peut être
entièrement sincère avec eux. J'ai encore la certitude aujourd'hui
que ce soir si on ne s'était jamais vraiment apprécié et qu'on
traînait ensemble par intérêt on aurait pas hésité à dire du mal des
autres.
Finalement c'était un très bon moment, j'étais avec les deux
personnes que j'estimais et respectais le plus. Je ne m’attendais
vraiment pas à passer ce genre de nuit mais j'ai adoré même si les
choses auraient été différentes si on avait été moins pudique
envers les autres.
En rentrant chez moi le samedi matin j'ai dormi et je me suis
réveillé en fin de soirée. J'ai commencé à me plonger dans mes
cours mais j'ai bu la tasse alors je suis remonté à la surface. J'ai
regardé des Very Bad Blague jusqu'à dimanche, en fin d'aprèsmidi. Puis j'ai été me coucher.
La semaine d'examens a été crevante. Je n'ai vraiment pas aimé.
Comme j'avais bien appris mes leçons je répondais à tout en
pilotage automatique. Matt se tirait une heure après le début de
chaque épreuve. Il écrivait vite, au fur et à mesure qu'il
réfléchissait, et ne faisait jamais de brouillon. Il était si
réfléchissant que j'en avais mal aux yeux. On a passé la semaine
ensemble. Il m'attendait à la sortie de la salle et nous fumions, en
mangeait, on refumait et on y retournait. Pendant cette semaine je
n'ai pas révisé une seule fois.
Chez moi je regardais des vidéos débiles sur Youtube. Pendant la
semaine qui allait décider si j'allais à l'université l'année prochaine
ou encore au lycée je n'ai absolument rien foutu si ce n'est noircir
des pages sans vraiment réfléchir et regarder des vidéos en
réfléchissant tout de même un peu plus. C'était la semaine la
moins enrichissante de ma vie, en plus le stress me donnait la
diarrhée, trop cool. Je me demande pourquoi je stressais d'ailleurs
puisque j'avais pas mal de points d'avances. L'année d'avant j'avais
réussis mes épreuves avec brio alors que ma moyenne était à peine
au-dessus de la moyenne.
Le week-end qui suivait était celui de la fête de la musique. J'y ai
retrouvé Matt et Christy. On a perdu environ cinquante pour cent
de notre audition à écouter de mauvais groupes et on est parti chez
Matt. On a parlé des épreuves. On a échangé nos réponses en
améliorant à peine. On a regardé la télé puis on a arrêté parce
qu'on sentait qu'on devenait des idiots peu à peu. On a bu du
whisky mélangé à du Coca-Cola. On a discuté de nos avenirs
rêvés à qui on échappait à mesure que les instants passaient. Pour
ne pas que ce soit trop triste on en riait, comme si c'était des rêves
d'enfants et qu'on avait grandi. Par pudeur personnel et respect
pour les autres je ne dirai rien de plus à ce sujet.
Pendant qu'on buvait, j'étais assez éméché, j'ai regardé Christy et
Matt. Je me suis rendu compte qu'une femme qui buvait était une
scène très sensuelle contrairement à l'image de la grosse qui boit
autant que son mari et qui est aussi féminine que lui. Je me suis
rendu compte, en riant moins, que Matt avait vraiment maigri. Il
était maintenant très mince et si il n'avait pas de graisse il n'avait
pas plus de muscle, ses cheveux étaient à présent mi-longs. J'ai
réprimé une mimique de tristesse et je me suis replongé dans
l'ambiance.
Quelques temps plus tard, je n'ai aucune idée de la durée, même
approximative, je me suis allongé et là j'ai compris que la soirée
était finie pour moi. Matt et Christy en ont rit. Ils ont continué de
parler puis quand ils ont cru que je dormais ils ont parlé de moi.
Sauf que j'étais trop ivre pour comprendre, de plus ils ne parlaient
pas assez fort.
Le matin j'ai déjeuné avec eux et je suis reparti avec Christy, puis
continué seul lorsque nos chemins se sont séparés.
En rentrant il a fallu que je me replonge dans des révisions. J'avais
quelques jours avant de passer mon oral. Je n'ai pas vraiment
révisé, j'ai plutôt relu des cours. Le beau temps était de retour et je
n'avais vraiment plus aucune envie de gâcher ma vie. Je me suis
rassuré en me disant que j'avais certainement bien réussi mes
épreuves et que j'avais des points d'avances. J'ai marché et j'ai
flâner, observer les touristes et les premiers jeunes qui travaillaient
pendant l'été.
Le stress n'est remonté que quand je me suis retrouvé sur le lieu de
l'examen. J'étais fatigué parce que j'avais déjà adopté l'horloge du
sommeil des vacances. Une fille de ma classe m'a passer des
antistress à base de jus de poissons et de fleurs, bizarre et
inefficace.
Quand mon tour est arrivé j'étais impatient que ça se termine. J'ai
parlé en regardant ma montre pour ne pas que les deux professeurs
me coupent la parole à la fin du temps que j'avais. Puis ils m'ont
posé des questions pièges, hors-sujet, je répondais du mieux que je
pouvais et là ils commençaient à s’énerver, alors j’avouais qu'en
dix minutes je n'avais effectivement pas le temps de développer un
sujet sur lequel des hommes avaient voué leur vie. Ils l'ont très
mal pris. Quand ça s'est terminé je suis parti en vitesse en
entendant des élèves me souhaiter de bonnes vacances à qui je ne
répondais pas puisque je me fichais de leurs vacances étant donné
que je ne les reverrais plus de ma vie.
Une fois chez moi je me suis allongé dans mon lit en tentant de
réaliser que c'était fini. Toutes ces épreuves sans intérêt, ce stress
stérile, cette Amazonie que je devais détruire malgré moi. J'ai bien
dormi et le mois qui avait le jour le plus long était fini.
Chapitre 11 : Juillet
Je dois avouer que le début des vacances était placé sous le joug
des lois de l'oisiveté. Les premiers jours je n'ai vraiment rien fait,
rassuré que les dés soient jetés et un peu stressé dans l'attente des
résultats. J'ai repoussé l'achat de livres pour m'obliger à récupérer.
Ces journées ont été bénéfique pour mon corps et mon esprit au
prix qu'elles le soient pour ma culture.
Le trois juillet, date de l'anniversaire de la mort de Jim Morrison,
j'ai passé la nuit avec Matt. Nous avons été sur une colline, où il
n'y avait personne, et nous avons vidé des bières, incinéré des
cigarettes, quelques joints et parlé peu tout en écoutant The Doors
sur le portable de Matt. Nous étions dans un cliché solennelle.
J'avais maintenant plus de recul par rapport à Morrison. Je ne
l'avais pas oublié parce que ma passion de la littérature m'était
venu de lui, mais il avait aussi changé mon meilleur ami. Ils
étaient tous deux la base sur laquelle j'avais cumulé tant de
richesses. Cet année je m'étais construis à mesure que Matt s'était
détruit.
Quelques jours plus tard, que j'ai passé devant la télé, c'était enfin
le jour des résultats. Comme je ne voulais pas me retrouver devant
le tableau des admis sans savoir si j'ai mon diplôme j'ai demandé à
Christy de m'avertir des résultats dès qu'elle les aurait. J'avais de
peur de venir en perdant et de me retrouver dans le camp des
losers en baissant les yeux devant les vainqueurs. Je me
demandais comment les autres pouvaient procéder autrement que
moi mais j'étais rassurer par le fait que c'était néanmoins possible.
Ce qui nous paraît absurde a parfois un bon coté.
J'ai tremblé et fumé frénétiquement et finalement j'ai reçu un sms
de Christy qui, et je cite, disait : « tu l'as ». Par politesse moins
que par amitié je lui ai demandé si elle l'avait. J'étais trop heureux
pour attendre sa réponse alors j'ai couru jusqu'au lycée pour savoir.
En arrivant j'ai vu des élèves sourire et d'autres pleurer, certains
étaient venus accompagnés par leurs parents et prenaient la pose
avec les résultats à la main. Je m'en fichais. J'ai marché avec la
même démarche qu'un général de retour d'une campagne
victorieuse. J'ai été devant le tableau et sans surprise j'ai vu mon
nom dans la liste des admis. J'avais une mention. J'ai ensuite
regardé si le reste de la bande l'avait eu, c'était le cas, avec
mention. La vie est soudain devenue belle. Tout glissait comme
sur de la vaseline. Je baisais la vie et jouissais pendant qu'elle me
faisait la même chose.
J'ai été récupéré mes notes. Je ne vais pas vous les donner, vous
êtes pas mes parents, d'ailleurs personne ne l'est. J'ai salué
quelques professeurs qui m'ont félicité en me demandant où j'irai
l'année prochaine. C'est là que j'ai réalisé que je ne retournerais
plus jamais dans ce lycée. En marchant dans les couloirs j'ai
retrouvé la bande au grand complet. Martin, Jean, Christy et Matt
étaient là, devant moi, une dernière fois ici.
On a traîné dans tous les couloirs en se racontant nos anecdotes.
Les chroniques de trois années ensemble. On a même parlé des
mauvais moments qu'on avait passé cette année, comme si c'était
déjà vieux, comme si aujourd'hui plus ne pouvait nous toucher,
comme si comme ça quoi.
On a appelé nos familles pour les prévenir, on a été félicité,
comme convenu. Puis on a fumé. On a parlé avec d'autres élèves.
Mary nous a rejoint. Elle nous avait toujours considéré comme des
exemples en gardant ses distances. Elle vivait en avance ce qui lui
arriverait deux ans plus tard.
En sortant du lycée j'ai croisé un garçon qui venait s'inscrire au
lycée avec son père. Je me suis souvenu de moi à son age. Je
m'étais promis que je ne fumerais pas, que je ne boirais pas, que je
ne me droguerais pas, que je bosserais tous les jours, que je ne
baiserais pas mais ferais l'amour. J'étais arrivé avec plein d'espoir
et j'en étais ressorti désabusé. Peut-être que c'est ça grandir.
Il n'y avait plus rien à faire au lycée et on avait plus rien à faire
ensemble mais on voulait encore profiter de la journée. Alors on a
été manger au Macdonald tous les six. Mary ne disait rien pour ne
pas faire ressortir un peu plus qu'elle n’avait rien à faire là. Sauf
qu'elle aurait pu, sa présence était agréable parce qu'elle était
témoin de notre narcissisme. Après manger on s'est quitté en se
promettant de se rejoindre chez Martin le soir même avec toutes
nos affaires de cours.
J'ai fais la sieste pendant l'après-midi puis j'ai préparé mes affaires
pour en finir avec le lycée. Chez Martin Mary n'était pas là. On a
fait un barbecue, c'est Matt, Martin et moi qui nous en occupions
sous les moqueries de Jean et Christy. On a mangé dehors. J'avais
l'impression qu'on était des adultes, maintenant je sais que non. Le
repas a traîné en longueur. On a passé plus de temps à boire et
fumer qu'à vraiment manger.
Puis les filles ont débarrassé et on est rentré à l'intérieur pour ne
pas se faire dévorer par les moustiques. Les parents de Martin
n'étaient pas là. Il a allumé la cheminé et nous avons taillé sur les
profs en brûlant leurs cours. C'était jouissif, plus que de tourner la
page nous les brûlions. Nous avons donné aux autres les directions
où nous allions aller. Christy allait en lettres classiques. Jean en
management. Martin en droit. Matt arrêtait les cours. Moi vous le
savez. On s'est juré de garder le contact, qu'on se verrait pendant
les vacances et après la rentrée. Qu'on retournait au lycée tous les
cinq. Qu'on s'appellerait chaque week-ends. Etc... Martin et Jean
ont proposé qu'on parte en vacance tous les cinq la semaine
d'après. Dans l'euphorie nous avons tous accepté avec joie.
Tout était prêt pour qu'on dorme sur place mais j'ai préféré rentrer
chez moi. Ces excès d’hypocrisie m'avait dégoutté. Je ne partais
pas pour revenir au même endroit mais pour découvrir autre
chose. Lorsqu'on tourne la page on ne doit pas retourner en arrière,
sinon on ne l'a pas vraiment tourner. Je préférais arracher la page
et la bouffer tout de suite.
Matt et Christy ont décidé de rentrer aussi. On a commencé à
partir ensemble et Matt a proposé d'aller chez lui. Nous étions
d'accord.
Chez lui nous nous sommes dit la vérité même si elle était
déchirante. Après ces vacances ensemble on ne se reverrait
certainement plus et plus rien ne serait jamais comme avant de
toutes façons. Nous étions tout de même soulagé d'avoir dit la
vérité et que nous soyons tous d'accord. On a beaucoup parlé
même si on a pas dit grand' chose.
Le lendemain matin je suis rentré chez moi. Mais une fois chez
moi je ne tenais pas en place alors je suis parti chercher des livres
à la librairie. J'ai hésité à les voler mais ça ne m'amusait pas du
tout alors j'ai été payer. La vendeuse a souri. Elle m'a demandé si
j'étais reçu, m'a félicité de mes choix de livres et fait remarquer
que c'était la première fois que je prenais des livres malgré que ce
n'était pas ma première venue. J'ai acquiescé à chaque phrase et je
suis rentré chez moi. J'ai compris en repartant que jamais je ne
reverrais Sacha, ce qui m'a pincé le cœur puis j'ai réalisé que ça ne
me faisait rien.
Pendant la semaine je ne suis rentré chez moi que pour dormir. J'ai
traîné dans des parcs pieds nus en me délectant du beau temps et
m'asseyant sur des bancs pour lire. J'ai commencé par lire
Cosmopolis de Don Dellilo. J'ai adoré l’odyssée de ce jeune
garçon mégalo et narcissique qui perd tout sur une erreur et une
envie d'une nouvelle coupe de cheveux. Le style était cru et
violent. La phrase qui m'a achevé était Ma prostate est
asymétrique. Quel esprit dérangé et génial pouvait bien écrire ça ?
C'était jouissif.
J'ai continué avec Bright Lights, Big City de Jay McInerney, le
frère littéraire de Bret Easton Ellis. L'utilisation de la seconde
personne du singulier était absolument géniale. Si j'y avais pensé
j'aurais écrit le livre que vous lisez en ce moment en l'employant.
Le livre était assez similaire à Les Fleurs du Mal de Baudelaire.
La déchéance d'un homme qui tente de se rattraper par tous les
moyens mais qui se résout finalement de toucher le fond et qui
décide de tout recommencer une fois que c'est fait, mais
Baudelaire va jusqu'à l'échéance du temps. Finalement c'était un
livre contre l'amour puisque tous les problèmes du personnage
viennent de sa séparation avec sa femme. Tu n'es tout de même
pas tombé si bas, te dis-tu. Il te reste encore un semblant de
dignité.
Décidément ce mois littéraire était placé sous le signe de la
déchéance alors que j'étais en pleine ascension.
J'ai continué avec Prières exaucées de Truman Capote. J'ai adoré
comme jamais je n'avais adoré le personnage de Jones. C'était
devenu mon idéal. Je voulais ressembler à ce garçon libre et
talentueux. À la fin du livre je me surpris à me rêver comme lui.
Puis je me suis demandé si un film avait été fait à partir de ce
livre. Donc j'ai remis mes chaussures et je suis rentré chez moi en
courant pour le savoir. Selon mes recherches sur Internet ce n'était
pas le cas. J'ai commencé par être déçu puis j'ai fini par me voir en
réalisateur, scénariste et acteur principal dans ce film que je rêvais
maintenant de faire un jour. On verse plus de larmes pour des
prières exaucées que pour des prières non exaucées.
À la fin de cette semaine j'ai préparé ma valise pour aller à
l’aéroport rejoindre la bande. Mon oncle me promis de s'occuper
des papiers administratifs pour l'université en mon absence. Tout
glissait.
C'est vraiment chiant de monter dans un avion de nos jours. Un
gars qui bossait à l'aéroport à demandé à Martin si il y avait une
bombe dans sa valise. Je me demande si quelqu'un a déjà répondu
sérieusement par oui à cette question.
Le voyage était ennuyant, trop long et trop de monde. Je me
demandais comment les vacances sur terre allaient bien pouvoir
justifier un tel enfer en l'air.
On a réussi à atterrir à Ray Ban Island. J'ai pressé les autres pour
qu'ils prennent leurs valises parce que je voulais quitter cet
aéroport à tous les prix.
Nous sommes montés dans un taxi, un monospace où nous avions
nos affaires aux pieds et sur les genoux et on a atteint le loft que
les parents de Jean avaient loué. Matt et moi avons vite compris
qu'on ne pourrait pas ramener de filles ici pendant ces vacances.
On était dépité pendant les autres se moquaient de nous.
Pendant deux semaines nous avons vécus les mêmes journées. On
buvait sur la plage, parlait avec les indigènes qui nous prenait pour
des sauvages. Ils étaient curieux de savoir à quoi ressemblait la
vraie vie, à l’extérieur de l’île. Il semblait surpris que la planète ne
vienne pas habiter ici. Nous restions toujours groupé. La nuit Matt
et Christy venaient me réveiller pour qu'on visite la ville. C'était
rafraîchissant mais pas du tout constructif. Notre trio s’essoufflait
malgré nos efforts.
Il n'y a qu'une soirée qui n'a pas ressemblé aux autres. Une nuit
Matt m'a réveillé pour qu'on sorte. Je l'ai suivi jusqu'à une boite de
nuit. Dès que je suis rentré j'ai ressenti l'envie d'en sortir. On s'est
assis sur un banquette en buvant pendant que d'autres dansaient.
Nous avons tout les deux repéré une proie, enfin deux filles qui
nous attiraient. Elles avaient l'air relativement proche. Matt m'a
amené jusqu'à elle et nous avons commencé à boire ensemble. Elle
ont commencé à nous demander si nous étions des vampires, elles
avaient l'air sérieuse alors on a répondu que non. Nous avons
discuté de l'île et de nous. À chaque changement de musique je
refusais systématiquement d'aller danser puisque je ne savais pas
danser, pas plus que je n'avais envie de me ridiculiser.
Finalement un slow est passé. Alors Matt a pris sa blonde et j'ai
pris ma brune et nous sommes allés danser. C'était assez agréable
bien qu’ennuyeux. Quand la musique s'est finie Matt et la blonde
n'était plus là. J'ai proposé à la fille de sortir dehors. On est sorti,
courant et riant sur la plage en se moquant des gens. Puis elle m'a
demandé si on rentrait chez elle ou chez moi. J'ai dit que si je
rentrais à cette heure-ci mes amis allaient me tuer. Pour que je
reste en vie on est allé chez elle.
C'était un appartement assez sympa et visiblement pas de vacances
puisque la décoration était assez étudiée. En tendant l'oreille j'ai
entendu qu'un couple baisait pas loin. Ça a du inspiré la suite de la
nuit parce qu'elle et moi aussi.
Le lendemain matin je me suis réveillé seul. Je ne me souvenais
pas d'avoir éjaculer alors j'avais certainement dormi pendant. J'ai
été sur la balcon pour fumer une cigarette et j'ai vu Matt qui faisait
la même chose. On a échangé un sourire et une des filles m'a
amené un café.
Dès qu'elles ont eu le dos tourné on a pris nos affaires et on s'est
tiré. Le reste des vacances on a évité de sortir de peur de les
recroiser.
De retour à Coca-Cola City on s'est redit une nouvelle fois adieux
et je suis rentré chez moi. Ces vacances m'avait fatigué et j'avais
besoin de récupérer. En rentrant chez moi oncle m'a appris que
j'étais définitivement pris à l’université. Rassuré sur mon avenir
j'ai déballé mes affaires et j'ai été me coucher. Puis un appel de
Matt m'a réveillé. Il m'a expliqué qu'il s'était battu avec son père
parce qu'il ne lui avait pas dit qu'il partait. Son père s'était inquiété
pour la santé de son fils alors il avait tenté de le frapper lorsque
Matt est rentré. Son père l'avait viré, déshérité et renié. Mais il ne
m'appelait pas pour me raconter ses problèmes mais pour me
demander si il pouvait loger quelques temps chez moi en attendant
de demander à d'autres. J'étais si fatigué que j'ai accepté.
Matt est arrivé chez moi ivre avec pour bagage un sac de
voyageur. Depuis le début de l'été il se contentait toujours de son
pantalon en cuir et de t-shirts blancs. Tout cela gâchait mes
vacances mais je ne pouvais pas laisser un type qui représentait
tant de souvenirs dormir dehors pour mon confort personnel. Je
l'ai accueilli à bras ouverts et les yeux fermés.
J'avais l'espoir que ces vacances allaient être reposantes mais
finalement elles étaient aussi crevantes que les cours. Le mois était
fini et l'écart entre Matt et moi se creusait. Mon avenir se dessinait
pendant que celui de Matt s'effaçait.
Chapitre 12 : août
Matt s'est très vite installé chez moi. Il aidait mon oncle à passer le
balai, cuisiner et faire la vaisselle. On sortait dans les rues le soir.
On discutait de tout et même de rien quand les mots ne suffisaient
plus.
La journée on lisait dans les parcs. Matt était venu avec moi
acheter trois livres. Il lisait d'autres livres qu'il avait emmené
pendant que je lisais les miens. Il lisait essentiellement de la
poésie. Je l'ai vu lire des auteurs comme Paul Verlaine, Arthur
Rimbaud, Pier Paolo Pasolini ou encore Charles Baudelaire.
Pendant ce temps je lisais Le Festival de la couille et autres
histoires vraies de Chuck Palahniuk.
Ce livre était totalement déjanté avec des histoires comme il est
impossible d'en inventer. Palahniuk mettait en lumière les stars de
l'ombre. Il faisait la démonstration de la richesse que contenait la
moisissure de notre monde actuel. Je l'ai adoré et envié de faire de
ces découvertes son métier. Thompson annonçait l’apocalypse et
Palahniuk soulevait les ruines pour en faire le bilan.
Puis un matin Matt a disparu. Il m'a laissé un mot sur mon bureau.
« Merci pour tout mec mais malheureusement je peux pas
continuer comme ça. J'aimerais te dire avec mes mots ce que je
ressens mais un mec l'a fait fait mieux que moi. Je fais parti de
ceux qui ont la démence de vivre, de discourir, d'être sauvés, qui veulent
jouir de tout dans un seul instant, ceux qui ne savent pas bailler. T'as
deviné que c'est du Kerouac. Réfléchis bien et si t'es comme moi
alors on se retrouvera. »
J'ai été sensible à ce mot mais je n'ai pas réagi. J'ai décidé de finir
les romans que j'avais acheté avant de me décider. De plus ça me
permettait de me reposer.
J'ai lu Demande à la poussière de John Fante. C'était génial.
L'auteur est évidement le personnage principal, Arturo Bandini. Il
n'a pas peur de se peindre comme un jeune prétentieux minable
qui tente de s'élever sans relâche vers le rêve américain. On le voit
fauché, puis aisé pour finir fauché etc. John Fante n'a pas peur de
dire qui il est. Charles Bukowski l'a dit mieux que moi Here, at
last,a man how don't affraid about emotion. Je m'excuse de citer si
souvent mais les citations justifient mieux mes propos parce que je
n'ai pas la prétention d'être un bon critique.
J'ai ensuite lu L'attrape-coeur de Salinger. Je ressentais dans ma
chair chaque phrase, même ce que je n'avais pas vécu me semblait
familier. J'ai eu une envie de fuir ma vie pour partir à la rencontre
de la réalité. J'ai eu cette envie comme lorsque l'on voit ou lit Into
the wild.
Je n'avais aucune obligation avant la rentrée alors j'ai fait mon sac
et je suis parti. J'avais envie de tout voir dans les moindres détails.
Seulement après une journée j'ai compris que seul je n'avais pas la
folie nécessaire pour avoir des histoires à raconter. Alors j'ai
décidé de partir à la recherche de Matt. Son mot m'encouragerait
dans cette direction. Il n'avait plus de téléphone donc j'ai appelé la
bande. Ils l'avaient tous logé mais à présent personne ne savait où
il était.
J'ai alors cherché chez Jamy, Angela, puis finalement chez Tyler.
J'avais l'impression de revivre cette année, avec toujours un
sentiment de déjà-vu. Je me sentais comme Edward Norton
lorsqu'il cherche partout Brad Pitt dans Fight Club.
C'est finalement chez Sacha que je l'ai trouvé. Elle m'a accueilli
avec surprise, simplement vêtu d'un T-shirt à l’effigie de Mike
Like, puis dirigé vers la chambre de Matt. Je l'ai vu torse nu, il
sentait l'alcool et le sexe. Je lui ai proposé de partir avec moi voir
autre chose. Il a sourit et nous sommes partis.
On est partis en stop jusqu'à BiC City. On a été pris en stop par un
couple d'artistes bizarres. Ils nous ont invité à boire un café quand
on est arrivé à destination. Enfaîte seul l'homme était artiste, il
était peintre et s'appelait Anthony Taylor. Et la femme était sa
muse, ce qui avait l'air de beaucoup l'amuser, et s'appelait
Michelle Summum. Ils allaient dans cette ville pour faire une
exposition. Je les avais déjà vu dans quelques magazines où ils
avaient l'air bien plus heureux qu'en réalité, surtout lui. J'ai
demandé à Anthony Taylor un autographe, ce qui a rendu son
sourire plus honnête tandis que celui de sa femme est devenu
crispé.
On s'est quitté peu après le silence que cette signature a causé, à la
grande déception de Matt qui aurait bien passé plusieurs semaines
avec eux. Nous avons logé dans un hôtel pendant quelques jours.
Je le voyais écrire sur un carnet assez souvent. Moi je n'arrivais à
rien. Nous avons traîné avec des dealers, des clochards et des
prostituées. Rien ne me surprenais jamais. Je trouvais normal tout
ce que se passait alors que l'existence même de ces gens étaient
par définition choquante. C'est peut-être ça vivre avec son temps
et l'accepté.
Matt s'est mis en quatre pour que je m'amuse mais il désespérait
que rien ne me choque. Il tentait de me faire aimer ce qu'il aimait
mais il y mettait trop d'ardeur pour que je puisse être sensible à ces
choses plus qu'à lui. C'est peut-être pour ça qu'un matin je l'ai vu
rassembler ses affaires, être surpris que je le surprenne pendant
qu'il m'abandonnait, et partir en me disant que de toute façon il
fallait que je grandisse seul et qu'il serait à ma fête d'anniversaire.
J'avais complètement oublié que je devais rentrer à temps pour
fêter mon anniversaire mais ça me paraissait encore trop loin pour
que je rentre maintenant. Et puis je ne voyais pas ce que j'aurais
bien faire chez moi.
En sortant de l’hôtel, pour me changer les idées, la réceptionniste
m'a remis une enveloppe de la part de Matt. Il y avait assez
d'argent pour que je paye la chambre, mange et exerce des loisirs
futiles.
Je passais mes après-midis à explorer la ville, ses musées, ses
cinéma, et je suis finalement entré dans la galerie où était exposé
Anthony Taylor. Les tableaux avaient chaque fois pour titre une
émotion comme la colère ou la tendresse. Ils étaient abstrait mais
représentaient mieux l'émotion qu'une œuvre figurative. En un
seul tour on passait par tous les états. Je suis resté pendant dix
minutes devant La Béatitude. Si j'avais pu me payer ce tableau
j'aurais été heureux toute ma vie. À part cette exposition je dois
avouer que mes journées étaient tristes.
La nuit c'était bien mieux. J'allais dans des bars et je sympathisais
avec les gens pour qu'ils me payent des verres. Ils y avait des
jeunes ennuyeux qui me racontaient leur vie que j'avais déjà
entendu mille fois. Ça me rendait triste de m'y identifier. Et il y
avait des vieux beaucoup plus intéressant qui racontait des
histoires croustillantes sur leur famille ou leur patron.
À l'aube je rentrais à l’hôtel pour dormir.
Sans Matt je redécouvrais tout. Mais bientôt je pris mes habitudes
à BiC City, ce qui me démoralisait. Donc je décidais de rentrer à
Coca-Cola City. En partant pour rentrer chez moi j'ai réalisé que
les grands espoirs que j'avais placé dans cette aventure étaient trop
grands pour moi. J'ai donc décidé de rentrer chez moi comme un
chrétien qui voulait pêcher et qui rentre finalement bredouille.
J'ai décidé de passer une dernière nuit dans cette ville, à errer
parce que je me méfiais de qui pourrait me prendre en pleine nuit.
J'ai alors rejoint les personnages que Matt m'avait présenté. À
force de traîner dans les banlieues avec des dealers j'ai maintenant
peur du noir. À force de traîner avec des clochards à présent je pue
la crasse de la défaite face à la vie. À force de baiser des putes que
je déteste je n'arrive actuellement plus à faire l'amour aux filles
que j'aime. Me voilà raciste, puant et frigide ; du moins pour un
temps. Toutes ces expériences destructrices pour un malheureux
paragraphe, c'était du gâchis.
Il allait faire jour dans environ deux heures. Je me suis planté
debout à la sortie de la ville et j'ai tendu le pouce. J'ai été pris en
stop par un certain Gaspard qui était parti voir une fille à BiC City
et qui était très heureux. Son escapade avait l'air de l'avoir fait
renaître. Il voulait absolument rentrer avant l'aube. J'ai pensé qu'il
avait peut-être été trompé sa femme et qu'il devait rentrer au plus
vite pour qu'elle se réveille à ses cotés. Il roulait si vite que j'avais
peur qu'il nous tue dans son euphorie.
Il était si plein de vie et décalé que mes idées noires sont parties.
Je me sentais bien. J'ai revu mes jugements et je me suis
reconstruis. Cette petite odyssée m'avait lavé. J'avais l'impression
de vivre la suite du roman de Jay McInerney.
En rentrant chez moi j'ai pris une douche froide. La canicule
faisait tomber les vieux comme des mouches et ces mouches
bouffaient leur chair pourrissante. Lorsque j'ai posé des affaires
sur mon lit j'ai vu une lettre, elle était de Matt. Il me disait que
mon anniversaire se ferait chez lui et qu'il avait tout réglé, je
n'avais qu'à m'y rendre le jour de ma majorité.
En attendant mon anniversaire je n'ai rien fait. J'ai profité du soleil
et flâné sur Internet. Déjà j'attendais la rentrée avec impatience. Je
voulais tous les oublier. Ils m'énervaient tous. Après cette fête, à
l'aube, je tirerais le rideau sur le passé sans me retourner. Je les
tuerais métaphoriquement, tous. Malgré toutes ces pensées j'étais
heureux, excité, je bouillonnais d'impatience.
C'est à cette période que Tony Scott est mort. J'avais tellement
aimé Le Fan et True Romance que j'ai laissé un commentaire sur
sa page Allociné : Les drogués au cinéma, comme moi, perdent un
de leur meilleur dealer.
Cette nouvelle a chassé mes idées noires.
Comme on aurait pu s'y attendre le jour de mon anniversaire est
arrivé. J'avais fait la sieste en fin d'après-midi alors lorsque je me
suis réveillé il faisait déjà nuit. En me levant je suis vite passé
dans la salle de bain et je suis parti. Il n'y avait personne dans les
rues. J'ai tenté de me rappeler pourquoi j'y allais et je pense y être
allé pour sucer une dernière fois le sang de mes amis avant de les
enterrer dans le jardin de ma mémoire.
En arrivant chez Matt j'ai revu tout le monde sauf lui. J'ai salué la
bande, les membres de Room Window, Mary, Tyler, Angela, Sacha
et d'autres du lycée. La plupart était déjà entamé par l'alcool. Étant
totalement sobre je savourais mon sentiment de puissance. Il y
avait deux catégories d'invité. Les premiers étaient ceux qui
n'étaient pas au courant de mon anniversaire et qui s'en fichaient
lorsqu'ils l'apprenaient. Les autres me le souhaitaient dès qu'ils me
voyaient. Finalement les premiers étaient les moins embêtant, sauf
que je ne les connaissais pas.
Les parents de Matt étaient de toute évidence absent.
J'ai commencé à boire. Il ne restait rien à mangé. Je voyais un peu
partout des bougies, des restes de gâteaux et de pizzas. Je
marchais entre les invités, je ne voulais côtoyer personne, mais
j'étais bien.
Après deux verres de vodka glacée j'ai voulu aller fumer dehors.
C'était certainement autorisé à l'intérieur mais j'avais besoin d'un
peu d'air. Je ne pensais à rien d'important, du moins j'ai oublié
lorsqu'une fille que je n'avais jamais vu est venue me parler. Elle
s'appelait Marie-Nella. J'ai commencé par rire parce que personne
ne m'avait jamais fait cette blague mais enfaîte c'était vraiment son
prénom. Elle m'a demandé si c'était moi Tom Harrison. J'ai
répondu que oui. Donc elle m'a parlé de l'université, elle allait à la
même que moi et me demandait si on pouvait traîner ensemble à
Folio City parce qu'elle n'y avait jamais mis les pieds.
Je trouvais sa démarche étrange mais elle était si amusante que j'ai
accepté. On a discuté de nos années au lycée, en évitant les clichés
des expériences de débauches.
Elle venait de BiC City, en repartant de la ville Matt l'avait invité à
cette soirée. Apparemment ils n'avaient pas couché ensemble et
elle n'avait pas plus de sympathie que ça pour lui. Elle m'a dit
qu'elle était venue pour absorber de la matière afin d'écrire une
chronique dans le genre de Chuck Palahniuk. J'ai trouvé ça très
drôle et elle et moi avons décidé de retourner à l'intérieur pour
mettre l'essence des invités dans le récipient du carnet de MarieNella.
Je lui ai fait visité la maison, présenté mes connaissances et bu
quelques shooters de tequila pour me détendre. Je lui racontais des
anecdotes amusantes sur les invités. Quand nous avons été seul
Tyler est arrivé pour me donner un sachet d'herbe en guise de
cadeau d'anniversaire. Je l'ai remercié même si je n'avais rien pour
rouler. Grâce au fantôme de Jim Morrison qui devait planer sur les
lieux ce soir-là Marie-Nella avait tout ce qu'il fallait.
Nous avons décidé de monter dans une chambre pour rouler et
fumer tranquillement sans que personne ne nous dérange. Nous
sommes entrés dans le chambre de Mary mais Matt et Christy
copulaient copieusement. Matt nous a tout de même salué.
Nous avons ensuite été dans la chambre de Matt et un couple que
je ne connaissais pas faisait la même chose. Sauf que cette fois j'ai
pris la main de Marie-Nella et nous sommes passés par la fenêtre
pour atteindre le toit à l'aide du chéneau.
On était bien. Elle roulait minutieusement pendant que je réalisais
en parlant tout haut que Matt et Christy couchaient ensemble. Par
pur intérêt littéraire Marie-Nella m'a demandé de me raconter
pourquoi, alors je l'ai fait et je me suis rendu compte qu'il n'y avait
rien d'étonnant là-dedans. Après ça j'ai parlé de Matt. Que je
l'avais vu taper un type cette année, qu'il avait tapé sa copine
prostituée, qu'il avait monté un groupe, qu'il s'était drogué à tout et
qu'on avait passé des moments formidables ensemble ces trois
derniers mois.
J'étais assez ému et je souriais, elle aussi mais comme si j'étais un
enfant et que ce n'était pas si important. Je parlais sans m'arrêter et
elle m'écoutait tout en prenant quelques notes sur son carnet rouge
Oxford. Elle ne m'écoutait pas comme je l'aurai voulu mais même
s'il n'y avait eu personne ça n'aurait rien changé.
Nous avons fumé quelques joints, entre trois et cinq je dirais. Et
un bras s'est agrippé au toit. C'était Matt qui montait, il avait l'air
réellement ivre et ne portait que son pantalon de cuir.
Je lui ai proposé de tirer sur le joint mais il a refusé. Il s'est assis à
coté de moi. J'étais au milieu. Entre mon passé et mon futur. Je me
sentais gêné, je ne savais pas quoi dire, j'avais peur qu'un d'eux se
sente de trop. À ma surprise c'est Marie-Nella qui a pris la parole
pour demander à Matt qui était Christy pour lui. Il a sourit et l'a
regardé comme une star à qui on pose une question pertinente
après tant d'années de léchage de bottes. Il a sorti un sachet de
poudre blanche de sa poche et a tracé une ligne sur son avant-bras.
Il la sniffé entièrement en finissant pas se pincer le nez avant de le
relâcher et de renifler.
Il nous a dit qu'il n'y avait que les coupables qui se justifiaient.
Puis il s'est levé en vacillant un peu et il s'est approché du bord. Je
lui ai dit de revenir mais m'a fait un signe de la main pour ne pas
que je m'inquiète. Il a commencé à marcher près du bord, comme
un funambule. Je lui rappelé qu'il avait le vertige. Il a souri, m'a
regardé et levé un sourcil. Puis il a continué à marcher, et il est
tombé. Je me suis précipité sur le bord, Marie-Nella aussi, et nous
l'avons vu sur le sol sur le dos sur une flaque de sang sous son
crâne.
Je n'ai pas réalisé. J'avais l'impression que c'était un trucage. J'ai
observé s'il n'y avait pas un faux-raccord pour avoir une preuve
que c'était faux. Quand des gens se sont précipités vers lui j'ai
compris que ça ne pouvait pas être une blague, c'était trop glauque
pour être faux.
J'ai vu Martin appelé du secours avec son téléphone. J'ai vu Tyler
et Angelina partir en courant. J'ai vu Jamy prendre Mary dans ses
bras. J'ai vu Jean totalement paniquée qui criait sur tout le monde
pour qu'il s'écarte. J'ai vu Christy pleurer, assise près de Matt, la
main sur son cœur. Puis j'ai regardé Marie-Nella, elle fermait les
yeux.
Il y a eu des sirènes. J'ai tout raconté des dizaines de fois en
tentant de ne jamais rien déformer de la seule vérité. Personne n'a
douté que c'était un accident ou que je l'ai tué. Sauf moi, je pense
qu'un homicide ou un suicide était plus plausible venant de Matt.
Marie-Nella a appelé ses parents pour qu'ils viennent nous
chercher. J'ai passé la nuit à écouter ses parents m'expliquer que la
mort faisait partie de la vie. Je n'y croyais pas mais je n'avais pas
le courage de m'énerver.
Le lendemain matin ses parents m'ont ramené chez moi. Mon
oncle ne m'a pas dit un mot. Il savait et n'avait pas la prétention de
m'apprendre quoi que ce soit.
À l'incinération de Matt il y avait le même casting qu'à mon
anniversaire. Sauf Angela et Tyler qui étaient remplacés par Mila
et Robert, les parents de Matt. Ils m'ont dit qu'il fallait que je passe
chercher un carton à mon nom. Ils ont retrouvé dans la chambre de
Matt une lettre d'indications en cas de décès au cas où il lui
arriverait un accident de la vie ou de la mort. Je refuse de parler de
testament, on écrit pas ce genre de chose à cet age. J'ai répondu
que je passerai avant la fin des vacances et je suis retourné vers
Marie-Nella. Christy était entourée de Martin et de Jean. Le corps
de Matt est rentré dans cette cheminé pendant que Light My Fire
des Doors résonnait. Nous avons tous poussé un sourire triste.
Personne n'avait osé s'y attendre.
Beaucoup on parlé. C'était un concours de celui qui raconterait le
plus d'anecdotes et qui ferait la plus grosse liste de compliments.
Je ne leur en voulais pas. C'était convenu. J'ai laissé tout le monde
parler et je suis parti.
J'ai traîné un peu dans la rue en fumant et me rappelant de tout ce
que j'avais vécu avec lui. Je suis passé dans un magasin me
prendre une bouteille de whisky, la caissière ne m'a pas demandé
ma carte d'identité.
J'ai marché jusqu'à la colline où nous avions passé la nuit le trois
juillet, date d'anniversaire de la mort de Jim Morrison. Il y avait
encore nos mégots et des bouteilles vides par terre Je me suis
rappelé de chaque souvenir jusqu'à sa chute. Je m'en voulais.
Finalement si je ne lui avais pas parlé de Morrison il serait peutêtre encore en vie. Mais je ne pouvais rien changer à ce qui était
arrivé.
Dans la nuit j'ai entendu des pas, j'ai pensé à m'en aller mais
j'avais déjà trop bu pour avoir peur. Rien de pire n'aurait pu
m'arriver. J'ai alors vu la bande et Marie-Nella. On a souri en se
reconnaissant. Tout était décidément si stéréotypé, je ne pouvais
décidément pas y échapper.
Nous avons parlé de lui encore et encore, évitant soigneusement
les mauvais moments ou les termes péjoratifs sur Matt. C'était
insupportable mais il fallait que ça soit fait, une fois pour toutes.
Peut-être qu'un an après on se dirait la vérité mais pour le moment
il ne fallait surtout pas marcher hors des sentiers battus. Si Matt
avait été là ils n'aurait hésité, lui.
À l'aube nous sommes tous partis de notre coté. J'ai été chez Matt
plus pour en finir avec tout ça que pour voir ce que sa mort
m'avait fait gagner. Ses parents m'ont dirigé vers sa chambre.
Mary n'était pas là, bizarrement. Il y avait un carton avec une
étiquette où était écrit Tom Harrison. J'ai ouvert le carton. Il y
avait un paquet cadeau où se trouvait les recueils de poèmes de
Jim Morrison dans leurs éditions originales, j'ai souri en me
rappelant du jour où il les avait acheté dans mon dos. Dessous il y
avait des dizaines de carnets avec des vers et des dessins
griffonnés. Un seul était sous film plastique et en bonne état. Je l'ai
ouvert. C'était un recueil de poèmes de Matt intitulé La chute du
funambule. J'ai tout remis dans le carton et je l'ai ramené chez moi
en remerciant puis saluant Mila et Robert.
Le lendemain je partais à Folio City avec Marie-Nella. J'ai mis à la
poubelle toutes les photos de moi que j'ai trouvé. À présent, sans
passé, je n'avais plus qu'à construire mon futur. Je faisais mes
valises et j'ai remarqué que les papiers qui recouvraient mon
bureau depuis près d'un an avaient caché la biographie de Jimi
Hendrix et de Janis Joplin. J'ai pensé à toutes ces fois où j'aurais
pu les lire lorsque je m'ennuyais. Puis j'ai pensé au garçon que
j'étais quand je les avais acheté. Je les ai jeté à la poubelle en
pensant au mal que j'avais fait en lisant la biographie de Morrison
et je suis monté dans le voiture des parents de Marie-Nella.
Finalement tout était fini. J'ai effacé de mon portable les numéros
de Jean, de Christy et de Martin en gardant celui de Matt. En
voyant son prénom j'ai eu envie de l'appeler, de lui donner rendezvous sur la colline, que je l'attendais avec impatience pour qu'on
boive quelques bières en discutant. Déjà mon pote me manquait.
La voiture a démarré et ma vie a redémarré. La voiture est partie et
une partie de ma vie aussi.
Je n'ai plus rien à vous écrire. Alors je vais m'en aller vers
l'inconnu et vous laisser sur un poème de Matt :
Je me présente
En sonate
Et vous hante
Je suis Matt
Saltimbanque
En manque
Ça a commencé
En début d'année
Ma vie était si nulle
Que je suis devenu funambule
J'ai claqué la porte à ma vie
Pour entrer dans celle de Jimmy
J'ai marché sur un fil
Aussi fin qu'un cil
Mais j'avais le vertige
Trop pour la voltige
Alors j'ai pris des substances
Pour avoir la puissance
De choisir l'excitation tragique
À l'ennui chronique
Et en un an et des adieux
J'ai plus vécu que d'autres vieux
Me voici dans les cieux
Je vous passe le salut de Dieu

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