pierre couperie, itinéraire d`un historien

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pierre couperie, itinéraire d`un historien
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pierre couperie, itinéraire d’un historien
par Danièle Alexandre-Bidon
[Mars 2014]
Né à Montauban en 1930, Pierre Couperie a fait ses études secondaires au lycée Henri IV, à Paris. Il a
d’abord été archéologue de la Grèce classique et spécialiste de céramologie : sous la direction de
Charles Picard, il avait choisi comme sujet de thèse l’étude du paysage sur les vases grecs, un goût
qu’il tenait de ses années de collège, comme en témoignent ses dessins d’enfance et
d’adolescence, conservés par lui. Son engagement dans la guerre d’Algérie, où il a servi de
novembre 1957 à mars 1960 comme infirmier, l’a éloigné de la Sorbonne. À son retour, il a découvert
que son sujet de thèse avait été donné à un autre étudiant, d’ailleurs promis à une belle carrière,
Philippe Bruneau. Il a donc délaissé le sujet, laissant en l’état quelque 100 pages de tapuscrit
retrouvées dans ses papiers.
Cette mésaventure ne l’a pas empêché de trouver tout aussitôt le chemin de l’EHESS : au printemps
1960, Pierre Couperie a été recruté au Centre de recherches historiques par l’historien Jean
Glénisson, qui l’a formé à la paléographie en même temps que l’archéologue médiéviste Françoise
Piponnier. Pierre Couperie allait rapidement participer à plusieurs enquêtes sous la responsabilité de
Jean Glénisson et, plus tard, d’Emmanuel Le Roy Ladurie : une première enquête sur le logement à
Paris à l’époque du plan de Turgot, une autre sur l’alimentation au XVIIe siècle (un sujet qui allait
s’imposer à l’EHESS avec les recherches du regretté Jean-Louis Flandrin) et, dans la seconde moitié
des années 60, la grande enquête du Centre de recherches historiques sur les loyers parisiens sous
l’Ancien Régime. Il en résultera quatre articles, dont le dernier en collaboration avec Emmanuel Le
Roy Ladurie, publiés entre 1962 et 1970 dans les Annales ESC, la revue majeure d’histoire française,
celle où sont nées tant d’approches innovantes telles que l’histoire des mentalités.
Entre tous les corps célestes, celui qui fascinait le plus cet homme de la nuit, affectueusement
surnommé « Hou le Hibou » par ses proches condisciples de la Sorbonne, était notre satellite. À la
suite de ses premiers articles et conférences sur le fantastique et la science-fiction dans la bande
dessinée, qui datent du début des années 1960, il lui avait d’ailleurs consacré un livre, avec la
collaboration de Claude Moliterni pour la filmographie. Livre publié par la SERG – l’éditeur de Flash
Gordon – en 1969, le jour même où s’envolaient les premiers hommes destinés à marcher à la
surface de la Lune ! Il y narrait l’histoire de la découverte scientifique de cet astre depuis l’Antiquité.
En historien, Pierre Couperie aimait d’ailleurs à rappeler que Tintin était le dernier en date des héros à
avoir marché sur la Lune. Sa collection d’illustrés anciens en témoigne : il achetait, semble-t-il, tous
ceux dans les pages desquels brillait ce corps céleste.
De son goût pour la science-fiction, parallèle à celui pour l’astronomie, il avait tiré la matière
d’articles et de participations à des expositions, par exemple la section bandes dessinées d’une
exposition sur la science-fiction présentée en 1967-1968 au Kunsthalle de Berne puis au musée des
Arts décoratifs, à Paris. Il voulait d’ailleurs en faire le sujet d’un séminaire qui aurait succédé à celui
sur la bande dessinée. Focalisés sur l’histoire de la BD, ses auditeurs ne lui en ont pas laissé le loisir.
Mais certaines des séances baignaient déjà dans cette inspiration, comme en témoigne son intérêt
pour les séries oniriques et fantastiques.
Nous n’avons découvert qu’en triant ses cartons à dessins que lui-même était dessinateur de SF. Il
avait à l’évidence découvert ce genre dans son enfance à travers les séries publiées dans Le
Journal de Mickey, né quatre ans après lui, ou dans Robinson, et il n’a pas manqué d’exercer son
imagination dans ce registre : enfant, Pierre Couperie avait même transformé et dessiné Mickey en
explorateur spatial. Parmi les centaines de dessins plus matures qu’il a laissés, et dont il n’a publié
qu’un seul, dans Phénix en janvier 1967, nous avons retrouvé des projets de BD qui portent le sceau
de la SF : certains, inspirés à la fois par la Grèce antique et le western, reflètent l’ambiance
spécifique des années 70 ; d’autres, plus récents et dessinés pour son seul agrément, sont fortement
influencés par la Guerre des mondes d’H. G. Wells, via l’un de ses illustrateurs dans une édition belge
de 1906, Correâ, de même que par le Flash Gordon d’Alex Raymond. Pierre Couperie en était le
héros. Il peignait à la fenêtre de sa chambre, son dernier bastion contre les « envahisseurs », c’est-àdire les piles d’illustrés et de livres dont l’accumulation insensée ne pouvait être le fait que d’extraterrestres.
Ainsi, confiné dans son appartement empli de documents jusqu’à hauteur d’homme, il n’en avait
pas moins l’espace interstellaire pour royaume…
Danièle Alexandre-Bidon
Centre de recherches historiques, EHESS, Paris
Bibliographie sélective
Richard Berry, Discover the Stars. Starwatching using the Naked Eye, Binoculars, or a Telescope,
Broadway Books, 1987.
Pierre Couperie et alii, Bande dessinée et figuration narrative, catalogue de l’exposition, Paris, Musée
des arts décoratifs, 1967.
Pierre Couperie, Paris au fil du temps. Atlas historique d’urbanisme et d’architecture, Paris, Éditions
Joël Cuénot, 1969.
Pierre Couperie et Claude Moliterni, La Lune. Des premiers astronomes aux vols Apollo, Paris, SERG,
1968.
Pierre Couperie, « Régimes alimentaires dans la France du XVIIe siècle », Annales ESC, 18-6, 1963, p.
1133-1141.
Pierre Couperie, « L’alimentation au XVIIe siècle : les marchés de pourvoierie », Annales ESC, 19-3,
1964, p. 467-479.
Pierre Couperie, « 100 000 000 de lieues en ballon. La science-fiction dans la bande dessinée »,
Phénix, No.4, 1967, p. 31-40.
Pierre Couperie, « Les débuts du fantastique dans la bande dessinée : l’école du Herald », Phénix,
No.11, 1969, p. 57-77 ; rééd. Pilote, hors-série, spécial Fantastique, No.56 bis, janvier 1979, p. 13-15.
Pierre Couperie, « Anticipations réalisées, une revanche des bandes dessinées », Phénix, No.14, 1970,
p. 53.
Pierre Couperie, « Jeff Hawke », Phénix, Spécial Science-Fiction, No. 1973, p. 43-51.
Pierre Couperie, L’Enfant et l’animal dans la B.D., catalogue de l’exposition, Bibliothèque publique
d’information/Centre Georges Pompidou, section « Bibliothèque des enfants », fascicule ronéoté,
1976.
Pierre Couperie, « Un héritier de Robida », Buck Rogers au vingt-cinquième siècle, présentation, Paris,
Pierre Horay Éditeur, 1977, p. 10-14.
Pierre Couperie, « Illustres illustrés. La naissance et l’essor de la presse illustrée pour la jeunesse depuis
100 ans », Caractère, No.12, 1977, p. 47-70.
Pierre Couperie et Madeleine Jurgens, « Le logement à Paris, aux XVIe et XVIIe siècles », Annales ESC,
17-3, 1962, p. 488-500.
Pierre Couperie et Édouard François, « Flash Gordon (Guy l’Éclair). Le mythe, l’épopée », Phénix,
No.3, 1967, p. 3-7.
Pierre Couperie et Emmanuel Le Roy Ladurie, « Le mouvement des loyers parisiens de la fin du Moyen
Âge au XVIIIe siècle », Annales ESC, 25-4, 1970, p. 1002-1023.
Pierre Couperie et Claude Moliterni, « La science-fiction en France » (interview), Phénix, Spécial
Science-fiction, No.26, 1973, p. 2-15.
Rodolphe Töpffer, Paris, Pierre Horay, 1975.
Pierre Strinati, « Bandes dessinées et science-fiction. L’âge d’or en France (1934-1940) », Fiction, «
Chronique littéraire », No.92, 1961, p. 121-125.
Pierre Versins, « Bandes dessinées », dans Id., Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires
et de la science fiction, Lausanne, L’Âge d’homme, 1972, p. 93-98.
Il me faut ici remercier mes collègues de l’EHESS et tout particulièrement du Centre de recherches
historiques qui ont joué un rôle majeur dans la protection du patrimoine intellectuel de Pierre
Couperie : en premier lieu Nicolas Veysset, archiviste du Centre de recherches historiques de l’EHESS,
et Patricia Bleton, bibliothécaire du même centre. Parmi les collègues qui ont contribué à cette
quête : Perrine Mane, directrice de recherches au CNRS, Annik Le Pape, rédactrice de revues en
ligne à l’EHESS. Avec un clin d’œil particulier à Émeric Montagnese, réalisateur, qui m’a aidé à trier
les comic books américains, et un remerciement ému à mes enfants, Olivier et Margot Alexandre,
qui m’ont aidée et soutenue dans l’entreprise titanesque que Pierre Couperie m’avait laissée en
héritage. Et une mention spéciale à Julie Demange, qui a classé le fonds Pierre Couperie à
Angoulême et s’apprête à déchiffrer les arcanes de la naissance de la bédéphilie dans le cadre
d’un doctorat sous la direction de Pascal Ory.

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