ces cadres sup qui raffolent de l`intérim
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ces cadres sup qui raffolent de l`intérim
ENQUÊTE EMPLOI CES CADRES SUP QUI RAFFOLENT DE L’INTÉRIM Ils sont DRH, informaticiens, directeurs de société. Et INTÉRIMAIRES par choix. Zoom sur une nouvelle race de travailleurs : les intermittents de L’ENCADREMENT. ILLUSTRATION : NO SIESTA L 90 a quarantaine se profilant, Marie-Pierre Beauparlant a décidé de travailler autrement. L’intérim, c’est devenu son mode de vie, une respiration personnelle, une liberté revendiquée. Spécialisée dans l’organisation des entreprises et la direction des ressources humaines (DRH), elle multiplie désormais les missions, et mène plusieurs contrats de front. « J’interviens dans des situations de crise ou de changement : je suis là pour concevoir et mettre en place de nouvelles organisations, pas pour gérer le quotidien», souligne cette ancienne secrétaire générale d’un groupe de presse, à qui le statut d’intérimaire convient mieux que celui de consultant – pas assez opérationnel – ou de libéral – trop de paperasse et de charges. En ce moment, Marie-Pierre Beauparlant monte la DRH d’une filiale de Xerox. «Trois jours par semaine, précise-t-elle, le reste du temps je me consacre à d’autres missions.» A 57 ANS, SYLVAIN HASSID a lui aussi choisi ces fameux jobs temporaires très prisés. Il s’affiche depuis trois ans comme un «patron de transition » chargé d’occuper au pied levé des postes de direction soudain vacants. Ancien directeur de société pendant près de trente ans en France et à l’étranger (à Valeo, ABB ou LeroySomer), il enchaîne désormais les missions de six à douze mois. Après avoir redressé la filiale d’une société automobile franL’EXPANSION/NUMÉRO 646/DU 23 MAI AU 6 JUIN 2001 çaise en Italie, il s’occupe aujourd’hui de restructurer les usines hexagonales d’une multinationale anglaise spécialisée dans le plastique. Après quoi, il partira vers une nouvelle aventure. JEUNE DIPLÔMÉE titulaire d’un DESS de chimie, Sandra Aubin vient de signer à 25 ans son premier contrat en intérim. Un remplacement de trois mois comme chromatographiste pour un géant de l’agroalimentaire à Amiens. Elle est d’autant plus enchantée que les missions temporaires sont souvent plus faciles à décrocher avec un bac + 2 qu’avec un bac + 5. Ce premier job va lui mettre le pied à l’étrier, lui permettre d’acquérir de l’expérience et, qui sait, de décrocher un contrat à durée indéterminée (CDI). Sandra Aubin la débutante, Sylvain Hassid le senior et Marie-Pierre Beauparlant la quadra représentent les trois profils types d’une nouvelle race de travailleurs, désormais identifiée par les chercheurs : les intérimaires cadres. Certes, ils sont un peu moins de 8 000 en France (sur un total de 600 000 intérimaires), mais depuis la fin des années 90 leurs troupes s’étoffent: + 20% entre 1999 et 2000, après une croissance de 54% l’année précédente. L’émergence de ce marché n’a d’ailleurs pas échappé aux leaders du travail temporaire et de la chasse de têtes. Tandis que Manpower étoffait son réseau d’agences spécialisées dans les « hautes compétences», VediorBis a créé l’an dernier Expectra, filiale chargée de draguer les spécialistes. Du côté des cabinets américains, Boyden a lancé une branche intérim en 1998, suivi deux ans plus tard par Michael Page, qui a ouvert Page Interim Executive. e sont d’abord les pénuries de main-d’œuvre apparues depuis deux ans dans certains secteurs qui poussent les entreprises à faire appel à des cadres temporaires. « On nous demande énormément d’informaticiens, des responsables de paie, des contrôleurs de gestion, des ingénieurs de bureaux d’études », analyse Christine Marinovic, chargée du réseau cadre chez Manpower. La course à la compétence ponctuelle s’explique aussi pour Philippe Salle, PDG d’Expectra, par la nouvelle façon de travailler des entreprises: «A l’instar de ce qui se fait dans l’aéronautique ou l’automobile, elles se structurent de plus en plus en projets et font appel à un profil pointu pour un temps donné. » Passage à l’an 2000, mise en place des trente-cinq heures, introduction en Bourse, arrivée de l’euro… ont été – et restent – l’occasion de contrats dans les grandes entreprises, et dans les PME, incapables, pour la plupart, de salarier un spécialiste en CDI. LES RÉCENTS MOUVEMENTS DE FUSIONS et d’acquisitions expliquent aussi pourquoi les entreprises s’arrachent les intérimaires DRH, directeurs financiers et autres directeurs généraux. Pour restructurer, parfois couper les têtes – on parle de « mission commando » –, mieux vaut confier la hache à quelqu’un de l’extérieur! «A un moment donné, lorsque les C consultants ont donné leur avis, il faut savoir mettre en place une politique de terrain, réunir des équipes qui ne travaillaient pas ensemble », observe Gérard Fournier, responsable de Boyden Intérim. AU COURS DES DEUX DERNIÈRES ANNÉES, la nouvelle économie a aussi généré son lot de missions de haut vol, comme en témoigne Jean-Jacques Bérard, directeur associé d’Executive Interim Management (EIM), spécialisé dans le «management de transition ». « L’an dernier, nous avons placé des directeurs financiers pour aider les fondateurs de start-up à lever des fonds et à démarrer. Aujourd’hui, après les grosses chutes de la Bourse, on leur envoie des dirigeants opérationnels qui stabilisent l’entreprise sur le plan logistique, commercial, administratif.» Pourquoi les cadres – qu’ils soient dirigeants ou intermédiaires – passent-ils par l’intérim, longtemps assimilé à un pis-aller destiné au mieux à surmonter un passage à vide dans une carrière? « Les mentalités évoluent, les Français et les Européens se rapprochent lentement du modèle américain dans lequel le travail temporaire se banalise », note Philippe Salle, pour qui la récente embellie économique rend les gens plus hardis et suscite de nouvelles vocations. «Ces cadres sup ne sont plus accrochés à leur poste, mais acceptent de prendre des risques, JE ME “DÉFINIS COMME UN PATRON DE TRANSITION” SYLVAIN HASSID, 57 ANS LA PERCÉE D’UNE MINORITÉ 7 903 6 636 4 300 2 561 1 867 1996 1997 1998 1999 2000 NOMBRE DE CADRES INTÉRIMAIRES (équivalent temps plein). Sources : Ministère de l’Emploi, Dares, Sett. Seulement 1,3 % des 600 000 intérimaires français sont des cadres.Une proportion minime mais qui a quadruplé depuis 1996. conscients qu’ils pourront se revendre. En un an, ils assurent en moyenne quatre missions. C’est quatre expériences sur le CV. »Christine Marinovic, de Manpower, constate même que « de plus en plus de cadres quittent un poste fixe et se tournent vers l’intérim pour accélérer leur évolution de carrière, enrichir leur expérience et ainsi préparer leur rebond sur un autre poste fixe plus intéressant ». Pour autant, ces cadres sup sont payés entre 600 000 et 1,2 million de francs par an en moyenne, rien d’exceptionnel à ce niveau de responsabilité. our certains, l’intérim est le meilleur moyen de se sentir plus indépendant et surtout d’éviter la routine. Comme Sylvain Hassid, ce directeur temporaire qui se sent galvanisé par la difficulté des objectifs de chaque contrat ; il ne reviendrait en arrière « pour rien au monde». Marie-Pierre Beauparlant a elle aussi trouvé son équilibre: «Je suis parfois épuisée par ces changements à répétition, mais ils décuplent l’intérêt de ma vie professionnelle.» Les cadres intérimaires ont de beaux jours devant eux. Philippe Salle, d’Expectra, s’attend à une croissance de 20 à 30 % par an pour les cinq prochaines années. Quoi qu’il arrive, estime-t-il, les entreprises se les arracheront : que l’embellie économique se poursuive, et les pénuries de main-d’œuvre se multiplieront; que le climat se gâte, et les patrons, plus frileux, hésiteront à embaucher. Sans compter que la loi de modernisation sociale – qui durcit les conditions de licenciement – ne pourra que renforcer le charme des temporaires. P SABINE SYFUSS-ARNAUD L’EXPANSION/NUMÉRO 646/DU 23 MAI AU 6 JUIN 2001 91