XIX SIECLES Saint-Denis (La Réunion), 15,16 et 1
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XIX SIECLES Saint-Denis (La Réunion), 15,16 et 1
COLLOQUE INTERNATIONAL LE NEOCLASSICISME DANS LES COLONIES EUROPEENNES, XVIII e-XIXe SIECLES Saint-Denis (La Réunion), 15,16 et 17 décembre 2011 COMPTE RENDU1 Ce colloque, organisé par le MADOI (Musée des arts décoratifs de l’océan Indien) 2, était placé sous la direction de son conservateur, Thierry-Nicolas Tchakaloff. Les 20 intervenants, venus d’horizons géographiques divers (La Réunion, Guyane, Martinique, France métropolitaine, Portugal, Etats-Unis), ont présenté de riches communications permettant d’embrasser dans sa presque totalité l’espace de diffusion d’un mouvement artistique qui a profondément marqué les espaces coloniaux européens. Au final, ces études variées (analyses théoriques, architecture, mobilier, décor et ornementation) ont permis d’interroger les processus de transferts culturels sur un temps long et à différentes échelles. Lors de la première journée d'étude, l’accent a été mis sur les rappels et apports théoriques. Ainsi le colloque s’est ouvert par la conférence introductive de N.T. Tchakaloff. Tout en soulignant l’existence de décalages chronologiques (Paris/province, métropole/colonies), celui-ci a d’abord resitué le néoclassicisme dans son contexte chronologique : les années 1750-1760, le regain du modèle antique contemporain des découvertes archéologiques d’Herculanum (1738) et de Pompéi (1748), la réaction à l’art baroque et l’aspiration des philosophes des Lumières à une société nouvelle cherchant son modèle dans l’Antiquité. A l’aide de cartes, N.T. Tchakaloff a ensuite défini le contexte spatial : partage du monde après les traités de Tordesillas et de Saragosse, implantations coloniales des Européens (Portugais, Hollandais, Français et Britanniques), « zoom » sur l’Inde. Enfin, le directeur du MADOI a conclu son propos avec la photographie d’un « fauteuil planteur », exemple de meuble néoclassique illustrant l’intense circulation des pratiques artistiques entre les espaces coloniaux. Les autres interventions de la journée ont posé le double problème du retour aux sources de l’antique et des modalités de diffusion du répertoire classique. L’extrême vitalité éditoriale du XVIIIe siècle3, les collections rapportées de leurs voyages en Italie ou en Grèce par les membres des élites cultivées, leur saisie durant la Révolution, puis leur versement au musée du Louvre, sont autant de facteurs de diffusion présentés par Jean-Luc Martinez (directeur du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Musée du Louvre) dans son intervention intitulée « Du Grand Tour au Musée du Louvre : les collections d’antiques de Graufurd, d’Orsay et Dufourny ». Jean-François Bédard (professeur à l’université de Syracuse, New York) puis JeanPhilippe Garric (conseiller scientifique, Institut national d’histoire de l’art), se sont quant à eux intéressés à d’autres acteurs : les architectes et les décorateurs. En la matière, le Consulat et l’Empire furent dominés par Charles Percier (1764-1838) et Pierre Fontaine 1 Ceci est un compte rendu partiel qui n’engage ni les participants au colloque ni les organisateurs. Situé sur le domaine de Maison Rouge à Saint-Louis, le MADOI est un musée régional labellisé « musée de France ». Il présente ses riches collections à l’occasion d’expositions temporaires (par exemple « Chroniques indiennes. Le temps d’une escale créole », jusqu’au 31 juillet 2012). Voir le site du musée : http://madoi.re/. 3 Parmi les ouvrages d’architecture qui ont joué un rôle fondamental dans la naissance du néoclassicisme, on peut citer Jérôme C. Bellicard et Charles N. Cochin, Observations sur les antiquités de la ville d’Herculanum, 1754 ; Johan J. Winckelmann, Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques, 1755. Voir aussi le catalogue de l’exposition Musées de papier, recueils d’antiquités et recherches antiquaires en Europe, 1650-1780, Ed. Gourcuff Gradenigo/Louvre éditions, Paris, 2010. 2 (1762-1853)4, figures sur lesquelles J.F. Bédard a centré son étude (« Primitivisme et exotisme dans l’architecture antique de Percier et Fontaine ») en présentant le « rôle du décor architectural dans la recréation d’une société de cour au service de la propagande napoléonienne ». Dans son intervention sur « Charles Percier et la redéfinition du modèle classique. Des études romaines au recueil de décoration », puis dans la suite des échanges, J.Ph. Garric est revenu sur l’une des questions centrales du colloque : comment les modèles architecturaux se sont-ils diffusés dans les colonies ? Selon lui, il ne faudrait pas se focaliser sur les seuls « grands livres » et l’architecture savante : si l’ouvrage de Percier et Fontaine consacré aux palais de la Rome moderne5 fut très influent tout au long du XIXe siècle, c’est aussi parce que certains dessins6 furent copiés dans des manuels d’ingénieur, dans des recueils de plans de maison, ou encore dans des cours de dessin industriel, si bien qu’un public élargi eut accès à ces modèles architecturaux dont on avait fini par oublier l’origine. Néanmoins, les participants se sont accordés sur la nécessité de pousser les recherches dans les fonds notariaux (inventaires après décès) ou iconographiques (par ex. aquarelles de Patu de Rosemont à La Réunion) les correspondances familiales, ou encore les bibliothèques locales. Les deuxième et troisième journées ont été l’occasion d’analyser concrètement les modalités de diffusion du néoclassicisme dans les colonies européennes à partir de deux thématiques : l’architecture d’abord, puis le mobilier, le décor et l’ornementation7. Dans le domaine architectural, les communications ont couvert un vaste espace, ce qui a permis d’offrir de riches et stimulantes perspectives comparatistes : les Caraïbes avec Christophe Charlery (architecte, service territorial de l’architecture et du patrimoine de Moselle, « L’architecture néoclassique dans les anciennes colonies françaises d’Amérique ») et Céline Frémaux (conservateur régional de l’inventaire du patrimoine, Guyane, « Le transfert des modèles européens et leurs déclinaisons »), le Brésil avec José Manuel Fernandès (professeur à la Faculté d’architecture de l’université technique, Lisbonne, « Rio de Janeiro, capitale impériale portugaise, 1808-1821 : transformations de la ville »), La Réunion avec Bernard Leveneur (attaché de conservation du patrimoine, « L’Antique aux origines de l’architecture créole classique : l’architecture privée à La Réunion de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle »), l’Inde avec Kevin Le Doudic (doctorant, Université Bretagne Sud, « De l’archive au patrimoine. Les demeures françaises de Pondichéry ») l’océan Indien avec Anne-Marie Nida (Centre de recherche en histoire internationale et atlantique, CRHIA, « Le rôle des ingénieurs du roi de France dans la diffusion de l’esthétique classique dans l’océan Indien »). Soulignons d’ailleurs que cette démarche comparatiste était au cœur de la communication de Rafael Moreira (professeur à l’Université Nouvelle de Lisbonne, « St-Louis de Maragnan au Brésil et Goa en Inde, deux capitales et villes sœurs au XIXe siècle »). 4 On leur doit, entre autres travaux, le dessin de l’arc du Carrousel, la décoration ou le remaniement de plusieurs résidences impériales (le Louvre, la Malmaison, Compiègne, Fontainebleau…), ainsi que le projet de réunion du Louvre aux Tuileries. 5 Palais, maisons et autres édifices modernes dessinés à Rome, 1798 [rééd. 2008, présentation de J.Ph. Garric, Paris, éditons Mardaga]. 6 Pour appuyer sa démonstration, J.Ph. Garric s’est appuyé sur le Casino di Villa Giulia, via Flaminia à Rome (vers 1530), ibid. 7 Cette seconde thématique n’est pas abordée dans ce compte rendu. Il faut néanmoins signaler deux interventions qui ont encore élargi l’espace d’analyse : « Le goût néoclassique en Louisiane entre 1740 et 1840 ») présenté par Katie Hall (conservateur des arts décoratifs, Nouvelle Orléans) et « Le mobilier néoclassique en Afrique du Sud : sources et interprétations ») de Sophie Tibier (historienne de l’art, MADOI). Quelques lignes de force se dégagent de ces communications. Plusieurs circonstances ont favorisé l’éclosion et le développement du néoclassicisme dans les colonies : Des destructions urbaines dues aux catastrophes naturelles : Exemples : cyclones (Fort-de-France, 1817 ; Basse-Terre, 1825), tremblements de terre (Fort-de-France, 1839 ; Cap haïtien, 1842 ; Pointe-à-Pitre, 1843) Des créations ex-nihilo : Exemples : - Nova Goa (Inde) : faubourg de l’ancienne Goa élevé au rang de capitale (siège de la vice-royauté portugaise) en 1843, en remplacement de l’ancienne Goa progressivement abandonnée à partir du milieu du XVIIIe s. - Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) : ville pénitentiaire fondée en 1880 De nouveaux programmes urbains liés à des décisions politiques Exemple : 1808 : installation de la cour portugaise à Rio de Janeiro, 1822 : devient capitale du Brésil L’intensité de la vie culturelle et l’immigration française : Exemples : - Sao Luis de Maragnan (Brésil) : maintien du nom donné par les Français (cas unique au Brésil), plus grande proximité géographique avec l’Europe que pour les autres villes brésiliennes (contact avec Portugal, France, Angleterre), foyer culturel ( XVIIIe-XIXe s surnommée « l’Athènes brésilienne » - Artistes français de la Cour impériale réfugiés politiques au Brésil après 1815 : Grandjean de Montigny, Jean-Baptiste Debret… Le contexte économique : - développement du commerce favorise mise en contact, circulation des hommes et des idées (colonies-métropoles, colonies-colonies) malgré système de l’Exclusif pour les colonies françaises (par ex. commerce interlope entre Antilles et Etats-Unis après 1776) - mutations économiques : par ex. industrie sucrière à La Réunion après 1815 - système esclavagiste Le contexte politique et militaire : Exemples : - Guyane : colonie de relégation dès 1792 (prêtres réfractaires) puis à partir de 1852 - remilitarisation des colonies françaises à partir de 1815 Pour R. Moreira : « unité du colonialisme dans le premier vrai système global » Les agents de diffusion (maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre) sont divers : Impulsion donnée par les chantiers publics (palais, tribunaux, casernes, prisons, hôpitaux, théâtres, établissements scolaires…) : Guyane, Rio, Goa, Antilles - symbole d’autorité, d’ordre - vecteur de domination européenne puis élément fédérateur local pour les colons [Frémaux] - prestige = choix esthétiques servent un discours politique Ex : théâtre impérial de Rio créé sur décret (1808) et inauguré en 1813, très proche de celui de Lisbonne, sauf pour son fronton = affirmation d’un style de pouvoir [Fernandès] Impulsion donnée par l’architecture privée : Sao Luis, La Réunion (rôle de l’aristocratie foncière et de la bourgeoisie urbaine de 1790 à 1830, peu de grands chantiers publics à cette époque) Maîtres d’œuvre : rôle des ingénieurs du roi, imprégnés de la culture classique des Lumières, « précurseurs des urbanistes du XIXe s » [Nida], déclinent les modèles métropolitains (ex, rôle de Louis-Michel Thibaut au Cap, Nida), sollicités pour leur expertise dans les constructions privées (ex, ingénieurs des services publics formés à Lisbonne ou à Bombay interviennent à Goa, Moreira) En fin de colloque, une tentative de schématisation a été proposée : Sur la chronologie : - Phase 1 : apparition du néoclassicisme dans la colonie - Phase 2 : adaptation en fonction des besoins sociaux et des conditions environnementales - Phase 3 : généralisation de ce néoclassicisme adapté : devient norme de référence et forme d’identification Sur la diffusion dans le corps social [par ex. à La Réunion] : - Phase 1 : adoption par les catégories sociales supérieures - Phase 2 : imitation et appropriation - Phase 3 : généralisation à toute la société N.B. : les décalages temporels favorisent la cohabitation de plusieurs styles Rapports métropoles-colonies : diffusion directe ou indirecte ? - diffusion directe : métropole colonie - diffusion indirecte : métropole colonie-étape (Ex : Le Cap ou Inde) colonie (Ex : Réunion) - question reste posée : quelles adaptations dans les colonies-étapes ? Les participants se sont quittés sur la promesse de poursuivre leurs réflexions lors d’un prochain colloque. Compte-rendu réalisé par Myriam Doriath (lycée Le Verger, Sainte-Marie) Annexe : Fiche de synthèse réalisée à partir de l’intervention de B. Leveneur « L’Antique aux origines de l’architecture créole classique : l’architecture privée à La Réunion de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle ») Le néoclassicisme dans l’architecture privée à La Réunion8 Période Des années 1730 à la première moitié du XXe s. Type Influence Signes distinctifs De la fin du XVIIIe s. à la fin du XIXe s. Maison à pavillon Maisons rurales de l’Ouest de la France Plan massé Symétrie de la distribution intérieure Maison néoclassique Style néoclassique européen Varangue Autres influences ou innovation locale Haute toiture à quatre pans Varangue (s.d. origine portugaise) Colonnes (avant 1790 : influence pondichérienne ?) Galeries Façade sur rue très décorée : colonnes toscanes, piliers, pilastres, attiques, moulures Motif fétiche : losange Fronton (mais plus rare que pour les bâtiments publics) Façade-écran Ex : maison Déramond, St-Denis Etape 1 Etape 2 Fin XVIIIe s. Exemples Maisons de ville : maison Adam de Villiers, St-Pierre ; 1780-1790 ; cure de St-Denis, v. 1745 Maison rustique : domaine Bang, St-Denis (Domenjod), fin XVIIIe s 1830-1832 Modèle de transition avec la période précédente : maison Macé, St-Denis, v. 1810-1825 Modèle 1 (galerie en rez-dechaussée) : maison Delestrac (villa du département), St-Denis, v. 17801790 ; domaine du Chaudron, v. 1845 Modèle 2 d’inspiration palladienne9 (deux galeries, l’une au rez-dechaussée, l’autre à l’étage) : - prémisses : maison Desbassayns, St-Gilles (influence pondichérienne discutée) - « chef d’œuvre » : Bois Rouge, St- André, 1800-1810 : fortes ressemblances avec l’hôtel du gouvernement à Pondichéry - apogée sous le IId Empire : Château Morange, St-Denis, 1860 Et pour boucler la boucle : la maison du Chaudron servit de modèle au pavillon de La Réunion pour l’exposition coloniale de 1931. 8 Voir aussi Bernard Leveneur, Petites histoires de l’architecture réunionnaise. De la Compagnie des Indes aux années 1960, Editions du 4 Epices, Ste-Clotilde, 2007. 9 Style architectural influencé par l’œuvre de l'architecte italien Andrea Palladio (1508-1580).