Moral M., 1999, L`impact de la relation mère-fille
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Moral M., 1999, L`impact de la relation mère-fille
UNIVERSITE DE PARIS VIII UFR PSYCHOLOGIE, PRATIQUES CLINIQUES ET SOCIALES MEMOIRE DE MAITRISE ETUDE DE PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET PATHOLOGIQUE L’impact de la relation mère-fille sur le choix du mari de la fille. Présenté par : Michel MORAL Session de Septembre 1999 Séminaire dirigé par Pierre ANGEL Enseignant Tuteur : Silke SCHAUDER 0 Résumé L’objet de cette recherche est la phase critique de la relation entre mère et fille, lorsque cette dernière effectue son choix conjugal. L’engagement de la fille dans une relation objectale solide et durable avec un homme constitue en effet une remise en cause brutale du lien avec sa mère, surtout si ce lien était fort. Il est classique d’attribuer les aléas du choix conjugal de la fille aux difficultés rencontrées durant la deuxième phase de son développement affectif, c’est-à-dire lorsqu’elle change d’objet d’amour. Le rapprochement avec le père, au sein du triangle oedipien, ou la recherche de la protection de l’un des parents, au sein de la triade narcissique, constitue alors le modèle de la recherche à venir du conjoint. L'idée développée dans la présente recherche est différente. Elle prévoit qu’un critère majeur du choix conjugal de la fille est le dilemme posé par la séparation d’avec la mère, premier objet d’amour. Ce critère deviendrait prévalent lorsque la fille est surinvestie par la mère. La fille peut en effet hésiter entre rompre le lien à sa mère, au prix d’une insurmontable culpabilité, se soumettre, devenir folle, ou bien, rechercher un compromis visant à protéger le lien à la mère en sélectionnant un mari qui ne le remettra pas en cause. L’hypothèse avancée dans cette recherche est que cette dernière solution est préférée. Le dispositif expérimental consiste à proposer au sujet, la fille, deux versions du conte de La petite sirène qui symbolise puissamment le lien mère-fille et sa remise en cause. Ces deux versions sont celles de Hans Christian Andersen (1837) et de Walt Disney (1990). Le sujet est ensuite invité à créer son propre scénario à partir de ces deux versions. Nous admettrons que les options narratives du sujet reflètent sa propre problématique. Les résultats cliniques comprennent la passation de trois protocoles. Le contenu latent de chacun est interprété puis résumé sous forme graphique. L’analyse des résultats cliniques montre que l'hypothèse est vérifiée pour les sujets de l'expérience. Cependant, la taille de notre échantillon ne permet pas de conclure que ces résultats peuvent être généralisés. En outre, la grille de lecture utilisée demanderait à être validée en termes de validité, de fidélité et de sensibilité. Toutefois, l’approche se révèle très féconde, en particulier parce qu’elle permet d’envisager de nouvelles voies pour opérationnaliser la théorie psychanalytique : le principe du dispositif expérimental, créé pour cette étude, est en effet applicable à plusieurs autres problématiques voisines. Mots-Clés : Mère, Fille, Conjoint, Mari, Lien. 93 pages - 145 références bibliographiques. 1 Abstract (United Kingdom English) The objective of this research is to study the mother daughter relationship at a critical phase, when the daughter selects her husband. The involvement of the daughter in a strong and permanent objectal relationship with a man is in fact a violent questionment of the mother-daughter bond, especially when this bond is tight. A classical assumption is that the marital choice of the daughter is influenced by the difficulties encountered during the second phase of her affective development, that is when she changes the original love object. Closeliness with the father, in an oedipal perspective, or looking for a parental protection, in a narcissist perspective, is then the model for the search of the husband. The idea developed in this research is that a key marital selection criterion is the dilemma raised by the separation from the mother, first love object. This criterion would even become prevalent when the daughter is especially surrounded by her mother. The daughter can hesitate whether she should break the bond, with unbearable culpability, submit, fall into insanity, or, compromise to protect the bond with her mother by selecting a husband who will not question it. The assumption in this research is that the later solution is preferred. The clinical study consists in submitting to the daughter two versions of the fairy tale The little mermaid which is a strong symbolic representation of the problem. These two versions are Hans Christian Andersen (1837) and Walt Disney (1990). The daughter is then invited to create her own version of the story from elements of the two submitted versions. We assume that her narrative options reflect her own dilemma. Three case studies have been conducted, each of them having been analysed and summarised in the form of graphic representations. The analysis of the clinical results shows that our assumption is verified in the three situations, but, our sample is too small to allow generalisation. In addition, the validity of the test, its fidelity and its sensibility need to be assessed. But, the approach seems to be promissive as a way to factualise elements of the psychoanalytic theory: the experimental tool designed for this research is indeed applicable to a number of similar situations. Keywords : Mother, Daughter, Husband, Bond. 93 pages - 145 references. 2 Remerciements Je remercie le docteur Frank Schmidt qui a bien voulu ouvrir les portes du CMPP de Juvisy sur Orge où j’ai trouvé une équipe dont la contribution à cette étude a été significative. En particulier, je remercie Jeannine Pavat et François Benoist, thérapeutes, qui m’ont confié leurs patients pour les entretiens cliniques. Sans la confiance qui m’a été ainsi témoignée, ma recherche n’aurait pu aboutir. Des remerciements particuliers vont à Silke Schauder, Maître de Conférence à l’IED, qui a suivi avec patience la genèse de mes idées et qui, à certains carrefours, a su diriger mon regard vers des voies que je persistais à ignorer. Je remercie Pierre Angel, Professeur à Paris VIII, dont l’enseignement sur la famille m’a permis d’aborder cette recherche avec un esprit d’ouverture. Je remercie également Alberto Eiguer dont le séminaire sur la perversion, auquel je participe depuis plusieurs années, constitue un réservoir d'idées dans lequel j’ai largement puisé. Je remercie enfin les jeunes femmes qui ont accepté de contribuer à cette recherche en se prêtant au dispositif clinique élaboré pour cette étude. 3 Table des matières Page Première partie Résumé Abstract Remerciements Table des matières Mères de la mer 1 2 3 4 8 Introduction générale 9 Genèse de l'idée de recherche Originalité du thème retenu Difficultés rencontrées Référence théorique utilisée Démarche poursuivie et étapes proposées 9 9 9 10 11 Etat de la question 12 Introduction Remarques préalables 12 13 1 - 1 - Thème 1 : La spécificité de la psychogenèse féminine 1 - 1 - 1 - Psychogenèse comparée du garçon et de la fille 1 - 1 - 2 - Débats initiaux 1 - 1 - 3 - De l’imaginaire au symbolique 1 - 1 - 4 - Point de vue actuel 1 - 1 - 5 - Conclusion 14 14 17 17 18 20 1 - 2 - Thème 2 : La notion de lien 21 1 - 3 - Thème 3 : La relation mère fille 25 1 - 3 - 1 - Freud et ses contemporains 1 - 3 - 2 - L'école anglaise 1 - 3 - 3 - Auteurs modernes 1 - 3 - 4 - Numéro spécial de la RFP sur la filiation féminine 1 - 3 - 5 - Congrès de l’ECPI sur la relation mère-fille 1 - 3 - 6 - Congrès aux USA sur la relation mère-fille 1 - 3 - 7 - Conclusion 1 - 4 - Thème 4 : Choix du conjoint 1 - 4 - 1 - La satisfaction libidinale 1 - 4 - 2 - La référence parentale 1 - 4 - 3 - L'étayage 1 - 4 - 4 - Le renforcement narcissique 1 - 4 - 5 - Le renforcement des défenses 1 - 4 - 6 - Aspects dynamiques 1 - 4 - 7 - Conclusion et choix théorique 1 - 5 - Thème 5 : Le fonctionnement familial et conjugal 26 27 28 32 33 35 36 40 41 41 41 42 42 42 43 44 4 Deuxième partie Problématique et hypothèses de travail 46 Introduction 2 - 1 - Problématique 46 46 2 - 1 - 1 - Le lien maternel surinvesti 2 - 1 - 2 - Une recherche d’objet principal 2 - 1 - 3 - Un choix de conjoint Troisième partie 47 47 46 2 - 2 - Formulation de l’hypothèse de travail 2 - 3 - Problèmes méthodologiques 2 - 4 - Phénomènes contre transférentiels 48 48 48 Considérations théoriques 49 3 - 1 - Synthèse des choix théoriques 3 - 2 - Structure des interactions 49 52 3 - 2 - 1 - Interactions conjugales 3 - 2 - 2 - Interactions verticales 3 - 2 - 3 - Aspects quantitatifs 3 - 3 - Conséquences des interactions 52 53 54 55 3 - 3 - 1 - L'incomplétude de la mère et les options de la fille 55 3 - 3 - 2 - Les options maritales de la fille 60 Quatrième partie 3 - 4 - Conclusion 62 Etude clinique 63 Introduction 4 - 1 - Raisons du choix du conte de la petite sirène 4 - 2 - Articulation de chaque version du conte 63 64 65 4 - 2 - 1 - Le texte d’Andersen 4 - 2 - 2 - La version de Walt Disney Cinquième partie 4 - 3 - Population étudiée 4 - 4 - Protocole 4 - 5 - Avertissement déontologique 4 - 6 - Consigne 4 - 7 - Résultats attendus 71 72 72 73 73 Résultats de l’étude clinique 76 Introduction 5 - 1 - Analyse des résultats 76 77 5 - 1 - 1 - Eléments communs 5 - 1 - 2 - Force des liens Sixième partie 65 68 77 77 5 - 2 - Dépouillement du protocole de Mélanie 5 - 3 - Dépouillement du protocole de Gertrude 5 - 4 - Dépouillement du protocole d’Odile 79 83 87 Discussion 91 6 - 1 - Rappel des hypothèses 6 - 2 - Analyse des résultats 91 92 6 - 2 - 1 - Mise à l’épreuve des hypothèses 92 6 - 2 - 2 - La petite sirène comme outil d’investigation valide 93 6 - 3 - Limites de notre recherche 94 5 6 - 3 - 1 - Limites liées à l’antécédent de l'hypothèse 94 6 - 3 - 2 - La question de la causalité et des variables externes 95 6 - 3 - 3 - Limites liées au conséquent de l'hypothèse 95 6 - 3 - 4 - Généralisation 95 6 - 4 - Confrontation aux résultats existants 6 - 5 - Contribution de l'étude 6 - 6 - Perspectives et questions ouvertes 95 96 96 6 - 6 - 1 - Intérêt pour l’objet de la recherche 96 6 - 6 - 2 - Réactions suscitées par le sujet chez les femmes 96 6 - 6 - 3 - Effets sur la thérapie et perspectives thérapeutiques 97 Annexe 1 6 - 7 - Conclusion générale 98 Bibliographie 99 Index des noms 105 Mythes relatifs à la relation Mère fille 108 A1 - 1 - Le mythe de Déméter et de Coré (Perséphone) 108 A1 - 1 - 1 -Introduction A1 - 1 - 2 - Les faits A1 - 1 - 3 - Les acteurs du drame A1 - 1 - 4 - Conclusion Annexe 2 Annexe 3 108 108 109 112 A1 - 2 - Le Mythe vampirique 112 Débats sur la psychogenèse féminine 115 A2 - 1 - Les débats initiaux A2 - 2 - Points de vues récents sur le problème en France A2 - 3 - Points de vues récents sur le problème aux USA A2 - 4 - Retour au syllogisme freudien A2 - 5 - Conclusion 115 118 122 122 126 Observations préalables 128 A3 - 1 - Introduction A3 - 2 - Observations dans l’entourage A3 - 3 - Observations dans les ouvrages publiés 128 128 129 A3 - 2 - 1 - Marty 1994, le cas Lucie H. A3 - 2 - 2 - Marty 1994, le cas Juliette F. A3 - 2 - 3 - Yhuel 1997, le cas Charlotte A3 - 2 - 4 - Yhuel 1997, le cas Sabine A3 - 2 - 5 - Cramer 1996, le cas Sofia A3 - 2 - 6 - Lemaire 1992, Observation 17 : Patricia 129 130 130 130 131 131 A3 - 4 - Conclusion 132 Annexe 4 Planches utilisées pour les entretiens 133 Annexe 5 Données cliniques 142 A5 - 1 - Mélanie A5 - 1 - 1 - Eléments sur le sujet (la fille) A5 - 1 - 2 - Eléments sur la fratrie 144 144 144 6 A5 - 1 - 3 - Eléments sur la mère A5 - 1 - 4 - Eléments sur le père A5 - 1 - 5 - Eléments sur le compagnon de la fille A5 - 1 - 6 - Contre transfert A5 - 1 - 7 - Transcription de l’enregistrement A5 - 2 - Gertrude A5 - 1 - 1 - Eléments sur le sujet (la fille) A5 - 1 - 2 - Eléments sur la fratrie A5 - 1 - 3 - Eléments sur la mère A5 - 1 - 4 - Elément sur le père A5 - 1 - 5 - Eléments sur le mari A5 - 1 - 6 - Contre transfert A5 - 1 - 7 - Transcription de l’enregistrement A5 - 3 - Odile A5 - 1 - 1 - Eléments sur le sujet (la fille) A5 - 1 - 2 - Eléments sur la fratrie A5 - 1 - 3 - Eléments sur la mère A5 - 1 - 4 - Elément sur le père A5 - 1 - 5 - Eléments sur les maris A5 - 1 - 6 - Contre transfert A5 - 1 - 7 - Transcription de l’enregistrement 144 145 145 145 146 156 156 157 157 157 158 158 158 169 169 169 169 170 170 170 171 Figures 1 - Psychogenèse comparée du garçon et de la fille 2 - Travaux sur la relation mère-fille 3 - Position du problème 4 - Issues de la relation mère-fille 5 - Attitudes de la fille sous l’emprise maternelle 6 - Positionnement du conte de La petite sirène 7 - Mélanie : contenu manifeste 8 - Mélanie : contenu latent 9 - Mélanie : analyse des interactions 10 - Gertrude : contenu manifeste 11 - Gertrude : contenu latent 12 - Gertrude : analyse des interactions 13 - Odile : contenu manifeste 14 - Odile : contenu latent 15 - Odile : analyse des interactions 16 - Psychogenèse selon le syllogisme freudien (annexe 2) 17 - Exemples (annexe 2) 18 - Génogramme : Mélanie (annexe 5) 19 - Génogramme : Gertrude (annexe 5) 20 - Génogramme : Odile (annexe 5) 16 39 51 59 61 75 80 81 82 84 85 86 88 89 90 124 125 143 155 168 Tableaux 1 - Typologie familiale 2 - Exemple d’interaction mère-fille 3 - Grille d'évaluation 4 - Evaluation 45 54 74 78 7 Mères de la mer “Le roi des mers était veuf depuis bien des années, c’est sa vieille mère qui tenait la maison, c'était une femme avisée mais fière de sa noblesse, aussi portait elle douze huîtres sur la queue, la ou les autres dignitaires ne devaient en porter que six... Sinon, elle méritait de grandes louanges, en particulier parce qu’elle aimait tant les petites princesses de la mer, les filles de son fils. Hans Christian Andersen, 1837, La petite sirène in Contes, Folio, Paris, pages 57-58. “Elle (la petite sirène) arriva alors dans un grand espace visqueux dans la forêt ou s'ébattaient des couleuvres d’eau, grandes et grasses, en montrant leur répugnant ventre jaunâtre. Au milieu de cet espace se dressait une maison faite de blancs ossements humains échoués : c’est là que siégeait la sorcière de la mer, qui faisait manger un crapaud dans sa propre bouche comme font les humains pour donner du sucre à un petit canari. Ses affreuses et grasses couleuvres d’eau, elle les appelait ses petits poussins et les laissait se vautrer sur sa vaste poitrine spongieuse.” Hans Christian Andersen, 1837, La petite sirène in Contes, Folio, Paris, pages 73-74. Une fois encore, les yeux à demi éteints, elle (la petite sirène) regarda le prince, puis se précipita du navire dans la mer, et elle sentit son corps se dissoudre en écume.” Hans Christian Andersen, 1837, La petite sirène in Contes, Folio, Paris, page 84 8 Introduction Générale Le thème abordé dans ce Mémoire de Recherche est la relation entre une mère et sa fille lorsque ce lien de filiation est très intense. Plus particulièrement, nous étudierons l’impact de cette relation sur les critères de choix de la fille lorsque celle ci s’engagera dans la recherche d’un mari, c’est à dire d’un partenaire sexuel pérenne susceptible de perpétuer la lignée. Genèse de l'idée de recherche Les idées directrices ayant présidé à ce projet sont à la croisée de trois chemins : 1 - A l'origine, plusieurs observations personnelles résumées dans l’annexe 3. 2 - La mise en évidence, au cours de mon analyse personnelle, d'une problématique voisine au sein de la branche maternelle de mon ascendance. 3 - La lecture de certaines des observations proposées par Pierre Marty (1994), Isabelle Yhuel (1997), Bertrand Cramer (1996) et Jean Lemaire (1992). Quoique rédigées en vue d'illustrer une problématique différente, les observations rapportées par ces auteurs illustrent de façon saisissante comment une mère peut "infliger" à une de ses filles le modèle de ses propres lacunes et quelles sont les issues possibles pour la fille élue (voir également l’annexe 3). Originalité du thème retenu Les premières recherches bibliographiques ont montré que la relation entre mère et fille reste un domaine encore peu étudié. De même, le mécanisme du choix conjugal n’a pas encore été complètement exploré sous l’angle d’une différence entre les sexes. En particulier, pour ce qui est du choix du mari de la fille, la référence parentale, une des composantes de ce choix, est aujourd’hui considérée comme prévalente et articulée autour de : - la recherche d’une référence paternelle, de type objectal ou anaclitique (l’homme amant ou encore l’homme qui, comme le père, protège), - la recherche d’une référence maternelle de type anaclitique (l’homme qui, comme la mère, protège). Mon Mémoire envisage un autre choix visant à la protection de la relation existante à la mère, c’est à dire le choix d’un homme “en creux”, objectalement neutre, incapable de séparer la fille d’avec la mère. Difficultés rencontrées La complexité du projet tient, d’une part au nombre d’acteurs dans le système étudié (père, mère, fille et son mari) et, d’autre part aux multiples mécanismes en jeu (emprise maternelle, séparation, choix de mari). Il n’existe pas de modèle théorique rendant compte du fonctionnement de ce système particulier et certains de ses éléments, notamment la psychogenèse féminine et la 9 relation mère-fille, ont donné lieu à de vives polémiques. Le dédale des opinions différentes, voire opposées, est d’une grande complexité et le sujet, loin d'être épuisé, nourrit abondamment les arts et les sciences. En outre, les outils disponibles pour l'étude clinique (questionnaires standards, test projectifs classiques,...) ne sont pas adaptés à la problématique et, aux difficultés théoriques, s’ajoutent des difficultés d’opérationnalisation. Pour ce qui concerne la psychogenèse féminine, la décision a été prise de ne pas trop entrer dans le labyrinthe théorique et de considérer comme acquise la position classique de Freud, telle qu'exposée de façon moderne par Marcel Houser (1992). Il nous a paru cependant nécessaire de donner une idée du contenu des débats. L’annexe 2 est consacrée à un examen plus détaillé de ces polémiques. Référence théorique utilisée En raison du fait que le domaine de recherche a pour principal objet les interactions intrafamiliales, l'alternative théorique ne comprend que deux termes : la théorie familiale systémique et la psychanalyse. La référence théorique choisie est la psychanalyse et les motifs pour lesquels la préférence lui a été donnée sont les suivants : 1 - Le domaine de recherche est centré sur les caractéristiques d'un lien intergénérationnel portant sur un genre spécifique (le genre féminin). Or, la théorie familiale systémique, si elle n'ignore pas la différence des générations et l'emprise parentale (Stierlin, 1974), est peu explicative quant aux mécanismes mettant en jeu la différence des sexes et les phénomènes en résultant. 2 - De la même façon, la théorie familiale systémique est peu explicative quant aux mécanismes mis en jeu dans la relation à un objet du même sexe. Le concept psychanalytique de narcissisme, par contre, permet de mettre en évidence les principaux aspects identificatoires de cette relation. 3 - La problématique étudiée se pose essentiellement en termes d'alternative affective. La théorie familiale systémique est plutôt fondée sur l'étude de la communication que sur celle de l'affect. Ce dernier étant un fondement de la théorie psychanalytique, celle ci parait donc mieux adaptée. 4 - Les développements théoriques de la psychanalyse dans le domaine de la famille s'appuient sur l'hypothèse de l'existence d'un appareil psychique groupal (ou familial), isomorphe de l'appareil psychique individuel tel que proposé dans la deuxième topique freudienne (c'est-à-dire comportant des instances, Moi, Surmoi, Ça, etc..., en conflit). Ce modèle théorique permet de travailler à trois niveaux (individuel, groupal et au niveau des interactions) et dans un continuum théorique. Ceci n’est pas possible avec la théorie familiale systémique qui ne se réfère pas à un modèle individuel. En particulier, le choix conjugal a été exploré en détail par Jean Lemaire (1992) et les liens par Alberto Eiguer (1987, 1991a et 1998). 10 Démarche poursuivie et étapes proposées Nous proposons les étapes suivantes qui correspondent au chemin parcouru pendant la recherche : 1 - Tout d’abord, nous ferons un état de la question sur 5 thèmes essentiels liés à cette l'étude. Nous verrons donc successivement : Les aléas de la psychogenèse féminine (approfondies en annexe 2), La notion de lien, Les différents points de vues sur la relation mère fille, Le choix conjugal, Le fonctionnement conjugal, 2 - Puis, nous expliciterons la problématique et l’hypothèse de travail sera formulée. 3 - En vue de rendre compte du fonctionnement du sous-système étudié, nous proposerons une approche théorique originale. 4 - L'hypothèse sera mise à l'épreuve d’un dispositif expérimental que nous avons tenté d’adapter au problème posé. Ce dispositif vise à faire émerger des éléments inconscients et utilise comme media un conte dont le thème est très voisin de la problématique étudiée. 5 - Les résultats des entretiens cliniques seront interprétés afin de révéler leur contenu latent. La structure familiale sera recherchée à partir des éléments cliniques contenus dans les dossiers thérapeutiques et au travers des séances de thérapie familiale. Cet ensemble de données sera confronté à l'hypothèse. 6 - Enfin, après avoir mis à l’épreuve les hypothèses et les choix effectués, nous discuterons la pertinence de la démarche, les conclusions qui peuvent être tirées de cette recherche et les perspectives qu’elle peut ouvrir. 11 Première partie : Etat de la question Introduction La problématique abordée dans ce mémoire a rarement donné lieu, en tant que telle, à des réflexions ou des recherches systématiques. Il s’agit en effet d'étudier une combinaison d’acteurs (le père, la mère, la fille, et son mari) dans laquelle nous cherchons à isoler une relation entre deux des interactions possibles : mère-fille et fille-mari. Compte tenu du fait que les autres interactions (père-mère, père-fille, mère-mari, père-mari et d’autres encore) sont loin d'être négligeables et que les déterminants du mécanisme étudié (le choix du conjoint) résultent de l’histoire de chacun des acteurs, le sous ensemble étudié est soumis à l’influence de nombreux facteurs. Cette complexité explique peut être pourquoi son étude est encore sommaire. Cependant, bon nombre de thèmes connexes ou voisins ont été largement débattus et ont fait l’objet de constructions théoriques sinon achevées, du moins approfondies. En particulier : Thème 1 - la spécificité de la psychogenèse féminine Thème 2 - la notion de lien Thème 3 - la relation entre mère et fille Thème 4 - les critères de recherche du conjoint Thème 5 - le fonctionnement conjugal ou familial Il nous a paru indispensable, et c’est le but de cette première partie, d’identifier précisément les carrefours de pensée pour chacun des domaines ci dessus et les termes de chaque alternative théorique proposée. La tâche entreprise consiste en effet à combiner en un même ensemble des éléments de théorie empruntés a chacun de ces thèmes. La cohérence entre ces éléments disjoints nécessite donc que nous nous assurions de la compatibilité entre leurs présupposés et leurs conséquents. Les objectifs de cette première partie sont donc : - pour chaque thème, de situer brièvement les débats, - d’expliciter les positions de chacun, - de préciser le positionnement théorique que nous adopterons par rapport aux schémas disponibles pour chacun des thèmes ci dessus, - de justifier les raisons de nos choix. La partie théorique sera ensuite développée sur la base de ces choix. 12 Remarques préalables La langue française offre une position tout à fait particulière quant à sa relation au sujet de ma recherche : alors que les thèmes principaux sont le maternel et la castration, le français est la seule langue qui rassemble des termes tels que mère (mother en anglais, Mutter en allemand) et mer (sea en anglais, See, Meer en allemand) et pour laquelle coupable (guilty en anglais, schuldig en allemand) est aussi coupable (secable en anglais, abtrennbar en allemand). D’autres proximités lexicales et sémantiques (comme saillant (prominent, salient en anglais) et saillir (to cover (female), to stand out en anglais), ou bien pécher (être coupable d’un péché) et pêcher (dans la mer, justement) existent et centrent notre langage sur la problématique étudiée. Bien entendu, il faut aussi citer se reproduire, la relation entre affect et le verbe affecter, les nuances d’une expression telle que “être sous la coupe de quelqu’un”, les différents sens du mot amer, et enfin la proximité troublante entre non et nom. Lacan ne pouvait que naître français en raison de ces polysémies particulières, si proches des thèmes principaux de la psychanalyse. Le choix du conte de La petite sirène comme stimulus expérimental tient pour partie à ces proximités. Par ailleurs, dans toute la suite de cette étude, les mots pénis (organe sexuel réel exclusivement mâle) et phallus (symbole de complétude narcissique commun aux deux sexes) ont été utilisés avec le soin d'éviter toute confusion conceptuelle. Si une telle confusion de sens existait dans l’oeuvre d’un l’auteur cité, les clarifications nécessaires seront données. Enfin, il a été décidé de préciser les prénoms des auteurs dans le texte et la bibliographie. Cette recherche portant sur une spécificité du genre, il nous a semblé que celui des auteurs pouvait être important à connaître par le lecteur. 13 Thème 1 : La spécificité de la psychogenèse féminine “La mère, au contraire, va investir sur son enfant toutes ses attentes narcissiques et libidinales, sans que l’on puisse craindre habituellement la perversion qui hante les théoriciens, du moins tant qu’un tiers reste investi.” Faure-Pragier Sylvie, 1999, Le désir d’enfant comme substitut du pénis manquant in Clés pour le féminin, Revue Française de Psychanalyse, page 53. 1 - 1 - 1 - Psychogenèse comparée du garçon et de la fille Comme illustré dans la figure 1, qui résume le modèle de développement psychique initialement conçu par Sigmund Freud à partir de 1908, le garçon a un développement affectif relativement simple comparé à celui de la fille : ayant constaté la différence des sexes, il réalise qu’il a clairement quelque chose à perdre et que la castration pourrait bien sanctionner un désir coupable. L’angoisse de castration lui permettra de renoncer à la mère, de chercher à dépasser le père et d’ancrer au plus profond de lui même le respect de l’interdit sous peine de punition. Divers écueils le guettent sur ce chemin, en particulier le clivage de l’image féminine entre “maman” et “putain”, ou entre “maman” et “monstre” (castrateur ou vampire). Il peut aussi renoncer à rivaliser avec le père et rechercher uniquement sa protection, attitude pouvant aller jusqu'à une totale soumission. Il peut enfin chercher à protéger à tout prix l’image de la mère, ou bien gommer la menace qui pèse sur lui même, en déniant tout ou partie des conséquences à tirer du constat de la différence des sexes. Cette vision du développement affectif masculin doit être complétée par le fait que la découverte de la différence des sexes est conjointe à celle de certains aspects de la différence des générations (par exemple, le rival paternel est “beaucoup plus fort”, donc, le problème oedipien ne peut être résolu par la force). Au complexe de castration se mêle donc la gestion d’une blessure narcissique. Le développement affectif de la fille est, par contre, beaucoup plus compliqué. Elle doit gérer les mêmes questionnements que le garçon (différence des sexes et différence des générations, rivalité ou soumission, clivage des images internes), mais également d’autres qui lui sont spécifiques : 14 - existence d’organes sexuels féminins externes mais aussi internes, aux fonctions plus étendues que celles des organes sexuels masculins. - changement de l’objet d’amour. Le développement affectif de la fille exige donc des étapes plus nombreuses et, par voie de conséquence, des risques de dérive plus élevés. La figure 1 résume ces étapes par comparaison avec celles du garçon dans une perspective théorique freudienne. Sans entrer dans le détail des débats qui ont eu lieu depuis 1908, il est cependant nécessaire de situer rapidement les désaccords théoriques quant au développement psychosexuel de la fille. En effet, l’examen des positions de chacun sur ce sujet, s’il ne constitue pas le principal domaine d'étude, doit rester en arrière plan de nos réflexions car il permet d'éclairer certains aspects des entretiens cliniques. Afin de rester à un niveau de complexité acceptable, il a été décide de ne pas faire entrer en ligne de comptes les conséquences théoriques des diverses variantes théoriques mises à jour depuis 1908. C’est pourquoi nous nous limiterons ci dessous à un résumé des principales questions sur la psychogenèse féminine, le détail étant reporté en annexe 2. Egalement, nous restreindrons notre tour d’horizon aux deux principales questions qui ont été violemment débattues, à savoir : - les conséquences de la découverte de la différence des sexes. - le mécanisme du changement d’objet 15 FIGURE 1 PSYCHOGENESE COMPAREE du GARÇON et de la FILLE Stade PHALLIQUE GARÇON Relation fusionnelle avec la mère Découverte du père rival Découverte de la différence des sexes. Surinvestissement du pénis narcissiquement libidinalement Angoisse de castration Identification primaire Defusion Séparation Stade GENITAL Résolution du complexe Formation du Surmoi Investissement libidinal de la mère -------->Conflit DESIR-INTERDIT -------->Renoncement au désir incestueux Latence Opposition au Père rival -------->Renoncement au meurtre Renoncement à la soumission Renoncement à la séduction sexuelle -------->Identification au père pour le dépasser FILLE Dénégation Acceptation Résolution du complexe Blessure narcissique Formation du Surmoi Revendication phallique Identification primaire Defusion Séparation Détournement de la mère (cause de la perte du pénis ou du refus de l'avoir) Latence Investissement du père -------->Renoncement au pénis -------->Désir d'enfant à la place Séduction du père Peur de perdre l'amour de la mère --------> Renoncement au père Identification secondaire à la mère 16 1 -1 - 2 - Débats initiaux Dans un premier temps, jusqu'à 1945, les débats ont principalement porté sur la représentation imaginaire de la différence des sexes. Dans cette perspective imaginaire, le changement d’objet découle naturellement de la théorie infantile sur la castration : ce que l’une (la mère) a pris ou n’a pas donné, l’autre (le père) le donnera, sous une autre forme éventuellement. Pour Sigmund Freud, (1908, 1918, 1923, 1924a, 1925a, 1931, 1932) seul le sexe mâle est connu des enfants. Le garçon a peur de le perdre et la fille enrage de ne pas l’avoir. Elle attribue cette incomplétude à la mère et doit, soit l’accepter, voire la désirer, comme un état de la femme qui de ce fait est “passive, masochiste, coïtée, accouchant, battue”, soit la réfuter. Par contre, Karen Horney (1933), Josine Muller (1925), Ernest Jones (1932) et surtout Melanie Klein (1932) avancent que le complexe de castration chez les filles est un phénomène secondaire au refoulement de la connaissance préalable du vagin. Melanie Klein (1957) voit même la perte du sein, tout puissant, comme l'événement traumatique majeur. L’angoisse primaire n’est pas l’angoisse de castration mais une angoisse de destruction. Contestant l’existence d’une phase phallique (donc secondaire) chez la fille elle propose l'idée d’une féminité primaire dont l’objectif est de prendre le pénis (et non d’en avoir un) à la mère qui le lui refuse et est enviée de ce fait. Cette approche présuppose une connaissance innée du vagin et du pénis. Ces conceptions, si elles permettent de mieux circonvenir le féminin (Weiblich) et la féminité (Weiblichkeit), ont le défaut de négliger le maternel. En effet la logique de la castration, articulée autour de la perte d’un saillant (pénis, sein), passe à côté du sens à donner au “creux” et, au delà du creux, à la matrice. Pourtant, tout autant que la différence des sexes, la maternité (observation de femme enceinte, par exemple) est visible par l’enfant et doit donc être élaborée dans l’imaginaire. 1 - 1 - 3 - De l’imaginaire au symbolique Dans un deuxième temps, les auteurs ont envisagé une représentation symbolique de la différence des sexes. Une distinction plus nette apparaît alors entre pénis et phallus. - Pour Ruth Mack Brunswick (1940), la castration est la fin de l'omnipotence de la mère. Elle introduit une distinction entre la castration de la fille, fantasme d’avoir été châtrée, et la castration de la mère. Celle ci est la découverte par la fille que la mère manque de quelque chose, et qu’elle, la fille, ne peut combler ce manque, mais que l’homme a, ou est, ce qui permet de satisfaire la mère. Cette découverte ruine l’amour que la fille vouait à la mère et met fin à son emprise. - Pour Jeanne Lampl de Groot (1928), la problématique est : avoir (posséder ou être privé dans l’imaginaire) ou être (objet désirable pour la mère) le phallus. Avoir eu ou avoir été ce phallus provoque de la culpabilité si cette complétude est recherchée avec un autre objet, comme s’il y avait eu trahison. - Pour Jacques Lacan (1966a), l’enfant (Garçon ou Fille) veut être le phallus de la mère. L’interdiction de l’inceste par le père symbolique (discours de la mère) 17 l’expulse de cette position. Le garçon va pouvoir s’identifier au père réel (celui que préfère la mère, qui est supposé posséder le phallus), la fille va se tourner vers celui qui va le lui donner. La castration constitue donc une opération symbolique consistant à donner une signification au manque. - Cette vision avait été entrevue par Karl Abraham (1920) pour qui le père est détenteur du phallus du seul fait qu’il est préféré par la mère à l’enfant. Cette phase du débat a permis de mieux comprendre la relation archaïque à la mère et de mieux décrire les mécanismes de séparation en symbolisant le père non plus comme “celui que préfère la mère” mais comme “ce que préfère la mère”. La séparation entre mère et enfant intervenant aussi si la mère est attirée par une symbolique paternelle (métier, passion, etc...). Par contre le maternel reste toujours négligé. 1 - 1 - 4 - Point de vue actuel Les auteurs modernes se sont penchés avec plus d’insistance sur le féminin qui constitue un enjeu important pour l’avenir de la théorie psychanalytique. Le changement d’objet devient un thème essentiel ainsi que son corollaire, le désir : s’arracher à la mère est peut être plus difficile pour la fille que de se porter vers l’homme. Parmi les auteurs significatifs, on peut citer : Pour Janine Chasseguet-Smirgel (1964), le changement d’objet suscite une grande culpabilité chez la fille tant est forte l’emprise maternelle dont il importerait avant tout de se dégager. Pour la fille, posséder le pénis permettrait avant tout de surpasser une mère qui en est dépourvue. - Pour Annie Anzieu (1989), la question essentielle est la notion d’intériorité et son lien au désir : le creux ne peut être comblé que si l’organe pénétrant est en état de le faire, par désir. - Or le désir du désir de l’homme est bien au coeur du problème. Pour Maria Torok (in Chasseguet-Smirgel, 1964) l’envie du pénis sert à masquer ce désir et le refoulement du vagin est le préalable exigé par la mère. Les temps ont donc changé. La complétude de la femme n’est plus d'être “passive, masochiste, coïtée, accouchant et battue” mais d’assumer sa féminité, fonction contenante paradoxale (être pénétrée sans qu’il y ait intrusion), qui bientôt se renverse lorsqu’elle s’engage dans la maternité. L’homme n’est plus celui qui donne l’enfant, comme le père aurait pu le faire, mais celui qui procure la jouissance par son pénis pénétrant le vagin enfin redécouvert. La question posée est donc la prévalence du désir du phallus pour être complète ou du désir (et non de l’envie) du pénis pour être femme. Un apport essentiel des auteurs français, car cela est moins significatif chez les anglosaxons, a été de clarifier enfin la distinction entre pénis et phallus : le pénis, organe réel, spécifique au genre masculin est représentable dans l’imaginaire des deux sexes, alors que le phallus, représentation symbolique de la puissance narcissique commune aux deux sexes, ne l’est pas. 18 La femme est susceptible de l’avoir, ou de l'être, autant que l’homme, mais la petite fille, ne disposant pas des moyens intellectuels et affectifs nécessaires, a le plus grand mal à élaborer cette distinction pour le moins complexe puisqu’elle a nourri la littérature psychanalytique pendant près de trois quart de siècle. Non représentable dans l’imaginaire, le phallus laisse cependant sa marque en creux dans le “manque”, sensation inexplicable (“Mais enfin, tu as pourtant tout pour être heureuse...”) qui ne peut être représenté que par sa lancinante persistance. Les théories sexuelles infantiles, spécifiques à la fille, sont donc probablement plus variées que celles décrites par Freud (1908), pour le garçon. Quelques illustrations pourront être trouvées dans des études montrant une envie de pénis non liée au désir d’enfant (Glover & Mendel, 1982 ; Kestenberg 1982 ; Siegel 1984), ni liée à la compétitivité (Grossman & Steward, 1977 ; Karme, 1981), ni à l'accès à la féminité (Fast, 1984 ; Stoller, 1977). Par ailleurs, l’enjeu étant finalement de nature narcissique, la tentation est grande, comme le fait Bela Grunberger (1971), de distinguer encore plus clairement le registre narcissique du registre genital dans la psychogenèse et de mettre en parallèle : - pulsion sexuelle et instinct de conservation, - conflit oedipien et narcissique, - Surmoi et Idéal du Moi, donc culpabilité et honte, - angoisse de castration et angoisse de perte de l’objet et de l’amour de l’objet. La psychogenèse féminine relèverait d’une combinaison épigénétique différente faisant intervenir le registre narcissique plus tôt et plus violemment. On peut donc résumer le débat précédent en formulant que l’envie de pénis n’est qu’un rideau de fumée qui masque le fantasme que seuls les hommes ont droit au phallus. C’est pourquoi la formulation “revendication phallique”, illustrant le début de la phase phallique chez la fille, a été préférée, dans la figure 1, à celle d’“envie de pénis”. Ce détail permet de conserver le schème freudien dans la suite de cette étude. L’apport des auteurs modernes a donc été de mieux poser les questions et de mieux articuler les problématiques qui se profilent en plans successifs derrière le premier tableau de la castration et le second du narcissisme. Enfin, dans un dernier mouvement, la part du maternel a été enfin prise en compte dans le développement psychique de la femme. Pour Florence Guignard (1999), afin d'échapper à la solution perverse, le maternel et le féminin doivent fonctionner en alternance sous le signe de la culpabilité. Sylvie Faure-Pragier (1999b) imagine une pulsion maternelle, inhibée quant au but, qui serait non pas la cause mais la conséquence de l’amour de l’amante. Catherine Bergeret-Amselek (1998), de son côté, met la “maternalité” (dynamique du “devenir mère”) comme préalable à la “féminalité” (dynamique du “devenir femme”). 19 1 - 1 - 5 - Conclusion Pour ce qui concerne la présente recherche, la question qui nous intéresse dans ces débats est de savoir si la séparation d’avec la mère constitue ou non pour la fille un prérequis à l'établissement d’une relation véritablement objectale avec un homme. Dans la perspective psychanalytique que nous avons adopté, le détournement de la mère repose sur un reproche. Que celui ci concerne l’absence de pénis ou la non transmission du phallus (l’absence de pénis pouvant faire naître le soupçon concernant la transmission du phallus), peu importe en fin de compte. Ce qui est important est qu’un processus de quête est amorcé, processus qu’il s’agit de temporiser par la mise en jeu d’interdits structurants : comme pour le garçon, ces interdits doivent conduire au désir pour l’objet de sexe opposé et à celui, supplémentaire, d’en avoir un enfant. La fille n’a pas et ne risque donc pas de perdre un pénis qui suscite cependant l'idée du phallus. Il est donc tentant de ramener sa préoccupation principale à être ou ne pas être perdue, c’est à dire à négliger la castration selon des termes phalliques pour lesquels le désir est soumis à un interdit dont la transgression est punie par la nonrestauration phallique. Ce point de vue implique une castration selon des termes archaïques pour lesquels le désir est soumis à un interdit dont la transgression est punie par la perte de l’amour du premier objet, la mère. Mais, si l’enjeu est le premier objet d’amour, alors, comment conceptualiser le changement d’objet et le désir d’enfant chez la fille ? Nous verrons que le silence sur le vagin et sur la jouissance sexuelle, soigneusement entretenu par la mère, focalise l’attention de la fille sur l’enfant comme source de restauration narcissique/phallique. Cette perspective résout le problème de la genèse du désir d’enfant mais place le désir pour l’homme et l’attente de la jouissance sexuelle comme un simple prérequis à la quête du phallus. Ainsi, Nancy Friday (1977) et Christiane Olivier (1993), par exemple, décrivent la “surprise” de la découverte de l’homme. Afin de résoudre ce dilemme de façon simple, nous avons pris le parti de partir de la distinction de Monique et Jean Cournut (1993) entre féminin, féminité et sexualité féminine et d’y adjoindre le maternel. Ces différentes facettes de la femme constituent un choix d’investissements ou de désinvestissements successifs dont la première étape est la séparation d’avec la mère : - si cette séparation ne peut se faire, alors le destin féminin de la fille est compromis. - dans ce cas, peuvent être investis soit un destin masculin (typiquement, réussir dans un métier), soit le destin maternel. - si un destin masculin est impossible à son tour, le destin maternel est alors fortement surinvesti selon des modes que nous étudierons plus en détail dans la partie théorique. 20 Thème 2 : La notion de lien “N’y a-t-il pas indécence à jeter un regard clinique sur cet aspect si humain de l’existence (l'état amoureux), à la fois si général et si profond ? N’y a-t-il pas prétention à oser dire à ce propos quelque chose qui n’ait point été dit depuis quelques millénaires ? “ Lemaire Jean, 1992, Le couple : sa vie, sa mort, Payot, Paris, Page 159. Ce thème est abordé avant celui de la relation mère-fille car il en constitue un préalable. Nous aborderons en détail les différents points de vues sur la notion de lien car celle ci est essentielle pour la construction théorique que nous envisageons. Différents auteurs ont contribué à élaborer une théorie du lien au travers de théories sur les groupes ou sur les relations interpsychiques. La théorie des systèmes, la théorie psychanalytique individuelle, et celle de l’appareil psychique groupal ou familial, offrent des perspectives complémentaires. En particulier, par rapport à la notion d'interaction des théories systémistes, la notion de lien a l'avantage de traduire la diversité et la versatilité des rôles, en particulier sexuels, dans la famille : le jeu des investissements et des désinvestissements, dans une famille non pathologique, permet en effet à un membre de la famille d'être tour à tour parent, enfant ou conjoint. Chez Sigmund Freud (1915) le moteur de base est la pulsion, et son but est le caractère qui lui parait le plus essentiel. L'objet de la pulsion est, en quelque sorte, remplaçable, donc aléatoire. L'histoire du sujet se caractérise donc par des changements d'objet, mécanismes impliquant un détachement et un réinvestissement. Cependant, l'expérience de la satisfaction fixe le sujet sur un certain type d'objet qui, se trouvant surinvesti, est d'autant plus difficilement détachable, surtout si la satisfaction a été intense. A partir de 1914 (donc après l'article "Pour introduire le narcissisme"), la dualité entre instinct de conservation et instinct sexuel est établi. L'objet de la pulsion sexuelle (libido) peut être soit le Moi soit un objet externe et se repartit en fait entre les deux avec des déplacements possibles au cours de l'existence. On parlera donc de narcissisme primaire pour l'investissement initial de la libido sur le Moi et de narcissisme secondaire lorsqu'il s'agit d'un reflux ultérieur de la libido objectale sur le Moi. La re-théorisation de 1920 ("Au delà du principe de plaisir") introduit un champ pulsionnel bâti sur le dualisme Pulsion de vie / Pulsion de mort. Cette mise en ordre est due à la nécessité de prise en compte de situations cliniques mettant en jeu la compulsion de répétition. Cette percée conceptuelle permet de redéfinir le masochisme et le sadisme comme des liens objectaux envahis de pulsion de mort. Cette rethéorisation ne remet pas en cause les notions d'investissement narcissique ou objectal et les mouvements quantitatifs de l'un vers l'autre. 21 Si l'on résume la position de Freud, on peut dire que nous avons affaire à deux sortes de liens : des liens narcissiques avec quête du semblable (je m'aime donc tu es semblable à moi) et des liens objectaux avec tendance à la fusion (je t'aime donc tu es moi). Les liens objectaux sont fortement imprégnés des objets infantiles dont il est difficile de se détacher et imprégnés de l'ambivalence amour-haine à l'égard de chaque parent dans un contexte de bisexualité. La combinatoire objectale est donc extrêmement complexe puisque chaque acteur porte un genre biologique et une identité sexuelle prévalente, fruit des identifications secondaires. Ses relations à l’objet (soumission, domination, séduction, rivalité) sont déterminées par les objets infantiles en jeu sur la scène interne. L’apport de Melanie Klein (1957) a été de bâtir un modèle de relation mère-enfant qui a profondément marqué la psychanalyse en Grande Bretagne puisque ses successeurs ont presque tous adopté ce même schéma pour représenter la relation thérapeutique ou, plus généralement, les liens. La notion d’envie a permis la construction de celle d'identification projective, défense visant à supprimer la différence source de l’envie, qui a été ensuite utilisée comme élément de base de plusieurs théorisations du lien. Wilfred Bion (1959), en particulier, se réfère à la relation mère-bébé. Dans l’article “Attaque contre les liens”, Bion définit le lien comme la composition de deux défenses spécifiques : - une identification projective de communication, dont le message serait "sens ce que je sens." - une réponse en retour de la mère fantasmante, l'identification introjective, qui relativiserait la souffrance de l'enfant. Dans cette optique, le point de départ du lien est la pulsion. Ce qui est transmis, affect ou représentation instable, recherche de l'identique chez l'autre y déclenche un processus identificatoire. Cette conception du lien est donc principalement narcissique. Cependant, ce qui est transmis est instinctivement élaboré pour toucher l'autre et y déclencher des mécanismes libidinaux tout autant que narcissiques ou anaclitiques. La réponse de la mère est en effet une combinaison de : je t'aime ce que tu sens je le sens aussi je suis là pour t'aider. Chez Bion, le lien est une construction complexe, intéressante, mais qui passe à côté de notions importantes comme le sadisme, l'emprise et la persécution. Donald Meltzer (1975) de son côté, a développé la notion d'identification adhésive définie comme un mécanisme précoce d'investissement de la surface corporelle de l'objet et préalable à la relation d'objet. Conçu comme neutre, ce mécanisme est antérieur à toute autre relation et donc préalable à l'identification projective telle que conçue par Mélanie Klein. Il dérive vers la dépendance collante dans le cas de l'autisme. Donald Winnicott (1965) envisage un concept de lien, assez semblable au lien selon Bion ou Meltzer, dans lequel l'union entre mère et enfant est exempte de conflit. A l'encontre de Sigmund Freud et de Mélanie Klein qui voient dans le déplaisir ou la 22 douleur une valeur structurante, Winnicott voit dans une relation sans trop de frustration la source de l'équilibre. Ce type de lien est à rapprocher du lien narcissique. José Bleger (1971) enfin, partant des notions de symbiose et de syncrétisme, étudie les relations dans les groupes. Le syncrétisme est un état de non discrimination, inconscient, qui se distingue de l'interaction : le syncrétisme est en effet à la fois une caractéristique individuelle et groupale. Robert Viry (1998) distingue les liens horizontaux (lien amoureux, lien conjugal et lien fraternel) des liens verticaux (liens de filiation). La prévalence de tel ou tel lien détermine le type de relation sociale et la perspective proposée est anthropologique. Le phallus, qui représente le lien horizontal entre homme et femme vivant en couple, doit se verticaliser (vers l’aval, par un désir de se reproduire) pour que la relation reste stable. A l’inverse, la persistance et la prévalence de liens verticaux vers l’amont (attachés aux parents) met en danger le couple. Cette conception est essentiellement quantitative et ne distingue pas les nuances de nature des liens horizontaux et verticaux. Dans un autre ordre d'idées, partant de l'étude des groupes effectuée par André Béjarano (1971), et Didier Anzieu (1975), les thérapeutes de l'école française de Thérapie Familiale Psychanalytique ont contribué à remodeler ces théories dans le cadre de la vision freudienne des investissements narcissiques et libidinaux. Ainsi Alberto Eiguer (1987) a-t-il proposé une première définition des liens : Un lien est l'addition de deux investissements réciproques et simultanés. Chacun projette sur le lien la représentation de ses propres liens inconscients, c'est à dire les représentations des objets internes et de leur inter-fonctionnement. Eiguer distingue donc : 1 - le lien narcissique qui investit la relation interne Soi-Autre. Ce lien a tendance à réaliser l'uniformisation du Moi de chacun, à travers des intérêts communs, voire une propension à la fusion et au déni de l'altérité. 2 - le lien objectal qui investit la relation interne des objets internes. Ultérieurement, ce concept a été affiné à la suite des travaux des psychanalystes familiaux sur la typologie familiale et, en particulier, sur le couple pervers. Une seconde definition des liens, plus générale, a été donnée par Alberto Eiguer (1998) qui s’appuie sur la notion d’identification plutôt que sur celle d’investissement d’une relation interne. Ainsi : - le lien narcissique est une identification moïque à l’identique - le lien objectal est une identification de l’autre inconscient à l’autre réel. Le principal avantage de cette reformulation est la prise en compte, outre les parents, de tous les objets transgénérationnels, donc des valeurs (mythes) ou non-valeurs (secrets) qu’ils représentent. En conclusion, nous nous trouvons donc devant deux concepts complètement différents : - pour l'école anglaise, le lien a pour référent la relation entre la mère et le nourrisson et est donc, de ce fait, dissymétrique. 23 - pour l'école psychanalytique familiale française, le lien réactive les représentations internes et leurs interactions investies symétriquement de part et d’autre. Il est donc de ce fait symétrique. Le premier est adapté à des situations de dépendance (mère-enfant ou patientthérapeute ou encore conjoint dominé-conjoint dominant) et le second à des situations égalitaires (conjoints normaux). Malheureusement, aucun des liens de l'école anglaise ne mettent en jeu des relations avec une forte emprise, ni le mécanisme dette-culpabilité en action dans la relation mère-fille. Il faut noter que des approches non psychanalytiques, comme la théorie systémique à travers des notions telles que le double-lien ou le legs, ou l'ethnopsychiatrie à travers des enjeux culturels tels que dettes, appartenance ethnique, affiliation, reflètent ces aspects mais, comme nous l’avons vu, ne conviennent pas pour cette étude car elles ignorent la différence sexuelle. Dans la construction théorique que nous proposons, nous adopterons la redéfinition de Alberto Eiguer (1998) en raison des avantages suivants : 1 - il s’agit d’une théorisation en continuité avec celle que nous adoptons pour la psychogenèse de la fille. 2 - l’approche identificatoire permet de prendre en compte des notions telles que le mythe familial (Boszormeny-Nagy, 1973) ou la délégation (Stierlin, 1977). 24 Thème 3 : La relation mère-fille “Quelle est donc cette petite fille que tient par la main cette dame habillée comme autrefois ? Vraiment, sur la photographie, on ne reconnaît ni l’une ni l’autre. On ne sait pas grand-chose de cette fille, et presque rien de cette mère. Mais si ce qui se lit et s’entend est vrai, il y a eu un drame. Ou plutôt trois drames : elles ne se lâchent plus, elles ne me lâchent pas, je suis arrivé trop tard. Pauvre petite, elle avait déjà plus de vingt ans quand je suis né !..” Cournut Jean, 1992, Elles ne se lâchent plus in Les mères, Nouvelle Revue de Psychanalyse, 45, page 84. Avec cet état de la question sur la relation mère fille, nous entrons au coeur du sujet de notre recherche. Si les débats sur la psychogenèse féminine sont assez structurés autour de questionnements bien délimités, ceux sur la relation mère-fille donnent, au premier abord, une grande impression de confusion. Les auteurs, surtout des femmes, ont visiblement le plus grand mal à se détacher de leur histoire personnelle pour accéder à une plus grande généralité. Les auteurs masculins sont, de leur côté, frappés de stupeur devant une violence qui les dépasse. La spécificité de la relation mère-fille (par rapport à la relation mère-fils) a donné lieu à divers travaux depuis Sigmund Freud. Les principales étapes sont, par ordre chronologique : 1 - Sigmund Freud et ses contemporains. 2 - L'école psychanalytique anglaise, en particulier Melanie Klein et Donald Winnicott pendant la période entre 1930 et 1950. 3 - Vient une période creuse entre 1950 et 1990 pendant laquelle les seuls événements remarquables sont la parution du livre de Nancy Friday (1977) aux Etats Unis et quelques travaux relatifs à l’effet du sexe de l’enfant sur l’attitude maternelle (Lésine, 1974) ou sur les comportements sexuels précoces (Rogé, 1984 ; Crépavet, 1986). 4 - Une brusque reprise de l'intérêt pour le sujet à partir du début des années 90 avec les livres de Jane Swigart (1990), Françoise Couchard (1991), Christiane Olivier (1993), Bertrand Cramer (1996) et enfin Aldo Naouri (1998) et divers congrès consacrés à ce sujet : Les mères (Nouvelle Revue de Psychanalyse, Printemps 1992, numéro 45), Psychoanalytic Perspectives on Women (Monographs of the Society for Psychoanalytic Training, 1992, Number 4), La filiation féminine (Congrès Revue Française de Psychanalyse de 1994), les conférences du 23 janvier 1996 et du 4 octobre 1997 à l'EPCI sur La relation mère-fille, et l’Annual Conference at the Washington Square Institute de Février 1996 sur Mother Daughter Relationship. 25 En fin de chapitre, la figure 2 résume les principaux aspects entrevus par les différents auteurs. Les divers points de vues héritent évidemment des conclusions tirées par ailleurs sur la psychogenèse féminine. L’objet d’étude n’est plus seulement la fille mais l’interaction de celle ci avec sa mère tout au long de sa vie. Le problème de l’effet d’une conduite ou d’une pathologie maternelle sur la personnalité de la fille et son choix d’objet n’a été abordé que de façon parcellaire : on notera Laura Arens Fuerstein (1992) et Dale Mendell (1997). Nous y reviendrons en 1 - 4 - 5. 1 - 3 - 1 - Freud et ses contemporains Ainsi que nous l’avons vu plus haut, pour Sigmund Freud, la spécificité de la relation entre la mère et sa fille tient à deux éléments : 1 - le reproche fait par la fille d'avoir été privée de l'organe qui a valeur de phallus. 2 - le changement d'objet nécessaire pour la fille qui doit se détacher de la mère pour se tourner vers le père, puis vers les hommes pour en obtenir les enfants qui ont valeur phallique. Une même mécanique de course au phallus conduit donc garçons et filles à se rapprocher in fine du partenaire de sexe opposé. Mais, alors que le garçon se situe dans une continuité objectale avec un rival identifié et un combat structurant, la fille doit se livrer à un exercice périlleux et complexe où se mêlent amour, haine et la perspective incertaine et paradoxale de retrouver ce qui, étant perdu au départ, n'existe plus en tant que tel. D'où, outre le déplacement des investissements objectaux, un déplacement dans le domaine du symbolique. Dans son article sur La sexualité féminine (1931), Freud évoque un lien préoedipien très fort articulé autour de l'amour et de la haine. L'amour exclusif demandé n'étant pas obtenu entraîne le reproche que la fille formule auprès de sa mère de ne pas avoir donné le pénis et même de ne pas l'avoir. La fille se tourne vers les hommes par dépit. Ce lien préoedipien est parfois rapproché de la notion de pulsion d'emprise, initialement évoquée dans les 3 essais sur la théorie de la sexualité (1905b). Ce Bemächtigungstrieb est ensuite repris en 1920 et Freud imagine que sa combinaison avec la pulsion de mort constitue le sadisme, propension à dominer l'objet sexuel. Si l’approche de Freud est assez structurée du point de vue de la fille, le point de vue de la mère est, par contre, ignoré. Hélène Deutsch (1925) réfute les sensations vaginales précoces spontanées. Pour ce qui est de la relation mère fille, elle remarque le peu d'espace laissé à l'enfant et souligne l'impossibilité, pour certaines mères, de supporter la séparation, d’avec la fille en particulier. La mère oriente les choix de sa fille, en particulier en matière sexuelle par des injonctions, interdits et restrictions. Une hypothèse intéressante est que le voyeurisme inévitable de la mère est source d'excitation sexuelle pour la fille. Hélène Deutsch conçoit l'équilibre de la femme comme une hésitation entre la ressemblance à la mère et la différence avec elle à tout prix. Lou Andreas Salomé (1899), de son côté, s'est aussi interrogée sur ce qu'est une femme adulte, c'est à dire autonome et indépendante. 26 La relation entre mère et fille est déterminante et vue par elle comme une emprise réciproque. La mère doit renoncer à l’emprise qu'elle exerce sur sa fille afin que celle ci puisse devenir adulte. Plus tard, Lou Andréas-Salomé s'interroge sur la jouissance féminine qu'elle estime plus accomplie si l'analité est réintroduite dans la relation objectale (Andréas-Salomé, 1915). Or, c'est la mère qui va initier l'enfant, et la fille en particulier, à la propreté et va donc exercer une influence déterminante sur la sexualité de la future femme en culpabilisant fortement l'analité. 1 - 3 - 2 - L'école anglaise Incontournable, Mélanie Klein (1927) insiste sur l'hypothèse d’un sadisme précoce chez l'enfant qu’il exerce sur le corps maternel. Ce sadisme a pour conséquence l’envie de la mère et la mise à mal de l'intérieur de son corps ainsi que la haine du rival oedipien. On peut remarquer que la place de la mère est centrale chez Mélanie Klein. Le père est par contre quelque peu négligé quoique rival primordial dans la phase orale. En particulier, la mère est castratrice parce sa propre mère a aussi voulu la châtrer et elle le reste tant que rien (le père) n’y met frein. L'énigme, pour l’enfant, est la cause de l’exercice de cette omnipotence par la mère, cause inaccessible pour lui tant qu’il ne peut comprendre les mystères du plaisir sexuel et du désir. Cependant, un deuxième trauma majeur (le premier étant la perte du sein) intervient lorsque la mère est reconnue manquer de quelque chose (pour Freud, le pénis, pour Mélanie Klein, l’omnipotence) : si la mère est châtrée, alors, elle ne peut l'être que par le père puisque l’enfant a déjà essayé et échoué au cours de la phase de sadisme précoce. Cette articulation des questionnements de l’enfant rend Mélanie Klein plus proche de Freud qu’il n’y parait de prime abord. Donald Winnicott a introduit deux importantes notions : celle d'objet transitionnel (1951) comme outil de lutte contre l'angoisse de perdre la mère, et celle de haine maternelle nécessaire (1947), nécessité de haïr l’enfant qui se traduit par la volonté de lui imposer des idées, de lui voler des pensées intimes, de s'insinuer dans sa vie privée, et de lire dans son esprit comme dans un livre ouvert. La tentation est forte pour la mère, surtout dans le cas de la fille, de ne pas respecter l’espace transitionnel et de se laisser aller à la haine qui, contrecarrée par un puissant sentiment de culpabilité, peut se retourner sous forme du masochisme féminin. Ces premières prises de position posent comme terme principal de la relation mèrefille soit l’envie, soit l’emprise. - le point de vue privilégiant l’envie a été ultérieurement repris par Ogden (1982), Boris (1994) et Knapp (1989) avec pour mécanisme principal l’identification projective, relation en réponse à la disparité et processus par lequel la différence est convertie en similarité (Klein 1957). - le point de vue privilégiant l’emprise, en vue d'éviter la séparation, a donné lieu à la plupart des développements que nous verrons ci après, combinant ou non l’envie à l’emprise. 27 1 - 3 - 3 - Auteurs modernes Les points de vues modernes articulent la relation mère fille autour de plusieurs des composantes entrevues par Freud, ses successeurs et ses contradicteurs. Ces approchent tentent de combiner les divers aspects de la relation ou ne s’attachent qu’à certains traits particuliers : Pendant cette période, les débats ne se nourrissent que d'éléments cliniques extrêmement subjectifs, fragmentaires et rares. Le manque de données objectives est patent et on ne peut que regretter que les études telles que celles de Lésine (1974) n’aient pas été plus nombreuses. Cette étude montrait que la durée d’allaitement est beaucoup plus longue pour les garçons, 30 minutes en moyenne, que pour les filles, 10 minutes en moyenne. Le manque de résultats ne permet pas d'éclairer les alternatives théoriques. Il faut tout d’abord citer l’apport important de George Devereux (1977) qui fut un des rares psychanalystes après Donald Winnicott à avoir renversé la position Freudienne et Kleinienne, centrée sur les fantasmes agressifs de l'enfant, pour introduire la violence manifestée par les parents. Cette notion de violence (et non plus seulement de haine) a été reprise par Jean Bergeret (1992) qui a élaboré le concept de Violence fondamentale, chimiquement pure en quelque sorte, exempte de sexuel, exercée à la fois par les parents sur les enfants et par les enfants à l'encontre des parents. La violence exercée par les parents aurait pour objectif d'éviter le danger potentiel que représente l'enfant et pour finalité d'éliminer un ou une rival(e). C'est évidemment une position radicalement différente de celle qui place l'envie comme second terme de l'ambivalence. Nancy Friday (1977), elle, n’est pas une psychologue professionnelle. Son étude porte sur un grand nombre de femmes et de spécialistes ayant étudié la psychologie familiale, celle du couple ou celle des femmes. Elle constitue le point de départ d’un intérêt renouvelé pour la relation mère-fille qui avait sombré dans l’oubli (des psychanalystes) ou le refoulement collectif depuis les années 50. Il est vrai que son ouvrage, sur fond de féminisme, a heurté l’opinion américaine pour laquelle, si les “women” peuvent revendiquer, il n’est pas question de toucher aux “mothers”. L'idée générale du livre (My mother, my self) est la suivante : la mère éprouve à l'encontre de sa fille deux affects différents (et non contradictoires) : l'amour et l'envie. L'amour est celui de toute mère pour son enfant, mais amplifié par l'identité : ce que la mère n'a pas pu vivre, sa fille le pourra. Mais cette identité provoque également envie car ce que la mère n'a pu vivre, il est injuste que sa fille y ait accès. L'issue à ce dilemme est l'exercice d'un contrôle. Les domaines de ce contrôle sont : le corps, la colère et l'agressivité, l'auto érotisme, la vie sexuelle, la maternité, la rivalité féminine. Pour exercer ce contrôle, l'arme principale de la mère est la culpabilité. La mère va donc amener sa fille à la perfection, c’est à dire à rechercher l'amour et la maternité mais à considérer avec méfiance toute fantaisie excitante autre que sublimée, en particulier en matière de sexualité. Le contrôle commence dès la petite enfance avec l'entraînement à la propreté qui est particulièrement poussé dans le cas de la fille. Il continue avec l'apparition des menstrues et atteint un maximum au moment des premiers rapports sexuels de la fille. L'enjeu est en effet d'importance : il s'agit, pour la fille, soit d'échapper à la mère, soit 28 de rester petite fille. La perte de l'amour de la mère est au centre du conflit. Mais, seule la séparation permet à la femme d'atteindre une véritable sexualité. Nancy Friday insiste sur l'idée de la mère que, sans personne sur qui se reposer, elle même ou un "bon mari", sa fille "n'est rien", c'est à dire qu’elle risque alors d'être elle même, hors de l’orbite maternelle. En conséquence, si le gendre plaît à la mère, tout se passe bien, dans une saine rivalité féminine. Nous pouvons interpréter l’auteur en formulant que la mère redoute le lien objectal et favorise le lien narcissique entre sa fille et son mari. Un des points clef de ce livre est l'évocation de la difficulté, pour la fille, à accepter la sexualité de la mère et la difficulté pour la mère à accepter celle de sa fille. On retrouve ici les concepts de castration de la mère et de privation de la jouissance de la fille. L'identification se réalise donc au centre d'un conflit entre sexualité de la mère et rôle de mère. Comme la mère ne se présente pas toujours comme sexuellement fière et heureuse, voire même se présente comme n'ayant pas de sexualité du tout, la fille est souvent privée de l'identification dont elle a le plus besoin. Dans ce cas, la connaissance de la sexualité vient donc des hommes, non pas comme une fin en soi, mais par surprise, comme faisant partie du “paquet cadeau” (expression de l’auteur relative aux multiples découvertes faites à la fin de la puberté). Le clivage entre ce que les parents disent et font à propos de leur propre sexualité est profondément troublant pour la fille. Pour Nancy Friday, les différentes étapes marquant la vie de la femme sont les suivantes : le premier écueil, l'envie du pénis, disparaît facilement si la mère a elle même surmonté cette étape. Il s'agit de l'envie de l'organe et pas celui du genre. Le second est la séparation qui est le résultat des premières relations sexuelles. Ensuite vient le mariage qui se présente différemment selon que la séparation est ou non effectuée. Vient enfin la maternité, fin de la quête, qui s'accompagne d'une sensation d'accomplissement. La maternité est la partie la plus délicate à jouer : devenir celle que l'on déteste, avec ou contre son consentement, ne peut se faire sans peine que si la séparation est effectuée. Sinon, il s’agit d’une transgression majeure. Amour et envie, avec pour conséquence, de la part de la mère, une obsession du contrôle donnent lieu à un violent conflit autour de la sexualité, puis une grande réconciliation vient lorsque la fille devient mère à son tour. Dans un additif "10 ans après" lors de la republication du livre en 1987, Nancy Friday conclut "il y a une convention entre la mère et la fille qui est de ne jamais questionner le lien qui est enraciné dans la peur de perte d'amour." Avec Françoise Couchard (1991), le modèle présenté combine le point de vue du sadisme primaire de Melanie Klein au point de vue de George Devereux sur la violence parentale : - l'envie de la fille pour la mère est centré sur ses formes et son pouvoir de séduction. - l'emprise de la mère sur la fille est centré sur la future rivalité. Par ailleurs, les fantasmes originaires jouent un rôle structurant, en particulier : - le fantasme de scène primitive, dans le cas de la fille, suscite un paradoxe : la mère met en garde contre la séduction des hommes mais est elle-même séduite par le père. 29 Un non-dit particulièrement important de la relation est celui relatif au plaisir et au désir. Ce mystère troublera la fille beaucoup plus que le garçon. - le fantasme de différence des générations, dont la concrétisation est la différence avec le corps de la mère, signe sa capacité à séduire et procréer. La fille subit une double sujétion : l'attachement à la mère et le modèle féminin qui lui est imposé. Le modèle féminin est un ensemble de choses que la mère veut de sa fille et pour sa fille et qui est constitué d’un ensemble de secrets dont la révélation se heurte à la pudeur de la mère et au désir de la fille de conserver pure l'image de sa mère et de la relation entre les parents ("ils n'ont pas fait ça pour m'avoir”). Mais, le modèle féminin sera transmis coûte que coûte, et cela pour plusieurs raisons : - cohérence entre femmes, - barrière contre les hommes, - vengeance contre les mères d'avant. Les secrets en question concernent la sexualité et la maternité : - la propreté est un des principaux domaines d'intervention de la mère sur la fille, permettant l’intrusion de la pensée et du corps. La fille est en effet plus "salissable". D'autant plus en raison de la proximité de l'anus : la propreté des orifices garantit la propreté des pensées. - les menstrues sont marqués par des dysfonctionnements de la communication selon 3 modes : non dit, secret partagé ou mutisme filial. Faute, opportunité et image souillée de la mère font de cet événement un fait complexe. - la virginité, par la fétichisation de l'hymen, place la vierge entre sainte et démon. Là aussi, la protection de l'hymen offre l'opportunité de multiples intrusions. - la maternité est présentée comme une joie ou comme un sacrifice. Elle est l'occasion de structurer la dette sans fin qui sera le ciment de la relation mère fille. La dette créée par le sacrifice maternel permet effectivement de susciter la culpabilité de la fille si elle déroge au modèle féminin ou songe à son autonomie. Elle introduit également l'idée que, pour être égale à la mère, la fille doit souffrir (au moins) autant. Le père est marginal dans le texte de Françoise Couchard. Il ne peut généralement croire à tant de violence. Il a des relations de séduction mutuelle avec sa fille dont la mère est le gendarme. Christiane Olivier (1993) a exposé un point de vue sur la relation mère fille selon lequel la mère enferme la fille dans ses propres rêves de féminité, c'est à dire qu'elle veut faire ingérer à sa fille sa propre image interne de femme, voire qu'elle charge sa fille de recommencer sa vie de femme. Cette image est faite surtout de paraître et de visible : - la mère dit "laide" plutôt que "méchante", - elle condamne la masturbation, mais surtout en public alors que le garçon peut impunément se toucher, par exemple en urinant, - elle prône le silence, l'attente, - elle est obsédée par le "sale", par ce qui est "impur" et condamne en conséquence tout ce qui est "en bas" avec une distinction nette entre les deux sales/impurs auxquels il faut renoncer, chacun pour des raisons différentes. Alors que le garçon sait qu'il a un pénis, certes encore petit, la fille se trouve devant de nombreux problèmes identificatoires et idéaux : 30 - elle est plate et souffre de la comparaison avec la mère. L'épreuve peut être denarcissisante. - elle a peur de perdre l'amour de sa mère si elle n'est pas idéale, c'est-à-dire propre et sage, angélique et ignorante du génital. Elle devient donc idéale, renonce au plaisir anal, à la révolte, au désir. - la relation au père n'existe que si la mère le permet avec pour conséquence que, femme, elle essayera de satisfaire l'homme comme elle satisfaisait sa mère. - l'acte sexuel, évoqué implicitement, est survalorisé comme une rencontre symbiotique idéale. - l'insatisfaction massive ne peut être sublimée qu’en désir de savoir (d'où, pour certains, les meilleurs résultats scolaires des filles). Le choix du conjoint découle donc des mécanismes suivants : - besoin de restauration narcissique (d'où la question typique : "pourquoi m'aimes tu?") - hésitation devant la découverte de l'inconnu, ou plutôt de l'incompréhensible résultant du délicat changement d'objet opéré dans des conditions souvent difficiles. Le désir d'enfant découle d'un glissement du désir de symbiose idéale depuis l'homme (toujours décevant en fin de compte) vers la mère (être enfin comme "elle", avec, en prime, ce gros bébé infiniment confiant). Bertrand Cramer (1996) développe l'idée selon laquelle les parents transmettent en commun leurs valeurs, mais que la mère délivre en outre un message secret vers la fille qui est constitué de deux éléments : - la nature de la relation entre homme et femme, telle que perçue par la mère, ainsi que les moyens de la gérer défensivement. - un désir féminin de complétude selon lequel toute femme doit pouvoir vivre à volonté un destin féminin ou masculin. Ce désir résulte de l’envie de la femme pour le pouvoir de l’homme (ce que nous avons formulé plus haut sous la forme du fantasme féminin que “seuls les hommes ont droit au phallus”). Ce deuxième élément du message secret implique une identité entre homme et femme et il est de la responsabilité du père de le dénoncer afin de maintenir l'altérité. Aldo Naouri (1998) émet l'hypothèse que la mère se projette sur une de ses filles pour en faire son clone. La cause de cette mainmise est la peur de la mort. Le rang de la fille choisie est le plus souvent celui qu’avait la mère dans sa propre fratrie. Celle-ci a l'idée de clonage depuis toujours et procède par un mécanisme particulier : l’injonction de répétition. Le dévouement sans limite de la mère a pour but de créer une dette impossible à rembourser. La fille ne peut qu’accepter l’emprise car la remise en cause de la dette provoque une trop grande culpabilité. Elle devra choisir son mari à l’image de sa mère et donner naissance à des filles pour assurer l'immortalité de la lignée. Par révolte, elle a le pouvoir de décider du sexe de ses enfants et de ne donner le jour qu’à des garçons. Enfin, quoique indirectement relié au sujet, le point de vue de Sylvie Faure-Pragier (1999a) sur l'infécondité éclaire les aspects de la relation mère-fille relatifs au maternel. Lorsque la mère est phallique et exige la soumission de sa fille, l’identification à la mère devient impossible. En effet, pour accéder à un destin véritablement féminin débouchant naturellement vers un destin maternel mûri avec un 31 partenaire aimé, la fille ne peut envisager de phalliciser un enfant à son tour. Par refus de ressembler à celle qu’elle craint mais dont elle a besoin, par horreur d’un bébé obtenu par un inceste monstrueux avec sa mère, la fille refuse inconsciemment de procréer. Entre hystérie et maladie psychosomatique, l'infécondité relève du langage d’organe qui s’amplifie récursivement, la volonté consciente d’avoir un enfant, avec l’aide acharnée du corps médical, venant renforcer le refus inconscient. Le père, faible et complice de la mère, est châtré par cette dernière qui partage avec sa fille le déni de l’amour entre les parents. Le mari de la fille est le plus souvent faible lui aussi, soutien et réassurance narcissique, remplacement d’une mère douce et protectrice qui a manqué à la fille. Sylvie Faure-Pragier considère que ce mécanisme prévaut mais peut cohabiter avec un interdit oedipien qui le renforce. En conclusion, les auteurs qui viennent d'être mentionnés, de nationalités différentes, ont en commun une perception particulièrement violente de la relation mère-fille marquée essentiellement par le laminage progressif de la fille par la mère. Le père est curieusement absent et il n’est point question de rivalité. L’enjeu se situe entre similarité et différence, rejoignant ainsi une vue Kleinienne de la relation. L’identification à l’agresseur semble être la principale défense de la fille. 1 -3 -4 - Numéro spécial de la RFP sur la filiation féminine Le numéro LVIII de la Revue Française de Psychanalyse (RFP, 1994) consacré aux Filiations féminines introduit enfin une réflexion sur le maternel, absent jusque là. Andrée Bauduin (1994) voit la relation mère fille en deux parties : comme un lien narcissique d’une part et comme une aliénation érotique d’autre part. Le lien narcissique est contradictoire puisque, soit la fille est à même de résoudre les échecs de sa mère ce qui suscite l’envie de celle ci, soit elle n’est qu’un double rassurant mais qui échoue à nouveau. Le résultat dépend du succès de l’emprise exercée par la mère. L'aliénation érotique consiste à instiller l'idée qu’il n’y a pas de jouissance sans la mère et qu’avec elle il est obligatoire de servir à sa jouissance. Seule la présence du père peut enrayer l’emprise. Monique Cournut (1994) révise sa position de 1993 en définissant la féminité comme “ce que donne à voir la femme (parure, bijoux) et détourne le regard des organes génitaux.”. Le refoulement du vagin vise à ne pas entrer en rivalité avec la mère, et le masculin est donc surinvesti. La préoccupation de ne pas réveiller l’angoisse de castration des hommes est le facteur structurant de la sexualité féminine. Jacqueline Schaeffer (1994), enfin, donne une perspective structurée de la relation en évoquant l’antagonisme entre le destin féminin et le destin maternel, antagonisme qui risque de virer au clivage en réponse au modèle offert par la mère. Les étapes du chemin vers la réconciliation entre les deux destins de la femme sont : - en premier lieu l’identification primaire, illusion de fusion et nécessité de defusion, va décider de la capacité de la petite fille à devenir mère à son tour. - en second lieu l’homosexualité primaire pendant laquelle le mode d’investissement de la mère sera perçu par la fille. Elle se sentira donc objet auto érotique, partenaire sensuelle ou bien rivale potentielle. - si la mère investit sensuellement son partenaire, elle s’efforcera de calmer les angoisses et l’envie de sa fille en instituant un silence sur sa propre jouissance et en 32 imposant le refoulement du vagin. La phase d’identification hystérique primaire est donc caractérisée par la “censure de l’amante” ou le sommeil de La belle au bois dormant. qui vise à la mettre à l’abri, non du désir du père, mais de la représentation de la jouissance sexuelle maternelle - Pour que, durant l’attente, la fille soit à l’abri du retour du vagin érogène refoulé, il faut que cette attente puisse être investie. Dans le conte, le Prince écartera en effet les ronces, fera jouir le vagin avec son pénis et remplacera même le pénis manquant par un bébé. Cette attente insupportable ne peut être acceptée qu’investie érotiquement en un masochisme primaire. Ainsi : “Une mère qui se complète (au sens de complétude) avec son enfant (en raison d’une carence narcissique) au lieu de se compléter (au sens de complémentarité) avec son partenaire amoureux, menace l'intégrité identitaire ou sexuelle de son enfant.” (Schaeffer, 1994, page 94) A l’inverse, la mère trop amante peut induire une haine de la sexualité chez sa fille. 1 - 3 - 5 - Congrès de l’ECPI sur la relation mère-fille Les principaux intervenants des conférences de l’ECPI (1996 et 1997) sont Nicole Jeammet, Marie Magdeleine de Brancion, Florence Guignard et Perel Wilgowikz. Nicole Jeammet introduit enfin le père et insiste sur le rôle de la relation entre le père et la mère. Les identifications de l'enfant dépendent en effet pour part du mode de relation entretenu par les parents. Par ailleurs, l'histoire passée va servir de caisse de résonance à l'histoire présente : Plus la mère sera sur un versant narcissique de la personnalité, plus sa fille devra lui renvoyer une image gratifiante et idéalisée d'elle même. Plus la mère sera sur un versant objectal et plus elle pourra intégrer la réalité d'une fille décevante. Enfin, entre l'enfance d'une femme et l'enfance de ses propres enfants, il y a le choix du mari. Plus la relation de la femme avec sa mère aura été mauvaise, plus elle aura tendance a se lier à quelqu'un lui rappelant cette mauvaise mère, renforçant la répétition au cours de l'histoire. Le conjoint insuffisamment bon ne pourra ouvrir une nouvelle dimension permettant de briser la répétition. La femme, insuffisamment investie objectalement aura un investissement narcissique prévalent la conduisant à des défenses maniaques pour se situer à la hauteur des attentes supposées des autres. Elle utilisera sa fille, double et prolongement d'elle même, pour y parvenir. Marie Magdeleine de Brancion offre une perspective de la relation Mère-Fille dont le point de départ est que la "femme-femelle" est interpellée vivement dans son corps lors des moments clefs de sa vie de femme : la puberté, l'acte sexuel, la grossesse, l'accouchement et la ménopause. Elle est alors traversée par un excès qui la déborde. L'auteur qualifie cet état particulier de jouissance de la mère ou de point du ravir. Cet excès est celui qui circule entre mère et fille. Selon Freud, la source de cet excès serait un rapport primitif entre mère et fille fait d'hostilité et de persécution : la fille, sans pénis (organe), béante donc, va se plaindre et en vouloir à sa mère. Cette plainte va lui servir de levier pour se détacher de la mère et se tourner vers là où se trouve le phallus. Selon Lacan, par contre, l'oedipe est plutôt un refuge, sorte de destination sécurisante permettant d'échapper au ravage du rapport à la mère. 33 La thèse de Mme de Brancion est que, dans les moments de rencontre et les moments où la femme est concernée par son corps, celle-ci est sur une ligne de bascule entre le ravage et le ravir. Le ravir est défini comme le renoncement à l'homme au profit d’une autre femme, femme-mère, tandis que le ravage est un corps à corps avec la mère dont l'issue serait, pour la fille, l'état de femme. Le ravage ne serait pas, en particulier, limité au droit accordé par la mère à sa fille de devenir mère à son tour. La distinction féminin/maternel est totalement occultée dans cette approche. Par contre il y a une sorte de radicalisation (c'est soit l'homme, soit la mère) qui laisse penser que le choix de conjoint pourrait être déterminé par la relation mère-fille. C’est pourquoi nous reviendrons sur ces notions de “ravage” et de “ravir” pour décrire les options de la fille. Ces thèmes ont été repris dans un ouvrage plus récent que l’auteur a signé sous le nom de Chatel (Chatel, 1998). Il est intéressant de souligner l'évolution de la pensée de l’auteur depuis ses premières interventions : dans un exposé devant le CLSP à Naples en 1988 (sous le nom de Chatel) elle formulait ainsi sa pensée : L'homme est structuré par l'angoisse de castration à laquelle il répond par l'agressivité. La femme est structurée par le Penisneid auquel elle répond par la plainte rageuse et revendicatrice. A la naissance du garçon, la mère trouve un être différent. Non seulement il est le phallus recherché mais il est aussi porteur de phallus. La fille, par contre, est floue car semblable. D'où une rivalité qui se traduit par une proximité persécutrice non symbolisable. La mère dénie à sa fille la possibilité d'avoir un mari ou un enfant. La fille ne peut s'opposer en raison du danger de la haine de la mère et du risque de perdre son amour. Dans la relation ultérieure avec le mari enfin trouvé, le risque est grand de rejouer le lien maternel. Le plus souvent, le mari ne pourra pas répondre à une si grande demande. Marie Magdeleine de Brancion est donc passée de l'idée d’un compromis conjugal fondé sur la répétition à celle d’une alternative conjugale dont les termes sont le renoncement ou la séparation d’avec la mère. Il est important de noter que ces positions s’excluent. Florence Guignard donne le point de vue suivant : La question qui se pose à la femme est la répartition de ses investissements pulsionnels entre le féminin, le maternel et l'auto érotique. Elle propose de regrouper les fantasmes originaires entre ceux spécifiques au genre et ceux communs aux deux sexes (spécifiques = vie intra utérine et castration ; communs = séduction et scène primitive). Pour les deux premiers, le garçon se structurera autour de ses pulsions de pénétration, tandis que la fille devra osciller entre jalousie envieuse des trésors de la mère (seins, formes, désir du père, féminité, femellité) et mimétisme par une identification projective mettant en jeu son individuation. La clinique reflète cette hésitation par une différence nette entre les investissements inconscients des organes de la reproduction (utérus) et de la jouissance sexuelle (vagin et clitoris). En outre, dans le cas des femmes jeunes sans projet d'enfant, la clinique révèle que l'utérus est vécu comme indifférencié de celui de la mère. La première grossesse permet à la femme de se réapproprier son propre utérus et de se le représenter comme lui appartenant en propre. 34 Cette différenciation des investissements pose un problème d'intégration du fonctionnement psychique en un tout opérationnel. L'auteur avance donc l'hypothèse séduisante que le maternel et le féminin fonctionnent en bascule sous le signe de la culpabilité. Cette hypothèse entraîne immédiatement plusieurs conséquences : - La première est que l'irreprésentable serait non pas la féminité mais la frontière sans cesse traversée entre féminité et femellité. - La seconde est que l'anus, lieu d'investissement prégénital unisexe, du fait de sa proximité géographique, occupe une place stratégique dans la constitution définitive de la personnalité de la femme : alors que le garçon peut investir l'analité sans difficulté dès lors qu'il dénie la différence des sexes, la fille est saisie par cette confusion possible entre les organes du plaisir. - La troisième est que le refus de la féminité signe le refus de la sexualité de la mère. Chez le garçon, ce refus a une valeur organisatrice majeure : le désir de la mère d'être pénétrée par le père force le choix de l'identification principale. L'alternative est simple puisque le garçon n'a pas normalement de désir d'avoir un enfant du père. Chez la fille, le désir d'enfant prime mais avorte. Secondairement se pose le problème du désir du père de pénétrer la mère : Le choix identificatoire est lourd de conséquences. Entre revendication phallique et féminité, la fille hésite, mais elle sent que féminité et femellité vont de pair. La résolution de l'équation est délicate. Pour ce qui concerne les conséquences de ce qui précède sur la relation mère-fille, les conclusions sont les suivantes : - les capacités identificatoires entre mère et fille sont plus importantes qu’entre père et fils. - les interactions entre mère et fille, exaspérant les conflits oedipiens potentiels, conduisent la mère à investir maternellement mieux le fils que la fille (durée d'allaitement plus longue, voir Lésine, 1974). - les jeux identificatoires dépassent les deux générations impliquées : toute l'ascendance féminine de la mère pèse de son poids dans la relation à sa fille. Perel Wilgowicz (1991) est l'auteur de plusieurs livres liant le mythe du vampirisme à la relation entre mère et fille. En particulier, elle explore en détail un aspect de la relation qui est l'objet partiel "sang". Le sang mène naturellement au vampirisme et au sacrifice volontaire du vampirisé au profit du vampire qui le vide de son énergie. La réflexion porte sur l'identique et sur la différenciation dont le coût pour la fille est bien supérieur à celui que doit payer le garçon : la fille a vocation à nourrir le monstre de son propre sang, mais devient monstre elle même de ce fait (voir annexe 1). 1 - 3 - 6 - Congrès aux Etats Unis sur la relation mère-fille Le congrès de Washington (Fenchel, 1997) a été structuré selon une logique temporelle (Echoes through time) et contient deux parties importantes dans la présente recherche : la psychogenèse et le choix de conjoint. Dans la partie intitulée “The basics of development”, le point de vue prévalent est celui de Margaret Mahler (1975). La principale conclusion est que la relation avec la mère se déroule avec la personne réelle mais aussi avec la représentation symbolique de la mère qui évolue avec le développement affectif de l’enfant. L’identification est donc multiple (avec la mère symbiotique, la mère frustrante, la mère désirante et la mère répudiée de l’adolescence). 35 Dans les parties intitulées “Adolescence” et “Marriage and Maternity” sont évoquées les difficultés pour la fille à se séparer de sa mère et à atteindre le statut de femme. La clinique révèle que ces difficultés disparaissent lorsque la fille devient mère à son tour. Un des articles (Mendell in Fenchel, 1997) aborde l’impact de la relation mèrefille sur le choix du mari de la fille (voir aussi plus loin en 1 - 4 -5). 1 - 3 - 7 - Conclusion Tous ces travaux et ouvrages ont souvent été abordés avec émotion : l’histoire personnelle de l’auteur est toujours perceptible en arrière plan, en particulier lorsque l’auteur est une femme. L'écriture permet de régler bien des comptes, “en petites coupures”. Pourtant, un souffle serein vient parfois nous rappeler que la relation mèrefille n’est pas que violence (Catherine Bergeret-Amselek, 1998). La figure 2 tente de donner une vue résumée de chaque point de vue. Elle montre la diversité des approches et des thèses. La relation mère-fille y est vue comme uni ou bilatérale selon les auteurs et dans une grande variété d’approches conceptuelles. Plusieurs éléments se dégagent donc : 1 - la proximité sexuelle, mais aussi et surtout la proximité des enjeux relatifs au corps et à ses transformations (propreté, puberté, sexualité, maternité, ménopause) rend le paradoxe identitaire de la fille (être différente tout en étant pareille) particulièrement important, comme à la croisée des chemins. Le destin, féminin ou maternel, se rejoue donc à chacune de ces étapes. 2 - la mère transmet un modèle féminin et maternel. Pour ce faire, elle met en jeu un processus qui est, selon les auteurs : la maîtrise, le contrôle, l’emprise, termes utilisés avec des sens voisins par Nancy Friday, Françoise Couchard et Christiane Olivier, la violence et l’intrusion (Winnicott) et la culpabilisation (Friday et Guignard) en mettant ou non en avant le sacrifice maternel. On peut se demander ce qui différencie une identification à un parent d'un modèle de pensée et de comportement (féminin, sexuel, maternel) : alors que l'identification est l'adhésion à un idéal symbolisé par un seul individu (en l'occurrence, la mère), un modèle est l'adhésion à un schéma collectif qui, d'ailleurs, est médiatisé par le "on". Ainsi "on" ne s'intéresse pas de trop près à l'anal, "on" est fidèle à son mari, etc.. Alors que l'identification porte sur des domaines pour lesquels le comportement de la mère a constitué un exemple explicite (la mère est honnête) ou même implicite mais alors sans ambiguïté (la mère aime le père), le modèle touche aux domaines douteux dont "on" ne préfère pas savoir comment la mère, qui l'impose, le vit : une femme honnête ne pratique pas la sodomie (mais allez savoir ce qu'apprécie vraiment, ou consent, la mère, dans l'intimité de ses relations sexuelles). Par la répétition des injonctions (Naouri, 1998) le modèle est finalement adopté. Les modèles visés par l'emprise portent autant sur la création d'un idéal de pensée et de comportement que sur l'interdit de certaines pulsions partielles. La tentation est forte de poser comme hypothèse que les pulsions partielles en question sont précisément celles qui excitent le plus la mère. Cet effort pour transmettre coûte que coûte les paramètres du destin porte successivement sur les différents éléments du corps de la fille, anus tout d’abord, puis vulve et clitoris, puis vagin, puis hymen, puis utérus enfin. Les événements qui suscitent un conflit ou une rébellion de la part de la fille sont l’apprentissage de la 36 propreté, la masturbation infantile ou juvénile, l’apparition des menstrues, les premiers rapports sexuels de la fille, le mariage et le premier enfant. La conclusion de cette empoignade est le moment où la fille devient mère (et pas seulement génitrice) à son tour. Interdit, non dit, culpabilité (suscitée à l'aide de l'évocation du sacrifice maternel), menace de retrait d'amour et intrusion (dans les pensées et dans le cercle intime) constituent la trame de la relation mère-fille. 3 - l’ambivalence maternelle s'étire entre plusieurs pôles : amour (tous les auteurs mais parfois de façon implicite), haine (Freud et Winnicott), envie (Friday et Couchard) et rivalité (Brancion). La relation mère-fille est donc dominée par les oscillations entre ces pôles : Autant la fille, réplication quasi parfaite de la mère, aura implicitement pour mission de vivre ce que la mère n'a pu vivre, autant ce privilège inouï est-il insupportable à la mère frustrée de ce qu'elle n'a pas vécu. Par ailleurs, la rivale se dessine derrière la petite fille. La relation est donc la composante dynamique des quatre forces en présence chez la mère. Celle ci ne peut combiner ces forces contradictoires qu'en augmentant son emprise sur sa fille. Qu'est-ce que l'emprise ? Disons que, classiquement, c'est une attitude de domination laissant une empreinte définitive et visible : - La domination : celle ci s'exerce tour à tour sous la forme de séduction tendre, voire d'harmonie, voire même d'un sentiment fusionnel, et sous la forme d'anéantissement du désir et de l'individualité. Le fameux "nous sommes amies, nous nous disons tout" par exemple implique que la fille dise effectivement tout mais que la mère garde pour elle ses petits ou grands secrets. - L’empreinte : elle est concrétisée par des modèles de pensée et de comportement. Ces modèles, nous l’avons vu plus haut, portent essentiellement sur le "féminin", la sexualité et la maternité. L'empreinte est réalisée par des effractions, dévoilements et marques successives. Selon les sociétés, les marques sont plus ou moins imprimées dans le corps. Mais, sans parler de mutilations sexuelles, on peut noter que presque toutes les femmes occidentales avaient les oreilles percées voici une vingtaine d'années, par exemple. 4 - les réponses de la fille sont peu évoquées. Envie (Francoise Couchard et Florence Guignard), mimétisme (Florence Guignard) ou révolte (le “ravage” de Marie Magdeleine de Brancion) sont les trois termes de l’alternative. 5 - L'idée que la relation à la mère est répétée avec le mari est parfois avancée. Que ce soit la bonne mère (Mendell) ou la mauvaise mère (Nicole Jeammet et Marie Magdeleine de Brancion en 1988) qui est recherchée n’est pas clair. 6 - Le rôle du père est différemment apprécié, pour ne pas dire marginalisé, seule Nicole Jeammet en parle clairement. Il est clair que la petite fille doit être protégée de deux très grand maux : la sexualité et l'analité. Le désir et le plaisir doivent rester secrets, en particulier le plaisir sexuel de la mère, si elle en a. Les enjeux de la relation sont donc, pour la mère, de faire le deuil ce qu'elle a perdu, jamais retrouvé et, surtout, jamais connu. 37 Pour la fille, ils sont de pouvoir se séparer de sa mère, de devenir femme jouissante et mère à son tour, afin de pouvoir retrouver sa mère en fin de compte. Nous verrons dans la partie théorique qu’il est possible de fédérer les différents points de vue en ayant recours à la notion de lien. 38 Emprise (transmission d'un modèle féminin) Envie Clonage Modèle de relation + désir de complétude Censure de l'amante (silence sur le vagin) Aldo Naouri (1998) Bertrand Cramer (1996) Jacqueline Schaeffer (1994) Monique Cournut (1994) Andrée Bauduin (1994) Lien narcissique + aliénation érotique Refoulement du vagin pour éviter rivalité Florence Guignard (1999) Féminin ou Maternel ou Auto-érotique Envie ou mimétisme Marie Magdeleine Chatel (1998) Christiane Olivier (1993) Françoise Couchard (1991) Nancy Friday (1977) George Devereux (1977) Donald Winnicott (1947) Mélanie Klein (1927) Lou A. Salomé (1899) Hélène Deutsch (1932) Sigmund Freud (1931) RAVIR (homme dérobé a la fille par la mère) Mère RAVAGE (corps a corps avec la mère) Transmission des rêves de féminité Amour, envie, contrôle par la dette Violence Haine Emprise Injonctions, interdits , restrictions . Peur de perte d'amour Espace transitionnel Sadisme précoce Emprise Lien preoedipien persistant FIGURE 2 TRAVAUX SUR LA RELATION MERE-FILLE Fille 39 Thème 4 : Le choix du conjoint “Seule la relation sexuelle de jouissance, qui réalise la promesse du père oedipien dans l’ordre érotique, et non seulement par la substitution d’un bébé au manque phallique, nous semble pouvoir arracher la femme à sa pathologie narcissique et à sa fixation passionnelle à la mère archaïque.” Schaeffer Jacqueline, 1999, Que veut la femme ? in Clés pour le féminin, Revue Française de Psychanalyse, Paris, Page 36. Dans le cadre psychanalytique, la référence la plus ancienne est Sigmund Freud (1905b), qui insiste sur le choix par étayage. Freud (1915) propose un choix d’objet narcissique (ce que l’on est, ce que l’on a été, ce que l’on voudrait être). Ultérieurement, Jean Lemaire (1992), relève les critères suivants : 1 - la satisfaction libidinale 2 - la référence parentale 3 - l'étayage 4 - le renforcement narcissique 5 - le renforcement des défenses contre les pulsions partielles mal intégrées 6 - les facteurs socioculturels 7 - les facteurs religieux 8 - les facteurs économiques 9 - des circonstances spéciales (grossesse non désirée, choix restreint, etc...) Le choix final du conjoint est le résultat d'un processus multifactoriel dans lequel les cinq premier facteurs sont particulièrement déterminants pour un environnent socio culturel donné. Cette hypothèse, confortée par un grand nombre d'observations cliniques est celle adoptée par les théoriciens de la psychanalyse familiale tels que Jean Pierre Caillot (1983), Gérard Decherf (1982), Alberto Eiguer (1983,1987) et Serge Lebovici (1982). Nous avons vu que ces auteurs ont ultérieurement condensé les quatre premiers facteurs en deux concepts de lien (lien objectal et lien narcissique). Dans une ultime conceptualisation que nous considérerons comme référence théorique, Alberto Eiguer (1998), a finalisé la notion de lien. Sans entrer dans le détail, il est cependant utile de survoler rapidement les critères mis à jour par Jean Lemaire qui sont le fondement de la conception actuelle. 40 1- 4 - 1 - La satisfaction libidinale On sait depuis Freud que l'objet est ce par quoi la pulsion peut atteindre son but. Cependant, si la satisfaction libidinale a un grand rôle dans le rapprochement initial de certains couples, elle ne constitue pas le facteur essentiel de stabilité sur le long terme. En effet, les phénomènes d'idéalisation de l'objet qui caractérisent l'état amoureux doivent normalement évoluer vers une acceptation inéluctable de l'ambivalence. En outre, comme nous le verrons plus loin, le conjoint est également choisi pour empêcher la satisfaction totale des pulsions partielles les moins bien intégrées. On peut même dire que la plus grande jouissance possible ne peut jamais être obtenue du partenaire principal et est réservée au (x) partenaire (s) secondaire (s). 1 - 4 - 2 - La référence parentale Elle correspond à une référence au (x) premier (s) objet (s) d'amour mais aussi à la préservation du courant tendre pour l’un ou l’autre parent. Dans le cas le plus simple, il s'agit de la mère pour le garçon et du père pour la fille. On sait que pour l'inconscient la chose et son contraire sont souvent équivalents et la référence parentale peut être reflétée par un trait opposé à celui du premier objet d'amour. Ceci est une défense qui a pour but de régler les aspects négatifs de l'ambivalence des sentiments à l'égard du parent en question, ou bien encore de diminuer l'intensité du conflit oedipien surgissant lorsque la référence parentale est trop marquée. Mais, la référence parentale peut également être celle du parent du même sexe, dans un désir de répétition fusionnelle dans le cas de la fille, ou bien pour satisfaire des pulsions homosexuelles dans les deux sexes. En dernier lieu, la principale caractéristique de la référence parentale n'est pas tant la ressemblance ou opposition aux objets primordiaux que la référence à leur interrelation. 1 - 4 - 3 - L'étayage Mentionné par Sigmund Freud dans les 3 essais sur la théorie de la sexualité (1905b), l'étayage est la recherche d'un appui chez l'autre : "la femme qui nourrit" ou "l'homme qui protège". La recherche du retour à la relation de dépendance symbiotique peut constituer un facteur important. On peut même penser que "l'homme qui protège" est en fait "la mère qui protège" et ce point de vue donne lieu à de larges développements dans les pays anglo-saxons qui se sont penchés sur la notion de dépendance comme constituant essentiel du féminin. Ainsi se développe le concept de “Complexe de Cendrillon” (Dowling, 1981) qui serait une propension naturelle de la femme à rechercher chez l’homme une protection la ramenant à la sécurité primaire avec la mère. 1 - 4 - 4 - Le renforcement narcissique Celui ci joue un rôle très important, surtout si les deux partenaires ont chacun une faille de leur propre narcissisme. Evoqué par Sigmund Freud (1915), il s'agit de retrouver des qualités que l'on a ou que l'on voudrait avoir. Il s'agit donc d'une résonance entre les deux Idéal du Moi. 41 1 - 4 - 5 - Le renforcement des défenses Le rapprochement entre les membres du couple a pour objectif général le renforcement du Moi de chacun. Ce renforcement se fait par deux voies complètement différentes : d'une part par la satisfaction des pulsions les mieux intégrées et d'autre part par l'interdiction de celle qui sont le moins bien intégrées. On voit ainsi dans la clinique le conjoint jouer le rôle de Surmoi auxiliaire, de défense contre l'homosexualité ou de rempart contre la dépression. En général, la pulsion partielle qui fait l'objet du renforcement de la défense par le conjoint est complètement isolée et refoulée car trop excitante. Le conjoint a pour mission implicite d'écarter toute possibilité de satisfaction. Cependant, les hasards de la vie ou, tout simplement, le retour du refoulé vers la quarantaine, peuvent réactualiser cette pulsion. Ceci explique les cas les plus simples d'adultère, certaines ruptures tardives, ou l’apparition de pratiques sexuelles déviantes lors du départ des enfants. Pour ce qui concerne le renforcement des défenses, tel que le voit Jean Lemaire (1992), on peut à juste titre se demander si le clivage de l’objet ne remplit pas la même fonction. En effet, si un point de vue identificatoire est adopté, tel que celui de Jean Claude Stoloff (1997), la représentation clivée de la femme en mère et putain, ou de l’homme en prince charmant et cochon, n’est qu’un avatar de l’union des courants tendre et sensuel. Un point de vue similaire, quoique différent dans ses fondements, est développé par Dale Mendell (1997), pour expliquer le choix du mari et, complémentairement, de l’amant. Identifié par Marianne Goldberger (1988) et Laura Arens Fuerstein (1992), le mécanisme de “clivage de l’homme” consiste, pour la fille, à épouser une image de bonne mère et à prendre pour amant un homme brutal, représentant la mauvaise mère, qui est à même de punir la fille de ses pensées agressives. Ces points de vues sont supportés par plusieurs cas cliniques. Nicole Jeammet (voir 1 - 3 - 5) pense au contraire que c’est la mauvaise mère qui est épousée sous l’effet d’un processus répétitif. Le point de vue de Jean Lemaire (1992) va cependant plus loin puisqu’il voit la défense contre la dépression de chaque conjoint comme le ciment le plus fréquent, laissant entendre qu’il s’agit d’un mécanisme fondamental et réciproque. 1 - 4 - 6 - Aspects dynamiques Le choix du conjoint n'est pas le résultat de l'effet des seuls facteurs évoqués ci dessus : il faut au départ une grande dose d'idéalisation, qualifiée d'état amoureux, pour que naisse le désir d'une union stable et durable. Ce clivage ressemble à la position prise par le jeune enfant dans la théorie kleinienne : le bébé sépare bon et mauvais objet qu'il idéalise et rejette respectivement. La réconciliation nécessaire fait l'objet d'un deuil qui est accompagné de dépression. Ce procédé permet l'accès à l'ambivalence. Il est similaire à celui que connaissent ceux qui s'établissent en couple durable : après une phase d'idéalisation, chacun doit reconnaître la réalité et accepter les mouvements agressifs à l'encontre du conjoint sans le rejeter ou le détruire. 42 1 - 4 - 7 - Conclusion et choix théorique Les phénomènes que nous venons d'évoquer impliquent la réciprocité, au moins pour une partie des facteurs dont il a été question. Il est possible que la réciprocité ne soit que partielle et que des couples stables se forment dans des conditions quasi paradoxales : si le Moi de l'un des partenaires est très faible, il, ou elle, peut rechercher un Moi encore plus faible afin d'avoir une impression, illusoire, de renforcement. Une autre situation est celle de l'amour intense ressenti comme un danger et qui conduit à un choix défensif visant à éviter l'empiétement (*). Par ailleurs, les interactions entre les facteurs ci dessus sont nombreuses et complexes : c'est pourquoi nous préférerons la notion de lien qui permet de limiter le champ des combinaisons possibles par l'association de certains des facteurs. Cette approche sera développée en détail dans notre partie théorique. (*) : L'Académie a décidé empiétement, mais le Littré donne empiètement. 43 Thème 5 : Le fonctionnement familial et conjugal “Il m'est apparu à plusieurs reprises que la symptomatologie névrotique (de la fille) se déclenchait ou s'aggravait à la suite de la découverte du plaisir sexuel vaginal, ce crime de haute trahison.” Bauduin Andrée, 1994, L'aliénation érotique de la fille à sa mère, Revue Française de Psychanalyse, LVIII, page 25. Différentes typologies familiales et conjugales ont été imaginées par les théoriciens. Elles sont articulées autour des enjeux familiaux qui sont considérés comme prévalents dans telle ou telle théorie. Ainsi par exemple Helm Stierlin (1977) voit trois types de familles selon que l’attitude parentale vis à vis des enfants vise à les retenir (binding), leur confier une mission (delegating) ou les éloigner (expelling). Une autre typologie voit des familles équilibrées, modérées et extrêmes (Olson, 1985). Quelques psychiatres se sont aventurés dans le domaine du couple ou de la famille, tel, par exemple, Gilbert Maurey (1977). Beaucoup de thérapeutes et auteurs systémiciens ayant reçu un enseignement psychanalytique, il est possible de reconnaître dans leurs modèles des concepts hérités de leur formation initiale. Ceux ci sont le plus souvent relatifs à des mécanismes transgénérationnels car la théorie systémique s'accommode mal des phénomènes liés à la différence des sexes. Ainsi, par ordre chronologique avons-nous vu apparaître Horst-Eberhard Richter (1971), Virginia Satir (1972), Ivan Boszormeny-Nagy (1973), Salvador Minuchin (1974), Helm Stirlin (1977) et Murray Bowen (1984). Ces modélisations ne nous sont cependant pas utiles en raison de la lacune relative à la différence des sexes qui est au centre de notre étude. En outre, l’association d’une vision individuelle psychanalytique et d’une vision familiale systémique constituerait un assemblage théorique incohérent. Dans le domaine psychanalytique au sens lacanien, il y eut quelques efforts pour conceptualiser le couple et la famille. Robert Viry (1990 et 1998), développe ainsi un schéma “Z” qui s’inspire du schéma “L” de Lacan (1966b). Cette théorisation ne nous a pas paru utilisable dans notre étude car surtout adaptée au couple. Par contre, la psychanalyse familiale, après un examen des phénomènes groupaux par André Béjarano (1971), Didier Anzieu (1975), René Kaës (1976) et André Missenard (1976) et une première version de la typologie familiale par Gérard Decherf (1982), Jean Pierre Caillot (1983) et Alberto Eiguer (1983, 1987), en est actuellement à une typologie fondée sur la notion de lien narcissique et de lien objectal, complétée de trois organisateurs familiaux qui sont le choix d’objet, le Soi conjugal et l’interfantasmatisation. Cette typologie permet de scinder les familles en quatre types : oedipien, anaclitique, narcissique, pervers (Eiguer, 1998). Cette théorisation prend aussi bien en compte le couple que la famille, c’est-à-dire les liens horizontaux ou verticaux. 44 La notion de fonctionnement conjugal et familial pervers, récemment introduite, a été conçue pour rendre compte des mécanismes répétitifs au sein du couple et de la famille. Ces mécanismes, qui sont en effet au centre de certains fonctionnements individuels, et qui se reproduisent au sein du groupe familial, ne pouvaient être correctement expliqués par la première version de la typologie. De ce fait, la théorie actuelle est devenue complexe mais les faits à expliquer le sont aussi. L’articulation de cette théorie peut être résumée dans le tableau suivant : Tableau 1 : Typologie familiale Famille Névrotique Famille Anaclitique Famille Narcissique Famille Perverse Fixation à l’objet Nostalgie Ressentiment Peu d’affects Intérêt ou dégoût Désintérêt Evitement Perversion Faible Exigu Dominant Exigu Fondé sur la différence des sexes Oedipien direct ou inverse Triangulaire Fondé sur la différence grand/petit Asymétrique ou par étayage Mère phallique et objet ancestral idéalisé Exigu Exigu Symétrique ou narcissique Objet partiel survalorisé Asymétrique emblématique Fetichisation Soi conjugal : Appartenance Soi conjugal : Habitat Soi conjugal : Idéal du Moi groupal Existe Existe Non partagée Non partagée Partagé Surinvestissement choses Instable Instable Consolidé Idéalisation Dénigré Fantasmatisation Séduction Castration Création Domination Perte Nuisance Possessivité Scène corruptrice Moi Idéal narcissique ou Surmoi archaïque Interpénétration Encerclement Anéantissement Création de monstres Affect dominant Attitude sexuelle Lien narcissique Lien objectal Choix d’objet Fonctionnement des primitive ou Exaltation Volupté Mystification du phallus Cette théorie nous conduit à prendre en considération que, outre les interactions entre les futurs époux, nous devons inclure dans les facteurs de choix du conjoint l’interaction entre la fille et sa famille en tant que groupe porteur de mythes, de secrets et d’injonctions muettes. Ces interactions sont incluses dans la notion de lien objectal tel que redéfini par Eiguer (1998) : l’autre inconscient peut être un objet interne plus importants que les parents. 45 Deuxième partie : Problématique et hypothèses de travail “- Je ne puis donc rien faire pour acquérir une âme éternelle !... » (demande la petite sirène) « Non ! » dit la vieille ; « à moins qu'un homme t'aime tant que tu sois plus pour lui que son père et sa mère ; s'il t'était attaché de toute sa pensée, de tout son amour et qu'il fasse poser par le pasteur sa main droite dans la tienne en te promettant fidélité ici et pour toute l'éternité, son âme s'infuserait dans ton corps et tu participerais aussi au bonheur des hommes. Il te donnerait une âme tout en gardant la sienne.” Hans Christian Andersen, La petite sirène,1837. Introduction La problématique étudiée est celle du processus de séparation, ou de non séparation, entre la fille et sa mère au moment où la fille concrétise, par l'acte social symbolique du mariage ou par la conception concertée d’enfants, une union hétérosexuelle durable qui détermine ses choix affectifs stratégiques, c’est-à-dire la prévalence objectale ou narcissique de la relation à l’homme de sa vie, la place et la fonction de ses enfants et le réaménagement de sa position vis-à-vis de ses parents. Les repères théoriques sont constitués de la psychanalyse individuelle complétée de ses extensions groupales et familiales. 2 - 1 - Problématique Nous admettrons comme hypothèse préalable que la séparation de la fille et de la mère, concrétisée par le choix du partenaire principal de la fille, devient aléatoire lorsque la mère a sur investi la relation à sa fille et, pour cela, a marginalisé le rôle du père ou en a fait son complice. La fille se trouve alors confrontée à des contraintes et des enjeux contradictoires au niveau des désinvestissements et réinvestissements affectifs impliqués par sa nouvelle situation. Ces conflits vont perdurer ou se résoudre, selon les sujets, au travers d'un spectre d'issues possibles telles que, par exemple : compromis avec la mère, rupture avec le conjoint ou rupture avec la mère. L'idée poursuivie est qu'un critère clef (sinon prévalent) du choix du partenaire principal est la recherche d'un compromis, ou, en d'autres termes, que le conjoint est choisi essentiellement pour sa capacité à protéger le lien entre la mère et la fille ou pour son incapacité à le rompre. 46 Cette perspective, qui privilégie les aspects prégénitaux de la psychogenèse féminine, rompt avec le point de vue classique qui donne le père comme principal déterminant des critères de choix du conjoint de la fille. Les différents éléments constituant le champ de la recherche, et leur articulation, seront repris en détail dans la partie théorique. Il m'a paru nécessaire d'en résumer immédiatement les traits principaux avant la formalisation de l'hypothèse : 2 - 1 - 1 - Le lien maternel surinvesti. Toute femme a, au départ, trois destins possibles : un destin féminin, un destin masculin et un destin maternel qui se combinent et se succèdent au cours de la vie. Dans le domaine de recherche évoqué ici, la mère est une femme incomplète pour laquelle le destin féminin a été un échec, le destin masculin s'est révélé hors de portée et le destin maternel a donc été sur investi pour maintenir l'équilibre psychique. Une des filles est choisie dans la fratrie pour vivre la vie que cette mère n'a pas su vivre ou au contraire pour ne pas vivre la vie que sa mère aurait pu vivre. Phallicisation et envie cohabitent et alternent, mais, dans tous les cas, le père, facteur potentiel de perturbation de la menée maternelle, est mis à l'écart. La fille peut réagir de diverses façons à cette emprise : céder, composer, séduire, s'opposer, ou encore devenir folle. Mais, tout au long de l'enfance de sa fille et jusqu'à sa puberté, la mère a disposé d'une arme redoutable pour plier à son projet la fille élue : son amour pour l'enfant. La fille n'a guère d'autre choix, pour le conserver, que de se conformer au modèle féminin imposé. 2 - 1 - 2 - Une recherche d'objet principal Chargée du fardeau maternel, la fille élue parvient à l'âge où son développement physique lui permet d'envisager de "quitter son père et sa mère pour fonder sa propre famille" (A noter que ce texte biblique concerne, à l’origine, le fils exclusivement. Dans le monde moderne, les filles à leur tour s'éloignent de leur famille pour parcourir le monde). Explicite ou implicite, la recherche du conjoint commence et s'effectue selon des critères conscients ou inconscients (Lemaire, 1992). Au cours de cette recherche, des partenaires provisoires peuvent être sélectionnés pour une durée plus ou moins longue, mais nous admettrons que les critères de choix de ces derniers sont différents de ceux du conjoint espéré, du conjoint fantasmé ou du conjoint choisi. 2 - 1 - 3 - Un choix de conjoint Arrive le jour où un partenaire durable est sélectionné. L'acte symbolique du mariage interviendra ou sera refusé mais, en tout état de cause, ce partenaire durable aura un rôle de géniteur, c'est-à-dire qu'il permettra à la fille de devenir l'égale de sa mère en étant mère à son tour. Le mari ou compagnon durable, père en puissance des enfants de la fille, est bien entendu aussi conforme que possible aux critères de sélection de la fille (conscients ou inconscients). Mais, il peut s’en écarter pour les raisons suivantes : - les aléas de disponibilité. - les influences exercées sur la fille (par sa mère, son père, ses amies, le milieu social, etc.., dont certaines peuvent être très fortes) 47 - des basculements de dernière minute, des actes manqués destructeurs ou salvateurs, des prises de conscience, voire des accidents inexplicables lorsque plusieurs candidats existent. 2 - 2 - Formulation de l'hypothèse de travail L'hypothèse de travail sur laquelle portera le mémoire de recherche sera la suivante : Si le lien entre mère et fille est surinvesti par la mère, alors le critère prévalent du choix du conjoint de la fille sera de protéger le lien avec sa mère. 2 - 3 - Problèmes méthodologiques Les principaux problèmes à résoudre lors de l'opérationnalisation de la recherche sont les suivants : 1 - La qualification de l'incomplétude de la mère. Le report des investissements sur la fille implique que les autres relations d’objet sont insatisfaisantes. L'hypothèse proposée est évocatrice d’une carence narcissique qui positionnerait la mère comme un état limite. D’autres possibilités doivent être examinées. 2 - La qualification du lien mère-fille surinvesti et éventuellement quantification du surinvestissement. 3 - L’identification des critères de choix plutôt que des critères du choix final. En effet, en raison des aléas de disponibilité et des revirements possibles, le conjoint choisi est peut être différent de celui qui est recherché. 4 - La décorrélation des différents critères de choix du conjoint qui, comme nous le verrons, sont nombreux. 2 - 4 - Phénomènes contre transférentiels Bien entendu, le choix de ce sujet de recherche n’est pas le fruit du hasard mais la rencontre entre une problématique personnelle et des observations ou lectures qui ont fait office de catalyseur. Mon analyse a montré que, au niveau conscient, mon propre positionnement est marqué par les mouvements affectifs suivants : - en vouloir au mari de n'avoir pas été assez fort pour sauver son épouse de sa mère. - mépriser le père pour sa faiblesse. - souhaiter la destruction de la mère pour la punir de détruire sa fille et libérer celle-ci. - espérer que cette destruction résultera de la capacité de la fille à se libérer de sa mère afin de pouvoir devenir femme. Au niveau inconscient (rêves, etc...) la fille blessée, qui est incapable de grandir et à protéger absolument, représente un thème récurrent. Les biais potentiels induits par ma propre problématique ont été considérés lors de l’examen des résultats. Cette analyse est enrichissante mais cependant difficile et surtout révélatrice des limites d’une approche clinique. 48 Troisième partie : CONSIDERATIONS THEORIQUES “La femme n’aurait elle rien perdu fors l’amour ?” Jacqueline Godfrind, 1993, Identité féminine et identité au féminin, in La castration et le féminin dans les deux sexes, RFP, LVII, page 1561. 3 - 1 - Synthèse des choix théoriques L'analyse de la relation mère-fille et de ses implications sur le choix du mari de la fille est centrée sur le sous système constitué par quatre acteurs principaux : le père, la mère, la fille et son mari. Nous conviendrons que le mari de la fille est celui qui a été choisi, celui qui aurait pu être choisi ou celui qui pourrait être choisi. Il s’agit du partenaire investi sur le long terme, fantasmatique ou réel que nous continuerons à designer par le terme “mari”. Nous avons vu dans la partie historique que seulement certains des aspects du fonctionnement de ce sous système ont été abordés, et ce dans le cadre de variantes très différentes de la théorie psychanalytique. Nous avons également vu que les débats théoriques ont rarement été tranchés par un retour aux éléments de la clinique. On peut même penser, pour ce qui concerne la relation mère-fille, que le foisonnement de thèses différentes et peu compatibles entre elles est particulièrement révélatrice de l’envahissement d'éléments personnels des auteurs dans leur réflexion. Nous sommes donc dans l’obligation de faire des choix parmi les divers points de vue que nous avons pu identifier pour assembler ensuite ces éléments, tel un puzzle, en un modèle cohérent susceptible de rendre compte du fonctionnement du sous système familial que nous étudions. Nous sommes également dans l’obligation de procéder à des simplifications permettant de limiter la complexité du modèle. Ces choix et simplifications, relatifs au fonctionnement individuel des acteurs d’une part et aux interactions d’autre part, sont effectués selon les principes suivants : - ils sont explicites. - ils garantissent la compatibilité des fragments de théorie entre eux. - ils assurent la possibilité d’opérationnaliser la recherche à partir du modèle obtenu. - ils s’efforcent de maintenir la représentativité du modèle. 1 - En premier lieu, pour ce qui concerne le fonctionnement individuel des différents acteurs, la référence théorique pour en rendre compte sera la deuxième topique freudienne telle qu'exposée par Jean Bergeret (1993), c’est-à-dire un appareil psychique comportant des instances en conflit stable (caractérisant les structures 49 psychotiques et névrotiques) ou instable (caractérisant les astructurations et aménagements regroupés sous le nom d'états limites). La structure (ou son absence) définit une personnalité de base qui est modulée par le caractère. Celui-ci est lui même le résultat d’un ensemble de fixations héritées de l’histoire du sujet. 2 - En second lieu, pour ce qui concerne les interactions, nous admettrons que, parmi celles qui sont possibles (celles entre les quatre acteurs principaux mais aussi celles avec des acteurs secondaires tels que les grand parents, les oncles et tantes et la fratrie), nous ne retiendrons, dans le cadre de la recherche, que les quatre suivantes : père-mère, mère-fille, père-fille et fille-mari. Toutes les autres interactions seront donc négligées. Quant à la nature des interactions, nous admettrons qu’elles sont toutes représentables par une combinaison d’un lien narcissique, d’un lien objectal (tous deux au sens de Eiguer, 1998) et de mécanismes de renforcement des défenses (au sens de Lemaire, 1992). Cette approche nous permettra de représenter aussi bien les relations intraconjugales que les relations intergénérationnelles. Nous reviendrons ci après sur la description plus précise de chaque interaction (voir figure 3). 3 - Il restera enfin à étudier le jeu des interactions au sein du sous système considéré. Ce point sera développé en détail plus loin. Les précisions sur la structure des interactions et leurs mécanismes de fonctionnement étant données, nous examinerons ce que signifie notre hypothèse de travail dans la perspective des choix théoriques ci dessus. Nous pourrons alors déduire ce qu’il est nécessaire de repérer dans les données collectées lors des entretiens cliniques. 50 FIGURE 3 Position du problème Défenses contre pulsions partielles Père Lien narcissique Mère Lien objectal n co tre pu io ls al ct je ob ns Défenses contre pulsions partielles Lien narcissique es ns fe Dé en Li s le el rti pa Défenses contre pulsions partielles Fille Lien narcissique Mari de la fille Lien objectal Réel ou fantasmatique 51 3 - 2 - Structure des interactions Les interactions que nous avons décidé de considérer sont les deux relations intraconjugales (père-mère et fille-mari) et deux des interactions intergénérationnelles (père-fille et mère-fille) 3 - 2 - 1 - Interactions conjugales En accord avec les travaux de Alberto Eiguer (1998) et des cliniciens de l’Association Française de Thérapie Familiale Psychanalytique, nous considérerons que les interactions conjugales sont la combinaison : - d’un lien narcissique, résidu de l’identification primaire, qui pousse à la quête du semblable en vue de fusionner ou de former un Soi conjoint (identité conjugale, investissement d’un habitat commun, histoire commune vécue, Idéal du Moi familial). Il s’agit d’une identification moïque à l’identique tendant à l’uniformisation ou au rapport grand-petit. - d’un lien objectal qui est une identification de l’autre inconscient à l’autre réel. Cet autre inconscient est le plus souvent un parent direct mais peut aussi être d’une génération antérieure : il s’agit donc d’une imago marquante parentale ou ancestrale. La première provoque des crises (rivalité, infidélité, souffrance) et la seconde un sentiment d'étrangeté en raison des mythes et secrets véhiculés par les non dits, les trop dits et les “mau-dits”. - du renforcement du Moi de chacun par la satisfaction mutuelle des pulsions les mieux intégrées d’une part et par l'interdiction mutuelle de celle qui sont le moins bien intégrées d’autre part. L'état d'équilibre obtenu dans le couple, comportant des oscillations homéostatiques inévitables, est le fruit d’une succession de phases dont les principales sont : - Le choix (ou la sélection) du conjoint. Résultat d'un processus multifactoriel, il met essentiellement en jeu la constitution des deux liens pour un environnent socio culturel donné. On peut admettre que l’attirance est faite de l’anticipation de réaliser l’identification (narcissique ou objectale) la plus recherchée. - L’idéalisation initiale. L'état amoureux, implique un clivage séparant le bon et le mauvais objet, l’un idéalisé et l’autre rejeté. - Le nécessaire établissement d’une réciprocité. Celle-ci implique que le conjoint accepte les termes du contrat tacite qui lui est proposé, se traduisant par un partage des liens qui deviennent “un bien commun”. 52 3 - 2 - 2 - Interactions verticales Pour ce qui est des interactions verticales, nous admettrons qu’elles contiennent les mêmes ingrédients, à savoir les deux liens et le renforcement des défenses. Mais, et ceci est le point clef de notre développement théorique, nous admettrons que : 1 - La relation mère-fille est constituée principalement d’un lien narcissique et du renforcement de défenses spécifiques. En particulier, pour ce qui concerne les défenses dans le cas qui nous intéresse, la fille surinvestie, il s’agit de lutter contre l’angoisse de séparation de la mère et la culpabilité qu’elle suscite. Animée de sentiments ambivalents, (selon les auteurs : envie, haine, ravage, soumission, attachement, ressentiment, dépendance) la fille cherchera à parer au plus pressé. Pour les unes, il faudra juguler la violence, pour les autres survivre à la dépression. Du côté de la mère, l’exercice d’un contrôle plus ou moins pointilleux traduit la plus ou moins bonne résolution de l’ambivalence. 2 - La relation père-fille est constituée principalement d’un lien objectal et du renforcement de défenses spécifiques. Le père devra, par exemple, lutter contre les pulsions incestueuses suscitées par le retour du refoulé s’il est dans une problématique névrotique. Par contre, s’il est dans une problématique perverse, nous admettrons qu’il y a effondrement du lien objectal. Cette approche revient donc à considérer la relation mère-fille comme un fonctionnement particulier de couple narcissique (au sens de la typologie familiale établie par Eiguer, 1998) et la relation père-fille comme un fonctionnement particulier de couple oedipien ou pervers (voir figure 3). L’avantage théorique d’une telle modélisation est évident : elle permet de fédérer une bonne partie des points de vues disparates donnés par les auteurs sur la relation mèrefille. Celle ci serait en effet scellée par le lien narcissique mais violemment modulée selon les défenses qu’il s’agit de renforcer. Nous nous trouvons en effet en face de mères dont le jeu de défenses est extrêmement variable selon leur personnalité. Nous nous trouvons de même en face de filles qui, face à une conduite maternelle donnée peuvent adopter des modes défensifs eux aussi très variés. Admettre que la relation mère-fille conduit au renforcement des principales défenses permet de reconnaître quelques mécanismes typiques. Ainsi, par exemple, tableau cidessous montre les interactions entre mère et fille lorsque cette dernière ne peut ou ne veut se différencier : 53 Tableau 2 : Exemple d’interactions mère-fille Organisation psychique de mère la Principales défenses de la mère Névrotique normale Névrotique Refoulement. Etat limite : Névrose de caractère Etat Limite : Problématique dépressive Etat Limite : Problématique revendicatrice Déni des affects. Identification projective. Déni de la blessure. Identification projective. Déni de la blessure. Réplication projective (Marty, 1994). Déni du narcissisme d’autrui. Etat Limite : Perversité Perversion Psychotique Refoulement. Déni de la différence des sexes. Idéalisation. Déni. Projection. Forclusion. Conséquences du renforcement des défenses sur le comportement de la mère. Rivalité. Réponses défensives de la fille (exemple de la non différenciation de la fille) Refoulement. Phallicisation de la fille. Contrôle. Tentative de clonage. Fille pansement. Faux self. Vampirisation. Identification à l’agresseur ou Auto dépréciation. Identification à l’agresseur ou Répression des affects. Répression des affects. Contrôle. Fabrication de potiche (Chervet, 1994). Phagocytage de la fille. Identification l’agresseur ou Faux self. Identification l’agresseur. à à Déni. Un tableau similaire pourrait être développé pour chaque conduite de la fille en réponse à l’emprise maternelle. Ainsi que nous l’avons vu, les défenses interviennent en tant que modulateurs des liens. C’est pourquoi, afin d'éviter une trop grande complexité dans l’analyse, nous nous intéresserons uniquement au résultat de cette modulation sous la forme d’un paramètre que nous qualifierons de force du lien. 3 - 2 - 3 - Aspects quantitatifs Le dernier problème méthodologique est celui de la quantification de la force du lien. Pour ce qui est des liens, nous adopterons une évaluation subjective de la force du lien qui sera qualifié, par nous, de “fort” ou “faible”. Quant aux défenses, nous nous efforcerons de les identifier au niveau de chaque interaction. 54 3 - 3 - Les conséquences des interactions 3 - 3 - 1 - L'incomplétude de la mère et les options de la fille L'incomplétude de la mère peut se manifester selon plusieurs modes : il ne s'agit pas d’une structuration (psychotique ou névrotique) ni d’une catégorie d’un état limite (aménagée ou non) mais plutôt d’un état de gravité au sein de l’un de ces fonctionnements psychiques. L'incomplétude se situe dans le registre du narcissique, il s’agit, pour la mère, de l'échec de l'acquisition du phallus et de sa quête désespérée pour le trouver ou du désespoir d’en avoir perdu l’envie. L'incomplétude pose plusieurs problèmes : outre l'acquisition du phallus, il faut résoudre le problème du comblement de la fuite narcissique. Comme pour un pneu crevé, il faut, soit le regonfler sans cesse, soit coller une rustine qui, en général, ne tient pas bien. Il faut en tout cas, éviter l'élargissement de la déchirure. Pour ce faire, la mère incomplète dispose dans son entourage de plusieurs objets partiels auxquels elle peut répartir les rôles. Les hommes, mari ou fils, peuvent assumer deux fonctions : soit celle de reconstitution narcissique (par des compliments, des réassurances, etc...), soit celle de victime à châtrer (la castration d’un homme apportant un soulagement temporaire). Pour ce qui est des filles, la fonction de pansement, ou de bouchon, n'est pas exclusive de celle de phallus, et, dans tous les cas, la fille doit éviter d'agrandir la blessure en évoquant trop de "génital" à la table familiale. Evidemment, tout le sel de l'affaire tient, pour la fille, à la contradiction entre "être le phallus" et “l’avoir”, donc réussir, mais pas trop, en particulier en matière sexuelle. Il lui faut donc un "bon mari", certes, mais pas "sous tous rapports" (surtout les “rapports sexuels”). Nous l’avons vu plus haut, la faille narcissique de la mère incomplète nécessite l'activation de plusieurs défenses utilisées isolement ou simultanément, telles que : La réplication projective (Marty, 1994) L'identification projective sous forme de modèle féminin L'encouragement à la répression des affects de la fille (afin d'éviter qu'ils ne provoquent une hémorragie narcissique). La séduction à visée d'emprise ou de manipulation. etc... Par ailleurs, n'oublions pas que dans le conflit narcissique, il y a deux perspectives : celui de Narcisse qui ne pense qu'à lui, qui se trouve très beau, et qui opère dans le visuel, et celui d'Echo qui ne pense qu'aux autres, en vue de les maîtriser et les manipuler (“faute de m'avoir, je te possède...”), et qui opère dans le verbal. L'incomplétude peut donc prendre une forme revendicatrice ou manipulatrice (Eiguer, 1994). Si nous nous limitons, pour simplifier, à cinq états possibles de la mère, psychotique, état limite dépressif, état limite revendicatif, névrotique ou névrotique normale, nous pouvons analyser comme suit la relation entre la mère et sa fille (voir figure 4) : 55 1 - Mère psychotique : Le père, complice de la fusion entre la mère et son enfant, choisi d’ailleurs pour être complice, laisse se perpétuer une non différentiation d’autant plus marquée que l’enfant est une fille. Lors de son choix marital, la problématique de la fille est de finaliser, ou non, une séparation qui n’a jamais été élaborée. Les termes de l’alternative sont donc : - non séparation d’avec la mère, peut être en ayant un mari mais celui ci totalement complice à son tour. - défusion d’avec la mère, mais refusion avec le mari. - réussite de la défusion par une union objectale harmonieuse. - défusion d’avec la mère, mais échec conjugal et chute dans la folie. 2A - Mère état limite dépressive : Parmi toutes les variétés d'états limites, la mère “abîme”, au narcissisme très fragile, a besoin que l’enfant assure une fonction indispensable de bouchon ou de pansement destiné à colmater la fuite narcissique. Une telle mère a choisi un mari susceptible de lui apporter un réconfort permanent, de la “regonfler” par des compliments fréquents, et demande à sa progéniture de jouer le rôle de “rustine”. La fille se trouve alors dans une position privilégiée pour remplir ce rôle en raison de la proximité sexuelle. Dressée dès l’enfance à ne pas s'éloigner, à ne pas être ellemême, à sans cesse jouer le rôle de ce que sa mère aurait pu être, à être sans cesse confrontée au lancinant “Si tu pars, je meurs”, la fille a le choix entre : - renoncer en restant seule avec la mère. - assumer, c’est-à-dire protéger le lien et choisir un mari qui accepte cette contrainte. - décompleter la mère en recherchant ou assumant un lien objectal intense. Elle est alors guettée par une culpabilité violente susceptible de la faire reculer dans ce projet. - refuser la situation de clone amélioré qui lui est proposé et décompenser. 2B - Mère état limite revendicatrice : Si la carence narcissique est plus modérée, c’est-à-dire si la revendication phallique est restée sur un mode revendicatif agressif trop peu élaboré, la fille devient le réceptacle des frustrations et plaintes de la mère et hérite du fantasme que le phallus est exclusivement réservé aux hommes. La mère ne phallicise pas sa fille (voir plus loin) mais la vampirise en suscitant une crise identitaire aiguë. Le père, époux d’une femme habituellement qualifiée de “râleuse”, “jamais contente”, voire d’“emmerdeuse”, a été choisi pour se taire. La fille peut : - assumer en devenant dépressive à la place de sa mère et choisir un mari qui pourra la “regonfler” à son tour. - refuser de nourrir la mère de son sang et faire un choix objectal. Dans ce cas, la colère vis à vis de la mère peut lui permettre de franchir ce pas sans trop de culpabilité. - devenir une “râleuse”, comme sa mère. - refuser la situation d’“éponge” et décompenser. On notera ici que les traits de la mère peuvent être confondus avec ceux de la paranoïa. Le diagnostic différentiel repose sur la sociabilité du sujet, la carence 56 narcissique conduisant à une meilleure acceptation sociale par souci de conformisme (voir Bergeret, 1993). 3 - Mère névrosée : Pour celle-ci, la revendication phallique (voir figure 1) n’a pas non plus été dépassée, mais cette fois l’enfant a pour fonction d'être ce phallus rageusement réclamé. La non résolution du complexe de castration est repérable à travers la peur panique que suscite la notion d'échec chez la mère. Pour ne jamais affronter l'échec, la mère n’a jamais rien entrepris et est oisive par conviction, c’est-à-dire qu’elle a du abandonner tout désir. La fille doit alors réussir tout ce que la mère n’a pu entreprendre et ne peut le refuser à celle “qui a tant fait pour elle.” Pour avoir la paix, et parce que cela lui permet de sublimer ses pulsions incestueuses, le père est complice de cette phallicisation forcenée. Prise entre deux feux, la fille peut : - assumer, c’est-à-dire réussir ce que la mère n’a pas voulu entreprendre. L’ambivalence de la mère, déchirée entre satisfaction et envie, rend cette solution très inconfortable. - déphalliciser la mère en recherchant ou assumant un lien objectal intense. Elle est alors guettée par une culpabilité, à la mesure de la dette, susceptible de la faire reculer dans ce projet. - devenir une “perdante”, comme la mère. - refuser la situation d’“habit de lumière” et décompenser. 4 - Mère névrosée normale : Pour cette mère, l’enfant est une personne qui a droit à avoir sa propre vie et la fille a ici les plus grandes chances d’assurer son destin féminin. Le modèle offert par la mère n’est pourtant pas exempt de risques pour l’enfant. Trop femme, la mère peut susciter chez sa fille le rejet de cette image et donc des conduites, par exemple, anorexiques. Trop mère, la mère peut créer de graves problèmes identificatoires. La gestion du problème : “être comme”, tout en “étant différente”, peut déboucher sur des issues non souhaitables. Pour simplifier, disons que les principales options sont : - devenir la mère maternelle, ce qui la conduira peut-être, si cette tendance est exagérée, à phalliciser ses enfants. - devenir rivale de la mère, c’est-à-dire femme, ce qui la conduira vers un destin féminin, issue heureusement la plus fréquente. - devenir non mère, par refus d’identification, ce qui la mènera à privilégier son destin masculin, au détriment peut-être, mais pas certainement, de son destin féminin. - devenir non femme, également par refus d’identification, ce qui, là aussi, la conduira vers un destin masculin. Nous savons que la pathologie réside dans l'excès. Par exemple, une mère normale est contente de voir sa fille rencontrer le succès dans ses études ou sa vie professionnelle. Cette réussite suscite d’ailleurs une réaction ambivalente, un partage entre le soulagement de savoir son enfant en sécurité et une possible envie de ne pas avoir eu elle même cette chance. Mais il y a loin entre cette manifestation d’amour (ambivalent, bien entendu) et la recherche de la réussite “à tout prix” que la mère névrosée engage bien avant la naissance de sa fille, ou la préparation au “non départ” 57 que la mère dépressive commence même encore plus tôt, chacune construisant petit à petit un piège duquel la fille ne pourra que difficilement échapper. Les exemples précédents montrent que la fille prise sous l’emprise maternelle doit opter entre : céder à l’emprise de la mère , s’en libérer, devenir comme la mère, ou, enfin, devenir folle pour échapper à l’emprise Nous pouvons résumer le spectre des options possibles selon le schéma de la figure 5 : - à une extrémité, la mort psychique résultant d’un renoncement à l’individualisation, - à l’autre extrémité le plein succès du “ravage” tel que l’envisage Marie Magdeleine de Brancion (voir 1 - 3 - 5 ou Chatel, 1998). Le renoncement et le ravage présentent chacun des degrés conduisant finalement aux cinq échelons suivants : - renoncement total, - renoncement partiel, - ravage, mais sans succès, - ravage réussi culpabilisant, - plein succès du ravage. 58 FIGURE 4 Issues de la relation mère-fille Problématique de la fille : Mère incomplète : fusion enfant non objectalisé et non différencié séparation inélaborée Moi Idéal prévalent Père complice de la fusion Non séparation ou Défusion puis refusion avec le mari ou Réussite de la défusion ou Folie Problématique de la fille : Mère abîme : trauma irrecevable enfant partiellement objectalisé fonction de pansement / de bouchon fonction d'accessoire nécessaire Idéal du Moi prévalent (conformisme) Père parent (double de la mère) Mère envahissante enfant vampirisé fonction de réceptacle de la plainte (éponge) fonction de restauration narcissique Idéal du Moi prévalent Père complice de la vampirisation Mère névrosée enfant phallicisé fonction de restitution phallique Idéal du Moi prévalent (réussite) Père complice de la phallicisation Renoncer et rester seule ou Assumer ou Décompleter la mère ou Décompenser Problématique de la fille : Assumer ou Dévampiriser la mère ou Devenir comme la mère ou Décompenser Problématique de la fille : Assumer ou Déphalliciser la mère ou Devenir comme la mère ou Décompenser Problématique : Mère névrosée-normale enfant objectalisé / différencié fonction de régulation affective Surmoi prévalent Père assume sa fonction paternelle Devenir la mère maternelle ou Devenir rivale ou Devenir "non mère" ou Devenir "non femme" 59 3 - 3 - 2 - Les options maritales de la fille Comme indiqué dans la figure 5, les cinq échelons représentant les réactions possibles de la fille conduisent à des options conjugales différentes. Nous ferons l'hypothèse que, pour protéger le lien à sa mère, la fille choisira un mari sur la base d’un lien narcissique “fort” et d’un lien objectal “faible”. En d’autres termes, le mari choisi ne s’interposera pas entre la fille et sa mère, voire même encouragera la persistance de l’emprise. Une telle communauté d’objectifs, bien sûr implicite, se traduit par un lien narcissique prévalent au sein du couple fillemari. En termes de typologie conjugale, nous aurons donc affaire à un couple anaclitique ou narcissique ou pervers. Si nous reprenons les 5 échelons repérés plus haut, les options maritales de la fille seront donc, pour chaque échelon : - le renoncement total avec mort psychique conduit la fille à une vie sexuelle pauvre sans lien solidement établi. - le renoncement partiel consiste à sélectionner un mari qui satisfait les exigences de la mère vis à vis de sa fille (que ce soit en termes de fusion, de renarcissisation, de vampirisation ou de phallicisation), donc selon un lien narcissique fort et un lien objectal faible. - le ravage raté est une vaine tentative de lien objectal durable. Cet échec survient par suite d’une mauvaise sélection du mari ou d’un acte manqué. Trois cas peuvent se présenter : - le mari a été sélectionné selon un lien narcissique (acte manqué) et le couple peut éventuellement durer sur un mode anaclitique, narcissique ou pervers. - le mari ne peut supporter le lien mère-fille et le brise ou divorce - la fille, rongée par la culpabilité, se réfugie dans un destin masculin lui permettant de ne pas affronter sa mère sur le plan sexuel. - le ravage partiellement réussi est un choix de mari selon un lien objectal fort. Mais, la fille a le plus grand mal à gérer la culpabilité que suscite la séparation d’avec la mère et ses conséquences (dépression de la mère, par exemple). Elle oscille donc entre mari et mère (voir le mythe de Démeter en A1-1). - le ravage pleinement réussi est le cas où la fille assume pleinement son destin féminin dans une relation conjugale fortement objectale. 60 FIGURE 5 ATTITUDES DE LA FILLE SOUS L'EMPRISE MATERNELLE RENONCEMENT Renoncement total Mort psychique RAVAGE Renoncement partiel Echec du Ravage Lien objectal faible Lien objectal faible Devenir la mère ou Destin masculin Ravage réussi Ravage pleinement réussi Destin féminin avec culpabilité Destin féminin sans culpabilité Lien objectal fort Lien objectal fort 61 3 - 4 - Conclusions Nous disposons d’une base théorique qu’il est maintenant nécessaire d’opérationnaliser. Nous devons repérer au niveau des entretiens cliniques les éléments suivants : 1 - la situation structurelle des différents acteurs 2 - la qualification des liens entre les différents acteurs, c’est-à-dire la prévalence du lien narcissique ou objectal et les défenses mises en jeu de part et d’autre. 62 Quatrième partie : ETUDE CLINIQUE “Les contes mettent en scène un enjeu maximal : être ou ne pas être. Disons que les histoires de dévoration tournent autour de la question : comment peut-il y avoir place pour deux ? Et, les histoires de rivalité : comment peut-il y avoir place pour une tierce personne ? “ Francois Flahaut, 1992, Les liens maternels dans les contes de tradition orale in Les mères, Nouvelle Revue de Psychanalyse, 45, page 224. Introduction Afin d'étudier l'hypothèse de travail et son corollaire en 3 - 3 - 2, l'approche retenue est un entretien semi directif avec la fille utilisant pour stimulus un conte. Le conte sélectionné est "La petite sirène" d'Hans Christian Andersen pour lequel nous disposons de deux versions différentes : a - Le texte d'Hans Christian Andersen b - La version cinématographique de Walt Disney. L'idée que nous poursuivons est que ces deux versions représentent les deux issues extrêmes pour échapper à l'emprise de la mère : la mort psychique et le destin féminin sans culpabilité. L'hypothèse de travail revient à dire que parmi le spectre des issues possibles, celle qui est privilégiée est le compromis visant à ménager à la fois le lien à la mère et le lien établi avec le mari. "Privilégiée" ne signifie pas "adoptée dans tous les cas". Le compromis, nous l’avons vu, va se traduire par un lien objectal faible, par renoncement ou bien suite à une tentative de révolte avortée (voir figures 5 et 6). Comme nous disposons de deux histoires différentes, le principe de l'opérationnalisation est de permettre au sujet de se positionner par rapport à ces deux histoires et donc de révéler ses critères de choix inconscients. L'entretien aura pour but de faire apparaître : - la problématique de la mère et le mode d'investissement de sa fille - les critères de choix du mari de la fille - le ou les promoteurs de ces critères - le ou les acteurs de la décision. Pour atteindre ces objectifs, l'entretien soulignera les différences entre ces deux versions afin de faire émerger le désir du sujet. Nous présupposerons, en accord avec le paradigme des tests projectifs, que l’histoire construite par le sujet est le reflet de sa propre problématique. 63 Une des principales difficultés de l'interprétation des résultats sera que les autres acteurs (père, mère, mari) ne seront vus qu’à travers les propos de la fille. Les séances de thérapie familiale et le dossier thérapeutique permettront de compléter partiellement le matériel, en particulier lorsque le mari sera présent. Les parents n’ont jamais été présent en thérapie mais ont été évoqués en thérapie par le sujet, le mari ou les enfants. L’entretien de recherche suscitant une forte régression susceptible de provoquer des interférences avec la thérapie, il a été décidé, pour des raisons éthiques, de ne pas procéder à un quelconque complément d’investigation susceptible de mettre le sujet en danger. En particulier, l'idée d’interroger la mère du sujet, un moment envisagée, a été abandonnée. En pratique, la description des scènes clef sera illustrée en feuilletant avec le sujet les deux livres suivants : La petite sirène, PML Editions, 1998. (Version d'Andersen) La petite sirène, Walt Disney Editions, Hachette, 1990. (Version de Walt Disney) Ces deux livres illustrés pour enfants ont des styles graphiques voisins et permettent de passer facilement d'une version de l'histoire à l'autre (voir annexe 4). Nous examinerons successivement : Les raisons du choix de cette histoire et de ses deux versions. L'articulation de chaque version et le contenu latent de chaque scène. La population étudiée Le scénario du protocole L'avertissement déontologique La consigne Les résultats des passations, dont la synthèse et l’exploitation sont donnés dans la Cinquième partie sont présentés in extenso dans l’annexe 5. 4 - 1 - Les raisons du choix de La petite sirène Les raisons du choix de cet outil sont les suivantes : 1 - Ce conte est symboliquement le plus représentatif de la relation dépendante mèrefille. En effet, la sirène, jeune fille aux jambes serrées (dans la latence), vivant au fond de la mer (mère) et qui est curieuse de la vie des humains (de la sexualité), représente bien la situation de la jeune femme qui, au sortir de l'adolescence, aborde le problème du choix d'un conjoint ou, du moins, d’un partenaire sexuel. Les situations dans chaque version (Andersen et Disney) ne sont pas identiques : - Le conte original d'Andersen contient une grand mère qui symbolise une bonne mère tentatrice et aimable du fait de l'écart générationnel et une sorcière qui symbolise une mauvaise mère. Le pacte proposé par celle ci est respecté. L’issue de l’histoire est la mort de la fille. 64 - L'histoire de Walt Disney fait intervenir une présence paternelle et une mauvaise mère qui ne respecte pas les termes du pacte. L’issue de l’histoire est le mariage avec le conjoint espéré. 2 - La problématique développée est bien la séparation de la fille et de la mère par l'union de la fille à un homme. 3 - Les deux versions ont en commun que le maternel est symbolisé, en tant que contenu manifeste, par le milieu sous marin. Comme dans la grande majorité des contes de fées, la sélection du mari ne se fait pas par choix mais par la rencontre fortuite entre la jeune fille et le prince. Ce hasard permet de symboliser le destin, la prédestination ou le coup de foudre. La situation de prince, sous entendant que les besoins et la sécurité de son épouse seront assurés, évoque l'importance du critère de choix anaclitique dans le choix marital. L’amour et les enfants à venir soulignent la présence du critère objectal. 4 - 2 - Articulation de chaque version et contenu latent de chaque scène Les deux versions du conte de La petite sirène sont proches des deux extrémités du spectre des réponses que peut apporter la fille au surinvestissement maternel : la version de Hans Christian Andersen est une vue pessimiste de la destinée de la fille (renoncement total) alors que la version de Walt Disney en est une vue optimiste (succès du “ravage” (Chatel, 1998) ; voir figure 5). L’analyse qui suit a pour objet d'examiner l'articulation de chaque version originale de l'histoire et d'en indiquer le contenu latent, scène par scène. Les scènes correspondant à une page des livres utilisés pour les entretiens cliniques y sont repérées (A pour Andersen et W pour Walt Disney, voir les planches en annexe 4). La transformation du contenu manifeste en contenu latent est une interprétation personnelle. 4 - 2 - 1 - Le texte d'Andersen CONTENU MANIFESTE Le fond de la mer, splendide, recèle des trésors ravis aux hommes (A1). Le roi des mers est veuf, il vit avec sa mère et ses six filles (A2). S'il est fait mention de lui au début de ce conte, il n'interviendra plus dans la suite. La grand mère est fière de sa noblesse, elle porte 12 huîtres sur sa queue. Aux 15 ans de la petite sirène elle la pare et lui attache 8 huîtres sur la queue et dit : "Il faut souffrir pour être belle." CONTENU LATENT L'inconscient de la mère dans lequel baigne la fille délivre à celle ci une image du monde limitée aux souvenirs de la mère. Le père n'a qu'une place très mineure dans l'inconscient de la mère. La bonne mère est toutefois aussi très conformiste et s'efforce de transmettre un idéal féminin. Elle utilise la réplication projective. 65 La petite sirène est réfléchie, elle soigne un jardin rond et possède une statue représentant un jeune homme. A l'anniversaire de leurs 15 ans les 5 soeurs vont voir le monde. La première contemple un clair de lune La seconde un coucher de soleil La troisième la campagne et des enfants La quatrième une mer démontée La cinquième la mer arctique par temps d'orage. Plus tard, si les soeurs tentent d'amener des hommes sous la mer, ils se noient. Le jour de son anniversaire, la petite sirène contemple un navire (A4). Celui ci fait naufrage, elle sauve le prince (A5), chante pour lui et le baise sur le front alors qu'il est encore sans connaissance. Elle tombe amoureuse du prince. La grand mère tente de convaincre la petite sirène qu'elle est mieux dans la mer (A6). Elle lui explique cependant comment acquérir une âme immortelle. Le monde des hommes parait plus vaste à la petite sirène que le cocon proposé. La petite sirène a recours à la magie pour retrouver le prince (A7). Elle passe le marché suivant avec la sorcière : - Elle aura des jambes, une démarche gracieuse mais souffrira sans cesse de ses pieds. - L'opération est à sens unique. - Si le prince en épouse une autre, elle mourra. - Le prix à payer est sa voix. La petite sirène s'efforce d'avoir son propre idéal féminin. Son objet interne masculin est désexualisé, mort, objet de contemplation et non de désir. Divers moyens défensifs sont mis en oeuvre pour éviter la confrontation à la différence sexuelle. Ces moyens sont essentiellement l'idéalisation et l'intellectualisation face à des pulsions de plus en plus pressantes. L'homme ne peut côtoyer la fille au sein de l'inconscient de la mère, milieu qui lui est totalement étranger, sauf exception (ce n'est pas sa belle mère que l'homme épouse, même s'il trouve une référence parentale chez la fille). La petite sirène est confrontée à la sexualité. dans un contexte desérotisé. Il y a aussi une prise de rôle maternel avec l'objet de son amour. On peut aussi dire que, comme l'hystérique, elle exerce sa séduction sur un homme qui ne peut pas répondre. La bonne mère tente de séduire narcissiquement sa fille et pour cela révèle quelques uns des secrets de la sexualité. A noter que la maternité est passée sous silence. Un des aspects du phallus hérité de la mère, la voix propre aux sirènes, est en jeu. Moyennant une dénarcissisation partielle, la voix mais pas la grâce, la mère laisse partir la fille vers son destin. La douleur permanente peut être également vue comme la peine nécessaire pour devenir humain, à rapprocher des moments pénibles de l’analyse. Les deux termes de l'alternative, pour la fille, sont l'existence comme sujet dans la souffrance ou bien la mort psychique. 66 Elle retrouve le prince mais ne peut lui parler (A8). Il la considère comme son petit enfant trouvé et l'habille en homme pour lui faire partager ses plaisirs masculins. Le prince rencontre une autre jeune fille et la prend pour celle qui l'a sauvé (A10). Elle est belle. Ils se marient. Ils disent à la petite sirène qu'ils l'aimeront comme leur soeur. La petite sirène fantasme que le prince n'avait pas le choix. Les soeurs de la petite sirène lui font part d'un nouveau marché : - moyennant le sacrifice de leur chevelure, elles ont obtenu une révision de marché précédent. - si la petite sirène tue le prince, avec le couteau donné par la sorcière, le sang du jeune homme redonnera une forme de queue de poisson à ses jambes et elle pourra vivre à nouveau dans la mer - le nouveau contrat a une durée limitée La petite sirène ne peut tuer le prince qu'elle observe avec sa jeune épouse dans le lit de leurs noces (A11). Le nouveau marché n'étant pas mené à conclusion, la petite sirène meurt et devient écume (A12). La voix, cette partie indispensable de l'héritage laissé par la mère lui ayant été repris, la fille est démunie pour conquérir le prince. Un modèle féminin adéquat lui aurait pourtant permis d'atteindre son but. Le prince tente une relation sur un mode homosexuel. Le partenaire choisi par la fille préfère finalement investir une relation objectale principale genitalisée, tout en essayant de maintenir une relation secondaire visant à la satisfaction de quelques pulsions partielles non résolues et d'ordre narcissique. La fille ne peut accepter d'être un tel objet partiel et se défend par la dénégation et le déni. A noter que si le prince et son épouse aiment la petite sirène comme leur soeur, alors le prince et son épouse sont eux mêmes frère et soeur. La mère offre à sa fille le rétablissement du lien pour combler le vide narcissique dont elle souffre sans sa fille. Elle lui demande pour cela le renoncement à tout outil de séduction. Elle exige en outre la castration du mâle félon qui seule, à ses yeux, peut permettre la reconstitution narcissique de la fille et, sans aucun doute, de la sienne aussi. La fille est confrontée à la scène primitive qui réveille une problématique oedipienne. Elle choisit la solution dépressive en se pliant aux exigences de son Surmoi (le contrat). La fille, état limite, sombre dans la folie ou s'échappe par le suicide. Dématérialisation dépressive ou dissociation psychotique. La problématique décrite ici est donc celle d'une mère abîme qui, confrontée à l'éveil de la sexualité chez sa fille, tente de trouver une solution à ce problème par des tentatives successives visant, soit à conserver l'emprise, soit à détruire son pansement narcissique (sa fille), mais pas à accepter de s'en détacher. Le bonheur de sa fille lui est donc tout à fait insupportable car il réactive la blessure narcissique secrète. 67 Celle ci est bien évidemment l'absence de plénitude sexuelle. Faute de jambes qu'elle pourraient écarter, la bonne mère, grand mère, ainsi que la mauvaise mère, sorcière, n'ont pas eu accès à la jouissance. Les seules satisfactions obtenues sont du registre narcissique (la considération due à son rang pour la grand-mère, l'emprise pour la sorcière). La fille a un équipement narcissique personnel tout à fait insuffisant : pas d'identification féminine de niveau génital, aucune identification masculine structurante et un projet objectal de niveau infantile. Il s'agit d'épouser le papa qu'elle n'a pas eu, sans engagement génital, au lieu de s'investir dans une relation où les puissances narcissiques sont égales et les désirs érotiques complémentaires. 4 - 2 - 2 - La version de Walt Disney. CONTENU MANIFESTE La petite sirène est joyeuse (W1). Le fond de la mer, splendide, recèle le château du roi Triton. Dans le monde des sirènes, il y a des mâles, des femelles et des enfants (W2). Le roi Triton donne une fête (W3). Il vit avec ses six filles. Il est puissant et coléreux. Il interdit à ses filles d'approcher les hommes qu'il considère dangereux. La petite sirène est rebelle, elle collectionne des objets humains (W4) et, pour cela prend des risques, par exemple avec le requin (W5). La petite sirène est accompagnée d'un ami poisson, d'un conseiller surveillant crabe (W9) et à des amis cormorans, dont un savant (W6). La sorcière est la femme répudiée du roi Triton. Elle voit partout par l'oeil de ses murènes (W7). La petite sirène a une collection d'objets humains et elle rêve de rejoindre ce monde (W10). CONTENU LATENT La période de latence est sereine. L'inconscient de la mère, dans lequel baigne la fille, délivre à celle ci une image d'un monde sexualisé mais pas génitalisé. La conception des enfants sirènes est donc un insondable mystère. Le père a une place majeure dans l'inconscient de la mère. Il interdit la sexualité à ses filles, en particulier à la plus jeune. Pour connaître les secrets de la sexualité, elle affronte le pénis paternel, puissant et agressif, dans l'inconscient maternel. Une scène primitive violente est évoquée. L'appareil psychique de la petite sirène contient un crabe-Surmoi, un cormoran-Idéal du Moi loufoque et un bien gentil poisson-ça. Elle se présente comme une névrosée normale avec un équipement narcissique normal. Les pensées devinées de la petite sirène révèlent une pointe d'obsessionnalité déjà remarqué avec son goût pour les collections : les murènes représentent la crainte de l'obsessionnel de voir ses pensées devinées. La petite sirène fantasme sur la sexualité mais son Idéal du Moi est insuffisant. 68 La petite sirène approche un navire par dessous et contemple une fête avec feu d'artifice (W11 et W12). Le prince s'est fait offrir sa statue pour son anniversaire. Il détourne la tête. Il évoque qu'il a déjà repoussé une princesse (W12). Le navire fait naufrage, elle sauve le prince (W13) et chante pour lui (W14). Elle tombe amoureuse du prince (W15). La statue est justement tombée parmi la collection de la petite sirène. Le roi Triton découvre la collection, la statue et le fait que la petite sirène a sauvé un humain. Il détruit les objets avec son trident magique, en particulier la statue (W16). En colère après son père, la petite sirène écoute le conseil des murènes (W17). La petite sirène a recours à la magie pour retrouver le prince (W18). Elle passe le marché suivant avec la sorcière (W19) : - Transformation en humaine pour une durée de trois jours. - Si elle obtient un baiser d'amour du prince elle restera humaine. - Sinon elle redeviendra sirène et appartiendra à la sorcière. - Le prix à payer est sa voix (W20). Elle retrouve le prince qui tombe amoureux d'elle (W21 et W22). La quête de la sexualité est sans inhibition, le gros pénis-bateau permettra d'atteindre l'explosion des sens (le feu d’artifice). La quête objectale du prince est sans compromis narcissique, ni par recherche d'un jumeau, ni par renfort narcissique d'un objet soumis. La petite sirène est confrontée à la sexualité. Dans une situation d’urgence, elle est confrontée à la séduction sexuelle et aux gestes amoureux dans un contexte desérotisé. Il y a aussi une prise de rôle maternel avec l'objet de son amour. On peut aussi dire que, comme l'hystérique, elle exerce sa séduction sur un homme qui ne peut pas répondre. Elle inscrit l'objet de son amour dans son inconscient propre. Mais ceci est au prix d’une pétrification et d’une mortification. L’adoration est encore loin de l’amour. On peut hésiter ici entre un geste incestuel ou un déni du narcissisme de la petite sirène. En effet, ce n'est pas tant le rival (la statue) qui est détruit que la cause d'une "dévénération". Nous serions donc plutôt dans un registre narcissique. Le roi Triton souffre d'une névrose de caractère. Opposition à la violence paternelle. Les deux termes de l'alternative, pour la fille, sont l'existence comme sujet passif, ou bien le renforcement du lien en une relation sado masochiste. Nous sommes dans une logique perverse. Elle a bien de la chance. L'inégalité narcissique compromet à l'avance cette relation. 69 La première tentative de baiser est contrecarrée par les murènes de la sorcière (W23 et W24). La sorcière se change alors en jeune fille (W25) et séduit le prince en utilisant la voix de la petite sirène (W26). Le prince décide d'épouser cette jeune fille. Le cormoran découvre qui est la jeune fille en réalité (W27 et W28). Il informe le crabe, le poisson et la petite sirène. Les cormorans et les dauphins permettent à la petite sirène de retrouver sa voix (W30). Le prince la reconnaît mais trop tard, les trois jours sont écoulés (W31). La sorcière emporte la petite sirène dans les profondeurs (W32). Elle révèle son plan qui est de se venger du roi Triton en se servant de sa fille comme otage. Triton tente de rompre le contrat avec son trident magique Triton donne son trident en échange de sa fille (W33). Il est réduit à l'état de vermisseau à l'aide de son propre trident. Le prince tente de tuer la mère avec un harpon (W34). En tentant de tuer le prince, la sorcière tue ses murènes. Elle gonfle de colère (W35). La tempête que cela provoque fait remonter des épaves. Le prince utilise l'une d'elle pour éventrer la sorcière (W36). Le roi Triton retrouve son trident et sa superbe. Son Surmoi, du moins l’interdit maternel, compromet la relation objectale. La mère devient plus femme que sa fille. On voit l'envie à l'oeuvre. Le moyen magique utilisé par la mère est pathétique lorsqu'il s'agit de réalité clinique. La fille prend conscience que le lien pathologique va la priver du bonheur objectal. Rébellion d'adolescente et récupération narcissique partielle. Mais trop tard, la fille sombre dans une relation mère fille de nature perverse. L'enjeu des défenses perverses de la mère est l'appropriation du phallus. La fille n'est que l'instrument de ce conflit. Le père tente de rompre le lien mère fille. L'échec de cette tentative renforce l'idée de la problématique narcissique du père. Pour sauver sa fille, il se satisfait à son tour d'une relation perverse. Cependant, son sacrifice révèle un Surmoi assez solide qui lui permettra ultérieurement de se reconstituer névrotiquement. Le phallus du gendre est insuffisant pour rompre le lien mère fille Cependant, la rivalité phallique rend la mère ivre de rage car elle a sombré dans un fantasme de toute puissance. Elle perd sa clairvoyance. La mère décompense brusquement et livre en vrac des souvenirs. Le prince en fait une interprétation sauvage qui porte particulièrement juste. A noter la violence, pénétrante, de l'interprétation. Le père est libéré de la relation sado maso ainsi que la fille. 70 Il prend conscience de l'amour de sa fille pour le prince. A l'aide du trident il lui redonne forme humaine. La petite sirène se réconcilie avec son père (W37). Le prince et la petite sirène se marient (W38). Le cormoran savant dit : "ils se marièrent et n'eurent plus mal aux dents." Le bateau s'éloigne sur la mer avec les mariés à son bord. La fille est mélancolique. Pour ce qui est du père, ayant connu l'expérience d'être rien, il peut se passer du renforcement narcissique apporté par sa fille asservie phalliquement. Un traumatisme organisateur, devenir rien, lui a permis de reconstituer un Moi névrotique avec son Surmoi dont on a vu qu'il était assez solide. Le père a changé, l'expérience perverse lui a permis, paradoxalement, d'acquérir une empathie. Celle ci lui permet de reconnaître sa fille en tant que femme. Cependant, ce don du phallus paternel ne permettra pas à la fille d'accéder au maternel que seule la mère aurait pu conférer. La fille peut exister en tant que sujet. Cependant, le principal acquis de l'union de la fille est pour l'instant le renoncement à la masturbation. Pour ce qui est de procréer... La fille ne peut trop s'écarter de sa mère. Nous avons affaire ici a une petite sirène sous l'emprise de sa mère mais possédant une structure plus évoluée que celle d'Andersen. On peut même dire que sa situation est en miroir par rapport au conte d'origine : sous la coupe d'un père caractériel envahissant, dans une relation quasiment incestuelle, noyée dans l'inconscient d'une mère plutôt mauvaise, elle est l'enjeu d'un combat pour le phallus entre Triton et la sorcière. Chacun de ses deux parents, prétendant être seul à pouvoir posséder le phallus, est l'objet d'un conflit narcissique : le père, le roi Triton peut être défini comme un aménagement caractériel, une névrose de caractère, tandis que la sorcière serait franchement cataloguée comme une perverse. On remarquera que la sorcière est représentée sous forme d’une pieuvre et non d’une sirène. La pieuvre a pour caractéristique de représenter un sexe féminin largement béant, prêt à avaler la proie saisie à l’aide de ses tentacules. Nous sommes donc dans le registre d’Echo (voir la troisième partie, 3 - 3 - 1). 4 - 3 - Population étudiée Les passations se sont déroulées au CMPP Lea Beaussier de Juvisy sur Orge où j’ai effectué mon stage. Parmi les 14 familles suivies en thérapie familiale, une première sélection a permis d'écarter les situations par trop marginales ou monoparentales et de sélectionner 6 familles où l'épouse était candidate pour représenter la fille dans le système étudié. Parmi ces six familles, deux ne se sont pas représentées en thérapie et, dans un troisième cas, l'épouse a refusé la passation. 71 Les trois familles restantes sont celles de Mélanie, Gertrude et Odile. Cette dernière est mariée (après un premier divorce) alors que Gertrude est divorcée et Mélanie séparée. Les prénoms, lieux, métiers et dates ont été modifiés afin de garantir l’anonymat des sujets. 4 - 4 - Protocole Le protocole comporte : Une introduction sur les problèmes de déontologie et un résumé des deux versions du conte à l'aide des deux livres. Le sujet est ensuite invité à créer sa propre histoire à partir des deux qui viennent de lui être résumées. Les relances auront pour objectif d’aider le sujet à formuler son point de vue sur la problématique soulevée par l'hypothèse. En particulier, en cas d'hésitation, le sujet sera invité a prendre position. Si possible, les situations homologues dans chaque version du conte seront comparées à l'aide des pages correspondantes des livres, en expliquant la différence et en demandant au sujet de se situer ou de situer son environnement familial par rapport à ces deux références. L’entretien se déroule dans un bureau habituellement utilisé pour des thérapies d’enfant. Il contient de nombreux jouets et animaux en peluche. Le chercheur et le sujet sont assis face à face. Une table est située non loin. Un magnétophone de poche est placé sur la table qui sert aussi à poser les livres. Un deuxième magnétophone, posé sur une étagère, a pour but de pallier aux défaillances éventuelles du premier. 4 - 5 - Avertissement déontologique "Je vous remercie d'avoir accepté de participer à ce projet de recherche. Je voudrais vous préciser que ce travail n'est pas directement lié à la thérapie que vous avez entreprise. Egalement, je veux vous confirmer que vos droits en tant que personne seront respectés par un code de déontologie des psychologues. Il me semble important de vous en préciser quelques unes des règles visant à protéger vos droits. - Votre participation est volontaire et vous pouvez vous retirer à tout moment. - La recherche que je mène concerne un aspect général de la vie familiale et non des informations sur vous même. Les conclusions seront bâties sur la base de plusieurs rencontres telles que celle ci. Si il était nécessaire d'utiliser une partie de ce qui est dit ici, les éléments permettant de vous identifier seront modifiés. - Ayant participé à cette recherche, il est de votre droit d'avoir connaissance des conclusions. Je suis donc prêt à vous revoir à la fin de cette étude pour vous expliquer ce dont il était question. Pour le moment, je ne peux vous en dire davantage afin d'être assuré de la spontanéité de vos réponses." 72 4 - 6 - Consigne "Je vais commencer par vous raconter deux versions du conte de La petite sirène. Ensuite vous serez le scénariste et, à partir de ces deux versions, vous construirez l’histoire qui vous auriez aimé lire ou entendre. Mon travail serait facilité si nous pouvons enregistrer ce qui sera dit. Je vous demande l’autorisation de mettre en marche ce magnétophone avant de commencer. L’analyse qui sera faite sur cet enregistrement ne concerne que l'objet de ma recherche." 4 - 7 - Résultats attendus Notre recherche vise (voir 3 - 3 - 2) à identifier la “force” des liens entre mère et fille et entre fille et mari. Or, ces liens ont été définis comme suit en (3 - 2 - 1) : A - un lien narcissique, résidu de l’identification primaire, qui pousse à la quête du semblable en vue de fusionner ou de former un Soi conjoint (identité conjugale, investissement d’un habitat commun, histoire commune vécue, Idéal du Moi familial). Il s’agit d’une identification moïque à l’identique tendant à l’uniformisation ou au rapport grand-petit. B - un lien objectal qui est une identification de l’autre inconscient à l’autre réel. Cet autre inconscient est le plus souvent un parent direct mais peut aussi être d’une génération antérieure : il s’agit donc d’une imago marquante parentale ou ancestrale. La première provoque des crises (rivalité, infidélité, souffrance) et la seconde un sentiment d'étrangeté en raison des mythes et secrets véhiculés par les non dits, les trop dits et les “mau-dits”. Nous chercherons donc à identifier les liens et à les quantifier selon une méthode très simple consistant à repérer dans le corpus des éléments caractéristiques de chaque lien et à leur attribuer un poids. L’attribution du poids est bien entendu sujette à un certain arbitraire puisque le travail d'étalonnage par rapport à une population de référence n’a pas été fait. L'idée est d’attribuer un poids plus important aux éléments à haute valeur symbolique (enfants, meurtre de la rivale, séduction) et un poids minimum aux péripéties. Nous utiliserons donc la table suivante pour évaluer la force des liens. Tout total supérieur ou égal à 7 sera qualifié de “fort”. 73 Tableau 3 : grille d'évaluation Poids Mélanie Gertrude Odile Lien narcissique mère-fille Monde sous marin d’Andersen Monde sous marin de Walt Disney La petite sirène demande conseil à sa grand mère La grand mère conseille d’aller voir la sorcière La petite sirène va voir seule la sorcière Il n’y a pas de naufrage La sorcière séduit le prince Le prince est tué par la sorcière Il y a un avenant au pacte La petite sirène devient écume de mer 3 -3 1 2 -1 1 2 4 1 4 Total Lien objectal fille-mari Il y a une rivale (autre que la sorcière) La petite sirène tue la rivale La petite sirène aime le prince Le prince aime la petite sirène Ils se marient Ils ont des enfants Le prince tue la sorcière Le Roi des mers est interdicteur Le Roi des mers est destructeur Il y a des secrets ancestraux 1 3 1 1 2 4 4 1 1 4 Total Lien narcissique fille-mari Non communication avec le prince Prince dévalué Prince surévalué Prince conformiste Relation amicale avec le prince Relation fraternelle avec le prince La petite sirène renonce à tuer le prince Amour du prince provoqué par la magie Amour de la sirène révélé par quelqu’un d’autre 4 2 2 4 1 1 4 2 4 Total Par ailleurs, la figure 6 nous fournit quelques exemples des réponses attendues en fonction de l’attitude de la fille sous emprise maternelle. Une analyse de toutes les réponses possibles n’a pas été faite compte tenu de la complexité d’un tel schéma. 74 FIGURE 6 POSITIONNEMENT DU CONTE DE LA PETITE SIRENE Attitude de la fille sous l'emprise maternelle RENONCEMENT Renoncement total RAVAGE Renoncement partiel Echec du Ravage Lien objectal faible Lien objectal faible Mort psychique Devenir la mère ou Destin masculin Ravage réussi Ravage pleinement réussi Destin féminin avec culpabilité Destin féminin sans culpabilité Lien objectal fort Lien objectal fort Sens manifeste attendu dans les réponses des sujets Version ANDERSEN Devenir écume de mer Version DISNEY Non communication avec le prince ou prince tué Prince dévalué (faible) Tuer la sorcière Mariage avec le prince sans enfants Mariage avec le prince et enfants 75 Cinquième partie : Résultats de l'étude clinique “Mon enfant, dis moi, es-tu sûre que tu n’a goûté aucune nourriture alors que tu étais dans le monde souterrain ? Parles sans rien cacher, car, si tu n’as rien goûté là bas, tu pourras quitter le répugnant Hadès et tu pourras vivre avec moi et ton père, le ténébreux Fils de Chronos, et tu seras honorée par tous les dieux immortels.” Alors la belle Perséphone répondit : “Mère, je vais vous dire toute la vérité. Quand le chanceux Hermès, le rapide messager de mon père, le Fils de Chronos, vint m’annoncer que j’allais vous retrouver et vous voir de mes yeux et que ceci calmerait votre colère et ferait cesser la malédiction que vous faites peser sur les dieux, j’ai bondi tant ma joie était profonde. Mais il (Hadès) a secrètement mis dans ma bouche quelque chose de doux comme le miel, une graine de grenade, et m’a forcée àla goûter contre mon gré.” Hymnes Homériques à Démeter, 2-398. Introduction Les éléments recueillis au cours des entretiens cliniques ont été rassemblés dans leur intégralité en annexe 5. Ils comprennent pour chaque cas : 1 - le génogramme familial, 2 - un résumé des situations des principaux acteurs (père, mère, fille, mari) élaboré à partir du dossier et du contenu des séances de thérapie familiale au CMPP, 3 - les éléments contre transférentiels, 4 - la transcription des enregistrements de la passation. Le contenu manifeste est complété par le contenu latent lorsque celui-ci diffère de l'interprétation donnée lors de l’analyse de chaque version du conte (voir 4 - 2 - 1 et 4 - 2 - 2). Ces éléments ont été résumés, ci après pour chaque sujet, selon plusieurs schémas de synthèse : 1 - Le résultat de la grille d'évaluation de la force des liens. 2 - Le contenu manifeste de l’entretien clinique L’histoire créée par le sujet est positionnée par rapport aux deux versions qui lui ont été proposées. La règle adoptée pour la représentation graphique de l’histoire construite par le sujet est la suivante : lorsqu’un élément de son récit appartient à l’une ou l’autre version, il sera positionné sur une des lignes verticales gauche ou droite. Un élément original sera positionné sur la ligne centrale avec une courte explication. 76 Nous constatons que les sujets oscillent entre l’une et l’autre version, c’est à dire utilisent de préférence des éléments existants de chaque histoire. Quelques modifications originales ont cependant été apportées par chacun des sujets, par exemple : - Mélanie remplace le prince par un pêcheur. - Gertrude supprime la tempête, le naufrage et le sauvetage du prince (alors que Odile insiste sur la nécessité du naufrage). La grand-mère indique la sorcière à la petite sirène. Enfin, elle fait intervenir les soeurs auprès du prince afin de sauver la situation. - Odile aussi fait jouer un rôle d'intermédiaire à la grand-mère. Pour Odile et Gertrude, la grand-mère est essentiellement bonne. Souvenons nous que dans le conte original, celle ci était orgueilleuse et conformiste. L’image qui en est donnée page A5 est différente et influence probablement les sujets. Enfin, les hésitations d’Odile donnent lieu, dans le schéma, à un tracé sinueux et surprenant. 3 - Le contenu latent de l’entretien clinique Les oscillations de l’histoire créée par le sujet sont reportées sur un diagramme, isomorphe du diagramme précédent, mais cette fois relatif au contenu latent. Le contenu latent est, rappelons le, le résultat d’une interprétation donnée par le chercheur. Celle ci est donnée dans le détail, scène par scène, pour les deux versions proposées (voir 4 - 2 - 1 et 4 - 2 - 2) et dans le détail, pour les réponses significatives des sujets en annexe 5 (voir A5 - 1 - 7, A5 - 2 - 7 et A5 - 3 - 7). 3 - La structure des liens Il s’agit d’un diagramme similaire à celui de la figure 3 mais où les interactions sont explicitées conformément aux termes du modèle défini dans la partie théorique. La force des liens, telle qu'évaluée à l’aide de la grille d'évaluation est représentée. Les défenses connues sont mentionnées. 5 - 1 - Analyse des résultats 5 - 1 - 1 - Eléments communs Nous constatons que dans les 3 situations examinées, le monde sous marin est celui de la version d’Andersen, c’est à dire excluant la présence du père dans l’inconscient maternel. Mélanie et Odile se donnent la peine de rationaliser leur choix (Mélanie : monde plus calme, Odile : version initiale de son enfance) ce qui traduit la difficulté à écarter le père du monde de la mère. 5 - 1 - 2 - Force des liens Celle ci est calculée selon la grille établie en 4 - 7. A noter que dans le cas d’Odile, qui a hésité entre plusieurs issues parfois contradictoires, tous les éléments rencontrés ont été pris en compte dans l'évaluation. 77 Tableau 4 : Evaluation Poids Mélanie Gertrude Odile 3 -3 1 2 -1 1 2 4 1 4 3 3 3 1 2 1 2 Lien narcissique mère-fille Monde sous marin d’Andersen Monde sous marin de Walt Disney La petite sirène demande conseil à sa grand mère La grand mère conseille d’aller voir la sorcière La petite sirène va voir seule la sorcière Il n’y a pas de naufrage La sorcière séduit le prince Le prince est tué par la sorcière Il y a un avenant au pacte La petite sirène devient écume de mer Total -1 2 1 2 4 8 4 9 10 Lien objectal fille-mari Il y a une rivale (autre que la sorcière) La petite sirène tue la rivale La petite sirène aime le prince Le prince aime la petite sirène Ils se marient Ils ont des enfants Le prince tue la sorcière Le Roi des mers est interdicteur Le Roi des mers est destructeur Il y a des secrets ancestraux 1 3 1 1 2 4 4 1 1 1 1 2 1 1 2 6 4 5 4 4 4 1 1 4 Total 1 4 Lien narcissique fille-mari Non communication avec le prince Prince dévalué Prince surévalué Prince conformiste Relation amicale avec le prince Relation fraternelle avec le prince La petite sirène renonce à tuer le prince Amour du prince provoqué par la magie Amour de la sirène révélé par quelqu’un d’autre Total 4 4 4 4 1 1 4 2 4 4 4 4 8 8 8 78 5 - 2 - Dépouillement du protocole de Mélanie Il est clair que les événements intervenus entre Mélanie et son père pèsent lourdement sur son choix d’objet. Si nous faisons l'hypothèse qu’il s’agit d’un acte incestueux ou d’une tentative d’acte incestueux, il est compréhensible que l’image d’une relation objectale normale ait été détruite, comme l’a été la statue du prince dans l’histoire de Walt Disney (“Il détruit tout !”). Par ailleurs, les difficultés relationnelles de Mélanie avec son fils peuvent être interprétées comme résultant du fantasme que le fils est le fruit de cette relation incestueuse. Les limites ayant été dépassées, une trop grande proximité conduirait à nouveau à une funeste issue. Cependant, on peut se demander pourquoi la relation à la mère réelle reste finalement assez respectueuse alors que celle ci aurait laissé faire l’inceste. Les filles victimes d’inceste, nous l’avons vu, éprouvent fréquemment de la rage à l’encontre de leur mère (King, 1992). Cependant, la mère fantasmatique est “bien sûr, une méchante femme”, envieuse et si maléfique qu’il n’y a aucune échappatoire au renoncement. En dernier lieu, le soin apporté à faire disparaître le compagnon de quelques années, le père de son fils, de sa propre histoire et de celle de son enfant permet de penser que l’identification de l’autre inconscient à l’autre réel passe par une sorte de réplication du négatif (rappelant l’hallucination négative de André Green, 1973) car son grand père maternel est également “gommé” de ses souvenirs (voir A5 - 1 -1). Quant à son ascendance paternelle, il n’en est tout simplement pas question. Quoique le poids donné au non-dit ou au secret soit fort dans l'évaluation, et qu’il y a effectivement une forte identification d’un “non-autre” inconscient à un “non-autre” réel, le lien objectal avec le mari est évalué “faible”. En effet, Mélanie n'évoque pas de relation amoureuse entre la petite sirène et le prince ni de rivalité. Pour ce qui est de la relation entre Mélanie et son père, nous pouvons considérer que les défenses du père contre ses pulsions incestueuses refoulées ont cédé et nous nous trouvons dans une logique perverse. En résumé, à travers l’histoire construite par Mélanie, nous pouvons déduire que les acteurs de son théâtre intérieur sont agencés comme suit : - la mère est vampirisatrice, c’est-à-dire état limite, envieuse, exerçant une emprise assez forte pour faire renoncer le sujet au “ravage”. - l’homme fantasmatique est dévalué, peut être pour être plus accessible, peut être pour être plus réel, peut être aussi parce que l’image interne de l’homme idéal est souillée. Nous savons par les séances de thérapie qu’un homme protecteur est recherché. Compte tenu de la possibilité d’un acte incestueux dans l’histoire du sujet, acte dont l’impact aurait bouleversé les investissements affectifs, nous ne pouvons conclure avec certitude que le choix d’objet de Mélanie, dans son fantasme mais aussi dans la réalité, soit principalement dû au surinvestissement maternel. Nous pouvons cependant constater l’existence d’un lien narcissique mère-fille “fort” et un lien narcissique fille-mari “fort”. 79 CONTENU MANIFESTE FIGURE 7 MELANIE Version DISNEY Version ANDERSEN Grand Mère Père Sorcière Prince Prince Petite Sirène Sorcière Petite Sirène Possibilité de voir la surface (à 15 ans) Pas de collection d'objets Curiosité naturelle Interdiction de monter à la surface Collection d'objets Curiosité due à interdiction Montée à la surface Découverte du bateau Un prince sur le bateau Montée à la surface Découverte du bateau Un prince sur le bateau Un PECHEUR Une tempête coule le bateau La petite sirène sauve le prince Elle en tombe amoureuse Une tempête coule le bateau La petite sirène sauve le prince Elle en tombe amoureuse Elle demande conseil à sa grand mère Elle va voir elle même la sorcière Le Roi des Mers détruit ses objets Elle écoute le conseil des murènes Contenu du Pacte La voix contre les jambes Amour du prince Sinon disparition Contenu du Pacte La voix contre les jambes Embrasser le prince Sinon esclavage NON communication avec le prince Communication avec le prince Relation amoureuse La sorcière empêche le baiser Le prince épouse une autre jeune fille Il l'avait promis à ses parents La sorcière se transforme en jeune fille Elle subjugue le prince La supercherie est découverte La petite sirène reprend sa voix Mais il est trop tard, elle devient esclave Modification du pacte Meurtre du prince Retour à l'état de sirène Sinon disparition (en écume) Modification du pacte Le père se sacrifie pour sa fille Il perd sa couronne et sa puissance La petite sirène est libre La petite sirène renonce à tuer le prince Le prince attaque la sorcière Il la tue Le père retrouve couronne et puissance Elle disparaît Il donne des jambes à sa fille La petite sirène épouse le prince 80 FIGURE 8 CONTENU LATENT MELANIE Version DISNEY Version ANDERSEN Inconscient de la mère peuplé de souvenirs désexualisés peu de place au père conformisme Inconscient de la mère : monde génitalisé mais pas sexualisé place majeure donnée au père image de scène primitive violente Recherche idéal féminin propre Défense par idéalisation Défense par intellectualisation Structure névrotique Surmoi dominant Idéal du Moi insuffisant Confrontation à la sexualité Confrontation à la sexualité anticipation d'un plaisir intense Homme dévalorisé Séduction sexuelle Rôle maternel Création lien objectal Séduction sexuelle Rôle maternel Création lien objectal Séduction narcissique de la mère Soumission à la toute puissance maternelle Père Etat Limite interdicteur Opposition à la violence paternelle Contenu du Pacte dénarcissisation partielle accès a la sexualité génitale Sinon mort psychique Contenu du Pacte dénarcissisation partielle accès a la sexualité génitale Sinon relation perverse a la mère La dénarcissisation empêche l'accès à la relation objectale (pas d'égalité narcissique, pas de désirs érotiques complémentaires) Relation amoureuse malgré l'inégalité narcissique Rejet par l'objet choisi Intellectualisation de la cause du rejet Interdit maternel sur la relation Envie de la mère pour sa fille Fantasme de jeunesse retrouvée Rébellion adolescente contre la mère Renarcissisation partielle Mais renoncement au lien objectal Modification du pacte La fille manque à la mère Renarcissisation partielle Castration du mâle Sinon mort psychique Modification du pacte Le père tente de rompre le lien Il se soumet à la relation perverse La fille reste sexuellement inhibée Choix de la solution dépressive L'objet choisi attaque la mère La mère décompense Le père bascule dans la névrose Mort psychique Ayant acquis assez d'empathie, le père reconnaît sa fille comme femme. Grâce à lui elle vit son destin feminin. 81 FIGURE 9 MELANIE Analyse des interactions Défenses contre pulsions partielles Père Lien narcissique Mère Mère vampire Lien objectal Réplication projective Répression des affects al ct je ob Identification à l'agresseur Soumission - ressentiment n es io us at ue is st or ce al In év -D et ej R Lien narcissique ns io ls Pu en Li Mise à distance - Rejet Perversité ? Fille Lien narcissique Mari de la fille Lien objectal Couple narcissique Lien FAIBLE Lien FORT 82 5 - 3 - Dépouillement du protocole de Gertrude Gertrude a cru pouvoir exercer un contrôle total sur le compagnon choisi. Celui ci, souffrant d'étouffement affectif, a du fuir pour se dégager de son emprise tentaculaire. Le surinvestissement maternel semble se transmettre de génération en génération avec parfois une rupture brutale (grands-parents maternels), comme si la coupe du sacrifice maternel débordait parfois pour mieux se remplir ensuite. On peut remarquer que le père est presque totalement absent du discours de Gertrude et que la mère est conformiste, frustrée de ne pas avoir pu réaliser ses désirs d’ascension sociale (par des études ou par alliance) et a fortement investi le maternel sur un mode quantitatif (enfants accueillis) et anxieux. En résumé, à travers l’histoire construite par Gertrude, nous pouvons déduire que les acteurs de son théâtre intérieur sont agencés comme suit : - la mère est revendicatrice, c’est à dire état limite, “râleuse”. - l’homme fantasmatique est idéalisé, mais sur un mode essentiellement narcissique. Nous pouvons conclure que le choix d’objet de Gertrude, dans son fantasme mais aussi dans la réalité, est effectivement en relation avec le surinvestissement maternel. 83 CONTENU MANIFESTE FIGURE 10 GERTRUDE Version DISNEY Version ANDERSEN Grand Mère Père Sorcière Prince Prince Petite Sirène Sorcière Petite Sirène Possibilité de voir la surface (à 15 ans) Pas de collection d'objets Curiosité naturelle Interdiction de monter à la surface Collection d'objets Curiosité due à interdiction Montée à la surface Découverte du bateau Un prince sur le bateau Montée à la surface Découverte du bateau Un prince sur le bateau Une tempête coule le bateau La petite sirène sauve le prince Elle en tombe amoureuse Elle demande conseil à sa grand mère Elle va voir elle même la sorcière Contenu du Pacte La voix contre les jambes Amour du prince Sinon disparition Pas de TEMPETE Pas de SAUVETAGE Grand mère = bonne fée Elle indique la sorcière Partage de la beauté NON communication avec le prince Une tempête coule le bateau La petite sirène sauve le prince Elle en tombe amoureuse Le Roi des Mers détruit ses objets Elle écoute le conseil des murènes Contenu du Pacte La voix contre les jambes Embrasser le prince Sinon esclavage Communication avec le prince Relation amoureuse La sorcière empêche le baiser La sorcière se transforme en jeune fille Elle subjugue le prince Le prince épouse une autre jeune fille Il l'avait promis à ses parents La supercherie est découverte La petite sirène reprend sa voix Mais il est trop tard, elle devient esclave Modification du pacte Le père se sacrifie pour sa fille Il perd sa couronne et sa puissance La petite sirène est libre Modification du pacte Meurtre du prince Retour à l'état de sirène Sinon disparition (en écume) La petite sirène renonce à tuer le prince Intervention des soeurs (elles parlent au prince) Elle disparaît Le prince attaque la sorcière Il la tue Le père retrouve couronne et puissance Le prince tombe amoureux Il donne des jambes à sa fille La petite sirène épouse le prince 84 FIGURE 11 CONTENU LATENT GERTRUDE Version DISNEY Version ANDERSEN Inconscient de la mère peuplé de souvenirs désexualisés peu de place au père conformisme Inconscient de la mère : monde génitalisé mais pas sexualisé place majeure donnée au père image de scène primitive violente Recherche idéal féminin propre Défense par idéalisation Défense par intellectualisation Structure névrotique Surmoi dominant Idéal du Moi insuffisant Confrontation à la sexualité Confrontation à la sexualité anticipation d'un plaisir intense Séduction sexuelle Rôle maternel Création lien objectal Pas de RAVAGE Séduction sexuelle Rôle maternel Création lien objectal Confusion des imagos Séduction narcissique de la mère Soumission à la toute puissance maternelle Père Etat Limite interdicteur Opposition à la violence paternelle Contenu du Pacte dénarcissisation partielle accès a la sexualité génitale Sinon mort psychique Contenu du Pacte dénarcissisation partielle accès a la sexualité génitale Sinon relation perverse a la mère Vampirisation Relation amoureuse malgré l'inégalité narcissique La dénarcissisation empêche l'accès à la relation objectale (pas d'égalité narcissique, pas de désirs érotiques complémentaires) Interdit maternel sur la relation Envie de la mère pour sa fille Fantasme de jeunesse retrouvée Rejet par l'objet choisi Intellectualisation de la cause du rejet Rébellion adolescente contre la mère Renarcissisation partielle Mais renoncement au lien objectal Modification du pacte La fille manque à la mère Renarcissisation partielle Castration du mâle Sinon mort psychique Modification du pacte Le père tente de rompre le lien Il se soumet à la relation perverse La fille reste sexuellement inhibée Choix de la solution dépressive Intervention magique (Régression infantile) Mort psychique Renarcissisation L'objet choisi attaque la mère La mère décompense Le père bascule dans la névrose Ayant acquis assez d'empathie, le père reconnaît sa fille comme femme. Grâce à lui, elle vit son destin feminin. 85 FIGURE 12 GERTRUDE Analyse des interactions Défenses contre pulsions partielles Père Lien narcissique Etat limite revendicatrice Mère Lien objectal l ta ns io ls pu c je ob s le el rti pa Réplication projective Projection re nt co en Li Lien narcissique es ns fe Répression des affects Dé Défenses contre pulsions partielles Fille Lien narcissique Mari de la fille Lien objectal Couple narcissico-oedipien Lien FAIBLE Lien FORT 86 5 - 4 - Dépouillement du protocole d’Odile Le choix d’objet initial d’Odile reflète la nécessité pour elle d’aller à l’encontre du modèle familial rigide et peu attrayant. Le mari actuel, par contre, est conformiste. Il est important de noter que la pulsion est à fleur de peau, prête à bondir dans le conscient, mais pourtant refoulée. Ceci rend le discours du sujet attrayant. On peut noter par exemple pages A5-29 et A5-30 : “Je vois très bien” ce qui se passe sous la tente entre le prince et son épouse. La petite sirène échappe “de justesse” au requin (au pénis du père). La petite sirène “se fait à peine houspiller par son père”. Le père “lui colle un chaperon”. Ils s’entendent bien, “ouais”, voire même le prince en tombe.., “ouais” (passage au vulgaire). L'épave utilisée par le prince pour tuer la sorcière : de laquelle s’agit il ? L’histoire d’Odile illustre une hésitation entre le monde de la mère conformiste et un monde objectal plus coloré. Si ce dernier l’emporte finalement, de justesse, il reste que la nostalgie du premier est puissante. Là encore, quoique la relation entre lien maternel narcissique et lien conjugal narcissique soit mise en évidence, la réponse hésitante du sujet suscite des questionnements. 87 CONTENU MANIFESTE FIGURE 13 ODILE Version ANDERSEN Version DISNEY Grand Mère Père Sorcière Prince Prince Petite Sirène Sorcière Petite Sirène Possibilité de voir la surface (à 15 ans) Pas de collection d'objets Curiosité naturelle Interdiction de monter à la surface Collection d'objets Curiosité due à interdiction Montée à la surface Découverte du bateau Un prince sur le bateau Montée à la surface Découverte du bateau Un prince sur le bateau Fierté et beauté Une tempête coule le bateau La petite sirène sauve le prince Elle en tombe amoureuse Une tempête coule le bateau La petite sirène sauve le prince Elle en tombe amoureuse Elle demande conseil à sa grand mère Elle va voir elle même la sorcière Contenu du Pacte La voix contre les jambes Amour du prince Sinon disparition Grand mère bienveillante Elle indique la sorcière Sorcière honnête NON communication avec le prince Le Roi des Mers détruit ses objets Elle écoute le conseil des murènes Contenu du Pacte La voix contre les jambes Embrasser le prince Sinon esclavage Communication avec le prince Relation amoureuse La sorcière empêche le baiser La sorcière se transforme en jeune fille Elle subjugue le prince Le prince épouse une autre jeune fille Il l'avait promis à ses parents La supercherie est découverte La petite sirène reprend sa voix Mais il est trop tard, elle devient esclave Modification du pacte Meurtre du prince Retour à l'état de sirène Sinon disparition (en écume) Le prince abandonne l'autre jeune fille Modification du pacte Le père se sacrifie pour sa fille Il perd sa couronne et sa puissance La petite sirène est libre La petite sirène renonce à tuer le prince Le prince attaque la sorcière Il la tue Le père retrouve couronne et puissance Elle disparaît Il donne des jambes à sa fille La petite sirène épouse le prince 88 FIGURE 14 CONTENU LATENT ODILE Version DISNEY Version ANDERSEN Inconscient de la mère peuplé de souvenirs désexualisés peu de place au père conformisme Inconscient de la mère : monde génitalisé mais pas sexualisé place majeure donnée au père image de scène primitive violente Recherche idéal féminin propre Défense par idéalisation Défense par intellectualisation Structure névrotique Surmoi dominant Idéal du Moi insuffisant Confrontation à la sexualité Confrontation à la sexualité anticipation d'un plaisir intense Image paternelle Séduction sexuelle Rôle maternel Création lien objectal Séduction sexuelle Rôle maternel Création lien objectal Séduction narcissique de la mère Confusion des imagos Soumission à la toute puissance maternelle identification a l'agresseur ? Père Etat Limite interdicteur Opposition à la violence paternelle Contenu du Pacte dénarcissisation partielle accès a la sexualité génitale Sinon mort psychique Contenu du Pacte dénarcissisation partielle accès a la sexualité génitale Sinon relation perverse a la mère emprise non perverse Relation amoureuse malgré l'inégalité narcissique La dénarcissisation empêche l'accès à la relation objectale (pas d'égalité narcissique, pas de désirs érotiques complémentaires) Interdit maternel sur la relation Envie de la mère pour sa fille Fantasme de jeunesse retrouvée Rejet par l'objet choisi Intellectualisation de la cause du rejet Rébellion adolescente contre la mère Renarcissisation partielle Mais renoncement au lien objectal Modification du pacte La fille manque à la mère Renarcissisation partielle Castration du mâle Sinon mort psychique Elimination de la rivale oedipienne Modification du pacte Le père tente de rompre le lien Il se soumet à la relation perverse La fille reste sexuellement inhibée Choix de la solution dépressive L'objet choisi attaque la mère La mère décompense Le père bascule dans la névrose Mort psychique Ayant acquis assez d'empathie, le père reconnaît sa fille comme femme. Grâce à lui, elle vit son destin feminin. 89 FIGURE 15 ODILE Analyse des interactions Défenses contre pulsions partielles Père Lien narcissique Mère Mère conformiste Lien objectal Répression des affects ce an st di Identification à l'agresseur à al ct je ob Lien narcissique e is M en Li Défenses contre pulsions partielles Fille Lien narcissique Mari de la fille Lien objectal Hésitation entre : lien prévalent objectal ou lien prévalent narcissique Premier couple oedipien Second couple anaclito-oedipien Lien FAIBLE Lien FORT 90 Sixième partie : DISCUSSION Alors elle vit ses soeurs monter de la mer, elles étaient pales, comme elle ; leur belle longue chevelure ne flottait plus au vent, elle était coupée. “Nous l’avons donnée à la sorcière pour qu’elle fasse en sorte que tu ne meures pas cette nuit ! Elle nous a donné un couteau, le voici ! Vois-tu comme il est acéré ? Avant que le soleil ne se lève, il faut que tu l’enfonces dans le coeur du prince, et lorsque son sang chaud rejaillira sur tes pieds, ils se rassembleront en une queue de poisson et tu redeviendras une sirène, tu pourras redescendre dans l’eau, jusqu'à nous, et vivre tes trois cents ans avant de devenir l'écume morte de la mer salée.” Hans Christian Andersen, 1837, La petite sirène. 6 - 1 - Rappel des hypothèses Il nous faut tout d’abord récapituler les hypothèses et présupposés, explicites ou implicites, qui sont préalables à l'interprétation des résultats. En (2 - 2) nous avons introduit la problématique avec le préalable suivant : “Nous admettrons comme hypothèse préalable que la séparation de la fille et de la mère, concrétisée par le choix du partenaire principal de la fille, devient aléatoire lorsque la mère a surinvesti la relation à sa fille et, pour cela, a marginalisé le rôle du père ou en a fait son complice.” En d’autres termes, la logique oedipienne, habituellement considérée comme prévalente, ne s’applique plus. D’autres mécanismes explicatifs sont nécessaires. Notre hypothèse de travail était formulée comme suit (voir 2 - 3) : Si le lien entre mère et fille est surinvesti par la mère, alors le critère prévalent du choix du conjoint de la fille sera de protéger le lien avec sa mère. Nous avons précisé que le surinvestissement de la fille était en fait, pour la mère, un déplacement de l’investissement du féminin au maternel dont la cause probable était la nécessité de combler une carence narcissique. Par ailleurs, le “conjoint” est une réalité ou un fantasme. Puis, en (3 - 2 - 2), nous avons admis que : 1 - La relation mère-fille est constituée principalement d’un lien narcissique et du renforcement de défenses spécifiques. 91 2 - La relation père fille est constituée principalement d’un lien objectal et du renforcement de défenses spécifiques. Ceci est clairement une simplification de la théorie des liens que nous avons adopté. Elle présuppose la dominance de certains liens dans les relations verticales, ce qui reste à vérifier mais dépasse les limites de cette recherche. Sur la base de cette option théorique, en (3 - 3 - 2) nous avons admis que : Nous ferons l'hypothèse que, pour protéger le lien à sa mère, la fille choisira un mari sur la base d’un lien narcissique “fort” et d’un lien objectal “faible”. La notion de lien que nous avons utilisé est un concept élaboré par l’Ecole Française de Psychanalyse Familiale. Malheureusement, si une définition claire en est donnée, qui permet donc de l’identifier, aucune étude n’a jamais été entreprise pour le quantifier. La quantification de la “force” du lien est faite au travers d’une grille d'évaluation. Enfin, au niveau de l’opérationnalisation (voir 4 - 0), nous avons admis, conformément au paradigme de la projection, que “l’histoire construite par le sujet est le reflet de sa propre problématique“ Les résultats cliniques ont été analysés et résumés conformément aux différentes options théoriques explicitées ci dessus : - L’analyse qui a été faite (transformation du contenu manifeste en contenu latent et évaluation de la “force” des liens) repose sur une interprétation faite par le chercheur, en particulier, la pondération des éléments de la grille d'évaluation. La question de la fidélité intra et inter juge se pose donc. L'évaluation de la fidélité dépasse les limites de la présente recherche et n’a pu être faite. - La condensation des résultats en un résumé pose la question des informations utiles perdues et de l’importance de ce qui a été négligé comme ouverture vers de nouvelles questions. Là encore, ces évaluations dépassent le cadre de notre étude. 6 - 2 - Analyse des résultats 6 - 2 - 1 - Mise à l'épreuve des hypothèses. Pour mener à bien notre étude, plusieurs hypothèses simplificatrices ont été nécessaires ainsi que le recours à l'évaluation subjective par le chercheur. Cependant, les résultats montrent l’existence d’une relation entre la force du lien narcissique mère-fille et celle du lien narcissique au mari fantasmé ou réel. Nous devons toutefois souligner que deux éléments inattendus sont apparus pendant les passations venant compliquer l'interprétation des résultats : - Dans le cas de Mélanie, la présence en arrière plan d’une situation incestueuse où, pour le moins incestuelle (Racamier, 1993). - Dans le cas d’Odile, une oscillation entre deux options narratives, sans qu’elle puisse sortir clairement de cette impasse. 92 Par ailleurs, le nombre de cas étudiés est limité (3 en tout) et la taille de cet échantillon ne permet pas de généraliser. Cette limitation est due au nombre restreint de candidats au sein du CMPP et au fait que l’exploitation des éléments cliniques recueillis a nécessité un important travail de mise au point. En effet, ce n’est qu’après une tentative d’analyse thématique de contenu, qui s’est révélée décevante, et l’essai infructueux de différentes méthodes pour quantifier la force du lien, que la méthode présentée ici a été finalement élaborée. L’investissement demandé par ce travail exploratoire s’est heureusement révélé fructueux. 6 - 2 - 2 - La petite sirène comme outil d’investigation valide Quoique la question de la validité du dispositif utilisé nécessiterait des investigations plus poussées, nous pouvons toutefois noter que : - Il y a une bonne adéquation entre la problématique et les deux versions du conte qui se trouvent heureusement aux extrêmes du spectre des attitudes possibles de la fille. - la régression provoquée par l'évocation de ces deux histoires ne permet pas au sujet de masquer sa problématique. - En contrepartie, on peut craindre que cette régression touche également le chercheur qui se trouve donc en position de projeter sa propre problématique dans le dispositif. - Le mode d'interprétation et de condensation des résultats repose, nous l’avons mentionné plus haut, sur un processus subjectif qui questionne la fidélité du dispositif adopté. - Un dernier questionnement concerne la sensibilité (taux de vrais positifs) qui, dans ce cas, repose sur un édifice fragile. Les considérations ci dessus montrent que l’approche adoptée est séduisante mais demande à être soigneusement validée. Un élément très important mérite toutefois d'être pris en considération : La petite sirène n’est pas le seul conte qui a donné lieu à une seconde interprétation par Walt Disney. Plusieurs autres contes, mettant en jeu des problématiques voisines ou complémentaires ont donné lieu à une version profondément remaniée de l’histoire originale. Ainsi : - La Belle au Bois Dormant (Perrault, 1697) explore la phase de la latence et ce que Jacqueline Schaeffer (1994) qualifie de “censure de l’amante”. - Cendrillon (Perrault, 1697) constitue le modèle de ce que Colette Dowling (1981) qualifie de “peur de l'indépendance”, elle même étroitement intriquée avec la “peur du succès” (Fear of Succes). Ces problématiques sont plus tardives dans l’histoire de la femme. Il est donc possible, avec La Belle au Bois Dormant, La petite sirène et Cendrillon, d’envisager une étude portant sur les différentes étapes de la vie de la femme, transversale ou longitudinale, utilisant les trois contes, dans leurs deux versions, selon un protocole identique à celui utilisé dans ce mémoire. 93 6 - 3 - Limites de notre recherche 6 - 3 - 1 - Limites liées à l'antécédent de l'hypothèse L'antécédent de l'hypothèse invoque deux notions qui sont l'incomplétude narcissique de la mère et le surinvestissement de la fille. L'incomplétude de la mère, en tant que variable indépendante, pose le problème de sa qualification et de sa quantification. La mère délétère, en termes psychopathologiques, s’exprime en effet selon plusieurs dimensions disjointes : structure et gravité, essentiellement. Pour quantifier il faudrait pouvoir au minimum établir une relation d’ordre (au sens mathématique) dans ce continuum psychopathologique à deux dimensions. Examinons chaque facteur : 1 - La première dimension est une fonction de la structure allant depuis le besoin fusionnel quasi compulsif de la mère psychotique, passant par la carence narcissique de la mère état limite qui peut se décliner selon plusieurs modes (dépressif, revendicatif, et d’autres encore), et finissant sur la carence narcissique ou peut-être même objectale de la mère névrosée profonde. On peut éventuellement décider arbitrairement que la dépression est plus grave que la revendication, elle même plus grave que la phallicisation d’un enfant. 2 - La seconde dimension est celle de la gravité, ou profondeur, du désordre structurel. Une mère peut être plus ou moins revendicatrice, cette revendication peut s’exprimer de façon continue ou par violentes bouffées, et le symptôme peut évoluer au cours de la vie. L'établissement d’une relation d’ordre dans ce continuum n’a jamais été envisagée. En outre, en dehors des facteurs structurels, le déficit narcissique peut être plus ou moins compensé par l’environnement : le père, choisi pour sa capacité à ne pas intervenir entre mère et fille, ou pour sa capacité à combler les carences narcissiques de la mère, constitue un facteur externe significatif. Il y a peut être même une corrélation étroite entre la variable indépendante “déficit narcissique de la mère” et la variable indépendante “force du lien objectal entre le père et la mère”. L'antécédent de l'hypothèse pose donc des problèmes de mesurabilité. 6 - 3 - 2 - La question de la causalité et des variables externes. Le deuxième problème est la multicausalité. En effet, les causes possibles d’un choix de mari selon une modalité objectale faible sont multiples et constituent donc autant de variables externes. En particulier : - soit les forces favorables à un choix narcissique sont prévalentes (conformisme, choix anaclitique, ...) 94 - soit les forces s’opposant à un choix objectal l’emportent en raison d’un interdit oedipien. - soit les deux causes ci dessus s’additionnent. - soit, également, des facteurs groupaux ou sociaux viennent rendre le choix encore plus complexe. L’identification, en termes quantitatifs, des principaux facteurs de choix conjugal narcissique n’a jamais été faite et il est donc difficile d'apprécier dans quelle mesure notre variable indépendante prévaut. 6 - 3 - 3 - Limites liées au conséquent de l'hypothèse Le conséquent de l'hypothèse est un choix de conjoint “en vue de protéger le lien à la mère” que nous avons traduit en un “choix de conjoint selon un mode principalement narcissique”. (voir 3 - 3 - 2) Nous avons déjà souligné que, là encore, nous ne disposons pas de méthode éprouvée pour identifier et quantifier les liens. 6 - 3 - 4 - Généralisation La généralisation peut être envisagée selon trois angles : - Peut-on généraliser le résultat à toute relation mère-fille ? Compte tenu du nombre de cas cliniques dans notre étude, cette généralisation n’est pas possible. - Peut-on généraliser le résultat à d’autres relations verticales (père-fille, père-fils, mère-fils) ? Les éléments dont nous disposons ne permettent pas une telle généralisation. - Peut-on généraliser la méthodologie à d’autres relations verticales (père-fille, pèrefils, mère-fils) ? Le dispositif clinique a été élaboré pour étudier spécifiquement la relation mère-fille. Toutefois, nous avons vu plus haut qu’il est possible d’appliquer le principe du dispositif à d’autres situations, à condition de trouver : - Un conte représentatif de la problématique - Deux versions de ce conte, si possible clairement disjointes quant à la solution proposée au problème. 6 - 4 - Confrontation aux résultats existants Il n'existe pratiquement pas d'étude expérimentale sur la relation mère-fille mais de nombreuses études de cas isolés. 95 6 - 5 - Contribution de l'étude L’approche adoptée s’est révélée féconde et prometteuse. A ce niveau, encore peu élaboré de la conceptualisation, il a été nécessaire de ne pas se montrer trop rigide dans la conduite des entretiens et, en particulier, d'éviter toute directivité pour mettre à jour les désirs du sujet. Notre étude a permis de montrer que les éléments de chaque version de l’histoire n’ont pas tous la même importance dans le cadre d’une recherche particulière. Une sélection des scènes les plus représentatives est donc nécessaire mais celle ci demanderait de nombreuses passations. 6 - 6 - Perspectives et questions ouvertes 6 - 6 - 1 - Intérêt pour l’objet de la recherche Comme nous l’avons souligné, la relation mère-fille est un sujet peu exploré. D’une part en termes de nombre d'études relatives au sujet, et d’autre part, en termes de méthodes permettant d’opérationnaliser la recherche. Par contre, cette relation suscite un intérêt croissant dans le public, ce qui est révélé par le nombre d’articles dans la presse féminine ou par le nombre de livres parus sur ce sujet. Plusieurs explications viennent à l'esprit pour rendre compte du peu d'études structurées sur la relation mère fille : 1 - la théorisation psychanalytique a commencé de façon "masculinocentrique", et la référence adoptée a été le “masculin”. Par ailleurs, le surinvestissement de la fille, ou de l’une des filles, par la mère n’ont pas donné lieu à autant de réflexions théoriques et d’observations cliniques que les situations de “mère abusive” ou de “mère castratrice”, étouffant ou détruisant leur fils. 2 - il a été beaucoup plus question de la formation de la personnalité que de son devenir. 3 - les progrès de la théorie en psychanalyse sont appuyés sur la clinique mais celle ci est le plus souvent descriptive et non expérimentale. 4 - la complexité théorique, ainsi que la difficulté d’opérationnalisation en raison du nombre d’acteurs, décourage la réflexion et la recherche. 5 - peut-être s'agit il d'un "sujet tabou" (voir ci dessous), c’est à dire qui suscite de fortes réactions contre transférentielles chez les chercheurs et chercheuses. Les premiers sont vite accusés d'incompétence en la matière et les secondes ont du mal à se distancier de l’objet d'étude. 6 - 6 - 2 - Réactions suscitées par le sujet chez les femmes L'évocation du sujet de ce mémoire auprès d'une femme, non psychologue, ayant une fille, provoque, dans la grande majorité des cas une réaction de positionnement vis à vis de la fille ("Avec ma fille ...", ou "En tant que mère, je pense que...", ou bien “Ma fille....”). Il s’agit dans ce cas de se présenter avant tout comme une bonne mère et la protestation d'innocence a toujours été spontanée. Pourtant, ces mères de fille ont été filles également, mais, ce point de vue est passé sous silence. 96 S’agissant d’une femme psychologue ou en formation, le positionnement est, au contraire, vis a vis de la mère et l’objet de la recherche provoque un questionnement sur soi. Dans un certain nombre de cas, le fait que cette recherche soit menée par un homme suscite une réaction de doute (“Qu’est ce que vous pouvez bien comprendre à cela ?”) ou d'hostilité (“Il y a des choses auxquelles il ne faut pas toucher.”). A l’inverse, plusieurs femmes manifestent l’espoir de comprendre enfin une violence qui les dépasse (“Quand tu auras fini, tu m’expliqueras.”). Ces réactions posent évidemment le problème du biais introduit dans le protocole utilisé selon que la passation est faite par un homme ou par une femme. Mon point de vue est que le protocole provoque une régression si brutale et profonde que l’on peut penser que les réponses sont indépendantes du sexe du chercheur. 6 - 6 - 3 - Effets sur la thérapie et perspectives thérapeutiques. Les thérapeutes du CMPP ont remarqué le comportement inhabituel des patients consécutivement à la passation des protocoles : Odile et Mélanie ont manqué, pour la première fois, des séances. Gertrude est venue seule à la thérapie familiale puis a manqué une séance. Le premier questionnement est bien entendu d’identifier une possible corrélation entre ces événements, mais, les passations intervenant avant les vacances, il n’a pas été possible de provoquer une discussion approfondie avec les thérapeutes avant la dispersion estivale. Le deuxième questionnement est de savoir si, la séparation de la mère et de la fille par le père ayant échoué, le conjoint constitue ou non une seconde chance, ou si, seul un (ou, peut être, une) thérapeute peut individualiser la fille. La problématique de la fille non individualisée est essentiellement la peur de perdre le premier objet d’amour à cause des désirs sexuels. Une thérapie peut sans aucun doute venir à bout de ce premier problème. Le second problème est alors que les désirs de dépendance ne seront pas satisfaits par le nouvel objet. En d’autres termes : quoique le lien objectal paraisse être l’accomplissement recherché par la femme, peut-être celle ci n’est pas toujours assez forte pour l’oser et le tropisme maternel reste dominant. C’est là le thème de nombreuses recherches actuelles aux USA sur le “Complexe de Cendrillon” et sur “La peur du succès” (FOS = Fear of Success), qui montrent à quel point ce second problème peut être profondément enraciné. 97 6 - 7 - Conclusion générale L'étude d’un mécanisme complexe, en l'occurrence le choix d’un conjoint, confronte le chercheur à deux problèmes : - D’une part, la multiplicité des causes, en nombre mais aussi, et surtout, en nature (la distinction entre contributeur et déclencheur étant fondamentale). - D’autre part, la multiplicité des termes de l’alternative étudiée, en l'occurrence, une option objectale ou narcissique, ou bien la mort psychique, ou encore la folie. Mettre en évidence une implication entre un antécédent et un conséquent ignore les interactions entre les causes, entre les termes de l’alternative et, enfin, entre les causes et les termes de l’alternative. En outre, la causalité peut être directe ou inverse, ou encore sans rapport avec la relation étudiée. Si les causes et issues sont multiples, les liens à la causalité deviennent ténus. Dans ce cas, si la relation étudiée est dans un rapport trop lointain avec la causalité, elle peut devenir suspecte d'inutilité. Pourtant, s’il y a relation, la cause est là, invisible peut être mais elle même en relation avec l'antécédent, le conséquent et d’autres causes. Elle est comme tapie au centre d’une toile d'araignée, où tout est relié à tout, mais où certains noeuds sont plus importants que d’autres. La créativité du chercheur consiste à tenter de trouver un mécanisme explicatif qui isole ces noeuds, plus importants que les autres. Ce qui a été tenté dans mon étude est la remise en cause du modèle mettant en avant la recherche d’une référence parentale au profit de celui d’une stratégie visant à l'évitement d’une séparation douloureuse. Mon étude clinique est loin de permettre de conclure sur le succès de cette tentative. Cependant, il semble que le dispositif élaboré pour cette recherche soit prometteur. A défaut d'avancée théorique, au moins y a-t-il espoir de pouvoir opérationnaliser la théorie par une avancée méthodologique. 98 Bibliographie Abraham Karl, 1920, Manifestation of female castration complex, International Journal of PsychoAnalysis, III, pp 1-29. Abraham Karl, 1924, Esquisse d’une histoire de la libido basée sur la psychanalyse des troubles mentaux, Payot, Paris. Andersen Hans Christian, 1837, La petite sirène in Contes racontés aux enfants, réédité dans Contes (édition de Régis Boyer), Folio, Paris, pp 57-86. Andersen Hans Christian, 1998, La petite sirène, PML, Paris. 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Caillot Jean Pierre Celentano Carolyn Chasseguet-Smirgel Janine Chatel Marie Magdeleine Chervet Bernard Couchard Françoise Cournut Jean Cournut-Janin Monique Cramer Bertrand Crepavet Claude Decherf Gérard Deutsch Hélène Devereux Georges Disney Walt Dorpat Théodore Downing Colette Eiguer Alberto Fast Irene Faure-Pragier Sylvie Fenchel Gerd Fenichel Otto Flahaut François Freud Sigmund Friday Nancy Fuerstein Laura Arens Galenson Eleanor Glover Linda Godfrind Jacqueline Goldberger Marianne Grossmann William I. Green André Grunberger Bela Guignard Florence Guillaumin Jean Hamon Marie-Christine Horney Karen Houser Marcel Jeammet Nicole Jones Ernest Kaës René 18, 117, 118. 1, 2, 8, 46, 63, 64, 65, 7. 26, 39. 18, 119. 23, 44. 122. 32, 39, 44. 23. 28, 49, 123. 19, 36, 121. 22. 23. 27. 24, 44. 44. 33, 58. Voir aussi Chatel Marie Magdeleine. 17, 118. 122. 40, 44. 122. 18,119,120. 34, 39, 58, 122, 152, 164, 188. 54. 25, 29, 36, 37, 39. 20, 25, 119, 121. 20, 32, 39, 119. 9, 25, 31, 39, 131. 25. 40, 44. 26, 39, 115. 28, 39. 1, 2. Voir King Kenneth. 41, 93. 10, 24, 40, 44, 45, 50, 52, 53, 55, 123, 154. 19, 122. 14, 19, 31, 121. 35, 36. 116. 63. 17, 19, 21, 26, 39, 40, 41, 115, 116, 121, 126. 20, 25, 28, 29, 36, 39. 26, 42, 122. 122. 19, 122. 50. 42. 19, 122. 79. 19. 19, 34, 37, 39, 121. 117. 118. 17, 116. 10. 42. 17, 116. 44. 105 Karme Laila Kestenberg Judith King Kenneth Klein Mélanie Knapp H.D. Lacan Jacques Lampl de Groot Jeanne Lebovici Serge Lemaire Jean Lézine Irène Mahler Margaret Marty Pierre Maurey Gilbert Mead Margaret Meltzer Donald Mendell Dale Minuchin Salvador Missenard André Muller Josine de M’Uzan Michel Naouri Aldo Ogden Thomas Olivier Chistiane Olson David H. Perrault Charles Perron-Borelli Michèle Racamier Paul-Claude Richter Horst Eberhard Rogé Bernard Roiphe Herman Rosenberg Benno Satir Virginia Schaeffer Jacqueline Siegel Elaine Spitz Ellen H. Starcke August Stein Conrad Steward William A. Stierlin Helm Stoker Abraham Stoller Robert J. Stoloff Jean Claude Swigart Jane Torok Maria Tyson Phyllis Viry Robert Wilgowicz Perel Winnicott Donald Yhuel Isabelle 19, 122. 19, 122. 79, 122. 17, 22, 27, 39, 116, 117, 120. 27. 17, 33, 44, 118. 17, 118. 40. 9, 10, 21, 40, 42, 47, 50, 131. 25. 35. 9, 54, 55, 126, 130. 44. 115. 22. 26, 36, 42, 122. Voir aussi Glover Linda. 44. 44. 17, 116. 126. 25, 31, 36, 39. 27. 20, 25, 30, 36, 39. 44. 93. 120. 92. 44. 25. 122. Voir aussi Galenson Eleanor. 121. 44. 32, 33, 39, 40. 19, 122. 112. 117. 119. 122. Voir aussi Grossmann William I. 10, 24, 44. 112. 19, 122. 42. 25. 18, 120. 122. 23, 44. 35. 22, 27, 28, 36, 39. 9, 130. 106 ANNEXES 107 Annexe 1 : Mythes relatifs à la relation mère fille A1 - 1 - Le mythe de Déméter et de Coré (Perséphone) A1 - 1 - 1 - Introduction Avant tout, il importe de comprendre que l'analyse des mythes grecs demande une grande attention et une grande honnêteté intellectuelle. Nous ne disposons en effet que de peu de textes et leur style poétique rend l'étude difficile lorsqu'on doit les aborder sous l'angle de la psychologie. Ainsi par exemple, les premiers mots du premier segment (2.1) de l'Hymne Homérique à Déméter, relatif à l'enlèvement de Coré, sont les suivants : Δεμετερ ευκομον, σεμνεν θεον, αρχηομ αειδειν, αυτεν εδε θυγατρα τανυσφυρο ν, ηεν Αιδονευσ ... Les mots σεμνεν θεον, au début de la phrase qualifient la déesse (θεον). Ils sont donc très importants pour approcher la personnalité de Déméter. Or, l'adjectif σεμνοσ, d'après l'édition étendue du Lexique de Grec Classique Lidell Scott et Jones (accessible sur Internet) peut signifier aussi bien "révérée" ou "sainte", traduction que l'on pourrait qualifier de logique à première vue, ou encore "majestueuse" ou "noble", quoique les auteurs du lexique pensent que ce sens soit limité aux êtres humains, mais surtout "hautaine", "pompeuse" ou "solennelle". Alors que Scott recommande le premier sens pour cette première phrase de l'hymne, d'autres traducteurs ont préféré le dernier. On comprend que les traducteurs cherchent à respecter le rythme plutôt que de se préoccuper de psychologie. La tâche d'analyse du mythe est, de ce fait, particulièrement compliquée et malaisée car le sens d'un seul mot peut faire basculer l'appréciation. Par exemple, la déesse est elle sainte ou hautaine ? Le mythe de Déméter et de sa fille est raconté principalement dans les Hymnes Homériques à Déméter (HH dans la suite, suivi du numéro de segment) et nous nous tiendrons à ce texte pour ce qui est des événements relatés. On pourra trouver le texte exact en grec et la traduction anglaise ainsi que l'accès au lexique de Lidell Scott et Jones à l'adresse Internet suivante : http://hydra.perseus.tufts.edu/cgibin/text?lookup=hh+2.1 On peut directement accéder à un segment en indiquant son numéro dans l'adresse Internet (à la fin de l'adresse). D'autres textes donnent des versions un peu différentes de la filiation et des événements. Nous y aurons recours lorsqu'il s'agira d'éclairer les traits de personnalité des différents acteurs du drame. A1 - 1 - 2 - Les faits Déméter est une des filles de Cronos et de Rhéa. Elle fut parmi ceux (avec Histia, Héra et Poséidon) qui furent dévorés par leur père et délivrés par leur frère Zeus. Elle 108 eut avec ce dernier deux enfants, Iacchos et Coré, un autre enfant, Ploutos, avec le Titan Iasos, et deux enfants avec Poséidon, la nymphe Despoéna et le cheval Aerion. Ce qui nous intéresse est la relation entre la mère (Déméter) et sa fille (Coré, ultérieurement Perséphone) qui était si étroite que, après l'enlèvement de Coré par Hadès en vue de l'épouser, Déméter, pourtant déesse de la fertilité et fille de Rhéa déesse de la terre, alla jusqu'à menacer de rendre la terre stérile pour que sa fille lui soit rendue. La scène de l'enlèvement se passe sur le bord du lac de Pergusa, à une dizaine de kilomètres au sud d'Enna en Sicile. Ovide pense qu'il s'agissait d'un champ de coquelicots mais HH 2.1 précise qu'il y avait des roses, des crocus, des iris, des violettes, des hyacinthes et des narcisses. Hadès avait tendu un piège à Coré en plaçant dans le champ un narcisse jaune beaucoup plus beau que les autres (HH 2.1, HH 2.398). Lorsqu'elle le cueillit (HH 2.1, HH 2.398), la terre s'ouvrit brusquement pour livrer passage au char d'or de Hadès tiré par quatre chevaux noirs éternels (le même char qui lui servira plus tard à "draguer" les nymphes Leucé et Menthé que son épouse, jalouse, punira). Hadès se saisit de la jeune fille qui se "débattait vigoureusement" et se "lamentait" et l'emporta au royaume des morts (HH 2.1). Avant ce forfait, il avait demandé à Zeus la permission d'épouser Coré mais le maître des dieux avait craint la colère de Déméter et donné une réponse imprécise. Fort de cette ambiguïté, Hadès avait décidé de passer à l'acte. Déméter fut très frappée par la disparition de sa fille qu'elle chercha pendant dix jours. Helios, fils d'Hypérion, lui révéla la vérité. Elle menaça alors de dessécher les terres cultivables. Inquiet, Zeus envoya Hermès pour intercéder auprès de Hadès mais posa comme condition que Coré n’ait pas encore goûté la nourriture du royaume des morts. Cette condition ne fut pas remplie, Coré ayant mangé une graine de grenade. En conséquence, la jeune fille ne pouvait rejoindre sa mère et cette dernière ne retira donc pas sa malédiction. Il y allait du sort du monde. Un compromis fut finalement établi avec l'aide de Rhéa : Coré passerait trois mois par an avec Hadès comme reine du Tartare avec le nom de Perséphone, et les autres neuf mois avec sa mère. Perséphone n'eut pas d'enfant avec son époux Hadès, ni avec quiconque d’ailleurs. A1 - 1 - 3 - Les acteurs du drame Les personnalités des différents acteurs sont à reconstituer à partir de nombreux textes. Celle du père, Zeus, est complexe. C'était un personnage violent et impulsif. Ses rapports avec son épouse Héra n'étaient qu'une suite de disputes dues aux infidélités de l'un et aux intrigues de l'autre. Il conçut Coré avec Déméter dans des conditions peu précises et controversées, et il ne s'occupa jamais de sa fille qui a donc été élevée entièrement par sa mère. Déméter, la mère, est considérée comme un personnage plutôt doux mais certains épisodes permettent de penser qu'elle était parfois rancunière et imbue de sa personne. Ainsi transforma-t-elle Abas, le fils aîné de Celeos, en lézard parce qu'il se moquait de sa façon goulue de boire. Erysichton eut aussi à subir sa colère parce qu'il coupait des 109 arbres dans un bosquet sacré. Il est vrai qu'il avait eu droit à un avertissement préalable. Elle punit également Ascalaphos pour son indiscrétion car c'est lui qui révéla que Coré avait mangé de la grenade. La vie sexuelle de Déméter fut relativement vide et il est difficile de savoir si elle prenait plaisir à ces rares unions. De sa relation avec Zeus, on ne sait pas grand-chose sinon qu’il était jaloux (mais en tant que frère ou en tant qu’amant?). Il y eut ensuite Iasos dont elle tomba amoureuse pendant le mariage de Cadmos. Leur bref mais intense coït dans un champ (trois fois labouré) était peut être le fait de l'alcool. Les traces de terre qui couvraient entièrement les amants semblent indiquer que le rapport fut tumultueux. Enfin, elle fut poursuivie et violée par Poséidon, métamorphosé en vigoureux étalon, alors qu'elle paissait tranquillement dans les près d'Oncos, fils d'Apollon, en Arcadie, sous la forme d'une jument. Elle en conçut une fureur violente. De désir et de plaisir il n'en est point question, alors que cette importante question n'était pas absente des mythes grecs : on se souvient, par exemple, que Tirésias, le célèbre devin, fut rendu aveugle par Héra parce qu'il lui avait donné tort dans une querelle avec Zeus à propos du plaisir sexuel ("si en amour le plaisir était compte sur dix, les femmes obtiendraient trois fois trois et les hommes seulement un"). Démeter, déesse au destin féminin médiocre, nous pouvons donc le supposer. Le second questionnement est de définir la cause du surinvestissement de sa fille Coré ? Question difficile car la notion de faille narcissique chez une déesse dépasse notre entendement compte tenu de la puissance formidable dont elle disposait de par son statut divin : éternité, changement de forme à volonté, métamorphose d'objets et d'êtres vivants, accès à la mystérieuse ambroisie, etc... Cependant, quelques éléments nous aident à comprendre les limites du pouvoir de la déesse : 1 - Lorsqu'elle voyagea à la recherche de sa fille, elle fut capturée par des pirates et fut obligée de leur échapper pour éviter d'être vendue comme esclave (HH 2.118). Pourquoi n’avoir pas déployé ses pouvoirs pour se défendre ? 2 - Lorsque sa fille fut enlevée, elle se sentit peu à peu devenir vieille, “privée des joies de la maternité et de celles de l'amour” (HH 2.87). Seule la colère pouvait lui rendre sa beauté perdue et sa stature de jeune déesse (HH 2.248). 3 - Elle était habillée de noir (HH 2.347), habit habituellement réservé aux femmes âgées. 4 - Enfin, elle ne buvait pas de vin rouge, sinon coupé d'eau, et encore avec circonspection car “ce n'était pas autorisé” (HH 2.184). Peut être la couleur était elle évocatrice de pulsions refoulées, ou bien l'alcool réveillait-il le souvenir nostalgique de son étreinte avec Iasos. Si le vin était interdit, par qui ? Pourquoi ? Il y a donc ici un paradoxe qui est celui du vieillissement d’une créature éternelle. Il pourrait bien être la métaphore du choc de la ménopause chez les femmes anorgasmiques dont la clinique permet de penser qu’il est moins bien supporté que chez les femmes ayant eu une vie sexuelle épanouie. De Coré, la fille, on ne sait pas grand-chose de son enfance. Dans un autre texte, elle aurait déjà eu des enfants mais cela est très controversé. Des relations de Coré et Hadès, on ne peut que supposer qu’elles existaient. En effet, pour que le dieu ait voulu l'épouser, c'est qu'il la connaissait déjà de près ou de loin. Peut être même s'était elle montré coquette. Cependant, la lecture attentive de HH 2.1 2.347 et 2.398 nous apprend plusieurs choses : 110 1 - La jeune Coré fut enlevée par Hadès alors qu'elle jouait avec les filles d’autres dieux (HH 1.398 : les filles de Océanus) et ramassait des fleurs dans un champ. Elle se laissa tenter par un beau narcisse. Elle semblait bien jeune encore, insouciante et loin des tourments que provoque une sexualité naissante. La tentation pour le beau narcisse peut être interprétée comme de la curiosité ou l’exploration de nouvelles facettes de sa personnalité. Cependant, à cette époque, l’huile de narcisse était un narcotique très utilisé, ce qui peut faire penser au contraire à une sublimation. 2 - Il est clair qu'elle n'était pas consentante et se lamenta à l'instant de son enlèvement. Cependant les cris qu'elle poussait étaient pour son père et non pour sa mère (HH2.1). 3 - L'ingestion d'une graine de grenade recouvre une symbolique peu claire. La grenade représente parfois un symbole féminin (la grenade mure, éclatée, symbolisant le sexe sanglant d'une vierge récemment déflorée). Mais, les mots exacts utilisés par Démeter dans HH 2.347 et HH 2.398 sont : "goûter à la nourriture". Il ne s'agit donc pas de se nourrir du fruit complet mais de faire l’expérience de quelque chose de dangereux. La réponse de Coré fut que Hadès avait "insidieusement introduit dans ma bouche de la nourriture sucrée, un graine de grenade, et m'avait forcée à la goûter contre mon gré." (HH 2.398). Une interprétation classique est que la grenade symbolise le sang de Tammuz, tué par un sanglier, et que la nourriture rouge (grenade et anémone) ne pouvait être donnée qu'aux morts. Mais on peut aussi songer à une interprétation de nature affective : la saveur de la graine de grenade, qualifiée avec l'adjectif μελιεδεσ qui signifie "doux comme le miel", fait penser aux affects amoureux tendres. Cet adjectif était (et est encore de nos jours) également utilisé métaphoriquement pour designer la bien aimée. Ellen Spitz (1992), pense à une interprétation portant sur l’initiation sexuelle de la jeune fille. Cependant, l’insistance de la mère est frappante : c’est elle qui a donné la première nourriture a son enfant, elle qui est la déesse de la terre, de cette terre qui nourrit. Il s’agit donc peut être du réaménagement d’un lien oral archaïque, la véritable séparation de la mère n'étant pas catalysée par la relation sexuelle mais par le transfert de la fonction nourricière. Enfin, ce que craint Déméter est sans doute plus le penchant amoureux que l'expérience sexuelle. Sa fille aurait-elle été violée, cela était une conséquence fâcheuse, mais inévitable, de l'enlèvement, mais y aurait-elle pris plaisir, alors ce serait très grave. 4 - Lorsque Hermès rencontre Hadès (HH 2.292), la "timide" Coré est sur la couche du “dieu obscur”, mais "très reluctante", "parce que sa mère lui manque", et non parce que Hadès lui déplaît. Celui ci la laisse d'ailleurs partir non sans vanter ses propres mérites en tant qu'époux possible et ceux de la condition de reine du monde du dessous. De la vie ultérieure de Perséphone, nous savons que, après avoir avoué à sa mère l’ingestion de la graine de grenade, elle préféra la compagnie d'Hécate, la magicienne qui fut son "ministre" et sa "compagne", à celle de son époux (HH 2.398). Mais, après tout, nombre d'épouses préfèrent papoter avec leur "meilleure copine" plutôt que d'investir leur mari ou un domaine qui les passionnerait. Vide intérieur ou inclination homosexuelle ? Difficile à dire. Quoiqu'elle négligea son époux, Perséphone n'en admettait pas les frasques, ainsi métamorphosa-t-elle Menthé en menthe odorante et Leucé en un peuplier blanc qui se trouve au bord du fleuve Mémoire. Là encore, on peut se demander si sa jalousie relevait d'une rivalité oedipienne ou du refus de la blessure narcissique d'être trompée 111 ou considérée comme une compagne peu satisfaisante. La seconde hypothèse est sans doute la bonne. Fidèle elle même ? pas vraiment puisqu'elle disputa Adonis à Aphrodite, en fit son amant et le partagea avec elle (un tiers de l'année chacune) (Appolonides 2.87). Mais, s'agissait-il d'un lien objectal ou de la satisfaction narcissique de priver la Déesse de l'Amour de son amant ? La liaison avec Adonis peut être interprétée aussi bien comme le feu de la passion pour un bel étalon que comme le moyen de calmer l'envie éprouvée pour celle (Aphrodite) qui, elle au moins, jouit pleinement dans ses rapports amoureux. Reste le "sombre" Hadès, "celui qui a de nombreux noms", qui "règne sur le plus grand nombre" (les morts sont beaucoup plus nombreux que les vivants), qui "règne sur les morts", personnage cynique et cruel qui possède un casque rendant invisible et un char d'or tiré par quatre chevaux immortels qui peut jaillir du sol et voler. Tout comme certains dans le monde moderne "draguent" en voiture de sport, il utilise cet engin pour séduire des nymphes. Il a un chien à trois têtes, Cerbère, né de l'union de Echidéa et Typhon. Certains prétendent cependant que c'est Hécate la maîtresse de Cerbère. Quoiqu'il ait choisi Perséphone pour épouse, ou bien qu'il ait été séduit par elle, il s’est surtout occupé de la gestion de son royaume, la terre du dessous. L'invisibilité et l'identité floue évoquent une pathologie identificatoire. Ne pas être pour exister et régner sur ceux qui n'existent plus, plier sa future épouse à son désir, plier tous les autres à ses caprices, tel est le personnage. A1 - 1 - 4 - Conclusion Le mythe de Déméter et Perséphone, regardé au plus près du texte, évoque tout d’abord la panique éprouvée par la femme vieillissante qui voit disparaître sa fille au bras d'un homme et qui est incapable de donner un sens à sa vie. Tel un pansement appliqué sur la blessure narcissique, la fille ne peut s’individualiser sous peine de provoquer un désastre : le retournement des valeurs premières de la mère en leur contraire (la déesse de la fertilité menace de rendre le monde stérile). Du côté de la fille, la dépendance se partage avec l’attachement et l’envie des pouvoirs maternels. Après avoir invoqué un modèle masculin issu des profondeurs (des siennes), elle y renonce partiellement. Elle renoncera aussi à égaler sa mère dans le domaine de la maternité. Elle entrera en compétition avec la déesse de l’Amour dans le but de panser sa propre blessure narcissique, largement béante. A1 - 2 - Le Mythe vampirique Le thème du vampire a été introduit par Bram Stoker (1897), sur la base de deux cas historiques de psychopathes (Erzebeth Bathory et Vlad Drakul) et de sa connaissance des légendes hongroises. Les éléments relatifs à la naissance de cette histoire ont des racines qui, sans avoir la noblesse des mythes helléniques (peut-être survalorisés par les psychanalystes), sont ancrées dans les croyances populaires des pays de l'Est. Il est effectivement remarquable de constater que les mythes grecs ou nordiques (dont la richesse est à l'égal de ceux de la Grèce antique) ne font aucune mention d'un équivalent du thème vampirique pourtant présent dans les mythes indiens (d'Amérique) ou africains. 112 Le ordog ou polok est rencontré dans des textes du 15 ieme siècle, il est la métaphore des actes sanguinaires de Vlad Drakul lors des guerres contre les Moldaves. Ce monarque psychopathe s’intitula en 1436 “fils de Mircéa, Voïvode”, et en 1437 “Grand Voïvode”, c’est à dire maître absolu. Particulièrement cruel, il aurait tué de sa propre main près de 25000 personnes. Le nom de Dracul vient du roumain drac, diable ou vampire, ancienne légende moldave dans laquelle le revenant murony, strigoï, ou nosferat, enfant mort né d’un couple illégitime dont les membres sont eux mêmes issus de couples illégitimes, revient tourmenter les jeunes époux, rendant en particulier le mari impuissant. Un autre esprit proche du nosferat était le staffiï, entité goulue, suçant le sang. Le murony avait la caractéristique de pouvoir se changer en animal. Le proccolitch, enfin, était une sorte de loup garou se gavant du sang des animaux domestiques. Les Roumains, surtout les Valaques, recouraient à des procédés divers pour empêcher les morts de se réveiller en de tels esprits. Le clou dans la tête du cadavre, son empalement ou de la chaux vive dans sa bouche étaient les plus courants. Erzebeth Bathory, autre source d’inspiration pour Bram Stoker, était une Comtesse hongroise qui appréciait de faire souffrir des jeunes filles de diverses façons. Les minutes de son procès mené en 1611 font état de supplices épouvantables, à forte connotation sexuelle sadique, qui plongeaient finalement la Comtesse dans une profonde léthargie. Le vampire imaginé par Bram Stoker, synthèse des morts vivants du folklore des pays de l’Est, s’est imposé comme un prototype d’esprit malsain. Par résonance ou médiatisation, il représente désormais un modèle immuable dont les propriétés et pouvoirs sont strictement codifiés : - il n'est ni mort ni vivant. - il n'a pas de reflet dans un miroir. - il se nourrit exclusivement de sang humain. - ses victimes deviennent non seulement dépendantes mais complices. - la dépendance des victimes a une forte connotation sexuelle. - son mal, le vampirisme, est transmissible à ses victimes si elle boivent son sang. - il peut agir magiquement sur les éléments naturels. - il peut se métamorphoser en animal avec une prédilection pour les prédateurs. - ses pouvoirs sont moindres le jour. - il peut être éloigné à l’aide d’ail ou de symboles religieux. - pour le détruire, il faut, soit couper sa tête, soit planter un pieu dans son coeur. L’équivalence typologique de ces propriétés dans le modèle psychique psychanalytique est une crise narcissique majeure dont la résolution ne peut se faire que par la mise en place d'une relation perverse où l'objet n'est plus seulement le destinataire de la pulsion mais la victime et le complice de la toute puissance du sujet. Dans l'ouvrage de Bram Stoker, le vampire masculin exerce une fascination érotique sur trois vampires féminins qui se livrent à leur tour à des excès lubriques avec leurs victimes. On peut se demander ce qui justifie l'orgie sexuelle car c’est le sang de la victime qui satisfait le ou la vampire et non la pratique sexuelle. La réponse est que celle-ci est menée pour le bénéfice de la victime, en vue de la séduire pour finalement la soumettre. La principale nourriture de ces vampires féminins est constituée pour l'essentiel du sang de nouveaux nés fournis par le vampire mâle. Celui ci a un lien tout à la fois 113 complice et dominateur avec les trois vampires femelles. Il entretient par ailleurs un lien puissant (teinté de besoin et de respect) avec son épouse légitime, morte d'avoir cru l'avoir perdu. La femme vampire est un sujet d'observation relativement courant : jamais parfaitement heureuse, elle a un besoin intense d'enfants, les siens tout d'abord, puis lorsque ces derniers échappent à son emprise, les enfants de ses enfants ou les enfants des autres. Si elle ne peut satisfaire son besoin de restauration narcissique avec sa descendance, elle exige de son mari une relation symbiotique qu'il ne peut pas toujours assumer. Si celui-ci est défaillant à la reconstituer narcissiquement, elle sombre alors dans la dépression. Vidée de son énergie vitale par sa propre mère, elle doit voler celle de sa fille. Son fils, lui, est pourvu de l'organe qu'elle ne pourra avoir et souffrira donc d'une ambivalence torride dont il aura du mal à sortir indemne : à la fois objet d'envie et de désir, il sera finalement châtré car elle ne pourra supporter, en fin de compte, qu'il jouisse de ce dont elle a été privée. La fille reste donc celle qui sera chargée de la mission de réaliser les rêves de sa mère au détriment des siens propres. Objet de tous les soins maternels, la fille sera investie des objectifs sociaux ou professionnels de sa génitrice mais tenue à l'écart des domaines qui pourraient en faire un être libre. Pas question qu'elle s'épanouisse dans sa relation à l'homme. Par contre, elle devra faire des enfants à sa mère, et vite. Un mariage rapide est donc la bonne solution, mais pas avec n'importe qui. Le gendre devra donc être conforme aux désirs de la mère. Former la fille à se rapprocher de ce modèle est donc la partie la plus délicate de l'éducation. Le père ayant été lui même l'objet d'une semblable sélection offre un modèle de la conformité : assez attirant pour constituer un partenaire solide, il est cependant assez inoffensif pour ne pas rompre le lien de la mère à la grand mère et le lien de la mère à la fille. Un faux self fait en général parfaitement l'affaire, ou un petit pervers, en tout état de cause surtout pas un névrotique bon teint qui pourrait exiger de la mère une relation génitale, ou qui se permettrait de percer à jour le jeu de la grand-mère, ou bien qui aimerait sa fille pour ce qu'elle est et non pour ce que son épouse voudrait qu'elle soit. Satisfait du paraître, il "est par" les autres et offre une image de mondain fier de l'être. 114 Annexe 2 : Débats sur la psychogenèse féminine Cette question a donné lieu à un grand débat entre Freud et ses disciples entre 1908 et 1937 sans qu’une réponse claire ait pu être apportée. Les discussions ont ensuite été sporadiques jusqu'à ce que la vague féministe vienne les relancer dans un contexte où à la fois les pathologies et moeurs avaient changé dans le monde occidental. Le débat est encore loin d'être “tranché”. A2 - 1 - Les débats initiaux La position de Sigmund Freud met la psychogenèse de la fille en rapport étroit avec la castration : sous l’effet de l’envie de pénis, la fille se détache de sa mère à qui elle reproche l'incomplétude dont elle est victime. Puis l’envie de pénis trouve un substitut dans le désir d’avoir un enfant et prend dans ce but le père comme objet d’amour. L'élaboration de cette conception symétrique entre garçons et filles (théorie du monisme phallique) a nécessité plusieurs étapes dont les principales sont : Freud (1908) plaide pour l’ignorance du vagin chez filles et garçons et pour une idée de pénis universel. Freud (1918) reconnaît possible la reconnaissance du vagin chez l’homme comme une blessure. Freud (1923) conclut sur le primat du phallus pour les deux sexes, déjà pressenti dès le cas Dora. Freud (1924a) questionne l’angoisse de castration de la fille puisqu’elle n’a pas de pénis coupable (susceptible d'être coupé) et conclut à une formation du Surmoi différente chez la femme (orientée sur la perte d’amour plutôt que sur l’angoisse de castration). Freud (1925a) consacre le Penisneid comme motif du détachement de la fille et de sa mère. Freud (1931) traite de l’interdit maternel porté sur la jouissance de la fille. Freud (1932) part du mécanisme de détachement de la mère (la fille reproche à sa mère d'être elle même châtrée) et se concentre sur les motifs d’attachement au père : “C’est la phase préoedipienne d’attachement tendre à la mère qui exerce sur la femme la plus grande influence.”. Freud conclut que le passage au père se fait à la fois sur un mode passif (être pénétrée) et sur un mode actif (lui faire un enfant, par pénétration) Tout d’abord, cette conception présuppose que le concept infantile de pénis universel (commun aux deux sexes) est préalable au concept de castration. Elle place le féminin dans un registre clairement défini (passive, masochiste, coïtée, accouchant, battue). A noter que ceci est une thèse phylogénétique qui peut donc être opposée à une psychogenèse ou une sociogenèse. Margaret Mead, par exemple, proposa un déterminisme culturel (Mead, 1935). Par ailleurs, suite à la révision de 1920 sur la théorie des pulsions et les articles sur le masochisme (Freud, 1919, 1924b et 1929b), Freud établit, au travers de son oeuvre un étrange syllogisme. En effet, pulsion et pulsion de mort d’une part, (Freud,1915, 115 1920 et 1929a), et castration d’autre part (Freud, 1925b), ne cohabitent jamais dans un même article. On peut donc lire dans l’oeuvre la déduction syllogistique suivante : 1- le masochisme a pour source la pulsion de mort (explicite), 2 - le masochisme est féminin (explicite), 3 - donc le féminin est lié à la pulsion de mort (implicite). Enfin, Freud (1937) à défaut de définir le féminin (Weiblich), tente au moins de circonvenir la féminité (Weiblichkeit) en l’encapsulant sous 3 formes : féminité des femmes, féminité des hommes par rapport aux femmes, et surtout féminité des hommes envers un autre homme. La raison de cette clarification est le refus de féminité (die Ablehnung der Weiblichkeit) observé chez les analysants (hommes, surtout) et qui empêcherait la conclusion de l’analyse. Il place ce refus dans le champ du biologique (déniant donc le rôle du psychologique et du social). Ce faisant, il change aussi le sens du syllogisme ci dessus en plaçant le féminin en troisième terme à côté de la castration et de la pulsion de mort. Alors que la féminité serait propre aux femmes, s’opposant donc a la virilité, le féminin serait une catégorie de l’humain non opposable au masculin puisque celui ci est la référence : il n’y aurait pas lieu de parler de masculin chez la femme, mais seulement de masculinité. Par contre il peut être question de féminin chez l’homme, constitué de passivité et de masochisme essentiellement. Reste la sexualité féminine, c’est à dire le fonctionnement psychosexuel des femmes, caractérisé par le fait que le désir n’est accepté que préparé par le Moi, et non débordé. Ainsi l’homme a-t-il la capacité de violer, dont il n’use pas s’il est normal, mais la femme est toujours traumatisée par le viol, même si elle en rêve parfois. Pour ce qui est du maternel, nous ne le trouvons que rarement chez Freud et sous une forme ambivalente (Freud, 1909). Hélène Deutsch soutient la position de Freud que la découverte du vagin n'est pas facile pour la fille, et ce n'est que par la toilette, les injections et la séduction que cette découverte se fait. En outre, le passage du clitoris au vagin, en tant qu’organe source de plaisir, ne peut être effectué que par le pénis lors des rapports sexuels (Deutsch, 1925). Elle voit dans la frigidité la dérive du masochisme infantile (Deutsch, 1930) et dans l'homosexualité féminine le résidu de l’attachement à la mère et de son interdit de jouissance (Deutsch, 1932). Le désir est singulièrement éludé de son propos. Autre disciple de Freud, Otto Fenichel (1930), voit dans le désir masculin actif de la fille le reflet de la nécessité de pénétration de la mère pour la posséder. Cette vision n’est pas partagée par Karen Horney (1933), Josine Muller (1925), Ernest Jones (1932) et surtout Melanie Klein (1932) qui ont pour position que le complexe de castration chez les filles est un phénomène secondaire au refoulement de la connaissance du vagin. Mais nous verrons que Melanie Klein diffère de manière plus profonde encore. Cette opposition repose sur du matériel clinique et sur le fait que les rêves regorgent de symboles phalliques, isolés, mais contiennent peu de caves jubilatoires. Les grottes et souterrains sont des aires d’angoisse et de recherche, parfois sales, et non de plénitude. 116 Ces auteurs s’accordent donc à conférer au pénis le symbole de la puissance, de la valeur, de la complétude et ne considèrent pas, sauf Melanie Klein (voir plus loin), que d’autres éléments anatomiques, le sein ou la vulve par exemple, puissent avoir ce statut. L'idée d’un symbolique “anti-pénis”, sorte de creux primordial, qui à l’inverse de la pénétration aurait comme quintessence de recevoir, n'émerge pas non plus. Il est d’ailleurs surprenant de constater que quasiment personne ne relève la discontinuité conceptuelle suivante : parmi les couples freudiens (masculin-féminin, sadique-masochiste, actif-passif, phallique-chatré), le dernier ne présente pas le même degré de symétrie que les trois premiers : il ne s’agit pas, en effet, d’une symétrie ou d’une opposition, tel un saillant en face d’un creux, mais d’un saillant en face de “quelque chose coupé au ras”. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Cette exception est justifiée par deux raisons fondamentales dans la logique freudienne : d’une part, phallique-chatré est la représentation infantile la plus courante et, d’autre part, la représentabilité du creux est impossible : “Il faut pouvoir imaginer qu’il y a de l’irreprésentable et un statut de la représentation pour pouvoir représenter” (Guillaumin, 1992). Nous reviendrons sur ce point qui constitue une des principales résistances aux progrès de la psychanalyse. Par extension de la théorie freudienne et de celle des contestataires “vaginaux”, la complétude narcissique serait donc limitée à la capacité intrusive. La “victime” de l’intrusion (vaginale, anale ou orale) ne pourrait donc être qu'incomplète. Cependant, initialement évoqué par August Starke (1921), le sevrage, privation du sein, est introduit comme prototype de la castration. Mais, la clinique ne confirmant pas cette vue, il doit revenir finalement au phallus. Pourtant, un peu plus tard, Karl Abraham (1924) supporte cette position en qualifiant le sevrage de castration première (Urkastration). Bien qu’arrivant in fine à la même conclusion, Melanie Klein développe une vision complètement différente. L’angoisse primaire n’est pas l’angoisse de castration mais une angoisse de destruction par la mort de l’autre. Elle évoque en particulier les fantasmes de dislocation du corps maternel pour en arracher le pénis paternel et se l’approprier. Ceci présuppose d’ailleurs une connaissance innée du vagin et du pénis. Celui-ci portant avec lui une valeur symbolique d’interdit de l’inceste provoque donc la formation d’un Surmoi archaïque commun aux deux sexes. En 1928, elle voit “les tendances oedipiennes libérées au moment du sevrage...elles sont renforcées par les frustrations anales subies pendant l’apprentissage de la propreté.” Déjà dès 1924, plus affirmative encore qu’Abraham, elle voit la perte du sein comme l'événement traumatique majeur. En 1957, elle voit le sein comme tout puissant. Elle fait donc 2 objections a Freud : le primat du phallus et l’existence d’une phase phallique (donc secondaire) chez la fille. Au lieu de cela, elle propose une féminité primaire dont l’objectif est de prendre le pénis (et non d’en avoir un) à la mère qui lui refuse et est enviée de ce fait. Evidemment, faute d’un complexe de castration organisateur, Mélanie Klein dut proposer un autre système de défense de l’appareil psychique contre l’angoisse. Elle suggéra le clivage, défense archaïque, dont l’effacement provoque le début de la phase dépressive. Celle ci ne peut alors se résoudre que par l’espoir de réparer l’objet. 117 Les auteurs précédents se cantonnaient dans l’imaginaire. La vague suivante allait entrer dans le champ du symbolique. Ruth Mack Brunswick (1940), voit la castration comme fin de l'omnipotence de la mère, c’est à dire symbolique et non imaginaire. L’infantilisation de la fille est donc due à la non déphallicisation de la mère et à la perpétuation de la jouissance dévorante de cet autre. Une distinction essentielle est introduite entre la castration du sujet et la castration de la mère. - Dans le premier cas, il s’agit, pour la fille, du fantasme d’avoir été châtrée. Ce trauma frustrant provoque l'agressivité ou l’ambivalence des sentiments. - Dans le second cas, il s’agit d’un mouvement en deux temps dont le premier consiste à reconnaître que la mère manque de quelque chose. La fille cherche alors à combler ce manque et se voit éconduite. Ceci constitue une grave blessure car, en préservant la dimension phallique de la mère, la fille pouvait se protéger de son propre manque. Dans le second temps, l’homme apparaît à la fille comme celui qui a, ou qui est, ce qui permet de séduire la mère. La fille cherche donc à s’en rapprocher. La castration de la mère, est donc un prérequis : il faut en effet que la mère soit châtrée pour que soit ruiné l’amour qu’on lui vouait, que soit mis fin à l’emprise et que le passage à l’homme devienne possible. Au passage, la fille réalise que si l’homme existe dans l’inconscient de la mère, elle, la fille, ne peut jouer le rôle de phallus pour sa mère. Une autre problématique discutée à cette époque est donc : avoir (posséder ou être privé dans l’imaginaire) ou être (objet désirable pour la mère) le phallus. Etudiée à l’origine par Jeanne Lampl de Groot (1928) cette question présuppose d’avoir ou d'être pour l’autre ce qu’il faut pour le satisfaire. En conséquence, avoir eu ou avoir été ce qu’il fallait pour être satisfaisant provoque de la culpabilité si cette satisfaction est recherchée avec un autre objet, comme s’il y avait eu trahison. Jacques Lacan (1966a), enfin, voit une psychogenèse selon le schéma suivant : l’enfant (Garçon ou Fille) veut être le phallus de la mère. L’interdiction de l’inceste par le père symbolique (discours de la mère) l’expulse de cette position. Le garçon va pouvoir s’identifier au père réel (celui que préfère la mère, qui est supposé posséder le phallus), la fille va se tourner vers celui qui va le lui donner. La castration constitue donc une opération symbolique consistant à donner une signification au manque. Cette vision était déjà entrevue par Abraham (1920) pour qui le père est détenteur du phallus du seul fait qu’il est préféré par la mère à l’enfant. La prolongation moderne de cette perspective consiste à remplacer le mot “père” par “père ou équivalent” et “celui que préfère la mère” par “ce que préfère la mère”. La séparation entre mère et enfant intervenant en effet si la mère est attirée par une symbolique paternelle (métier, passion, etc...). A2 - 2 - Points de vues récents sur le problème en France L'héritage freudien est particulièrement lourd en questions ouvertes, ce que souligne justement Marie Christine Hamon (1992) qui a repris dans le détail les éléments des premiers débats. L’ouverture vers le symbolique ayant échauffé les imaginations et permis au esprits les plus vifs de déployer leur talent créatif, il y a eu, depuis la guerre, floraison de 118 thèses nouvelles mais bien peu de confrontations avec la réalité clinique. Le symbolique, s’il est fascinant pour un esprit inventif, se prête encore moins à l’opérationnalisation que l’imaginaire. Nous voyons ainsi, par exemple, des propositions telle que celle de Conrad Stein (1961), établissant que, pour la fille, au stade phallique, l’ignorance du féminin sert à aménager une distance avec une possible fusion. Cependant, quelques auteurs ont tenté une véritable réflexion sur le problème du féminin. Nous trouvons principalement Janine Chasseguet-Smirgel et Monique et Jean Cournut. L’approche de Janine Chasseguet-Smirgel, avec l’aide de Catherine Luquet-Parat, Bela Grunberger, Joyce Mac Dougall, Maria Torok et C. David (Chasseguet-Smirgel, 1964) consiste à chercher les raisons inconscientes tendant à nier ou fuir le pouvoir prêté à la mère toute puissante. L'idée d’une culpabilité lors du changement d’objet chez la fille est développée. Ce changement est précipité par l’attribution de tout ce qui est mauvais à la mère, et de tout ce qui est bon au père idéalisé. Un peu plus tard, lors d’un congrès de l’API à Londres, en 1975, Janine ChasseguetSmirguel propose que la réalité, pour l’enfant, déclenche une combinaison de la prise de conscience de la différence des sexes et de celle de la différence des générations. La castration serait donc essentiellement une blessure narcissique. En réaction à ce trauma, le mépris de la femme tente d’effacer une imago maternelle terrifiante et castratrice. Se dégager de l’emprise maternelle est donc un objectif commun aux deux sexes. Pour la fille, en particulier, posséder le pénis permettrait de se libérer de la mère car, celle-ci en étant dépourvue, l’avantage des armes passerait du côté de la fille. La question posée est donc la prévalence du désir du phallus, c’est à dire la résolution du problème narcissique, pour être complète ou de celui du pénis, organe imaginé être la solution recherchée, pour être femme. Dans cette conception, le phallus serait en fait le pénis pour le processus primaire. La position de Monique et Jean Cournut a été formalisée lors du congrès de la RFP en 1993 (Spécial Congrès, La castration et le féminin dans les deux sexes, Congrès Revue Française de Psychanalyse de 1993, tome LVII). Elle consiste à repositionner les notions de : Féminin et masculin Féminité et masculinité (ou virilité) Comportement psychosexuel de la femme On peut déplorer que le maternel soit oublié dans ce schéma. Par ailleurs, plusieurs auteurs reposent la question de la symétrie désirée par Freud et constatent la faille que constitue le désir : Pour Annie Anzieu “être femme après Freud” (Anzieu, 1989, page 3), constitue un questionnement tout à fait pertinent sur l'intériorité. En effet, dans la théorie freudienne, le déterminisme anatomique orientant l’homme vers l’effraction, le non homme (la femme) a pour destinée d'être l’objet de cette propension conquérante. A l’inverse, la capacité contenante ne peut, par essence, être conquérante, puisque faite 119 d’attente : le creux ne peut être comblé que si l’organe pénétrant est en état de le faire, par désir. Celui ci peut être spontané ou provoqué et, dans ce dernier cas, certains ont pu confondre séduction et conquête. Michèle Perron-Borelli (1993) a une position voisine mais qui débouche sur une reconfirmation freudienne : la capacité érectile, qui signifie le désir mais invite également à la sanction, explique la valeur symbolique du pénis comme organisateur phallique dans les deux sexes. De là à penser comme Maria Torok (in Chasseguet-Smirgel, 1964) que l’envie du pénis ne sert en fait qu’à se cacher le véritable désir féminin, il n’y a qu’un pas. Car enfin, il faut bien payer la dette à la mère et le refoulement du vagin, inné ou acquis, tombe bien à propos. Par voie de conséquence, il faut aussi refouler l’autre orifice pourvoyeur de plaisir, si proche du vagin avec lequel il pourrait être confondu et qui ne peut être oublié que par une parfaite propreté. Dans cette optique, la complétude de la femme est d’assumer sa féminité qui bientôt se renverse lorsqu’elle s’engage dans la maternité. De contenant, elle devient productrice. Pour celles qui ont souffert de la passivité, le moment de la revanche est alors venu. On voit donc se dessiner trois conceptions différentes de la psychogenèse, deux étant articulées sur le concept de castration et la troisième sur le concept de perte : - à un extrême du spectre de la castration, Mélanie Klein considère que son élaboration trouve sa source dans le visible, puis s'opère par un glissement vers l’imaginaire, mais un imaginaire toujours proche de la “tripaille”. - à l’autre extrême du spectre de la castration, Lacan voit la castration comme un élément imaginaire glissant ensuite dans le symbolique. - dans une deuxième dimension, la castration peut être vue comme une séparation en AMONT (séparation d’avec l’objet primordial) ou une séparation en AVAL (section du pénis, mais aussi perte de toute production ou acquisition du sujet tels que fèces, enfant, amour, succès, oeuvre). Les problématiques sont donc avoir ou ne pas avoir, ou bien être perdu ou perdre. La fille n’ayant pas et ne risquant donc pas de perdre, il est extrêmement tentant de ramener sa préoccupation principale à être ou non perdue, c’est à dire à négliger la castration selon des termes phalliques au profit d’une castration selon des termes archaïques. Dans le premier cas le désir est soumis à un interdit dont la transgression est punie par la non restauration phallique, c’est à dire que la fille n’aura pas ce dont elle manque, alors que dans le second le désir est soumis à un interdit dont la transgression est punie par la perte de l’amour du premier objet, la mère. Dans cette optique, nous avons donc, dans le cas du garçon aussi bien que dans celui de la fille, une perte “en amont” (de ce que l’on a déjà) venant sanctionner la transgression. Pour la fille, on peut également envisager une perte “en aval” (de ce qu’elle n’a pas encore, un enfant par exemple) comme punition du désir interdit. Cependant, si le désir est identique pour chaque sexe (posséder l’objet de sexe opposé), la spécificité féminine de la sanction reste à éclaircir. Entre “tu n’auras pas” et “tu vas perdre”, il y a un abîme. 120 Cette question débouche sur le problème de la spécificité d’un appareil psychique féminin et, en particulier, se pose la question d’un Surmoi féminin composé exclusivement, ou presque, d’interdits maternels. Si nous nous résumons, l’historique sur le féminin se réduit à la découverte, par étapes successives, de ce que nous aurions dû savoir depuis le départ : - que l’absence de pénis est peut être une coupure de celui-ci - mais que derrière cette blessure, il y a un creux (vagin) non élaboré ou bien refoulé. - et, que derrière ce creux, il y a encore autre chose (uterus), encore moins élaboré ou encore plus refoulé. L’apport des auteurs modernes a été de mieux poser les questions et de mieux articuler les problématiques qui se profilent en plan successifs derrière le premier tableau de la castration : - L’articulation de la différence des sexes avec la différence des générations. - L’articulation entre objectalité et narcissisme. - La notion de représentable, entre un saillant qui l’est et un intérieur qui ne l’est pas : ”De fait on a tendance, Freud au premier chef, à faire du féminin un pandémonium, pour ne pas dire un fourre tout de la théorie” (Cournut, 1993). - La paradoxalité du féminin (être pénétrée sans qu’il y ait intrusion) qui suscite des affects contre transférentiels violents. - Le vide étant angoissant, la tentation d’y échapper par son contraire. - L’opposition conflit-clivage, - La distinction entre angoisse de castration et angoisse de séparation (Pour Freud (1932) la séparation concerne le bébé, la castration le stade phallique et le Surmoi la phase de latence. Les filles ont peu de Surmoi et d’angoisse de castration mais une angoisse de perte d’amour alors que le garçon, devant désinvestir l’amour des parents, est plus facilement structuré par la castration). - Les problèmes d’identification - La clarification des menaces pour le Moi : ce qui est redouté est débordement ou anéantissement et la menace de castration a pour but de limiter les dégâts potentiels du conflit entre désir et interdit (sacrifier une partie pour sauver le tout). (Pour Freud, les menaces pour le Moi sont : 1 - une pulsion trop intense qui peut causer la folie, 2 - la pulsion de mort qui entraîne l’autodestruction, 3 - l’objet défaillant qui suscite la dépression et, peut être, aussi 4 - le féminin, le roc de la castration.) Enfin, Benno Rosenberg (1995) va contre le syllogisme freudien en proposant une alternative qui est que le masochisme est gardien de la vie en intervenant avant le complexe de castration. Le féminin est donc ce qui déclenche les alarmes qui vont mettre en oeuvre les défenses les plus utiles. Les mouvements les plus récents prennent en compte la part du maternel dans le développement psychique de la femme. Pour Florence Guignard (1999), afin d'échapper à la solution perverse, le maternel et le féminin doivent fonctionner en alternance sous le signe de la culpabilité. Sylvie Faure-Pragier (1999b), imagine une pulsion maternelle, inhibée quant au but, qui serait non pas la cause mais la conséquence de l’amour de l’amante. Catherine Bergeret-Amselek (1998), de son 121 côté, met la “maternalité” (dynamique du “devenir mère”) comme préalable à la “féminalité” (dynamique du “devenir femme”). A2 - 3 - Points de vues récents sur le problème aux USA Les auteurs d’Outre Atlantique sont imprégnés de leur culture pragmatique et répugnent à passer le col de l’imaginaire au symbolique. Ainsi le débat reste-t-il cantonné aux alternatives de la théorie freudienne, la première relative au changement d’organe (clitoris vers vagin) et la seconde au changement d’objet. Pour ce qui est de la féminité, de nombreux auteurs sont convaincus, cas cliniques à l’appui, que celle ci ne nécessite pas un détour par la masculinité et l’envie de pénis, si elle est bien parfois observée, ne constitue pas un prérequis au désir d’enfant. Ainsi les travaux de Fast (1984), Stoller (1977) montrent l’existence d’un accès direct à la féminité. Ceux de Galenson & Roiphe (1971) et Roiphe & Galenson (1981) reconnaissent l’envie de pénis chez la petite fille mais jouant un rôle mineur dans le développement affectif.. A l’inverse, le désir d’enfant sans envie de pénis a été observé par Glover & Mendell (1982), Kestenberg (1982) et Siegel (1984). Grossmann & Steward (1977) et Karme (1981), de leur côté ont étudié l’esprit de compétition chez la femme sans envie de pénis. Siegel (1984 ; 1988) montre que l'absence de sensations vaginales précoces peut être considérée comme pathologique. Tyson (1982 et 1984), enfin, s’est penchée sur le masochisme et la passivité qu’elle révèle non spécifique de la femme. Pour ce qui concerne le changement d’objet, la question de la séparation d’avec la mère, surtout si elle est abusive ou envahissante, reste un débat fort actif. Laura Fuestein (1992) avance que la rage à l’encontre de la mère est réprimée, puis retournée contre soi dans une position masochiste vis à vis des hommes. Caroline Celentano (1992) entrevoit un mécanisme un peu différent. La mère abusive, qui contrôle la psyché de sa fille en vue d'éviter la séparation inévitable, force celle ci à se tourner trop prématurément vers le père pour y trouver une identification satisfaisante. Il en résulte une personnalité “as if”, à la féminité mal établie, qui parvient cependant à une réussite professionnelle souvent brillante. Kenneth King (1992) relève que l’inceste est un phénomène familial où la victime ressent une colère violente à l’encontre de la mère qui a laissé faire. Penny Caccavo (1992) situe le combat décisif pour la séparation dans la période préoedipienne, lorsque le désir d’autonomie l’emporte sur la désapprobation de la mère. L’autonomie est un prérequis au changement d’objet et, si la bataille est perdue, la fille ne pourra jamais se séparer de la mère. Anna Aragno (1977) relève qu'émerger d’une identification internalisée pour se desidentifier et finalement se séparer est un paradoxe. Elle situe l'émergence de la femme exactement à ce moment, c’est à dire vers la fin de l’adolescence. L’opposition forte à la mère, nécessaire pour passer ce cap, n’est pas sans rappeler le “ravage” (Chatel, 1998). A2 - 4 - Retour au syllogisme freudien Nous avons vu (A2 - 1) que Freud, dans la première partie de son oeuvre, associait implicitement le féminin à la pulsion de mort. Les théoriciens de la psychanalyse ont longtemps cherché à rendre compte de l'extrême variabilité de la personnalité humaine en composant deux forces, ou en 122 associant deux ingrédients, en un résultat représentatif à la fois de la personnalité, du caractère et de la pathologie, celle ci pouvant être considérée en fait comme un aspect quantitatif de la personnalité ou du caractère. Ainsi par exemple, Jean Bergeret (1993) envisage des traits de caractère qui sont des fixations mal dépassées venant colorer le tableau de la structure. Alberto Eiguer (1991b) à travers le concept de double conflictualité psychique, imagine que le conflit objectal, conflit entre instances psychiques, est coloré par le conflit narcissique, conflit au sein du Moi. Une lacune de ces tentatives théoriques est que la différence des sexes n’y est pas prise en compte. Le second a pour caractéristique, mais c’est là un soubassement de l’oeuvre d’Alberto Eiguer, de mettre l’objectal et le narcissique sur un même plan. Le “syllogisme freudien” nous offre une ouverture vers un modèle plus complet prenant en considération les sexes. Sans entrer dans le détail, car ce n’est pas l’objet essentiel de ce mémoire, il est cependant intéressant de brosser les grandes lignes d’un modèle dérivé de l’implicite freudien. Si l’on considère (voir figure 16) qu’il existe deux pulsions, une pulsion de vie, essentiellement faite d’externalité, et une autre que nous appellerons pulsion de mort (on pourrait la nommer “pulsion noire” en référence au “continent noir”) et qui serait une sorte de force implosive, faite d’internalité, alors, on peut imaginer le schéma suivant : 1 - Chaque pulsion s’exprime dans un espace à deux dimensions. La première dimension est un spectre d’investissement allant de Soi à l’Autre. La seconde est une intensité. 2 - La pulsion de vie peut s’exprimer dans toutes les intensités quelque soit le sexe. (Tout comme le phallus est accessible aux deux sexes). 3 - La pulsion de mort est de faible intensité pour le masculin, de forte intensité pour le féminin : c’est ainsi que s’exprime le syllogisme freudien. 4 - Les deux pulsions se composent comme des forces, selon la règle du parallélogramme. 5 - La force résultante tombe dans le continuum structure-pathologie : la partie centrale est l'état “normal”. La partie droite rassemble les pathologies “typiquement féminines”. La partie gauche les pathologies “typiquement masculines”. La figure 17 montre quelques exemples. 123 FIGURE 16 PSYCHOGENESE SELON LE SYLLOGISME FREUDIEN Décompensation Décompensation Compensation L'autre Nevrose O SI L PU N DE E VI Soi Etat limite DE FEMININ N IO LS PU L'autre M MASCULIN RT O Psychose Soi Continuum psychique 124 FIGURE 17 EXEMPLES de FEMMES EXEMPLES d'HOMMES L'autre L'autre Névrose obsessionnelle PU LS IO N PU LS ION DE VI E DE VIE HYSTERIE Soi Soi Etat limite PUL SIO ND EM L'autre OR T PU LS ION Etat limite DE MO RT L'autre Psychose Psychose Soi Soi L'autre L'autre Névrose EV ND SIO L U P Névrose IE Soi Etat limite ION LS PU VIE DE Soi Etat limite L'autre DE RT MO DE ION LS PU N IO LS PU L'autre RT MO PARANOIA Mélancolie Soi Soi 125 A2 - 4 - Conclusion Une des questions que nous nous sommes posé, et à laquelle cette annexe tente d’apporter un éclairage, est la cause de l'échec du destin féminin et le report des investissements sur le maternel. Nous nous intéresserons donc ici à la psychogenèse de la mère. Nous devons aussi revenir à la notion de castration et de destin qui est la convergence de multiples hésitations de Freud et de ses successeurs sur la répétition compulsive, la compulsion de répétition, la névrose de comportement (Marty, 1976), la névrose de destinée, l’esclavage de la “quantité” (de M’Uzan, 1994), tous comportements qui sont vécus passivement et sur lesquels les sujets ne semblent avoir aucune influence. Freud (1937) propose une cause à la suprême résistance du travail analytique, qui est le noeud gorgien du destin, et qu’il qualifie de refus de la féminité, et plus loin de roc biologique. Ce dont il est question est le manque et le refus de ce manque que d’autres ont qualifié de refus de la castration. Nous tournons autour des mêmes notions de destin et de féminité. Sur le chemin qui mène de l’enfant fantasmé par sa mère, alors que celle ci est encore petite fille, à sa fille devenue femme accomplie, puis mère à son tour, les embûches sont nombreuses. Nous pouvons les reprendre, phase par phase : La mère échouant dans son destin féminin se reporte sur le maternel et attribue à sa fille un rôle de reconstitution phallique. Ce fantasme agit sur la mère avant même qu’elle songe à choisir un père pour cet enfant. Cette future fille est déjà parée des qualités qui en feront une réponse au manque. Pendant la phase d’individuation, la tentation fusionnelle de la mère avec sa fille est d’autant plus forte que cette dernière lui est semblable et que cet enfant peut donc endosser tous les espoirs de réparation narcissique. Le rôle du père en tant que facteur de la séparation est un des fondements de la psychanalyse. Considéré par le nourrisson de l’un et l’autre sexe comme un rival, le père est celui qui permet à la mère, par l'intérêt qu’il suscite chez elle, de renoncer à la régression fusionnelle. Au cours des phases orale et anale, s’il y a une différence de comportement de la mère selon le sexe de son enfant, celle-ci n’a pas donné lieu à une théorisation sur ses effets. Au niveau de la phase phallique, il y a la prise de conscience des différences au niveau des organes sexuels externes chez les garçons (pénis et scrotum) et chez les filles (vulve et clitoris). La question de la connaissance du vagin chez les filles, par les garçons ou par les filles, est une question qui a été longuement débattue mais qui ne comporte pas de réponse claire tant le matériel clinique est complexe. Celle de l’existence de l'utérus, pourtant élaborable dans l’imaginaire à partir de l’observation de la femme enceinte, n’a été que relativement peu étudiée. 126 Plus tard encore, la redécouverte, pour la fille, de l’autre sexué et l'élection d’un partenaire pérenne constituent les ultimes étapes sur le chemin menant de l’enfant fantasmé à une nouvelle mère. Le destin de la femme, féminin ou maternel, se scelle à l’un des carrefours que nous venons d'évoquer. Lequel ? Pourquoi ? Nous ne sommes pas en mesure de réponde à ces questions. La théorie psychanalytique avance que la phase phallique est déterminante, mais, à y bien réfléchir, l’emprise de la mère de la mère commence bien avant la conception de sa fille. Le basculement de la mère dans le destin maternel, que nous considérons dans ce mémoire comme un critère significatif du choix conjugal de la fille, peut intervenir bien avant la phase phallique, peut être même bien avant la naissance de la mère, et peut être même dans un plus lointain passé. 127 Annexe 3 Observations préalables A3 - 1 - Introduction Les observations ayant présidé à la genèse de l'idée développée dans cette étude sont de deux natures : les unes sont des situations proches, familiales ou amicales, qui ont pu être suivies pendant plusieurs années et pour lesquelles tous les acteurs ont pu être rencontrés. Les autres sont des observations relevées par d’autres chercheurs qui en ont donné une description assez détaillée pour avoir nourri l'idée de recherche. Toute observation préalable peut être créatrice, en remettant en cause un résultat antérieur, ou, au contraire, trompeuse, en confortant le chercheur dans une “idée à priori”, résultant de sa propre histoire, ou de convictions qu’il s’agit de valider “à tout prix” sous peine de blessure narcissique. Les motivations personnelles relatives à l’objet de la présente étude ont été au coeur d’une partie significative du travail analytique et didactique effectué parallèlement à cette recherche. Quoique ceci ne constitue pas une “garantie d'objectivité”, au moins certains biais ont pu être écartés. Dans un souci de transparence, les composants de l'idée de recherche sont livrés ici même. A3 - 2 - Observations dans l’entourage Observation 1: Mme Z. a une fille unique sur laquelle elle exerce une emprise totale. Lorsque celle ci se marie, sa mère lui impose de vivre à proximité et intervient quotidiennement dans la marche de son ménage et sur l'éducation de ses enfants. Elle impose, par exemple, que sa fille et elle utilisent les mêmes services et “bons” fournisseurs et exerce un contrôle sur quasiment toutes les décisions de la maisonnée. Au bout d'une dizaine d'années, le gendre obtient une mutation dans une ville de province. Il demande à sa femme de choisir entre lui et sa mère et finalement obtient de son épouse qu'elle le suive. Mais Mme Z. décide alors d'acheter une résidence secondaire à proximité du nouveau lieu de résidence de sa fille et, quoique dans une moindre mesure, continue à intervenir de façon intrusive. Un équilibre s'établit peu à peu dans lequel le comportement de la mère est accepté. Le père, qui est un industriel connu, n'est jamais intervenu, et s'est même tenu à l'écart, dans la relation entre sa femme, sa fille et son gendre. Mme Z. laisse parfois entendre que les rapports avec son mari n'étaient pas parfaits "dans tous les domaines". Observation 2 : Mme Y a deux filles. L'aînée est sa préférée et bénéficie de toute l'attention et des encouragements de sa mère. La cadette se retourne naturellement vers son père. Il règne cependant une atmosphère incestuelle dans cette famille ou, si la cadette bénéficie de la préférence de son père, l'aînée est l'objet de provocations ambiguës qui ne vont cependant pas jusqu'au passage à l'acte. Le caractère pervers de la relation entre Mme Y et son mari est patent mais celle ci évoque que, si elle trouve une certaine gratification dans la perversité morale, il ne 128 semble pas que la perversion sexuelle à laquelle elle est soumise soit de son goût. Cependant, malgré des conflits violents, elle ne quittera pas son mari par peur panique de la solitude. Lorsque l'aînée se marie, la relation devient de plus en plus fusionnelle avec sa mère. Conversations quotidiennes interminables où se mêlent confidences, conflits brutaux et réconciliations spectaculaires. Le mari a été sélectionné dans le cercle d'amis que la mère contrôlait depuis l'enfance de sa fille. Un souhait d'élévation sociale présidait à la sélection de ce groupe. Le mari s'est vu proposer des situations professionnelles intéressantes qu'il a refusé pour rester dans la région ou habitait sa belle mère. Il s'est montré assez soumis aux désirs de ses beaux parents tout en affichant parfois une attitude patriarcale surprenante. Apres plusieurs années, la fille commet brusquement un adultère qui lui révèle un plaisir physique jusque là ignoré et qui la trouble profondément. Sa mère est toujours confidente sinon complice mais la relation est un peu plus distante pendant cette période. La liaison adultère est bientôt interrompue et la relation privilégiée avec la mère reprend. La fille présente alors des symptômes maniaco-dépressifs aigus. Observation 3 : Mme X a quatre enfants et sa seule fille est la cadette. Son mariage a été "arrangé" et elle n'a jamais caché la distance affective et physique entre elle et son mari. Une fois celui ci disparu, elle a alors idéalisé la relation avec lui. Les relations entre la fille et la mère sont de nature sado masochiste. Le père, haut fonctionnaire rigide, n'est jamais intervenu dans cette relation : "affaires de bonnes femmes" disait il. La fille épousera un artiste violent qui la battra et dont elle veut se séparer mais y renoncera sous la pression de ses trois enfants. Elle finira pourtant par divorcer lorsque ses enfants auront quitté la maison. Dès ce moment les relations sado masochistes reprennent avec la mère. A3 - 3 - Observations dans les ouvrages publiés A3 - 3 - 1 - Marty (1994), le cas Lucie H. (pages 111-147) Lucie, comptable, consulte pour des “troubles” depuis son mariage : elle ne peut pas se détendre, souffre de fatigue, de douleurs musculaires et d’insomnies. Elle précise qu’elle a toujours eu des difficultés sexuelles (anorgasmie) mais que l'anesthésie sexuelle est devenue totale depuis le début de sa première grossesse. Quant à sa vie fantasmatique, elle s’est effondrée depuis le début des rapports sexuels. Elle se dit attirée par son mari, mais pas sexuellement. Ils se sont connus en partageant les mêmes transports pour aller travailler. L’histoire infantile montre qu’elle a eu une phase de cauchemars pendant laquelle sa mère dormait avec elle. Plus tard, la mère laissait entendre chaque fois que possible qu’elle se privait (de nourriture, de plaisirs) pour ses enfants et, en particulier pour Lucie qui culpabilisait fortement chaque fois qu’elle était “méchante”. Elle en voulait à son père d’avoir fait “trop d’enfants” à sa mère et de l’avoir ainsi surchargée. Pendant la période post pubertaire, Lucie devient coquette. Marty interprète ce mouvement comme la condition nécessaire pour échapper à l’identification avec la mère. Sa vie actuelle est “réglée par l’obligation et la répétition”, marquée par la volonté et l’obstination, mais figée dans le même. Marty réfute la dominance de l'analité au profit d’un mode de fonctionnement opératoire. 129 A3 - 3 - 2 - Marty (1994), le cas Juliette F. (pages 187-218) Juliette est une infirmière qui souffre de migraines au moment des règles depuis la puberté. Elle avait déjà des maux de tête étant enfant, qui justifiaient qu’elle vienne dormir entre ses parents dans le lit conjugal. Très soumise a sa mère, elle ne sortait jamais et n’avait pas d’amies. Elle est très croyante et aime se dévouer aux autres. Elle dit ne jamais rêver depuis qu’elle est adulte. Les personnages féminins sont soit persécuteurs, soit complices idéaux. La mère de Juliette était froide et cassante. Aussi migraineuse, elle rejetait souvent sa fille. Le père, représentant, était souvent absent mais il était affectueux. Juliette doit se marier sous peu. Pendant l’entretien, elle ne dit pas un mot de son futur mari. A3 - 3 - 3 - Yhuel (1997), le cas Charlotte (pages 17-28) La mère de Charlotte est veuve de guerre et, quoique froide et distante, crée un lien très puissant avec sa fille en l'accueillant dan son lit. Elle était par ailleurs très possessive et ne laissait jamais sa fille jouir d’une quelconque liberté. Charlotte se réfugie dans la musique, mais sa réussite artistique est comptabilisée comme le fruit du sacrifice de sa mère, puis contestée. Mère et fille se disputent violemment et se séparent. Charlotte tombe alors amoureuse d’un homosexuel. Elle rencontre un autre homme, se marie, a un enfant, mais le quitte et elle quittera de même d’autres hommes. “La relation n’est simple pour moi que si l’homme m’aime, mais que moi je ne l’aime pas.” Elle attribue cette incapacité à la culpabilité éprouvée à trahir sa mère. Pourtant, dans ses rêves, c’est son père qui partage le lit conjugal et l'empêche de se donner. Finalement seule, car son fils ne veut plus la voir, elle tente de renouer avec sa mère mais celle ci vit avec le frère de Charlotte et la repousse. Elle aide sa mère à soigner ce frère malade et c’est l’occasion de disputes mais aussi d'éclaircissements. Elle découvre les faiblesses de sa mère et le fait que celle ci allait rompre lorsque son mari est parti rejoindre les troupes au début de la guerre. A3 - 3 - 4 - Yhuel, 1997, le cas Sabine (pages 291-303) Sabine dit : “Ma mère aurait voulu m’avoir au sens où elle aurait désiré que ma vie se calque sur la sienne, soit un double exact vingt-cinq ans plus tard.” La mère de Sabine était ambitieuse et a fortement investi son métier. C’est pourquoi elle a confié Sabine à ses propres parents pendant quatre ans. Ultérieurement, c’est justement l’attachement aux grands parents qui est reproché à la petite fille. Extrêmement possessive, la mère de Sabine entreprend très tôt de modeler sa fille et commence par le corps qu’elle sculpte soigneusement. Enfant, Sabine se sent “coupable à priori”, hors du champ de la communication maternelle, pourtant normale avec le reste de la fratrie. Adolescente, elle est traitée de “putain” quand elle commence à fréquenter des garçons. Après quelques tribulations, elle épouse un homme qui parvient à la séparer de sa mère, en particulier en ne permettant pas le choix du métier à laquelle sa mère l’avait prédestinée. Il interdit également que la mère choisisse “tous” les prénoms de ses petits enfants. 130 Dès ce moment, la violence de la confrontation entre Sabine et sa mère est extrême. Sabine résiste, se cramponne, puis, finalement, se met à aimer sa mère lorsqu’elle peut enfin devenir son égale. A3 - 3 - 5 - Cramer, 1996, le cas Sofia (pages 85-107 et 157-179) Graziella est Sicilienne et sa fille Sofia, neuf mois, souffre d’insomnie, sauf quand le père est absent du foyer. Graziella a la nostalgie d’une grande famille chaleureuse et Bertrand Cramer avance que Graziella a peur du sommeil de Sofia car il serait équivalent de la mort. Il pense également que Graziella a le fantasme qu’une relation trop étroite est néfaste à l’enfant, la mère pouvant transmettre sa dépression, expérience que Graziella aurait elle même vécu. Dépassée par la demande affective de Sofia, Graziella se voit comme une mère esclave qui a du renoncer à sa carrière. Elle se sent coupable d’avoir trop demandé à sa propre mère étant enfant. La thérapie rétablit un rapport au mari de Graziella mais on peut noter, page 105 : “Dans cette mutation opérée par le retour aux sources il faut souligner le rapport à la grand mère : c’est elle qui a autorisé Graziella à s’occuper d’elle même, à prendre des vacances avec son mari et à envisager de placer Sofia quelque part.” Nous retrouvons Sofia alors que Graziella est enceinte de son troisième enfant. Sofia est alors un garçon manqué et sa mère développe un fantasme d’unisexualité. Bertrand Cramer y voit une tentative de Graziella pour sortir de l’identification à sa propre mère dépressive, perçue comme faible et souffrante. Dans cette seconde phase de la thérapie, le père est complètement absent. A3 - 3 - 6 - Lemaire (1992), Observation 17 : Patricia (pages 124-129) Patricia est fille unique d’un couple où le père est passif et la mère est une “mégère”, blessante pour son mari et pour son enfant. A 38 ans, après quinze ans d’un mariage non consommé avec un de ses cousins, elle consulte avec son mari. Le motif de la consultation est qu’elle vit une relation masochiste (non érotisée) avec un employeur, pour lequel elle travaille gratuitement d’ailleurs. Le mari de Patricia, 45 ans, a subi une éducation inhibitrice et se comporte en protecteur avec son épouse. Celle ci est attentionnée à son égard et le couple pourrait continuer à vivre ainsi mais la souffrance coupable de Patricia dans son activité professionnelle est insupportable. Nous trouvons ici une illustration quasi parfaite du “two man phenomenon” (Mendell, 1997). Convaincue, ainsi que son mari, d'être la “porteuse du mal”, Patricia entreprend une thérapie individuelle, d'où ressort son identification au père bafoué, et qui permet de gérer la situation masochiste externe au couple. Puis vint le jour où la sexualité émerge brusquement sous la forme d’un spectacle qui la trouble. Elle prend conscience de son incapacité à susciter le désir d’un homme. Les progrès de la thérapie se poursuivant, elle a le premier rapport sexuel de sa vie. Le mari prend peur et se prétend alors “trop vieux” pour poursuivre une relation trop génitalisée. 131 A3 - 4 - Conclusion Les filles de ces observations ont en commun une mère, au piètre destin féminin, qui reporte ses investissements sur la fille. Celle ci ne parvient pas à se dépêtrer du lien maternel. Pourtant, la manière d'établir le lien n’est pas la même dans les trois observations personnelles ni dans celles tirées de la littérature : emprise, fusion culpabilisante et relation perverse dans le premier cas, “devoir” (Lucie), emprise et sacrifice maternel (Charlotte et la mère de Sofia) et “modelage” (Sabine) dans le second cas. Les pères et les maris sont tous en arrière plan, sauf celui de Sabine. Le monde masculin ne peut rien contre la puissance maternelle qui s’exprime ici par la dette, longuement élaborée à force de sacrifices, au fil des ans. Le cas de Sabine me met sur la voie de l'idée de recherche : si le mari est assez fort, il peut réaliser ce que n’a pu faire le père. Pourquoi celui ci le peut il et pas les autres ? En examinant ces situations, les considérations ont été les suivantes : 1- L'incapacité de la fille à rompre le lien délétère est-il dû : - à la solidité du lien, en raison d'une emprise très forte ? - à une faiblesse psychique induite chez la fille, la rendant impuissante à se sortir du piège maternel ? En d'autres termes à une évolution affective incomplète ? - à une gratification supérieure dans la relation prégénitale offerte par la mère à sa fille ? 2 - L'incapacité du conjoint à sortir son épouse de ce lien est-il dû : - au fait qu'il a été choisi pour cela ? (Direction de recherche adoptée) - et si cela est, par qui a-t-il été choisi, la fille, la mère ou bien par la complicité des deux ? - ou bien encore, le candidat fort a-t-il été assez fin pour flairer la véritable nature de la relation entre mère et fille et s’est écarté de ce piège ? un autre candidat faible aurait alors été choisi. 3 - Comment ma propre histoire conduit elle à mon propre parti pris pour la fille, contre sa mère, dans tous ces cas ? L'idée que le mari n’est pas sélectionné comme “ressemblant au père”, presque toujours absent ou écrasé dans les situations décrites ci-dessus, mais comme “ne devant pas remettre en cause le lien à la mère” est ainsi peu à peu apparue. Utiliser une sorte de test projectif pour faire émerger le véritable désir a été une autre idée poursuivie depuis longtemps. Mais, les tests existants tels que le TAT, en particulier, ne permettaient pas d’atteindre facilement le problème. Concevoir un test adapté à la problématique restait donc le seul chemin possible. Le conte provoquant une forte régression me paraissait le stimulus plus approprié. Le choix du conte a été long et difficile. La Belle au Bois Dormant, autre illustration de l’emprise maternelle, a longtemps été très sérieusement considéré mais finalement abandonné lorsque je me suis rendu compte qu’il était proche d’une problématique antérieure à celle que je voulais étudier. 132 Annexe 4 Planches utilisées pour les entretiens cliniques Les pages des livres illustrés qui ont été utilisées au cours des entretiens cliniques sont assemblées ci après. Pour des raisons de place, les pages originales ont été réduites dans un facteur 4 et seule la partie la plus significative a été conservée. 133 134 135 136 137 138 139 140 141 Annexe 5 : Données cliniques Eléments cliniques Les éléments disponibles sur la fille, la mère, le père et le mari ou compagnon réel de la fille ont été assemblés ici à partir des dossiers et des séances de thérapie familiale. Contre Transfert Les affects et émotions du chercheur sont reportées. Transcription des enregistrements Dans la partie relative à la transcription des enregistrements, ce qui est en gras représente une intensification du ton (augmentation du niveau du niveau sonore de + 30 % sur la bande magnétique), qui correspond à l’intention de souligner une articulation de l’histoire, ou bien qui révèle une réaction du sujet. Les numéros entre parenthèses correspondent aux changements de page (page présentée au sujet) lorsque l’histoire est racontée. Des parties du dessin peuvent être éventuellement montrées du doigt pour illustrer le propos. Dans la colonne “Contenu latent”, ne figurent que les éléments qui diffèrent du contenu latent déjà identifié pour chacune des histoires. 142 FIGURE 18 Mélanie x Froid et brutal avec Paul (pas avec les enfants de sa compagne) Patrice 01/06/1960 Employée chez un industriel de la pharmacie UL 1982 S 1987 Mélanie 10/06/62 Paul 01/06/1983 Problème entre mère et fils depuis l'âge de 10 ans : n'offre rien à Noël à sa mère ne lui attribue aucune qualité, aucun défaut lui parle peu Père était brutal lorsqu'il était bébé Prétend ne pas connaître son père mais a été souvent en vacances chez lui. Ne se souvient pas du prenom de son père. 143 A5 - 1 - Mélanie Les éléments suivants sur Mélanie ont été rassemblés au cours de 6 séances (Décembre, janvier, février, mars, avril, juin) de thérapie familiale avec elle et son fils. La passation du protocole a été effectuée en mars. Elle n’est pas venue à la séance de mai, en prévenant assez tard de son absence. Durant les séances, elle parle peu d’elle même et de sa famille. Le motif de la consultation était une mésentente grave avec son fils. Elle est venue sur le conseil d’une Educatrice Spécialisée. A5 - 1 - 1 - Eléments sur le sujet (la fille) Mélanie a 36 ans, elle est la cadette d’une famille de 8 enfants. Son père, décédé à 68 ans, était ouvrier dans une usine industrielle et sa mère sans profession. Elle se souvient bien de sa grand mère maternelle, mais pas du tout de son grand père maternel. Elle ne parle pas du tout des ascendants paternels. A l'âge de 20 ans, elle s’est mis en ménage avec un homme avec qui elle est restée 5 ans et dont elle a eu un fils. Elle se couche tard et se lève tôt, comme sa mère le faisait. Elle se présente comme une jeune femme élégante, mince, à la démarche souple, mais distante, réfléchie et peu sensible aux à coups affectifs inévitables en séance. Sa vie professionnelle semble se passer sans problème majeur : sa fonction est de procéder à des analyses de produits au sein d’un laboratoire de recherche. Avec son fils, ils se comportent comme un couple, mais un couple usé dans lequel existerait une grande distance. Le fils ne fait pas de cadeau à sa mère à l’occasion des fêtes, et la mère affecte de ne pas en être troublée (“C’est ainsi entre nous.”). Il considère sa mère comme une “copine”. Il ne veut pas savoir comment ses parents se sont rencontrés ni comment ils se sont séparés. Il ne veut pas non plus créer une famille et n’envisage pas de quitter sa mère. Elle avoue qu’elle aimerait avoir un mari, mais lui attribue un rôle de protection plutôt qu’affectif. Durant les trois séances consacrées à la construction d’un génogramme, le père de son fils a été soigneusement oublié à plusieurs reprises par elle même et par son fils. Ces trois séances ont été laborieuses et n’ont pas conduit à une représentation graphique claire de la famille, ce qui est étonnant de la part d’une personne rompue aux schémas scientifiques. A5 - 1 - 2 - Eléments sur la fratrie Peu d'éléments sont fournis et ils sont pratiquement tous indiqués dans le génogramme. A5 - 1 - 3 - Eléments sur la mère La mère de Mélanie est qualifiée par celle ci de “dure” et “forte”. Elle était l'aînée d’une fratrie de trois filles et trois garçons. Parce que sa propre mère souffrait d’une maladie incurable, elle a du prendre en charge ses deux soeurs et la fille d’une autre de ses soeurs. La plus jeune des deux soeurs qu’elle avait en charge est morte d’un accident malgré une injonction à la prudence de sa part. Elle en conçut une grande culpabilité. A l’heure actuelle, elle vit avec plusieurs de ses petits enfants. 144 Le mot “amour” n'apparaît jamais dans le discours de Mélanie lorsqu’elle parle de sa mère, mais elle reconnaît cependant quelques élans tendres de sa part. Lorsque la mère et la fille sont ensemble, à l’occasion de visites par exemple, la mère ne parle que de sa propre mère et de ses soeurs. A5 - 1 - 4 - Eléments sur le père De son père, Mélanie dit : “Tout ce qui vient de mon père est difficile.” Plus tard, évoquant une rencontre avec son père à l'âge de 10 ans, elle dit : “Ce jour là j’ai eu avec lui des rapports difficiles.” Elle ne l’a pas revu depuis. Elle dit aussi : “Depuis, j’ai toujours été blessée. Je ne peux parler de tout cela devant mon fils.” Ces propos font penser à un inceste mais celui ci n’a jamais été évoqué explicitement par Mélanie au cours de la thérapie. A5 - 1 - 5 - Eléments sur le compagnon de la fille Les séances font apparaître les éléments suivants sur le compagnon de Mélanie : - Il a un travail manuel dans l’administration. - Il rejette le fils qu’il a eu avec elle. - C’est lui qui est parti du foyer après 5 ans de vie commune. Ainsi que mentionné plus haut, Mélanie et son fils dénient l’existence de cet homme lors des constructions de génogrammes qui se sont déroulées sur 3 séances consécutives. A5 - 1 - 6 - Contre Transfert Mélanie est une femme distante et méfiante. Elle n’est pas de celles, femmes accomplies, avec qui je pourrais m’unir pour la vie, ni de celles, troublantes, que j’aimerais séduire, ni une petite Cosette, si fragile, à protéger, ni une femme phallique irritante, ni une amie chaleureuse avec qui bavarder pendant des heures, ni une grande dépressive provoquant cet ennui si caractéristique chez moi, ni une séductrice gluante dont je n’ai de cesse de me débarrasser. Elle ne s’accorde avec aucune des imagos de mon théâtre intérieur. Elle n'éveille pas grand chose en moi sinon le désir de la convaincre que je suis digne de confiance (voir dans le corpus, dans la première page, une “justification de la méthode expérimentale” suscitée par ce contre transfert) ce qui me laisse entrevoir un transfert fortement disqualificatif (castrateur). Elle est opaque et mystérieuse, détentrice d’un secret qui ne me fascine pas car minéralisé à l'extrême, comme encapsulé dans une gangue incassable. Je n’arrive pas à l’imaginer en colère après un homme qui la trompe, ni se montrer chatte ou rire avec celui qui partage ses jours, ni révoltée dans le malheur. La vie semble l’avoir quittée. Durant une des séances, elle a dit vouloir un homme “pour la protéger” et c’est cette idée qui s’impose, en fin de compte : le besoin de protection, sans lien objectal. Pendant la passation du test, elle régresse fortement et se détend, toujours à sa manière un peu distante. Elle devient une petite fille bien sage, qui prend plaisir au jeu mais réticente et devant être sans cesse encouragée. Drapée dans sa cape de bronze, elle est à l’abri des agressions, en sécurité dans un cadre rassurant. La difficulté à secondariser les articulations les plus proches de sa propre histoire traduit cependant la fragilité de son système défensif. Au cours de la passation du protocole, il m’est arrivé 145 plusieurs fois de percevoir sa fragilité et de la ménager en ne poussant pas plus loin mes questions. Sa toute dernière réplique traduit une agressivité sous jacente, pour l’instant correctement canalisée, mais toute prête à exploser. A5 - 1 - 7 - Transcription de l’enregistrement MM : Je vais vous raconter deux versions d’un conte qui est “La petite sirène”. Ensuite, vous serez le scénariste et vous construirez l’histoire que vous auriez aimé lire ou entendre, c’est à dire l’histoire telle que vous voudriez qu’elle soit. Pour cela nous reviendrons sur les planches où sont représentés les moments les plus importants. Mélanie : Oui, je vois. MM : Nous allons tout d’abord revoir les deux versions de La petite sirène : celle d’Andersen, et puis celle du dessin animé de Walt Disney. Vous avez peut être vu ce film ? Mélanie : Oui, oui, je l’ai vu. (rire) MM : Bon, commençons par le conte d’Andersen. J’ai pris un livre pour enfant parce qu’il y a des images, c’est plus facile pour raconter (je montre le livre en commençant par la première page A1). Donc, la petite sirène vit au fond de la mer, avec ses soeurs (A2). Mélanie : Oui. MM : Son père est le Roi des mers et elle a aussi sa grand mère. Lorsque les sirènes ont quinze ans, elles sont autorisées à aller à la surface voir à quoi ressemble le monde. Comme la petite sirène est la plus jeune, elle est la dernière à monter pour voir ce qui se passe (A3). Mélanie : Oui. MM : Lorsqu’elle monte à la surface, elle émerge à côté d’un bateau et elle voit un prince (A4). Mélanie : (rire). Oui, oui (rire joyeux). MM : Vous avez l’air surprise. La méthode est pourtant tout à fait sérieuse. Peut être que vous trouvez bizarre de vous faire raconter des histoires d’enfant ? Mélanie : Non, non, ce n’est pas cela (rire). MM : Peut être que cela vous ramène à ... Mélanie : Oui, oui, c’est cela ! (rire joyeux, un peu enfantin). 146 MM : Bon, alors, il y a une tempête et la petite sirène sauve le prince. (A5) Et alors, elle en tombe amoureuse, elle se ronge au fond de la mer, et (A6) elle demande conseil à sa grand mère qui lui dit : “écoutes bien, tu es une sirène, au fond de la mer, et lui est du dessus, donc vous n'êtes pas destinés à vous rencontrer, tu ferais mieux de l’oublier.”. Comme elle est très amoureuse, elle va voir la sorcière des mers et la sorcière des mers passe un pacte avec elle (A7). Elle lui dit : “Voilà, je veux bien te donner un philtre qui va te donner des jambes mais tu me donneras ta voix en échange.” Mélanie : Oui (ton triste). MM : “La deuxième chose, c’est que si tu n'épouses pas le prince au bout de trois jours, alors, tu deviendras écume de mer.” (silence 3 secondes). Donc, elle accepte, boit le philtre, se retrouve avec des jambes, retrouve le prince mais ne peux rien lui expliquer parce qu’elle est muette (A8). Le prince l’aime bien mais ne la considère que comme sa petite soeur. Le prince de son côté s’est engagé auprès de ses parents à épouser une jeune fille, (A9) il se trouve que c’est justement celle qui l’a retrouvé sur la plage. La petite sirène est très malheureuse d’autant que les trois jours passent. Mais les soeurs de la petite sirène apparaissent à la surface de la mer et disent (A10) : “Nous avons passé un avenant au contrat avec la sorcière au prix de notre chevelure : elle veut bien que tu redeviennes une sirène mais à condition que tu tues le prince après son mariage.” Alors, (A11) la petite sirène est là, sur le pont du bateau, avec le poignard que lui ont donné ses soeurs, le prince est marié avec l’autre jeune fille, et elle hésite, elle hésite et puis, finalement, elle ne le tue pas. Donc, (A12) elle devient écume. (je ferme le livre 1 et prends le livre 2). Walt Disney a tiré un film de cette histoire, que vous avez vu, mais je vais vous le rappeler rapidement. Mélanie : Oui, oui (rire enfantin). MM : (W2) Dans le monde de Walt Disney, il y a des sirènes mais aussi des sirènes, comment dire,... mâle comme celui ci. Le Roi des mers, le père des sirènes, vous voyez, est représenté. Les sirènes n’ont pas l’autorisation de monter à la surface. (W3 et W4) Le jour de l’anniversaire de la petite sirène, elle est absente parce qu’elle explore une épave pour trouver des objets “d’en haut” car elle est fascinée par ce qui est à la surface, (W5) elle est poursuivie par un requin mais elle lui échappe, (W6) elle va voir son ami le cormoran qui lui raconte que la fourchette est un peigne, il donne toujours des noms bizarres aux objets. Mélanie : Oui, oui, je me souviens. MM : (W7) Ici, la sorcière. Alors que dans la premier histoire elle ne cherchait rien, elle a un regard concupiscent sur la petite sirène. Mélanie : Oui, oui (air entendu). MM : (W8) Donc, le père est très mécontent que sa fille soit intéressée par la surface et (W9) il demande à un homard de la suivre partout pour la surveiller. Mais, 147 elle est tellement curieuse qu’elle désobéit, elle monte à la surface (W11), elle aperçoit un prince sur un bateau (W12). C’est une fête et l'équipage offre une statue au prince. Il y a une tempête et le bateau coule, elle sauve le prince (W13, W14 et W15) et le dépose sur une plage et elle en tombe amoureuse, comme dans la première histoire. Mélanie : Oui, oui (rire joyeux). MM : On en arrive donc au même point. (W16) Le Roi des mers est très très mécontent et détruit la collection d’objets de la petite sirène, en particulier la statue du prince qui avait coulé avec le bateau. (W17) Elle est très malheureuse et elle écoute le conseil des murènes qui lui soufflent d’aller voir leur maîtresse, la sorcière. (W18) Elle va donc voir la sorcière qui, vous voyez, est un peu différente, et passe un pacte avec elle qui n’est pas tout a fait le même que dans l’autre histoire : elle donne sa voix pour avoir des jambes et si au bout de trois jours elle n’a pas embrassé le prince, elle appartiendra à la sorcière. Les termes du pacte ne sont donc pas équivalents. Elle accepte, (W20) la sorcière vole sa voix et elle se retrouve avec des jambes. (W21) Elle rencontre le prince et là encore les choses sont différentes car elle s’entend bien avec le prince (W22) et elle est même proche de l’embrasser (W23) mais les murènes de la sorcière interviennent pour l’en empêcher (W24). Dans la première histoire, la sorcière n’intervenait pas. Mélanie : Oui. MM : (W25) La sorcière va même plus loin puisqu’elle se transforme en jeune fille et avec la voix de la petite sirène, elle subjugue le prince (W26). Elle va l'épouser, mais alors qu’elle se regarde dans son miroir pour se féliciter, le cormoran l'aperçoit par le hublot et devine ce qu’elle est vraiment (W27). Il prévient la petite sirène qui nage jusqu’au bateau (W28 et W29) où le prince et la sorcière doivent se marier. (W30) Avec l’aide de ses amis, le cormoran et les autres oiseaux, elle reprend sa voix à la sorcière. (W31) Elle peut donc s’expliquer avec le prince, mais, juste au moment où elle va l’embrasser, les trois jours sont écoulés et le soleil se couche. (W32) La sorcière a donc gagné, elle la retransforme en sirène et en prend possession. (W33) Le Roi des mers décide alors de se sacrifier et d'échanger sa couronne et son trident magique contre la liberté de sa fille. La situation n’est pas très bonne : le roi des mers est transformé en vermisseau et la petite sirène est libre, mais sirène. (W34) Le prince intervient. Il intervient de manière dérisoire car, depuis une barque il tente de tuer la sorcière avec un harpon et ne fait que l’effleurer. (W35) Cela a pourtant pour effet de provoquer la colère de la sorcière qui déclenche une tempête considérable qui fait remonter les vieilles épaves du fond de la mer. Le prince conduit une de ces épaves et parvient à tuer la sorcière en crevant son ventre avec la proue du navire (W36). Mélanie : Oui, Oui, j’ai vu cela dans le film. MM : Bon, la sorcière est détruite et le Roi des mers retrouve sa couronne et son trident. (W37) Il s'aperçoit que sa fille est amoureuse et, avec son trident magique, il lui redonne des jambes (W38) et la petite sirène peut alors épouser son prince (W39). Voilà. 148 Mélanie MM : (rire joyeux) : Bon, maintenant, l’exercice consiste à créer l’histoire qui vous plairait. CONTENU MANIFESTE Mélanie : (rire joyeux), Ca va pas être facile.. MM: Je vais vous aider un peu. Nous allons reprendre au début (les deux livres sont ouverts au pages A1 et W2). Pour commencer, il faut créer un monde sous marin, l’un, l’autre ou entre les deux. Un monde avec un roi des mers représenté comme celui ci (A2) ou bien un monde comme celui là (W3). Mélanie : Pour moi, un monde sous marin, c’est calme, comme celui ci (Andersen). MM: C’est celui qui vous plaît ? (A2) Mélanie : Oh oui, oui, oui. MM: L'étape suivante, (pages A4 et W11) c’est de .... Mélanie : (me coupe la parole) Il y a un mélange ici de calme, sans le roi (elle montre la version d’Andersen), et une partie se trouve là (elle montre la version de Walt Disney), où effectivement, elle trouve des objets au fond de la mer et elle est très intriguée, elle se demande comment cela se passe dans le monde. MM: Elle est rongée par la curiosité ? Mélanie : Voilà ! Voilà ! c’est un curieux mélange. MM: Il est interdit de monter ? Mélanie : Oui, oui, il est interdit de monter mais elle trouve quand même des objets qui l’intriguent et elle aimerait bien savoir à quoi ça sert dans le monde d'où viennent ces objets. MM: Elle pourra monter lors de son anniversaire ? Mélanie : Voilà ! Elle aimerait bien monter à la surface pour savoir a quoi servent les objets. CONTENU LATENT Emergence du primaire. Le père est exclu de l’inconscient maternel mais les autres souvenirs de la mère excitent la curiosité. La sexualité sans père est en effet un curieux mélange. La sexualité est interdite et la curiosité se manifeste en réaction à cet interdit. Peut être y-a-t-il aussi des secrets de famille. Pourquoi, par exemple, n’a-telle aucun souvenir de son grand père ? Elle aimerait bien connaître le désir et le plaisir. 149 MM: Donc vous préférez ce monde plus calme (celui d’Andersen), avec une interdiction qui suscite sa curiosité. Mélanie : Oui, oui, voilà, il y a ce monde, bien sûr, où les sirènes sont sans le père mais elles sont intriguées par les objets et il y a l’interdiction de monter. MM: Voyez, vous progressez. L'étape suivante, c’est qu’elle voit le bateau. Dans les deux histoires, c’est la même chose : elle monte à la surface et voit le prince sur le bateau. Mélanie : Oui, oui, voilà. C’est un pêcheur. Elle voit un pêcheur. MM: Ce n’est pas un prince ? Ah bon, pourquoi cela ? Mélanie : C’est un peu trop beau, (rires) voir un prince, juste comme cela, tout de suite. Non, non, c’est un pêcheur. Sur un bateau on voit plus souvent des pêcheurs. MM: Bien. Donc, elle sauve le pêcheur et en tombe amoureuse ? (acquiescement). La différence entre les deux histoires est que dans un cas elle demande conseil à sa grand mère et que, dans l’autre, ce sont les murènes qui lui suggèrent d’aller voir la sorcière après la destruction de sa collection d’objets, et de la statue, par son père. Mélanie : Oui, oui, voilà, il détruit tout ! MM: Alors, dans votre histoire, cela se passe comment ? Mélanie : Elle sauve le prince, elle tombe amoureuse et elle va voir sa grand mère. Je préfère ainsi. MM: Vous préférez qu’elle voie sa grand mère ? Mélanie : Oui, tout à fait ! MM: Dans l’histoire d’Andersen, la grand mère ne peut rien pour elle (la sirène). Dans votre histoire aussi ? Qui donc interdit de monter ? ce ne peut être que la mère. Dévalorisation de l’image paternelle et par voie de conséquence de l’image de l’homme. “Tout de suite” peut laisser penser que “Plus tard peut être...” . Par ailleurs, sur la mère, il y a un pécheur (attention à l’accent). A rapprocher de l'événement qui a provoqué la rupture entre elle et son père. Le pécheur est maintenant prince. Image maternelle désexualisée A noter que la propre grand mère de Mélanie était atteinte d’une maladie incurable. 150 Mélanie : Non, non, quand même, il y a quand même une méchante femme, bien sûr. MM : Et elle la retrouve comment la méchante femme ? Mélanie : Oui MM : Il y a une différence entre les histoires : ici (Andersen) elle est connue de tous et la petite sirène va la voir volontairement, alors que là, (Disney) le père n’a pas été gentil et la méchante femme a envoyé ses murènes pour la convaincre Mélanie : Oui, oui, mais je dirais que le fait qu’elle est... (hésitation), que son père a détruit ses trucs, qu’elle veut absolument se venger, qu’elle veut aller contre l’esprit de son père et qu’elle décide d’aller voir la sorcière elle même, sans... (silence).. MM : Dans votre histoire, au départ, il n’y avait pas le père. Mélanie : Euh,.. oui.. (silence) MM : C’est juste pour que ce soit cohérent d’un bout à l’autre. Mélanie : Oui, oui, bien sûr, il faut absolument que ça tienne debout. Alors, eh bien, elle y va elle même, sans hésitation. Oui, voilà, voilà... MM : Bien, maintenant, il faut définir le pacte. Il y a deux variantes du pacte. Dans les deux cas elle échange des jambes contre sa voix, elle a aussi trois jours pour avoir le prince. Mais, dans un cas elle disparaît, elle est dissoute, et dans l’autre elle devient esclave de la sorcière. Mélanie : Tant qu’à faire, dissoute... (silence) MM : Bon, alors dissoute. Dans l'étape suivante, elle a ses jambes.. Mélanie : (coupe la parole) ..Elle est à la surface. MM : Oui, elle rencontre le pêcheur, mais (Andersen) ils n’arrivent pas à s’entendre parce... Il ne peut s’agir que de la mère. Emergence du primaire. Evitement par une non réponse à la question. La soumission au modèle maternel est le résultat de la déception (euphémisme) provoquée par le père. Image paternelle à la fois forclose et terriblement présente. Tentative de restauration du processus secondaire. Contre transfert : elle semble si malheureuse que je ne me permets pas d’insister. Ce répit lui permet de se reconstituer, provisoirement (voir réplique suivante). La mort psychique est la seule issue. Emergence du primaire. 151 Mélanie : (coupe la parole) ...qu’elle ne peut pas parler. MM : .. alors que là (Disney) ils ont des échanges suffisants pour tomber amoureux l’un de l’autre. Mélanie : Oui, (rire interminable) MM : Alors, qu’est ce que vous en dites ? Mélanie : Ils n’arrivent pas à communiquer. MM : Bon, alors nous arrivons maintenant à l’autre jeune fille. Dans ce cas là (Andersen) le prince ... Mélanie : (coupe la parole)... avait promis à ses parents de se marier avec la jeune fille.. MM : .. tandis que là, c’est la sorcière qui se transforme en jeune fille. Mélanie : Oui, oui, elle s’est transformée en jeune fille. MM : Alors, là, évidemment... (silence) Mélanie : Parce que j’avais dit que la sorcière... qu’elle avait été voir la sorcière et que la sorcière profiterait de cette situation. MM : La jeune fille, c’est donc la sorcière ? Mélanie : Oui, oui, voilà ! MM : Donc, la sorcière cherche à avoir le prince. En plus du fait que le pacte qu’elle a passé, c’est la restriction de ... Mélanie : (coupe la parole)... oui, oui, c’est cela ! MM : Ici (Disney) la sorcière est démasquée par le cormoran. Pour vous, elle doit être démasquée, ou bien le prince se marie ? Mélanie : (rire interminable) MM : Alors ? Mélanie : Allez, bon, je démasque ! c’est trop dur sinon. Emergence du primaire. La non communication est très familière au sujet. Emergence du primaire. Impossible l’homme. de communiquer avec Emergence du primaire. La trahison n’est pas imputable à l’homme mais à ses parents. Silence volontaire pour lui permettre d'élaborer ce point important. Elle n’avait pas dit que la sorcière profiterait de la situation : évitement à nouveau. Le “ravir” (Chatel, 1998) est impossible à mettre en mots par Mélanie. Image maternelle trouble, complice du père. Evitement à nouveau. Emergence du primaire 152 MM : Bon, la sorcière est démasquée, alors, qu’est-ce qui se passe maintenant ? Dans l’histoire de Disney la sirène et le prince, la sirène et le pêcheur en fait, s’embrassent trop tard, quelques secondes trop tard. Alors, à temps ou trop tard ? Mélanie : Ils s’embrassent trop tard. MM : Et alors ? Mélanie : (rire) Elle se dissout, et puis voilà ! (rire aux éclats). MM : Elle se dissout... Sans passer par la deuxième version du pacte ? Mélanie : (silence), Oui, oui... MM : Vous vous sentez bien dans votre histoire ? C’est celle que vous auriez aimé lire ? Mélanie : Moi, ce n’est pas tant qu’on lit des histoires, on les vit s’il y a une bonne intrigue. MM : La votre est plus compliquée que celle d’Andersen : la sorcière se transforme en jeune fille, elle est démasquée... Il y a une intrigue. Mélanie : (rire enfantin) Non, mais, je veux dire, je veux dire, c’est vrai, mais les histoires, c’est toujours le prince, ça se termine toujours bien, dans des châteaux, mais la vie c’est pas ça... MM : Oui ? Mélanie : On aimerait toujours que ça finisse très bien. Remarquez, pour les enfants, ça se comprend. (suite inaudible sur l’enregistrement) MM : (idem) Mélanie : C’est vrai. (idem) MM : Avant de terminer, j’ai une question ou deux complémentaires. Vous aviez des soeurs, parmi elles, estce qu’il y en avait une qui était préférée ? Mélanie : Oui, oui ... MM : C'était vous ou une autre ? Mélanie : C'était une autre... MM : Une autre ? La préférence, vous la voyez comment ? Fatalisme traduisant un état dépressif soigneusement masqué. Utilisation répétitive et inopinée du mot “ça” révélatrice du secret encapsulé. Identification à l’enfant qu’elle a été. 153 Mélanie : Moi je pense que je ressentais la préférence plutôt quand j'étais enfant, maintenant non. MM : Pensez-vous que votre mère avait besoin d’en préférer une, ou c'était juste comme cela ? Mélanie : Non, moi je pense qu’il y avait beaucoup de circonstances qui ont fait que, moi je pense, qui fait que... on choisit la préférence de tel enfant à d’autres. MM : En tant que parent ? Mélanie : Oui, voilà ! MM : Il y en a un pour lequel l’affection ... Mélanie : Oui, il y en a toujours un avec lequel il y a un meilleur contact, une plus grande attention. MM : La question est de savoir comment se repartit cette attention. Si une femme est très amoureuse de son mari, elle va quand même préférer un enfant, par exemple ? Mélanie : Non, non, pas du tout, c’est pas vrai, ca ne se passe pas comme cela. MM : Comment alors ? Mélanie : Si elle est amoureuse elle n’a pas d’enfant préféré. MM : Bien, nous arrêterons ici. Mélanie : Je ne sais pas bien si tout cela peut servir à grand chose... MM : Comme je vous l’ai dit, nous pourrons en reparler. Je tiens encore à vous remercier pour votre participation à cette recherche. Peut être allusion au fait que la maladie de sa grand mère est héréditaire. Confirmation du lien non objectal entre son père et sa mère. Donc, comme sa mère avait un enfant préféré, elle n'était pas amoureuse. Transfert pervers (Eiguer, 1989) perçu immédiatement. Réponse neutre au transfert pervers. 154 FIGURE 19 Gertrude Mère autoritaire, rigide Famille d'industriels espagnols Mariage consanguin (cousin) refusé par la famille 8 enfants, certains seraient des criminels Le frère aine a été incarcéré Maladie neurologique familiale (rupture d'anévrisme) Bizarres, isolés. Laisser aller et dépendance (maison sale, lever tardif) Epouse : maladie de Parkinson) Méprisant Maniaque Obsessionnel Cultivé Anxieuse, surprotectrice, autoritaire Propre, aimeles beaux objets et l'histoire Refuse de parler espagnol Ne veut pas voir ses beaux frères Employé au Ministère des Finances Madrid Peintre en bâtiment retraité x x Federico 1939 Bretagne Famille d'accueil Martine 1946 Aident beaucoup leur fille Niort Secrétaire médicale Employée au Ministère des Finances Enseigne a Milan Julie Caroline Né à Lyon A failli mourir d'un cancer Ecole du Cirque Antonia 32 ans Luc 28 ans Ex toxicomane (Héroïne) Cause toxicomanie = douleurs occipitales (Maladie neurologique familiale) Opération au cerveau à 18 ans A beaucoup changé après l' intervention : - prise de poids - défaitiste - perte de cheveux (voir Gertrude) - solitaire Envie sa soeur Léon Jules 25 ans 23 ans Inactif Luthier Sauvage, introverti Musicien dans un groupe Célibataire, solitaire Fréquente un "copain" Aime la BD Inventif Inactif Marginal mais actif et généreux Pas de travail Refuse de payer des impôts Dettes avec la SNCF Pas de compte bancaire (car risque de saisie) Vit dans une caravane (Lot) Bien intégré dans le village. Educateur à Limoges 1 semaine sur 2 Avec son épouse en Bretagne 1semaine sur 2 Voulait faire de la création artistique Relation extra conjugale débutée à Limoges Séparation - Divorce Enseigne la Danse Artistique à Milan (où il a vécu étant jeune) Nicolas 24/10/61 UL 01/95 Professeur de Danse M 94 S 12/95 D 10/97 Brigitte 10/09/94 Opposition à sa mère Tyrannique Conflits le matin, joue sur le temps "Je veux que tu sois morte, que tu sois plus ma maman." Regard un peu fixe. Gertrude 12/07/69 Institutrice Marine 20/03/96 Née à la campagne Crie beaucoup Née à Niort Petite, cheveux fragiles qui ne poussaient pas Rencontre son mari à 19 ans Séparation (études) Retrouvailles à Paris Vie à la campagne en Bretagne ( dans la maison des parents de Nicolas) "C'était le paradis" Enfants accueillis par Martine : Ursule :déficiente mentale Patrick : handicap physique et asthme, scolarité normale Fernand : handicap , scolarité difficile, inhibitions Lucie : handicap, inhibitions Marie : autiste 155 A5 - 2 : Gertrude Les éléments suivants sur Gertrude ont été rassemblés au cours des séances de thérapie familiale avec elle et, en principe, ses deux filles : Janvier (seule), février (avec ses filles), mars (avec ses filles), avril (avec ses filles), mai (seule), absente en juin. Le motif de la consultation était un comportement pathologique de sa fille aînée (opposition à sa mère, conflits, caprices) mais Gertrude voudrait orienter la thérapie vers son unique profit. A5 - 2 - 1 - Elément sur le sujet (la fille) Gertrude a 29 ans et est la seconde d’une famille de cinq enfants comprenant deux aînées et trois cadets. Son père était un peintre en bâtiment d’origine espagnole issu d’une famille nombreuse. Gertrude est divorcée d’un mari qu’elle a connu jeune. Elle est institutrice. Petite fille, elle avait des problèmes de santé, ne grandissait pas et avait des cheveux fragiles. C’est une femme inquiète qui a du mal à laisser ses filles jouer tranquillement. Cette inquiétude, qui touche en particulier ses filles, la conduite automobile et son ex mari, est communicative et ressentie par les thérapeutes : étrangement, les jeux des filles dans la salle de consultation semblent “dangereux” quoique objectivement banaux. Vis à vis de son ex mari, elle a une attitude ambivalente mêlant le regret (“quand nous étions en Bretagne, c'était le paradis”) et le rejet (disputes quant aux visites, aux modalités de divorce). Le deuil de la séparation n’est pas fait et les souvenirs sont embellis. Le mari, quoique désirant participer à l'éducation des filles, en est exclu. Elle se décrit comme ayant été une adolescente casse-cou, alors que sa soeur était “une poupée”. Ces risques déclenchaient l'inquiétude de sa mère. Elle se réjouit de la naissance d’une fille dans la famille, comme s’il était important que le “clan féminin” s'étende (“Seul ce qui est féminin est bon ?”). Elle se rend compte qu’elle est inquiète, dynamique et autoritaire “comme l'était sa mère”. Il y a donc forte identification. Très émotive, elle se laisse facilement aller à pleurer lorsque le passé avec son ex mari est évoqué. Sa fille aînée est également exigeante avec elle au point de ne lui laisser aucun répit et de hurler si la réponse maternelle tarde. Ses deux filles, si elles sont ensemble, parviennent à créer une situation de tension telle (par exemple dans un magasin ou dans un jardin public, ou bien encore le matin avant de partir à l'école) que Gertrude appréhende de plus en plus ces moments où s’accumulent désobéissance et actes quasi concertés (par exemple chaque fille part dans une direction différente et Gertrude ne sait plus que faire, hurle, etc...). Quoiqu’elle prétende que ses filles attendent une attitude plus “carrée”, elle craint qu’une saine discipline provoque des conflits. Elle est frustrée de voir que les autres (amies, belle soeur, thérapeutes) obtiennent sans difficulté l’attention et la coopération de ses propres enfants. Elle considère qu’elle obtient toujours ce qu’elle veut, du moins dans son travail. Ses relations à ce niveau sont, semble-t-il, dépourvues d’affects et fondées sur des rapports de force. Un autre sujet de perplexité et d'inquiétude est le fait d’avoir eu, depuis trois ans, une “catastrophe de fin de vacances” (abcès de la cornée, fausse couche, septicémie suite à une infection urinaire) correspondant à une séparation prolongée d’avec ses filles. Des 156 douleurs lombaires persistantes sont signalées qui ont masqué un moment la septicémie. Une angoisse d’abandon est souvent évoquée. Gertrude s’efforce d’ailleurs de gérer une continuité avec ses amants successifs. “Pas plus d’un à la fois”, cependant. Sa demande vis-à-vis de la thérapie est de devenir “normale” mais les comptes rendus de séance montrent qu’elle veut dire en fait “normée”, tout en rejetant systématiquement tout conformisme. La manipulation opérée sur le cadre (présence des filles selon son désir, absences, changement d’objectif) met en évidence un transfert pervers (Eiguer, 1989). A5 - 2 - 2 - Eléments sur la fratrie La soeur et les trois frères sont tous marginaux. Rêveurs, ils n’acceptent pas le monde tel qu’il est et sont déçus de la vie. La soeur prend peu de risques et n'inquiète donc pas la mère. Pourtant elle a subi d’importantes interventions chirurgicales et a eu une conduite additive (héroïne) pendant plusieurs années et une compagne homosexuelle. L’aine des trois frères est luthier. Il vit en solitaire et n’a que des hommes comme amis. Le second est en marge de la société et vit de menus travaux. Il est cependant bien accepté dans le milieu agricole qui est le sien. Le cadet est inactif. A5 - 2 - 3 - Eléments sur la mère Elle est décrite comme anxieuse et surprotectrice au point d’indisposer sa fille qui ne peut plus la supporter. Elle n’a pu faire d'études, ce qui peut évoquer une difficulté avec l'échec en rapport avec un problème oedipien (non dépassement de la castration). Elle souhaite que ses enfants vivent une autre vie que la sienne, qu’ils ne se marient pas avec le premier venu, qu’ils rencontrent du monde, qu’ils soient originaux et créatifs, mais surtout pas en marge. La vigilance de la mère porte essentiellement sur les petites filles et la conduite en voiture, domaines qui provoquent justement l'inquiétude de la fille. Elle voulait que son mari “reste dans le droit chemin”. Elle a écarté ses filles de la culture espagnole et ne voulait pas que la langue ibérique soit parlée au domicile familial. Les oncles soupçonnés de transgresser la loi ont été soigneusement écartés du foyer. Pourtant, ses propres parents vivaient dans un complet laisser aller, aussi bien en termes d’horaires que de tenue de leur maisonnée, réputée sale et “à vomir” (selon Gertrude qui n’aimait pas aller chez ses grand parents). L’element le plus important est le surinvestissement du maternel : elle a “pourri gâté” son plus jeune fils et la soeur aînée, couvé les trois autres mais elle était aussi mère d'accueil pour des enfants atteints de déficiences physiques et mentales. Plusieurs enfants accueillis habitaient le foyer en même temps que ses propres enfants. Certains y sont restés une vingtaine d'années. A5 - 2 - 4 - Eléments sur le père Le père est issu d’une famille nombreuse d’industriels connus en Espagne. Certains de ses frères ont mieux réussi dans la vie et sont qualifiés de “bandits” par la mère qui a toujours refusé de les voir. 157 Le problème est de savoir si cette criminalité constitue un fantasme ou une réalité. Ce sujet est soigneusement évité par Gertrude qui évoque que l'aîné des oncles aurait fait de la prison. Quoique disant regretter de ne pas connaître assez la culture espagnole, Gertrude n’a jamais rien fait pour combler cette lacune. Elle parle peu de son père et s'écarte volontiers de ce sujet en séance. A5 - 2 - 5 - Eléments sur le mari Suite à une maladie grave avec risque de mort, cet homme s’est engagé dans une vocation d’artiste du spectacle. D’esprit curieux, créatif, il a bien réussi dans ce métier. Il s’est bien occupé de ses filles quoique dans une ambiance tendue compte tenu de l’attitude de son épouse (inquiète, directive pour la toilette et les repas). Considérant que son épouse n’avait aucune considération pour lui et même l’ignorait depuis la naissance des filles, qu’elle était tyrannique, maniaque du ménage, autoritaire, exigeante, il a eu une relation extra conjugale qui a entraîné la séparation, puis le divorce. Il avait l’habitude de partir sans rien dire avec ses filles pendant une journée ou deux ce qui provoquait une violente angoisse chez son épouse. Une anecdote donne un éclairage particulier sur cet homme et ses relations avec son ex épouse : en mai, Gertrude lui ayant prêté sa voiture, il refuse de la rendre. Ce véhicule avait pourtant été acheté et payé par elle mais, hospitalisée, elle n’avait pu se rendre elle même à la préfecture et il avait enregistré à sa place, mais sous son nom à lui. La voiture lui appartient donc effectivement. Il y a donc une complicité visant à perpétuer un lien en principe brisé à travers des échanges sur un objet hautement investi par Gertrude : la voiture. A5 - 2 - 6 - Contre transfert Gertrude est une femme assez ouverte qui écoute intensément avec ses grands yeux bleus largement ouverts qui regardent bien droit dans les miens. Elle boit ce que je dis, comme un puits sans fond. J’ai l’impression que je suis quelqu’un d’important pour elle, qu’elle veut donner un sens à notre rencontre, mais je ressens une vague succion, comme si mon sang la nourrissait, comme si elle était une belette au cou du petit lapin ou une sangsue accrochée à ma peau. Je la ressens comme avide d’homme. Cependant, je ne la sens pas séductrice, elle n’est pas de celles qui se frottent comme une chatte, elle est plutôt une sorte d'éponge qui absorbe. La prise en main de son histoire me surprend. Elle se souvient parfaitement de toutes les articulations des deux versions présentées et en fait une composition fluide, exempte d'hésitation, comme évacuée d’un seul coup. Sa création est produite sans peine mais sans réel plaisir et une image surprenante d'éjaculation précoce me vient à l’esprit. A5 - 2 - 7 - Transcription de l’enregistrement MM : (A1) On va commencer par le conte original d’Andersen. Il y a un monde sous marin avec la petite sirène et ses soeurs (A2 et A3). A la date d’anniversaire de leur 15 ans elles ont l’autorisation de monter à la surface. La petite sirène est très curieuse et lorsqu’elle a 15 ans elle va vite à la surface (A4). Elle voit 158 un bateau, et, sur le bateau, un prince. (A5) Une tempête se lève, le bateau coule et elle sauve le prince. Elle le laisse sur une plage après avoir chanté un peu. Elle se rend compte un peu après, en redescendant vers le fond qu’elle en est tombé amoureuse, éperdument amoureuse. (A6) Elle est très embêtée et elle demande conseil à sa grand mère qui lui dit : “Tu vis au fond de la mer et lui vit à la surface, vous ne pouvez pas vous rencontrer, il n’y a pas d’autre solution.”. Elle n’est pas satisfaite de cette réponse et elle va voir la sorcière des mers (A7) qui lui propose un pacte qui est que la petite sirène donne sa voix et en échange la sorcière lui permettra d’avoir des jambes. En outre si au bout de trois jour elle ne réussit pas à séduire le prince, s’il ne devient pas amoureux d’elle, alors, elle deviendra écume de mer. Elle accepte le pacte et elle se retrouve à la surface avec des jambes, mais, comme elle a donné sa voix, il lui est impossible de communiquer avec le prince (A8). Donc, ils s’aiment bien mais ils ne peuvent échanger assez pour s’aimer vraiment. Le prince la considère comme une petite soeur (A9). Le prince lui dit un jour, car lui il peut parler, qu’il a promis à ses parents de se marier et, donc, la petite sirène le voit rencontrer sa fiancée et elle est excessivement malheureuse (A10). Le prince se marie, ce qui est le comble de l’horreur pour la petite sirène. A ce moment, les soeurs viennent à la surface et lui disent : “Ecoute, on a renégocié avec la sorcière un avenant au pacte qui est que si tu tues le prince, alors tu redeviendra sirène.” . (A11) Alors, elle est là sur le pont du bateau, c’est la nuit, le prince et son épouse dorment sous une tente, la petite sirène se demande : “Est-ce que je le tue ou est-ce que je ne le tue pas ?” (silence) Finalement, elle décide de ne pas le tuer. Au terme du pacte, elle devient donc écume de mer (A12). Bon, ça c'était l’histoire d’Andersen. Gertrude : oui MM : (W1) L’autre c’est l’histoire de Walt Disney. (W2) Vous voyez le monde sous marin est un peu différent. Vous avez vu le dessin animé avec vos enfants peut être ? Gertrude : hum, non,... MM : Vous voyez, le monde de Walt Disney est un peu différent, c’est un monde sous marin, il y a des sirènes mâles, mais, il y a autre chose : il y a toujours six soeurs mais le père de la petite sirène est là (W3). Il a une présence forte, un gros charisme. Par exemple, ici il est très mécontent parce que c’est l’anniversaire de la petite sirène et elle est absente. Elle est absente parce que elle est fascinée par tous les objets qui viennent de la surface et elle va en chercher dans une épave (W4). Elle trouve des choses qui sont mystérieuses. Elle se fait poursuivre par un requin et elle réussit à lui échapper (W5). Ensuite, avec les objets qu’elle a trouvé, elle va voir un ami, un cormoran, qui lui raconte à quoi servent les objets. (W6) Là, il dit que c’est (la fourchette) un peigne. Il y a une sorcière des mers, comme dans l’autre histoire qui a la possibilité d’observer la petite sirène dans tout ce qu’elle fait. (W7) En fait, elle convoite sa voix. Quant elle (la petite sirène) revient de son exploration, (W8) le Roi des Mers, son père, est très mécontent et il met à sa suite un homard qui est chargé de la surveiller (W9). 159 Gertrude : (rire). Ben, (rire) je ne me souviens plus de cette version, c’est bizarre, je me demande si je ne l’ai pas vue en vidéo, et en fait ca devait pas être cette version. (pourquoi evacuer ainsi le homard qui symbolise fortement le Surmoi ?) MM : Peut être que la vidéo que vous avez vue était découpée différemment. Il y a peut être eu des montages différents. Les livres pour les enfants aussi ne sont pas tous tout à fait pareils. J’ai choisi celui là. De toutes façons, les variantes sont minimes. Gertrude : Hum,... MM : Bon, qu’est-ce que je voulais dire ? Ah oui, la petite sirène a une collection de tous les objets qu’elle a récolté dans les épaves (W10). Un jour elle décide de monter à la surface voir ce qui se passe (W11). Elle voit un navire (W12), (silence) sur le navire elle voit un prince à qui l'équipage offre sa statue. Et là, c’est pareil, une tempête se lève, elle sauve le prince (W13), elle le dépose sur une plage (W14), elle en tombe amoureuse (W15) (silence) ... Gertrude : (rire) Oui ? (rire). MM : Eh bien, son père, au courant de la situation vient détruire sa collection d’objets, détruire aussi la statue du prince qu’elle avait retrouvée au fond après le naufrage (W16). La petite sirène est en colère et elle suit le conseil des murènes de la sorcière, la sorcière a deux murènes à son service, qui lui soufflent d’aller voir la sorcière (W17). Elle y va. Alors la sorcière lui propose un pacte qui ressemble à l’autre et qui est : “Tu me donnes ta voix, je te donne des jambes, mais si au bout de trois jours tu n’as pas embrassé le prince, alors tu es à moi, tu perds ta liberté.” (W18) Dans l’autre pacte, elle devenait écume si le prince ne l’aimait pas. Alors, elle signe le pacte (W19), donne sa voix à la sorcière (W20), et se retrouve avec des jambes à la surface (W21). Elle rencontre le prince mais dans la version de Walt Disney, elle n’a pas besoin de voix pour qu’ils tombent amoureux l’un de l’autre (W22). Alors, ils vont pour s’embrasser sur une barque au clair de lune (W23), mais les murènes de la sorcière viennent déranger les deux jeunes gens (W24). La sorcière se transforme alors en jeune fille (W25) et séduit le prince avec la voix de la petite sirène (W26). Le prince est subjugué et va épouser la jeune fille, la petite sirène est donc très malheureuse et la sorcière donc triomphe (W26b). Mais, quand la jeune fille se regarde dans un miroir, son image dans le miroir, c’est sa véritable apparence de sorcière (W27). Quand elle le fait, il se trouve que le cormoran regarde par le hublot et s'aperçoit de qui il s’agit véritablement. Le cormoran prévient alors la petite sirène (W28) qui nage péniblement, car elle n’a plus sa queue de poisson, vers le navire où le mariage doit avoir lieu (W29). Avec ses amis oiseaux, elle reprend sa voix (W30), s’explique avec le prince, va pour l’embrasser, mais, juste à ce moment là le soleil se couche et il est trop tard de quelques secondes (W31). Gertrude : (rire) Ah zut ! (rire). MM : (silence) Donc, la sorcière triomphe car elle possède la petite sirène (W32). Là, le père intervient et fait une proposition : le trident magique et sa couronne 160 contre la liberté de sa fille (W33). La petite sirène est libre, mais sirène à nouveau et son père devient l’esclave de la sorcière (W34). Le prince, lui, tente une manoeuvre dérisoire qui consiste à lancer un harpon sur la sorcière, ce qui la blesse à peine et la met très en colère (W35). La sorcière, avec ses pouvoirs magiques, se transforme en une énorme chose, provoque une tempête épouvantable qui fait remonter les vieilles épaves du fond de la mer. Le prince s’empare d’une des épaves et jette la proue du vieux navire dans le ventre de la sorcière qui meurt (W36). D'où, (silence) d'où,.. la solution à tous les problèmes, sauf un qui est que la petite sirène est malheureuse. Mais son père s'aperçoit qu’elle est amoureuse et utilise son trident magique pour lui redonner des jambes (W37). Elle peut donc épouser le prince (W38). Voilà. (silence) Bon, maintenant, il est temps pour vous de créer votre propre histoire. Gertrude : Oui, (hésitation). MM : Si vous voulez je vais vous aider un peu : on va reprendre au début. Gertrude : Oui, d’accord. CONTENU MANIFESTE MM : Quel est le monde sous marin qui vous parait le plus approprié : celui-ci (A2) où les six soeurs sont avec leur grand mère ou celui-là, (W2) plus élaboré où le père est représenté. Gertrude : Là, il est pas là, mais c’est le père qui leur laisse la possibilité de monter à la surface. MM : Oui, dans cette version (Andersen), il est mentionné mais il n'apparaît jamais. Il est là en tout cas. Il est clair, si vous voulez, qu’il existe. Dans l’autre, on le voit, il est présent. Gertrude : Là, je vais construire une histoire,... je peux regarder les livres alors ? c’est celà ? MM : Bien sûr, vous regardez ce que vous voulez et vous créez l’histoire que vous auriez aimé entendre ou celle qui vous parait bien en prenant des idées ici (Andersen) ou là (Disney). Si quelque chose vous déplaît, eh bien vous le changez. Gertrude : Je sais pas si je vais pouvoir...(rire) CONTENU LATENT La Loi est comprise. 161 MM : On va voir au fur et à mesure, si vous voulez. On a déjà vu que les mondes sous marins sont peuplés de façon différente. Ensuite, dans les deux cas, elle monte à la surface, voit un navire,... Gertrude : (coupe la parole) Elle voit un prince. (ton sérieux) MM : Il y a une tempête, elle le sauve et en tombe amoureuse. Ensuite, dans ce cas (Andersen) elle demande conseil à sa grand mère, dans l’autre elle est mécontente parce que son père a détruit sa collection d’objets et elle se laisse convaincre par les murènes. Gertrude : Ouais, ouais. Donc, je vous la raconte ou je vous dis plus l’option que... euh.... MM : C’est comme vous voulez, vous pouvez raconter si vous préférez. Gertrude : Ben, je sais pas, moi... MM : Eh bien, allez y ... Si vous avez une histoire à laquelle vous tenez.. Gertrude : Ben, je sais pas, je vais voir ça, bon, voilà... MM : Oui ? Gertrude : Donc ça se présente sous la mer, il y a la petite sirène avec ses soeurs. En fait leur père, leur permet à chacune, pour leur quinzième anniversaire, de monter à la surface. MM : Oui. Gertrude : Donc, elle vont voir comment cela se passe à la surface. La petite sirène qui est la dernière des six soeurs convoite énormément le monde, euh,... qui est au dessus. (rire) Et donc, le jour de son anniversaire, elle monte à la surface pour voir comment ça se passe au dessus de la mer. Elle voit une embarcation, enfin, un bateau, et, sur le bateau, il y a un bel homme, un prince charmant. “Ah, je suis amoureuse du prince charmant”, (rire) “Comment pourrais je faire pour qu’il me remarque et qu’il s'intéresse à moi : je ne suis qu’une petite sirène et il a des jambes.” L’image du navire vu de dessous, évocatrice d’un pénis, est occultée. La secondarisation est suffisante pour permettre au sujet d’entamer son histoire. Le monde “du dessus” est celui des parents. La différence des sexes et des générations est établie. Oedipe non dépassé : le prince charmant est le père inaccessible. 162 Ça ne pourra pas marcher, alors elle redescend. Alors, sa grand mère qui est un petit peu une bonne fée,... MM : Oui, Gertrude : Alors, elle (la petite sirène) dit : “Voilà, je suis allée à la surface, effectivement c’est l’homme qu’il me faut, en plus, c’est un prince charmant. Il faut que je trouve une solution,... (long silence), euh... pour,... euh,... rejoindre mon prince charmant et qu’il tombe amoureux de moi.” Euh, (rire) le naufrage, je sais plus comment l'insérer, (rire).... MM : Si vous ne voulez pas qu’il y ait de naufrage, il n’y a pas de naufrage, c’est votre histoire à vous. Gertrude : Oui ? MM : Oui, bien sûr. Gertrude : Parce que,... je ne sais pas très bien si je veux qu’il y ait un naufrage. MM : Vous pouvez très bien vous passer de naufrage. Si je comprends bien, elle voit le prince et en tombe amoureuse. Son but est alors d’avoir des jambes pour le rejoindre et le séduire. Gertrude : Ouais, et puis pouvoir se marier avec lui, et, en fait la fée lui dit : “Moi, je ne peux pas t’aider mais tu peux aller voir la sorcière... (hésitation) des mers, mais, je ne sais pas ce qu’elle va te proposer parce qu’elle n’est pas forcément gentille.” Alors la petite sirène en a gros sur le coeur. Elle répond : “Eh bien tant pis, je suis prête à tout accepter, tant pis je vais voir la sorcière.” et elle va voir la sorcière. MM : Elle va voir la sorcière ? Désillusion et renoncement au père, retour vers la mère. Pour la circonstance, la mère est idéalisée. Les mots “en plus” signent l’oedipe non dépassé. Secondarisation difficile. Evidemment, pour avoir le père, il faut affronter la mère. Rappel de la consigne. Elle ne veut pas de “ravage” (Chatel, 1998). Bonne et mauvaise mère sont en collusion, voire complice. Le sujet se défend par identification à l’agresseur. 163 Gertrude : Donc, elle va voir la sorcière et la sorcière lui propose un marché : “Donc, euh,.. ok je te donne des jambes pour retourner à la surface pour retrouver le prince charmant mais, tu me donnes ta voix et ta beauté. Non, on partage la beauté plutôt.” (rire) MM : On partage la beauté ? Gertrude : Ouais. Vous pensez que ça... MM : (coupe la parole). Donc elle a des jambes mais elle n’est plus aussi séduisante, c’est cela ? Gertrude : Euh,... si, elle reste belle mais la sorcière aussi du coup. Donc ça fait une moyenne. MM : Ah, d’accord. Gertrude : (franc rire) MM : Et, y a-t-il une condition pour le mariage avec le prince ? Gertrude : Oui, justement, la sorcière lui dit : “Il faut aussi que tu arrives à conquérir le prince au bout de trois jours sinon,... Euh,... Sinon,... eh bien,... eh bien, tu meurs, si tu n’arrives pas à conquérir le prince, tu meurs. Et puis moi, je vais arriver avec mes jambes, ta belle voix et puis,... je suis aussi belle que toi, donc,... euh.. (silence).” MM : Oui ? Gertrude : La petite sirène, elle retourne voir le prince,... (silence). MM : Oui, (silence) et alors ? Gertrude : ...qui effectivement la trouve très très jolie mais,... euh,... (silence). MM : Ils ne peuvent pas communiquer entre eux ? L’envie de la mère est perçue par le sujet qui construit un compromis acceptable. Recherche de l’approbation : transfert narcissique (Bergeret, 1997) visant à dissiper la culpabilité causée par la prise de conscience de l’envie de la mère. Mouvement contre transférentiel visant à ne pas être “le grand”. Difficile gestion de la culpabilité. La résistance contre transférentielle échoue finalement. Gertrude est contente d’avoir gagné. “Ravage” (Chatel, 1998) ou mort psychique, tel est le dilemme. “Ravir” (Chatel, 1998) à son acmé. Gertrude prend la place de la sorcière, confirmant ainsi la défense par identification à l’agresseur. 164 Gertrude : Ben non, elle a plus sa voix. Elle a plus sa voix, alors ils ne peuvent pas parler. Il la trouve très jolie, mais euh,... il la trouve de compagnie agréable mais sans plus, quoi. Il imagine pas du tout, euh,... MM : Comme dans le conte d’Andersen ? Gertrude : Il imagine pas du tout de l'épouser en fait. Avant même que la petite sirène arrive, il était prévu qu’il se marie et, en fait, euh... il fait part de tout cela à la petite sirène sans se rendre compte que,.. elle,.. elle est amoureuse de lui. En fait, elle devient,... vis à vis du prince,.. elle devient très très malheureuse parce que, elle se dit, euh... MM : Lui devait se marier avec une autre jeune fille. Une “terrestre” donc ? Gertrude : Oui, oui, et euh,... (silence) et en fait les trois jours sont bientôt écoulés et elle a toujours pas conquis (silence) le prince. (silence) Et euh,... (silence). Ah j’ai perdu le fil (franc rire)...” MM : Je vais faire le point. Elle est malheureuse, elle ne peut pas communiquer avec le prince, il est prévu qu’il se marie avec une jeune fille et la sorcière est au fond de la mer, elle a la voix de la petite sirène et est aussi belle qu’elle. Gertrude : Ah oui ! Bon, donc en fait les trois jours,... les trois jours arrivent, elle n’a toujours pas conquis le prince et, en fait, elle se sent faiblir, quoi, elle se rend compte qu’elle va mourir, elle faiblit, elle faiblit. Dénarcissisée, elle ne peut plus établir un lien objectal. Secondarisation rendue difficile par la violence du conflit oedipien non résolu. Secondarisation finalement impossible. L’alternative “ravage”-mort psychique débouche sur le renoncement total en raison de la culpabilité. 165 Et, à ce moment là, il y a ses soeurs qui arrivent et qui lui disent : “Mais, il faut que tu trouves une autre solution, on a une autre solution à te proposer, parce que là, tu vas mourir, c’est sûr que tu vas mourir et que tu n’auras jamais le prince. La seule solution c’est que tu tues le prince. De toutes manières tu ne l’auras pas, donc si tu tues le prince, tu peux redevenir sirène, tu pourras nager et revenir parmi nous. Et, par contre, si tu le fais pas, tu vas mourir et, en plus, tu n’auras pas le prince.” Alors la petite sirène, elle dit : “Non, c’est impossible. Je l’aime trop. Je préfère mourir.” Alors elle voit le prince s’en aller avec quelqu’un d’autre. Et, euh... en fait, à ce moment là il y a la sorcière qui se pointe et qui fait un numéro de charme au prince. (rire) La petite sirène, elle est, euh,... elle est mourante. Les soeurs de la petite sirène viennent et expliquent au prince ce qui s’est passé, que c'était une petite sirène et qu’elle voulait devenir une femme pour pouvoir l'épouser, et que la sorcière lui a proposé un marché pas très sympa, et que la petite sirène va mourir, et que la sorcière va venir faire du charme. Et, euh,... en fait, euh,... le prince euh,.. le prince tombe amoureux de la petite sirène (long rire) ... Cependant, la mort psychique ne guérit pas de la frustration qui risque de tarauder Gertrude toute sa vie (“en plus” tu n’auras pas le prince). Le renoncement l’emporte cependant. La mauvaise mère dispose d’un pénis qui lui permet de (se) pointer. Tant qu’à échapper au sujet, l’objet d’amour doit rester sous la coupe de la mère. Le “ravir” (Chatel, 1998) se scelle. Retournement de dernière minute dû à une intervention externe (les soeurs). On peut supposer que c’est ce que Gertrude attend d’une thérapie. MM : Finalement.. Gertrude : Finalement, oui, et, il l’embrasse, et c’est la sorcière qui meurt, et euh,...(silence) MM : ... et tout va bien ? Gertrude : Oui, tout va bien. (rire) MM : Vous voyez que vous y êtes arrivée, tout de même, à fabriquer votre propre histoire. Vous vous y sentez bien ? Gertrude : Euh,... oui,... ça va... MM : Si Walt Disney en avait fait un film, vous l’auriez aimé ? 166 Gertrude : Oui, je crois,... MM : J’ai une dernière question qui est plus personnelle : vous aviez une soeur, je crois,... Gertrude : Oui, oui,... MM : Y avait-il une préférence, c’est à dire, votre mère préférait elle une de ses deux filles ? Gertrude : J’en sais rien, mais en tout cas, quand j’étais petite, j’étais persuadée que c'était ma soeur la préférée. J’en étais absolument sûre. MM : Bien, nous avons fini, il me reste à vous remercier encore pour votre participation. La soeur conformiste était fantasmée “préférée” lorsqu’elle était enfant. 167 FIGURE 20 Odile ex Militaire de carrière sorti du rang (2ieme Classe --> capitaine) Indochine - Algérie Ne boit pas - Ne fume pas Diacre ex militaire de carrière Famille très catholique de la Mayenne Séparation de Odile mal vécue Garonne Marie Pierre Elisabeth René Caroline Edouard Lucie Evelyne Parrain de Paul Luc Poitiers Gauthier Les grands mères de Odile et Léon étaient soeurs Rencontre à 16/17 ans, Odile était en 1iere Se perdent de vue Se retrouvent à 22 ans Partie en Afrique Myriam Léon - 13/07/57 Agent administratif - Ministère de la Défense S 87 D 90 Commercial illustration Odile - 09/09/61 M ? Consultante photo Anatole 23/08/60 Habite ancien appartement de Anatole Guillaume 05/89 Reconnu par Léon UL 92 Virginie Employée dans une pharmacie Marie Agathe Cécile 16/03/91 12/04/93 26/09/95 16/03/91 Paul 23/12/83 2 ans 1/2 lors de la séparation 6 ans 1/2 à la mort de sa soeur Pense l'avoir tuée Veut être illustrateur (1997) Passion pour le roller Otites frequentes Maux de dent Premiers signes de la puberté Est inquiet de sa petite taille Origine Auvergnate Parents très catholiques Long voyage en Asie avec Léon en 92/93 La petite fille aura un nom gaullois. Mis en internat (sept 1998) Attiré par bande dessinée (jan 1999) Opposé à dessin assisté par ordinateur Cécile souffrait d'une maladie génétique qui n'a pas été détectée à temps. Marie souffre de la même maladie qui est une anémie pour laquelle les traitements sont très lourds. Manifestations ashmatiques Angoisses d'étouffement (oct 1998) Achat nouvelle maison (Jan 1999) 168 A5 - 3 - Odile Les éléments suivants sur Odile ont été rassemblés au cours de 12 séances de thérapie familiale avec elle, son mari, ses deux petites filles et son fils. Le motif de la consultation était un comportement pathologique du fils qu’elle a eu avec son premier mari (opposition à sa mère, conflits, caprices). Les dates et horaires des consultations ont toujours été respectés, sauf le jour de la passation et le mois suivant. A5 - 3 - 1 - Elément sur le sujet (la fille) Odile a 38 ans et est la seconde d’une famille de 5 enfants. Affectivement, elle n’est la femme de personne tout en étant celle de plusieurs hommes. Pas tout à fait séparée de son premier mari, elle n’accorde pas au second toute les prérogatives de sa situation et, par exemple, ne le laisse pas prendre sa place de père. En outre, elle place son fils (du premier mari) dans une position telle qu’il peut penser être au même rang que son beau père. Les séances de thérapie familiale ont mis en évidence une difficulté de communication entre Odile et le reste de la famille, et surtout avec son fils, consistant en la nécessité d’un “palabre” afin d’organiser sa pensée avant une prise de position claire sur quelque sujet que ce soit. Les séances démontrent que la versatilité des décisions troublent profondément les rapports intrafamiliaux. Le mot “palabre” a d’ailleurs été introduit par le thérapeute pour illustrer ce mécanisme. Cependant, d’autres séances ont permis une élaboration plus fine des modes de communication et la mise à jour du fait que Odile joue à la fois sur l'indécision et sur la confusion des rôles masculins (père, beau père et fils) au sein de sa famille. Elle est très angoissée par les résultats scolaires de son fils et ceci provoque des tensions brusques et violentes. Celui ci souffre d'otites à répétition. En séance de thérapie, elle est remarquée pour sa capacité d’adaptation aux situations. Telle un caméléon, elle adopte une tenue vestimentaire en harmonie avec l’environnement : baba cool avec son premier mari, elle redevient bourgeoise proprette avec son second mari. Elle évoque une enfance sous la coupe de parents rigides n’admettant pas la fantaisie. A5 - 3 - 2 - Elément sur la fratrie Un frère et trois soeurs. La plus proche de ces soeurs était, semble-t-il boute en train et amusante, et qui a pu le rester malgré un environnement familial réputé étouffant. Le frère aurait bénéficié de plus de liberté que ses soeurs, suscitant de ce fait leur jalousie. A5 - 3 - 3 - Eléments sur la mère La famille est très catholique et fonctionne selon un schéma rigide où le père souverain décide et la mère exécute. Ferme et autoritaire, la mère est dure mais pas envahissante. Cependant, un modèle de comportement est imposé, modèle qui, s’il propose une grande solidarité au sein de la famille, a pour contrepartie de ne laisser aucune place à la fantaisie, surtout si elle a une connotation sexuelle. 169 La séparation de Odile d’avec son premier mari a été très mal vécue bien que le mariage ait été lui aussi mal vécu. Il existait cependant entre les deux familles un certaine connivence dans la rigidité puisque le père du premier mari était un militaire de carrière, rigide comme le père d’Odile (ne fume pas, ne boit pas). Un autre fait important à signaler est que la grand mère du mari actuel d’Odile et la mère de la mère d’Odile étaient soeurs. Cette consanguinité est cause de la réapparition de la maladie génétique familiale. A5 - 3 - 4 - Eléments sur le père Le père règne sur la famille, décide, même s’il n’est pas toujours assez présent, ce qui suscite le soupçon qu’il n’est pas si proche que cela. Ses édits ne rencontrent aucune opposition car la complicité avec la mère est totale, du moins sur ce plan. Il est clair que les passions doivent être contrôlées et que les plaisirs ne sont pas encouragés. Ancien militaire de carrière, il devient diacre à sa retraite. A5 - 3 - 5 - Eléments sur les maris Le premier mari est fantasque. Il correspond sans doute à une opposition au modèle familial rigide. Quoique employé dans l'armée, “mais pas comme militaire”, il rejette toute idée de devoir collectif et affiche un individualisme forcené. La première rencontre avec Odile a eu lieu alors qu’il étaient encore élèves dans le secondaire. Odile mentait sur les horaires des cours pour pouvoir le rejoindre et elle évoque volontiers l’attirance qu’elle avait pour cet homme. La découverte de ces manoeuvres a provoqué une sorte de drame familial. Séparés du fait des études dans des lieux différents, Odile et son premier mari se retrouvent alors qu’elle avait 22 ans. Ils se marient et se séparent 5 ans après. Le second mari est très conformiste. Sa défense principale est la rationalisation. Il a, par exemple, été à même, lors d’une séance consacrée au génogramme, de jeter sur le papier, dans le bon ordre, et correctement organisé spatialement, l’ascendance de son épouse ainsi que la sienne, avec les dates de naissance de tous les acteurs. Cependant, les séances montrent nettement un transfert narcissique (au sens de Bergeret, 1997) qui laisse entrevoir un Idéal du Moi prévalent, doublé d’un Surmoi rigide. A5 - 3 - 6 - Contre transfert Au niveau contre transférentiel, il est remarquable que cette passation a comporté trois niveaux : - avant la passation, en me rendant au CMPP par le train, la relecture rapide de l’histoire d’Andersen a provoqué chez moi une intense émotion au point que je n'étais pas sûr de pouvoir assurer sereinement le protocole (gorge serrée, envie de pleurer). Le temps d’arriver sur place, ces affects étaient dissipés. Il se trouve que la séance de thérapie familiale qui devait précéder la passation a été annulée par la famille après une série d’erreurs administratives. Odile est cependant venue exprès pour me rencontrer, ainsi qu’il avait été convenu. 170 - pendant la passation, les interventions intempestives d’Odile n’ont pas provoqué l’irritation habituellement ressentie en pareil cas. Au contraire, une sorte de complicité s'est établie dans les méandres de ces deux versions de l’histoire. Ainsi, quoique les relances en vue de faire prendre position au sujet peuvent paraître, à la lecture, un peu brutales, elles se sont faites calmement et sereinement. Par exemple, il y a résonance fantasmatique sur la scène primitive lorsque le chercheur et le sujet s’attardent sur l'hésitation de la petite sirène à tuer le prince. - après la passation, au cours de la transcription de la bande, je me suis trouvé, par contre, extrêmement agacé des hésitations et tribulations d’Odile. Je n’avais aucun souvenir d’une telle confusion. Au contraire, j’avais une impression de richesse et de clarté. Pour ce qui concerne les nombreuses fois ou Odile me coupe la parole, la réécoute de la bande n’a pas provoqué d’irritation particulière : il me semble qu’Odile n’a aucun contrôle sur des impulsions qui ne sont pas de nature agressive, et je ne me suis pas senti pas en danger. A5 - 3 - 7 - Transcription de l’enregistrement MM : Je vais vous rappeler l’histoire de la petite sirène Odile : Oui. MM : Il y a deux versions de l’histoire, celle d’Andersen... Odile : (coupe la parole) ...qui est celle que je connais, enfin, bon, on va voir, hein ? MM : ...et puis il y a une version qui a été créée par Walt Disney. Nous allons rapidement revoir ces deux versions et ensuite, vous allez créer votre propre scénario à partir des éléments de ces deux histoires. Odile : Ah bon. (air inquiet) MM : Mais, je vais vous aider. On va utiliser ces deux livres d’images dans lesquels les histoires sont illustrées pour les enfants. Odile : Oui, oui. MM : Dans la version d’Andersen, la petite sirène vit sous la mer, avec ses soeurs (A1 et A2). A l’anniversaire de ses quinze ans, chaque sirène est autorisée à monter à la surface pour voir à quoi ressemble le monde (A3). Odile : Oui. MM : Donc, à son anniversaire, la petite sirène monte à la surface (A4). Odile : Oui. MM : Elle voit un bateau et un prince sur le bateau. Une tempête se lève, elle sauve le prince, elle chante avant de le laisser, elle en tombe amoureuse (A5). 171 Odile : Oui, oui. MM : Comme elle très amoureuse, elle demande conseil à sa grand mère, qui lui dit : “Ecoutes, tu es une sirène et tu n’as d’autre solution que vivre ici.” (A6) Odile : Oui, oui, je me souviens. MM : Mais, elle ne l’entend pas de cette oreille et elle va voir la sorcière des mers (A7) qui lui propose un pacte qui consiste à lui donner deux jambes, opération très douloureuse, en échange de sa voix. Odile : D’accord, oui, oui, oui, pour l’instant ça suit assez bien la version que je connais, celle que mes enfants ont à la maison. Mais, pour l’instant, ça suit, peut être que sur la fin... MM : Ça, c’est ce qu’avait écrit Andersen. Il ne devrait pas y avoir de grosse différence avec ce que vous avez à la maison. Odile : Oui, normalement. MM : Bien, alors elle retrouve ses deux jambes (A8) (lapsus du chercheur : “elle a deux jambes” est la bonne formulation), elle rencontre le prince, mais, naturellement, elle ne peut lui parler parce qu’elle est muette. Cependant, le prince l'apprécie, mais il s'était engagé auprès de ses parents à épouser une autre jeune fille (A9). Il se trouve que c’est celle qui l’a ramassé sur la plage après que la petite sirène l’y ait laissé.. Odile : Oui, oui,... MM : La petite sirène est malheureuse (A10), elle avait trois jours pour que le prince tombe amoureux d’elle et,... Odile : (coupe la parole) Oui,... (hésitation) MM : ...et, c’est la fin du troisième jour. A ce moment, ses cinq soeurs sortent de la mer et disent : “On a réussi à convaincre la sorcière de faire un nouveau pacte, un avenant au premier pacte,... Odile : (coupe la parole).. Oui, oui,... Oui, oui,... (hésitation) MM : ... qui est que si tu tues le prince avant le coucher du soleil, alors tu pourras redevenir sirène.” Odile : Oui, oui, sinon elle meurt, oui, oui, c’est cela... (hésitation) MM : ...alors elle est sur le pont du bateau,... (A11) Odile : (coupe la parole) ...oui, hou, là, là, oui, c’est saisissant !...(rire) MM : ... alors elle soulève la toile de la tente et le voit couché avec sa jeune épouse,... 172 Odile : (coupe la parole) ...Oui, elle imagine que... (hésitation) MM : ... mais elle renonce, et, elle devient écume (A12). Odile : Oui, oui, je vois très bien ! MM : Bon (silence). Là dessus, Walt Disney, lui, a fait une version très différente. Vous avez vu le dessin animé ? (W1) Odile : Oui, bien sûr, avec les enfants. MM : Donc, le royaume sous la mer se présente de façon différente (W2). Odile : Oui,... MM : Là,... comment dire... Odile : (coupe la parole) Ah, ben c’est vrai qu’il n’y a pas de père dans l’autre histoire. Il n’y a pas de père (W3). MM : Et, dans celle ci, il n’y a pas de grand mère. Bon, alors le père organise une fête pour l’anniversaire de la petite sirène. Mais elle est absente parce que elle est fascinée par les objets de la surface et elle explore une épave pour en trouver. Odile : Oui,... MM : Toujours accompagnée de Polochon, le poisson qui est là (je le montre sur W4). Elle est poursuivie par un requin auquel elle échappe... (W5) Odile : (coupe la parole) ...de justesse... (air entendu) MM : Oui, de justesse. Ensuite, elle demande au cormoran à quoi peuvent bien servir ces objets (W6). Odile : Oui,... MM : Le cormoran a toujours des interprétations farfelues, par exemple, il dit que la fourchette est un peigne. Puis soudain elle se souvient que c’est son anniversaire, alors elle rentre et elle... (W8) Odile : (coupe la parole) ... se fait à peine houspiller par son père. MM : Pendant ce temps là, la sorcière, qui est une pieuvre, l’observe (W7). Le père, pour s’assurer que sa fille ne fait plus de bêtises lui adjoint un homard (W9). Odile : Oui, il lui colle un chaperon, quoi. MM : En quelque sorte. Donc, le homard la surveille. Un jour, elle monte à la surface (W11), elle aperçoit un bateau et sur le pont, il y a une fête, elle voit un prince 173 et l'équipage lui offre une statue à son effigie (W12). Il y a une tempête, le bateau coule, la petite sirène sauve le prince... (W13). Odile : ...sauve le prince, oui,... MM : ...et elle l’abandonne sur une plage et chante un peu pour lui (W14). Par ailleurs, le père de la petite sirène est très mécontent et détruit toute sa collection d’objets en particulier la statue du prince (W16). Odile : Oui,... MM : Les murènes qui sont aussi l’oeil de la sorcière, conseillent à la petite sirène d’aller voir la sorcière des mers pour trouver une solution (W17). La sorcière propose un pacte qui est la voix de la petite sirène contre des jambes (W18). Odile : Contre des jambes, oui... MM : Le pacte est le suivant : si le prince ne l’embrasse pas au bout de trois jours, alors elle perd sa liberté. Odile : Oui, c’est un peu comme l’autre histoire. MM : Oui ? Odile : Ben oui, dans l’autre histoire elle devient écume, alors,... MM : C’est la même chose de devenir écume ou la créature de la sorcière ? Odile : Non, non, tout à fait, elle perd sa liberté, elle devient une créature. Ah oui, oui, une créature de la sorcière, c’est pas la même chose. MM : Donc, elle donne sa voix (W19 et 20) (silence) et, (silence) elle a ses jambes (W21). Elle rencontre le prince, elle ne peut pas communiquer avec lui puisqu’elle a donné sa voix. Odile : Oui. MM : Ils s’entendent bien cependant (W22). Odile : Ouais. MM : Voire même le prince en tombe... (W23) Odile : (coupe la parole) Ouais ! MM : ... amoureux. Il en tombe tellement amoureux qu’il est prêt à l’embrasser, avant la fin des trois jours. Mais, les murènes l’en empêchent (W24). A ce moment l’histoire devient un peu plus compliquée parce que la sorcière se transforme en jeune fille (W25). 174 Odile : Ouais. MM : Et, la jeune fille possède la voix de la sirène, donc elle peut subjuguer le prince... (W26) Odile : (coupe la parole) ...par cette voix, oui, MM : Donc le prince est subjugué, en fait... (silence) cela rend la petite sirène malheureuse (W26B). Mais la jeune fille se regarde dans un miroir (W27) et le cormoran, par le hublot, voit dans le reflet sa véritable nature de sorcière. Odile : Oui, oui, c’est la sorcière. MM : Donc, le cormoran prévient la petite sirène (W28), qui va, péniblement, retrouver le prince sur le bateau, car elle nage avec ses jambes (W29). (silence). Et puis, avec l’aide de ses amis, elle reprend, elle arrache le coquillage qui contient sa voix et qui se brise (W30). Odile : Oui. MM : Donc, elle retrouve sa voix et peut expliquer la situation au prince, qui se souvient de son amour, et, ils vont s’embrasser... (W31) Odile : (coupe la parole) Voilà ! MM : ...mais trop tard. Odile : Mais trop tard : le soleil est déjà couché. MM : Oui, il est déjà couché. La sorcière se révèle telle qu’elle est (W32). Donc, la situation à ce moment, c’est que la petite sirène a perdu sa liberté. Odile : Oui,... MM : Alors, la deuxième version du pacte, c’est que le père de la petite sirène consent à donner sa couronne et sa puissance... (W33) Odile : (coupe la parole) ... à échanger, en fait, sa vie contre la sienne. MM : Echanger, oui, sa liberté contre celle de sa fille. Tout va très mal, mais le prince s’attaque à la sorcière, de façon dérisoire, en lançant un harpon qui l’effleure à peine (W34). Pourtant, cela suffit à déclencher la colère de la sorcière (W35), ce qui crée une tempête assez forte pour remuer le fond des océans et faire remonter les épaves. Odile : Oui. MM : Le prince s’empare d’une des épaves et s’attaque à la sorcière... (W36) 175 Odile : Ah oui, je n’avais pas réalisé que les épaves remontaient à la surface et que ce sur quoi était le prince, c'était une épave,... MM : Une épave ? Odile : Je croyais que c'était le même bateau que... qu’il y avait pas changement de décor par rapport au moment où ils se mariaient, où elle commençait à se marier avec l’imposteur. MM : On n’en sait rien, en fait. Odile : Ah oui, oui. MM : L'épave dont il s’empare, c’est peut être tout aussi bien celle du bateau qui a coulé au début. Odile : Oui, oui, oui,... MM : Donc, il s’attaque à la sorcière et il lui crève le ventre. Elle disparaît,... Odile : Oui. MM : ...le roi des mers retrouve sa puissance et sa couronne. Il découvre que sa fille est amoureuse et il utilise son trident magique pour donner à sa fille ce dont elle a besoin, c’est à dire des jambes (W37). Odile : Des jambes, oui,... MM : Donc, la vie est belle (W38), tout va bien, ils se marient (W39). (silence) Bon, maintenant, venons en à l’exercice dont je vous ai parlé, c’est à dire... Odile : (coupe la parole) J’ai les deux contes en tête, j’ai les deux histoires. MM : A partir de ces deux histoires, vous essayez de construire quelque chose qui correspond à ce que vous auriez aimé voir, ou que vous auriez aimé lire lorsque vous étiez petite fille. Chaque histoire est une base et vous pouvez aller de l’une à l’autre ou entre les deux. Odile : Oui, il faut que je construise ma propre histoire, c’est pas facile. MM : Je n’ai pas dit que c'était facile. CONTENU MANIFESTE Odile : Oui, oui, (silence). MM : Je vais vous aider un peu. Nous allons reprendre les étapes principales. On va déjà essayer de voir comment se présente le monde sous marin. Ici, (Andersen) il y a des sirènes, elles ont un père... CONTENU LATENT 176 Odile : (coupe la parole) ... s’il existe seulement ! Ah si, le Roi de mers est là (Disney). MM : Oui, le Roi des mers est là (Disney). La mère du Roi des mers intervient ici (Andersen). Odile : Oui, oui. Oui, oui. Bienveillante. MM : Ici (Disney) c’est différent, il y a des sirènes mâles. Odile : Oui, c’est un autre monde. Mais, c’est asexué : les sirènes mâles, elles ne sont pas très mâles. On voit pas très bien comment... (silence) MM : Il y a même des enfants sirènes. Odile : Oui, c’est vrai,... MM : Donc, ici (Disney) le Roi de mers est présent et... Odile : (coupe la parole) ... le Roi des mers... (silence). MM : Je crois que .. (inaudible) .. dans votre histoire à vous. Odile : Dans mon histoire ? C’est difficile parce que moi,... moi,... mon histoire, c’est plutôt la première petite sirène. MM : Dans votre enfance, oui. Odile : Oui, bien sûr, c’est celle que j’ai le plus lu. C’est une histoire que j’aimais bien quand j’étais petite. J’aurais bien aimé que la fin soit autrement. C’est peut être bien le moment de la refaire et de changer l’histoire,... (rire) MM : Précisément. (silence) Odile : Mais, je trouvais qu’elle était belle, quoi,... (silence) MM : Donc, on est dans ce monde là (Andersen). Le monde maternel exclut le père. Bref passage d’une scène primitive immédiatement refoulée. Décidément, le père doit rester en dehors du décor. 177 Odile : Oui, je pense que oui. J’ai toujours eu un peu de mal avec les Walt Disney, c’est un truc d’adulte. Les contes sont beaux, ils avaient un sens, et, les transposer dans le temps,... c’est plus pareil, ou alors c’est parce que ce sont les contes de l’enfance et que je suis plus attachée aux contes de l’enfance. C’est peut être cela aussi. Mais, ouais, je le vois plus comme cela (Andersen). MM : Donc, on est dans ce monde où à l’anniversaire de leurs 20 ans, elles sont autorisées à aller voir la surface. Odile : A la surface, oui,... MM : Pour voir à quoi ressemble le monde. Odile : C'était 20 ans ? Je croyais que c'était 15. MM : Oui, c'était 15 ans, vous avez raison. Odile : Enfin bon ! à une étape de leur vie. MM : Oui, et, si vous vous souvenez, dans l’histoire d’Andersen, chaque soeur voit quelque chose de différent. Odile : Effectivement, chacune raconte à ses soeurs et elles entretiennent ce désir d’aller voir. MM : Alors, il arrive quoi dans votre histoire ? (silence) Racontez là donc ! Odile : Bon, (silence) alors la petite sirène tombe sur un navire et elle est un peu fascinée par ce qu’elle voit, pas seulement par le prince mais aussi,... là,... je suis en train de me perdre un peu dans l’autre histoire. MM : Allez y,... Odile : Dans l’autre histoire elle voit aussi la voile, le gréement, la liberté des êtres humains. Elle ressent peut être son,... océan un peu,... comme une prison quelque part, sans doute parce qu’il y a aussi l'autorité paternelle qui agit, euh,... MM : Vous la mettez dans votre histoire, l'autorité paternelle ? Difficile justification du monde sousmarin choisi. A noter la confusion des temps des verbes, le relâchement du langage et les hésitations. Echappatoire pour éviter l'évocation de la découverte de la sexualité. Celle des premiers rapports sexuels. Curiosité sur la sexualité entretenu au sein de la fratrie. Le monde maternel serait parfait sans la présence du père. 178 Odile : Elle est,... c’est difficile de s’approprier l’histoire,... (long silence) Elle est là aussi, je pense, elle est là aussi, bien sûr. MM : Simplement elle est... Odile : (coupe la parole) Là il y a un dégoût et un conflit, alors que la vie sous marine, celle de mon,... de cette petite sirène,... sans doute un peu,... celle,... enfin, celle avec laquelle j’ai le plus de facilité à me l’approprier, c’est une vie douce, c’est une vie harmonieuse, il y a,... pas beaucoup de conflits, c’est quelque chose de très soft, quoi,... Alors que dans l’autre histoire, ça l’est moins. MM : Oui, peut être. Donc, on est,... Odile : (coupe la parole) Oui, oui, pour l’instant,... MM : ... à la surface et elle est attirée par,... Odile : (coupe la parole) ...par la fierté, par la beauté du prince, elle est attirée par l’homme, quoi, par l’autre sexe. Elle devait pas avoir conscience de ce que pouvait être son sexe avant cette petite sirène,... MM : Ça, je ne sais pas,... (silence) Odile : (rire) Ça, c’est peut être dans mon histoire (rire), ben si ! je pense qu’elle était une enfant, elle peut monter à la surface et peut être aussi découvrir qu’elle est un peu autre chose et elle peut être attirée par quelque chose qui ne se trouve pas dans son monde sous marin, et qu’elle a envie de découvrir. MM : Oui. Odile : Un prince qui n’appartient pas au même monde qu’elle et qui,... eh ben, pour pouvoir l’atteindre, il va falloir qu’elle,... qu’elle,... enfin, c’est pas aussi aisé et immédiat que ça. MM : Bon, maintenant, il y a naufrage et elle sauve le prince et on en est là (A5). Ici (W15) elle entre en conflit avec le Roi des mers et là (W16),... Grande difficulté a élaborer le rôle du père rival dans la petite enfance. A la puberté, les transformations du corps, la poussée hormonale provoquent un séisme. Evocation pubertaire. de la reconstruction 179 Odile : (coupe la parole) Oui mais là (W16), dans celle ci le Roi des mers lui interdit de,... de,... se,... Là (A2), elle a,... MM : Oui, là il y a une tradition, à leur anniversaire,... Odile : (coupe la parole). Ah oui, oui, oui, moi, je me situe plus dans celle là (Andersen), ouais, elles ont le droit d’aller,... d’aller voir l’autre monde, d’aller à la surface. Alors que là (Disney), le Roi des mers l’interdit complètement, ne veut pas qu’il y ait d'échange. On ne sait même pas si les soeurs sont allées à la surface. MM : Pour ce que l’on en voit, les soeurs sont sages. Odile : Oui,oui, oui, oui,... MM : Donc, la,... Odile : (coupe la parole) ...là, la petite sirène elle a transgressé un interdit en allant déjà à la surface, quoi. Alors que là, elle a,... elle a,... elle y est allé parce que c'était,... c'était,... le moment et c'était,... MM : ... son cursus ? Odile : Oui ! elle a grandi. MM : Bon, donc, elle est amoureuse, cette petite sirène, le prince est un humain, alors, qu’est-ce qu’elle va pouvoir faire ? Odile : Ben, dans mon histoire elle va trouver quelqu’un qui peut l’aider à,.. à surmonter cet obstacle et à,.. dire tout l’amour qu’elle ressent pour ce,... pour ce prince. MM : Oui,... Odile : Ah mais attendez, j’ai sauté quelque chose, moi, c’est qu’elle le sauve non, qu’elle va voir la,... MM : Après avoir sauvé le prince, elle en tombe amoureuse. Odile : Oui, c’est cela. Oui, oui, c’est cela. MM : Donc, dans votre histoire, il y a bien naufrage et,... L’interdit de la sexualité est ici un interdit paternel. Il y a de l’incestuel dans l’air. “ce prince” ? un parmi d’autres ? 180 Odile : Il y a naufrage, donc là elle est,.. le,... parce que là, il y a encore un peu de distance entre le,... entre le prince et elle, entre son monde à elle et son monde à lui. Avec le naufrage, elle se rend peut être compte que ces mondes sont peut être pas si éloignés et qu’ils peuvent,... qu’il peut y avoir des échanges et qu’elle peut rentrer en contact avec le prince, elle peut le toucher, elle peut le sentir, elle peut,... lui même est sensible aussi à quelque chose car il entend sa voix, il se rappellera... MM : Il faut donc qu’il y ait naufrage. Odile : Ben oui, parce que je pense que ça rapproche quelque part le,... de,... sinon c’est trop lointain MM : Vous auriez pu concevoir autre chose. Ils auraient pu se faire des signes par exemple. Odile : Non. Ça change tellement ! Ça change toute l’histoire s’ils se voient. Parce que le prince aurait réagi à ce qu’elle est, une sirène. MM : Dans un conte tout est possible. Odile : Mais ce n’est pas mon histoire à moi. Dans mon histoire le naufrage est nécessaire pour que la petite sirène se rapproche de lui et en passe par l'épreuve de perdre sa voix pour avoir des jambes pour aller,... pour vivre,... MM : Donc, il y a naufrage. Alors, elle en parle avec qui sous la mer ? Odile : A la grand mère bienfaisante, (rire) bienveillante. Ça, ça me plaît bien parce que j’ai une grand mère comme cela. C’est un bon rôle de grand mère, de prodiguer des conseils, qui parle pas pour elle hein, de mettre en garde et de pas imposer quelque chose comme pourrait en imposer un père, justement, ou,... ou une mère. MM : Son conseil, c’est d’oublier le prince ? Evocation du “ravage” (Chatel, 1998). L’adulte aurait rejeté la petite fille. Le “ravage” est nécessaire. Identification à la vraie grand mère, moins rigide que la mère. 181 Odile : Oui, elle conseille d’oublier. Oui, mais enfin, c’est ambivalent. Elle conseille d’oublier mais elle dit quand même que la sorcière du fond des mers, oh pardon, la,... (silence) MM : Dans le conte, ce n’est pas la grand mère qui conseille d’aller voir la sorcière. Toutefois, tout le monde sait qu’il y a une sorcière. Odile : La sorcière, c’est quand même la,... Ah bon ! c’est pas la grand mère qui conseille ? MM : Ce peut être la grand mère si vous le voulez. Odile : Oui ! j’ai envie de dire oui, alors mon histoire,... (silence) MM : Dans le conte lui même, je peux vous donner les détails,... Odile : (coupe la parole)...elle va avoir quoi alors pour,.. pour pouvoir lui dire “oublie.”, il faut qu’elle lui dise aussi : “Il y a une vie qui t’attend, qui va être belle, tu ne la connais pas.” Il faut lui laisser entrevoir que sa vie au fond des mers,... MM : Les sirènes, c’est ainsi. La grand mère ne peut pas grand chose. Odile : Dans mon histoire, la grand mère, elle met un petit peu en garde mais elle est là aussi pour lui dire : “C’est ta vie. Si tu sens que ta vie, c’est quelque chose, un monde, que tu peux concevoir, intégrer, au dessus du tien, qui n’est pas le tien mais que tu peux quand même,... que vous pouvez quand même vous rencontrer. Je ne peux pas t’aider, mais,... mais,...” (silence) MM : Donc, elle susurre, elle suggère, qu’une visite à la sorcière,... pourrait,... Odile : Ouais. MM : On arrive donc à la sorcière et au pacte. Il y a deux variantes du pacte,... Odile : Il est vrai que dans mon histoire à moi, elle n’est pas,... la sorcière n’est pas,... maléfique comme elle est ici, elle a,... (silence) Identification à l’agresseur. Confirmation de la collusion entre bonne et mauvaise mère. Tentative de restauration de l’image de la bonne mère qui a “trahi”. 182 MM : Les deux sorcières (Andersen et Disney, les deux livres sont ouverts) sont maléfiques. Odile : Oui, oui, mais là (Andersen) elle propose un,... enfin, je dirais,... elle est honnête,... enfin, elle est honnête, elle est honnête avec la petite sirène, elle lui dit : “Je te donne ces jambes, en échange, je prends ta voix, t’acceptes, t’acceptes pas, mais au bout des trois jours, voilà ce qui se passe. Si,... si,... si tu ne te fais pas aimer, tu,... tu,... je veux dire,...” Elle donne le pacte, la petite sirène l’accepte et après, elle n’intervient plus. Tandis que dans l’autre histoire, elle intervient. MM : Dans l’autre histoire,... Odile : (coupe la parole) ...et puis, dans l’autre histoire, la sorcière, c’est pas la petite sirène qui l'intéresse, c’est la puissance, le souhait de pouvoir régner, le fait de pouvoir s’approprier le sceptre du Roi père. Alors que là,... MM : ...c’est la voix qui,... Odile : (coupe la parole) Oui, c’est la,... je sais pas,... est-ce que ça l'intéresse, oui, je sais pas. MM : C’est ce que dit le pacte. Odile : Oui, oui, c’est sûr. Elle pourrait même lui demander en échange,... (silence) MM : Le pacte dit : “Je prends la voix.” dans tous les cas. Ensuite, les termes changent un peu selon la version. Odile : Elle pourrait ne rien demander. Elle fait un marché ! Moi ça me choque pas qu’elle fasse un marché, c’est quand même énorme ce qu’elle demande la petite sirène, d’avoir de jambes, elle peut pas,... euh,... il faut faire des concessions, faut qu’elle accepte de donner quelque chose d’elle, elle sait que ça va être,... remarquez, il y a deux choses : non seulement ça va lui faire mal et elle va souffrir le martyre, mais en plus elle va pas pouvoir s'échapper. La mauvaise mère n’est pas perverse. La dénarcissisation est acceptée afin d'éviter l’apparition de l’envie chez la mère. La carence narcissique de la mère la rend revendicatrice. La culpabilité est à l’oeuvre : se séparer de la mère va blesser celle-ci. Nous sommes dans le scénario de l’enfant “pansement”. 183 MM : Oui, dans le conte d’Andersen, elle souffre le martyre. Odile : Oui, c’est vrai. Je vais me précipiter sur le livre en rentrant à la maison. Je ne sais pas si j’ai encore l’ancienne version. Sûrement quelque part. MM : Il y a eu des variantes de traduction ou des petites modifications apportées par les éditeurs. Odile : Oui, je sais. MM : Donc, dans votre histoire à vous, il y a une sorcière qui,... Odile : (coupe la parole) ... une sorcière qui donne un marché, qui est sévère, mais elle prévient la petite sirène et la petite sirène accepte le marché. Parce que la sirène,... enfin, je veux dire, la sorcière à la fin elle est quand même,... elle accepte aussi de redonner à la petite sirène,... enfin,... elle lui donne une chance de rester petite sirène. C’est comme cela que je la comprends. MM : Dans l’histoire, les soeurs,... Odile : C’est parce que les soeurs intercèdent. Ah oui, c’est ça, alors à nouveau c’est un marché. Avec une sorcière, il y a toujours un marché à faire. MM : Dont le prix est la chevelure,... Odile : Oui, je me souviens de cela. MM : Donc, dans votre histoire,... Odile : (coupe la parole) ... dans mon histoire, j’ai pas le sentiment qu’elle cherche à détruire la petite sirène, la sorcière. (silence) MM : Elle n’est pas si méchante que ca. Odile : Oui, MM : Enfin, d’abord elle est,... (inaudible). Odile : Oui. MM : Et, ce qui l'intéressait, c'était la voix. Elle l’a,... Bien entendu, car elle en a besoin. 184 Odile : (coupe la parole)...Parce que, à la fin de l’histoire, si la petite sirène redevient petite sirène, elle ne récupère pas sa voix ? MM : Non. Odile : Non ? L’histoire ne le dit pas ! MM : Le premier pacte dit : en échange de jambes, elle perd la voix. Soit le prince l’aime, soit il ne l’aime pas et elle meurt. Le second pacte n'évoque que la queue de poisson. Odile : Ah bon ! Oui,.. oui,.. d’accord,... MM : Donc, c’est bien cela ? Vous vous éloignez de cette histoire là (Andersen) ? Odile : Oui, parce que dans cette histoire là, il y a une histoire de,... de,... comment dire,... la petite sirène est un peu,.. un peu un jouet, oui ! un jouet entre les mains de la sorcière. Alors que là (Disney),... j’ai,... le sentiment,.. elle est quand même un peu actrice de son,... de son sort, elle choisit d’accepter le pacte. MM : Donc, nous avons fini avec le pacte. On va essayer de progresser. Il y a deux,... si vous voulez,... dans un cas le prince la considère comme une petite soeur, il l’aime bien,... Odile : (coupe la parole) ...oui, mais il n’a pas d’amour pour elle ! MM : ... tandis que là (Disney), bien qu’elle soit muette, il en tombe amoureux. Vous avez une préférence pour votre histoire ? Odile : (très long silence). Oui, je préfère celle là pour le coup (Disney), parce que, dans celle ci (Andersen) il ne la reconnaît pas parce qu’il n’a intériorisé que le son de sa voix. En fait, quand elle l’a sauvé, il n’a entendu d’elle, enfin,... il n’a vu d’elle, senti d’elle, que sa voix. Il ne la reconnaît pas au travers d’autre chose qu’elle pourrait être, avec des jambes, un regard. Odile est visiblement inquiète que le retour dans le giron de la mère se fasse avec une perte narcissique. Le sujet évoque un lien objectal. 185 MM : Ce serait donc un mariage difficile dans le premier cas, tandis que là (Disney) il en tombe amoureux sans concession. Odile : Oui, (long silence). Oui, mais avec quand même un petit doute ! parce qu’il y a des moments où,... où,... MM : Où ? Alors, votre histoire ? Odile : Eh ben, c’est sûr que c’est celle ci (Andersen) qui représente,... qui est,... difficile,... elle est plus dans le cours de l’histoire que j’ai choisie jusqu'à présent, donc,... je vois pas très bien comment,... MM : Donc, le prince n’en tombe pas amoureux ? Odile : (silence). D’un autre côté, ça me contrarie de me dire que le prince n’en tombe pas amoureux simplement parce qu’il ne peut pas parler avec elle. MM : Le prince, il a en vue une autre jeune fille. Odile : Oui, oui, tout à fait. MM : Alors ? Odile : Bon,... ben,... il tombe amoureux d’une princesse qu’il a aperçu comme ça et à qui il a attribué un geste qu’elle n’a pas fait, quelque part, c’est,... (silence) MM : Oui, on peut se poser beaucoup de questions. En particulier sur la qualité de la communication entre le prince et cette jeune fille. Odile : Oui, ils n’ont pas parlé du naufrage et du sauvetage. MM : Je ne sais pas. Il faudrait vous décider quant au cours de votre histoire. Provocation du chercheur qui cherche à trouver une issue aux hésitations d’Odile. Tentative pour évoquer que “ne pas parler” et “ne rien dire” ne sont pas équivalents en termes de communication. 186 Odile : Il faut me décider. (silence) Ah ben moi,.. moi, j’aurais envie que le,... que le prince,... que cette histoire se termine bien, pas qu’elle se termine mal,... j’aurais préféré que le prince finisse par reconnaître que cette petite sirène,... enfin,... je veux dire,... cette jeune femme avec des jambes, avec laquelle il s’entend bien, finalement, cette petite sirène,... c’est elle qui l’a sauvé et c’est elle qu’il a dans la tête quelque part comme un être un peu idéal et que,... bref,... (silence) MM : Donc, il en tombe amoureux ? Odile : Donc il en tombe amoureux ! (rire) Ah oui ? ça change ! MM : Et le deuxième pacte ? effacé ? Odile : Plus de deuxième pacte ? je ne sais pas si j’ai le pouvoir , moi, de faire changer cette histoire. Même,... (silence) MM : Si, si, vous avez le pouvoir d’imaginer ce que vous auriez aimé,... Odile : (coupe la parole) ...ah, ça, ça aurait été simple, il aurait fallu des épreuves, il aurait fallu que ça s’arrange à la dernière minute, qu’on arrive sur le coucher du soleil juste au moment où,... juste avant que,.. le soleil sombre, que le prince a un flash ou quelque chose, que les soeurs arrivent et,... disent : “C’est elle !”, et qu’elle ne devient pas écume. L’histoire qu’enfant je voulais, c’est ça que je voulais. Ça c’est clair. MM : Si vous exprimiez cela avec des mots, toutes ces péripéties, ça ferait comment ? Odile : Ça ferait comment ? (très long silence) (soupir) Qu’est ce qu’il pourrait y avoir ? Si ça se termine comme cela (Andersen), c’est que sans doute ça devait pas pouvoir se terminer autrement. Peut être que la,... la,... le fin mot de l’histoire c’est que, réellement, le monde sous marin et le monde des vivants ne sont pas faits pour se rencontrer. C’est peut être cela aussi, même si,... (silence) Confirmation que le lien objectal est le mode de relation souhaité. Sommes nous finalement arrivés au désir d’Odile ? Une intervention extérieure pour résoudre le dilemme (une thérapie ?) est évoquée. L'évocation du monde des vivants implique que le monde sous marin est le monde des morts. A l’inverse, Perséphone n’est séparée de sa mère que lorsqu’elle est Reine du monde des morts. 187 MM : Quelle est votre décision ? Odile : Ben, ma décision, c’est que je voudrais qu’il en soit autrement ! Mon histoire se termine bien mais je ne vois pas, je ne vois pas,.. qu’est-ce qui peut faire, à quel moment,... qu’est-ce qui peut faire changer le cours de l’histoire. A moins que,... la jeune fille sur laquelle le prince s’est fixé,... je sais pas,... se révèle être une autre, ou c’est la sorcière qui s’est déguisé comme ici (Disney) et que,... MM : Cela vous paraîtrait plausible que la sorcière se “déguise” ? Odile : Dans cette histoire là, non ! non parce qu’elle est pas,.. parce que autrement,.. la,.. la sorcière, elle est,... elle est pas faite, justement, pour monter dans le monde aérien. La sorcière elle est,... enfin je veux dire,... elle aussi elle transgresse quelque part,... dans la vie de la petite sirène en,... en se,... (silence) MM : C’est une sorcière. Odile : Oui, voilà ! c’est une sorcière. Mais aussi,... je sais pas,... dans cette histoire là,... elle reste une sorcière mais elle a bien des pouvoirs de sorcière “sous marin”, elle a pas des pouvoirs de sorcière du monde,... aérien. MM : Ses pouvoirs sont limités à son propre monde ? Odile : Voilà, voilà, je la vois pas,... ce ne serait pas cohérent avec,... avec l’histoire du début (silence). Alors que se passe-t-il ? (silence) oui, oui, mais,... MM : Imaginez ce qui vous aurait plu. Curieuse non décision consistant à reconnaître l'impossibilité de réalisation du désir. Pas de “ravir” donc (Chatel, 1998). Tentative pour faire réaliser à Odile son déni de la méchanceté de la sorcière. Le sujet clarifie enfin son désir : il faut que la mère reste en dehors de la relation au mari. 188 Odile : Ce qui m’aurait plu,... ce qui m’aurait plu,... c’est que,... ah non ! ça m’aurait pas plu, ça, parce que,... bon, elle avait quand même le couteau à la main à un moment donné et elle retrouverait,... retrouve sa liberté. Mais ça, ça m’aurait pas plu, c'était pas la fin que je voulais pour elle, la fin que je voulais pour elle, c’est qu’elle tue sa,...(long silence) MM : Si elle tombe amoureuse, elle voudra... Odile : (coupe la parole) ...oui, mais ce que je veux c’est qu’elle retrouve sa liberté et pas qu’elle devienne écume de mer. Parce que,... moi,... elle est sincère, elle est sincère avec elle même,... elle va,... elle va,... comment dire,... au bout de,... de,... son malheur, elle est cohérente, elle est vraiment tombée amoureuse de ce prince, elle peut pas tuer l'objet de son amour. Donc, son geste,... son geste doit être cohérent jusqu’au bout. MM : Son geste sera donc cohérent. Odile : Oui, mais, ce que je trouve,... mais,... elle meurt pour cela,... c’est un peu,... c’est un peu sévère, quoi ! le constat c’est quand même bien que le monde,... le monde,... le monde sous marin est parfait (rire) pour,... heu,... pour vivre une vie agréable (voix presqu’inaudible). Ou alors, peut être que c’est au prince de faire quelque chose. Vous savez, il est assez passif dans l’histoire ! Elle est pas,... aussi,... (silence) MM : Bien, c’est à dire que quand on en était là (A8 et W22), ils tombent amoureux... Odile : (coupe la parole) ... Ouais, si tout va bien,... MM : Ensuite, le prince va pour épouser quelqu’un d’autre, peut être avait il promis à ses parents... “...la fin que je voulais pour elle, c’est qu’elle tue sa,... “ Sa rivale ou sa mère ? Reproche fait à l’homme de ne pas être assez fort pour réussir la séparation d’avec la mère. Peut être également, reproche fait à l’homme de ne pas être aussi fusionnel que la mère. 189 Odile : (coupe la parole) ... ç'aurait été diabolique si, tout en ayant prévu d'épouser quelqu’un d’autre il était amoureux,... tombé amoureux,... enfin,... de la petite sirène. En fait, il est,... est amoureux d’elle. MM : Dans votre histoire, ils tombent amoureux, c’est ce que vous avez dit. Odile : Ah oui, c’est vrai, ah oui, oui. Alors (rire), dans ce cas, il laisse tomber ses parents et il leur dit qu’il est amoureux de la petite sirène, et puis, j'espère pour eux qu’ils auront un fils, parce que je ne sais pas trop ce que cela peut donner un prince avec,... euh,... comment est-ce que ça vit un prince,... s’il est amoureux d’elle, elle devient complètement,... princesse. Ah oui alors, elle perd complètement son rôle de petite sirène. (long silence) MM : Oui, et alors ? Odile : (long silence) Elle,... elle,... elle ne peut plus retourner dans la mer. C’est dommage. MM : Alors, quelle est l’histoire ? Odile : Ben,... l’histoire, c’est celle là,... elle devient écume. MM : Vous revenez à... Odile : (coupe la parole) ...eh oui, je reviens à,... mois oui, parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas. (silence) avec une,... c’est vrai,... la destinée, c’est d'être écume des mers, elle trouve le bonheur qu’elle ne réussit pas à vivre autrement. MM : Dans votre histoire, le prince épouse la jeune fille ? Le lien objectal assure la séparation d’avec la mère. Immédiatement Odile réalise les conséquences de cette séparation. Les conséquences du lien objectal sont trop graves : la mort psychique est préférée. Le lien à la mère ne peut être rompu. Il procure une sorte de paix intérieure. 190 Odile : Ça, ça m'intéresse peu, après. C’est la petite sirène qui m'intéresse, moi, dans cette histoire ! C’est quand même elle qui,... ouais,... si,... j’arrive pas à me dire : “est ce que,... si le prince tombe amoureux d’elle,... bon, c’est vrai, elle est heureuse, elle va pouvoir passer à cet autre état de sa vie mais elle renonce à sa voix, et aussi au monde de ses soeurs et tout ca,... parce que,... est ce qu’elle aura,...” (silence) MM : Oui, dans ce cas, elle passe de l’autre côté du miroir, en quelque sorte. Odile : Elle est passée de l’autre côté,... MM : Elle peut vivre avec plaisir, mais en souffrant. Est-ce que pour vous, c’est très embêtant ? Odile : (long silence) Un petit peu,... quand même,... perdre sa voix,... (silence) Il faut qu’elle trouve une autre façon de communiquer sans sa voix, c’est sûr. (silence) Oui, c’est pas tant sa voix qui me gène finalement que de me dire qu’elle rompt complètement avec son,... son rôle de l’enfance, quoi ! Il doit bien y avoir un moyen de,... que ce soit pas complètement,... quelque chose qui meurt pas,... si ça meurt pas, elle n’est pas complètement détruite. MM : Elle a les souvenirs de l’enfance. Odile : Oui ! elle a des souvenirs ! (silence) Oui, oui, c’est vrai. Oui, c’est vrai ! Mais quand même ça fait bizarre. Si elle a des enfants, ils n’appartiendront qu’au monde des aériens, ils ne sauront rien de ce qu’elle était elle,... étoile dans le fond de la mer. MM : Ses enfants ne verront jamais cela ? Odile : Ne verront jamais cela. C’est dommage, ce sont les racines. MM : Oui, mais, enfin, c’est votre décision de la faire tomber amoureuse. Le chercheur tente une métaphore destinée à provoquer une prise de conscience. Le chercheur souligne le paradoxe de l'état adulte. Odile cherche une issue au paradoxe. Les enfants aussi appartiennent à la mère. 191 Odile : Oui, c’est vrai (silence) mais ça lui donne une responsabilité après. MM : Dans ce cas,... Odile : (coupe la parole) .. en fin de compte, je prends la décision de la faire tomber amoureuse. MM : Donc, elle tombe amoureuse du prince, il n’y a plus de jeune fille,... Odile : Ah oui, l’autre ! (rire) éliminée ! MM : Et il n’y a pas de seconde partie du pacte. Odile : Ben non, c’est plus la peine. MM : Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants,... Odile : (coupa la parole) Ça je ne sais pas. Ils se marièrent en tout cas. MM : Ils se marièrent, c’est tout ? (silence) Pourquoi pas d’enfants ? Odile : Ben, je vous le dis parce que c’est quand même,.... (silence) MM : Ils ne pourront pas aller au fond de la mer ? Odile : Oui, c’est un peu,... c’est dur de la priver aussi,... oui. MM : Bien, vous êtes bien dans votre histoire ? Odile : Je la trouve complètement, euh,... complètement bancale. MM : Oui ? Odile : Non, ce que je trouve bizarre c’est de,... de,... comment dire,... de,... d’essayer de,... la,... j’essaye de,.. de vivre l’histoire comme je l’aurais vécu quand je la lisais et quand c'était quelque chose d'agréable. Moi, je lisais beaucoup de contes comme ça. J’avais besoin de ça et je suis sûre qu’à l'époque où j’ai lu celle-ci je me disais : “Pourquoi est-ce qu’elle meurt, c’est pas normal.” C'était pas la fin que j’attendais du tout ! Je la réécris comme j’aurais aimé la lire quand j’avais neuf ou dix ans, quoi. Mais,... mais,... avec ce que je,... avec le recul de l'âge adulte je trouve ça complètement farfelu, c’est clair. Revirement à nouveau rétablissement du lien objectal. et Déni de la rivalité. La mère ne lui permet pas de devenir mère à son tour. Priver qui ? L’enfant ignore le désir et le plaisir, il ignore donc le dilemme que nous étudions. 192 MM : A l'âge adulte on en sait plus sur tout cela. Odile : Oui, oui,... ouais, non,... mais,... ce que j’aurais aimé écouter c’est pas cette fin là. Il y avait deux histoires que je trouvais vraiment dures, c'était la petite sirène que j’aimais bien quand même, et la petite marchande d'allumettes que je trouvais assez révoltante aussi. Parce que c'était quand même une fin,... encore quand même que, bon, celle ci on sait pas, la petite sirène elle est peut être heureuse de devenir écume des mers, c’est peutêtre aussi sa destinée que de,... MM : De toutes façons, dans l’histoire d’Andersen, elle devenait écume des mers au bout de trois cent ans. Odile : Oui, voilà ! elle a une vie plus intense, mais,... MM : ...mais elle avait pas d’âme. Odile : Mais, elle avait pas d’âme alors que là elle en a une. Ah, oui, oui, c’est vrai ça. MM : Eh oui, les petites sirènes n’ont pas d’âme éternelle. Dans le conte d’Andersen, la grand mère explique que le seul moyen d'acquérir une âme éternelle c’est d'être aimée et épousée par un homme. Odile : Donc en plus elle a pas d’âme. C’est trop dur ça ! MM : Ma foi, c’est votre histoire. Odile : Mon histoire, c’est que le prince tombe amoureux d’elle et qu’elle,... et qu’elle construise quelque chose avec lui. Enfin, oui,... c’est ça la fin. MM : C’est ca la fin ? Odile : Il manque quelque chose ! MM : En fin de compte,... Odile : C’est vrai que les enfants manquent,... remarquez,... au fond,... les histoires de sirènes au fond de la mer,... ben oui,... pourquoi pas ? La culpabilité étant insupportable, le renoncement apporte la paix intérieure. Cette interprétation dépasse le cadre de la recherche. Les enfants. Confusion du langage marquant le trouble d’Odile. 193 MM : Oui. (très long silence) Eh bien, c’est très bien. Je peux vous poser une question personnelle ? Odile : Oui. MM : Vous avez des soeurs ? Odile : Oui. MM : Combien ? Odile : Trois. MM : Vous étiez trois filles. Y avait il une préférée parmi les trois ? Odile : Ah oui, j’ai le sentiment qu’il y avait une préférée. Mais je pense pas que c'était,... C'était dans la tête. MM : C'était vous la préférée ? Odile : Ah non ! c'était une autre. MM : C'était une autre ? Vous étiez l'aînée des trois soeurs. Odile : Moi, j’ étais l'aînée. Mais, j’avais une soeur cadette qui a juste un an de moins que moi. Euh,... non, c’est vrai,... j’avais,... quand j’étais enfant je pensais qu’elle était la préférée, de beaucoup de gens, peut être pas forcement de mes parents mais de mes grand parents, de beaucoup de gens qui nous entouraient. MM : Oui ? Odile : Oui, je pense que c'était surtout inhérent à son tempérament et à son caractère. Elle était très drôle, elle avait toujours des sorties pas comme tout le monde et je pense que les gens réagissaient plus à elle qu’ils ne réagissaient à moi. Mais, je pense pas,... maintenant, qu’elle a été la préférée,... mais que je l’ai vécu moi,... comme,... comme la sentant comme préférée, ça c’est vrai. MM : Elle était privilégiée comment ? Y avait il une complicité particulière ? Odile : Pas avec elle en tout cas ! Ma mère avait justement une relation plus difficile avec elle, euh,... je ne sais pas,... s’il y avait une relation plus facile, c’est plus avec moi qu’avec elle. C’est pas pareil. MM : Oui ? A ce point, il est clair que le thème est trop douloureux, il vaut mieux clore. A l’inverse de Gertrude, la préférée fantasmée par Odile était celle qui prenait du champ au sein de la famille. Peut être Odile se rend elle brusquement compte que sa soeur était plus libre qu’elle, en fin de compte. 194 Odile : Moi j’avais le sentiment qu’elle s’occupait beaucoup de mon frère. Que c’est vrai qu’elle disait toujours : “Oh bien toi, il n’y a jamais d’histoire, ça va.” Donc j’ai peut être le sentiment qu’elle s’occupait moins de moi, mais, d’un autre côté,... et que souvent les conflits, ils étaient avec,... ma soeur. MM : Oui. Odile : Mais c’est vrai que moi je trouvais que celui dont elle s’occupait le plus facilement, c'était mon frère. MM : Et vos parents s’entendaient bien entre eux ? Odile : Ben oui,... oui,... (long silence) MM : Bien. Eh bien, je vous remercie pour votre participation à cette recherche. Curieusement, il y a un glissement de la réponse à une question relative à une soeur préférée. Là encore, sujet douloureux. 195