Esyvara La science va sans dire 1992 mots
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Esyvara La science va sans dire 1992 mots
Esyvara La science va sans dire 1992 mots 2 La science va sans dire Quelle est la limite ? Où est la limite ? [...] On n’avait pas pensé qu’en devenant astronautes, On pourrait aller filmer dans l’espace ce qu’a l’air le ciel Quand une bombe nucléaire saute. -Exterio, « Oxygène électronique » C’est un cri dans l’obscurité, à la fois une demande et une incessante attente. Envers qui, envers quoi ? C’est la science qui est visée cette fois, et ce plus dangereusement que jamais. Traîtresse pour certains, maîtresse pour d’autres, la science s’aventure de plus en plus loin, de plus en plus vite dans un enivrement à la fois merveilleux et risqué. Autour de nous, tout a pris une ampleur différente grâce tant aux exploits qu’aux erreurs de la science, qui a bâti autant qu’elle a détruit. Ces forts extrêmes atteints par la science ont amené l’imposition d’une valeur à celle-ci : soit elle est bonne, soit elle ne l’est pas. Toutefois, il est important de ne pas tomber dans le piège de croire que la science est devenue mauvaise ou non au fil du temps, chose qu’il devient aisé de faire avec l’apparition des armes de guerre et de tant d’éléments dont je n’ai pas le temps de décrire les symptômes. Il est fréquent, selon les nouvelles qui nous parviennent, d'apposer un jugement éphémère sur la valeur de la science; elle sera idolâtrée un jour pour tous les bienfaits qu'elle engendre et le lendemain on crachera dessus en pestant contre les méfaits qu'elle sème sur son passage. S'écarter de ce type de jugement est crucial pour bien saisir la valeur véritable de la science. 3 Afin de déterminer en quoi consiste la valeur de la science, nous tenterons tout d’abord de comprendre pourquoi on lui a accordé tant de valeur. Ensuite, il nous faudra évaluer en quoi la science a encore des choses à nous dire. Ainsi donc, nous pourrons déterminer de quelle façon il nous faut modifier notre rapport à la science et à ce qui est. Une science porteuse de certitudes « Le livre de la nature est écrit en caractères géométriques1 », déclarait Galilée. En d'autres mots, pour comprendre la nature, la connaissance des mathématiques est nécessaire. Selon le scientifique, on ne peut saisir notre environnement par nos sens, qui ne sont que soumission à la subjectivité. « Quand une plume me touche les narines,cela me titille. Mais cette titillation est toute en moi, et non dans la plume 2 » dit encore Galilée. Il poursuit en disant que la subjectivité de nos sensations ne nous permet pas de comprendre la nature, car aucune vérité universelle ne peut en éclore. Prenons un daltonien et un non-daltonien face à un ciel dénudé de nuages et qui plus est, en plein jour, et demandons-leur quelle est la couleur du ciel. Tous deux, et selon leurs subjectivités respectives répondront différemment, mais comment peut-on dire que l'un ou l'autre a raison? Le ciel est-il réellement bleu car une majorité de la population perçoit ce ciel bleu? Ce ne serait pas une affirmation juste car cela releverait d’un sophisme. Ainsi, c'est Galilée qui fut le premier à considérer le calcul comme l'unique fondement valable, rationnel et surtout universel de la connaissance. Alors, pour comprendre la nature, celle-ci fut mise sous forme d'une équation, en langage mathématique, pour permettre à l'homme de mieux la saisir et par le fait même, d'imposer une barrière entre 1 KLEIN,Étienne . Allons-nous liquider la science ? Galilée et les Indiens, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2008, p. 37. 2 Ibid., p. 28. 4 son environnement et lui-même pour ne pas être soumis à la subjectivité, mais uniquement à l'objectivité. En repensant notre monde ainsi, Galilée a effectué les premiers pas qui allaient imposer la science comme porteuse de vérité, car celle-ci est appuyée par des calculs qui relèvent du rationnel, et donc du vrai. Descartes poursuit le mouvement. Selon lui, la science est maintenant celle qui doit informer et réguler le savoir. Il semble y avoir là une exigence envers la science, qui met en place un ordre artificiel pour nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature3 ». Exercer une maîtrise quelconque sur la nature requiert, selon Descartes, de ramener tous les objets à des grandeurs dites mesurables et de ramener tout mouvement à un mouvement local, qui eux se rapporteront à trois étendues, en l’occurrence la largeur, la profondeur ainsi que la longueur. Cependant, pour plus de simplification, Descartes considère qu’il ne faut pas voir de différences entre ces mêmes étendues. La science est à cet instant réduite à des rapports entre ces étendues, à une mise en égalité de toutes formes d’éléments mesurables. Toute grandeur peut donc être algébrisée, peu importe sa nature, et c’est le rôle vital de la science. Nous assistons là à une montée de la science au rang d'absolutisme, en d'autres mots, la science est une certitude sur laquelle nous devons nous appuyer car elle permet, entre autres, de mathématiser la nature par sa capacité d’algébriser toutes choses. Du coup, on lui impose une charge. Sa valeur réside dorénavant dans sa certitude appuyée par des calculs. D’ailleurs, nombreuses sont les questions où la science s'est avérée fondamentale pour apporter ses réponses. Prenons en exemple les origines de l'être 3 DESCARTES, René. Discours de la méthode, Paris, Garnier-Flammarion, 2000, p. 99. 5 humain : personne de nos jours ne contredirait la théorie darwinienne de l'évolution en disant qu'elle est fausse et sans fondement–sauf en s’en remettant au dogme religieux– car la science lui accorde sa véracité. Cela étant dit, la science est bel et bien devenue le domaine qui informe et régule le savoir, tout comme Descartes l'a souhaité. Cependant, pouvons-nous affirmer que ce domaine, malgré les réponses essentielles qu’il a pu nous apporter en puisant dans la certitude des mathématiques, devrait réellement être la seule source de savoir? Tout peut-il être résolu par la science ? Nous savons bien que non : il demeure encore plusieurs interrogations qui restent des interrogations malgré le travail acharné que la science tente d'effectuer pour y apporter une quelconque réponse empreinte de certitude. Soit, nous pouvons supposer qu'avec les années, les explications fleuriront et que tout deviendra plus clair, mais est-ce vraiment là où nous nous dirigeons? Une science non signifiante Husserl disait : « Dans la détresse de nos vies, la science n’a plus rien à nous dire4 ». Si la science n'a plus rien à nous dire, sa valeur se trouve violemment remise en question. La science est détentrice du savoir, mais maintenant, une faille se dessine en son château fort de convictions. Il n'est pas question ici de retourner aux sciences antérieures, ce qui serait totalement aberrant, mais plutôt de s’interroger sur le sens des certitudes que la science a mises en place et sur sa valeur qui s'est soi-disant rehaussée par sa liaison avec la technique. Heidegger considérait qu'il y avait un destin technique pour l'homme, et le sens de cette technique n’est pas celui d’un outil, mais concerne plutôt ce qui est observé 4 HUSSERL, Edmond. La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Paris, Gallimard, « Tel », 1976, p.10. 6 sous la lumière du calcul ainsi que de l'efficacité. La technique, comprise métaphysiquement, est un type de relation à l'étant, à ce qui est, et elle force l’homme à considérer ce qui l'entoure comme un fonds disponible ou des éléments dont il faut user pour que cela soit utile. Cette vision confronte l'être humain à se retrouver entre l'impression de contrôler le monde grâce à la science-technicisée, c'est-à-dire une science qui se déploie sous le calcul, et des vérités sans aucun sens dit « véritable », c’est-à-dire des vérités qui se donneraient à la compréhension propre à l’être humain et qui pourraient nourrir l’existence. Ce destin technique dont parle Heidegger, est source de danger car l'homme s'y retrouverait non pas « comme maître et possesseur de la nature », mais comme soumis aux mêmes règles rigides qu'il impose à la nature, car lui-même en fait partie. La science-technicisée perd alors de sa crédibilité, car elle ne fait qu'entraîner des idées et des utilisations rationnelles l'une après l'autre, emprisonnant l'homme dans cette illusion de maîtrise de la nature, et ce qui est le plus grave c'est que c'est sans même se remettre en question qu'elle le fait. Lorsque Heidegger a déclaré que « La science ne pense pas5 », cela a été rapidement mal interprété. Ce qu'il voulait dire par là, c'est que la science n'a pas besoin de rendre raison d’elle-même pour être pratiquée. « Nul besoin de s'interroger sur la notion d'essence pour être un bon physicien. Nul besoin d'avoir une définition solide du temps pour être un bon historien. Nul besoin d'avoir une définition conceptuelle claire de ce qu'est un nombre pour pratiquer les mathématiques6 ». Il est possible de faire de la science sans « penser », c’est-à-dire sans s’interroger sur les fondements de la science, et cela démontre en quoi la 5 HEIDEGGER, Martin, « Que veut dire penser ? », in : Essais et conférences, Paris, Éditions Gallimard, 1958, p. 157. 6 DULAU, Pierre, Heidegger pas à pas, Paris, Ellipses, 2008, page 192. 7 valeur de la science ne réside pas en sa capacité d’informer et de réguler le savoir. Oui, elle apporte une certaine forme de certitude, mais ces certitudes ont-elles simplement un sens ? Comment peut-on affirmer que seule la science technicisée doit informer et réguler le savoir si elle n’est apte qu’à fournir des vérités sans significations ? Certes, les performances de la science sont considérables : nous en sommes arrivés à toutes sortes d’avancées technologiques extraordinaires, cependant, on ne peut discerner en quoi elles sont porteuses de vérités qui satisfassent l’âme humaine en quête de sens. La science ne nous apporte aucune réponse existentielle, et jamais elle ne sera en mesure de nous apprendre ce qu’est le bien ou le mal ni de nous offrir des vérités ayant une signification sensée pour la vie humaine. La valeur de la science Quoi qu’il en soit, quelle est la véritable valeur de la science ? Plaquons-nous sur elle valeur qu’elle ne mérite pas entièrement ? Nous avons pu comprendre que la valeur de la science en tant que modèle de référence est une valeur tout à fait légitime. Cependant, ce n’est pas parce que la science algébrise et simplifie tous les problèmes pour mieux influer sur eux que cela signifie qu’elle peut tout nous dire. La science a ses limites car elle ne peut nous offrir à elle seule des significations empreintes de sens dont l’homme a besoin pour nourrir son existence. Considérer la science comme l’unique source de savoir, c’est se mettre dans l’ombre d’une déception profonde car la science est inapte à donner un sens à toutes choses. C’est bien là que réside la valeur fondamentale de la science qui est issue d’elle-même, en son incomplétude qui fait qu’elle englobe d’autres disciplines, dans la mesure où elle ne peut répondre à tout par elle-même. La philosophie, l’éthique ou 8 encore la politique sont des domaines essentiels qui doivent demeurer aux côtés de la science. Celle-ci a-t-elle pour autant moins de valeur ? Au contraire, la science est souveraine dans son domaine, et sa valeur ne devient que plus particulière lorsqu’on prend en compte ses limites, qui laissent l’espace à d’autres disciplines plus habiles à remplir un rôle métaphysique pour offrir des vérités significatives. Seulement, la science a fait entrer l’homme dans un cercle où il se retrouve soumis aux mêmes règles intransigeantes qu’il impose à la nature. Pour en sortir, il faut déterminer ce qui le libère de cette contrainte forcée, et cela réside dans la parole et le silence qui sont métaphysiquement liés. Deux actions qui traduisent une attente, une écoute où rien n’est imposé, mais où un sens est naturellement donné à l’homme. Ce n’est plus d’un cri dans l’obscurité dont il est question, mais bien d’une disponibilité sereine, un souffle solitaire pouvant être poussé sans être étouffé, mais seulement réellement vécu.