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LE CINÉMA DU 123 COLLECTION DVD Un thé au Sahara prod db de bernardo bertolucci LE CINÉMA DU 123 L’attrait de l’Orient En adaptant « Un thé au Sahara », le roman de Paul Bowles, Bernardo Bertolucci filme le malaise d’un couple d’intellectuels américains, perdus quelque part entre leur vide existentiel et le désert Debra Winger et John Malkovich. collection christophe l. E N adaptant le roman de Paul Bowles, Bernardo Bertolucci passe de l’infiniment grand (le destin de Pu Yi, dernier empereur de Chine, vécu comme le phantasme absolu du cinéma d’auteur) à l’infiniment petit (l’histoire d’un couple d’intellectuels américains perdus quelque part entre leur vide existentiel et le désert), sans changer d’échelle. Même approche opératique, même grandeur, même déploiement de moyens, même style ostentatoire. Mais est-ce que la splendeur de l’image sied à la fragilité du sujet ? Autant le dire tout de suite : je n’ai pas lu le roman ni avant, ni après, ni pendant la projection du film : c’est donc sans a priori aucun que je suis allé voir Un thé au Sahara. Et je n’ai pas senti le poids de l’adaptation littéraire, ce qui est un bon point pour Bertolucci. Tout d’abord, deux mots de l’histoire : « Tu as dit : “J’irai sur une autre terre, j’irai sur une autre mer/Une autre ville doit exister meilleure que celle-ci…”. Ce début de La Ville de Cavafy résume parfaitement la situation (je passe, pour l’instant, sous silence le reste du poème, repoussant le moment où il faudra le sortir pour vérifier si le départ a bel et bien eu lieu). « La ville », c’est ici New York, vue à travers des images documentaires couleur sépia défilant pendant le générique sur un air vaguement jazzy. « L’autre ville », c’est Tanger, où trois personnages débarquent après être passés au-dessus de l’image orangée d’un homme couché – facétie du montage qui fait apparaître une partie du récit comme étant la vision de Port (John Malkovich) au moment de sa mort. Lui, c’est Port justement, un musicien pas très fier de lui. Elle, c’est Kit (Debra Winger), l’auteur d’une seule pièce de théâtre. Eux, c’est un couple d’Américains mariés depuis dix ans qui, à peine débarqués dans le port de Tanger, établissent déjà la différence entre le voyageur et le touriste (« Le touriste pense au retour avant même de partir, le voyageur, lui, ignore s’il reviendra un jour »). Et l’autre alors, celui que Port et Kit définissent d’emblée comme le touriste de l’histoire ? C’est Turner (Cambell Scott), le personnage qui est là uniquement pour révéler le malaise du couple. Je préfère ne rien dire sur les « Le touriste pense au retour avant même de partir, le voyageur, lui, ignore s’il reviendra un jour » Lyle (Jill Bennet, Timothy Spall), ce couple d’Anglais grotesques, tant leur présence caricaturale ne parvient pas à traduire ce sentiment de « la peur du même » que ressentent les personnages. Et puis, il y a Paul Bowles dans le café où passe une chanson de Trénet (Je chante) ; il les regarde, prononce quelques mots et se tait. La présence physique de l’auteur dans le décor du film produit comme un effet secondaire sur la fiction. La mélancolie de ce regard où l’on peut lire déjà les événements qui surviendront plus tard dans le récit, supprime purement et simplement les personnages. C’est un être réel face à des êtres de fiction, et au cinéma, le réel l’emporte toujours (…). FILMOGRAPHIE 1962 LA COMMARE SECCA (It., 88 min). Avec Francesco Ruiu, Giancarlo de Rosa, Vincenzo Ciccora. 1964 PRIMA DELLA RIVOLUZIONE (It., 115 min). Avec Adriana Asti, Francesco Barilli, Allen Midgette. 1968 PARTNER (It., 105 min). Avec Pierre Clémenti, Tina Aumont, Giulio Cesare Castello. 1969 AMORE E RABBIA (It., film à sketches). Segment L’Agonie. Avec Julian Beck, Judith Malina. 1970 LA STRATÉGIE DE L'ARAIGNÉE (It., 100 min). Avec Alida Valli, Giulio Brogi, Pippo Campanini. LE CONFORMISTE (It.-Fr.-RFA, 115 min). Avec Jean-Louis Trintignant, Stefania Sandrelli, Dominique Sanda. II/LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 12-LUNDI 13 JUIN 2005 1972 LE DERNIER TANGO À PARIS (It.-Fr., 136 min, version director's cut 250 min). Avec Marlon Brando, Maria Schneider. 1975 1900 (Fr.-It.-RFA, 250 min). Avec Robert De Niro, Gérard Depardieu, Dominique Sanda. 1979 LA LUNA (It., 142 min). Avec Jill Clayburgh, Matthew Barry, Veronica Lazar, Jill Clayburgh. 1981 LA TRAGÉDIE D'UN HOMME RIDICULE (It., 116 min). Avec Ugo Tognazzi, Anouk Aimée, Laura Morante. 1987 LE DERNIER EMPEREUR (Fr.-It.-GB, 160 min). Avec John Lone, Joan Chen, Peter O'Toole. 1990 UN THÉ AU SAHARA 1993 LITTLE BUDDHA (GB-Fr., 140 min). Avec Keanu Reeves, Ruochang Ying, Bridget Fonda. 1995 BEAUTÉ VOLÉE (It.-Fr.-GB, 113 min). Avec Liv Tyler, Sinead Cusack, Joseph Fiennes. 1998 SHANDURAI (It.-GB, 93 min). Avec Thandie Newton, David Thewlis, Claudio Santamaria. 2002 INNOCENTS THE DREAMERS (It.-Fr.-GB, 115 min). Michael Pitt, Eva Green, Louis Garrel. LE CINÉMA DU Fiche technique Un thé au Sahara (The Sheltering Sky) (Grande-Bretagne/Italie, 1990, 145 min). Réalisation : Bernardo Bertolucci. Scénario : Mark Peploe, Bernardo Bertolucci. Photographie : Vittorio Storaro. Musique : Ryuichi Sakamoto, Richard Horowitz. Production : Aldrich Group/Film Trustees/ RPC/Sahara Company/TAO Film. Interprètes : John Malkovich, Debra Winger, Campbell Scott, Jill Bennett. Entre passion et scandale l’irruption dans le cinéma italien, au début des années 1960, d’un jeune homme de 20 ans, le fils du grand poète Attilio Bertolucci, fait l’effet d’un coup de tonnerre. Né à Parme en 1941, Bernardo commence par étudier les lettres à Rome. Il rencontre alors Pier Paolo Pasolini, qui l’emploie comme assistant pour Accattone et lui fournit le sujet de son premier film, La Commare Secca (l’assassinat d’une prostituée). Dans Prima della rivoluzione, le jeune cinéaste capte avec une étonnante maîtrise le malaise de toute une génération, provoquant l’establishment auquel il appartient en liant bourgeoisie et névrose. Passionné par la politique, militant communiste, Bertolucci apporte aussi au cinéma italien une sensibilité française. Assidu de la Cinémathèque, il est un disciple fervent de Jean-Luc Godard, dont le style heurté l’inspire pour Partner, sa relecture romaine du Double de Dostoïevski. En 1967, Bertolucci participe, avec Dario Argento, à l’écriture de Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone. C’est pour lui une époque d’intense créativité. Il s’attaque au passé fasciste de son pays dans son adaptation du Conformiste, d’Alberto Moravia. Dans ce film superbe, éclairé par le maître de la photographie Vittorio Storaro, le fascisme apparaît comme la conséquence logique de la domination bourgeoise. Le propos se double d’un sous-texte psychanalytique : l’homosexualité refoulée de Clerici (Jean-Louis Trintignant) n’est pas pour rien dans son désir de se fondre à tout prix dans la masse. Le film, d’un érotisme raffiné, est le premier grand succès de Bertolucci, qui enchaîne avec un film puissant, floyd chris/camera press/gamma Répondant donc à l’appel du désert, Port et Kit quittent New York pour partir à la recherche d’une solution à leur problème de couple. Question subsidiaire : qu’est-ce que l’attrait de l’Orient ? Est-ce ce bref instant de La Luna où Jill Clayburgh, après avoir suivi le dealer maghrébin chez lui, le surprend en train d’enfiler sa djellaba ? Est-ce cette promenade nocturne pendant laquelle Port est entraîné vers une tente berbère où une jeune nomade s’offre à lui pour quelques sous ? Le trouble dans le regard de Jill Clayburgh au moment où elle voit le tissu tomber sur les fesses du jeune Arabe, le panoramique qui suit la main de la prostituée se glissant dans la poche de Port pour subtiliser son portefeuille et le cacher sous deux poules endormies, pourraient effectivement être la traduction visuelle de ce qu’en littérature on appelle « l’attrait de l’Orient » (un attrait jumelé avec la peur puisque, dans ces cas, l’un ne va jamais sans l’autre). (…) Pourquoi toute cette pellicule dépensée à essayer d’emmener les personnages d’un endroit à un autre ? Peut-être pour épargner au spectateur la fatigue de randonnées à travers l’espace et le temps. Et voilà, le billet est payé, le taxi appelé, l’avion prêt à décoller, on peut enfin rouvrir les yeux au moment où l’hôtesse de l’air se penche pour nous murmurer dans le creux de l’oreille : « D’autres lieux tu ne trouveras pas, tu ne trouveras pas d’autres mers/La ville tu suivras. Dans les rues tu rôderas/Les mêmes. Et dans les mêmes quartiers tu vieilliras... » Iannis Katsahnias « L’attrait de l'Orient. Un thé au Sahara » Cahiers du cinéma, décembre 1990 123 Bertolucci a apporté une sensibilité française au cinéma italien profondément personnel, La Stratégie de l’araignée – drame de la filiation aux accents surréalistes, où se croisent les influences de Borges et du peintre Giorgio De Chirico. Dans Le Dernier Tango à Paris, Bertolucci filme avec une franchise exceptionnelle la liaison torride de deux inconnus, dans un appartement vide : la censure se déchaîne, la presse se régale. Mais le film reste, superbe et mortifère, en grande partie grâce à la relation profonde que Bertolucci a nouée avec Marlon Brando. L’acteur se livre comme jamais, au point de prendre peur : « Pour la première fois, j’ai ressenti une violation de ma personnalité la plus intime, dira-t-il. Il faut que ce soit la dernière fois. » Porté par ce succès de scandale, Bertolucci se lance dans l’ambitieux Novecento, longue fresque sur la lutte paysanne en EmilieRomagne avec Robert De Niro et Gérard Depardieu. Castings prestigieux, films en anglais, énormes budgets : le cinéaste voit désormais très grand (Le Dernier Empereur, Little Buddha), sans délaisser les sujets sulfureux (drogue et inceste dans La Luna). Grâce à un texte mythique de Paul Bowles, il signe le meilleur film de cette deuxième partie de sa carrière, Un thé au Sahara. Mais pris en étau entre ses obsessions érotiques (Beauté volée, Innocents - The Dreamers) et politiques, ce cinéma naguère si inventif donne désormais l’impression de tourner en rond. Florence Colombani LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 12-LUNDI 13 JUIN 2005/III LE CINÉMA DU 123 La névrose ensablée A collection christophe l. UTEUR de The Sheltering Sky, Paul Bowles apparaît aussi dans le film qui en est l’adaptation. Depuis une table du café d’où s’élance et où atterrit ce périple saharien, il scrute les deux époux déchirés (Debra Winger et John Malkovitch) cependant qu’en off sa voix dit quelques phrases du roman. Procédé pas inédit, mais qui, pris au pied de la lettre, a en l’occurrence valeur d’emblème. Dans Un thé au Sahara, la littérature a investi le plan, rhabillant la réalité aux couleurs de ses mythologies. Dès lors, tout est signe avant même d’être. Cette Mercedes blanche làbas est tout de suite beaucoup plus qu’une Mercedes blanche, explique Port, commentant l’excessive pente interprétative de Kit. Toute présence est une apparition, toute apparition un présage. Indistinct sous sa capuche, le dénommé Smaïl s’avance comme une malédiction, et la putain vers laquelle il entraîne Port dérouté exécute à la perfection le geste d’une tentatrice de rêve ou de cauchemar, cantonnée bien sûr dans ce mutisme qui est l’avatar des autochtones, et qu’ils ne rompent que pour susurrer une sentence. Ici, on ne dit pas Marocains, mais Arabes. En fait nous ne sommes pas au Maroc, mais en Orient, cette entité peu géographique qui désigne la somme des représentations que se font Européens et Américains des civilisations plantées dans le sable, là-bas, à l’est. Nous sommes aussi en 1947, mais cela non plus n’apparaît pas, hors la compilation d’images d’archives du générique. Normal, c’est le New York d’après-guerre qu’on y feuillette. New York est dans l’histoire, l’Orient est intemporel. Par la suite, une seule allusion aux frémissements de la lutte anticoloniale : l’image furtive de deux résistants encadrés par des militaires français. Venant de Bertolucci d’abord très politique, c’est peu, mais cette occultation semble parfaitement concertée par l’intéressé. Tout sauf élan vers le dehors, la transhumance vers le Sahara participe d’un glissement assumé vers un cinéma psychologique. Traité comme il l’est ici, le cadre marocain offre une abstraction plastique qui recentre l’ensemble sur les mouvements intérieurs des personnages. Les grands espaces neutralisés ont paradoxalement la même fonction de laboratoire sentimental que le huis clos du Dernier Tango à Paris. Le mari, la femme et l’amant avaient besoin de ce non-cadre pour rejouer leur petite musique de chambre. Plus classiquement, ce qui se joue entre âmes et paysages est de l’ordre du symbolisme : échange d’états, contamination. Si Port emmène Kit jusqu’au « plus bel endroit La transhumance vers le Sahara participe d’un glissement assumé vers un cinéma psychologique du désert », c’est qu’il escompte que, contemplant de concert cette étendue infinie depuis le surplomb d’un relief rocheux, ils s’insuffleront l’un l’autre une nouvelle énergie amoureuse. De fait, ils s’embrassent puis s’étreignent, et alors, ayant fait son œuvre, l’environnement laisse place aux gros plans de leurs visages provisoirement réconciliés. Le contexte n’est jamais que le détour par quoi passent les protagonistes pour revenir à eux-mêmes. Au point de laisser penser que, rêve, fantasme, hallucination, ils sont démiurges de ce qui s’anime tout autour. Et qu’éventuellement ce sont eux qui refilent la typhoïde à la région traversée et non l’inverse. Confirmation de l’hypothèse : lorsque Port finit par mourir de sa fièvre, c’est le monde alentour qui semble revenir et même simplement venir à la vie. Preuve que la décadence n’était que dans l’âme malade du compositeur, c’est alors dans le plan un débordement de vie, un soudain fourmillement débarrassé des draperies légendaires. S’ouvre une parenthèse de vingt minutes stupéfiantes, les meilleures du film et sans doute sa raison d’être, où les images se laissent porter vers nulle part à dos de chameau. Cela ne va pas sans picturalité et demi-lunes faciles, mais alors semble s’accomplir post-mortem le programme de Port : mon seul plan c’est que je n’en ai pas. Et Kit, où est-elle ? On ne sait plus trop. Rare, infime dans les plans larges, elle finit par revenir au centre, mais effacée encore. Enturbannée, peau tannée, muette à son tour, elle semble fouler le sable pour la première fois, enfin disponible à ce qui vient. François Bégaudeau Offre d’abonnement découverte % 44 on ducti é r e d Bulletin d’abonnement à retourner accompagné de votre règlement à : Cahiers du cinéma • Service abonnements • 60646 Chantilly Cedex • France OUI, je souscris à votre offre exclusive* 3 nos pour 9€ Q Mes coordonnées : Mr Mme Melle Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 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