Corbeaux! - Théâtre de la Ville

Transcription

Corbeaux! - Théâtre de la Ville
KUNIO
SHIMIZU I
YUKIO
NINAGAWA
Corbeaux !
Japon
Nos fusils sont chargés !
8 < 12 DécemBre
{ au théâtre De la ville }
en japonais surtitré en français
avec les troupes Du saitama golD theater
& Du saitama next theater
Dossier péDagogique saison 2014 i 2015
ÉTABLI PAR
la maison De la culture Du japon à paris
SHIMIZU
yukio
NINAGAWA
kunio
Corbeaux !
Nos fusils sont chargés !
DE
Kunio shimizu
MISE EN SCÈNE
Yukio ninagawa
ASSISTANT À LA MISE EN SCÈNE
sonsho inoue
DÉCOR
tsukasa nakagoshi
LUMIÈRES
takahiro fujita
SON
shuichi tomobe
COSTUMES
chihiro tanabe
COIFFURES & MAQUILLAGE
Yuko sato
CHORÉGRAPHIE DE COMBAT
naoki Kurihara
AVEC
35 comédiens du saitama gold theater
& 25 comédiens du saitama next theater
proDuction
Saitama Arts Theatre 2013. Avec le soutien de l’Agency for Cultural Affairs Government of Japan (2014).
DURÉE
1 h 15
© Maiko Miyagawa
re-création
sommaire
Des japonais tonitruants i j.-p. thibaudat
p.
4
un projet théâtral d’une dimension inédite
p.
5
la pièce : Corbeaux ! Nos fusils sont chargés !
p.
6
commentaires de Yukio ninagawa i 500 jours
p.
7
entretien avec Yukio ninagawa i Aya Soejima
p.
8
note Yukio ninagawa
p. 11
presse
p. 12
Kunio shimizu
p. 11
Yukio ninagawa
p. 14
le saitama arts theater i saitama gold theater
p. 15
le saitama next theater
p. 17
3
DES JAPONAIS TONITRUANTS
avec une verdeur intacte, Yukio ninagawa reprend un spectacle mythique
créé à tokyo en 1971. Dans Corbeaux ! Nos fusils sont chargés !, trente furies
prennent d’assaut le tribunal où sont jugés leurs enfants et petits-enfants.
un choc dévastateur !
Au Japon, comme ailleurs, l’histoire du théâtre est
ponctuée de spectacles mythiques que l’on rêve d’avoir
vus. C’est le cas du tonitruant Corbeaux ! Nos fusils
sont chargés !, un spectacle phare des années 1970,
qui, à Tokyo, contribua à faire connaître un théâtre
underground en marge du théâtre officiel. Ce spectacle nous revient, recréé par ses créateurs, nullement
apaisé, et tout aussi sulfureux. La pièce signée par le
grand auteur Kunio shimizu met en scène trente
furies, trente vieilles femmes qui font preuve d’un
langage qui va droit au but tout en ne dédaignant
pas s’offrir de belles envolées lyriques. Une langue
tendue, hybride et dévastatrice, mi-ordurière, mipoétique, admirablement servie et magnifiée par la
mise en scène de Yukio ninagawa et les acteurs de
deux troupes qu’il a créées au sein du Saitama Arts
Theater dont il est le directeur artistique depuis
2006. D’un côté, les 35 acteurs âgés de 61 à 88 ans
du Saitama Gold Theater, de l’autre les 26 jeunes du
Saitama Next Theater.
Yukio Ninagawa est une sommité, connu dans bien
des pays, mais relativement peu en France (il est venu
pour la dernière fois en 2002 avec sa mise en scène
d’un Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été). Quand
la Maison de la culture du Japon a fait venir, au printemps dernier, Corbeaux ! Nos fusils sont chargés !, ce
fut un choc, un éblouissement, et il est apparu évident que ce spectacle devait revenir plus longuement pour être vu par un public plus large.
Né en 1935, Yukio Ninagawa est un enfant du Shingeki
(nouveau théâtre) qui, au XXe siècle, s’érigea en réaction
au Jyugeki (ancien théâtre), celui des formes traditionnelles (Nô, Kabuki, Kyogen), et ouvrit grand la porte
au théâtre occidental, de Shakespeare à Brecht en
passant par Stanislavski. Mais comme tout enfant doué
pourvu d’une forte personnalité, à son tour, avec des
complices de sa génération, à commencer par Kunio
Shimizu, Yukio Ninagawa contesta la domination du
Shingeki en créant sa propre troupe en 1968 et en
devenant l’un des fers de lance du mouvement des
petits théâtres. Un théâtre contestataire, une écriture
(textuelle et scénique) avant-gardiste dont Corbeaux !
Nos fusils sont chargés !, qui date de 1971, dit bien la
teneur.
Depuis, Yukio Ninagawa a créé bien des spectacles,
reçu bien des prix. « On doit être créatifs malgré la
vieillesse », dit-il. Il l’est, – et comment ! – en retrouvant cette vieille et verte pièce, en l’offrant à une
troupe de vieux acteurs mis sur pied dans un pays
vieillissant.
Des vieilles mères et grands-mères en colère et en
chaleur envahissent un tribunal qui entend juger
leurs enfants ou petits-enfants. Ces derniers, accusés
de faits qu’ils ont peut-être commis, apparaissent
d’abord comme les victimes d’une justice sourde,
vénale et procédurière. Au tour des juges d’être jugés
par ce tribunal révolutionnaire de vieilles révoltées
qui, pour commencer, demande aux magistrats d’enlever leur pantalon. La suite n’est pas triste non plus.
Quelle gifle !
jean-pierre thibaudat
4
UN PROJET THÉÂTRAL
D’UNE DIMENSION INÉDITE
PAR LA MAISON DE LA CULTURE DU JAPON À PARIS
Shakespeare, tragédies grecques, classiques du théâtre japonais. Ses mises en scène spectaculaires et
innovantes sont très appréciées en Angleterre où ses
pièces sont jouées au London National Theatre et au
Royal Shakespeare Theatre. En 1987, il est nominé
au Laurence Olivier Award pour ses mises en scène
de Médée et Ninagawa Macbeth.
Quand il est nommé directeur artistique du Saitama
Arts Theater en 2005, il déclare que son premier
objectif est de créer une compagnie de personnes
âgées de plus de 55 ans. Ninagawa auditionne luimême 1200 personnes et nomme la nouvelle compagnie Saitama Gold Theater.
Les participants issus de plusieurs horizons
(ouvriers, femmes au foyer, enseignants, etc.) suivent une formation d’un an et deviennent comédiens professionnels.
Trop rare en France, Ninagawa avait littéralement
enchanté le public de la MCJP en 2002 avec son
Songe d’une nuit d’été.
Une pièce de bruit et de fureur mise en scène par un
monstre sacré du théâtre japonais, Yukio ninagawa.
Un projet théâtral intergénérationnel d’une incroyable actualité.
Créée en 1971 par le même Yukio Ninagawa alors
âgé de 36 ans, d’après le texte de Kunio shimizu,
auteur majeur du théâtre contemporain de l’époque,
Corbeaux ! Nos fusils sont chargés ! fait alors écho à
la violence des luttes contestataires de l’époque. Elle
est reprise en 2006 puis en 2013 dans une toute
nouvelle version. Après avoir été à l’affiche au
Saitama Art Theater (du 16 au 19 mai 2013), la pièce
est exceptionnellement reprise à la MCJP et présentée pour la première fois en dehors du pays.
Dans les années 1970, Yukio Ninagawa fut l’un des
chefs de file du Mouvement des petits théâtres, en
révolte contre la suprématie du théâtre shingeki. En
1974, l’originalité de sa mise en scène de Roméo et
Juliette provoque un véritable choc. Il enchaîne alors
les succès avec un répertoire éclectique : pièces de
5
LA PIÈCE : CORBEAUX !
NOS FUSILS SONT CHARGÉS !
Deux jeunes hommes sont jugés dans un tribunal pour
avoir lancé une bombe en plein milieu d’un spectacle.
Soudain surgissent des dizaines de vieilles femmes
armées de bombes, balais, parapluies, luths… Farouchement résolues à sauver leurs petits-enfants, elles
tuent des gardes avant d’entamer l’occupation de la
salle, sous les yeux effarés des otages. Elles commencent alors à faire le procès des hommes de loi, mais
aussi des jeunes qu’elles étaient pourtant venues
libérer. Les peines de mort sont prononcées les unes
après les autres…
La création de Corbeaux ! Nos fusils sont chargés ! a lieu
à l’Art Theater à Tokyo, salle culte des amoureux du
cinéma d’auteur. La pièce est interprétée par le
Gendaijin Gekijô, la compagnie de Yukio ninagawa,
qui avait 36 ans à l’époque. En pleine période contestataire, cette pièce au ton violent montrait la rébellion de femmes âgées refusant l’hypocrisie générale.
Lors de la création, c’étaient les jeunes comédiens du
Gendaijin Gekijô qui tenaient les rôles des personnes
âgées. Mais 35 ans plus tard, pour la reprise de cette
pièce en 2006, Ninagawa fit appel à ses comédiens
du saitama gold theater. Même si les personnages
de la pièce sont âgés, apporter simplement la réalité
de corps vieillissants sur le plateau n’était pas suffisant. Le défi était de présenter la vieillesse dans la fiction du théâtre. Les comédiens se préparèrent en assistant à de vrais procès et apportèrent un réalisme
poignant à la rage des seniors. La pièce fut jouée à
guichet fermé.
« On a perdu la tête depuis longtemps, la haine nous a
rendues folles depuis des centaines, des milliers d’années. On est des corbeaux noircis par la honte de
l’homme. Une flûte en os humain et taillée avec des
os humains résonne constamment dans notre cœur
en poussant des cris déchirants. C’est pour cela qu’on
ne peut mourir. On ne peut pas crever tant qu’on ne
sait pas ce qu’est cette flûte. Ce que crie la flûte, estce le sang, est-ce le sommeil, ou bien un amour insaisissable… On est des corbeaux noircis par la honte de
l’homme. Des corbeaux noircis… Vous croyez que ce
gamin insignifiant a le droit de repousser notre corps ?
Mais pour qui il se prend ! Les principes que tu nous
chantes, qu’ils aillent se faire étouffer par notre utérus
dont on se sert si bien. Cet utérus qui a su franchir monts
et vallées, il est là pour engloutir, étouffer les pourritures comme vous. »
À propos de la version de 2006, Yukio Ninagawa
témoigne :
« Dans cette pièce, des vieillardes pleines d’énergie
jugent des jeunes introvertis et égocentriques qui ne
parlent qu’avec les mots des autres. Cette pièce fut
ma dernière mise en scène avant de dissoudre ma
compagnie Gendaijin Gekijô. En la reprenant, j’ai voulu
vérifier que ma capacité à mettre en scène n’avait pas
perdu de sa force. Je cherchais une meilleure mise en
scène qui ne soit pas influencée par ma notoriété et
l’indulgence du public que j’avais acquises entretemps.
« Pour être franc, je considère que cette version surpasse la première. Alors que dans la première création dans laquelle subsistaient l’excitation et le sentiment d’échec des jeunes contestataires des années
1970, la version du Gold Theater exprime parfaitement
la rage des personnes âgées contre la société actuelle.
L’émotion ressentie avec cette version a été encore
plus forte pour ceux qui avaient assisté à la création
en 1971. Ninagawa a certainement pu réunir, pour la
première fois, la distribution idéale pour cette pièce.
Du plateau émanait la richesse de l’histoire personnelle de chaque membre du Gold Theater. »
extraits de la pièce, Kunio shimizu écrit cette pièce en 1971
Jusqu’alors, il écrivait du point de vue de jeunes refusant le système établi. Avec Corbeaux ! Nos fusils sont
chargés !, une de ses pièces les plus remarquables, il
chasse les jeunes des rôles principaux.
« Ces vieillardes symbolisent les mots que nos pères et
nos mères qui vivaient dans le silence n’ont pas pu formuler. Mais ce qui transperce l’ensemble de ce texte,
c’est la tristesse de notre situation actuelle que seules
ces femmes âgées peuvent raconter. »
Quotidien Asahi Shimbun, 4 octobre 1971
Yutaka takahashi, critique de théâtre
6
COMMENTAIRES DE YUKIO NINAGAWA
EXTRAITS DE 500 JOURS DE YUKIO NINAGAWA
AVEC LE SAITAMA GOLD THEATER (2007, ÉDITIONS HEIBONSHA)
aux acteurs :
Votre point fort est que vous n’avez pas été apprivoisés par le théâtre et que vous avez chacun votre personnalité. Cela peut faire surgir une nouvelle forme
de théâtre. Luttez avec confiance ! Ayez confiance en
votre propre existence. Et trouvez un équilibre entre
votre assurance et votre modestie.
Votre vécu est une accumulation d’expériences. La
vieillesse consume mais l’expérience enrichit. Votre
façon de ressentir la tristesse et la joie a gagné en
profondeur grâce à votre expérience. Il faut trouver
le moyen de les traduire sur scène. Vous êtes en train
de faire face à votre propre vie à travers le théâtre.
est un combat et c’est mon projet le plus fatiguant. Il
y a également des aspects imprévisibles, comme le
fait qu’elles ne se rappellent plus des répliques qu’elles
connaissaient par cœur la veille. Je découvre la vieillesse de façon crue et réelle, au-delà de ce que j’imaginais, à travers ces gens qui trébuchent facilement
ou pour lesquels l’obscurité des coulisses représente
un danger. Mais ce groupe est un microcosme de
notre société japonaise vieillissante. On doit être
créatifs malgré la vieillesse : la baisse de la mémoire,
les problèmes liés au conjoint ou aux parents qui
vieillissent, ses propres soucis de santé…
J’ai appris la patience avec les membres de cette compagnie (rire). Et aussi à ne pas les surprotéger en raison
de leur âge avancé. En mettant la barre un peu haut,
leurs capacités ne se réduisent pas, ils acceptent le défi.
J’ai pris conscience du fait que je fais également partie de ces personnes âgées, et que ce n’est plus la peine
que je fasse semblant d’être jeune. Elles sont une
sorte de miroir pour moi.
Elles m’ont appris que moi-même, je continuais à
être capable d’évoluer comme toutes ces personnes. Je
me suis aperçu que je n’étais pas quelqu’un de spécial qui peut sortir un joker, mais que je possédais
les mêmes cartes qu’elles.
Les jeunes acteurs sont inquiets pour leur avenir, leur
passion effrénée me fait parfois mal.
Les acteurs du Gold Theater n’ont pas insatiabilité
propre à la jeunesse, ils prennent du plaisir à tester
simplement leurs possibilités et n’ont rien de pathétique. Ils ont accumulé les expériences les plus diverses et sont capables de se dire entre eux : Il y a eu
toutes sortes de choses dans ma vie ; des fois j’ai
même eu envie de mourir. Mais aujourd’hui, qu’estce qu’on se marre bien ensemble ! Ils sont engagés et
optimistes. Ils sont aussi très compréhensifs envers
cette ferveur de la jeunesse car c’est une phase qu’ils
ont connue dans leur vie. Ils sont également forts
face aux critiques car ils savent comment les traiter.
Ils me disent Prenez soin de vous. On sait quand
vous n’allez pas bien. Je me sens mis à nu quand je
suis devant eux car j’ai l’impression d’être évalué en
tant qu’être humain. Les jeunes n’ont pas le droit de
me juger mais ces personnes en sont capables.
à propos De la compagnie :
On ne peut pas les comparer aux acteurs professionnels de leur âge. Les professionnels apprennent à se
retirer du premier plan et à laisser la place principale à d’autres acteurs. Mais la plupart des membres
de cette compagnie ont un égo très fort. Ils ne savent
pas se mettre en retrait comme le font avec talent les
acteurs de carrière. Ils sont sans gêne, très différents
les uns des autres et possèdent chacun une forte personnalité. C’est ça qui peut surprendre et qui est
intéressant.
C’est intéressant mais c’est aussi beaucoup d’énergie
à canaliser. Je suis seul face à l’énergie que dégagent
ces 40 personnes. Chaque jour de répétition avec elles
7
ENTRETIEN AVEC YUKIO NINAGAWA
RÉALISÉ LE 29 MARS 2013 PAR AYA SOEJIMA
AU SAITAMA ARTS THEATER (SAITAMA, JAPON)
vous avez été l’un des chefs de file du mouvement
des petits théâtres, en révolte contre la suprématie
du shingeki (« nouveau théâtre »). mais vous avez
commencé votre carrière en tant qu’acteur dans
les années 1960 dans une compagnie appartenant
au mouvement shingeki *.
ment l’histoire du théâtre occidental. La tendance actuelle est de faire du théâtre « entre amis ». Ils connaissent peu la recherche d’identité théâtrale que nous
avons effectuée en écho à cette connaissance de
l’Occident. C’est pourquoi il me semble utile de présenter aujourd’hui les pièces japonaises des années
1970.
* Le mouvement shingeki est né au début du xxe
siècle, lors de la modernisation du Japon, en réaction
au kyûgeki, « l’ancien théâtre » (nô, kyôgen, kabuki).
Influencé par le théâtre moderne occidental et tenant compte des nouvelles tendances dans la vie
moderne japonaise, il se basait sur une technique
théâtrale réaliste.
à l’époque, vous montrez vos pièces à l’art theater*,
la salle de projection légendaire. vos pièces étaient
présentées après les projections de films. une énergie bouillonnante s’en dégageait. elles faisaient appel à un nombre important de comédiens qui parfois surgissaient du public et à des scénographies
innovantes.
votre nom est de plus en plus connu dans le milieu et
en 1974, vous acceptez la mise en scène de Roméo
et Juliette, une grosse production avec des têtes
d’affiche. j’ai entendu dire que la réaction de votre
famille théâtrale de l’époque a été assez violente.
YuKio ninagawa : Oui, j’ai été formé dans le milieu
du shingeki d’après guerre qui mettait l’accent sur la
lecture et l’analyse de textes occidentaux, de
Stanislavski et de Brecht notamment. J’avais toujours
un carnet avec moi et dès que j’avais une remarque sur
une réplique de texte ou un sous-texte, je la notais
même en pleine nuit.
* l’art theater guild (atg) qui possédait cette salle
était une société de production de films indépendants qui a marqué l’histoire du cinéma au Japon. À
l’époque, c’était un haut lieu de la culture avant-gardiste
car le monde du cinéma (Nagisa Oshima), celui du
théâtre (Shûji Terayama) et de la musique (Tôru
Takemitsu), etc., se retrouvaient autour de l’ATG.
mais en 1968, vous créez votre propre compagnie et
commencez à mettre en scène les textes de Kunio
shimizu, votre complice théâtral qui vous accompagne plusieurs années avec ses textes. c’est ainsi
que vous participez à la première génération du
mouvement des petits théâtres* né dans le milieu
underground.
Y. n. : De l’Art Theater, salle de projection de 400
sièges, je me suis retrouvé au Nissay Theater, espace
de 1 200 places où les acteurs jouaient munis d’un
micro. Ce monde qui m’était nouveau était beaucoup
plus commercial et le budget d’une toute autre envergure. Ce fut considéré par mes camarades d’alors
comme une trahison et du jour au lendemain, on a
arrêté de m’adresser la parole dans la rue.
Mais pour moi, tant qu’on respectait le texte sur scène,
c’était pareil, c’était du théâtre. Ceci dit, la différence
de mentalité m’a souvent mis en rage. Je voyais aux
répétitions des stars jouant avec des lunettes de soleil
ou interprétant en pantoufles et un balai à la main
des combats à l’épée.
* Ce mouvement des petits théâtres existe toujours
aujourd’hui mais la particularité de la première génération était sa contestation du pouvoir et une tendance
avant-gardiste. Cette intention politique étroitement
liée à la société était également partagée par le
public qui comptait des étudiants des mouvements
contestataires de l’époque.
Y. n. : C’est après nous être formés au théâtre occiden-
tal que nous avons voulu trouver notre propre identité
théâtrale. Contrairement à la majorité de la jeune génération d’aujourd’hui qui ne connait pas profondé-
8
c’est à cette époque que vous avez obtenu la réputation de « terrible metteur en scène qui balance
son cendrier sur ses comédiens » pendant les répétitions ?
Y. n. : Pour moi qui étais issu du milieu underground,
Depuis le début de ma carrière, je me demandais si
mes mises en scène pouvaient supporter le regard des
personnes ayant vécu l’après-guerre sans s’exprimer.
Est-ce que mes spectacles étaient à la hauteur du poids
de leur vie ? J’avais toujours peur que ces personnes
qui ont travaillé jour après jour dans le silence considèrent mon théâtre comme quelque chose de plat
basé sur une connaissance intellectuelle.
Je me disais toujours que comparé à l’ampleur de l’histoire de mon peuple, mon théâtre était tout petit. Cette
compagnie n’est pas un passe-temps pour amateurs.
Avec ces personnes âgées qui vivent réellement le
vieillissement, qui constatent quotidiennement la
dégradation de leur mémoire, la difficulté à bouger
et à articuler, j’ai voulu trouver un réalisme différent
de celui qu’on a cherché dans le théâtre. Je pense que
cela peut aller contre ce que j’ai fait précédemment,
et j’accepte que cela le détruise.
J’aimerais vous parler de ces corps courbés avec
l’âge. On a tendance à les mettre à l’écart du plateau
d’un théâtre, ou bien on leur attribue des rôles stéréotypés. Mais quand vous avez uniquement des
personnes âgées sur le plateau, la valeur des choses
se renverse. Le corps hébergeant une histoire personnelle peut créer un nouveau théâtre, autre qu’un
théâtre en quête de raffinement.
J’ai voulu que le plateau soit traversé par des existences qui ont accumulé des histoires.
chaque jour était un combat contre le milieu commercial. Je me rappelle que je ne m’asseyais pas sur
une chaise pour suivre les répétitions : je me mettais
par terre, sur du papier journal.
vous avez plusieurs demandes et envies de pièces
de théâtre de grande envergure en cours. pourquoi
avez-vous souhaité créer une compagnie réunissant
des séniors sans expérience du théâtre ? Dans vos interviews, j’ai lu que vous considérez que même avec
de remarquables mises en scène et des acteurs
chevronnés, il suffit que les sœurs Komadori* traversent la scène dans votre Hamlet pour que l’attention
du public se porte vers elles et que vous ayez honte
de vos efforts artistiques devant leur présence. vous
vouliez dire que le vécu de la personne est plus fort
que l’artifice du théâtre ?
* les sœurs Komadori sont des Sœurs jumelles
nées en 1938 qui ont connu leur heure de gloire
dans les années 1960 dans le milieu du enka
(chanson populaire mélancolique). Dès l’âge de
13 ans, alors qu’elles vivaient à Sanya, quartier
pauvre de Tôkyô, elles déambulaient dans les quartiers populaires en chantant, s’accompagnant de
leur shamisen.
Y. n. : Oui, mais plus précisément le vécu dans l’aprèsguerre propre au Japon. Jeune, je me demandais si
les pièces montées par un blanc bec cultivé qui n’avait
pas connu la galère pouvaient réellement convaincre
des personnes à contribuer à la reconstruction du
Japon.
Que ce soit dans le milieu du petit théâtre ou celui des
grandes productions, je n’arrivais pas à sortir du dilemme lié à ma connaissance et ma culture occidentales. Nous avons fondé les bases de notre théâtre sur
une culture d’emprunt. Ces bases étaient fictives. J’avais
l’impression de créer à partir de là une culture factice, sans respecter l’énergie d’après-guerre qui a fait
le Japon d’aujourd’hui. Ce qu’on avait construit n’était
pas forcément lié à notre identité profonde. On a laissé
quelque part derrière nous les traditions populaires
japonaises. Il nous fallait donc oublier cette pseudo
culture occidentale. Le Japon, ce n’est pas une pâtisserie occidentale à deux balles mais une boulette de
riz grillé.
pourquoi avez-vous tenu à rencontrer chaque candidat lors de l’audition du gold theater ?
Y. n. : Je ne voulais pas les juger sur un simple docu-
ment écrit car le papier ne reflète pas à la réalité. Je
pensais du point de vue moral que je me devais de
rencontrer toutes ces personnes. J’avais proposé plusieurs textes de théâtre. Je donnais parfois des indications de jeu pour voir comment les candidats réagissaient, sur le plan artistique ou personnel.
Ces rencontres m’ont permis d’entrevoir la personnalité de chacun et de savoir si la personne était capable de participer à un projet collectif. Car le théâtre
est tout d’abord un travail collectif qui nécessite, en
dehors du fait de jouer, une mentalité adaptée et le
respect des autres. Il faut par exemple savoir gérer
les poubelles lors des répétitions…
9
vous avez créé cette compagnie quand vous aviez
70 ans. elle fête aujourd’hui son 8e anniversaire.
avez-vous remarqué que le jeu de ses membres
s‘était amélioré ?
Y. n. : Il faut laisser tomber l’idée qu’ils deviendront
Les autres, plus énergiques, mettent en scène un groupe
de personnages. J’ai travaillé avec Kunio Shimizu sur
ce deuxième registre de 1969 à 1973. C’étaient des
textes qui utilisaient volontairement le langage propre à l’époque avec la conscience qu’il pouvait disparaître tôt ou tard. Il y avait un côté rock n’ roll et « No
Future ! ».
Kunio Shimizu venait souvent me parler quand il
travaillait sur un texte. Pour Corbeaux !, il m’a expliqué qu’il voulait écrire une pièce dans laquelle des
hommes jugent d’autres hommes. À l’époque, la lutte
sociale touchait à sa fin. Le combat était en train d’être
perdu. Il faut imaginer l’ambiance dans la compagnie à l’époque. Il y avait ceux qui se plaignaient car
on n’allait pas manifester, et qui soutenaient qu’il
fallait combattre au lieu de faire nos petits trucs au
théâtre. Parmi nous, il y avait même un militant activiste qui avait posé une bombe. Mais nous sentions
tous que nous atteignions la fin du combat et que ce
n’était pas positif. Cette pièce était une sorte de chant
du cygne de cette période intense.
de meilleurs acteurs. L’évolution de leur façon de
jouer est imprévisible et propre à chacun : en un an,
certains deviennent beaucoup plus énergiques alors
que d’autres vieillissent rapidement. Leur jeu n’est
pas comparable à celui de comédiens professionnels.
Mais ils arrivent à créer une marge ou une distorsion
sur scène qui va au-delà du texte et qui, des fois, peut
nous éblouir. Comme une ou deux minutes miraculeuses qui surgissent dans l’histoire du théâtre. Ils
peuvent créer une atmosphère époustouflante dont les
acteurs d’une autre génération ne sont pas capables.
D’ailleurs, quand ils s’habillent tous en deuil, quelque
chose de très fort se dégage d’eux. C’est évident.
comment percevez-vous la vieillesse à travers votre
compagnie ? est-ce que l’âge apporte la sagesse
et fait oublier l’égo ?
Y. n. : D’après ce que je vois, non. C’est pénible car ils
le gold theater est connu pour passer des commandes d’écriture aux auteurs contemporains. pourquoi
avez-vous choisi de reprendre cette pièce pour la
tournée à paris ?
Y. n. : J’ai l’impression que la France aime le théâtre
veulent tous s’asseoir au milieu pour voir la répétition,
ils ne se cèdent pas leur place. C’est pareil pour le
salut à la fin d’une représentation. Tout le monde veut
être au centre. Je suis obligé de leur dire d’échanger
leurs places.
Les vieillards d’autrefois qui apprenaient à s’effacer
étaient beaucoup plus sympathiques. Mais je me dis
que c’est une des réalités de la vieillesse d’aujourd’hui.
Pourquoi ne pas l’accepter ?
calme et subtil. Je voulais donc venir avec une pièce
d’une énergie contraire, avec une multitude de personnages.
Les jeunes Japonais ont tendance à éviter le contact
avec leur entourage. On a l’impression que la vie au
Japon est devenue aseptisée, fade, inodore. Mais la
réalité existe à Tôkyô, dans les foules de Shinjuku ou
du quartier populaire d’Asakusa. Les odeurs sont toujours présentes dans notre vie. Je vais vous dire une
chose : je déteste Ozu. Les scènes de la vie quotidienne
qu’il montre dans ses films sont très artificielles, très
bien ordonnées. Je préfère la misère et la boue des
films de Kurosawa, d’Oshima et d’Imamura. Ça correspond à 99 % à la vraie vie au Japon.
C’est un vieux qui fonce à toute allure qui vous dit
ça.
est-ce que la vieillesse fait retourner la personne à
une sorte d’état de pureté proche de son enfance ?
Y. n. : Non, la vieillesse n’est pas si belle que ça. Les
choses que vous avez acquises se fixent et s’immobilisent en vous-même. Vous perdez la capacité à imaginer l’autre, à être flexible. C’est pourquoi il faut
faire plus d’efforts pour stimuler son imagination.
pouvez-vous nous présenter Kunio shimizu, l’auteur
de Corbeaux ! Nos fusils sont chargés !, avec qui vous
avez passé des années de collaboration intense et
qui est aujourd’hui l’un des grands dramaturges de
l’histoire du théâtre japonais ?
Y. n. : Ses pièces appartiennent à deux registres. Les
UNE AUTRE INTERVIEW DE YUKIO NINAGAWA (EN ANGLAIS)
EST CONSULTABLE SUR :
http://www.performingarts.jp/e/art_interview/0910/1.html
unes sont des huis clos avec très peu de personnages.
10
NOTE DE YUKIO NINAGAWA
DANS LE PROGRAMME DE SALLE
LORS DE LA REPRÉSENTATION À PARIS, MAI 2013
En 1971, quand on jouait Corbeaux ! Nos fusils sont
chargés !, notre situation politique ainsi que notre
théâtre commençaient à être à bout de souffle et
notre combat, lui aussi, allait droit vers un échec. On
ne comptait plus les meurtres perpétrés par l’Armée
rouge et les bombes qui semaient la terreur.
Nous voulions faire un théâtre dépendant de ce
contexte et destiné à disparaître. Un théâtre qui ne
soit plus valable après cette époque. Kunio shimizu
ne souhaitait pas que ses pièces subsistent en tant
qu’œuvres littéraires. Il avait voulu écrire ses textes
en utilisant des mots qui seraient irrémédiablement
emportés avec cette époque.
Et aujourd’hui, je recrée cette pièce avec de véritables personnes âgées.
Un jour, en 1972, je suis allé voir un film au cinéma.
Pendant l’entracte, un jeune m’adressa la parole. Il
me proposa d’aller dans un café car il tenait absolument à me parler. Je l’accompagnais et à peine étions
nous assis qu’il passa son bras sous la table, pointant
un couteau sur moi.
Le jeune homme me dit alors : « Monsieur
Ninagawa. J’ai vu beaucoup de vos pièces. Auriez-vous
l’intention de parler d’espoir, maintenant ? »
Je lui répondis : « Maintenant, il n’y a pas d’espoirs
dont je pourrais parler. »
« Ah, tant mieux. Si vous m’aviez parlé d’espoir, je vous
aurais poignardé. »
Juste après avoir dit ces mots, il sortit du café, montant les escaliers quatre à quatre.
Aujourd’hui, j’imagine que le public est composé de
jeunes munis de mille couteaux.
Quel âge ont-ils maintenant ?
Vont-ils me questionner de la même manière ?
Yukio ninagawa
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PRESSE
interprétée par des acteurs âgés de plus de 55 ans, la pièce Corbeaux !
Nos fusils sont chargés ! est un grand spectacle réflexif sur la société
japonaise depuis l’après-guerre caché sous une farce tragi-comique.
Certains Japonais du village de Kyotango sont les
doyens de l’humanité, vivant jusqu’à 116 ans. À la
Maison de la Culture du Japon à Paris, la troupe des
36 comédiens du Saitama Gold Theater, s’ils ne se
réclament pas encore d’une telle longévité, ont d’autres
atouts que leur grand âge. Ce sont des seniors, comme
on les appelle aujourd’hui, mais surtout d’extraordinaires comédiens non professionnels formant une
troupe crée en 2006 par Yukio Ninagawa. Parmi eux,
des femmes au foyer, un ouvrier, une psychologue,
un enseignant, et même un ancien kamikaze. Qui a
survécu bien entendu.
Réunis sur scène à l’occasion de la reprise de Corbeaux!
Nos fusils sont chargés !, pièce crée en 1971, ils crèvent
littéralement la quatrième dimension de la scène de
théâtre.
Écrite par Kunio Shimizu, l’argument de Corbeaux ! est
la prise en otage d’un tribunal japonais par un groupe
de femmes âgées, qui ordonnent les procès successifs des occupants, juge, avocat et accusés, allant même
jusqu’à amener à la barre leurs propres petits-enfants.
thèmes qui affleurent, grâce à l’expressivité de la
troupe de comédiens. Mais la gravité alterne avec la
farce sans complexe, les mamies défroquant les honorables représentants de l’ordre, montrant leurs propres derrières et criants des insanités.
Les interprètes déploient une énergie implacable,
avec la contrainte, au spectateur invisible, d’être constamment à 36 sur scène : chacun trouve pourtant sa
place, sa partition, son rythme. La direction d’acteur
n’en est que plus formidable, même si le metteur en
scène avoue qu’il découvre la vieillesse « de façon
crue et réelle, au-delà de ce que j’imaginais, à travers ces
gens qui trébuchent facilement ou pour lesquels l’obscurité des coulisses représente un danger ». « Mais ce
groupe est un microcosme de notre société japonaise
vieillissante. On doit être créatifs malgré la vieillesse »,
explique-t-il.
Comme en réponse à cette déclaration, les acteurs
miment un lynchage vers la fin de la pièce au détour
d’une composition au ralenti. Merveille que ce tableau
de théâtre figé, avant que le rythme effréné de la pièce
ne reprenne. La lenteur et l’énergie des corps des comédiens se répondant dans un souffle d’émotion.
La participation de 20 jeunes comédiens du Saitama
Next theater, qui surgissent inopinément à la fin du
spectacle, est la formidable conclusion de ce tour de
force actoriel : la réunion des générations, quel que
soit les meurtrissures du passé, dans le même geste
artistique.
une énergie implacaBle
Ainsi le spectacle, car c’en est un, débute par un attentat commis par deux jeunes désœuvrés. Bien vite
c’est le chaos, et le groupe de grands-mères vociférantes envahit la scène, occupe l’espace et le texte de
leur colère : « On a perdu la tête depuis longtemps, la
haine nous a rendues folles depuis des centaines, des
milliers d’années. »
La beauté réflexive du texte de Kunio Shimizu ne
pourrait être mieux mise en valeur par la richesse de
la mise en scène de Yukio Ninagawa. Lutte sociales,
oppression, revendications politiques d’une jeunesse
déçue, corruption, domination masculine : tant de
pauline labadie, Le Figaro, juin 2013
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KUNIO SHIMIZU
auteur
Né à Nigata en 1936, il publie sa première pièce, Chomeijin, à l’université Waseda
et se fait connaître en gagnant le Theatreux Drama Award et le Waseda Drama
Award.
Après ses études, il rejoint la Iwanami Film Company. À partir de 1965, il s’engage pleinement dans l’écriture. En 1969, il fait sensation avec Shinjo Afururu
Keihakusala première production que Yukio Ninagawa met en scène et désormais, il appartient exclusivement au Ninagawa’s Gendaijin-Gekijo et la compagnie Sakurasha. Ensemble, ils travaillent surtout pour les jeunes générations.
En 1974, il remporte le Kishida Award pour Bokuraga Hijono Taigawo Kudarutoki.
Après la disparition de Sakurasha, il fonde une nouvelle compagnie de théâtre,
Kitosha, avec sa femme et actrice, Noriko Matsumoto. Il y joue un rôle très actif
en tant qu’auteur et metteur en scène jusqu’à sa dissolution en 2001. Il écrit
également pour la radio et la télévision et est nominé pour le prix Akutagawa
pour son œuvre Tsukigatakamawo Kainiiku Tabi. Il reprend une collaboration avec
Ninagawa en 1982, il écrit des pièces comme Tango Fuyuno Owarini (Tango à la
fin de l’hiver) et Amenonatsu, 30ninno Juliet ga Kaettekita. Il remporte le Izumi
Kyoka Award de Littérature pour Wagatamashiha Kagayaku Mizunari en 1980
et le Yomiuri Award en Littérature pour Elegy Chichino Yumeha Mau.
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YUKIO NINAGAWA
UN PARCOURS THÉÂTRAL EXCEPTIONNEL
metteur en scène, réalisateur, directeur artistique du saitama arts theater
et du Bunkamura cocoon theatre
Né en 1935. D’abord acteur, il commence une carrière de metteur en scène en
1969 avec une pièce de Kunio Shimizu. Il devient rapidement l’un des chefs de
file du Mouvement des petits théâtres, en révolte contre la suprématie du théâtre
shingeki.
En 1974, il signe sa première mise en scène dans un grand théâtre avec Roméo
et Juliette dont l’originalité provoque un véritable choc. Il enchaîne les succès avec
un répertoire éclectique : pièces de Shakespeare, tragédies grecques, pièces
classiques et modernes du théâtre japonais (Chikamatsu, Tanizaki, Mishima).
Ses mises en scène spectaculaires et innovantes rencontrent également un accueil
enthousiaste en dehors de l’Archipel. Ninagawa entame sa carrière internationale
en 1983 en présentant Médée en Europe. Tous les rôles y étaient tenus par des
hommes. Cette pièce phare a ensuite beaucoup tourné dans le monde entier.
Depuis 1983, ses pièces sont jouées presque tous les ans dans les salles les
plus prestigieuses du monde entier : New York Lincoln Center, BAM (New York),
Kennedy Center (Washington), National Arts Center (Ottawa), Barbican Center
(Londres), London National Theater, Picadilly Theater (Londres), Royal Lyceum
Theatre (Edinbourg), etc.... Particulièrement apprécié en Angleterre, il est nominé en 1987 au Laurence Olivier Award pour ses mises en scène de Médée et de
Ninagawa Macbeth.
Ninagawa s’est vu confier plusieurs mises en scène pour la Royal Shakespeare
Company, à commencer par Le Roi Lear en 1999 avec une distribution composée
de comédiens japonais et anglais. Il est également l’un des directeurs artistiques du Shakespeare’s Globe Theatre à Londres.
Il a été plusieurs fois récompensé à l’Edinburgh International Festival. Sa curiosité
et son énergie le poussent à monter des grandes productions mais également des
pièces comme celles de Tchekhov (La Mouette, Les Trois Sœurs) dans des lieux plus
intimistes.
En 1996, n’étant pas autorisé à se produire à Gaza, il renonce à sa tournée de
Médée en Israël. En découvrant Parallèles et Paradoxes, ouvrage d’entretiens cosigné par Edward Saïd et Daniel Barenboïm, et après trois ans de préparation,
Yukio Ninagawa réalise fin 2012 le projet des Troyennes d’Euripide, réunissant
des comédiens d’origines japonaise, arabe et juive. Cette pièce fut coproduite par
le Tokyo Metropolitan Theater et Cameri Theater (Tel Aviv).
En 1998, avec le Saitama Arts Theater, il lance la « série shakespeare » : pour cet
ambitieux projet, il veut mettre en scène toutes les œuvres de Shakespeare (37
au total), avec une nouvelle traduction en japonais. L’été dernier, il a mis en scène
Troïlus et Cressida, 26e pièce de la série. Depuis qu’il est directeur artistique de
saitama arts theater, il a créé le saitama gold theater avec des comédiens de
plus de 55 ans, et le Saitama Next Theater, qui soutient la jeune génération.
En 1983, Ninagawa avait été invité au CNCDC de Châteauvallon avec Médée. Trop
rare en France, il avait présenté en 2002 à la Maison de la culture du Japon à Paris
son Songe d’une nuit d’été, rencontre magique entre la comédie Shakespearienne
et l’esthétisme qui évoque le théâtre kabuki.
SITE OFFICIEL
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www.my-pto.cojp/ninagawa/
LE SAITAMA ARTS THEATER
le saitama arts theater est un théâtre public situé à une heure de Tôkyô.
Inauguré en 1994, il est réputé pour sa programmation de qualité et ses collaborations avec les artistes
internationaux qu’il invite : Peter Brook, Pina Bausch, Jan Fabre… En 2005, le metteur en scène Yukio
ninagawa, nouveau directeur artistique du théâtre, déclare que son premier objectif est de créer une compagnie qui puisse « offrir à des personnes âgées, aux parcours différents, la possibilité de découvrir de nouvelles facettes de leur personnalité grâce au théâtre ». Il s’inspire notamment de La Classe Morte de Tadeusz
Kantor, interprétée par les comédiens âgés du Théâtre Cricot 2 qui l’avaient fortement marqué dans les
années 1970.
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SAITAMA GOLD THEATER
LA COMPAGNIE
En 2006, Yukio ninagawa fonde une nouvelle compagnie, le saitama gold theater. Plus de 1200 candidats
participent aux auditions. Initialement programmées sur deux jours, elles se prolongent durant deux
semaines. En effet, ne voulant pas faire de présélection sur simple dossier, Yukio Ninagawa tient à voir
chaque candidat. À la fin de ces entretiens, 48 personnes âgées de 55 à 80 ans sont sélectionnées. Parmi
elles figurent aussi bien des femmes au foyer qu’un ouvrier, une psychologue ou un enseignant, et même
un ancien kamikaze survivant.
La plupart des acteurs n’a jamais fait de théâtre, même en amateur. Tous suivent une formation d’un an dans
plusieurs disciplines : théâtre, voix, gestuelle, danses moderne et traditionnelle, etc. Ce nouveau projet de
Ninagawa suscite un véritable engouement médiatique qui s’explique par plusieurs raisons : d’une part,
cela se passe au Japon, pays à la longévité record et au faible taux de natalité où plus de 20 % de la population a plus de 65 ans. D’autre part, à cette époque, la génération « Dankai » née après la Seconde
Guerre mondiale, celle qui avait si fortement contribué à la croissance économique des années 1960 et commence à atteindre l’âge de la retraite, se retrouve sous les feux de l’actualité.
Aujourd’hui, la compagnie se compose de 41 comédiens de 61 à 86 ans. Ils se retrouvent au moins une fois
par semaine – en dehors des périodes de répétitions – et montent un projet par an. Certains des comédiens
participent également à d’autres productions de théâtre.
Yukio Ninagawa, répètition avec la Saitama Gold Theater
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LE SAITAMA NEXT THEATER
En 2009, Yukio ninagawa crée le saitama next theater, une compagnie de jeunes acteurs, et encourage
le travail intergénérationnel avec le Saitama Gold Theater. « La rencontre entre ces acteurs jeunes et âgés
produit des moments très forts. Les acteurs âgés montrent plus de vitalité et témoignent d’une tendresse
incroyable envers la jeune génération, et inversement. Aujourd’hui, on parle souvent du fossé entre les
générations. Je pense donc que ce genre de rencontre doit exister non seulement dans la société mais
aussi dans le monde du théâtre », confie Yukio Ninagawa.
«
Je suis entré dans cette compagnie en 2005
à l’âge de 81 ans. La dernière fois que j’avais fait
du théâtre remonte à l’époque où j’en avais 19 ans.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale,
quand le Japon a capitulé, je devins prisonnier
de guerre en Chine. Dans le camp,
nous avons monté une pièce intitulée
Le Jour du retour. J’interprétais le rôle principal,
celui d’un jeune Japonais qui rentre
dans son pays. Je ne pensais pas que je ferai
de nouveau du théâtre.
»
hiroshi Kobayashi, acteur
Le Saitama Arts Theater fait partie des cinq théâtres publics, avec SPAC, Art Tower Mito, Hyogo Piccolo
Theater et Matsumoto Performing Arts Centre, qui possèdent leur propre compagnie de théâtre.
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