Street Samourai
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Street Samourai
Street-Samourai Archétype des plus classique, le Street Samourai a fini par désigner, avec le temps, n’importe quel bourrin avec un flingue. Mais le terme recouvrait, à l’origine, autre chose. Je me propose ici de donner ma vision du phénomène. Il s’agit d’un avis subjectif constitués de divers partis pris. Je joins dans la bibliographie la référence à un autre article qui a une vision complètement différente. Si vous avez un point de vue divergeant, n’hésitez pas à nous l’envoyer. J’ai choisi de m’intéresser à 2 phénomènes périphériques, en apparence, pour expliquer mon propos, à savoir le zen, puis celui des samourais. Je détaillerai les similitudes d’environnement avec l’univers cyberpunk, pour finir par utiliser le personnage de Molly de Gibson comme exemple de street samourai. Zen Le street samourai devant plus son appellation à l’approche zen du bushido, plus qu’en tant que code de conduite, il peut être intéressant de se pencher sur la chose. Voici quelques grands principes. Impermanence Un des postulats du zen est que toute chose est amenée à se dégrader, à disparaître. Les scientifiques appelle ça le ‘Second Principe de la Thermodynamique’, l’homme de la rue que ‘tout fout le camp’ et le zen ‘l’impermanence’. Cela consiste à considérer toute chose comme passagère, y compris la vie elle-même. Attention, il n’y a pas ici de jugement de valeur, au contraire. Puisque rien ne dure, il n’y a pas de raison d’accorder plus d’importance à quelque chose qui serait soi-disant durable. Cela signifie aussi que l’on considère très sérieusement que sa propre vie peut s’échapper à tout moment. Une fois cela accepté, on peut accueillir l’idée de la mort avec plus de sérénité que la moyenne des gens. Oui, c’est un truc de malade, je n’ai jamais dit le contraire. Détachement Cette notion d’impermanence en entraîne une autre : celle de détachement. Si rien ne dure il ne faut donc pas s’attacher à ce qui nous entoure. Il est nécessaire d’avoir en permanence à l’esprit que ce que l’on a sous les yeux peut disparaître à tout moment. Or, ce qui crée l’attachement sont les sentiments. Le zen porte donc une grande attention à se départir de ses sentiments, à les contrôler. Ainsi, ils n’appliquent pas leur filtre déformant sur la réalité et l’ont peut prendre ses décision et faire ce qui est nécessaire sans être influencé. Il est ainsi possible d’envisager la mort froidement, calmement, comme quelque chose d’inéluctable dont il ne faut pas avoir peur. De façon plus générale, la notion de détachement est applicable à chaque instant de la vie. Afin de permettre une simultanéité de la pensé et de l’action, il est nécessaire de ne focaliser son attention sur rien. Dans les divers traité Zen, martiaux ou non, le lecteur est mis en garde contre le risque de se concentrer sur une partie du combat : le sabre de l’adversaire, le sien propre, l’environnement, etc.. Ce faisant, on limite son champ de possibilité, l’esprit n’est plus détendu, disponible, il est fixé sur quelque chose et cela entraînera la mort. L’Instant Fort du principe de l’Impermanence, qui, il faut bien le dire, nous a dépouillé de tout assez vite, le zen nous amène naturellement à considérer le peu qu’il nous reste : l’instant. En effet, vu que tout peut foutre le camp à tout moment, il faut vivre le moment présent en étant prêt à mourir le moment d’après. Ainsi, on peut se concentrer totalement sur ce que l’on accomplit, sans se soucier du reste, l’action prime sur ses conséquences. Il faut faire ce qui doit être fait, ni plus, ni moins. Cela ne veut pas dire qu’il faille se transformer en animal se contentant de réagir aux stimulations émises par son environnement. Mais une fois une décision prise, celle-ci étant le fruit d’une réflexion que rien ne sera venu troubler, vient le moment d’agir, pendant lequel il n’est plus question de peser le pour et le contre, seul compte l’action. Concernant la décision, se tenir à une ligne de conduite générale et déterminée à l’avance permet, le moment, venu de ne pas avoir à peser le pour et le contre sous le coup de l’émotion. On suit son mode de conduite prédéterminé sans se poser de question, et on agit. Ceci nous amène à l’exécution de l’action. Avec sa sobriété habituelle, le zen voit l’action même comme utilitaire, objective. Pour cela, il faut que les moyens mis en œuvre soient réduits au minimum et d’une efficacité maximum, bref, optimisés autant qu’il est possible. De la même façon, étant donné que l’on ne se préoccupe pas des conséquences, l’action doit être sans but. On agit, rien de plus. Tout ce qui compte c’est l’action en elle-même, son objectif disparaît derrière la réalisation. Au final, ce n’est pas l’action en elle-même qui prime, puisque ses conséquences ne dureront pas, mais la perfection de sa réalisation. Tout doit ne faire qu’un : décision, réalisation, action elle-même. Samourai La Voie Les Samourais furent très intéressés par les enseignements du Zen car ceux-ci répondaient bien à leurs attentes. Ils adaptèrent donc cela à leur sauce, créant ainsi la notion de Voie. Il s’agissait de trouver un sens à une époque où la vie n’en avait pas. Plutôt d’attendre que quelqu’un les sauve à leur place, ils préférèrent compter sur eux-mêmes pour donner un semblant de signification à une vie souvent rude, violente et brève. La Voie consiste à se réaliser dans un art, quel qu’il soit. Cela peut être les arts martiaux, mais aussi des choses plus pacifiques comme la peinture, la cérémonie du thé, etc. L’objectif est ici de courir après une perfection que l’on sait ne jamais pouvoir atteindre mais qui n’empêche pas l’amélioration. Le but n’est rien, seul compte la réalisation elle-même. Cette pratique assidue d’un art finit par établir un filtre au travers duquel la personne envisage l’existence, faisant vraiment de son art un moyen de traverser la vie. Obéissance La notion au centre de l’esprit samourai est celle de l’obéissance à son maître. Un samourai sans maître n’a pas de raison d’exister. Il devient un Ronin, mais ceux-ci sont une aberration dans le système social japonais. Cette notion d’existence fut poussée à son paroxysme avec la banalisation de la pratique du seppuku. Celui-ci permettait de se sortir de situation de conflit d’intérêt sans se renier. Par exemple, si le maître donne un ordre contraire à la loi de l’Empereur à son vassal, celui-ci va agir selon ce qu’il estime juste, i.e. obéir à l’un ou l’autre, puis s’ouvrir le ventre joyeusement parce qu’il aura contrevenu à l’une ou l’autre de ses obligations. Elégant, n’est-ce pas ? Néanmoins, cette obéissance n’est pas aveugle. Si le samourai considère que le service à son maître va à l’encontre de son giri, il peut très bien le quitter, voire lutter contre lui en « passant à la concurrence ». Le giri est une notion japonaise qui pourrait se comparer à l’ensemble des obligations sociales auxquelles est soumis un individu. Cela va de la loyauté envers la famille aux règles de politesse en passant par la défense de son nom et de son honneur, comme dans le cas précédent. Vie et (surtout) mort du samourai Le seppuku nous amène naturellement à la mort dans la mystique samourai. Un samourai doit être prêt à mourir à tout moment, car être prêt à mourir, c’est être prêt à vivre. (Hagakure). Forts du principe d’impermanence, les samourais ont trouvé une optique leur permettant d’accueillir la mort à bras ouverts. C’était d’autant plus pratique qu’elle venait plus qu’à son tour sans se faire inviter à l’époque. Ils plaçaient l’obéissance au seigneur, et envers la société, au dessus de tout, y compris leur propre vie. Ce faisant, ils avaient un objectif à atteindre et un sens à donner à leur existence. C’est ce qui leur permettait de courir à la mort sans arrière pensé, celle-là étant d’autant mieux acceptée quelle fournissait à la vie sa justification. Mourir en suivant sa Voie est ainsi ce qui, à leurs yeux, donnait un sens à leur présence sur terre. Là-dessus, il convient d’ajouter le principe bouddhiste de la réincarnation qui permettait de relativiser la mort. Ce qui n’enlève rien aux samourais car, réincarnation ou pas, ceux capables de regarder la mort dans les yeux ne furent pas légion. Le Street Survivre Le principe du Street, c’est que la survie est un combat de tous les instants. Cela peut nous paraître lointain à nous, masturbateurs oniriques oisifs et sybaritiques, mais pour beaucoup de gens, survivre jusqu’au prochain repas et trouver de quoi le faire (le repas) n’est pas forcement évident. (je vous renvoie à n’importe quelle source d’information valable pour trouver la listes des horreurs commises et des gens morts la bouche ouverte aujourd’hui). En fait, la situation n’est pas foncièrement différente pour ces gens de celle du Moyen-Age. Ils sont confrontés en permanence à la misère qui engendre la loi du plus fort, procédant elle-même d’une violence omniprésente. De la même façon, que pendant le Moyen Age japonais, qui ne fut qu’une longue guerre civile, la vie ne vaut pas cher. Les conditions sont similaires. Quand la première personne que vous rencontrez peut vous descendre pour votre paire de chaussures, quand des petits cons favorisés s’amusent à chasser les SINless « pour le sport », quand l’ambiance des rues est similaire à celle d’une prison où un regard de travers peut vous valoir d’être tabasser à mort, l’Impermanence, vous la vivez au quotidien. Et il n’est pas nécessaire de marcher loin pour trouver un cadavre auprès de qui méditer là-dessus. Qui plus, si vous avez le malheur d’être du sexe féminin, ne pas finir réduite en esclave sexuel dans un bordel à 15 passes par jour relève du tour de force. La vie ne vaut pas cher et rien, absolument rien n’est fait pour durer. Vos amis peuvent se faire abattre la minute suivante, vos biens se faire voler, votre intégrité physique violer, d’une façon ou d’une autre. Dans ce genre de contexte, il est nécessaire de se blinder psychologiquement, de ne s’attacher à rien. Cela vaut mieux, si ça se trouve, demain vous aurez tout perdu. Dans cet univers, il n’y a pas la place pour les sentiments. Mais cela est valable dans les deux sens : si effectivement les sentiments bénéfiques risquent de se retourner contre vous, s’amuser à faire dans le gratuitement cruel, pour se venger de cette existence insupportable, n’est pas spécialement intelligent. Cela risque d’engendrer des conséquences diverses (vengeance, perte d’attention, prise de risques inutiles) qui peuvent très bien mener au trottoir. (les dents en avant, le plus souvent). Tout ce qui n’est pas utilitaire et spécifiquement orienté vers la survie doit être banni afin de maximiser ses chances. Dans de telles conditions, on vit au jour le jour, vivre dans l’instant vient naturellement quand on ne sait pas si l’on sera en vie le soir même. Attitude Ce qui m’amène au nœud du sujet : qu’est-ce que la fameuse ‘Attitude’ du Street Samourai ? Je me réfère ici à William Gibson, plus précisément son personnage de Molly. Ce n’est pas le seul (Sarah et Steward chez Williams, Hiro Protagonist chez Stephenson) mais il reste un des premiers du genre ; c’est un parti pris. On peut constater diverses choses : ce qui frappe en premier, c’est son aspect pragmatique et utilitaire. Tout ce qu’elle utilise est millimétré, sobre et utile, jusqu’à son briquet qui semble sortir d’une salle d’opération. La seule exception notable est son vernis à ongle, c’est peu. Elle agit avec le maximum d’efficacité. Quand elle protège Case, si pour cela il faut tirer au lance fléchette (20/s, c’est beaucoup) au milieu d’une foule et tartiner le type, pas de souci. Tout ce qu’elle fait est contrôlé, elle ne se laisse jamais aller à la facilité. Un autre aspect révélateur de cette mentalité zen est son détachement vis-à-vis de la vie en général. Lors de sa confession à Case pendant qu’elle évolue dans Straylight, elle lui explique qu’elle ne pense pas réussir à survivre à la run. Elle est prête à mourir. De la même façon, elle ne se pose pas de question quand elle s’amuse à brutaliser et à menacer de mort le type de la police secrète à Istanbul, sur son propre territoire. Elle est prête à en assumer les conséquences, quelles qu’elles soient. Ce détachement se traduit de diverses façons. Elle semble toujours se tenir en retrait par rapport aux autre personnages, voire à l’action ellemême. Alors que Case est « à fond », pris entre une IA, un programme brise-glace militaire, un construct et des sachets de toxines dans ses artères, Molly se laisse porter par le courant. Elle se sait manipulée, fait ce qu’elle peut pour éviter de se retrouver sans ressources ni infos mais ne s’en fait pas plus que cela. Elle suit le flot de l’action, se tenant prête à agir le moment venu. Comme tout être humain, elle a des sentiments, notamment concernant Case ou son passé, mais elle fait tout pour qu’ils n’aient pas prise sur elle. Cela fonctionne plus ou moins bien (cf épisode de la « pièce de théâtre » de Riviera) mais elle fait tout pour que cela n’influe pas sur son mode de vie. Ainsi, à la fin du roman, elle quitte Case avec une vague note expliquant que ça (leur histoire) l’affaiblit et que, conclusion logique, elle se barre. Un « It’s the way I’m wired » sibyllin pour toute explication. Au niveau du cyberware, si elle n’a pas sombré dans la folie, c’est grâce justement à un mental extrêmement fort, qui lui permet de transcender le chrome de la même façon qu’elle a pu transcender la chair auparavant (objectif de la plupart des arts martiaux qui consistaient à conditionner le corps humains d’une façon déterminée). Pour elle, le chrome et la chair sont la même chose, elle est allée au-delà de l’un et de l’autre. Ce qui fait la particularité de ce type de personnage, ce n’est pas son cyber mais son esprit. Ainsi, le seul arrivant à la mettre en difficulté est Hideo, le ninja cloné de TS qui est comparable à elle, voire pire. Il n’a pas besoin de voir pour tirer à l’arc, il est en transe zen permanente. Son esprit vaut celui de Molly et c’est pour cela qu’il est dangereux. On retrouve la mystique chère aux arts martiaux : on se bat avec son esprit, pas avec son corps. Jouer un Street-Samourai à Shadowrun Je livre ici, en guise de conclusion, quelques axes d’interprétation d’un street-samourai à la mode FENIX. J’invite vivement le lecteur à développer les siens propres, afin que la rencontres des différentes approches soit le plus haute en couleur possible. Au final, dans les faits, concrètement, les caractéristiques du street samourais peuvent se résumer en quelques points. Une détermination sans faille. Elle pousse à accomplir ce qui a été décidé quelles qu’en soient les conséquences pour soimême ou pour des êtres chers. Une absence de peur de mourir. Découle du principe précédent. Une voie. Quelle qu’elle soit, combat, magie, technique informatique ou autre, elle met un filtre devant les yeux du personnage et pousse celui-ci à voir le monde sous cet angle. La recherche de la perfection. Le Street Samourai fait les choses complètement et du mieux qu’il peut, que ce soit dans sa voie ou ailleurs. C’est un perfectionniste doublé d’un optimisateur. Une absence d’hésitation. Lorsque vient le moment de l’action, il ne se préoccupe pas de savoir si c’est dangereux ou mal. Il y va et assume les conséquences en cas d’erreur de jugement. De toute façon, la mort ne lui fait pas peur. Bibliographie Hagakure - Jocho Yamamoto La voie du samourai dans sa version primitive et débile. Ca se suicide dans tous les sens pour n'importe qu'elle raison. Inexploitable mais donne une bonne idée du samourai des origines. (Yamamoto s'est retrouvé interdit de Sepuku, ce qui l'a amené à écrire ce livre) Le Traité des 5 Roues - Miyamoto Musashi Réactualisation du précédent par un des grands hommes de l'ère Edo. Très pragmatique, plein de choses applicable dans un sens plus large. A noter que le Sepuku n'est pas encouragé. (Il me semble) L'Art de la Guerre - Sun Tzu Un autre très vieux texte qui a servi de livre de chevet à beaucoup de samourai de toutes les époques. (ce livre est très ancien). Tout le monde vous dira qu'il est génial. Je le trouve illisible si on n'est pas TRES balaise en culture chinoise. Comprendre et appliquer l'Art de la Guerre - Pierre Fayard Le précédent passé à la moulinette et expliqué par et pour les occidentaux. Très bien fait, accessible et applicable. Et l'auteur baigne dans l'intelligence économique pour vous dire si ce n'est pas innocent. Bushido - Inazo Nitobe Le samourai dans la vie de tous les jours. Très sympathique et écrit à destination d'occidentaux. Très bonne introduction au phénomène. Zen et Arts Martiaux - Taisen Deshimaru Tout est dans le titre. Style très accessible. Contient de vrais morceaux de Street-Samourai dedans. Le Chrysanthème et le Sabre - Ruth Benedict Ecrit par une américaine pendant la 2° guerre mondiale pour permettre aux militaires US de comprendre ce pays. Très bien fait, explique vraiment les fondamentaux de la société japonaise. Pas de rapport directe avec l'optique Samourai, mais permet de mettre en perspective les autres livres et de comprendre d'où vient la mentalité Samourai. Burning Chrome: Johnny Mnemonic, Neuromancer, Mona Lisa Overdrive (à faire précéder de Comte Zero) - William Gibson L'archétype du Street Samourai auquel je fais référence tout le temps, Molly. Samourai Virtuel - Neil Stephenson Une autre approche qui permet de changer un peu de style. HAGAKURE - LA VOIE ULTIME Une autre vision du Street Samourai disponible sur le SDEN par Bobba.