Cahier 6 L`accompagnement interculturel lors d`un deuil

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Cahier 6 L`accompagnement interculturel lors d`un deuil
Cahier 6 L’accompagnement interculturel lors d’un deuil Hélène Dubreuil, Étudiante au baccalauréat en sciences infirmières, UQO Francine de Montigny, Ph.D. Professeure du département des sciences infirmières, UQO Fanny Robichaud, M.Sc, candidate doctorale Professeure du département des sciences infirmières, UQO Mars 2007
L’accompagnement interculturel lors d’un deuil Le deuil associé à la mort d’un être cher constitue un phénomène inévitable. La signification et l’importance accordées à cette perte ne peuvent être déterminées que par la personne en question, bouleversée émotionnellement et touchée par la douleur. La plupart des individus ont alors recours à divers rituels, moyens leur permettant d’exprimer ou de retenir de fortes émotions (Romanoff & Terenzio, 1998). La personne et sa famille en deuil se trouvent au cœur des interventions infirmières. Des soins de qualité doivent absolument être en lien avec sa culture et ses croyances. En fait, puisque le nombre d’immigrants augmente en Occident de façon considérable, il devient primordial que les professionnels de la santé démontrent une plus grande ouverture d’esprit et développent une sensibilité culturelle (Hebert, 1998). Les infirmières, entre autres, doivent ainsi adopter une vision anthropologique et sociologique dans leur pratique (Mulhall, 1996). Cette idée prend d’ailleurs toute son importance lorsque la mort frappe et que le deuil survient chez la famille et amis du défunt. Il est essentiel dans ce cas que les infirmières comprennent de façon générale les croyances entourant la mort au niveau de différentes cultures (Kagawa­Singer, 1998). Elles devraient aussi acquérir des connaissances de base sur les différents rituels du deuil au niveau de différents groupes ethniques (Michalopoulou & Michalopoulou, 2002) Il est cependant important de mentionner qu’il existe de nombreuses variations autour des pratiques de la mort à l’intérieur d’un même groupe ethnique; prendre pour acquis qu’une personne réagira de façon spécifique face à la mort est donc tout à fait inacceptable (Gudmundsdottir, 1996). Interventions avec les personnes juives orthodoxes Lorsque la mort emporte une personne juive orthodoxe, il est tout a fait approprié que l’infirmière se présente à ses funérailles et/ou téléphone à la famille du défunt pour leur offrir ses sympathies. Le meilleur moment pour le faire est durant la Shiva, période de sept jours suivant l’enterrement du regretté. Il est ensuite un devoir que l’infirmière en santé communautaire accompagne physiquement et émotionnellement la famille. Elle peut alors utiliser ses habiletés en communication pour écouter, partager des souvenirs et des anecdotes, donner des conseils. Sa présence permettra à la famille de s’exprimer et facilitera le processus du deuil. Il est à noter qu’il est généralement inapproprié de serrer la main, serrer dans ses bras, embrasser ou simplement toucher une personne juive orthodoxe de sexe opposé. Finalement, il est important de souligner que l’envoi de fleurs est inapproprié; il est plutôt conseillé de faire parvenir une carte de condoléances et de faire un suivi de la famille touchée en
l’appelant et/ou en la visitant régulièrement durant les semaines suivant la perte (Weinstein, 2003). Interventions avec les personnes d’origine musulmanes Lors de périodes difficiles, les personnes d’origine musulmans s’appuient fortement sur les valeurs religieuses du livre sacré de l’Islam, le Coran, pour se consoler (Arshad, Horsfall, Yasin, 2004). La famille étendue, de même que les amis, les voisins et la communauté constituent pour leur part d’autres sources essentielles de soutien auprès de la famille endeuillée, suivant la mort d’un être cher. En effet, il est de leur rôle, de même qu’à celui de l’infirmière, de visiter la famille touchée afin de diminuer son sentiment de solitude (Davis, Islambouli, LeGrand, Sarhill & Walsh, 2001). Des sympathies peuvent aussi être offertes par l’infirmière et tous les membres de l’entourage durant les trois jours suivant le décès. Il est à noter qu’exprimer ses sentiments et émotions est considéré, lors de la période de deuil de trois jours, comme normal et sain. L’infirmière se doit donc d’encourager les membres de la famille à partager leur tristesse. Par contre, une perte de contrôle d’émotions telle qu’un excès de colère est inacceptable (Arshad, Horsfall, Yasin, 2004). L’infirmière peut alors encourager les membres de la famille à être patients puisque, selon l’Islam, la patience sera récompensée dans la vie après la mort. Puis, suivant la période de deuil, la famille doit retourner à ses activités habituelles, et ses membres doivent dorénavant contenir leurs réactions face à la mort. Une connaissance de cette pratique permet à l’infirmière de respecter ce contrôle des émotions. Interventions avec les personnes d’origine chinoise Les valeurs aux cœur des croyances des personnes d’origine chinoise en Occident sont inspirées, en plus du Christianisme, de trois religions qui dominent en Chine : le Confucianisme, le Taoïsme et le Bouddhisme. Ainsi, contrairement à la culture juive, il n’est pas commun chez les Asiatiques de discuter ou d’exprimer ses émotions lors d’un deuil puisque selon eux, cela amène la malchance (McLaughlin & Braun, 1998 in Yick & Gupta, 2002). C’est également pour la même raison qu’ils évitent de regarder le corps allongé dans le cercueil durant les funérailles. En conséquence, il est important que l’infirmière évite de considérer comme pathologique une personne asiatique qui refuse de demander de l’aide. Il est aussi essentiel que le professionnel de la santé ne croit pas que la personne endeuillée déni la mort du regretté. Une intervention appropriée est plutôt de promouvoir la proximité avec le défunt puisque les Asiatiques croient qu’ils sont toujours présents dans l’au­delà. De plus, si les obligations de la famille suite à la mort du membre de la famille ne sont pas accomplies, cela peut amener un sentiment de culpabilité (Lee, 1991 in Yick & Gupta, 2002). L’infirmière doit donc rester à l’affût de cela.
Interventions avec les personnes d’origine Afro­américaines Le deuil des personnes d’origine africaine vivant en Amérique est influencé par les croyances traditionnelles africaines, de même que par les valeurs chrétiennes occidentales. Rodgers (2004) a alors exploré la signification du deuil chez des veuves afro­américaines. Elle a découvert que les femmes survivant la mort de leur époux trouvent de la force émotionnelle et spirituelle lorsqu’elles reçoivent des appels téléphoniques, de la nourriture, des visites ou des invitations à souper. De plus, elles acceptent facilement de recevoir des conseils par rapport aux finances, ce que l’infirmière se doit de tenir compte. Aussi, comme le jeu de quilles, les réunions bibliques et la pêche constituent de bons moyens qui aident les femmes à passer au travers du deuil, l’infirmière peut alors leur proposer ces activités. Elle doit également être au courant que les Afro­américaines ont fréquemment recours à des histoires riches en descriptions et en couleurs, racontant des événements vécus avec le défunt. Cela permet aux veuves de passer au travers de la perte avec plus de facilité, et à l’infirmière de mieux comprendre les événements qui ont influencé l’expérience de deuil de la patiente. Il donc essentiel que l’infirmière écoute ces histoires et ne porte pas de jugement. Finalement, comme l’Église et la famille occupent souvent une place importante dans la vie de beaucoup d’Afro­américains, l’infirmière peut explorer l’importance de la religion pour cette famille et si approprié, encourager la personne endeuillée à se tourner vers ces moyens de soutien constitue une intervention infirmière essentielle. Moyens d’aider les infirmières à faciliter les interactions Afin d’aider les infirmières à composer avec les différentes cultures et de fournir des soins qui sont adaptés aux besoins et aux croyances de chacun des bénéficiaires face à la mort et au deuil, Giger et Davidhizar (1998) ont développé un modèle infirmier. Ce dernier inclut les éléments suivants : la communication (volume et ton de la voix, contact visuel, pleurs, etc.), l’espace (distance requise entre deux personnes lors d’une conversation, toucher physique, intimité) et l’organisation sociale (famille, rôles, position sociale). Le concept du temps fait également partie des éléments du modèle, ainsi que les variations biologiques. Ce modèle permet de procéder à une collecte de données en mettant l’accent sur des éléments qui tendent à varier de façon importante d’une culture à une autre, ainsi qu’à l’intérieur d’un même groupe ethnique. Ainsi, en connaissant les valeurs et les croyances d’un client ou d’une famille en particulier, les interventions face au processus du deuil seront adaptées spécifiquement à leurs besoins (Davidhizar, Dowd, Newman Giger & Lee Poole, 1998). De plus, selon Michalopoulou et Michalopoulou (2002), afin de fournir des soins aux personnes endeuillées de meilleure qualité, des cours portant sur la mort ainsi que sur les théories d’adaptation émotionnelle face au deuil devraient
aussi être offerts aux infirmières. Fleming, Lopez Socorro et Tolson (2001), affirme quant à elles qu’une éducation réservée aux professionnels de la santé sur la mort pourrait les aider à comprendre leurs propres sentiments, émotions et comportements, de même que ceux du client. Hebert (1998) affirme d’ailleurs que les infirmières, entre autres, doivent absolument connaître leurs propres perceptions et idées entourant la mort, avant de pouvoir intervenir adéquatement avec un patient endeuillé. Par contre, elles doivent être en mesure de mettre de côté leurs croyances relatives à leur culture afin de ne pas imposer les leurs au bénéficiaire, mais plutôt d’aider le patient à composer avec les idées qui sont bien à lui. Conclusion La culture influence grandement le processus de deuil de chaque individu. Afin que l’infirmière puisse exécuter des interventions adaptées au patient, il est primordial que sa pratique tienne compte des aspects anthropologiques et sociologiques. Ceci permettra au professionnel de la santé de démontrer du respect envers les croyances et les rituels de différentes personnes, donnant plus de sens à ses interventions.
Références Arshad, M., Horsfall, A., & Yasin, R. (2004) Pregnancy loss ­­ the Islamic perspective. British Journal of Midwifery, 12(8): 481­484. Davis, M., Islambouli, R., LeGrand, S., Sarhill, N. & Walsh, D. (2001) The terminally ill Muslim: death and dying from the Muslim perspective. American Journal of Hospice and Palliative Care 18(4): 251­5, 288. Davidhizar, R., Dowd, S., Newman Giger, J., & Lee Poole, V. (1998) Death, dying and grief in a transcultural context: application of the Giger and Davidhizar Assessment Model. Hospice Journal,13(4): 33­56. Foley, J. & Nishimoto, P. (2001) Seminars in ocology nursing, 17(3): 179­189. Fleming, V., Lopez Socorro, L. & Tolson, D. (2001) Exploring Spanish emergency nurses’ lived experience of the care provided for suddenly bereaved family. Journal of advanced nursing, 35(4): 562­570. Gundmundsdottir, M. (1996) Funeral rituals following the death of a child in Taiwan. Journal of palliative care, 12(1): 31­7. Hebert, M. (1998) Perinatal bereavement in its cultural context. Death Studies 22(1): 61­78. Kagawa­Singer, M. (1998) Forum focus. The cultural context of death rituals and mourning practices. Oncology Nursing Forum, 25(10): 1752­1756. Michalopoulou, A. & Michallopoulou, E. (2002) Social handling of death. ICUs and Nursing Web Journal, 12,:7p. Mulhall, A. (1996) The cultural context of death: what nurses need to know. Nursing Times, 92 (34): 38­40. Rodgers, L. (2004) Meaning of bereavement among older African American widows. Geriatric Nursing, 25(1): 10­16. Romanoff, B., & Terenzio, M. (1998) Rituals and the grieving process. Death studies, 22(8): 697­712. Weinstein, L. (2003) Bereaved Orthodox Jewish families and their community: a cross­cultural perspective. Journal of Community Health Nursing, 20(4): 233­ 243. Yick, A. & Gupta, R. (2002) Chinese cultural dimensions of death, dying, and bereavement: focus group findings. Journal of Cultural Diversity 9(2): 32­42.