Le boss est mort - Palace de Granby

Transcription

Le boss est mort - Palace de Granby
Publié le 18 février 2011 à 11h16 | Mis à jour le 18 février 2011 à 11h16
Le boss est mort : la fragilité avant la
férocité
L'interprétation de Benoît Brière amène le personnage de Deschamps dans d'autres zones.
Photo: fournie par le Quat'Sous
Alexandre Vigneault
La Presse
Pour son premier spectacle solo en carrière, Benoît Brière «chausse les souliers» d'Yvon
Deschamps, pour reprendre l'expression consacrée. Un défi qui n'a toutefois rien à voir
avec ses pieds. L'enjeu, ici, c'est la langue de Deschamps. L'acteur devait s'approprier ces
textes sculptés par et pour la bouche de leur auteur, tout en leur donnant un souffle si
nouveau qu'il soit impossible de parler d'imitation.
Avec l'appui réfléchi et sensible du metteur en scène Dominic Champagne, Benoît Brière
a réussi. Haut la main. Son interprétation de l'ouvrier naïf, personnage créé dans le cadre
de L'Osstidcho, ne fait pas oublier Deschamps, elle l'emmène tout simplement ailleurs.
Plus près de l'intimité que du rire. À deux pas de la détresse humaine, bien souvent. Une
approche qui donne une profondeur nouvelle à l'ironie spirituelle et souvent indignée du
monologuiste.
L'ouvrier, qui a toujours voué un culte à ce «bon boss» qui l'exploitait sans vergogne, est
sous le choc lorsque débute le spectacle. Réfugié au pied de l'escalier d'un de ces hangars
si typiques des ruelles montréalaises, il répète, bouleversé et incrédule, que «le boss est
mort». Ce vide, plus vertigineux que la mort de sa propre épouse, rallume une foule de
souvenirs, qu'il raconte avec une lueur dans l'oeil.
Cette flamme n'a rien à voir avec la férocité malicieuse de Deschamps. C'est plutôt celle
de la nostalgie, ce que des notes égrenées par un piano tristounet s'assurent de souligner.
Cette atmosphère est aussi accentuée par le hangar créé par Michel Crête, mi-refuge miprison, au bas duquel traîne un tricycle rouge, qui évoque autant l'enfance perdue de
l'ouvrier que l'existence de son fils.
Placés sous cet éclairage si radicalement différent des prestations de Deschamps, les
textes ne perdent rien de leur vigueur. Qu'ils parlent d'argent, de misère sexuelle, de
«l'élevage» des enfants, de la mort ou de la quête du bonheur, ces monologues, attachés
de manière à faire le bilan d'une vie pas jolie, visent encore juste. En plein dans le mille,
pour être précis. En insistant avec une grande délicatesse sur les failles de l'homme qui,
souvent sans s'en rendre compte (d'où la drôlerie, évidemment), énonce ces vérités.
Le boss est mort n'est pas un spectacle foncièrement comique, même si les éclats de rire
fusent par moments. C'est plutôt un portrait nostalgique qui, parlant du passé, montre ce
qui a changé et ce qui demeure. La peur du changement, notamment, palpable dans le
Québec d'aujourd'hui, qui doit s'inventer une identité composite sans renier la société
dont il est issu et que cette oeuvre dépeint.
Cette plongée dans la condition humaine s'achève toutefois bizarrement sur une finale qui
laisse perplexe... L'essentiel constitue toutefois une réussite: oui, les textes d'Yvon
Deschamps peuvent exister sans qu'il doive les porter lui-même sur scène. À une
condition près: il leur faut un interprète de la trempe de Benoît Brière, capable d'en faire
une toute autre musique sans en dénaturer l'essence mélodique.
________________________________________________________________________
______
Le boss est mort, jusqu'au 5 mars au Quat'Sous. En supplémentaire au MonumentNational au mois d'avril et en tournée.
Canoe divertissement
LE BOSS EST MORT
Benoît Brière drôle et émouvant
Raphaël Gendron-Martin
17-02-2011 | 22h10
MONTRÉAL - De toute la saison 2011 de théâtre, la pièce Le boss est mort était sans conteste l'une des
plus attendues. La raison est fort simple avec le mariage d'un grand comique (Yvon Deschamps), d'un
grand comédien (Benoît Brière) et d'un grand metteur en scène (Dominic Champagne).
Voilà plusieurs mois qu'on entendait parler de ce projet colossal mené au Théâtre de Quat'sous, l'endroit
même où Yvon Deschamps avait fait ses premiers monologues, dans l' Osstidcho il y a plus de 40 ans.
Ensemble, Brière et Champagne ont travaillé à actualiser le travail de Deschamps, en redonnant vie à une
dizaine de ses monologues de l'époque (Dans ma cour, Pépère, Le bonheur, Les unions, qu'ossa donne?).
Seul sur scène, pour la première fois de sa prolifique carrière, Benoît Brière s'est donné le défi de
défendre le célèbre personnage du gars de la shop, un homme au prénom inconnu.
Dès les premières minutes, on est captivé par la très grande performance du comédien. Dans un véritable
tour de force, il réussit de main de maître à nous faire passer d'une émotion à une autre.
Le boss est mort n'est pas un spectacle d'humour comme Yvon Deschamps en a donné dans le passé. Il
s'agit d'une pièce de théâtre, d'un spectacle solo à la fois très touchant, mais qui comporte sa part de rires.
Dans plusieurs entrevues, Benoît Brière avait mentionné que ce spectacle n'en était pas un de « stand-up
». Bien que ce soit le cas, on doit admettre avoir beaucoup plus ri que plusieurs des spectacles solo dits
comiques présentés ces derniers mois. Yvon Deschamps n'est pas le plus grand humoriste du Québec pour
rien.
En deux heures de spectacle, séparées par un entracte, le gars de la shop aborde une foule de sujets qui
font grandement réfléchir sur la société des années 1960-1970.
Il parle de son défunt boss et des conditions de travail qu'il lui faisait subir, de l'argent, du câble, des
nouvelles télévisées américaines, du bonheur. Dans la grande majorité des cas, les thèmes abordés sont
malheureusement encore actuels en 2011.
Par exemple, l'éternel combat entre les employés et le patronat, qui faisait tant jaser il y a 40 ans, se
poursuit toujours aujourd'hui.
À la mise en scène, Dominic Champagne a proposé un travail minimaliste basé essentiellement sur la
performance de Brière. La musique, judicieusement placée à certains moments du spectacle, vient
appuyer les propos plus touchants du texte.
Le décor met en scène un escalier en bois dans une espèce de hangar derrière une maison. Un petit
tabouret et un tricycle ornent la scène.
Quand deux grands comiques se rencontrent, sous la gouverne d'un metteur en scène de renom, ça ne peut
faire qu'un spectacle mémorable.
Les attentes étaient énormes envers Le boss est mort et la pièce s'est avérée une réussite en tous points.
Yvon Deschamps a de quoi être immensément fier. Le boss est mort est un chef-d'oeuvre de par son
propos intelligent, allumé, drôle, acerbe et intemporel. Une oeuvre nécessaire
LA PRESSE
Publié le 13 février 2011 à 14h31 | Mis à jour le 13 février 2011 à 14h31
Le boss est mort: du rire au drame
Dominic Champagne et Benoît Brière avaient envie de savoir si les textes d'Yvon Deschamps pouvaient
exister en dehors de lui.
Photo: Bernard Brault, La Presse
Alexandre Vigneault
La Presse
«Après ce spectacle-là, je prends ma retraite!» lance Benoît Brière. La plaisanterie donne une idée du
poids qu'il a senti peser sur ses épaules depuis qu'il a accepté de jouer dans Le boss est mort, pièce à un
seul personnage construite sur des monologues d'Yvon Deschamps. Une responsabilité - et un plaisir qu'il partage avec le metteur en scène Dominic Champagne.
«C'est mon premier solo et ce n'est pas n'importe quel solo, insiste Benoît Brière. C'est l'écriture du
maître.» L'envergure d'Yvon Deschamps est difficile à sous-estimer, en effet. Son humour sarcastique a
fait rire, mais aussi bousculé le Québec pendant des décennies. Il a provoqué, suscité des controverses et
n'a jamais perdu ce mordant et cette conscience sociale qui le distingue. Deschamps est un personnage
plus grand que nature.
«On ne faisait pas toujours la différence entre le monologuiste et son personnage», souligne toutefois le
metteur en scène Dominic Champagne. Une telle confusion n'a jamais existé au sujet de Fridolin, par
exemple, le célèbre personnage de Gratien Gélinas. L'une des motivations derrière Le boss est mort était
justement cette envie qu'avait Yvon Deschamps de savoir si ses textes pouvaient exister en dehors de lui.
Son oeuvre a fait l'objet d'une foule de disques et de DVD. Sa parole pourra donc être entendue encore
longtemps. Mais demeurera-t-elle vivante sur les planches? Pour un artiste de scène, c'est une
préoccupation légitime. Surtout lorsqu'on songe au silence qui entoure l'oeuvre de Marc Favreau (Sol)
depuis son décès, il y a cinq ans.
«L'un des plus grands défis avec lesquels on a dû composer, dès le premier jour, c'est le fantôme d'Yvon,
dit le metteur en scène. La musique de sa voix, on l'a imprimée dans le tympan comme si elle faisait partie
de notre ADN.» Ce n'est toutefois pas la première fois que le metteur en scène manipule une matière qui
fait partie de notre inconscient collectif: Dominic Champagne est, ne l'oublions pas, l'un des principaux
architectes du spectacle Love, du Cirque du Soleil, consacré aux Beatles.
Un ton différent
Le boss est mort s'appuie sur un cycle de monologues qu'Yvon Deschamps a inauguré avec Les unions
quossa donne. Ce numéro, créé dans le cadre de L'Osstidcho en 1968, s'articule autour d'un ouvrier
canadien-français plutôt naïf qui voue un culte au patron qui l'exploite. «Benoît ne fait pas oeuvre de
monologuiste, précise Dominic Champagne. C'est un acteur qui incarne un personnage. Dans ce contextelà, le personnage prend toute son ampleur.»
«On a envie de reconnaître la musique d'Yvon Deschamps, mais c'est carrément autre chose, précise le
comédien. Quand il a écrit Les unions quossa donne, il ne savait pas que, cinq ans plus tard, il allait faire
mourir le boss. On part avec la prémisse que le boss vient de mourir. Je ne peux plus, d'entrée de jeu,
interpréter Les unions quossa donne de la même façon qu'Yvon.»
L'ouvrier qu'incarne Benoît Brière est en deuil d'un homme qu'il a admiré. Cette mort colore le spectacle
tout entier. Ainsi, l'humour n'en est pas le principal moteur. «On avait même un petit stress à cet égard,
avoue Dominic Champagne. On se demandait si Yvon allait trouver que ce n'était pas assez drôle. Parce
que le clown, de Chaplin à Deschamps, même s'il base bien des choses sur le tragique, il a envie que les
gens rient.»
Nostalgique et baveux
Dominic Champagne et Benoît Brière ont travaillé en étroite collaboration avec «le maître» pour établir le
texte de la pièce. Très vite, ils se sont rendu compte qu'il suffisait d'enlever quelques références trop
précises pour que les monologues affichent leur caractère actuel. «Le presque cynisme d'Yvon
Deschamps est encore très contemporain», estime le metteur en scène.
Toutefois, ni lui ni Benoît Brière ne croient que ce spectacle-là va brasser les choses sur le plan social.
«Ça brasse des émotions, ça c'est sûr, souligne par contre le metteur en scène. On pourrait dire que, depuis
40 ans, on est passé du social à l'individu. C'est aussi ça, le show. Ce qu'on donne, c'est quelque chose de
plus intime que ce qu'Yvon Deschamps a donné.»
Le boss est mort comporte une part de nostalgie avouée. Le metteur en scène en parle d'ailleurs entre
autres comme d'un voyage dans un vieux Canada français qui est à la fois familier et étrange. Il n'en est
pas moins pertinent, selon lui. «On est ça aussi, ajoute-t-il. On est ouverts sur le monde, mais aussi
extrêmement repliés sur nous-mêmes.»
La pertinence de la parole d'Yvon Deschamps, en 2011, ne fait aucun doute pour Benoît Brière et lui.
«C'est un baveux, Yvon. Le show l'est moins que ses spectacles en formule stand up, mais en tout, sa
proposition dramatique est encore bien baveuse.»
Le boss est mort, du 15 février au 5 mars au Quat'Sous. En supplémentaire au Monument-national
au mois d'avril et en tournée.

Documents pareils