Conséquences des traitements du cancer du col utérin

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Conséquences des traitements du cancer du col utérin
Conséquences des traitements du cancer du col utérin
D. Dargent et S. Taieb
Les signes cliniques traduisent toujours une « souffrance » de l’organe à l’exception de
l’uretère dont la sténose progressive est asymptomatique. L’imagerie doit faire appel à l’IRM
qui précise l’atteinte des septa vésico- et recto- vaginal et calcule le « volume cadré » de la
tumeur, l’atteinte des paramètres se fait par infiltration directe. Les risques pelviens du
traitement radical intéressent l’uretère (fistules urétéro-vaginales, sténose) et la vessie dont la
dénervation est responsable de troubles fonctionnels. La prévention des complications et
séquelles est une limitation de la radicalité ce qui peut poser des problèmes éthiques.
L’association chirurgie-radiothérapie peut limiter le taux des complications en potentialisant
l’efficacité du traitement.
INTRODUCTION
Les cancers du col qu’on affronte aujourd’hui
sont en majorité asymptomatiques. Ils sont mis
en évidence par les examens de dépistage. Ceux
qui donnent lieu à des symptômes se traduisent le
plus souvent par des pertes anormales. Il est rare
qu’ils donnent lieu à des symptômes « pelviens »
ou « pelvi-périnéaux » traduisant la souffrance
des organes qui jouxtent l’utérus au centre du
petit bassin ou des vaisseaux et des nerfs qui
bordent les parois latérales de la cavité pelvienne.
L’imagerie permet aujourd’hui d’étudier avec une
bonne précision les rapports anatomiques entre la
tumeur et les structures de voisinage. Ces structures sont évidemment mises en danger par le
traitement radical qu’il soit chirurgical ou radiothérapique. Mais, les complications et les
séquelles pelviennes sont aujourd’hui moins
fréquentes qu’hier alors que l’efficacité des
traitements, sans augmenter d’une façon spectaculaire, n’a, en tous cas, pas diminué. Ce sont ces
aspects uniquement qui sont développés dans les
quelques lignes qui suivent. Pour des raisons
pratiques nous ne pouvons décrire ici tous les
aspects de la maladie ni passer en revue tous les
progrès enregistrés dans les dernières
décennies. Résumons les en disant que moins de
trente ans après la mise en cause des virus du
groupe HPV, un vaccin préventif est d’ores et
déjà à l’essai dont on peut penser que l’utilisation
généralisée conduira à l’éradication de la
maladie. Les quelques lignes qui suivent, sous
peu, seront obsolètes !
SYMPTÔMES PELVIENS
OU PELVI-PÉRINÉAUX
DU CANCER DU COL UTÉRIN
Le cancer du col utérin à partir du moment où son
diamètre transversal et/ou antéro-postérieur dépasse
4 cm (les diamètres du col normal sont d’environ
4 cm) peut franchir le fascia qui entoure l’organe et
infiltrer les paramètres et/ou le septum vésicovaginal. Le septum recto-vaginal est plus rarement
atteint parce que le Douglas s’interpose entre la
paroi postérieure du vagin et le rectum. Les organes
de voisinage : uretère, trigone et rectum souffrent.
Quand le front tumoral atteint la paroi pelvienne, les
vaisseaux, la veine iliaque externe en particulier, et
les nerfs, le nerf sciatique surtout souffrent à leur
tour.
Le ténesme et les épreintes vésicales témoignent de la souffrance de la vessie. Les besoins
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Pelvi-périnéologie
fréquents et infructueux, les fausses envies sont la
conséquence de la stimulation des récepteurs
proprioceptifs de l’organe dont les parois sont
comprimées et ou infiltrées. La séméiologie est
proche de celle liée aux contractions vésicales
non inhibées, mais l’anamnèse et le toucher ne
tardent pas à éclairer la situation. Il en est de
même des symptômes corrélés à la compression
rectale, beaucoup plus rare.
La compression de l’uretère, quand elle est
unilatérale, est généralement asymptomatique.
Les coliques néphrétiques sont exceptionnelles
dans le cadre d’une oblitération qui se fait de
façon très progressive au fil des semaines et des
mois. Et c’est seulement, quand l’oblitération est
bilatérale et conduit à l’anurie que le syndrome
de souffrance urétérale émerge. Aussi surprenant
que cela soit, une telle éventualité est loin d’avoir
disparu. Parmi les 150 nouveaux cas de cancer du
col qui ont été pris en charge à la Clinique
universitaire de l’université Claude-Bernard à
Lyon pendant les deux premières années du
3e millénaire, deux ont été découverts dans ce
type de circonstance (fig. 1).
La trilogie « névralgie du membre inférieur,
lymphœdème du même membre inférieur et
compression urétérale ipsilatérale » est symptomatique de l’infiltration de la paroi pelvienne.
Elle peut s’observer comme syndrome révélateur
d’un cancer au stade III. Elle s’observe plus
souvent aujourd’hui en tant qu’indicateur d’une
récidive pelvienne latérale. Elle représente
classiquement une contre-indication à toute
tentative de traitement chirurgical radical.
IMAGERIE
DANS L’ÉVALUATION
DE L’EXTENSION PELVIENNE
La clinique, bien sûr, n’a perdu aucun de ses
droits dans l’évaluation du volume et de l’extension du cancer du col. Le toucher et l’examen
entre deux valves restent la base de la stadification. La cystoscopie est obligatoire dès que le
diamètre de la lésion dépasse 4 cm (stade IB2).
a
b
c
d
Fig. 1 – Cancer du col utérin révélé par les conséquences de son évolution pelvienne : femme de 61 ans porteuse depuis 20 ans
d’ un DIU et n’ ayant jamais consulté depuis l’insertion de ce dernier – admission en urgence pour anurie le 20 mars 2002.
a et b) les deux reins sont dilatés – des sondes de néphrostomie percutanée seront mises en place dont la production
révélera que la fonction rénale est arrêtée à gauche et diminuée, mais persistante à droite ; c) la cavité utérine est distendue par un épanchement qui concerne aussi les deux trompes ; d) le col utérin et les deux paramètres sont massivement infiltrés par une prolifération tumorale qui est cliniquement fixée aux parois pelviennes.
Conséquences des traitements du cancer du col utérin
On rappelle par ailleurs l’importance du toucher
rectal dans l’évaluation de l’état des paramètres
en même temps que du septum recto-vaginal dont
l’infiltration peut conduire à compléter d’inventaire en faisant une rectosigmoïdoscopie. L’imagerie a fait au cours des dernières décennies de
grands progrès (1-3). L’imagerie par résonance
magnétique nucléaire est la méthode la plus éclairante, tant pour ce qui concerne le calcul du
volume tumoral que l’évaluation de l’extension
locorégionale.
Le calcul du volume tumoral tel qu’on peut le
faire par l’IRM est d’une grande précision. Le
contraste entre la tumeur et les tissus environnants est en général très net sur les clichés pris en
mode T2. L’injection de gadolinium renforce
encore ce contraste. En examinant le pelvis dans
les trois plans de l’espace, on peut évaluer les
trois diamètres maximum et calculer le « volume
cadre ».
L’atteinte du septum vésicovaginal et l’atteinte
du septum recto-vaginal peuvent être prédites
avec une bonne précision. Mais le toucher, la
cystoscopie et le toucher sous contrôle cystoscopique sont meilleurs en ce qui concerne la vessie,
et l’échographie endorectale est meilleure en ce
qui concerne le rectum. L’atteinte des paramètres
reste d’évaluation plus incertaine.
L’atteinte des paramètres se fait rarement par
infiltration directe. Il s’agit plus souvent d’un
phénomène d’embolisation vasculaire discontinue
et/ou de métastases développées dans les ganglions lymphatiques que contiennent les paramètres. On comprend que les atteintes de ce type
puissent échapper au toucher comme aux
méthodes d’imagerie les plus pointues. À l’inverse, toute inflammation péritumorale d’origine
infectieuse donne lieu à une infiltration qu’on
peut attribuer à tort à une extension péri-utérine
et cela est encore plus fréquent que l’erreur
inverse : 15 % des stades I » cliniques « sont en
réalité des stades IIB et 30 à 60 % des stades IIB
sont en réalité des stades I.
La suprématie de l’IRM ne doit pas faire oublier
les services que peuvent rendre l’échographie et la
tomodensitométrie en particulier dans le domaine de
la prévision des métastases ganglionnaires et des
métastases à distance (tableau I). On doit compter
aussi avec les promesses du PET scan qui dans les
mêmes domaines est appelé à rendre grand service.
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ÉchoTomographie densitométrie IRM
Taille tumorale
Paramètres
Infiltration vésicale
Infiltration rectale
Extension ganglionnaire
• pelvienne
• lombo-aortique
Extension hépatique
Extension Pulmonnaire
Accessibilité des machines
±
±
±
±
–
–
+
+
++
++
++
++
±
–
+
–
++
+
+
++
++
+
+
+
+
–
–
Tableau I – Précision de l’échographie, de la tomodensitométrie et de l’ IRM dans l’évaluation du cancer du col
utérin.
RISQUES PELVIENS
DU TRAITEMENT RADICAL
Depuis que Halsted a établi qu’il fallait, pour guérir
le cancer, enlever l’organe sur lequel il était
développé en même temps que les ganglions lymphatiques dans lesquels il se drainait et les structures
intercalées entre lui et les ganglions en question, le
traitement du cancer du col se fait par l’hystérectomie élargie. Les radiothérapeutes ont calqué leurs
protocoles de traitement sur le même concept et
donnent, en combinant la radiothérapie externe et la
curiethérapie (rebaptisée brachythérapie), une dose
tumoricide sur l’ensemble du volume concerné. Ce
volume inclut des structures que le bistouri du
chirurgien et les radiations ionisantes mettent en
danger. On a appris, au fil des décennies, à
minimiser le risque y compris dans le cas où les
deux méthodes sont utilisées conjointement. Les
risques de la chirurgie concernent avant tout l’appareil urinaire. Les risques de la radiothérapie
concernent essentiellement le rectosigmoïde et à un
moindre degré l’intestin grêle.
La blessure de l’uretère et/ou sa dévascularisation sont à l’origine des fistules et/ou des sténoses
qu’on peut observer après hystérectomie élargie. Ce
risque dont Novak disait joliment « qu’il était
attaché à l’hystérectomie élargie comme le péché
originel est attaché à la nature humaine », est
aujourd’hui bien maîtrisé. Le taux des fistules urétéro-vaginales se situe autour de 1 %. Le taux des
sténoses est plus élevé surtout quand on a opéré sur
tissus irradiés. Cette notion doit être mémorisée et
il ne faut jamais négliger de prescrire une urogra-
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Pelvi-périnéologie
phie intraveineuse trois à six semaines après toute
hystérectomie élargie (le tuteurage précoce suffit
pour guérir un certain nombre de patientes et
permet, quelles que soient les suites, de sauver leur
rein).
La dénervation vésicale consécutive à la résection des paramètres entraîne à la fois le spasme
de l’urètre proximal et l’atonie hypocontractile du
detrusor. S’en suit une série de perturbations de
la fonction vésico-urétrale où domine la rétention
et le syndrome qu’on désigne en français du nom
de « dysurie ». Il s’agit au minimum d’un allongement du temps nécessaire pour vider la vessie
et au maximum d’une rétention vraie avec nécessité du recours aux sondages. Peuvent se greffer
sur ce dysfonctionnement une série d’autres
symptômes parmi lesquels l’incontinence est le
plus invalidant. Une personne sur dix, après
l’hystérectomie élargie, est plus ou moins handicapée du fait du fonctionnement de sa vessie.
Les complications intestinales peuvent se voir
après hystérectomie élargie. La constipation de
type terminal est même relativement fréquente
(10 à 25 % des opérées). Mais, c’est surtout la
radiothérapie qui est source de désordres touchant les intestins. Si les cystites radiques sont
devenues exceptionnelles, on observe toujours
des entérites radiques qui peuvent conduire à des
complications mettant en jeu le pronostic vital
et/ou conduisant à des résections étendues du
grêle. On continue surtout à rencontrer des sigmoïdites radiques qui, dans leur forme majeure
(fistules, rectorragies douloureuses subintrantes)
peuvent conduire à la colostomie (moins de 5 %
des cas).
PRÉVENTION
DES COMPLICATIONS
ET SÉQUELLES PELVIENNES
DU TRAITEMENT DU CANCER
DU COL
Chirurgiens et radiothérapeutes possèdent chacun
leurs « trucs » pour minimiser l’impact du traitement sur la qualité de vie des patientes qu’ils
guérissent (85 % des malades vues au stade I,
70 % des malades vues au stade II, 30 % des
malades vues au stade III et 10 % des malades
vues au stade IV). Mais, c’est surtout dans
l’adaptation des stratégies thérapeutiques que se
trouve la réponse au problème posé.
La prévention du risque urétéral de l’hystérectomie élargie est aujourd’hui bien maîtrisée par
les chirurgiens qui connaissent les « trucs » assez
basiques du décroisement artère utérine-uretère.
Il n’en est pas de même du risque vésico-urétéral
imputable à la dissection paramétriale. Des
techniques respectueuses de l’innervation (Nerve
sparing radical hysterectomy) ont été décrites.
Elles sont relativement complexes, aléatoires… et
tout simplement antinomiques de la notion même
de radicalité. Ces techniques, en effet, sont imitées de celles décrites par les urologues pour la
prostatectomie dite « radicale ». Or, la prostatectomie radicale s’apparente à l’hystérectomie
extrafasciale et non à l’hystérectomie radicale,
car l’hystérectomie radicale véritable comporte
une exérèse complète des paramètres… pars nervosa incluse. Les seules hystérectomies respectueuses des innervations sont les hystérectomies
radicales imparfaites, les hystérectomies du
type 2 de la classification de Piver et Rutledge qui
s’opposent aux hystérectomies de type 3 qui sont
les seules véritables hystérectomies radicales… et
qui sacrifient l’innervation vésico-urétérale.
Or, l’essai prospectif et randomisé publié par
Landoni en 2001 (4) a démontré que pour traiter
le cancer au stade I l’hystérectomie de type 2
égalait l’hystérectomie de type 3. La conclusion
est simple à tirer : n’opérer que les stades I et les
opérer en utilisant l’hystérectomie radicale de
type 2.
La prévention du risque rectosigmoïdien de la
radiothérapie est basée sur la dosimétrie, mais
les simulations qui permettent de calculer la
« dose vessie » avec une bonne précision et une
bonne reproductibilité, sont beaucoup moins précises et beaucoup moins reproductibles pour la
« dose rectum », car il n’est pas possible de
contrôler parfaitement les variations des états de
vacuité-réplétion. La vraie réponse, comme en
chirurgie, est dans une limitation de la radicalité.
La fameuse étude de Perez publiée en 1984 (5)
démontre que jusqu’à 75-80 Gy le taux des
contrôles locaux augmente progressivement alors
que le taux des complications reste voisin de 5 %.
Au-delà de 80 Gy le taux des contrôles locaux
n’augmente plus et le taux des complications
passe au-dessus de 10 %. La conclusion, là aussi,
est facile à tirer.
Conséquences des traitements du cancer du col utérin
La combinaison de la chirurgie et de la radiothérapie pourrait être une façon de limiter le taux
des complications et séquelles tout en augmentant
l’efficacité du traitement. Pour les formes avancées (stade II et au-delà), un consensus existe
pour dire qu’il faut traiter par la radiothérapie, et
personne n’a jamais pu démontrer qu’on augmentait les chances de survie en opérant après la
fin de la radiothérapie ou en cours de route. Pour
les formes de début (stade I) la discussion reste
ouverte. La combinaison radiothérapie chirurgie
a force de loi en France. Elle permettrait parce
que la radiothérapie est donnée à demi-dose et la
chirurgie faite de façon suboptimale de minimiser
les effets délétères de l’une et de l’autre méthode.
Après cinquante ans de pratique on attend toujours les preuves validant ce concept franco-français. Concernant la radiothérapie adjuvante, celle
donnée après la chirurgie, on sait en revanche
qu’elle est plus dangereuse qu’utile : le taux des
complications est multiplié par deux par rapport
à une radiothérapie analogue qu’on aurait donné
d’emblée (6).
CONCLUSION
L’avenir, dans la prise en charge des femmes
atteintes de cancer du col, n’est sûrement pas
dans la course à la radicalité. On n’augmente pas
le taux de succès. On augmente le taux des complications pelviennes. On abaisse l’index thérapeutique.
L’avenir n’est sûrement pas non plus dans l’association des thérapeutiques radicales. On doit
s’efforcer de sélectionner d’emblée les malades
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qui sont à traiter par les méthodes les plus agressives (la radiothérapie qui, entre autres, a l’inconvénient de supprimer la fonction ovarienne) et
on doit réserver la chirurgie pour les malades
dont on a la quasi certitude qu’elles pourront être
traitées par cette seule chirurgie. La lymphadénectomie cœlioscopique est la méthode de sélection la plus performante à ce jour. La détermination du profil génomique de la tumeur la
supplantera probablement demain.
L’avenir, après-demain, sera tout autre. C’est la
vaccination qui en est la clé. La maladie, ses
symptômes pelviens et les séquelles pelviennes
de son traitement sont amenés à disparaître.
Références
1. Hricak H, Powell CB, Yu KK et al. (1996) Invasive
cervical carcinoma: role of MR imaging in pretreatment work-up-cost minimization and diagnostic efficacy analysis. Radiology 198(2): 403-9
2. Yang WT, Lam WW, Yu MY et al. (2000) Comparison
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the evaluation of pelvic lymph nodes in cervical carcinoma. AJR 175: 759
3. Scheidler J, Heuck AF (2002) Imaging of cancer of the
cervix. Radiol Clin North Am 40: 577
4. Landoni F, Maneo A, Cormio G et al. (2001) Class II
versus Class III radical hysterectomy in stage IB-IIA
cervical cancer: a prospective randomised study.
Gynecol Oncol 80 :1
5. Perez CA, Breaux S, Bedwinek JM et al. (1984)
Radiation therapy alone in treatment of uterine cancer.
II. Analysis of complications. Cancer 54: 235
6. Landoni F, Maneo A, Colombo N et al. (1997)
Randomised study of radical surgery versus radiotherapy for stage IB-IIA cervical cancer. Lancet 350: 535