Dossier 24: "Comment préserver les valeurs

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Dossier 24: "Comment préserver les valeurs
Dossier 24: "Comment préserver
les valeurs démocratiques face à
la menace terroriste? Comment
en parler aux élèves?"- Mise à
jour: 24/11/2015
Depuis 2015, Paris est le théâtre d'attaques terroristes. Qui sont-ils? Qui manipule au nom de Dieu des
jeunes déboussolés? Quels sont les vecteurs de la radicalisation islamiste? Quel est le rôle des médias, en
particulier des réseaux sociaux dans la propagation de la violence? Comment les droits des citoyens sont-ils
garantis en démocratie? En quoi consistent ces droits? L'Etat de droit est-il le garant du lien social?
Exerce-t-il encore vraiment ce rôle? Face à la menace terroriste, la tentation sécuritaire constitue-t-elle une
atteinte à l'Etat de droit? Comment préserver les valeurs de la démocratie face à la menace terroriste? Quel
est le rôle de l'enseignant? Comment s'approprier les réseaux sociaux pour en parler avec les élèves?
Comment initier les élèves à un usage réflexif, citoyen et responsable d’Internet et des réseaux sociaux?
Est-il urgent d'apaiser les tensions islamophobes à tous les niveaux? Enfin, est-il impératif d'enseigner
l'histoire des religions et de la laïcité?
Le présent dossier tentera d'apporter des réponses à ces questions.
A. Table des matières
page
1 Les faits: que signifient les attaques meurtrières à Paris ainsi que celles contre "Charlie Hebdo"?
3
2 Quels sont les facteurs explicatifs de la naissance d'extrémistes tels que les frères Abdeslam,
Coulibaly? Pourquoi et par qui ces jeunes en manque de repères se font-ils manipuler au nom de
Dieu?
6
2.1 Petit lexique de l'Islam radical et bastions du djihad
6
2.2 Comment s'exprime la radicalisation au Moyen-Orient et en Afrique?
8
2.2.1 Qu'est-ce que l'Etat islamique? Comment fonctionne-t-il? Quelles sont les idéologies
véhiculées par Daech? Quels sont ses sources de financement?
9
2.2.2 Quelles sont les autres mouvances islamistes? Quels liens entretiennent-elles avec
Daech?
12
2.3 Pourquoi et comment des jeunes se radicalisent-ils? Le rôle de la Belgique
15
2.3.1 L'exclusion culturelle et sociale au sein de nos sociétés. Faut-il changer les institutions de
l'Etat de droit?
26
2.3.2 L'univers carcéral: un lieu de désocialisation et de radicalisation?
31
2.4 Quel est le rôle des médias et des réseaux sociaux dans la propagation de la violence?
3 En quoi la menace terroriste met-elle les valeurs démocratiques en péril? Comment en parler avec
les élèves?
3.1 Comment les droits des citoyens sont-ils garantis en démocratie?
3.1.1 En quoi consistent ces droits?
34
39
39
39
3.1.1.1 La diversité des libertés
39
3.1.1.2 Toutes les démocraties mettent-elles ces droits sur un pied d'égalité?
45
3.1.2 Quel est le rôle de la Constitution et de la Cour constitutionnelle en Belgique?
46
3.1.3 Le droit, sauveur du lien social?
46
3.2 Face à la menace terroriste, quelles solutions envisager? La tentation sécuritaire est-elle une
atteinte à l'Etat de droit?
47
3.2.1 OTAN, ONU: garants internationaux du maintien de la paix? La France en guerre?
47
3.2.2 Doit-on accepter une réduction des libertés pour assurer notre sécurité?
50
3.2.3 Quel regard adopter sur la politique d'asile et l'immigration? Faut-il envisager de fermer
nos frontières?
62
3.3 Quelle est la responsabilité du monde musulman croyant?
65
3.4 Comment le professeur peut-il influencer le comportement des élèves?
73
3.4.1 L'éducation à la citoyenneté, une réponse face au radicalisme religieux?
73
3.4.1.1 S'approprier les réseaux sociaux pour en parler avec les élèves
81
3.4.1.2 Initier les élèves à un usage réflexif, citoyen et responsable d’Internet et des réseaux
sociaux
82
3.4.2 Apaiser les tensions en ouvrant le dialogue: comprendre l'Autre pour adopter, à son
égard, une attitude respectueuse et tolérante
4 En conclusion, est-il impératif d'enseigner l'histoire des religions, de la laïcité ainsi que celle des
guerres de religion? Cours de religion, stop ou encore?
85
88
B. Ressources
1 Les faits: que signifient les attaques meurtrières à Paris ainsi que
celles contre "Charlie Hebdo"?
Plus de cent morts en plein Paris
Éric Burgraff, Ludivine Ponciaux, R.DH., Le Soir, 14/11/2015, p. 2-3, 672 mots
Plusieurs fusillades ont éclaté vendredi soir, peu après 21h15, en plein cœur de Paris, notamment dans les
10e et 11e arrondissements. Un individu aurait tout d'abord ouvert le feu sur des terrasses de restaurants,
rue Bichat, à proximité des établissements «Le Petit Cambodge» et «Le Carillon», dans le quartier du canal
Saint-Martin. Immédiatement, sur les réseaux sociaux, les internautes ont évoqué plusieurs morts et de
nombreux blessés. Des témoins assurent avoir entendu les coups de feu caractéristiques d'une
kalachnikov.
«Cauchemar sur les lieux, les voisins choqués, des corps au sol. Tueur(s) toujours en fuite», précisait
également une chroniqueuse de France Inter présente sur place.
Selon un journaliste du Monde , une autre fusillade aurait éclaté au même moment en face d'un fast-food.
Au moins deux personnes sont grièvement blessées. Un périmètre de sécurité a été dressé pour protéger
les habitants.
Alors que nous bouclions cette édition, la confusion régnait dans le centre de Paris, on évoquait en effet des
fusillades en sept endroits différents. Parmi ces lieux, la salle de spectacle le «Bataclan» une célèbre salle
de concert du 11e arrondissement a été la cible d'un attentat et d'une prise d'otages. Le groupe de rock
américain Eagles of Death Metal s'y produisait ce vendredi. «On entend des cris, des coups de feu
continuent à retentir», rapportait notamment un internaute sur place. Selon des témoins, ils ont tiré dans la
foule en criant «Allahou Akbar» ( «Dieu est le plus grand»).
Le Raid la brigade d'intervention de la police s'est rendu sur place. Vers minuit trente, la brigade
d'intervention a donné l'assaut dans la salle de spectacle. On y a entendu une série de détonations suivies
de plusieurs grosses déflagrations. Les forces de l'ordre y ont abattu trois terroristes.
Par ailleurs, d'autres explosions se sont produites à proximité du Stade de France. Trois grenades auraient
été lancées, faisant plusieurs blessés. On apprenait dans la soirée qu'une des explosions avait été
provoquée par un kamikaze. Le président français, présent sur place pour le match amical
France-Allemagne, a été exfiltré dans l'urgence par les services de sécurité. Les spectateurs qui ont assisté
au match ont été invités à quitter l'enceinte par trois portes (nord, sud et ouest). Selon des journalistes de
l'AFP sur place, plusieurs milliers de spectateurs ont d'abord trouvé refuge sur la pelouse du stade.
Vers 23 heures, François Hollande, le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l'Intérieur Bernard
Cazeneuve se sont réunis en cellule de crise au ministère de l'Intérieur place Beauvau. «Le Président de la
République, le Premier ministre, le ministère de l'Intérieur sont en cellule interministérielle de crise à
Beauvau», ont annoncé les services de Manuel Valls.
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À l'heure de boucler cette édition, on évoquait au moins 100 victimes et une cinquantaine de blessés. Le
bilan était annoncé comme provisoire mais une source estimait qu'il «devrait être beaucoup plus lourd» .
Vers 1h du matin, le journal Le Monde annonçait d'ailleurs plusieurs dizaines de morts au Bataclan. Dans la
soirée, la mairie de Paris et la Préfecture de Paris ont demandé aux habitants de ne pas sortir de chez eux.
«C'est une terrible épreuve» , a commenté le président François Hollande. Il a annoncé deux décisions:
l'état d'urgence va être décrété (certains lieux seront fermés, la circulation changée, etc.) et la fermeture des
frontières «Face à la terreur, la France doit être forte» .
On apprenait également dans la soirée la fermeture des universités de Paris, de plusieurs lignes de métro
ainsi que la fermeture de l'aéroport d'Orly.
ÉRIC BURGRAFF
Massacre en direct du Bataclan
«Ils abattent tout le monde un par un. Des cadavres partout»
Les internautes se sont rapidement tournés vers Twitter pour s'informer de la situation. Après 22 heures,
leur regard s'est dirigé vers un témoignage glaçant venant directement d'une personne qui se trouvait à
l'intérieur du Bataclan, où une centaine de morts était annoncée à l'heure de boucler cette édition: « je suis
encore au Bataclan. Premier étage. Blessé grave. Qu'ils donnent au plus vite l'assaut! Il y a des survivants à
l'intérieur. Ils abattent tout le monde un par un. Premier étage. » L'incertitude règne. « J'habite à côté, c'est
terrifiant », aperçoit-on sur Instagram. Des photographies de policiers, en gilet pare-balles, réfugiés derrière
leurs combis sont partagées. Les informations arrivent alors au sujet d'une intervention, « l'assaut est donné
sur le Bataclan. » Quelques nouvelles arrivent de l'internaute bloqué dans la salle de concert, « je suis
vivant. Jusque quelques coupures. C'est un carnage. Des cadavres partout. »
L'intervention débute, Twitter retient son souffle, « je vois des policiers et de nombreuses personnes sortir,
certaines sur des brancards », relate un twittos qui cite une riveraine. La police demande aux médias de ne
plus diffuser d'images. Le fil d'information s'arrête.
Quelques minutes plus tard, on annonce que trois terroristes sont morts. « Les forces d'intervention sont en
train de découvrir une scène d'horreur », lit-on sur les réseaux sociaux. Un riverain explique, « de nombreux
véhicules de secours continuent d'affluer au Bataclan .» Au moment d'écrire ces lignes, nous ne savons pas
si l'internaute qui a témoigné de l'intérieur de la salle s'en est sorti vivant.
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«L'état d'urgence est décrété»
Le président de la République française s'est exprimé à minuit, à la télévision, par un discours très suivi. Un
conseil des ministres a aussi été convoqué. « C'est une horreur. Nous avons mobilisé toutes les forces
possibles pour la préservation et la mise en sécurité des quartiers concernés. J'ai pris deux décisions. La
première est que l'état d'urgence sera décrété. La circulation sera interdite et des perquisitions pourront être
opérées, des établissements pourront être fermés. La deuxième décision que j'ai prise est la fermeture des
frontières, pour que les auteurs des crimes hélas constatés puissent également être appréhendés s'ils
quittent le territoire. Face à cette tragédie, nous devons faire preuve de compassion. Mais aussi d'unité et
de sang-froid. La France doit être grande. Ce que les terroristes veulent, c'est nous faire peur. Mais il y a
face à l'effroi une nation qui sera forte. En ce moment même, nos forces de police font assaut dans un
endroit à Paris. Vive la République. Vive la France ». La dernière fois que l'état d'urgence avait été déclaré
en France, c'était en 2005, lors de la crise des banlieues, marquée par de très violentes émeutes sous la
présidence de Jacques Chirac. La préfecture de police recommande aux habitants de l'Ile-de-France
d'éviter de sortir sauf nécessité absolue et les hôpitaux de Paris ont déclenché leur plan d'urgence.
L'élan de solidarité des Parisiens
Dans la souffrance, Paris résiste et se montre solidaire. Des Parisiennes et des Parisiens, qu'ils soient
anonymes, des institutions ou des médias, ont proposé le refuge aux personnes qui tentaient de fuir les
attaques à main armée qui frappaient la capitale française vendredi soir et cette nuit. En particulier près des
lieux où ont éclaté des fusillades.
Plusieurs ambassades, le magazine Fisheye et de très nombreux anonymes ont publié sur les réseaux
sociaux qu'ils étaient prêts à accueillir toute personne qui en ferait la demande. Sur Twitter, c'est le hashtag
#PorteOuverte qui s'est rapidement imposé.
Site de 1 jour 1 actu
Dossier pédagogique "Attentats à Paris : comprendre ce qu’il s’est passé". Les attentats terroristes qui ont
frappé Paris le 13 novembre dernier soulèvent de multiples questions : qui sont les terroristes de
l’organisation État islamique ? Pourquoi s’en prennent-ils à la France ? 1jour1actu te propose des articles et
des vidéos pour mieux comprendre.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-1-jour-1-actu
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"Charlie Hebdo" : la liberté d’expression menacée de mort ?
Ce mercredi 7 janvier, l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo a été victime d’une attaque meurtrière qui a
fait de nombreuses victimes. Le magazine est notamment connu pour ses unes provocatrices et ses dessins
qui ont souvent créé la polémique. Déjà visé en novembre 2011, il n’a jamais cédé à la menace, au nom de
la liberté d’expression.
http://www.cedes.be/ressources/k7video/charlie-hebdo-la-liberte-d2019expressionmenacee-de-mort
2 Quels sont les facteurs explicatifs de la naissance d'extrémistes tels
que les frères Abdeslam, Coulibaly? Pourquoi et par qui ces jeunes en
manque de repères se font-ils manipuler au nom de Dieu?
2.1 Petit lexique de l'Islam radical et bastions du djihad
Site du Nouvel Obs
Djihad, Moudjahid, Salafistes... depuis la tuerie perpétuée par un homme se réclamant d'Al-Qaïda ces
termes fleurissent dans les journaux mais que signifient-ils vraiment?
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-nouvel-obs
Bastions et mentors du DJIHAD
Boris Thiolay, Anne Vidalie, Le Vif/L'Express, 23/01/2015, p. 62-63, 676 mots
Abou Moussab al-Souri (« le Syrien »).
Mustapha Sett Mariam Nassar (son véritable nom) est né à Alep (Syrie) en 1958. Inspirateur de la doctrine
originelle d'Al-Qaeda, il en a depuis critiqué la stratégie. En 2004, il publie L'Appel à la résistance islamique
mondiale, bréviaire d'un « nouveau djihadisme » de 1 600 pages. Pour créer le chaos en Occident, il
préconise des actions menées par de petites cellules indépendantes. Livré par les Américains à la Syrie, en
2007, il est libéré en 2011. Al-Souri ne reconnaît pas l'autorité de l'organisation Etat islamique, mais cette
dernière est influencée par sa pensée.
Ayman al-Zaouahiri.
Bras droit de Ben Laden jusqu'à sa mort, en 2011, cet Egyptien, né en 1951, est le n° 1 d'Al-Qaeda. Formé
par les Frères musulmans, il assiste, en 1966, à la pendaison de leur leader, Saïd Qotb. Episode fondateur
pour celui qui, en 1998, élabore avec Ben Laden le « Front islamique mondial contre les juifs et les croisés
», et la fatwa indiquant que le meurtre d'Américains et de leurs alliés est un « devoir personnel du
musulman ». Légitimant les attentats suicides contre les civils, y compris des musulmans accusés
d'apostasie, ses méthodes sont critiquées par d'autres théoriciens.
Anouar al-Aoulaqi.
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Tué par un drone en 2011, cet Américain d'origine yéménite, né en 1971, demeure une référence
idéologique pour Al-Qaeda dans la péninsule Arabique (Aqpa). Radicalisé au moment du 11 septembre
2001, il s'installe trois ans plus tard au Yémen. Al-Aoulaqi lance sur Internet des appels au djihad. En 2010,
il crée Inspire, magazine en ligne en anglais, pour inciter des jeunes radicalisés à agir en Europe. Dans sa
revendication de la tuerie perpétrée le 7 janvier à Paris, Aqpa souligne qu'elle a été organisée par
Al-Aoulaqi, « qui menace l'Occident, de son vivant comme après son martyr ».
Abou Muhammad al-Maqdissi.
Ancien mentor d'Abou Moussab al-Zarqaoui, chef d'Al-Qaeda en Irak tué en 2006, ce Jordanien, né en 1959
en Cisjordanie, est considéré comme l'un des prédicateurs djihadistes les plus influents. Rejetant
l'excommunication (takfir) systématique des musulmans chiites et leur assassinat, il s'oppose globalement à
l'idéologie de l'organisation Etat islamique. Libéré en juin 2014 par la Jordanie, après cinq années de
détention, il a voulu contribuer à la libération de l'otage américain Peter Kassig, décapité par Daech, en
novembre 2014. Cette médiation lui a valu d'être à nouveau arrêté.
Turki al-Binali.
Né à Bahreïn en 1984, il s'est brouillé avec son maître, Al-Maqdissi (voir ci-contre). Persona non grata aux
Emirats arabes unis, au Koweït, au Qatar et en Egypte, al-Binali, alias Abou Humam al-Athari, a connu la
prison pour ses appels au djihad. Rallié à l'organisation Etat islamique au début de 2014, il est l'auteur d'une
biographie d'Abou Bakr al-Baghdadi, son chef, pour légitimer son titre de « calife ». Après avoir séjourné en
Syrie, Turki al-Binali prêche et enseigne à Mossoul (Irak), capitale autoproclamée de l'Etat islamique.
Abou Bassir al-Tartussi.
Né à Tartus (Syrie), Abdal Munem Mustapha Halima (sa véritable identité) s'est réfugié en Grande-Bretagne
au début des années 1980. Figure du « Londonistan » radical, il a cependant condamné les attentats de
2005 dans la capitale britannique. Réapparu publiquement en 2012, dans une vidéo le montrant en Syrie
entouré de combattants armés, al-Tartussi est le référent théologique du Front islamique syrien,
composante de la rébellion au régime de Bachar al-Assad, mais non affilié à Al-Qaeda ou à l'Etat islamique.
Il diffuse ses fatwas sur son propre site Internet.
Sahel
Rallié en 2007 à l'idéologie de Ben Laden, Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) a débordé d'Algérie pour
étendre ses actions dans la zone sahélienne. Malgré les succès de l'opération française Serval au Mali,
deux dissidences d'Aqmi sont menaçantes. Implanté dans le nord du Mali, le Mouvement pour l'unicité et le
djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) mène des actions sporadiques contre les militaires français.
L'organisation Al-Mourabitoune dispose de camps d'entraînement et de logistique dans le sud de la Libye.
-7-
Libye
Selon l'armée américaine, le mouvement djihadiste Ansar al-Charia également présent en Tunisie
disposerait de plusieurs camps d'entraînement dans la région de Derna, dans l'est de la Libye. Plusieurs
centaines de combattants, issus de milices locales, s'y entraîneraient aux côtés de volontaires libyens et
syriens. Ansar al-Charia a récemment prêté allégeance à l'Etat islamique.
Syrie et Irak
Depuis 2012, 64 camps djihadistes auraient été recensés en Syrie et en Irak dont 8 réservés aux enfants.
49 se trouveraient sur le sol syrien et 15 chez le voisin irakien. L'Etat islamique dirige 30 de ces bases, le
Front Al-Nosra, branche officielle d'Al-Qaeda en Syrie, 14. Des groupes originaires du Caucase,
d'Ouzbékistan, du Kazakhstan, de la bande de Gaza et du Maroc seraient à la tête de 9 structures. Les
djihadistes n'hésitent pas à faire la promotion de ces camps sur Internet à grand renfort de vidéos et de
photos.
Pakistan et Afghanistan
Depuis juin 2014, l'armée pakistanaise s'est lancée dans une vaste opération militaire contre les bastions
islamistes du Waziristan du Nord. Cette zone tribale à la frontière afghane, visée depuis 2006 par les drones
américains, abritait une centaine de camps d'entraînement à la fin des années 2000. Difficile de dire
combien de ces structures dirigées par Al-Qaeda et ses alliés talibans ont survécu. En Afghanistan, ces
dernières semaines, les talibans ont rendu publique, par vidéo, l'existence de deux camps situés dans des
provinces du nord. Al-Qaeda disposerait de plusieurs structures d'entraînement dans les régions du Kounar
et du Nouristan, dans l'est, et, selon le département d'Etat américain, un groupe djihadiste pakistanais
dirigerait plusieurs bases, dans l'est du pays également.
Yémen
Saïd et Chérif Kouachi, les auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo, se seraient formés au maniement des
armes dans l'un des camps d'entraînement yéménites dirigés par Al-Qaeda dans la péninsule Arabique
(Aqpa), qui a revendiqué leur action. Cette organisation, issue en 2009 de la fusion des branches yéménite
et saoudienne, est solidement implantée dans la région de l'Hadramaout, dans l'est du pays.
2.2 Comment s'exprime la radicalisation au Moyen-Orient et en Afrique?
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2.2.1 Qu'est-ce que l'Etat islamique? Comment fonctionne-t-il? Quelles sont
les idéologies véhiculées par Daech? Quels sont ses sources de
financement?
Analyse - Daech est bien plus terroriste qu'islamiste
Baudouin Loos, P.La, Le Soir, 16/11/2015, p. 16-17, 936 mots
Analyse Daech est bien plus terroriste qu'islamiste
Etat islamique (EI) ou «Daesh». Les noms qui tuent, au sens propre. Des repères qui se bousculent. La
sharia, loi islamique, et ses châtiments corporels. Une idéologie mortifère. La lutte à mort contre les
«croisés». Contre les chiites. Les attentats suicides. Et un puissant pouvoir d'attraction sur des sunnites
humiliés au Moyen-Orient et des jeunes musulmans occidentaux qui vomissent une société où ils se sentent
rejetés.
L'origine irakienne de Daesh reste souvent ignorée. L'invasion américaine du pays de Saddam Hussein en
2003 avait bouleversé la donne, galvanisant les ardeurs revanchardes au sein des plus radicaux chez les
perdants, la minorité sunnite d'Irak. Abou Moussab el-Zarqaoui incarne la révolte contre l'occupant
américain et le nouveau pouvoir, dominé par les chiites à Bagdad. Tué en 2006, il avait eu le temps
d'organiser la résistance, à coups d'attentats, et aussi de faire allégeance à l'organisation Al-Qaïda chère à
Oussama Ben Laden. L'année suivante naît «l'Etat islamique d'Irak», reconnu par Al-Qaïda, qui deviendra
vite impopulaire dans la partie sunnite d'Irak, où ses méthodes violentes suscitent l'hostilité des tribus
locales. Les Américains, habilement, vont fédérer celles-ci dans une alliance, «le Réveil» (Sahwa) qui
vaincra les djihadistes avant d'être grossière erreur abandonnée par le pouvoir central à Bagdad dominé par
les chiites.
La guerre en Syrie va faire renaître le djihadisme en déclin. En 2013, Abou Bakr al-Baghdadi, nouveau chef,
change le nom de son organisation en «Etat islamique d'Irak et du Levant» que ses opposants désignent
par son acronyme arabe «Daesh» et envoie quelques centaines d'hommes en Syrie. Ils y feront florès mais
s'y diviseront. Le «Jabhat al-Nosra», reconnu par Al-Qaïda, fait sécession de Daesh. Qu'à cela ne tienne,
Abou Bakr al-Baghdadi peut alors voler de ses propres ailes et fonder «l'Etat islamique» tout court, sur le
territoire que ses hommes dûment fanatisés ont déjà conquis en Irak et en Syrie, déjà plus vaste que la
Grande-Bretagne.
Mieux: il proclame le califat le 29 juin 2014 à Mossoul, seconde ville d'Irak conquise sans combats trois
semaines plus tôt. Les batailles sont rares, d'ailleurs, avec Daesh, dont les colonnes de 4×4 sont précédées
de camions suicides dont la seule vue fait fuir les soldats irakiens ou syriens. Les exécutions sommaires de
masse, les décapitations et autres crucifixions assoient plus encore la réputation de l'EI fondée sur l'effroi.
Autre élément souvent négligé: la réussite du projet Daesh repose aussi sur l'intégration de nombreux
officiers de Saddam Hussein tous sunnites exclus de l'armée après l'invasion américaine, et qui partagent
avec les djihadistes la haine des chiites.
Dans la rivalité entre djihadistes, l'Etat islamique ringardise Al-Qaïda. Adepte des moyens de
communication modernes, dont les réseaux sociaux, le premier rend obsolètes les vieilles cassettes audio
ou vidéo du second. Ce dernier estimait prématuré l'établissement immédiat d'un Etat? Daesh va lui donner
-9-
tort. L'«Etat islamique» existe bel et bien. Avec son administration, ses tribunaux, une économie basée sur
la contrebande de pétrole, l'impôt, les rançons et le racket. Cela, malgré des bombardements massifs
assurés par une coalition aérienne dirigée par les Etats-Unis depuis août 2014.
Le régime de Bachar el-Assad, à Damas, profite à pleines dents de l'effet (répulsif) Daesh. Il tient là le
repoussoir idéal. Si je tombe, voilà les monstres que vous aurez, crie le tyran à la cantonade. Effet garanti
auprès des minorités en Syrie, et doutes grandissants au sein des chancelleries occidentales. Tant pis si la
grande majorité des Syriens réfugiés qui entament leur triste transhumance vers l'Europe fuit d'abord les
bombardements de l'aviation du régime, qui jouit du monopole des airs dans le conflit interne. Et les autres
rebelles, ceux qui combattent à la fois le régime et Daesh, de s'apercevoir que l'aviation militaire russe,
fraîchement débarquée dans le conflit depuis le 30 septembre dernier, concentre ses efforts de destruction
sur leurs zones au lieu de s'en prendre à l'Etat soi-disant islamique Poutine ne fait qu'imiter Assad, qui
épargne les QG de Daesh comme si cet ennemi le concernait peu.
Sur la défensive sur le terrain
Au reste, Daesh ne craint pas les bombes. Ne craint pas la mort. Il recrute si facilement. Les jeunes
musulmans marginalisés, frustrés, tentés par une propagande qui promet l'expérience unique du premier
Etat vraiment musulman se pressent aux portes du mirage islamique. Lesquelles sont longtemps restées
ouvertes côté turc, grâce à un président Erdogan obnubilé par sa lutte contre les Kurdes, qu'il partage avec
les djihadistes Malgré quoi, les vicissitudes de la guerre n'épargnent pas Daesh, plutôt sur la défensive sur
le terrain. Dans ce contexte, il n'y a pas de raison d'attendre pour exporter le terrorisme pardon, le djihad
vers l'Europe, et d'abord cette France qui abrite une forte minorité de musulmans. Une occasion de susciter
de nouvelles représailles, qui susciteront à leur tour de nouvelles vocations au martyre.
Daesh
«L'Etat islamique» est né en Irak après l'invasion américaine de 2003. Il a retrouvé un second souffle grâce
à la révolte en Syrie, où il intervient à partir de 2012-2013. Ses effectifs sont inconnus, entre 50.000 et
125.000 hommes, selon les sources. Il occupe de vastes territoires en Irak et en Syrie. Il a accepté
l'allégeance de mouvements djihadistes étrangers (Egypte, Libye, Nigeria, etc.)
Tout comprendre sur l’Etat islamique en quatre questions
Yann Mens, alterecoplus.fr, n° 18/11/2015
Comment est né l'Etat islamique ? Quels sont ses objectifs ? Pourquoi frappe-t-il la France ? Comment lutter
contre le mouvement jihadiste ? Tout comprendre sur ce groupe terroriste en quatre questions/réponses.
http://www.cedes.be/ressources/articles-gratuits-23-04-08/tout-comprendre-sur-l2
019etat-islamique-en-quatre-questions/view
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Site des Décodeurs
Mercredi 18 novembre, le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé la création d’une commission
spéciale chargée de combattre le financement du terrorisme dans le cadre du renforcement de la lutte
contre les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI). Dimanche, deux jours après les attentats de Paris
et Saint-Denis, la France a demandé pour sa part, par l’entremise de son ministre des finances, Michel
Sapin, lors du G20 en Turquie, « des décisions concrètes en matière de lutte contre le financement du
terrorisme ». Selon plusieurs études, l’EI aurait la main sur des actifs dont le montant est estimé à 2 000
milliards de dollars (1 800 milliards d’euros), chiffre qui intègre notamment la valorisation des richesses
globales des zones qu’il contrôle, dont les ressources pétrolières et gazières.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-des-decodeurs
Le racket, les rançons, la vente de pétrole et d'oeuvres d'art
Sabine Verhest, La Libre Belgique, 16/11/2015, p. 14, 769 mots
On le mesure aujourd'hui plus que jamais, "il faut empêcher les terroristes d'écouler leur pétrole et d'avoir
accès à des ressources financières" , a affirmé Mohammad Javad Zarif, lundi à Téhéran. "Comment Daech
exporte-t-il le pétrole ? Qui le lui achète ?" , a lancé le chef de la diplomatie iranienne à l'issue de sa
rencontre avec Didier Reynders.
"Il est vraisemblable que le pétrole serve d'abord aux besoins propres" des combattants sur le terrain de la
guerre, explique Michaël Dantinne, criminologue à l'ULg et spécialiste de l'argent de la terreur. Mais on sait
aussi que l'organisation djihadiste alimente ses caisses grâce à la vente du pétrole. Elle utilise pour ce faire
des réseaux de contrebande classique existants entre le Kurdistan irakien et la Turquie. "Nous ne mettons
pas en cause les officiels, mais ce pays doit faire le ménage sur son territoire !" , a dès lors insisté Didier
Reynders mardi soir, dans l'avion qui le ramenait d'Iran.
Une fois que ce pétrole passe la frontière, il peut "être vendu à la sauvette ou réamalgamé avec du pétrole
légal" , explique Michaël Dantinne. Le ministre belge suspecte ainsi Damas, c'est-à-dire le régime de Bachar
al Assad, d'acheter l'or noir à ses ennemis. "Certains prétendent aussi que les avions russes volent avec du
fuel vendu par ceux qu'ils bombardent" , a-t-il même ajouté. Le fait est que "le pétrole, brut ou raffiné, est
difficilement traçable" , rappelle Michaël Dantinne.
Actuellement, la stratégie opérationnelle des États-Unis et de la coalition consiste, notamment, à couper les
lignes d'approvisionnement et les financements de l'État islamique, a déclaré Barack Obama dans une
interview diffusée dimanche par ABC News. Les frappes, menées dans le cadre de l'opération "Tidal Wave
II", ont visé les installations pétrolières de la région de Deir Ezzor (Syrie), qui fournit au groupe islamiste les
deux tiers de ses revenus pétroliers, a précisé vendredi le colonel Steve Warren, porte-parole du
Pentagone. Une première attaque avait visé, le 21 octobre, le champ pétrolifère d'Omar. Depuis lors, les
raids se sont intensifiés et "cela peut hâter la destruction" de l'EI.
Cela dit, rappelle Michaël Dantinne, "la capacité théorique que Daech devrait avoir, au vu des gisements
sous son contrôle, est nettement supérieure à ce qu'il arrive à en tirer en réalité, faute de techniciens
notamment". La vente du pétrole "n'est pas nécessairement la source principale de rentrées" des
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djihadistes, affirme l'expert dans la foulée.
Les collectionneurs financent le terrorisme
Daech se finance aussi en bonne partie "grâce au racket et à une série de formes plus élaborées de
taxation" dans les zones qu'il contrôle, "et cela peut rapporter beaucoup" . L'organisation "ponctionne une
taxe sur tout retrait d'argent, par exemple. Un certain nombre de sources rapportent qu'il subsiste des
fonctionnaires payés par l'Etat syrien. Donc, quand ils retirent leur argent, Daech en ponctionne une partie.
Quelque part, Assad subventionne Daech".
L'organisation touche aussi de l'argent en échange de la libération d'otages ou de la rétrocession de
matériel d'entreprise confisqué. "Des sources évaluaient cela à 20 millions de dollars pour 2014. Le racket,
le kidnapping et le 'rançonnage' sont beaucoup plus proches de ce que les djihadistes savent faire, c'est
donc plus rentable" pour eux que la vente de pétrole.
L'écoulement d'œuvres d'art pillées rapporte également de belles sommes; car Daech ne se contente pas
de détruire des vestiges préislamiques, comme au musée de Mossoul (Irak) ou sur l'antique cité de Palmyre
(Syrie) "ça, c'est pour la propagande" , affirme M. Dantinne. "Il y a un patrimoine de qualité très élevée avec
des pièces qui peuvent valoir très cher sur un marché profondément opaque."
C'est la raison pour laquelle le directeur général des antiquités et des musées de Syrie, Maamoun
Abdulkarim, a accusé vendredi les amateurs d'objets archéologiques, qui dans le monde entier achètent des
pièces pillées en Syrie et en Irak, de "participer au financement de l'État islamique et donc du terrorisme" .
Le difficile combat contre l'argent de Daech
Christian Chavagneux, alterecoplus, n° novembre 2015
Le 16 novembre dernier, dans son communiqué spécial sur la lutte contre le terrorisme, le G20 a appelé ses
membres à « renforcer le combat contre le financement du terrorisme ». Le constat est certes unanimement
partagé : on ne peut combattre Daech par la seule action militaire, il faut réussir à couper le groupe
terroriste de ses ressources financières...
http://www.cedes.be/ressources/articles-gratuits-23-04-08/le-difficile-combat-co
ntre-largent-de-daech/view
2.2.2 Quelles sont les autres mouvances islamistes? Quels liens
entretiennent-elles avec Daech?
Site de France Info
Le groupe islamiste Boko Haram a perpétré début janvier la pire tuerie de sa brève histoire au nord-est du
Nigeria, faisant 2.000 morts. C’est quoi Boko Haram ? D'où tire t-il son origine et quels sont ses objectifs?
Que font-ils? Où agissent-ils? Ce dossier est composé de vidéos, cartes, podcast et de divers articles sur le
sujet.
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http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-france-info
Site de TV5Monde
Kenya : qui sont les Chabab? Les islamistes somaliens ont revendiqué le massacre de 148 personnes dans
l’université de Garissa et continuent de menacer le Kenya d’autres attaques. Qui sont-ils? Explications
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/kenya-qui-sont-les-chabab
Comment Daech a supplanté Al Qaïda
Vincent Braun, La Libre Belgique, 18/11/2015, p. 14-15, 1091 mots
L'une est le rejeton de l'autre. Pourtant le rejeton a supplanté le géniteur. Daech, qui émane à l'origine d'une
dissidence d'Al Qaïda en Irak, est devenu un monstre puissant dont la menace est désormais globalisée. Si
Daech et Al Qaïda constituent tous deux les fers de lance de la lutte djihadiste dans le monde, si toutes
deux ont la ceinture d'explosifs et l'arme automatique chevillées au corps, les deux organisations se
distinguent par leur stratégie opérationnelle, leurs moyens, et même leur "éthique" djihadiste. Un véritable
fossé séparerait désormais les deux monstres rivaux bien que cousins.
Depuis la création de l'organisation Etat islamique (ou Daech), la direction du réseau créé par Oussama
Ben Laden avait observé une prudence oratoire qui confinait presque à de l'ignorance. Mais depuis que la
structure chapeautée par le "calife" Abour Bakr al Bagdadi s'est mise à chasser sur les terres de celle
d'Ayman al Zawahiri, les choses ont pris une autre tournure. Le mois dernier, le successeur de Ben Laden à
la tête d'Al Qaïda a pour la seconde fois dénoncé les pratiques de Daech ainsi que nié la légitimité du
"calife", dont le choix ne peut être fait "qu'avec l'accord de la population musulmane" . "Nous ne
reconnaissons pas ce califat Nous ne considérons pas Abou Bakr al Bagdadi comme digne du califat" , a dit
le chef d'Al Qaïda. Dans une première sortie contre son concurrent, un mois plus tôt, le 11 septembre
dernier, Zawahiri avait fustigé l'appel qu'al Bagdadi venait de lancer aux moudjahidins (combattants de la
foi) du monde entier pour qu'ils prêtent allégeance à son organisation et rejoignent son califat. Une menace
évidente pour le réseau terroriste dont la mort du fondateur en 2011 avait accéléré le déclin.
Ce virulent désaveu en deux temps montre à quel point les organisations sont désormais à couteaux tirés. Il
montre surtout que Daech est bel et bien en train de supplanter Al Qaïda. Tentative d'explication.
1 Un territoire, épicentre du djihad. Au départ, les deux organisations veulent combattre les infidèles, ce
qu'ils appellent les "Croisés" (les juifs et les Occidentaux). Mais Daech, à la différence d'Al Qaïda, s'est
arrimé à un territoire qu'il a lui même conquis. Dans son discours de proclamation du califat, Abou Bakr al
Bagdadi a souligné son désaccord avec le découpage du Proche-Orient hérité des Accords de Sykes-Picot
(il y a près d'un siècle). Il entend remodeler les frontières de la région, ce qu'il a commencé à faire en
rendant presque caduque la frontière commune entre l'Irak et la Syrie. Et c'est sans doute ce caractère
territorialisé, ancré, de son djihad qui explique l'avantage que Daech s'est taillé : il démontre qu'il peut diriger
son combat à partir d'un lieu physique, des villes, des régions, des zones entières, en administrant celles-ci,
certes sous la contrainte et en commettant toutes sortes d'exactions. Daech n'est pas dans le fantasme de
la quête, comme Al Qaida, il est dans une réalité, encore embryonnaire, mais très concrète. Al Qaïda avait
bien tenté de mener le djihad à partir de l'Afghanistan, où se situe pour lui le califat. Mais ce côté établi
donne une crédibilité indéniable à Daech, et lui rapporte pléthore de recrues.
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2 Une stratégie opérationnelle décentralisée. Alors qu'Al Qaïda cherche à établir un califat mondial,
universel, qui rassemblerait les musulmans et tous ceux que le djihad aurait permis de convertir, Daech a
installé un califat qu'elle a proclamé en juin 2014 sur les territoires conquis en Irak et en Syrie. On pourrait
dire que pour Al Qaïda (dont le nom signifie la "base"), la base c'est l'objectif (elle reste à établir), tandis que
pour Daech, la base c'est le point de départ de la conquête. La stratégie d'Al Qaïda est de multiplier les
foyers du djihad aux quatre coins du monde afin de diviser l'ennemi. Celle de Daech est de diffuser le djihad
le plus loin possible à partir d'un point central. Par contre la structure du pouvoir est décentralisée: une large
autonomie est laissée aux directions "régionales" et aux groupes affiliés, alors qu'Al Qaïda s'appuie sur une
organisation centrale qui décide de tout. On se souvient que Daech avait appelé aux meurtres des citoyens
américains et français en septembre de l'année passée suite au début des frappes des avions envoyés par
Washington et Paris en Irak et en Syrie.
3 Une horreur incarnée. La marque de fabrique d'Al Qaïda, celle qui a longtemps fait sa réputation, est
l'attaque de masse. Le 11-Septembre restera dans la mémoire collective comme le prototype de l'attentat
spectaculaire, massivement meurtrier et surtout en direct télévisé sur les écrans du monde entier. Par
contre, la terreur distillée presque goutte à goutte par les supplices de Daech apparaît bien plus perverse.
Les décapitations et autres exactions ont marqué les esprits parce qu'elles sont éminemment incarnées,
vécues dans la chair de chacun. Tant la terreur de masse d'Al Qaïda peut nous maintenir à l'extérieur de
l'événement, tant l'image mentale suscitée par les attaques ciblées de Daech vrillent dans nos chairs et nos
cerveaux. L'organisation dirigée par al Bagdadi a toutefois récemment changé son fusil d'épaule. L'attentat à
la bombe dans l'avion russe au-dessus du Sinaï, ceux d'Ankara et de Beyrouth ainsi que les attaques
armées et kamikazes menées à Paris montrent que Daech singe désormais la manière de faire d'Al Qaïda.
La sauvagerie des assauts de Paris va toutefois laisser des traces indélébiles dans les esprits parce que le
commando a frappé "au coin de la rue", dans des lieux symboliques de nos modes de vie.
Psychologiquement, c'est sans doute plus fort que de pulvériser deux tours géantes.
Épinglé
Daech (Etat islamique)
Création: 2006
Idéologie: salafiste djihadiste
Chef: Abou Bakr Al Bagdadi
Sanctuaires: Mossoul (Irak) et Raqqa (Syrie)
Forces: entre 50 000 et 75 000
Groupes affiliés: Boko Haram (Nigeria), Etat islamique en Libye (ex-Majilis Choura Chabab al Islam),
Wilayat Sinaï (Egypte), Jund al-Khilafah (Algérie)
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Épinglé
Al Qaïda
Création: 1988-1992
Idéologie: salafiste djihadiste
Chef: Ayman al Zawahiri
Sanctuaire: Afghanistan
Forces: entre 20 000 et 30 000
Groupes affiliés:
Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi, depuis 2007), Al Qaïda dans la péninsule Arabique (Aqpa, depuis
2009), Al Shabbaab (Somalie, depuis 2010), Front al Nosra (Syrie, depuis 2012) Al Qaïda en Afrique de
l'Ouest (ex-Al Mourabitoune, depuis 2013), Al Qaïda dans le sous-continent indien (Aqsi, depuis 2014)
Qui sont les alliés des jihadistes?
Yann Mens, alterecoplus, n° novembre 2015
Les jihadistes ont toutes sortes d'alliés, plus ou moins durables...
http://www.cedes.be/ressources/articles-gratuits-23-04-08/qui-sont-les-allies-de
s-jihadistes/view
2.3 Pourquoi et comment des jeunes se radicalisent-ils? Le rôle de la Belgique
Etangs noirs, un quartier qui se sent mal aimé
Frédéric Delepierre, Corentin Di Prima, Mathieu Colinet, Le Soir, 17/11/2015, p. 10-11,
1187 mots
Etangs noirs, un quartier de Molenbeek dont la vie tourne autour de la station de métro du même nom
inaugurée en mai 1981 et décorée d'une fresque murale de l'artiste Jan Burssens. Un lieu calme en ce lundi
midi même s'il jouit d'une assez mauvaise réputation. D'aucuns n'y voient même qu'un repaire de bandes
urbaines ou de délinquants. Un constat que ne partage pas Aziz, un ouvrier de la Stib, occupé à nettoyer les
escalators.
«C'est une station comme une autre , lance le quinquagénaire. Il ne s'y passe rien de plus que dans les
autres. Parfois des jeunes s'y réunissent, mais ils ne font pas forcément quelque chose de mal. Ils savent
très bien qu'ils sont surveillés par une quarantaine de caméras en permanence et qu'ils seront identifiés s'ils
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font des bêtises. De notre côté, si nous voyons quoi que ce soit, nous avons l'ordre d'en informer le
dispatching par téléphone. Une équipe de sécurité est alors dépêchée sur place. Mais, en général, ici, il ne
se passe rien de grave. A part quelques drogués ou clochards qui essaient de trouver refuge jusqu'à la
fermeture des grilles après le passage du dernier métro.»
«Une commune oubliée, délaissée»
A l'air libre, le quartier grouille. Des habitants montent et descendent des bus. D'autres font leurs emplettes
en échangeant quelques mots, souvent appuyés de grands gestes. Devant une boucherie auto-appelée
islamique, des poulets se dorent la peau à la broche. «Ça fait 35 ans que je tiens la boutique , commente le
boucher. Avant, c'était vraiment un sale quartier mais depuis une dizaine d'années, une bonne ambiance est
revenue. Il y a bien sûr quelques petits voyous qui commettent parfois des vols ou des arrachages de sacs,
mais c'est bien mieux qu'avant.»
Zakarya a 28 ans. Il a grandi dans le quartier et ne supporte pas l'image qui est donnée de sa commune,
notamment dans les médias français. Même s'il reconnaît que la vie n'est pas rose tous les jours à
Molenbeek. «C'est une commune oubliée, délaissée, avec une forte concentration de chômeurs. Bien plus
importante qu'il y a quelques années. Une commune où se côtoyaient des musulmans, des chrétiens et des
juifs, mais où cette diversité a disparu. Même si des Marocains, des Turcs, des Italiens, des Grecs et des
Belges continuent à vivre ensemble, en toute convivialité.»
«Tout à fait d'accord , intervient tout de go Mirella, Italienne de 65 ans. Moi, j'habite un petit immeuble dans
lequel vivent des gens de huit nationalités différentes. Et tout va bien. J'ai même passé des vacances au
Maroc dans la famille d'une de mes voisines.»
Pourquoi les terroristes s'intéresseraient-ils donc plus particulièrement à Molenbeek? «Les jeunes d'ici n'ont
pas d'avenir , poursuit Mirella. Certains n'ont pas fait d'études et ne parlent pas bien français. Ils ne trouvent
pas d'emplois et ont parfois un casier judiciaire pour des petites bêtises qu'ils ont faites par le passé.»
«Ils se tournent alors vers les mosquées qui sont bien plus nombreuses qu'avant , embraie Zakarya. Dans
le quartier, il fallait parfois marcher 15 minutes pour en trouver une il y a dix ans. Maintenant, on en trouve
parfois trois dans la même rue. Souvent, les types qu'on y trouve sont d'anciens délinquants qui se sentent
investis d'une mission divine car le seul livre qu'ils avaient en prison était le Coran dont ils dénaturent la
teneur.»
La mauvaise image du quartier, c'est aussi au monde politique qu'elle est due, selon Abdelaziz et Karim,
croisés sur la place des Etangs noirs. L'un à vélo, l'autre à béquilles. «Philippe Moureaux était incomparable
, lance le premier. Il était dans la rue. Il nous parlait car il sait comment les Arabes fonctionnent.»
«Françoise Schepmans nous ignore , reprend Karim. Elle vit retranchée et ne s'intéresse qu'aux
commerçants de la chaussée de Gand qui brassent de l'argent. Dans les quartiers populaires, on ne la
connaît pas.» «C'est à un point , intervient Zakarya, que certaines rues sont nettoyées cinq fois par jour
quand d'autres ne le sont qu'une fois par semaine.»
Il est près de 13heures. Au croisement des rues des Etangs noirs et Vanderdussen, six jeunes hommes
discutent. L'aîné, Ridouane, estime être chanceux. «Je travaille chez les bourgeois de Waterloo , ironise-t-il.
Et ouais, ça en bouche un coin, hein. Pour un mec de Molenbeek Mais à côté de ça, c'est malheureux pour
beaucoup de jeunes. Ils sont nés en Belgique et ne trouveront pas de boulot. Notamment à cause de
l'Europe qui nous ramène des étrangers qui ne coûtent rien»
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«Je fais un master en comptabilité»
Cartable en cuir à la main, Mohamed, l'étudiant, acquiesce. «Moi , dit-il, je fais un master en comptabilité
mais je travaille à côté car c'est très dur pour mes parents. Je me donne cette chance en plus car j'ai envie
de m'en sortir même si je sais que vu mon nom et mes origines, la discrimination va jouer au moment de
trouver un emploi. C'est du vécu car j'ai des amis ingénieurs qui ne trouvent pas de travail.» A ses côtés,
Ben l'agent de sécurité et Samir le vendeur de voitures au chômage approuvent. «J'avais un boulot mais
depuis huit mois, je cherche , commente le second. C'est très difficile alors que je ne demande pas du luxe.
Manutentionnaire, ça m'irait. Je veux juste pouvoir manger» Habitant la rue d'Ostende depuis 35ans,
Keserovic, un ex-Yougoslave pensionné, refuse de voir les choses de manière aussi angélique. «On a vécu
en paix pendant très longtemps , déplore-t-il. Or, en quelques années, ma femme a été agressée à deux
reprises. En pleine journée. A un point tel qu'elle n'ose plus sortir de la maison tant elle a peur. La nuit, des
jeunes consomment de la drogue un peu partout. Et puis, il y a toutes ces mosquées clandestines que l'on
ne détecte que parce que les fidèles en sortent en masse. Sinon, on dirait des maisons d'habitation. Ce
n'est pas rassurant.»
Sortant de sa Fiat 500, Gabrielle garde, pour sa part, espoir. «Je viens donner des cours d'alphabétisation à
des jeunes du quartier qui veulent s'en sortir et s'intégrer. Et il y en a»
Comment un jeune se transforme en djihadiste
Xavier Counasse, Le Soir, 16/11/2015, p. 6, 1501 mots
Existe-t-il des points communs entre les profils des «djihadistes occidentaux», soit ces Belges ou Français
qui se radicalisent jusqu'à commettre des massacres et attentats-suicides?
Firouzeh Nahavandi, sociologue à l'ULB, affirme qu'il y a différentes constantes dans les profils des jeunes
susceptibles de se radicaliser. «Ils n'appartiennent pas à une catégorie sociale particulière, on retrouve à la
fois des jeunes de quartiers défavorisés et des jeunes issus de la classe moyenne. Évidemment, il y a plus
d'enfants des quartiers défavorisés, mais les deux existent. La plupart ont fait des études, mais n'ont pas été
bons. Ils ont dû faire face à des échecs, sont désœuvrés, à la recherche d'un but. Ils sont totalement
déconnectés de leur famille, et déconnectés du pays auquel ils appartiennent. Finalement, ils sont coupés
du monde. Et ils entrent dans les mouvements djihadistes comme on entrerait dans une secte.»
Autre élément récurrent cité par nos experts: un passage fréquent par la case prison. «Ce sont rarement
des enfants de chœur, ils ont un parcours de galère. Des petits délinquants qui ont été arrêtés, parfois pour
de petits délits» , ajoute le professeur Nahavandi.
Un acteur de terrain, déjà contacté après les attentats de Charlie Hebdo , nous répète ce qu'il disait à
l'époque. «Beaucoup de jeunes dans les quartiers portent les cicatrices de l'échec scolaire et des
discriminations. Ils ont une double fragilité, la première nourrissant la seconde: une fragilité
socio-économique et une fragilité identitaire. En outre, sur Facebook, ce que racontent et montrent leurs
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amis partis faire le djihad est parfois loin des images horribles qu'on imagine ici: ce sont des villas, des
voitures, des femmes.»
Deux poids, deux mesures
Notre interlocuteur, qui préfère garder l'anonymat, ajoute que depuis Charlie, la situation se serait aggravée.
«Quand un jeune vous demande pourquoi on intervient dans un pays où il y a du pétrole, et pas dans un
autre où il n'y en a pas, que lui répondez-vous? Quand il vous demande pourquoi tout le monde s'indigne
après Charlie , mais qu'on n'entend pas de réactions en Occident quand des centaines d'enfants meurent à
Gaza sous les bombes, que lui répondez-vous? Ces jeunes sont capables d'avoir un esprit critique, ils sont
informés sur le net des injustices faites aux Palestiniens, de la crise en Syrie. Et ils voient le deux poids,
deux mesures dans le traitement médiatique. Certains ont l'impression que c'est toujours la même
communauté qui est visée: la communauté musulmane.»
Décrochage scolaire, familial, incompréhension des réactions occidentales, incapacité de trouver du travail
«parce qu'on s'appelle Mohammed ou Abdallah» . La rupture peut avoir plusieurs origines. En un mot: elle
naît d'une humiliation, résume le professeur Ariane Bazan, de la faculté des Sciences Psychologiques et de
l'Éducation à l'ULB. «Commettre un acte extrémiste, c'est un contrepoids indirect à une violence subie. De
toutes les peines qu'un humain peut infliger à un autre humain, l'humiliation est la plus féconde de violences
à venir, en particulier elle peut rebondir d'une génération à l'autre. Il y a 1.001 raisons pour se sentir
fragilisé, humilié dans une société. Et on trouve alors dans une cause une façon de traiter son humiliation.
C'est une façon de libérer sa noirceur, sa colère.»
Se convertir sur le net
Cette cause, c'est le djihad, la recherche du bien à travers la guerre sainte. En grande partie grâce à
internet et aux réseaux sociaux, ces jeunes plutôt fragiles découvrent une version très radicale de l'islam.
Un islam que la grande majorité des musulmans refuse d'assimiler à sa religion. Là, il existe deux types de
profils: soit des musulmans qui redécouvrent une version ultra-radicale de leur religion, soit des personnes
qui se convertissent à cette nouvelle pseudo-religion. «En Belgique, la moitié sont des convertis. Beaucoup
ont des parents de souche belge. C'est l'une des caractéristiques les plus frappantes. Ils recherchent la
fraternité universelle à travers les mouvements djihadistes. D'après ce que l'on sait, ils ne sont pas
nécessairement recrutés après la rencontre de quelqu'un. La grosse majorité des convertis passe
simplement le plus clair de son temps sur internet. Ils y trouvent ce qu'ils veulent trouver, car l'information
est ultra-disponible. Ils n'ont pas besoin de faire partie d'un groupe. La plupart du temps, leurs parents
tombent des nues quand ils apprennent que leur enfant est parti en Syrie» , analyse Firouzeh Nahavandi.
Le départ en Syrie, c'est la véritable étape de radicalisation. Parmi les groupes terroristes ayant commis des
attentats, «il y a toujours eu un passage à l'étranger, même bref, d'au moins un des piliers du groupe. On ne
se radicalise pas tout seul dans son coin derrière son écran. Merah était passé par les zones tribales
pakistanaises, Nemmouche, le tueur du Musée juif de Bruxelles, par la Syrie, le cadet des frères Kouachi,
auteurs du massacre de Charlie , par le Yémen , analyse le sociologue Farhad Khosrokhavar dans
Libération . Ce voyage initiatique () est aussi essentiel en ce qu'il permet au futur kamikaze de devenir
étranger à sa propre société d'origine et d'acquérir la cruauté nécessaire pour le passage à l'acte sans
culpabilité ni remord.»
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Les djihadistes qui reviennent dans leur pays d'origine ont des profils différents. «Il y a les endurcis, qui
restent décidés à tuer et à se venger des sociétés mécréantes. Pour eux, il n'y a pas d'autre solution que la
répression pénale. Il y a les traumatisés, profondément perturbés par leur expérience et tentés de ce fait par
la violence. Il y a les indécis, ébranlés par leur expérience, hésitants sur le destin: si on les met en prison
avec les endurcis, cela sera contre-productif. Et il y a les repentis, qui sont prêts à dénoncer à partir de leur
expérience ce qu'est le djihad, qu'il faut encourager» , poursuit le sociologue.
Et la plupart revient métamorphosée. «Ils partent seuls, et quand ils reviennent, ils ont tendance à se réunir.
Ils ont besoin de partager leur expérience avec des gens comme eux» , commente Firouzeh Nahavandi.
«Ce sont des fratries comme les (frères) Kouachi, ou de toutes petites bandes de copains refermées sur
elles-mêmes et très soudées» , confirme Khosrokhavar dans Libé .
«Le plus frappant, c'est leur volonté à long terme de combattre le mal absolu. Le mal, c'est l'Occident; le
bien, c'est l'islam universel tel qu'on leur présente. Même s'ils meurent, ils sont convaincus qu'ils iront au
paradis pour la bonne cause. Ils pensent qu'ils ont de la valeur, mais sont utilisés comme du menu fretin. Ils
me font penser aux enfants iraniens qu'on lançait vers l'Irak lors de la guerre Iran-Irak pour faire sauter les
mines antipersonnel. On leur mettait une clé autour du cou en leur disant que c'était la clé du paradis» ,
reprend Firouzeh Nahavandi.
Humiliation occidentale
Là, ces jeunes radicalisés sont capables du pire: tuer en masse, voire se faire exploser. «Attaquer l'autre,
c'est trop facile, trop bref pour le sujet humilié. S'attaquer soi-même, c'est trop peu incisif pour les autres.
Pour donner la mesure de la violence de l'humiliation, il faut détruire la scène où l'on se sent rejeté. L'humilié
dit en substance: je suis déjà mort, psychiquement, mais je ne partirai pas sans avoir fait le ravage autour
de moi, pour détruire la scène même de l'humiliation» , théorise Ariane Bazan.
La psychologue conclut: «Je lis ce qui s'est passé à Paris dans une dynamique qui ferait contrepoids à
l'humiliation d'un groupe culturel, identifié comme l'islam. Pensez aux scènes des prisons d'Abu Ghraib et
de Guantanamo, où des tabous fondateurs de la civilisation ont été transgressés par les Occidentaux. Cela
a sans doute joué un rôle dans l'idée répandue que l'Occident a pu humilier l'islam. Attention je dis que le
groupe identifié comme cible de l'humiliation est l'islam, pas que tous ceux qui font partie de ce groupe se
sentent humiliés. Loin de moi l'idée que tout un qui se revendique de ce groupe soit extrémiste.»
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Comment le radicalisme islamiste s'est ancré en Belgique
David Coppi, Martine Dubuisson, Ludivine Ponciau, Elodie Blogie, William Bourton,
Beatrice Delvaux, F.M., M.K., B.P., Le Soir, 16/01/2015, p. 4,5, 784 mots
Sécurité- Mobilisation générale
Le gouvernement fédéral avait prévu de rendre publiques ce vendredi, à l'issue du conseil des ministres,
une première série de mesures en matière de sécurité: la communication, rue de la Loi, prend une nouvelle
dimension, dramatique, après les opérations anti-terroristes jeudi soir.
Charles Michel, Jan Jambon et Koen Geens, respectivement Premier ministre, ministres de l'Intérieur et de
la Justice, sont en première ligne. Jeudi soir, après 21 heures, ils ont tenu une réunion d'évaluation des
opérations policières avec les principaux responsables des services de sécurité. Le Premier ministre avait
bien entendu été tenu au courant de leur programmation, et informé de leur déclenchement. Et la
conférence de presse du Parquet fédéral s'est tenue en accord avec le gouvernement.
A l'issue de cette réunion de crise au cabinet de la Justice, vers 23h20, le Premier ministre, entouré de ses
deux collègues de l'Intérieur et de la Justice, a fait une déclaration à la presse.
Charles Michel a tout d'abord évoqué les éléments factuels: « Après une longue préparation, des opérations
de lutte contre le terrorisme ont démarré sur le terrain, dans le cadre d'une enquête judiciaire et sur la base
de nos services de renseignements ».
Le Premier ministre a ensuite félicité les services de renseignements et de sécurité et le parquet fédéral
pour leur bonne coopération dans ce dossier.
Enfin, il a confirmé que le niveau de menace est porté à trois, même si l'on « n'a pas connaissance de
menaces concrètes et spécifiques, mais nous voulons être prudents ». Ce niveau trois permet de mettre en
œuvre de nouveaux moyens de protection qui ne sont pas précisés pour des raisons évidentes. Une
communication plus approfondie du gouvernement est prévue ce vendredi, ainsi qu'une nouvelle conférence
de presse du Parquet.
Au niveau gouvernemental, il est question plus que jamais de la «lutte contre le radicalisme», s'agissant
notamment, surtout, de celles et ceux qui reviennent en Belgique après s'être engagés dans les conflits en
Syrie ou en Irak: déchéance de la nationalité, retrait des documents d'identité, gel des avoirs, extension des
écoutes téléphoniques, intensification des contrôles et de la surveillance dans les prisons,etc.
Egalement: il faudra améliorer la «circulation de l'information» entre les services de sécurité. Quant au
déploiement de l'armée dans des circonstances exceptionnelles et pour des missions de surveillance de
«lieux à risques», le débat se poursuivait ces derniers jours au sein de la majorité. Le gouvernement doit
trancher ce vendredi. Et pourrait par ailleurs annoncer de nouveaux financements en faveur des services de
police et de sécurité.
De leur côté, les ministres de la Fédération Wallonie-Bruxelles doivent divulguer ce vendredi également une
série de mesures ayant trait à «la prévention du radicalisme et au bien vivre ensemble». De quoi parle-t-on?
Notamment de la détection des signes de radicalisation dans le parcours de jeunes, via les travailleurs
sociaux, les éducateurs, les maisons des jeunes, ainsi que des politiques de cohésion sociale entreprises
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au sud du pays. Enfin, plus largement, au cœur du débat: l'éducation, compétence majeure de la
Fédération.
Mobilisation générale, donc.
En attendant, invitée hier soir de l'émission «Jeudi en prime» à la RTBF, Laurette Onkelinx réagissait à
chaud aux événements. Elle a salué l'action de nos services de police et de sécurité, «qui ont évité un bain
de sang ou une atteinte physique à la population en Belgique» . La cheffe de groupe PS à la Chambre, qui
fut ministre de la Justice, a appelé la population à «ne pas paniquer, et l 'efficacité de nos services doit les
rassurer» . Elle a ajouté: «Il faut être implacables vis-à-vis de ceux qui font une lecture meurtrière des textes
religieux, sans cela, il y aura des amalgames entre ceux qui appellent la violence et ceux qui pratiquent une
religion pacifiquement» . Laurette Onkelinx «adjure le gouvernement d' augmenter les moyens des services
de police et de renseignement» . Elle complète: «En particulier, il faudra surveiller internet et annuler les
sites où l'on appelle à la violence» . Par rapport aux jeunes qui se lancent dans le djihad, outre la fermeté à
leur égard, elle parle du «désespoir au plan social» qui les frappe parfois, «et contre lequel les politiques
doivent agir» .
Verviers- Un terreau pour jeunes djihadistes
Si la plus grande partie des candidats au djihad est originaire de Flandre, Verviers figure parmi les villes
wallonnes d'où serait également parti un nombre important de jeunes combattants. Pourquoi? Plusieurs
explications peuvent être avancées.
Tout d'abord, Verviers se situe non loin des Pays-Bas et de l'Allemagne. Ce qui en fait une ville de passage.
Par ailleurs, selon une récente étude réalise par l'ULg sur l'intégration et la mixité sociale dans cette entité,
elle affiche une démographie particulièrement multiculturelle (et donc forcément multiconfessionnelle)
puisque 15% de sa population est d'origine étrangère et pas moins de 117 nationalités sont représentées
sur son territoire. « Elle accueille depuis longtemps des personnes immigrées travailleurs, étudiants,
négociants- et continue à accueillir de nouveaux migrants », indique le rapport. C'est ainsi que l'on y
rencontre des communautés très diverses, comme les Tchétchènes qui forment à Verviers le deuxième
regroupement le plus important de Belgique. « Or vraisemblablement parmi ceux qui sont partis en Syrie,
certains étaient tchétchènes» , confie Michaël Privot, un converti de Verviers très impliqué dans la
communauté locale et par ailleurs dans la lutte contre le racisme au niveau européen.
On trouve aussi une petite dizaine de mosquées, dont plusieurs de tendances conservatrices, plutôt
rigoristes, mais qui ne sont pas considérées comme «en rupture» avec la société. Mise à part, peut-être,
une mosquée somalienne « On sait que certaines personnes à Verviers étaient proches de milieux pas très
clairs, comme les shebab somaliens. Cette mosquée somalienne a notamment posé problème car elle
abritait un prêcheur d'origine marocaine particulièrement radical. Il a été écarté de sa mosquée mais on sait
que plusieurs des jeunes qui sont partis en Syrie avaient été en contact avec cet imam », avance encore
Michaël Privot.
Pour Franck Amin Hensch, l'un des imams de Verviers (NDLR: lire ci-dessous), si Verviers est un terreau
pour le djihad, c'est aussi pour des raisons purement économiques: l'entité figure parmi les villes les plus
pauvres de Belgique. « Vous savez, ici, il n'y a pas d'université, pas vraiment d'avenir. De plus, les jeunes
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d'aujourd'hui ne lisent plus grand-chose et font partie de la génération YouTube. Ils n'ont pas de recul par
rapport aux choses, pas de véritable réflexion », déplore l'imam.
Depuis 2011, entre six et dix jeunes originaires de la région seraient partis en Syrie pour rejoindre les rangs
de l'État islamique. Ils feraient partie du même groupe.
De jeunes adultes en rupture avec la société qui ont suivi le même chemin « Quand le premier est parti, il y
a eu une sorte d'appel d'air , décrit le converti. Il postait des photos sur Facebook et quelques autres ont
suivi. L'un d'eux travaillait dans un resto lorsqu'il a tout plaqué. Un autre était l'un de ses copains, repris de
justice. Un troisième était par contre en première année d'ingénieur. Ce sont tous des jeunes hommes qui,
globalement, ne venaient pas de familles conservatrices: il y a des convertis ou des jeunes issus de familles
où on pratiquait un islam traditionnel, cool », indique encore Michaël Privot qui ajoute, comble de l'ironie: «
On devait avoir une réunion demain, ce vendredi, avec l'Union des Mosquées de Verviers et les autorités
locales pour élaborer comment lutter contre ces phénomènes de radicalisation.»
L'imam- «Ils ont tous le même profil»
L'imam Franck Amin Hensch donnait cours à la mosquée Assahaba, à Verviers, lorsqu'il a appris l'assaut
qui venait de se dérouler rue des Ecoles.
Que pensez-vous de ce qui vient de se produire à deux pas de votre mosquée?
Ça m'a coupé les jambes! Aujourd'hui justement, nous recevions l'évêque de Liège. C'était une visite
hautement symbolique. Et alors que je raccompagnais l'évêque dehors, je vois passer des voitures de
police roulant à 100 à l'heure.
Pour une fois qu'une actualité positive à propos des musulmans était mise en avant dans les médias
Hier encore, je disais que je ne croyais pas que des actes de terrorisme comme ceux qui se sont produits
en France pouvaient arriver chez nous. Parce que nous n'avons pas de cités avec des HLM et qu'en
Belgique, la mixité sociale est plus homogène. Que notre société était plus forte et les tensions moins
exacerbées.
Mais aujourd'hui, il faut bien admettre que quand la France est enrhumée, c'est la Belgique qui tousse.
J'espère seulement qu'on va éviter les amalgames et dépasser la réaction émotionnelle. Mais d'un autre
côté, j'espère aussi qu'on vivra ça comme un électrochoc.
Connaissez-vous les individus qui viennent d'être abattus?
Je ne connais personne qui habite dans ce coin-là. Et très franchement, je doute très fort que
ces djihadistes fréquentent notre mosquée. Et ceux qui sont partis combattre, dont je connais l'identité, sont
toujours là-bas. Ça, j'en suis certain.
Vous parlez de Redouane et Tarek, les deux Verviétois partis il y a un an?
- 22 -
Moi, je les appelle les mannequins du djihad parce qu'ils postent des photos d'eux tous les jours
sur Facebook pour faire la propagande de l'Etat islamique.
Le profil des jeunes qui se laissent embrigader est souvent le même: ce sont des anarchistes qui rejettent
notre société, qu'ils trouvent trop matérialiste et trop individualiste, qui voient le complot partout et qui sont
finalement tombés dans un processus sectaire. Il y a trois ou quatre ans, ils vénéraient les rappeurs et
portaient des chaînes qui brillent. Depuis, ils ont changé de héros. Aujourd'hui, c'est Ben Laden. Alors, ils se
laissent pousser la barbe et se radicalisent.
Par contre, ils ne mettent toujours pas les pieds à la mosquée. La question qu'il faut se poser, c'est pourquoi
ces jeunes issus de la communauté musulmane en sont venus à détester les valeurs de notre société. Et
surtout: trouver des solutions!
Cette radicalisation des jeunes Verviétois, vous la ressentez donc?
Depuis quelques temps, oui. Parce que les jeunes qui viennent à la mosquée se posent pas mal de
questions et viennent nous trouver pour en parler. Alors, on tente de les raisonner en argumentant le plus
possible.
Analyse- Sharia4Belgium pointée du doigt
Pourquoi tant de djihadistes partis de Belgique? Gilles de Kerchove, le coordinateur de l'Union européenne
pour la lutte contre le terrorisme, pointe Sharia4Blegium, organisation djihadiste fondée le 3 mars 2010 et
dissoute le 7 octobre 2012, qui s'est livrée à un recrutement actif dans la rue, et responsable, selon lui, de la
première vague de départs de djihadistes pour la Syrie.
«La deuxième vague de combattants est plutôt le fait d'internet» , précise Gilles de Kerchove.
Quand on lui demande si l'on a été trop «laxiste» vis-à-vis des éléments les plus
radicaux, Gilles de Kerchove répond par la négative. «On a créé l'Ocam (Organe de coordination pour
l'analyse de la menace), qui fait vraiment du bon travail, explique-t-il.On peut toujours muscler les dispositifs,
et c'est ce que le gouvernement s'apprête à faire et je ne peux que l'encourager à le faire et aussi mettre
des moyens à la Sûreté de l'Etat, mais on n'a certainement pas été irresponsable. La ministre de
l'Intérieur, Joëlle Milquet, était vraiment impliquée dans la lutte contre le terrorisme, je peux vous le dire.»
Dyab Abou Jahjah, activiste politique belge d'origine libanaise qui, dans les années 2000, avait créé la Ligue
Arabe Européenne (LAE), le premier mouvement organisé représentant des Belges d'origine immigrée,
estime aujourd'hui que si on avait laissé vivre la LAE vue à l'époque comme fauteuse
troubles Sharia4Belgium n'aurait jamais eu l'importance qu'elle a prise récemment.
«Je ne suis pas étonné par ce qui s'est passé ce jeudi soir, c'est ce que je craignais, affirme-t-il. Il y a une
logique dans tout cela et une réalité qui s'impose: la présence de plus en plus prononcée des
réseaux djihadistes en Europe, avec une proportion plus forte en Belgique en comparaison avec d'autres
pays. On est dans une logique de guerre et d'escalade.»
- 23 -
de
Pourquoi cette présence forte en Belgique? «Cela tient à l'évolution de la relation entre les populations
d'origine immigrée en Belgique et en France et leur environnement, explique Dyab Abou Jahjah. Ce sont
deux pays où on est moins dans une logique d'harmonie et de coexistence de citoyenneté. Où il y a le
moins de succès de l'intégration sociale et économique. Ce n'est pas une impression, ce sont les
statistiques européennes qui le disent. Cette réalité socio-économique est un champ idéal pour tout genre
d'extrémisme ou de candidature à la radicalisation, vers une logique idéologique. Il ne faut pas nier le fait
que cette mobilisation exercée par un djihadisme international dépasse le cadre de l'Etat-nation. Mais cette
analyse socio-économique belge est importante pour identifier la manière d'y remédier et savoir où travailler
pour éviter que cet extrémisme croisse encore.»
Le rôle des imams et des mosquées est-il crucial dans cette radicalisation? La Belgique aurait-elle été plus
laxiste
sur
ce
plan?«Pas
spécialement,
répond-il,
même
s'il
est
évident
que
propagande wahabiste saoudienne a joué un rôle pour créer cette réalité. Mais la Belgique n'a pas été plus
tolérante ou plus naïve par rapport à l'extrémisme.»
Ces arrestations, avec des morts, peuvent-elles créer des troubles et provoquer des réactions fortes dans la
population immigrée belge? «Cela dépend si elles sont réalisées dans le respect de l'Etat de
droit, estime Dyab Abou Jahjah. Car tout le monde craint cet extrémisme, y compris les musulmans: si on
entre dans mon quartier et qu'on arrête des gens dangereux, en respectant l'Etat de droit, cela me soulage.
Mais le risque existe en cas de bavure. Il faut donc faire encore plus attention dans ces moments car on est
en train de travailler un champ social assez dangereux. Il faut bien veiller à utiliser le sécuritaire dans un
cadre légal.»
D'aucuns ont eu l'impression que la population belge d'origine immigrée, en particulier musulmane, était très
peu impliquée dans la réaction aux attentats de Paris «Tout le monde comprend et se dit que quelque chose
de très grave s'est passé, répond notre interlocuteur. Mais l'identification avec le slogan Je
suis Charlie n'était pas là. Je ne m'y identifiais pas non plus. C'est vraiment dommage, on a raté une
occasion de créer un pont, un lien. A Malines par contre, cela s'est produit mais la manifestation a été
organisée par la ville sous deux slogans: Je suis Charlie et Je suis Ahmed. Pas sûr que cela aurait marché
à Bruxelles, mais en tout cas, on ne l'a pas essayé», conclut Dyab Abou Jahjah.
Rétroactes- L'effroyable montée en puissance
Les regards se sont rapidement tournés vers la Belgique après les attentats de Paris. Les frères Kouachi,
ceux-là même qui ont orchestré la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo , étaient originaires du Nord de
la France, dans les quartiers populaires de Reims. Des questions ont ainsi rapidement afflué sur
d'éventuelles cellules dormantes belgo-françaises. Il y a deux jours, l'évocation par le ministre de la justice
Koen Geens d'attentats terroristes déjoués en Belgique propos confirmés ensuite par le ministre-président
de la Région bruxelloise Rudi Vervoort ont naturellement participé à instaurer un climat de suspicion
important sur la capacité de nuire de djihadistes belges revenus de Syrie. Pour le renforcer, trois
combattants présumés du groupe terroriste Etat islamique (EI) ont appelé mercredi les musulmans d'Europe
qui ne peuvent rejoindre la Syrie et l'Irak à « continuer le djihad », notamment en Belgique. « Faites de votre
mieux, faites tout ce que vous pouvez » si «vous ne pouvez pas venir sur les terres du Califat islamique», a
ainsi déclaré le premier djihadiste qui apparaît dans le document. « Le Califat va s'installer dans toute
l'Europe, en France, en Belgique, en Allemagne, en Suisse» , conclut-il en faisant référence aux attentats
- 24 -
la
en France. Voilà pour les faits les plus récents.
D'autres faits plus anciens ont fait que la Belgique n'a jamais vraiment quitté les radars de la lutte contre ce
terrorisme, ce qui explique d'ailleurs c'est de notoriété publique que le niveau d'alerte décrété par l'Ocam
(Organe de coordination pour l'analyse de la menace), censé être de 2 (sur une échelle de 4), était en
réalité de trois depuis belle lurette autour de lieux dits sensibles (de culte juif notamment). La première salve
est incontestablement venue de Fouad Belkacem, leader charismatique de Sharia4Belgium. Le «recruteur»
prêchait dans les rues d'Anvers pour rallier les jeunes à la cause d'un «Islam pur» et avait l'habitude de
diffuser ses messages sur les réseaux. Lui et son groupe Sharia4Belgium seront jugés le mois prochain au
tribunal correctionnel d'Anvers pour terrorisme. Le charisme de Fouad Belkacem, qui n'avait jusqu'ici été
condamné «que» pour des faits de vol et de trafic de drogue, a ensuite essaimé sur les réseaux sociaux, qui
ont trouvé là un terreau particulièrement fertile pour porter la parole de l'imprécateur. La seconde phase
d'intensification du radicalisme est venue des réseaux, précisément. Les vidéos et messages d'appel au
djihad ont pullulé ces deux ou trois dernières années sur les réseaux et, par un terrible effet de domino
cascade, le nombre de Belges radicalisés parti combattre en Syrie et revenus sur le territoire n'a cessé de
croître.
Mehdi Nemmouche, auteur de l'attentat contre le Musée juif de Belgique, a ce profil typique du combattant
parti en Syrie nourri par les dérives du djihad terrifiant prôné par Daech et Abou Bakr al-Baghdadi, chef du
groupe Etat Islamique (EI). Depuis cet attentat qui a eu lieu en mai 2014, la prise de conscience des
dangers de cet extrémisme religieux semble s'être intensifiée. Les perquisitions se sont ainsi fort
logiquement inscrites en hausse constante sur cette période, essentiellement dans la Région bruxelloise et
Anvers.
Combien de combattants belges?
Chiffrer l'importance des foyers djihadistes en Belgique relève de l'équation impossible. Les évaluations
officielles les plus récentes ( Le Soir du 3 janvier 2015) faisaient état de 184 Belges en train de combattre en
Syrie ou en Irak, tandis qu'une centaine de «returnees» sont revenus dans notre pays. Toujours selon nos
informations , ce sont en fait une dizaine de Belges qui partiraient chaque mois rejoindre les rangs de Daesh
ou d'Al-Nosra, les deux principaux groupes islamistes radicaux qui mènent la guerre dans cette région du
Moyen-Orient. Mais on ne peut nier que la plus grande confusion règne à propos de ces évaluations.
D'autres sources font ainsi état de 250 jeunes Belges présents sur le théâtre de guerre, voire 340! Une
autre évaluation fait état de 45 «combattants» belges de l'Etat islamique morts en Syrie. Quant aux
«returnees», nos confrères de la DH affirmaient cette semaine que leur nombre s'élèverait en fait à 300,
dont une vingtaine serait sous les verrous. De l'avis général, la Belgique serait en fait le pays occidental le
plus grand pourvoyeur de combattants étrangers, proportionnellement à sa population, devant le Danemark
et la France.
M. K et B. P
- 25 -
2.3.1 L'exclusion culturelle et sociale au sein de nos sociétés. Faut-il changer
les institutions de l'Etat de droit?
"On ne veut pas voir que notre société exclut"
Monique Baus, La Libre Belgique, 10/01/2015, p. 10, 884 mots
En tant que spécialiste du monde arabe et musulman et experte en terrorisme, Anne Giudicelli,
quelles solutions préconisez-vous pour venir à bout de la menace terroriste?
Il faut agir car la finalisation simultanée des deux opérations intervenue vendredi soir ne résoudra rien. Il
risque d'y en avoir d'autres. Si nous ne sommes pas à l'abri, c'est parce qu'une brèche a été ouverte : la
faiblesse de notre système est apparue aux yeux de tous alors qu'on pensait qu'il ne nous arriverait plus
rien. Et ce n'est pas faute d'avoir envoyé des signaux depuis des années ! Le problème principal est qu'on
n'a toujours pas compris qu'il faut revoir la stratégie de lutte contre ce type d'action. A ce jour, il n'y a pas
d'approche globale mais seulement des initiatives corporatistes ou sectorielles. L'essentiel de ce qui est fait
consiste en répression. On attrape, on juge, on emprisonne et on remet peut-être en liberté un peu trop tôt
sans rien régler du fond du problème car on est en situation de surpopulation carcérale. Même ce volet
répressif comporte des lacunes. Les services de renseignement doivent être actualisés. Les méthodes,
encore trop basées sur des techniques anciennes, doivent évidemment changer car les menaces ont
changé elles aussi.
Une stratégie globale et la modernisation des services de renseignement suffiront-elles?
Non. Il faut ajouter un aspect préventif. Ce sont nos enfants, les produits de nos sociétés, dont on parle et
qui posent ces actes. Donc il faut aller toucher ce qui est à l'origine de ce qui fabrique ce genre d'individus.
C'est-à-dire?
Ce n'est pas un problème de religion ni de délinquance, mais bien d'exclusion. Après l'attentat de
juillet 2005 en Grande-Bretagne, les Britanniques ont eu une démarche intéressante : ils ont pris conscience
d'un problème identitaire et ont voulu savoir ce que signifiait être Britannique aujourd'hui. Il faut faire de
même en France où nous restons dans un grand déni de la réalité. On ne veut pas voir que notre société
exclut. Aujourd'hui encore, les images de cohésion autour de "Nous sommes tous des Charlie" ont pour
principal objectif de nous rassurer. Mais elles ne correspondent pas à la vérité de notre société qui est
fracturée et, donc, génère des exclusions tant sociales que culturelles. Ce qui est en cause, c'est le modèle
français très rigide de laïcité et l'hypocrisie quant à la gestion de la diversité. Il faut enfin accepter de voir les
choses en face puis chercher à se rassembler autour de valeurs communes. Malheureusement, vu le temps
qu'on a perdu, cela risque d'être fort difficile.
Et le contexte actuel constitue-t-il un obstacle supplémentaire?
Seul ce contexte peut enfin créer un électrochoc. Une dernière chance nous est peut-être donnée. Mais je
vous accorde qu'il sera difficile, dans ces conditions, de gérer à la fois l'aspect sécuritaire et le travail de
fond plus nécessaire que jamais pour appréhender ce que représente être Français aujourd'hui. Les
terroristes pensent qu'on ne veut pas d'eux chez nous et qu'ils sont mieux avec d'autres, au point qu'ils
deviennent capables de nous attaquer comme des ennemis qu'ils ne connaissent pas. C'est cela qui doit
- 26 -
changer.
Ces pistes de solutions semblent relativement évidentes et, en tout cas, pas nouvelles. Alors,
pourquoi rien n'a-t-il bougé jusqu'ici?
Car on n'assume pas, au niveau politique, que c'est bien là que se situe le problème. On dit "Ce sont des
fous", mais non : le problème est beaucoup plus profond. Les gens qui travaillent sur le sujet tous les jours
ont de très bonnes analyses. Le problème, c'est quand celles-ci remontent au niveau politique où on reste
coincé dans des jeux de pouvoir.
Si on passe au deuxième niveau, au niveau international, les réponses sont-elles plus adaptées?
La démarche menée à l'intérieur du pays doit effectivement être soutenue à l'étranger, notamment par des
pays (comme certains pays du Golfe) qui restent neutres face à la montée de l'idéologie radicale. Or, ce
n'est absolument pas le cas. L'attitude des Occidentaux y est peut-être pour quelque chose. Je pense au
soutien apporté à des régimes qui sont plus soucieux de se maintenir au pouvoir qu'autre chose Et puis au
fait que, quand douze personnes sont tuées chez nous, cela devient un cataclysme, alors que tous les jours
des milliers d'Irakiens et de Syriens perdent la vie et on ne réagit pas. Ce qui alimente un sentiment
d'injustice face à ce déséquilibre visible. Ce décalage est capital à corriger car la vie d'un Occidental ne
pèse évidemment pas plus que celle d'un autre.
La pauvreté ne tombe pas du ciel
Riccardo Petrella, La Libre Belgique, 30/12/2014, p. 46, 1031 mots
Lisser la surface de la pauvreté ne sert pas à grand-chose. La critique de Gilles Milecan ("La Libre",
samedi 27 et dimanche 28 décembre 2014, p. 56) envers le maire d'Angoulême qui a fait grillager les bancs
où les SDF osaient s'allonger pendant la nuit, est juste et nécessaire. Il faut aller au fond des problèmes,
écrit-il. Apparemment c'est très difficile de le faire, car la pauvreté ne descend pas du ciel comme la neige,
ni est-elle un fait de nature. Elle est le produit de la société. Dès lors, pour éradiquer la pauvreté il faut
changer, à la racine, les règles, les institutions et les pratiques sociales qui dans nos sociétés sont à
l'origine des processus d'appauvrissement.
On peut, cependant, le faire. Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu'au milieu des années 70, les
inégalités socio-économiques entre les personnes et les régions au sein des pays de l'Europe occidentale
ont diminué. Les sociétés scandinaves ont été à l'avant-garde. Elles ont pratiquement éliminé la pauvreté.
La société des droits et l'Etat-providence avaient commencé à affaiblir les causes structurelles de la
pauvreté. Ils étaient inspirés par les principes de la justice sociale et, de la sécurité sociale pour tous
(au-delà de l'assistance sociale). La redistribution du revenu monétaire n'a été qu'un instrument. Plus
importantes encore ont été la production et la diffusion du revenu social commun. Au fait, la pauvreté ne se
traduit pas uniquement et principalement par le manque de pouvoir d'achat. Elle est surtout fabriquée par
des sociétés et des économies injustes et inégalitaires, celles qui produisent une richesse qui appauvrit le
grand nombre et enrichit le petit nombre.
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Ce qui explique pourquoi, aux Etats-Unis, une société parmi les plus riches au monde depuis au moins un
siècle, l'inégalité de revenus a été et reste la plus élevée parmi les pays "développés" (d'après le coefficient
Gini, qui mesure la distribution des revenus au sein d'un pays. Il varie de 0 à 1, le 1 indiquant une
distribution la plus inégalitaire (le Danemark et la Suède obtiennent les meilleurs résultats à ce titre). Depuis
que les sociétés européennes ont démantelé l'Etat-providence à partir de la fin de la décennie 70 et laissé le
commandement de l'économie mondiale aux forces prédatrices de la finance spéculative, les facteurs
générateurs des processus d'appauvrissement l'ont à nouveau emporté. Ces vingt dernières années le
retour de la "grande pauvreté" dans nos villes et nos campagnes est le fait marquant du changement de nos
sociétés : les riches sont devenus plus riches et les pauvres plus pauvres. L'Office statistique de l'Union
européenne a chiffré à 123,4 millions en 2013 le nombre de pauvres au sein de l'UE, alors que la part de la
richesse revenant aux plus riches est augmentée. Faire croire à l'opinion publique que tout reviendra
comme auparavant grâce à une reprise de 1 ou 2% de la croissance économique est pure mystification. Si
les pays les plus forts voient leur croissance compétitive "reprendre", elle ne sera bénéfique qu'aux couches
sociales déjà favorisées.
En outre, dans le cadre d'un système axé sur la compétitivité, notamment financière et fiscale (le
Luxembourg et la Belgique ne font que comme les autres !), l'éventuelle croissance se traduira par
l'exportation de l'appauvrissement à partir des plus forts vers les pays les plus fragiles et vulnérables. Parmi
les principaux facteurs structurels de l'appauvrissement dans nos sociétés au cours des quarante dernières
années on doit mentionner, avant tout, la marchandisation de la vie qui a réduit toute vie (les semences, la
connaissance, la terre, l'eau, l'air, les gènes) à une "chose" y compris les êtres humains. Nous sommes tous
devenus des "ressources humaines" (même les poètes, les artistes) dont le droit à l'existence (notamment à
un revenu) a été étroitement conditionné à leur employabilité dépendante, à son tour, de leur rentabilité pour
le capital (privé) investi.
Vient ensuite la privatisation des biens et des services essentiels et non-substituables pour la vie, desquels
dépend l'accès aux droits humains, socio-économiques et civils (universels). Nous n'avons plus rien en
commun, de public (exception faite de l'armée, de la police, de la magistrature et des prisons mais pour
combien de temps encore ?). L'appropriation et l'accumulation privées de ces biens et services (la santé, le
logement, l'éducation, les caisses d'épargne, la monnaie, les transports collectifs, l'énergie solaire, l'eau),
ainsi que leur utilisation selon les mécanismes des marchés concurrentiels et des impératifs financiers à
court terme pourront peut-être conduire à l'optimisation efficiente de leur gestion en termes de rentabilité. Il
est, en revanche, certain qu'elles favoriseront les phénomènes d'appauvrissement en termes d'inégalité et
d'injustice face aux droits et aux responsabilités.
On en vient au troisième groupe de facteurs : la privatisation du pouvoir politique. Si des millions de
paysans, d'ouvriers, d'enseignants, de femmes, de personnes "différentes" se sont battus ces dernières
décennies en faveur d'une démocratie participative, c'est surtout en raison du fait que notre démocratie
représentative a perdu de sa substance. L'opinion mondialement répandue est correcte : le pouvoir politique
réel n'appartient plus aux Etats mais aux grands groupes multinationaux privés commerciaux, industriels et
financiers.
Or, on est pauvre surtout lorsqu'on est exclu de la participation au cours de l'histoire. On dit "pauvreté" mais
on doit lire "exclusion" On est appauvri quand on nous fait croire que nous comptons davantage (et sommes
heureux) en tant que consommateurs qu'en tant que citoyens.
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Les Maghrébins toujours plus exclus du marché de l'emploi
Bernard Demonty, Le Soir, 17/11/2015, p. 19, 706 mots
Au cœur d'une pénible actualité paraît le «Monitoring socio-économique», un important rapport, qui fait le
point sur l'emploi des personnes d'origine étrangère en Belgique. Pas de miracle, hélas: «La position des
personnes d'origine étrangère sur le marché du travail est plus mauvaise en Belgique que dans tout autre
pays de l'Union européenne» , indiquent les auteurs de ce document de plus de 250 pages, que publie ce
mardi le Centre fédéral pour l'égalité des chances et le Service public fédéral de l'Emploi.
Les chiffres, d'abord. En 2012, année sur laquelle porte l'étude, le taux de chômage des Belges de 20 à
60ans s'élevait à 8,5%. Celui des personnes originaires du Maghreb s'élevait à 25,5%. C'est cette
population qui éprouve le plus de difficultés à trouver un travail en Belgique. Mais les autres communautés
sont également frappées par le chômage. C'est le cas des ressortissants des pays candidats à l'entrée dans
l'Union européenne (23%), des Africains (21%), ou encore des personnes originaires du Proche ou du
Moyen-Orient (17,6%).
Le rapport épingle même précisément le problème que rencontrent les Maghrébins en particulier: «A
l'inverse de ce que l'on observe dans les autres groupes, l'écart par rapport aux personnes d'origine belge
ne se réduit guère.»
Discrimination à l'embauche
Comme si cela ne suffisait pas, les Maghrébins ont particulièrement souffert de la crise économique qui
s'est déclarée en 2008. C'est dans cette communauté que le taux d'emploi a chuté le plus fortement. Et les
jeunes de moins de 29ans ont été particulièrement touchés. Et lorsqu'ils ont un emploi, les Maghrébins se
situent beaucoup plus bas dans l'échelle salariale que les personnes d'origine belge (lire également
ci-dessous).
Pour le Centre pour l'égalité des chances et le SPF Emploi, il n'y a pas de doute: un phénomène de
discrimination à l'embauche est en place. «Que la position défavorable des personnes d'origine étrangère
soit en partie la conséquence d'un processus de discrimination et d'une attitude négative à leur égard sur le
marché du travail est une évidence.»
Mais ce n'est pas la seule cause du problème. Le rapport relève aussi que le marché du travail en Belgique
est trop segmenté, entre les «insiders» , titulaires d'emplois à durée indéterminée, qui ont des alternatives
s'ils tombent au chômage et les «outsiders» , où figurent souvent les étrangers, condamnés à l'intérim ou
aux contrats à durée déterminée.
Le rapport pointe aussi comme cause le fait que beaucoup de personnes vivant en Belgique «grandissent
dans des ménages au sein desquels personne ne travaille» . La Belgique fait partie des pays d'Europe où
ce phénomène est le plus marqué.
Enfin, le rapport pointe aussi de trop grandes différences du point de vue de l'enseignement. «Il est
important de souligner que les écarts en termes de performances scolaires entre personnes avec et sans
passé migratoire sont considérables dans notre pays.» Et les auteurs constatent aussi que, si cette
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ségrégation scolaire devait disparaître, le problème ne serait pas encore résolu. «Car même à niveau de
diplôme et compétences égales, les personnes d'origine étrangère restent désavantagées.»
Enfin, le rapport constate aussi que la structure de la migration en Belgique joue également un rôle. «La
Belgique, en particulier depuis les années 70, a surtout attiré des groupes qui ne se sont pas installés chez
nous pour accéder au marché du travail, en l'occurrence via la reconnaissance en tant que réfugié et via le
regroupement familial.»
Salaires - Les étrangers surreprésentés dans les bas salaires
Les étrangers doivent, plus souvent que les Belges, se contenter d'une rémunération modique. C'est ce qui
ressort du rapport du Centre pour l'égalité des chances et du Service public fédéral de l'Emploi. Près de
20% des hommes belges et plus de 30% des femmes touchent les plus basses rémunérations. Mais dans la
communauté maghrébine, cette proportion monte à plus de 40% pour les hommes et 60% pour les femmes.
Mais les plus mal lotis sont les Asiatiques et les personnes originaires d'Amérique du Sud, qui se trouvent
massivement dans les niveaux de rémunération les plus bas (plus de 70% pour les femmes asiatiques).
Le rapport s'inquiète du fait que cette tendance est, en outre, en voie d'aggravation. «Les salariés belges
tendent à grimper dans les niveaux de salaire plus fréquemment que les autres origines.» Les écarts de
salaires vont donc se creuser. Le rapport constate aussi que les étrangers maghrébins et africains ne sont
que 10% à se trouver dans les niveaux de rémunération les plus élevés.
Genre - La situation des femmes progresse
Le rapport du Centre pour l'égalité des chances et du SPF Emploi contient peu de bonnes nouvelles sur
l'état des discriminations dans le domaine de l'emploi en Belgique. Mais il pointe quand même quelques
améliorations. L'une d'entre elles est la baisse de l'écart de chômage entre les hommes et les femmes. «La
réduction générale de l'écart de genre se manifeste surtout dans le groupe de personnes originaires des
pays candidats à l'Union européenne, du Maghreb et des autres pays africains» , dit le rapport. Mais malgré
cela, il reste du chemin à parcourir. Ainsi, il y a encore 23,7% d'hommes originaires du Maghreb au
chômage, contre 28,3% de femmes. Auprès des pays candidats à l'Union européenne, la tendance est plus
marquée: 20% pour les hommes, contre 28% pour les femmes. Mais la Belgique n'a pas non plus de leçon
à donner, un écart de genre subsiste également auprès des Belges d'origine: le chômage des hommes
atteint 5,6%, celui des femmes se situe à 6,3%.
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Bruxelles - La capitale plus frappée
Sur un grand nombre d'indicateurs d'intégration par l'emploi, Bruxelles reste un point problématique. C'est
surtout dans le domaine du chômage des étrangers que la situation est la plus délicate. Bruxelles présente
un taux plus élevé que les autres régions pour presque toutes les communautés. Dans la capitale, plus de
30% des Maghrébins sont au chômage, contre 25% en Wallonie et 17% en Flandre. Les ressortissants de
pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne sont également plus massivement au chômage à
Bruxelles. Les tendances sont identiques pour les personnes issues du proche et du Moyen-Orient.
Types d'emploi - Beaucoup d'intérimaires
Le rapport constate aussi que les étrangers sont souvent cantonnés aux intérims. Mais le rapport nuance:
ce n'est pas nécessairement négatif. «Les emplois intérimaires peuvent aussi bien être des portes d'entrée
sur le marché du travail que déboucher sur un carrousel d'emplois précaires.» Les étrangers restent aussi
plus souvent cantonnés dans un statut d'ouvrier, alors que les Belges sont souvent passés du statut
d'ouvrier à celui d'employé. Ainsi, deux tiers des ouvriers sont d'origine belge et ce chiffre atteint 80% pour
les employés. Et pour les fonctionnaires, la proportion atteint 90%. On remarquera aussi que les étrangers
ont beaucoup plus souvent le statut d'indépendant que les Belges: 30%, contre 15% pour les Belges.
2.3.2 L'univers carcéral: un lieu de désocialisation et de radicalisation?
L'exclusion sociale derrière les prisons high tech
Stéphane Roberty, La Libre Belgique, 02/10/2014, p. 52-53, 1408 mots
Qu'un détenu demande son euthanasie en dit long sur le mal-être organisé dans nos institutions
pénitentiaires. Surveillance électronique et prisons high tech font l'économie du débat de fond autour de
l'exclusion sociale. En tant que président de CPAS d'une commune ayant une prison sur son territoire, je
m'interroge sur les choix posés.
Détenus transférés dans la nouvelle prison de Leuze-en-Hainaut, cahier spécial des charges pour la méga
prison de Haeren validé : le fédéral applique la surveillance électronique sans en assumer pleinement la
charge. Les conditions de détention et la surpopulation carcérale, régulièrement dénoncées par le Comité
européen pour la prévention de la torture sont telles que le SPF Justice se précipite dans des solutions
technologiques. Les tribunaux ont de plus en plus recours à la surveillance électronique. Si ce système
- 31 -
permet d'éviter de nombreux travers de la détention, on peut craindre qu'il provoque une inflation des
peines. Dans l'immédiat, il a au moins une faille importante : la personne qui est ainsi contrôlée reste à
charge du fédéral qui lui verse une allocation sensiblement inférieure au revenu d'intégration (1). Cette
personne peut demander un complément d'aide au CPAS. Le CPAS n'est pas tenu d'accepter, il peut
renvoyer la balle au ministère de la Justice, ou au tribunal du travail. Il en résulte une hallucinante errance
administrative pour une personne dont la confiance dans les institutions publiques est sans doute écornée.
Ces démarches contribuent à la violence institutionnelle du Centre public d'action sociale dont le personnel
se bat pourtant au quotidien pour améliorer l'accessibilité du droit à la dignité humaine avec des moyens
insuffisants.
Dignité humaine au rabais
C'est aussi, de la part du fédéral, une relégation de plus (2) de sa responsabilité de prise en charge des
détenus vers les CPAS, réceptacle débordant de la pauvreté. Le détenu qui peut bénéficier d'une
surveillance électronique est d'emblée dans une situation de grande précarité économique qui pourrait
l'exposer à des situations d'exploitation, ou alors le tenter de replonger dans des pratiques passibles d'une
peine de prison si d'aventure son premier séjour en prison n'avait pas permis sa réinsertion.
De l'avis des scientifiques comme des experts de terrain et au vu des chiffres de récidive (3), la privation de
liberté dans l'institution pénitentiaire est un système obsolète, en échec perpétuel. Malgré le travail crucial
des services d'aide aux justiciables, la peine d'emprisonnement fragilise les liens sociaux et
déresponsabilise la personne condamnée (4). L'objectif de réinsertion n'est atteint que dans de très rares
cas. Au contraire, l'entrée en prison élargit la rupture avec les valeurs fondamentales du vivre ensemble. Le
quotidien est tellement brutal que, très vite, s'impose une adaptabilité de survie, une adhésion aux codes et
aux pratiques de ses pairs, poussant à des actes extrêmes en termes de moralité (5). Cette âpreté des
rapports sociaux allant parfois jusqu'au meurtre est transcrite dans le film "Un prophète" de Jacques
Audiard. Au XXIe siècle, on ne peut plus croire qu'un traitement de redressement permette à l'individu
déviant de se réapproprier la règle. Les chiffres, les études et les témoignages s'accordent à dire que la
justice répressive est un obstacle à la réinsertion. La création d'une prison n'a jamais fait baisser la
criminalité. La surpopulation carcérale est une conséquence de l'allongement des peines. Elle cause des
conditions de vie encore dégradées qui accentuent l'inefficience de la prison. Peut-on, dès lors, parler
d'obscurantisme ou de tabou ? Récemment, on m'a relaté que lors d'une réunion d'intervenants sociaux
locaux, un jeune professionnel du social mettait en doute l'opportunité de proposer aux ados de nos écoles
forestoises le spectacle "Un homme debout" (6). "Parler de la prison aux jeunes, ce n'est pas un message
très positif." Le non-dit sur le quotidien des détenus ne serait-il pas le signe d'un tabou consenti ? A l'instar
de la consommation de drogues dans les prisons, il est tellement difficile d'assumer les conditions de
détention qu'on préfère ne pas savoir, et donc ne pas réagir.
Quand le gouvernement campe sur un raisonnement opposé aux conclusions de la science, on peut au
moins le taxer de réactionnaire. En réponse à la surpopulation carcérale, l'Etat fédéral investit dans des
nouvelles prisons. Ces bâtiments sont éloignés des villes où vivent souvent les proches des détenus et les
services d'aide qui leur sont destinés Ces prisons high tech réduisent encore les contacts humains
(surveillance par écrans, demandes de rendez-vous par formulaire informatique). La technologie vient
confirmer l'assujettissement des corps et des esprits que dénonçait déjà Michel Foucault en 1975. Ces
outils technologiques sont présentés comme des progrès dans une vision managériale. On est à mille lieues
des objectifs de resocialisation. La construction des nouvelles prisons a été confiée à des entreprises dans
le cadre de partenariat public-privé dont on connaît des exemples de surcoûts exorbitants pour les pouvoirs
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publics. L'emprisonnement représente une industrie rentable dans laquelle investir. De là à dire que c'est
une fabrique d'exclusion, il n'y a qu'un pas qui nous détourne pour le moins de l'objectif de sécurisation de la
société.
La construction de nouvelles prisons évite le nécessaire débat sur les origines sociales de la délinquance. Si
on se penche sur le milieu familial des détenus, on fait rapidement un lien entre précarité et enfermement.
Cette causalité mérite qu'on l'investigue sans tabou, tout comme la surreprésentation masculine parmi les
détenus; en Belgique, seul un détenu sur dix est une femme.
Ce n'est pas la grande criminalité qui peuple les prisons. Ce sont en grande majorité des hommes, d'origine
pauvre, pour des faits de délinquance (proportion très importante d'usage, de trafic de drogues et de faits
consécutifs) qui purgent leur peine de prison ou qui y attendent leur jugement. Ne peut-on y voir une
conséquence de l'effritement de l'Etat Providence, du désinvestissement de l'Etat dans la sécurité sociale ?
Et si nous avions le courage de changer d'objectif et de viser résolument la diminution du nombre de
détenus plutôt que la création de places en prison technologiquement sécurisée ?
Cela nécessite de quitter la posture figée de la justice répressive pour envisager des formes de justice
restauratrices du lien social.
(1) Allocations mensuelles pour une personne isolée : en surveillance électronique 583,80 euros, au revenu
d'intégration 817,36 euros. Le seuil de pauvreté en Belgique est de 1000 euros.
(2) Les exemples sont légion. La prison ne pourvoit pas aux frais personnels des détenus. C'est donc le
CPAS de la commune qui en a la charge.
(3) Les chiffres varient en fonction de ce que l'institution qui les émet veut bien dire. Ainsi, la récidive se
conçoit principalement comme la répétition du même délit. Toutefois, une majorité de détenus n'en est pas à
son premier séjour en prison.
(4) Ou dont on pense qu'elle a commis. La prison de Forest est surpeuplée de personnes en détention
préventive.
(5) Dans le film réaliste "Un prophète" de Jacques Audiard, où Malik doit tuer un codétenu pour se ménager
l'indulgence des Corses, groupe d'influence parmi les prisonniers.
(6) Spectacle de Jean-Marc Mahy, mis en scène par Jean-Michel Van den Eeyden.
Titre et sous-titre sont de la rédaction
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La prison est-elle devenue un lieu de radicalisation
islamique en France ?
L'univers carcéral serait-il devenu le terreau du fondamentalisme musulman en France ? De nombreux
spécialistes de l'extrémisme islamiste répondent par l'affirmative, au point que des aumôniers musulmans
ont été formés et interviennent régulièrement auprès des détenus pour contrer la parole extrémiste. La case
prison a été une étape pour ceux qui, comme Mohamed Merah, ont basculé de la délinquance à
l'extrémisme islamiste. C'est également le cas pour les trois personnes en garde à vue après le
démantèlement de la cellule radicale, le week-end dernier, dont le pilier était Jérémy Louis-Sidney, .
http://www.cedes.be/ressources/k7video/la-prison-est-elle-devenue-un-lieu-de-rad
icalisation-islamique-en-france
2.4 Quel est le rôle des médias et des réseaux sociaux dans la propagation de la
violence?
Site d'Habilo Media (Centre canadien d'éducation aux
médias et de littératie numérique)
La violence dans les médias est un sujet d’actualité récurrent depuis presque aussi longtemps que les
médias de masse existent. Les causes de cette violence changent tous les deux ou trois ans : la musique,
les jeux vidéo, les émissions de télévision et les films...Que savons-nous à propos de la violence dans les
médias? Pourquoi est-elle si présente dans les médias? Sous quelles formes apparaît-elle? Diverses
activités pédagogiques sont proposées pour aborder ces différentes questions avec les élèves.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-dhabilo-media-centre-canadien-d
education-aux-medias-et-de-litteratie-numerique-2
Le web, vecteur de la haine ordinaire
Catherine Jendrzejczyk , Le Soir, 30/11/2013, p. 13, 587 mots
Plus de 70 % des adolescents entre 12 et 15 ans ont un smartphone. Le cyber-harcèlement peut s’y
propager comme une traînée de poudre. D’où la nécessité de sensibiliser les jeunes...
A l'écran, deux hommes sur un banc. «Vous propagez le sida, tapettes!». Une femme passe devant eux.
«Salope». Arrive un métis au regard sombre. «T'es arrivé en pirogue? #pendezles». Une bande de jeunes à
la sortie du parc. «Belle montre, tu l'as volée? #bougnoul» Tel est le scénario de ce clip destiné à combattre
la haine.
Il ne s'agit toutefois pas d'une fiction. Les propos sont réels, piochés sur Facebook, Twitter, Ask.fm,
Snapchat... Ce clip fait partie de la nouvelle campagne de sensibilisation au cyber-harcèlement Stop Cyber
Hate, lancée ce matin par la ministre de l'Intérieur, Joëlle Milquet, en collaboration avec la Computer Crime
Unit, le service Egalité/Diversité de la police fédérale, Child Focus et l'Institut supérieur de formation sociale
et de communication (ISFSC).
L'idée est née d'un constat: les réseaux sociaux brassent de plus en plus de propos haineux ou dégradants
et visent des adolescents de plus en plus jeunes. «Les jeunes sont très présents sur les réseaux sociaux
mais depuis quelque temps, nous constatons une évolution des usages de ces réseaux. Les pages
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«spotted» sorte de déclarations d'amour numériques fleurissent sur Facebook. Elles consistent à épingler
une fille ou un garçon qui nous plaît dans l'école et à le lui faire savoir, l'ancêtre des mots doux en quelque
sorte. Mais bien souvent, cela dévie sur du harcèlement, parfois même sans le savoir» , explique Olivier
Bogaert, commissaire à la Cyber Crime Unit.
Les jeunes victimes sont alors bien souvent livrées à elles-mêmes, ne sachant ni à qui ni comment en
parler. D'où cette initiative inédite d'un partenariat entre la police fédérale, Child Focus et les étudiants de
l'Institut supérieur de formation sociale et de communication. «C'est une campagne par les jeunes, pour les
jeunes , explique la ministre de l'Intérieur, Joëlle Milquet. Le cyber-harcèlement est un phénomène que nous
adultes connaissons mal car il se déroule souvent de manière très cachée. Il était donc indispensable de
lancer une opération avec les jeunes qui décode les signes, qui connaisse les pratiques des adolescents» .
27% des adolescents entre 12 et 18 ans ont déjà été insultés sur internet, 11% ont été piégés par un
imposteur et 14% ont vu circuler une photo sans leur autorisation. Les chiffres sont accablants. Et les
conséquences liées à ce phénomène de plus en plus dramatiques: mardi dernier, Léa, une adolescente de
14 ans se jetait du quatrième étage de son immeuble. Sur son téléphone, des SMS de ses amis: «Tu n'as
qu'à te suicider», «Tu devrais te pendre».
Cette campagne vise tant à aider les adolescents victimes qu'à conscientiser les jeunes harceleurs. Elle se
décline en quatre clips visibles sur Youtube, clips qui seront largement diffusés via les réseaux sociaux, un
bracelet et une application gratuite pour smartphone où sont disponibles toutes les informations relatives au
cyber-harcèlement.
www.stopcyberhate.be
Epinglé - Le jeu qui met K-O
Le «Knock-out Game» (littéralement: «le jeu qui met K-O») inquiète les Etats-Unis. Les cas se seraient
multipliés dernièrement dans plusieurs États, à New York et à Washington notamment.
Ce jeu consiste à frapper une personne en plein visage, de façon à la mettre K-O, à filmer la scène et à la
poster ensuite sur les réseaux sociaux. Deux personnes au moins auraient déjà trouvé la mort suite à cette
pratique.
Néanmoins, des doutes subsistent quant à l'ampleur réelle du phénomène. Les rares chiffres qui filtrent
parleraient de sept morts liés à cette pratique dans l'Etat de New York, ce qui n'est pas assez pour conclure
à une pratique répandue et organisée chez les jeunes Américains.
Dès lors, pourquoi un tel coup de projecteur soudainement?
Parce que si le jeu révolte, c'est surtout le traitement médiatique accordé à ces incidents qui fait du bruit aux
États-Unis. En effet, des médias comme Fox News s'inquiètent principalement de la répartition raciale de
ces attaques: pour la plupart, les agresseurs sont noirs et les victimes sont blanches, de tels propos
réactivant un racisme encore extrêmement vif dans certaines communautés américaines.
De plus, la couverture médiatique est telle que les autorités craignent la création d'une mode là où il n'y a
encore aujourd'hui que de rares actes isolés.
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Le phénomène n'est en tout cas pas encore connu chez nous nous affirme-t-on à la Cyber Crime Unit.
Site de La Ligue des Droits de l'Homme (Centre Bretagne)
Un exemple de déchaînement de haine raciale et de xénophobie sur les réseaux sociaux.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-la-ligue-des-droits-de-lhomm
e-centre-bretagne
Le discours de haine sur Internet
Thomas Moreaux, Publication du Service juridique du MRAX ASBL, n° 2014, p. 1-12
Selon l'auteur, "la notion de «cyber-haine» se rapporte aux expressions de haine sur internet à l'encontre de
personnes en raison notamment de leur couleur de peau, leur origine, leur prétendue race, leur conviction
religieuse. Il peut également s'agir de critères négationnistes ou antisémites. Si dans l'actualité la publication
d'une photo comparant la ministre française de la justice à un singe ou les propos racistes postés sur le mur
Facebook d'un célèbre météorologue belge ont fait grand bruit, il n'en demeure pas moins que ces
événements sont loin d'être isolés. La multiplication des appels à la haine raciale présents sur internet
constitue un danger bien réel pour nos sociétés démocratiques. En effet, la facilité de création des
messages et leurs potentialités de diffusion font exploser le phénomène de cyber-haine. Internet est devenu
un moyen privilégié pour diffuser des idées racistes ou négationnistes et certains groupes n'hésitent pas à
utiliser le réseau comme moyen de propagande". Comment résoudre le conflit qui peut exister entre le droit
fondamental de la liberté d'expression et la lutte contre les propos haineux? Un nouveau défi pour la
science juridique?
http://www.cedes.be/ressources/articles-gratuits-23-04-08/Etude-Cyber-haine.pdf
La crise libère la parole xénophobe
Maria Udrescu, La Libre Belgique, 01/09/2015, p. 14, 76 mots
Les valeurs européennes à l'épreuve
Beaucoup de ceux, Syriens, Irakiens, Erythréens, qui fuient la guerre et la dictature périssent sur le chemin
vers "l'eldorado" européen. La plupart se noient, par milliers, en Méditerranée. Pour 71 réfugiés, le parcours
s'est achevé sur le bord d'une autoroute autrichienne, où ils été retrouvés morts d'asphyxie dans un camion
abandonné par leurs passeurs. Ce drame a frappé les esprits et hante la conscience des Européens depuis
vendredi.
Pas de tous les Européens. Il s'en trouve pour se réjouir de ce tragique événement. "J'adore lire ces
nouvelles au petit-déjeuner" , "Génial, on attend les suivants", "Dommage que le camion ne soit pas plus
grand" . Quelques exemples de réactions trouvées sur les forums du site Internet d'un journal belge sous un
article relatant ce drame. "C'est écœurant. Surtout car il n'y a aucun commentaire qui s'oppose à ces
propos", regrette Patrick Charlier, directeur adjoint du Centre pour l'égalité des chances. "Beaucoup plus
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qu'avant, on voit de l'incitation à la violence, pas uniquement l'incitation à la haine. Les forums pullulent en
messages du style 'on n'a qu'à les rassembler et les liquider.'"
Les réfugiés et migrants qui parviennent à rejoindre le Vieux Continent se heurtent à une Europe déchirée
entre solidarité et égoïsme, subissant la montée des partis d'extrême droite et voyant, à l'Est, des murs
s'ériger. En un mot comme en cent, la crise de l'accueil des réfugiés met les valeurs européennes de
solidarité et de tolérance à l'épreuve.
Les discours de haine abondent sur le Net
Exemple, parmi d'autres, de cette libération de la parole xénophobe : le 17 avril 2015, le tabloïd britannique
"The Sun" évoquait "ces migrants [qui] sont comme des cafards" ce qui avait provoqué l'ire du
Haut-commissaire de l'Onu aux droits de l'homme. En juillet, la commission européenne contre le racisme et
l'intolérance a constaté une "montée spectaculaire de l'antisémitisme, de l'islamophobie et du discours de
haine en ligne" dans son rapport annuel.
Selon Jérôme Jamin, professeur de Sciences politiques à l'Université de Liège, et spécialiste de l'extrême
droite, cette tendance est la conséquence de deux phénomènes. D'une part, les menaces terroristes de
l'Etat islamique ont servi le discours de ceux qui avaient déjà une mauvaise image de l'islam.
"Généralement, la parole raciste n'est pas libérée parce qu'elle est contredite et manque d'arguments. Mais
aujourd'hui, celui qui estime que tous les musulmans sont dangereux dira qu'il n'est pas raciste, puisque les
faits parlent d'eux-mêmes." D'autre part, la crise migratoire a donné lieu à un flux quotidien "d' images
terrifiantes de gens désœuvrés et de morts qui donnent l'impression d'une invasion". Et nourrit donc le
sentiment d'insécurité .
Le cynisme comme moyen de protection
Le discours raciste et xénophobe ne semble plus être uniquement l'adage de quelques cas isolés sur des
forums et des extrémistes. Et, si Patrick Charlier considère que la meilleure arme contre le discours raciste
est le contre-discours, ce dernier se fait attendre. Selon M. Jamin, le manque d'empathie qui s'observe en
Europe s'explique par le fait que "le cerveau humain n'est pas fait pour être quotidiennement plongé dans la
peur et la tristesse. A un moment, les gens vont devenir cyniques pour se protéger".
De plus, l'incapacité des Etats européens, à de rares exceptions, à gérer efficacement et humainement
cette crise provoque un sentiment de défaitisme. "Les Européens ne sont pas subitement devenus
méchants et racistes. Dans un premier temps, ils sont choqués. Ensuite; face aux Etats qui peinent à
trouver une solution, ils se disent qu'on ne peut rien faire. Alors, on va plutôt s'inquiéter pour notre avenir et
pour la survie de l'Europe (crise économique, crise de la Grèce, chômage, etc.). Et plus tard, si on peut, on
s'inquiétera pour cet homme qui pleure avec son bébé dans les bras sur un bateau coulant dans la
Méditerranée."
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Mener aussi la lutte contre Daech sur les réseaux sociaux
P.-F.l., La Libre Belgique, 17/11/2015, p. 10, 558 mots
Les réseaux sociaux, pour le meilleur et pour le pire L'expression fait à nouveau florès. Dans le sillage des
attentats de vendredi, à Paris, les principaux d'entre eux Twitter et Facebook ont été littéralement pris
d'assaut. Dans la très grande majorité des cas, les "twittos" et les "facebookiens" ont posté et relayé textes,
dessins, photos ou encore vidéos pour exprimer leur colère et leur soutien aux victimes.
Ces mêmes réseaux sociaux, on le sait, sont aussi devenus un terrain d'action très fréquenté par les
terroristes de l'Etat islamique (après ceux d'Al Qaïda). Quand ils veulent distiller leur propagande ou recruter
des candidats au djihad, c'est en priorité sur la "Toile" qu'ils interviennent. "Ils tweettent, ils facebookent, ils
s'emparent de mots-clés à succès pour transmettre leurs messages. Ils organisent aussi leur recrutement
(sur les réseaux sociaux, NdlR) " , résume Max Song, "data scientist" à Palo Alto (Californie), dans un article
relayé ce lundi par le Belge Damien Van Achter, fin connaisseur des "nouveaux médias".
"Fight not only with bullets"
Damien Van Achter, par ailleurs professeur invité à l'Ihecs, rappelle que la propagande et le recrutement de
Daech visent les plus jeunes ("digital natives") et, plus spécifiquement, "ceux qui partagent en ligne leur
mal-être et leur solitude face à une société qui ne leur offre plus aucune raison de s'enthousiasmer, de
participer à la réalisation d'une vision pour l'avenir, de se sentir vivant 'pour quelque chose', de donner un
sens à leur existence" . Pour lui, il est grand temps de "ré-enchanter notre monde" et de "constituer, nous
aussi, une 'armée' capable d'agir en ligne pour contrer la propagande de Daech".
Jared Cohen, directeur de "Google Ideas", plaidait dans le même sens, récemment, en appelant à former
des spécialistes des réseaux sociaux capables non seulement d'entrer en contact avec les jeunes cibles de
Daech, mais aussi de parler leur langage afin de les convaincre de ne pas se laisser tenter. Pour reprendre
l'expression de Max Song, "we must fight against Daech not only with bullets (balles) , but with bullet points
(points essentiels) " .
A côté de cette démarche "positive", il existe des méthodes plus répressives pour traquer les membres de
Daech sur les réseaux sociaux. Mais la "traque" n'est pas aisée. Twitter et Facebook fonctionnent avant tout
sur le principe du "signalement" par la communauté des internautes. En d'autres mots, l'utilisateur d'un
réseau social est libre de signaler un compte ou un contenu choquant (promotion de la violence, de la haine,
du terrorisme, etc.), à charge ensuite pour le réseau d'intervenir. L'exercice peut toutefois s'avérer très
fastidieux, pour ne pas dire vain, dès lors qu'un compte à peine supprimé, il suffira à l'utilisateur d'en lancer
un nouveau sous un autre pseudo
Reste la méthode des campagnes virales notamment par l'intermédiaire de vidéos en ligne , où les autorités
tentent de sensibiliser des recrues potentielles de Daech de ne pas basculer dans le terrorisme. Mais, là
aussi, les résultats apparaissent peu concluants.
Internet
Anonymous en guerre
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Comme en janvier dernier, lors des attaques terroristes contre "Charlie Hebdo", les hackeurs informatiques
regroupés au sein du collectif Anonymous ont déclaré la guerre à l'Etat islamique à la suite des attentats de
vendredi dernier, à Paris. Dans une vidéo, un militant promet "de très nombreuses cyber-attaques" contre
les sites et comptes liés à Daech sur les réseaux sociaux.
En mars, les Anonymous avaient publié une liste de 9 200 comptes Twitter liés, selon le collectif, à l'EI, avec
l'objectif déclaré d'avoir "un sérieux impact dans la capacité de l'EI à déployer sa propagande et recruter de
nouveaux membres" . Twitter s'était empressé de fermer une bonne partie de ces comptes. Au risque,
avait-on alors reproché dans certains milieux, de priver les services de renseignement de précieuses
informations sur la localisation et les interactions des détenteurs de ces comptes
3 En quoi la menace terroriste met-elle les valeurs démocratiques en
péril? Comment en parler avec les élèves?
3.1 Comment les droits des citoyens sont-ils garantis en démocratie?
3.1.1 En quoi consistent ces droits?
3.1.1.1 La diversité des libertés
A l'exercice des droits et des libertés : ressources
pédagogiques
Conseil de l'Europe, Convention européenne des droits de l'homme, Publication du
Conseil de l'Europe , n° juillet 2015, p. 1-34
Fiches pédagogiques sur les droits de l'homme les libertés fondamentales. La partie théorique décrit, de
manière simplifiée, la façon dont les droits et libertés fondamentales sont garantis : focus sur la Convention
des droits de l'homme et le rôle de la Cour européenne, garante de la démocratie et de l'Etat de droit. La
partie pratique propose divers exercices et activités d’analyse, de techerche et de réflexion sur les droits de
l’homme et les libertés fondamentales. la Convention et le fonctionnement de la Cour européenne des droits
de l’homme, et présente les activités du Conseil de l’Europe. Neuf fiches, chacune consacrée à un article de
la Convention, sont destinées à susciter chez les élèves une réflexion sur les droits qui doivent être garantis
dans une société démocratique. La partie pratique propose divers exercices et activités d’analyse, de
recherche et de réflexion sur les droits de l’homme. Des «cas pratiques » simplifiés permettront notamment
aux élèves de se familiariser avec les questions juridiques et de comprendre le fonctionnement de la Cour.
http://www.cedes.be/ressources/articles-gratuits-23-04-08/A%20lexercice%20des%20
droits%20et%20des%20libertes.pdf
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Site du CRISP (Centre de Recherche et d'information
socio-politiques)
Quels sont les droits fondamentaux de tout citoyen dans un régime démocratique? Quels sont-ils en
Belgique?
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-du-crisp-centre-de-recherche-et
-dinformation-socio-politiques
Site de RTS Découverte
De l'affaire des caricatures de Mahomet, du film "The interview" de Sony à l'attentat de Charlie Hebdo, où se
situe la liberté d'expression aujourd'hui? Qu'est-ce que la liberté d'expression? Qu'est-ce que la liberté de la
presse? Peut-on tout dire ou doit-on préserver certains tabous? En quoi ces libertés sont-elles l'un des
fondements de la démocratie? Réponse ici avec ce dossier, très complet, présentant : un édito en faveur de
la liberté d'expression totale, diverses podcast sur la liberté d'expression et le droit à la vie privée, analyses,
débats, archives sur la protection des données personnelles, le piratage informatique et les dérives
sécuritaires qui pourraient découler de tous ces actes.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-rts-decouverte-1
"La liberté d’expression est très fragile"
Jean-claude Vantroyen, Eric Burgraff, N.ce., J.h., Le Soir / Hainaut, 06/01/2016, p. 8-9,
1531 mots
Pascal Ory est historien, spécialiste de l’histoire culturelle. Quittant fin janvier l’écriture d’un livre sur ce
qu’est une nation, il a fait le choix – « le sacrifice » , dit-il – de se consacrer à la rédaction de Ce que dit
Charlie – Treize leçons d’histoire , un livre d’intervention, né de ce surgis sement qu’on appelle un
événement. Pascal Ory a baptisé cet événement « Janvier 15 », sur le modèle de Mai 68. Un moment
historique, dit-il, parce qu’aux deux massacres ont répondu des centaines de marches républicaines et des
slogans concentrés dans le « Je suis Charlie » .
L’historien tente d’analyser ce qui s’est passé. Et il le fait autour de treize leçons, autour de treize clés,
comme les guerres de religion, la liberté d’expression, la laïcité, l’antisémitisme, la tolérance, etc., qu’il
décortique en profondeur.
Peut-on si tôt se livrer à une analyse historique de « Janvier 15 » ?
J’ai toujours dit à mes étudiants que l’histoire n’avait pas pour objet le passé, mais le temps. Ce à quoi nous
avons assisté, et pas seulement assisté parce que nous sommes tous partie prenante, parce que cela
concerne le monde entier, ce à quoi nous avons assisté est un événement historique. Les historiens ont
appris, depuis une génération, à prendre en compte les événements. Il y a eu une vogue structuraliste, que
je considère comme très positive, mais qui avait tendance, de façon naïve, à dévaloriser l’événementiel.
Alors que l’événement, pour moi, c’est de la structure qui se cristallise. Pour un historien, ce genre
d’événements est assez fascinant. Bien entendu, l’objet final, ce n’est pas l’événement lui-même, mais la
société. En 2015, ce qui me paraît frappant, ce n’est pas les attentats, mais comment une société y a réagi.
Sommes-nous en guerre ? Le terrorisme est-il une guerre ?
- 40 -
Le terrorisme veut installer un état de guerre, chez l’ennemi. Il y a une logique de guerre, qui se traduit par
des actes sanglants : c’est la kalachnikov, pas l’Etat de droit. D’autre part, c’est la guerre civile, au sens où il
s’agit de dire : nous allons ébranler un système. Les terroristes de gauche façon russe des années 1880,
c’était déjà ça : implanter un état de guerre, amener le système à se durcir, dans un sens autoritaire, à faire
la guerre à ses citoyens, pour qu’il tombe. C’est une conception très polémique, au sens grec du terme, de
rapport de forces. Ça sidère d’autant plus l’agressé que l’Occident, l’Europe, avait réussi à mettre
relativement à distance les guerres, sous forme de guerres coloniales et d’expéditions extérieures. Pour
simplifier : le sens profond de l’histoire de l’Occident est la pacification au moins de l’espace occidental
restreint. Et là, on réintroduit la guerre jusqu’au cœur du système.
Les terroristes d’aujourd’hui sont les descendants de la bande à Baader et des anars du XIX e ?
Il y a des différences de valeurs. Mais ce qui m’intéresse en tant qu’historien, c’est la ressemblance dans la
stratégie. Il s’agit, en agressant l’adversaire, de l’obliger à cultiver des germes de guerre civile. Ce que je
peux faire remarquer en tant qu’historien, c’est que, jusqu’à présent, cette stratégie a été un échec.
S’agit-il d’une guerre de religions ?
Est-ce que les guerres de religions du XVI e étaient uniquement des guerres de religions ? Dans quelle
mesure n’avaient-elles pas une dimension politique ? Le lien religieux-politique est ancien, consubstantiel
aux sociétés. Et aujourd’hui, ce qui compte, c’est le radicalisme. L’habillage islamique est important parce
que ça montre d’où ça vient, d’une société qui a l’islam pour culture dominante. Mais la démarche
individuelle des terroristes se rattache à l’Occident : ce sont des individualistes qui ont trouvé leur voie. Ils
auraient pu la trouver dans le banditisme, dans les ONG, dans le capitalisme libéral : ils l’ont trouvée dans le
djihadisme.
N’est-elle pas paradoxale, l’attitude individuelle du terroriste ?
Je suis de ces historiens qui considèrent qu’il y a toujours une dimension individuelle dans l’histoire. La
dialectique entre l’individu et la communauté, c’est l’histoire du monde. Il se trouve par ailleurs que nous
sommes au XXI e siècle, en Occident, mais cette occidentalisation a perfusé la planète, dans un tropisme
très individualiste. Ça nous conduit à avoir de plus en plus un fonctionnement individualiste. Qui se voit chez
les agressés, où des millions d’individualistes se rassemblent ensemble. Mais aussi dans la démarche des
terroristes, du coup de plus en plus difficile à contrôler par les services de renseignements, parce qu’elle
comporte une part d’initiative autonome incontestable. Comme le terrorisme est une démarche élitiste, une
avant-garde de martyrs, et rappelons que martyr en grec veut dire « témoin », la lecture par l’individu est
importante : ce sont quand même des individus qui se font exploser.
Comment devient-on terroriste ? Dans votre livre, vous parlez moins de déterminisme social que de
décision individuelle.
Le substrat social fait que vous pouvez accumuler un certain nombre de ressources qui viennent de votre
milieu : l’idée d’être un exclu, par exemple. C’est capital : on voit bien dans la dimension terroriste que le
raisonnement par l’économique et le politique sont insuffisants, qu’il faut introduire le troisième terme, le
culturel. L’exploitation est économique, la domination est politique et l’humiliation est culturelle. Vous avez
donc un terrain. Mais la démarche ultime qui conduit au terrorisme, c’est de la psychologie.
- 41 -
Le terroriste utilise une méthode qui tient à la violence, mais aussi à la scénographie, à la
dramaturgie.
Exactement. Le terrorisme joue avec des ressorts spectaculaires. Le premier objectif du terroriste, c’est la
terreur ; ce n’est pas de tuer, mais de terroriser. D’où les vidéos sanglantes de Daesh. Ces vidéos
extrêmes, façon « snuff movies », c’est 2 % de sa propagande, mais elles sont destinées à l’ennemi. C’est
lui qu’on veut terroriser.
Le terrorisme peut-il gagner cette guerre à la terreur dans la population ? On a vu les
rassemblements de masse à Paris et ailleurs…
Pour moi, ce qui est le plus important, c’est effectivement la dimension positive : on met en avant des
valeurs et non pas la ratonnade, la chasse à l’Arabe ; et deuxièmement, la dimension unanimiste :
rassemblons-nous autour de valeurs fédératives. Ce qui irait contre ça, ce serait les résultats du Front
national et les réactions en Corse, c’est-à-dire ce que souhaite le terrorisme : que le populisme xénophobe
l’emporte pour durcir les affrontements au sein de la communauté attaquée, que des ratonnades montrent
que les musulmans sont des persécutés. Le boulet est passé très près. Mais la Corse n’a pas fait école et,
au second tour, le Front national n’a pas transformé l’essai. Mais s’il y a une troisième vague d’attentats, le
durcissement peut se poursuivre au niveau des institutions et les contradictions de la société française
peuvent s’exacerber.
La liberté d’expression n’est donc pas encore hors de danger.
La liberté d’expression est pour le moment préservée. Mais c’est fragile dans le temps, elle n’existe que
depuis trois siècles grand maximum et ne concerne qu’une petite partie de l’espace géographique.
C’était étrange, au lendemain du 7 janvier, de voir des manifestations de masse brandir le slogan «
Je suis Charlie », très individualiste.
Aujourd’hui, en Occident, y compris pour les terroristes, c’est l’appel à l’individu qui est l’accroche. C’est
d’ailleurs intéressant de remarquer que « Je suis Charlie » est une invention à chaud d’un directeur
artistique : on est dans la société moderne de communication qui oblige à parler à l’individu. Ce qui me
frappe cependant, c’est à quel point cet individu a produit du collectif, des marches collectives, des
monuments collectifs.
Bruxelles a été une ville morte pendant toute une semaine, le feu d’artifice du 1 er janvier a été
annulé. Doit-on s’y habituer ?
C’est une dialectique assez subtile et donc fragile entre la nécessité de tenir compte du rapport de forces,
d’être vigilant, et en même temps de dire : on continue, on ne change pas de vie sinon ce serait une victoire
de l’adversaire. A la limite, les institutions sont dans leur rôle de mettre un degré de vigilance élevé parce
qu’elles ont en charge l’ordre public, la sécurité, la cohérence sociale ; et en même temps, la société a tout
à fait raison de dire : je vais retourner boire un verre en terrasse. Si la société se claquemure, le terroriste se
rapproche de son objectif, parce que c’est ça qu’il souhaite.
- 42 -
Ecoles « Combattre les cons par l’éducation »
Il serait faux de croire que l’école est restée amorphe après le massacre chez Charlie Hebdo . Il est par
contre tout aussi faux de penser que la création prochaine d’un véritable « cours de philosophie et de
citoyenneté » découle directement de ces événements. La réalité, dans un pays où la question des cours de
religion-morale charrie des monceaux de susceptibilités, est bien plus nuancée que cela.
En fait, tout a commencé six mois avant Charlie, quand PS et CDH ont mitonné un accord de la majorité à la
Communauté française avec des points surprenants. On y parle notamment d’instaurer « sous cette
législature, dans les écoles de l’enseignement officiel, progressivement à partir de la première primaire, un
cours commun d’éducation à la citoyenneté (…) en lieu et place d’une heure de cours confessionnel ou de
morale laïque ».
Les archéologues de la politique francophone diront un jour ce que le CDH a obtenu en échange de cette
concession historique, mais la mécanique était enclenchée : on allait donc, sous cette législature, modifier
six décennies d’éducation en piliers pour créer un cours commun. On allait… mais la chanson ne précisait
rien d‘autre.
Quand, en janvier 2015, des musulmans radicalisés sont passés à l’action à Paris, la question de l’avenir de
cours de religion-morale enfermant chacun dans ses convictions s’est posée. Très vite suivie par le slogan «
Il faut combattre les cons par l’éducation ». Dans le même temps le politique reconnaissait – parfois à
demi-mot – avoir laissé sous l’étouffoir le débat sur le vivre ensemble, la recherche de valeurs communes,
l’intégration…
Quatre jours après Paris, Richard Miller (MR) lançait un vibrant : « Il est urgent d’enseigner le vivre
ensemble » . En écho, la ministre Joëlle Milquet (CDH) parle « d’un momentum rare, nous sommes
vraiment dans les conditions pour créer quelque chose d’intéressant », alors qu’Elio Di Rupo (PS) assure «
Il y aura un avant et un après Charlie » .
Les politiques allaient donc se mettre la pression pour faire aboutir la réforme promise six mois auparavant.
Ils ne savent pas encore que se profile pour les semaines suivantes « la » décision de justice qui va tout
changer. En mars, la Cour constitutionnelle juge le cours de morale philosophiquement engagé, contraire
donc à la Constitution qui garantit la neutralité de l’enseignement officiel. La surprise passée, on a imaginé
une rustine provisoire (le fameux cours de rien devenu encadrement pédagogique alternatif) avant d’en
profiter pour doper l’accord de gouvernement. Un, l’éducation à la citoyenneté deviendra un véritable «
cours de philosophie et de citoyenneté » (dès septembre 2016 dans le primaire, en 2017 au secondaire).
Deux, le « vivre ensemble » et « l’approche historique des philosophies des religions et de la pensée laïque
» y trouveront une place de premier choix. Trois, il s’imposera très vite dans toutes les classes de tous les
réseaux, à raison d’une heure/semaine pour tous et de deux heures/semaine pour les dispensés de
religion-morale.
Pas sûr que sans Charlie on soit allé aussi loin. Mais dommage qu’il ait fallu Charlie pour offrir cette vraie
respiration aux petits francophones.
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Johan De Moor
« Wolinski disait : Il y a des dessinateurs à l’étranger qui ne font pas ce qu’ils veulent. On n’est quand même
pas si mal, ici. Eh bien je dirais quelque chose comme ça : on n’est pas si mal. Me suis-je interdit de
dessiner certaines choses depuis les attentats ? Non. Mais j’ai eu des blocages émotionnels. Et une
tristesse profonde quand je repense à ces dessinateurs qui étaient des types marrants. »
Pierre Kroll
« Je dessine beaucoup plus d’islamistes terroristes armés et très méchants que je ne le faisais avant,
puisque je dessine sur l’actu et qu’ils ne la quittent plus. Plutôt qu’à la peur des kalachnikovs, ce à quoi il
faut résister quotidiennement, c’est au harcèlement des sans-humour de tous poils, qui s’offusquent ou
s’énervent pour des dessins qu’avant tout ça ils n’auraient même pas regardés . »
DuBus
« Je n’ai rien changé. Je crois pouvoir dire que j’ai fait tous les dessins que j’ai voulu faire. Il faut dire que je
ne mettais déjà pas de couches. Et que 97 % de mes dessins sont centrés sur Charles Michel, Elio Di Rupo
et compagnie. Alors oui, j’ai fait mon métier exactement comme avant… enfin je le pense. Maintenant,
peut-être que des choses se passent dans l’inconscient… »
Nicolas Vadot
« Disons que plus qu’auparavant, j’ai conscience que je fais un métier qui peut se révéler dangereux. Dès le
7 janvier, les gens ont compris qu’on avait visé leur part d’enfance, car c’est ça, le dessin de presse :
rappeler aux adultes qu’ils ont jadis été des enfants, avant qu’ils ne s’enferment dans des croyances. Le
dessin est inné, la religion, ça s’apprend. Le dessin de presse, c’est de l’innocence militante. Donc je
dessine comme avant, mais avec moins d’insouciance. »
Philippe Geluck
« Tout a changé, dans nos vies, depuis les attentats du 7 janvier et du 13 novembre. Le temps de
l’insouciance semble terminé. La violence extrême s’est introduite en Europe. Nous semblions en être
préservés, nous ne le sommes plus. En revanche, dans mon métier, rien n’a changé pour moi. Je continue à
dessiner sur des sujets graves et légers, et j’essaie de partager, à travers l’humour, ma vision fraternelle et
décalée des relations humaines. »
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3.1.1.2 Toutes les démocraties mettent-elles ces droits sur un pied d'égalité?
Deux priorités conflictuelles
Stéphanie Fontenoy, La Libre Belgique, 14/01/2015, p. 22, 714 mots
La classe politique et la presse américaines ont condamné d'une seule voix l'attentat terroriste contre
"Charlie Hebdo" et la liberté d'expression. Cependant, plusieurs médias ont également rappelé que
l'Administration Obama n'a pas toujours soutenu les choix de la rédaction du magazine satirique français.
En septembre 2012, le porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney, avait critiqué la publication de
nouvelles caricatures du prophète Mahomet. "Nous savons que ces images seront très choquantes pour
beaucoup de gens... Mais nous avons régulièrement rappelé l'importance de protéger la liberté
d'expression, qui est inscrite dans notre Constitution. Autrement dit, nous ne nous interrogeons pas sur le
droit de publier de telles choses, simplement sur le choix qui a présidé à la décision de les publier."
La même année, après la sortie du film controversé "L'innocence des musulmans", qui avait mis le feu aux
poudres au Proche-Orient, Barack Obama avait suggéré que toute forme de diffamation, quelle que soit la
religion visée, était déplacée. "L'avenir n'appartient pas à ceux qui calomnient le prophète de l'islam.
Cependant, pour être crédibles, ceux qui condamnent cette calomnie doivent aussi condamner la haine qui
s'exprime devant l'image du Christ désacralisé, les églises détruites, ou quand l'Holocauste est nié", avait-il
déclaré dans son discours devant les Nations unies.
Une presse américaine très divisée
Faut-il publier ou non les caricatures de "Charlie Hebdo" aux Etats-Unis ? Au lendemain de la tragédie, la
presse américaine est très divisée. Si des sites Internet comme "BuzzFeed" et "The Huffington Post" ont
répondu par l'affirmative, les plus grands titres de la presse nationale, comme le "New York Times" et le
"Washington Post", et l'agence d'information Associated Press (AP), ont plaidé contre. "Nous avons pris le
parti de ne rien publier qui désacralise les symboles religieux ou qui provoque la colère pour des questions
de religion ou d'origine ethnique", a souligné Santiago Lyon, vice-président d'AP, en rappelant qu'il s'agit là
de la ligne politique habituelle, et non d'une réponse spécifique à l'actualité récente.
Le "Washington Post" évite, lui, toute publication d'informations qui seraient "ostensiblement, délibérément
ou inutilement offensantes pour les membres de groupes religieux", à l'exception de ses pages "Opinions",
qui ont, elles, accueilli une des caricatures de Mahomet, au lendemain de l'attentat. Le magazine "New
York" défend, au contraire, la liberté d'expression la plus large. "Le blasphème est un des exercices
élémentaires des libertés individuelles. On ne peut pas défendre ce droit sans en défendre la pratique", écrit
son journaliste Jonathan Chait.
Une longue tradition
Robert Thompson, professeur de Culture populaire à l'Université de Syracuse, rappelle que "les Etats-Unis
ont une longue tradition de dessins satiriques, qui remonte à l'époque coloniale". Mais, contrairement à la
France laïque, le pays qui a accueilli les Puritains reste très attaché au respect inconditionnel de toutes
formes de religion et de culte. Le Premier amendement à la Constitution américaine met sur un pied
d'égalité la liberté d'expression et la liberté de religion, suscitant des débats importants dans la société
- 45 -
américaine. On se souvient de la vive polémique déclenchée par le pasteur intégriste Terry Jones qui avait
promis de brûler deux cents Corans pour protester contre les attentats du 11septembre. Il s'était ravisé,
sous la pression de la Maison-Blanche.
Pour le professeur Daniel Reimold, de l'Université Saint-Joseph de Philadelphie, les événements du
11septembre2001 ont marqué un tournant pour la liberté d'expression aux Etats-Unis. "Nous avons perdu
notre sens de l'humour le 11septembre. Nous étions bien plus décontractés et indulgents avant les attaques
terroristes."
Il reste que les médias s'autocensurent plus pour des raisons économiques (ils ne veulent pas mettre en
colère leur lectorat), qu'en vertu d'une hypothétique forme de contrôle extérieur.
3.1.2 Quel est le rôle de la Constitution et de la Cour constitutionnelle en
Belgique?
Site de la Chambre des représentants
Présente une fiche sur la constitution belge
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-la-chambre-des-representants
-8
Site de la Chambre des représentants
Décrit les compétences, la composition et le mode de fonctionnement de la Cour constitutionnelle (ex Cour
d'arbitrage)
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-la-chambre-des-representants
-21
Site de l'Espace citoyen
Fournit un dossier sur la Constitution belge: son histoire, ses principes, les libertés fondamentales.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-lespace-citoyen
3.1.3 Le droit, sauveur du lien social?
- 46 -
Le droit sauveur du lien social?
L’idée de lien social compte parmi les idées les plus tenaces et les plus massives du discours contemporain
sur la société. Qu’il s’agisse de se plaindre de la « dissolution du lien social », ou au contraire d’en défendre
les vertus, cette idée semble recueillir l’accord général. Mais qu’est-ce que le lien social? D’où vient cette
idée? Que signifie-t-elle? Plutôt que de lien social, peut-être, aurions-nous besoin d’une compréhension plus
fine de cet étrange objet qu’est le « lien de droit » - ce lien qui, mieux que toute généralité, nous attache les
uns aux autres, et redessine sans cesse la géographie de ce que nous persistons à appeler « société ».
http://www.cedes.be/ressources/audios/le-droit-sauveur-du-lien-social
3.2 Face à la menace terroriste, quelles solutions envisager? La tentation
sécuritaire est-elle une atteinte à l'Etat de droit?
3.2.1 OTAN, ONU: garants internationaux du maintien de la paix? La France
en guerre?
L'OTAN à quoi ça sert exactement?
Céline Boff, 20 minutes.fr, n° 05/09/2014
C'est quoi? Quel est son but? Quelle est son histoire? Quels sont ses projets? Comment fonctionne
l'OTAN?
http://www.cedes.be/ressources/articles-gratuits-23-04-08/lotan-a-quoi-ca-sert-e
xactement/view
Les clés de l'actu - L'ONU
Véronique Kiesel, Le Soir (par page), 19/10/2015, p. 1-2, 1823 mots
http://www.cedes.be/ressources/article/rp1015/4690495-4690496
Pourquoi la France est-elle visée ?
Christophe Lamfalussy, La Libre Belgique, 16/11/2015, p. 9, 467 mots
Avec les attentats de Paris, la France est spécifiquement visée par l'Etat islamique (EI) pour avoir lancé, au
mois de septembre, des frappes ciblées contre les camps d'entraînement de djihadistes français et
étrangers en Syrie.
Dans un communiqué sonore diffusé samedi matin en français, l'EI accuse Paris à la fois " d'insulter le
Prophète" , de " se vanter de la guerre contre l'islam en France", mais aussi " de frapper avec ses avions les
musulmans en terre de califat ", une référence à l'EI.
Agissant hors de la coalition internationale qui frappe à la fois en Irak et en Syrie, la France a choisi de faire
cavalier seul en s'appuyant sur l'article 51 de la Charte des Nations unies qui porte sur la légitime défense,
- 47 -
qui est un "droit naturel " selon l'Onu, " dans le cas où un membre des Nations unies est l'objet d'une
agression armée".
Contre ceux qui veulent "intervenir en Europe"
La France estime et les faits lui donnent raison depuis les attentats contre "Charlie Hebdo" que ces camps
d'entraînement constituent une menace contre la sécurité nationale et qu'à ce titre, elle doit agir de manière
préventive. Au quotidien "Le Monde", le 18 septembre, le ministre français de la Défense Jean-Yves Le
Drian avait expliqué qu'il fallait viser "les centres de formation des combattants étrangers" qui préparent ces
derniers, " non plus uniquement en vue de contribuer aux combats de Daech au Levant, mais pour
intervenir en Europe, en France en particulier ".
Jusqu'en septembre, François Hollande refusait de frapper en Syrie en raison d'une absence de mandat du
Conseil de sécurité de l'Onu, bloqué par la Russie. La Belgique n'a, elle, pas fait ce pas, mais une
discussion est en cours au sein du gouvernement Michel pour voir sur quelles bases on pourrait justifier
d'étendre à la Syrie les frappes qui ont déjà eu lieu en Irak. La prochaine relève des F-16 belges en Irak
aura lieu à la mi-2016.
Les avions français ont bombardé un camp près de Deir Ezzor le 27 septembre. Dans la nuit du 8 au
9 octobre, ils ont frappé un deuxième camp d'entraînement près de Raqqa. Six djihadistes français ont été
tués dans ce raid qui visait, selon la presse française, Salim Benghalem, 35 ans, originaire du Val-de-Marne
et présenté par les services de renseignement comme le responsable de l'accueil des Français et des
francophones au sein de l'État islamique. On ignore si des ressortissants belges se trouvaient parmi les
victimes.
La France se déclare en guerre. L'est-elle vraiment ?
Olivier le Bussy, La Libre Belgique, 17/11/2015, p. 22, 863 mots
L a France est en guerre. " Le président François Hollande a répété, lundi, à Versailles, devant le Parlement
réuni en congrès, les mots prononcés vendredi à la suite des attentats de Paris. Le Premier ministre Manuel
Valls avait employé les mêmes termes, samedi, relayés par le leader de l'opposition de droite, Nicolas
Sarkozy. Le terme fait débat. Son usage a été vivement dénoncé, entre autres, par l'ancien Premier ministre
français Dominique de Villepin et par l'écrivain et historien belge David Van Reybrouck dans une lettre
ouverte publiée sur le site Mediapart qui ont tous deux accusé le chef de l'Etat français "de faire le jeu de
l'ennemi" , à savoir l'Etat islamique (EI ou Daech).
"Guerre est un mot que l'on met à toutes les sauces. Sur le plan sociopolitique, on peut appeler guerre ce
qu'on veut : la guerre des Anciens et des Modernes, la guerre de la morue entre le Royaume-Uni et l'Islande
entre les années 50 et 70," , commente Eric David, professeur de droit international à l'Université libre de
Bruxelles.
Conflit armé non international
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Que la France, et pas qu'elle, soit en conflit armé contre l'Etat islamique est incontestable : avant même les
attentats du 13 novembre, les forces armées françaises bombardaient déjà les positions de Daech en Irak,
puis en Syrie. Est-elle pour autant "en guerre", sur le plan juridique ? "A partir du moment où il y a une
opposition entre les forces armées de deux pays, on peut dire qu'il y a guerre" , note Eric David
Or l'Etat islamique en Irak et au Levant n'a d'Etat que le nom. "C'est un sujet de droit non étatique" ,
confirme Eric David. "Cependant, sur le plan du droit international, on peut aussi considérer qu'il y a guerre
lorsque deux groupes armés organisés s'opposent, et a fortiori un groupe armé organisé contre un Etat.
Daech est un groupe armé organisé. Il y a un commandement, une forme de réglementation interne
instituée. Daech n'a aucune personnalité juridique, mais une responsabilité internationale qu'il s'attribue, en
quelque sorte. Nous avons bien deux 'parties' au conflit. Ce n'est donc pas usurpé de dire qu'il y a bel et
bien une guerre entre Daech et la France."
Pour Pierre d'Argent, professeur de droit international à l'Université catholique de Louvain, la lutte entre la
France et Daech s'inscrit en droit humanitaire dans le cadre "d'un conflit armé non international". Il note que
pour justifier son intervention militaire en Syrie qui a reçu l'accord tacite de Bachar el Assad, qui ne l'a pas
pour autant sollicitée. "La France a fait valoir l'argument de la légitime défense de l'Etat irakien, attaqué par
des combattants de Daech venant de Syrie. A présent, elle agit au nom de la légitime défense de la France,
parce que les attentats de Paris ont été préparés en Syrie."
Dans ce contexte de conflit armé non international, il existe le droit pour les parties même si l'une n'est pas
un Etat de commettre, dans le respect des règles des conflits armés, des faits, qui en temps de paix
seraient des infractions pénales, explique Eric David : "Un membre de Daech n'est plus un simple civil, et le
prendre pour cible ne peut plus être considéré comme un assassinat extrajudiciaire ." Pierre d'Argent ajoute
que "si Dach abat un avion, c'est un acte de guerre qu'on ne peut pas lui reprocher. Assassiner un pilote
capturé, en revanche, relève du crime de guerre."
Combattants ou terroristes ?
David Van Reybrouck a reproché à François Hollande de calquer son martial discours sur celui du président
américain George W. Bush, en 2001. Eric David établit une nuance : "Hollande a déclaré : 'Nous sommes
en guerre', sous-entendant que c'était contre Daech, mais, il a précisé qu'il agirait dans le cadre du droit." La
différence, ajoute le Pr David, est que "quand les Etats-Unis se déclarent en guerre contre le terrorisme, ils
se sentent fondés à intervenir non pas uniquement contre l'Etat afghan, comme en 2001, mais à exécuter
n'importe quel présumé terroriste n'importe où dans le monde et de n'importe quelle manière ."
A partir du moment où la France se dit en guerre contre l'EI, ses membres cessent-ils d'être des terroristes
pour devenir des combattants ? François Hollande a parlé d'"armée terroriste". A bon droit, juge Eric David :
"La manière dont Daech mène ses actions militaires, en s'attaquant à des innocents, à des civils, relève de
l'action terroriste." Pour Pierre d'Argent, il ne fait nul doute que les membres de Daech qui agissent sur le
sol belge "ne sont pas des combattants, mais des terroristes" .
Épinglé
La Belgique est en guerre sans l'être
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Et la Belgique, qui intervient militairement contre Daech en Irak ? En vertu de l'article 167 de la
Constitution, c'est le Roi (plus exactement le gouvernement fédéral, par la voix du Roi) qui, par arrêté royal,
décrète l'état de guerre, mais aussi la remise sur pied de la paix. Rien de tout cela ne s'est produit dans le
cas présent. La Belgique n'est dont pas "formellement" en guerre. "La Belgique en guerre, ça ne veut pas
dire grand-chose" , précise Pierre d'Argent, professeur de droit international à l'Université catholique de
Louvain. "Elle agit en conformité avec le droit international" , dans le cadre d'un mandat donné par le
Conseil de sécurité des Nations unies, rappelle-t-il. "La Belgique bombarde des centaines de cibles
identifiées comme étant des positions de l'Etat islamique, mais celui-ci n'est pas un Etat. On est
dans le cadre d'un conflit armé non international", complète le Pr d'Argent . Un contexte réglementé,
mais dans lequel "il y a une licence plus grande pour utiliser la force contre des groupes qui, en
principe, ne peuvent pas prendre les armes" .
Décider d'entreprendre une action militaire est une prérogative de l'exécutif, qui peut se passer du
consentement des deux Chambres. Même si tant l'intervention en Libye, en 2011, que celle en Irak contre
Daech, à partir de 2014, ont reçu l'approbation du Parlement ex ante, rappelle le Pr d'Argent. Qui rappelle
encore que ces deux interventions "ont été décidées par deux gouvernements en affaires courantes" .
Epinglé
Hollande en appelle à l’Union européenne
Le président français François Hollande a appelé lundi à la solidarité des Etats membres de l’UE que les
Traités de Lisbonne prévoient en cas d’agression armée – une première dans l’histoire de l’Union. La
demande française sera examinée mardi lors d’un conseil des
ministres européens de la Défense, a indiqué Federica Mogherini, la Haute représentante de l’Union pour la
politique étrangère et de sécurité.
L’article 42.7 du Traité sur l’Union européenne énonce qu’ “au cas où un Etat membre serait l’objet d’une
agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent aide
et assistance par tous les moyens en leur pouvoir”.
3.2.2 Doit-on accepter une réduction des libertés pour assurer notre
sécurité?
- 50 -
Face au terrorisme, la Belgique est-elle prête?
Alain Lallemand, Le Soir, 16/11/2015, p. 9, 1057 mots
Venu au pouvoir peu avant la tuerie de Charlie Hebdo , le gouvernement Michel a riposté au risque
terroriste de manière conséquente: création du Conseil national de sécurité, déploiement de militaires dans
les rues, renforcement des capacités humaines de la Sûreté de l'État, renforcement des capacités humaines
et techniques du SGRS, renforcement des sections terrorisme de la police judiciaire fédérale, réforme de
l'Ocam, mise sur pied du Centre de Cybersécurité Belgique, mise en place d'un fichier de radicaux et foreign
fighters ainsi que d'un mécanisme de prévention des départs vers la Syrie et l'Irak. Sans oublier l'envoi de
forces en Irak malgré les contingences budgétaires, et une mobilisation intéressante (déploiement et
entraînement) des forces spéciales.
1 Militaires dans la rue. Ils pourraient «éviter un massacre» , dixit le procureur fédéral Frédéric Van
Leeuw, et l'armée de terre apprécie en tout cas le mandat clair qui lui a été donné. L'effort consenti par
l'armée pour se déployer dans le territoire semble disproportionné (220 hommes) par rapport aux capacités
de déploiement dont la Défense dispose encore hors sol belge (probablement moins de 500), mais d'une
part la défense du sanctuaire est par nature une priorité, d'autre part la Sûreté de l'État confirme l'orientation
spécifiquement anti-policière de la propagande de Daesh. Mieux vaut donc réduire l'exposition des policiers
au risque terroriste.
2 Conseil national de sécurité. Alors que le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité était un
outil virtuellement mort, et que les services de renseignement pleuraient pour obtenir une orientation et des
directives politiques, le gouvernement Michel a créé un Conseil national de sécurité qui définit et coordonne
la politique générale du renseignement, et fixe les priorités des services de renseignement et de sécurité
d'autre part. Et cela marche. De toute évidence, même si les divers services de sécurité travaillaient déjà
ensemble sans trop de frictions, le CNS a donné au pays un cap, et les visions de chacun s'y font entendre.
3 Renseignement renforcé. La Sûreté de l'État s'est recentrée sur le radical-terrorisme et le
contre-espionnage, 12 analystes et 20 inspecteurs y ont été engagés en renfort, et la Sûreté devrait
également recevoir un renfort en traducteurs. Il faut sans doute aller plus loin. Côté SGRS, poursuivant une
mise à niveau technique entamée sous le gouvernement Di Rupo, le gouvernement a poussé le
renseignement militaire à devenir plus central tant à l'intérieur de l'armée qu'au niveau de la société civile, lui
confiant des tâches qui ne répondaient pas toujours à sa mission originale: non seulement les
«interceptions de sécurité» (écoutes électroniques à l'étranger) pour des menaces autant internes
qu'externes, mais aussi une expertise dans la cybersécurité du pays, le screening des réfugiés, etc. Les
locaux mêmes du SGRS sont aujourd'hui en expansion sur le site d'Evere.
4 Centre de cybersécurité. Dans la foulée de la montée en puissance du SGRS, le renseignement militaire
a joué un rôle central dans l'élaboration de la stratégie du Centre de Cybersécurité Belgique qui a vu le jour
cet automne et est confié à un ancien officier du SGRS. Au lendemain des attentats de Paris, la
cybersécurité semble un enjeu soft , presque déplacé, mais c'est oublier qu'il existe un potentiel de
cybersabotage dont l'impact pourrait être mortel.
5 Renforcement police/justice. Désormais, au plan national, quinze magistrats s'occupent du terrorisme,
dont neuf à Bruxelles, deux à Liège, deux à Charleroi, un à Anvers, un à Gand. En 2016, le parquet fédéral
sera renforcé par la venue de deux magistrats anti-terrorisme supplémentaires. La police est elle aussi
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renforcée dans ses sections anti-terrorismes, la DR3 bruxelloise étant forte de 165 hommes désormais
(contre 81 au début de l'année). Notons que le renforcement de la police est également qualitatif: les zones
de police locale voient se développer des outils de renseignement en temps réel qui leur permet de mieux
suivre radicaux et éventuels terroristes.
6 Nouvelles missions Ocam. L'Organe de coordination pour l'analyse de la menace va passer de
cinquante à environ soixante personnes, et ses missions sont élargies à la tenue d'un fichier foreign
fighters dont tout l'art sera d'y conjuguer le renseignement le plus pointu (par souci d'efficacité) et la rigueur
administrative la plus scrupuleuse (par souci de légalité). Car c'est sur base de ce fichier que l'Ocam initiera
une demande de retrait ou refus de carte d'identité (et de passeport) pour toute personne suspecte de
vouloir gagner la Syrie ou l'Irak.
7 Actions militaires offensives. La liste des mesures prises ne serait pas complète si on passait sous
silence le maintien d'instructeurs militaires en Irak pour former les commandos qui combattent Daesh,
l'envoi de chasseurs bombardiers F-16 pour bombarder Daesh (ils seront sans doute à nouveau en action
l'an prochain), le déploiement d'hommes en Jordanie pour protéger les avions néerlandais, ou encore
ponctuellement le déploiement de forces spéciales dans des États difficiles comme la Tunisie.
Que nous manque-t-il? Des effectifs un peu partout. Ensuite, le rythme de l'actualité terroriste a pour
conséquence que les lois n'ont pas toujours précédé les réformes, et que le gouvernement doit aujourd'hui,
par exemple, bétonner juridiquement les nouvelles missions du SGRS par le biais d'une adaptation de la loi
organique de 1998 organisant les services de renseignement. Cela figure en toutes lettres dans la note de
politique générale de la Défense. De la même manière, la rétention des foreign fighters ne prendra toute sa
force que lorsque les refus/retraits de carte d'identité seront automatiquement suivis des refus/retrais de
passeports. Ce n'est plus qu'une formalité juridique.
Les chiffres du radicalisme
272 djihadstes belges aujourd'hui sur place. On doit ajouter 13 personnes «en route». Ils seront donc
bientôt 285. Ils n'étaient «que» 165 en mars 2014, 184 en décembre 2014, 260 en août 2015. 135
returnees de retour sur le sol belge, présentant un risque possible. Ils étaient 54 en mars 2014, ils
ont passé le cap des 100 en décembre 2014, et leur nombre ne cesse de croître.
Les démocraties sont-elles armées pour se défendre face au
terrorisme?
Entretien avec André Jacob, ancien responsable du département « terrorisme islamique » de la Sûreté de
l’Etat. Les démocraties sont-elles équipées pour « tacler » le terrorisme ? Un terrorisme d’opportunité,
qu’est-ce que cela veut dire ? La volonté de protéger les libertés empêche-t-elle de lutter contre le
terrorisme ? Faut-il faire marche arrière sur les grands accords européens? Faut-il remettre en cause
Schengen ou commencer à fermer les frontières?
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http://www.cedes.be/ressources/k7video/les-democraties-sont-elles-armees-pour-se
-defendre-face-au-terrorisme
Limiter nos libertés pour assurer notre sécurité?
Valentine Van Vyve,Thierry Boutte, La Libre Belgique, 18/11/2015, p. 22-23, 666 mots
La restriction des libertés, est-ce un moindre mal pour assurer la sécurité des citoyens ?
Si nous voulons une société plus protégée, il nous faut certainement des outils de contrôle nouveaux. Si la
protection de l'intérêt général passe par le fait d'empiéter, à un certain moment, sur la sphère privée, j'y suis
favorable.
Dans quel cadre se feraient ces restrictions des libertés ?
Les représentants politiques élus décident, via la loi et dans le cadre d'un Etat de droit, démocratique, de la
mise en place de ces outils publics. Un des rôles de l'Etat, ce sont ses missions régaliennes. Les outils qu'il
crée ne le sont pour le plaisir mais dans l'objectif de protéger le citoyen face à une menace particulière. Une
loi peut par ailleurs être temporaire, réévaluée après un certain laps de temps. Mais je ne suis pas certain
que l'on veuille revenir en arrière. Au contraire
Une société qui irait vers plus de contrôle est-elle inéluctable ? Le contrôle mène-t-il nécessairement
à une plus grande protection ?
Face à une nouvelle menace, il est normal de considérer que nous devons entrer dans une société plus
contrôlée. Ça a été le cas aux Etats-Unis après le 11septembre et à Madrid en 2004, notamment. Prenez
par ailleurs l'exemple des systèmes de vidéo-protection, tant décriés à l'époque, qui sont généralement bien
acceptés aujourd'hui. L'appareil juridique doit pouvoir évoluer en fonction de la menace qui pèse sur la
société.
A quelles mesures pensez-vous ?
Aujourd'hui, il est interdit d'aller se former au djihad. Cette infraction empiète sur la liberté de circulation.
Mais elle poursuit ce but : de protection. Si cela doit être renforcé, faisons-le. Mais il nous manque
clairement certains outils. Je pense notamment aux "méthodes particulières de recherche", c'est-à-dire la
surveillance technologique et électronique; le retrait des papiers d'identité sur base de suspicion d'acte
terroriste. Il y a sans doute une nouvelle façon de penser notre droit : lorsqu'il y a suspicion de menace et
non pas seulement une infraction avérée au droit , il faudrait pouvoir imposer un certain nombre de
restrictions avant même que l'infraction soit commise, tout en permettant un recours juridique. Il faut
accepter ce type de méthodes particulières. Le cadre de travail de la sûreté de l'Etat doit être le plus large
possible.
Ne craignez-vous pas certaines dérives sécuritaires ?
Il n'est pas question de porter atteintes aux droits fondamentaux des citoyens. La Convention européenne
des droits de l'homme et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantissent aussi le
droit à la vie, à la sûreté et à la sécurité. Ces textes prévoient la possibilité de limitation des droits et des
libertés, dans l'intérêt général, au travers de lois. Quand j'entends des propositions de modification de la
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constitution à peine quelques jours après des attaques terroristes, je ne me dis pas qu'elles le sont sous le
coup de l'émotion, mais je me demande pourquoi elles n'ont pas été adoptées plus tôt...
La sécurité est-elle la première liberté ?
Je fais mienne cette formule. Sans sécurité, sans protection publique, il est sans doute difficile d'exercer sa
liberté de penser, d'expression, de circuler. Si le citoyen sent que l'Etat le protège, il jouira davantage, dans
l'espace public, de ses libertés fondamentales et individuelles. Si les mesures consistent en davantage de
contrôles, ceux qui n'ont rien à se reprocher ne devraient pas être dérangés...
Non
N'est-il pas nécessaire de renoncer à certaines de nos libertés pour garantir notre sécurité ?
L'Histoire nous montre que ceux qui ont voulu acheter la sécurité en sacrifiant la liberté finissent par perdre
les deux. Cette voie est à éviter. Prenons l'exemple des Etats-Unis qui, après les attaques du 11 septembre
2001, ont introduit le Patriot Act, cette loi antiterroriste qui octroie d'énormes pouvoirs aux services de
sécurité, dont la détention sans limite et sans inculpation de toute personne soupçonnée de projet terroriste.
Après 14 ans, nous constatons avec recul que le renoncement des citoyens américains à leurs libertés
publiques n'a pas augmenté leur protection. A quel prix ? En 2014, le rapport de la sénatrice US Dianne
Feinstein a détaillé les cas de torture, d'enlèvement extrajudiciaire et de violation du droit international par la
création de prisons "black sites" en Pologne, en Roumanie ou en Lituanie et a conclu que ces pratiques
n'avaient prévenu aucune attaque terroriste. Par contre, nous constatons aujourd'hui le développement et
la puissance que cette loi a octroyés à la NSA qui écoute le monde entier et à la CIA qui n'hésite pas à
mentir à ce sujet devant le Congrès des Etats-Unis. C'est une démonstration par l'absurde que cette
équation ne fonctionne pas.
Mais alors, qu'est-ce qui serait plus efficace dans la lutte contre le terrorisme ?
Le respect des institutions et des services publics revalorisés. Malheureusement, les politiques d'austérité
ont sacrifié des dizaines de milliers d'emplois au sein des services publics, notamment dans la police et
dans le renseignement. A ce niveau, je veux dénoncer l'illusion dramatique qui consiste à croire que
l'intelligence artificielle et les algorithmes peuvent remplacer l'intelligence humaine. Non, c'est l'indic qui
traîne dans les bars ou les lieux sensibles qui nous renseignera et nous protégera davantage. Un
renforcement ciblé des services de renseignement s'avère donc nécessaire. A côté, la justice a été
sacrifiée, bien à tort. Elle travaille dans des conditions, non seulement difficiles pour les magistrats, mais
surtout impossibles pour traiter tous les signalements qui lui arrivent ou pour enquêter en suspicion
d'association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste. Et cette impossibilité constitue une
menace pour la sécurité des citoyens.
Mais le fait d'être en état de guerre, selon le président Hollande, n'oblige-t-il pas à passer à d'autres
mesures ?
Arrêtons cette escalade verbale. Je comprends que les survivants de la terrasse du Petit Cambodge disent
qu'on est en guerre. Ils ont vécu l'horreur et l'insoutenable. Mais pas le chef de l'Etat. Cet abus de langage
venu d'un responsable politique augmente la confusion. Nous ne sommes pas en guerre mais bien attaqués
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par des fous furieux qui ont de solides moyens financiers. Vous parlez d'autres mesures. Pourquoi
ferme-t-on les yeux sur les relations ambiguës que nos pays entretiennent avec certains pays pétroliers ?
Pourquoi laisse-t-on encore se faire les ventes de pétrole en dessous du prix par Daech, à travers les
frontières turques ou jordaniennes, qui finissent parfois dans nos voitures ? Parce que l'argent est roi, roi
face au sens commun, au sens moral et au sens du devoir. Au nom du business et de l'argent à tout prix,
nous avons laissé cette organisation terroriste s'étendre.
L'état d'urgence décrété en France ne serait pas nécessaire ?
Je n'ai dit pas cela. Nos institutions, qui comprennent l'option d'état d'urgence, sont bien faites. Quand
l'urgence, l'émotion et la confusion sont là, il est utile, pendant une période limitée, de pouvoir
perquisitionner 24h sur 24 ou de retenir des gens. Mais modifier la Constitution, c'est autre chose. Et cela
participe à cette escalade rhétorique qui crée la confusion et la psychose. La République est forte et elle
fonctionne.
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Barbier: «Aujourd'hui, l'opinion est acquise au sécuritaire»
Corentin Di Prima, Le Soir, 18/11/2015, p. 11, 1080 mots
François Hollande a demandé hier aux parlementaires français d'étudier une modification de la
Constitution, avec à la clé un arsenal sécuritaire inédit. Réponse appropriée ou fuite en avant? C'est,
techniquement, une série de bonnes réponses, pourvu qu'elles soient efficaces, c'est-à-dire qu'elles
empêchent les prochains attentats. On a l'impression qu'au contraire de janvier dernier après les
attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, le gouvernement veut utiliser des outils inédits:
l'état d'urgence pendant trois mois (et donc la possibilité de perquisitionner plus facilement,
d'assigner les gens à résidence), la réflexion menée autour de la manière de mieux surveiller les
individus suspects (les fiches «S») jusqu'à la déchéance de nationalité, que la gauche repoussait par
principe et qui va être étudiée. Et enfin, un changement géopolitique majeur puisque désormais la
France estime qu'elle doit parler avec tout le monde, y compris avec Vladimir Poutine et peut-être
même Bachar el-Assad. C'est un vrai virage. C'est selon vous le virage le plus important, plus que la
modification de la Constitution? Oui, parce que la modification de la Constitution n'a pas d'effets
pratiques. Les lois qui vont être votées pour donner un aspect concret à l'état d'urgence suffisent. Et
le temps qu'elle soit en place, il va se passer de longs mois. Il s'agit surtout, de la part de Hollande,
d'un calcul politique. Il y a deux manières de faire adopter ce changement de Constitution: par
référendum, et si les Français votaient oui, cela renforcerait considérablement Hollande; soit, et
c'est le scénario le plus probable, en réunissant la majorité des 3/5 au Congrès, ce qui veut dire que
l'appui de l'opposition sera nécessaire. C'est donc un piège politique tendu par Hollande à la droite:
soit vous ne le votez pas et je dirai aux Français que vous n'êtes pas décidés à combattre les
terroristes, soit vous l'êtes et vous votez mon changement de Constitution. La droite est embêtée.
Cet arsenal sécuritaire ne vous fait-il pas craindre un recul des libertés fondamentales? Non,
aujourd'hui l'opinion est acquise au sécuritaire. La grande majorité des gens disent qu'il vaut mieux
des contrôles aux frontières que des terroristes et acceptent la perte de liberté de circulation au
profit de la sécurité. Mais si quelqu'un venait proposer une sorte de Patriot Act, du Guantánamo, du
délit de faciès, ça ne passerait pas en France. Le paysage politique français est très divisé. Les
attentats ont-ils changé quelque chose? On a loupé l'occasion de l'union nationale, qui signifie une
fusion à l'Assemblée nationale entre la majorité et une partie de l'opposition, qui donne un
gouvernement d'union nationale. On ne l'a pas. La situation n'est pas assez grave pour le justifier. Il
y a des attentats, mais il n'y a pas 150 morts tous les jours. De plus, la logique de rivalité
présidentielle est plus forte que la logique d'union nationale. Il y a un double langage en
permanence: on affirme qu'on est unis contre le terrorisme, mais en même temps chacun avance
ses pions. C'est business as usual. Il y a certes de la retenue, mais le fond n'a pas changé. Le
revirement géopolitique, c'est parler avec Poutine, mais c'est aussi revoir ses relations avec les
Etats suspectés d'être trop bienveillants avec Daesh? Cela n'a pas été évoqué, dans les discours en
tout cas. Ces questions sont davantage de l'ordre de la diplomatie souterraine. Mais le vrai
changement, c'est l'attitude vis-à-vis de la Russie. Il y a quelques mois, Hollande était farouchement
anti-Poutine, notamment à cause de l'Ukraine, et il disait qu'il ne fallait absolument pas bombarder
en Syrie, estimant que le gouvernement d'Assad n'était pas légitime. En quelques mois, Hollande a
complètement changé sur ces deux points: on bombarde en Syrie et on va se rapprocher des
Russes. Et qui parle aux Russes parle à Bachar et à Téhéran. Ces bombardements, ils sont surtout à
usage médiatique? Ils ont un double effet. Symbolique: Qui s'y frotte s'y pique, œil pour œil, dent
pour dent. Et aussi un effet de fond, affaiblir régulièrement Daesh en frappant ses centres de
commandement et d'entraînement. Il faudra plus, non? Oui, mais la France n'a pas la possibilité
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technique ni juridique de bombarder à l'aide de drones des cibles individuelles, comme le Belge
Abbaoud, suspecté d'être le commanditaire des attentats de Paris. La Belgique est accusée par
certains en France de ne pas être à la hauteur en matière de lutte contre le terrorisme. N'est-ce pas
une manière de se dédouaner des manquements hexagonaux? La défaillance est d'abord française.
Ils ont agi sur le territoire français, on aurait dû intercepter leurs communications, les surveiller. Ils
ont été, pour certains, mis en examen et fichés en France. Mais la Belgique a sa part de
responsabilité. Elle paye un double prix. Tout d'abord, celui du communautarisme. On ne se
retrouve pas avec un Molenbeek par hasard. C'est le résultat de décennies de politiques sociales,
sociétales, qui ont permis la création de ce genre de ghettos. Ensuite, la Belgique et elle n'est sans
doute pas le seul pays en Europe a sans doute été beaucoup trop laxiste sur l'expression de paroles
intégristes dans les lieux de culte, la surveillance des voyages à l'étranger de ses ressortissants. Et
l'appareil de répression policière doit être mis à la hauteur.
"Cela ne doit pas devenir une habitude"
Vincent Slits, La Libre Belgique, 23/11/2015, p. 12, 938 mots
Les mesures sécuritaires décidées, ce week-end, par le gouvernement sont-elles, selon vous,
justifiées? N'est-ce pas un aveu de faiblesse par rapport aux terroristes?
On ne peut pas juger immédiatement, mais plutôt sur le moyen terme. Dans l'immédiat, les autorités
disposent d'informations que nous ne possédons pas. J'ai tendance en tant que démocrate à faire confiance
à nos élus. S'ils disent détenir des informations qui justifient les mesures qui ont été prises, je me fie à leur
jugement. Il est possible d'objecter que, quand on change nos habitudes à ce point elles l'ont été de
manière spectaculaire ce week-end , on donne raison aux terroristes . Mais on doit envisager les choses sur
le moyen terme. Il ne faut ni être motivé par la peur, ni agir de façon irresponsable. Il ne faut pas que la
fermeture des lieux publics devienne une habitude et une solution de facilité. Car à moyen terme, ne plus
vivre comme auparavant reviendrait à céder aux terroristes.
En agissant de la sorte, n'insuffle-t-on pas un sentiment de peur dans la population plutôt que de
résistance?
C'est effectivement le risque, mais parfois le principe de précaution doit prévaloir : on ne joue pas avec la
vie des gens. Aujourd'hui à Paris, les gens retournent dans les cafés et restaurants touchés par les
attentats, ce qui constitue une réponse très digne aux terroristes. A moyen terme, il vaut mieux que les
gens, informés de la nature et de la probabilité du risque, prennent leurs responsabilités. Cela dit, dans un
contexte de traque et alors que l'enquête est en cours, le gouvernement ne peut pas donner beaucoup
d'informations à la population et a sans doute décidé de prendre le minimum de risques.
L'absence d'un sentiment national aussi fort qu'en France joue-t-il un rôle en Belgique dans la
difficulté de mobiliser la population autour d'autre chose qu'une attitude sécuritaire?
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En France, il y a une espèce de mystique républicaine. Dès qu'un manifestation dépasse un peu les
querelles politiciennes de tous les jours, on parle de rassemblement "républicain". Il y a effectivement là-bas
un sentiment national qui, pour des raisons historiques, est beaucoup plus intense que chez nous. Mais
dans les circonstances que nous vivons, les clivages belges linguistiques, confessionnels, etc. ne jouent pas
trop. Au contraire, la situation actuelle peut créer un sentiment de solidarité. Je ne suis pas certain qu'un
sentiment national plus fort changerait quelque chose en Belgique. L'important est la solidarité humaniste, et
une défense ferme des droits de l'homme et de la qualité de nos modes de vie. Ne nous polarisons pas trop
sur la France. Les personnes qui ont été massacrées à Paris par ces barbares sont les frères et sœurs
d'autres victimes, au Liban, dans le ciel du Sinaï, à Istanbul, à Bamako ou ailleurs.
L'impact de ce qui s'est passé ce week-end sera-t-il profond sur le "vivre ensemble" en Belgique?
Oui, probablement. D'abord parce que c'est un phénomène durable: la question ne va pas se régler en
l'espace de six mois, même s'il y a de grandes victoires militaires contre l'Etat islamique. Le risque est
d'assister à d'autres tentatives d'attentats et à une exportation de la guerre chez nous. Ce qui va se passer
entre communautés dépendra de l'action des citoyens. Il y faudra beaucoup de pédagogie. Rien n'est inscrit
dans les astres. Il va de soi que nous pourrions assister à une réaction de peur ou de méfiance vis-à-vis des
musulmans de la part de gens qui ne font pas toujours la différence entre islam et islamisme. D'autant que
l'islam est affecté par le salafisme que l'on retrouve en Arabie Saoudite qui dénonce radicalement la
modernité, l'égalité des citoyens, la liberté de conscience et les Lumières, et prépare donc mentalement les
futurs djihadistes. Il y a un énorme travail à faire. D'une part auprès de la majorité des citoyens en leur
disant qu'il est inacceptable de s'en prendre aux musulmans pour ce qui se passe, et en refusant les
amalgames. En s'attaquant également aux discriminations ou aux attitudes de rejet. Mais il faut aussi agir
du côté des autorités musulmanes, qui doivent impérativement balayer devant leurs portes. Il y a déjà eu
des manifestations de musulmans reprenant le slogan "Not in my name": les musulmans doivent répéter ce
message très explicitement, très clairement et abandonner les attitudes de prudence, car l'heure n'est plus
aux ambiguïtés. De nombreux intellectuels musulmans font déjà ce travail. Je pense au regretté
Abdelwahad Meddeb et à Rachid Benzine, parmi bien d'autres. Il faut en finir avec les accommodements
vis-à-vis de revendications religieuses extrémistes et soutenir de façon bien plus volontaire les musulmans
libéraux et modérés. Chacun doit donc tenir un discours plus clair. Alors seulement, on verra peut-être des
progrès dans les relations entre communautés. L'enjeu est énorme. Car dans une situation de peur, le
risque est d'assister à un repli identitaire alimenté par le populisme et les mouvements d'extrême droite.
Comment détermine-t-on l'un des quatre niveaux dans
l'échelle de la menace terroriste en Belgique établie par
l'OCAM?
Collectif, rtlinfo.be, n° 15/11/2015
L'Organe de coordination pour l'analyse de la menace (OCAM) a relevé le niveau de la menace terroriste en
Belgique de 2 à 3 pour l'organisation de grands événements sportifs ou culturels accueillant potentiellement
un grand nombre de personnes. Une décision qui intervient au lendemain des attentats à Paris ce vendredi.
Mais comment détermine-t-on l'un de ces niveaux?
http://www.cedes.be/ressources/articles-gratuits-23-04-08/comment-determine-t-on
-lun-des-quatre-niveaux-dans-lechelle-de-la-menace-terroriste-en-belgique-etabli
e-par-locam/view
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Les 18 armes belges contre le terrorisme
Nathalie Bamps, Jean-Paul Bombaerts, L'Echo, 20/11/2015, p. 2, 1503 mots
Le gouvernement belge n'a pas chômé depuis la vague d'attaques qui a frappé Paris vendredi dernier. Et,
quelque part, il entend le faire savoir. Surtout que des doutes venant de France ont été formulés quant à la
capacité des Belges, et de leurs services de sécurité, de se montrer à la hauteur de la lutte antiterroriste. Un
tacle qui a depuis lors été recadré et minimisé, mais qu'importe, l'impression risquait de rester. " Je
n'accepte pas les critiques visant à dénigrer nos services de sécurité, qui effectuent un travail difficile et
tenace , balaie Charles Michel (MR). Grâce à eux, des attentats potentiellement tragiques à Saint-Denis ou
encore au départ de Verviers ont pu être évités. Grâce à eux, des vies ont été sauvées. "
Devant la Chambre réunie pour l'occasion ce jeudi matin, le Premier a rappelé la promptitude de la réponse
belge. L'armée peut désormais prêter main forte à la police lorsque le niveau de la menace l'oblige; il est
possible de priver de carte d'identité ou de passeport les candidats au djihad; en cas de condamnation pour
terrorisme, la déchéance de la nationalité belge - pour ceux qui bénéficient d'une double nationalité - peut
être décidée par un juge; les possibilités d'écoute et d'enregistrement des communications ont été élargies
en cas de terrorisme. Entre autres.
Et ce n'est pas fini, puisque Michel a dégainé un nouvel arsenal de dix-huit mesures. Déclinées en quatre
grands axes.
1. Éradiquer les messages de haine et d'appel à la violence
" Nous remarquons une certaine forme de banalisation de l'appel à la violence ou au terrorisme , déplore le
Premier. C'est inacceptable. Et cela doit s'arrêter. "
• Sites internet. Le gouvernement va déposer une loi permettant la fermeture des sites internet prêchant la
haine.
• Prédicateurs. " Nous ne voulons plus de prédicateurs extrémistes dans notre pays , martèle le
Premier. Ceux qui exhortent à la haine ou au terrorisme peuvent être assignés à résidence, privés de
liberté ou expulsés. La loi le prévoit. Nous allons donner des instructions afin d'appliquer
strictement ces dispositions. Et demandons un screening immédiat et général de tous les
prédicateurs présents sur le territoire. "
• Lieux de culte. " La liberté de culte est un droit constitutionnel , rappelle le Premier. Mais les lieux
de prière ne peuvent être utilisés pour la propagation du djihadisme. " Michel a l'intention de
démanteler les lieux de culte non reconnus qui en font l'apologie. Par ailleurs, le Fédéral entend arriver à
une certaine transparence en termes de financement, notamment international, des mosquées. " Enfin, la
formation des imams en Belgique doit être mieux encadrée. Ces mesures sont nécessaires afin
d'éviter toutes les formes d'amalgame. "
2. Concentrer les efforts sur les individus potentiellement dangereux
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" Nous devons concentrer les moyens de nos services de sécurité, d'abord pour repérer les sympathisants
djihadistes et les contrôler beaucoup mieux une fois qu'ils sont repérés. "
• Combattants étrangers. Le Premier se félicite que l'Ocam (Organisme de coordination pour l'analyse de
la menace) progresse dans l'élaboration d'un registre fichant ceux partis combattre à l'étranger - dites:
'foreign fighters'. " Empêcher les jeunes de partir vers des zones de combat ou d'entraînement ne
suffit pas. Nous devons les empêcher de revenir quand ils ne sont pas belges. " Et ceux qui sont
belges, eh bien, ils valseront derrière les barreaux. " Pour nous, la règle doit être claire: leur place est en
prison. " Reste à voir si cela ne risque pas d'aggraver le risque de radicalisation, déjà sensible, de ceux qui
effectuent un petit séjour à l'ombre.
• Personnes fichées. Le gouvernement n'oublie pas les autres personnes fichées; il leur réserve le
bracelet électronique. " Une procédure contradictoire sera instaurée afin d'imposer son port. Et ce tant
dans une démarche probatoire pour la déradicalisation qu'afin d'assurer la sécurité publique. "
• Passagers. L'Europe traîne? Peu importe, la Belgique a décidé d'avancer et de lancer, seule, son PNR.
PNR? Oui: 'passager name record'. A savoir la récolte des données d'identité des passagers dans les
avions et les trains à grande vitesse. " Cela vise notamment à empêcher l'embarquement d'un passager
s'il figure sur un registre de personnes représentant une menace. La Belgique appliquera sans
attendre ce projet prévu de longue date sur le plan européen."
• Molenbeek. Le Fédéral va élaborer un plan d'action visant à soutenir les autorités régionale et locale "
dans leurs efforts pour la sécurité et le vivre-ensemble ". En première ligne: Molenbeek. " Les
premières réunions préparatoires ont déjà eu lieu. Il s'agit d'articuler prévention et répression dans
une approche transversale. La lutte contre toutes les formes de criminalité, y compris l'économie
illégale, devra être une priorité. "
3. Renforcer les moyens de nos services de sécurité
• Budget de 400 millions. En 2015, suite aux drames précédents liés au terrorisme, Michel a déjà libéré
200 millions d'euros supplémentaires afin de renforcer les investissements en matière de sécurité. A quoi
s'ajoutent 40 millions prévus pour la sûreté de l'Etat et 100 autres millions pour la Défense. " Mais cela ne
suffit pas. Nous devons faire plus et nous devons faire mieux. " C'est pourquoi 400 millions de plus
seront libérés pour la lutte contre le terrorisme. Ce qui a quand même fait sourire l'opposition, qui a eu beau
jeu de souligner que Michel ne faisait que défaire ce qu'il avait fait dans ses budgets, en réalisant des
économies sur le dos de la police et des services de sécurité.
• Militaires. Jusqu'à 300 militaires supplémentaires pourront être déployés dans les rues, essentiellement
des grandes villes, en sus des 220 qui s'y trouvent déjà. Et ce pour des " missions statiques de
surveillance " - autrement dit, faire le guet.
• Caméras de surveillance. Le gouvernement ne pourra plus faire l'économie du passage par la case
"renforcement des nouvelles technologies". Et donc, les investissements iront aussi dans l'extension des
systèmes de caméras "ANPR" permettant de reconnaître les numéros de plaque minéralogique.
• Perquisitions et gardes à vue. "Il faut soutenir nos enquêteurs" , dit Charles Michel. L'interdiction des
perquisitions entre 21h et 5h du matin est donc supprimée. Dorénavant, les enquêteurs auront le droit de
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perquisitionner 24h sur 24, du moins dans les dossiers d'infractions liées au terrorisme. Idem pour les
gardes à vue, qui seront étendues de 24h à 72h, toujours dans les dossiers liés au terrorisme.
• Cartes téléphoniques prépayées. Jusqu'à présent, le meilleur moyen d'éviter le pistage téléphonique,
c'était d'acheter une carte de téléphone prépayée. Ces cartes représentent 40% du marché. Dorénavant,
l'anonymat sera interdit.
• Cette idée n'est, en fait, pas toute neuve. Elle avait déjà été dévoilée en juin par le ministre des Télécoms,
Alexander De Croo, et le ministre de la Justice, Koen Geens. Des pourparlers avaient déjà lieu entre les
cabinets responsables, l'IBPT et les opérateurs télécoms.
4. Agir sur le plan international
• Frégate Léopold I er . "Cette bataille pour la sécurité, nous devons la mener chez nous, mais pas
seulement." Charles Michel ouvre ici un chapitre plus "guerrier". "Nous devons combattre Daesh avec
une totale détermination. Nous devons l'éradiquer ". Ça, c'est pour les mots.
Dans les faits, on reste dans un registre non offensif, pour les troupes belges, avec la mobilisation de la
frégate Léopold Ier. La mission est définie clairement: escorte, dans une approche défensive, du
porte-avions français Charles de Gaulle.
"La seule garantie, c'est qu'il y aura d'autres attaques"
Thomas Renard est expert en contre-terrorisme à l'Institut Egmont, un centre de recherche financé par les
Affaires étrangères. Il déplore le "tout répressif" du discours du Premier ministre Charles Michel à la
Chambre hier.
Les mesures annoncées par le gouvernement pourront-elles nous garantir davantage de sécurité?
La seule garantie qu'on a, c'est qu'il y aura d'autres attaques. Il ne faut pas être un expert en terrorisme pour
affirmer cela. Ce qui m'a frappé, c'est le ton presque exclusivement répressif du discours du Premier
ministre. La répression est certes nécessaire, mais elle doit être accompagnée de prévention et de
résilience face au danger terroriste. Renforcer les moyens humains et matériels des services de
renseignement me semble en revanche tout à fait adéquat. Cela fait des années que ces services se
plaignent et à juste titre. Mais il faudra un peu de temps avant que le réinvestissement annoncé porte ses
fruits.
La Sûreté déplore régulièrement qu'elle ne trouve pas d'arabophones alors qu'on a une grande
communauté arabophone. Serait-ce vu comme une trahison pour un arabo-musulman de travailler à
la Sûreté?
La grande partie de la population arabo-musulmane condamne les attaques et les dérives d'un islam radical
et violent. Des Belges d'origine étrangère pourraient très bien s'engager sans que ce soit perçu comme une
trahison. Mais ils sont souvent freinés par des facteurs socio-économiques. Ces gens ne font pas souvent
les études qui mènent à une carrière dans le renseignement. De son côté, la Sûreté ne démarche peut-être
pas assez auprès de cette communauté. Dans la police de Bruxelles, on trouve des gens issus de
l'immigration. Pourquoi ne pourraient-ils pas travailler à la Sûreté?
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Quelle politique préventive préconisez-vous?
Cela commence dans les écoles où les enseignants ne disposent pas toujours des outils pédagogiques
nécessaires pour répondre aux interrogations voire aux comportements excessifs de certains élèves. Dans
les quartiers, il faut mieux soutenir les associations qui vont à la rencontre des jeunes. Enfin, je plaide pour
le soutien à des projets de citoyenneté dans les communes difficiles. Même si cela n'a rien à voir a priori
avec le phénomène de radicalisation, cela permettra au moins de renforcer le lien social.
Que pensez-vous du passage par la case prison pour ceux qui rentrent de Syrie?
L'emprisonnement ne me semble pas une mesure adéquate. En tout cas pas de manière systématique. Les
prisons ont montré qu'elles sont un lieu de radicalisation par excellence. Certains risquent dès lors de
radicaliser d'autres détenus. D'autres qui sont rentrés déçus de Syrie risquent, en prison, de rechuter dans
le radicalisme. Et compte tenu du manque de place dans les prisons, il ne faudra pas longtemps pour que
les gardiens demandent des moyens supplémentaires.
Faut-il une surveillance renforcée des prêches et du financement des mosquées?
Certains Etats du Golfe financent activement certaines mosquées et organisations islamiques chez nous. Il
est vraiment nécessaire de se pencher sur l'emprise de ces mouvements religieux en Belgique.
3.2.3 Quel regard adopter sur la politique d'asile et l'immigration? Faut-il
envisager de fermer nos frontières?
C'est quoi l'espace Schengen?
Alors que l’Allemagne ferme ses frontières temporairement et que d’autres pays ferment leur territoire,
l'Europe rappelle à tous ses membres l’importance de l’espace Schengen. Mais c’est quoi l’espace
Schengen ? Toutes les réponses sont dans la vidéo…
http://www.cedes.be/ressources/k7video/cest-quoi-lespace-schengen
contrôles Comment la procédure d'asile écarte les
terroristes
Ann-Charlotte Bersipont, Le Soir, 16/11/2015, p. 12, 574 mots
Le travail que réalise chaque jour l'Office des étrangers doit contribuer à sélectionner les personnes
admissibles au statut de réfugié, tel que défini par la Convention de Genève. Ce screening peut aboutir à
écarter des individus qui se seraient introduits sur le territoire belge afin d'y commettre un attentat. Voici ses
différentes étapes.
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Une fois que le demandeur d'asile a reçu un ticket, il doit passer par l'étape de la fouille (effectuée par des
agents masculins ou féminins selon le sexe de la personne). Un tapis déroulant semblable à celui des
aéroports permet de contrôler les sacs, et deux portiques détectent la présence éventuelle de métal.
Les demandeurs sont ensuite appelés tour à tour pour être enregistrés. Il s'agit, à ce stade, de données de
base: nationalité, nom, sexe, date de naissance, première demande d'asile ou pas, date d'arrivée en
Belgique, adresse ou famille éventuelle en Belgique. Si la personne souffre de problèmes de santé
particuliers, elle doit le souligner. Le choix de la langue du dossier doit aussi être établi. Si la personne
maîtrise l'une des deux langues nationales belges, ce sera celle-là (les ressortissants de pays africains
francophones verront leur dossier traité en français), sinon l'Office choisit la langue. C'est à ce moment que
le demandeur reçoit une brochure informative de 15 pages sur la demande d'asile disponible dans une
vingtaine de langues.
L'étape suivante consiste en l'enregistrement des empreintes digitales du demandeur dans le système de
données européen Eurodac. Si une demande d'asile a déjà été déposée dans un autre pays, il est possible
de le savoir dans la journée et la Belgique doit alors prendre contact avec les autorités du pays concerné.
Trois appareils sont disponibles pour la prise d'empreintes.
Vient alors le moment de l'entretien . «C'est une sorte de préparation à l'entretien au Commissariat général
aux réfugiés et aux apatrides (CGRA). Le demandeur d'asile doit donner son identité et expliquer l'itinéraire
qui l'a mené en Belgique. Cela dure de une à deux heures, cela dépend vraiment du parcours du candidat.
A ce stade, on n'entre pas dans le détail. Mais on fait des copies des documents si la personne en a et on
transmet le tout au CGRA.», explique-t-on sur place.
L'entretien se déroule avec un agent et un traducteur. Durant cette première interview, il arrive que des
incohérences apparaissent déjà dans le récit des candidats: tout est alors consigné dans le dossier, à
charge pour le CGRA, instance indépendante, de trancher. Il arrive que certains candidats récitent des
histoires apprises par cœur. «Nos agents sont spécialisés dans certains pays. Cela leur permet de gérer
plus facilement les dossiers. Si le candidat évoque un parti politique, notre agent le connaîtra», avance le
responsable du service.
Après l'enregistrement, le demandeur d'asile passe au dispatching de Fedasil, dans le même bâtiment, pour
recevoir une place dans un centre d'accueil. Il reçoit aussi un document administratif prouvant son
enregistrement, l'annexe 26.
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Les réfugiés risquent d'être les victimes collatérales des
attentats
Olivier le Bussy, La Libre Belgique, 16/11/2015, p. 19, 864 mots
Les centaines de milliers de personnes qui demandent asile dans l'Union européenne pourraient bien
devenir les victimes collatérales des attaques de Paris. Dès samedi, le gouvernement polonais en formation
a fait savoir que Varsovie refusait de participer au programme européen de répartition des réfugiés. "Au vu
des tragiques événements à Paris, nous ne voyons pas de possibilités politiques pour la mise en œuvre" de
l'engagement pris par le précédent exécutif polonais, a fait savoir le futur ministre des Affaires étrangères,
Konrad Szymanski. "Les événements donnent 'raison' aux chefs de gouvernement d'Europe centrale et
orientale qui disent, depuis le début, qu'ils ne veulent pas de réfugiés musulmans chez eux ", commente un
diplomate européen. "Et le fait que les terroristes viennent de France ou de Belgique ne change rien à leur
position. Pour eux, les attentats sont le signe de l'échec d'un multiculturalisme dont ils ne veulent pas."
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, continue cependant à plaider avec
vigueur pour le maintien du programme de répartition des réfugiés approuvé, non sans mal, par les
Vingt-huit entre les Etats membres de l'Union. "Ceux qui ont perpétré les attentats sont exactement ceux
que les réfugiés fuient, et non pas l'inverse, et par conséquent il n'y a pas lieu de revoir dans leur ensemble
les politiques européennes en matière d'asile", a défendu le Luxembourgeois dimanche, face à la presse,
lors de la réunion du G20 à Antalya, en Turquie.
"Paris change tout" vs "Ne changeons rien"
Il n'en reste pas moins que même les dirigeants des pays qui mènent une politique d'accueil généreuse,
comme la Suède ou l'Allemagne, se retrouvent soumis à forte pression, note Marianne Dony, présidente de
l'Institut d'études européennes de l'Université libre de Bruxelles. Dimanche, la CSU, alliée de la CDU
d'Angela Merkel, a réclamé que la chancelière cesse d'ouvrir grand les portes de l'Allemagne aux réfugiés.
"Paris change tout" , a déclaré le ministre des Finances bavarois Markus Söder au "Welt am Sonntag".
"Paris change tout" , d'autant qu'un élément donne du grain à moudre à ceux qui affirment depuis des mois
que des terroristes se dissimulent parmi les réfugiés. Le passeport d'un Syrien de 25 ans enregistré comme
réfugié sur l'île de Leros, en Grèce a été retrouvé près du corps d'un des auteurs des attaques.
"Celui qui est responsable de ces attaques à Paris ne peut être mis sur un pied d'égalité avec les vrais
réfugiés qui cherchent asile", a insisté Jean-Claude Juncker. De plus, on ignore encore si ce passeport est
authentique et s'il appartenait effectivement au terroriste. Mais il n'en fallait pas plus pour semer le doute
dans les esprits.
"Cette histoire de passeport syrien est nébuleuse, mais sur le plan politique, c'est une très mauvaise
information", observe Marianne Dony. "Ça va servir tous ceux qui disent : les réfugiés, on n'en veut plus" ,
complète Quentin Michel, directeur de l'Unité d'études européennes à l'Université de Liège. Qui précise : " la
grande difficulté, dans la gestion de l'accueil des réfugiés, c'est qu'elle est partiellement communautaire et
très nationale. La Commission peut faire des propositions, mais si les Etats membres n'en veulent pas, on
n'avance pas. Il n'y a pas d'instrument coercitif pour amener un Etat à accueillir des réfugiés" .
Aussi, ces derniers risquent-ils de rester bloqués dans les pays européens où ils se trouvent : l'Italie, la
Grèce, les pays des Balkans, "alors que ces pays ne disposent pas des capacités pour les accueillir
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dignement et traiter leurs demandes" , s'inquiète Marianne Dony.
Garder les réfugiés hors d'Europe
À la suite des attentats, le président (polonais) du Conseil européen "Donald Tusk va encore muscler son
discours sur le renforcement des frontières extérieures de l'Union" , prévoit le diplomate.
La philosophie européenne devrait être, plus encore qu'hier, d'empêcher que les demandeurs d'asile entrent
dans l'Union et soient maintenus dans les pays limitrophes de celui qu'ils ont fui . "Les Européens vont
continuer à privilégier ce type d'approche. Cela dit, il n'est pas certain que la Turquie qui vient elle-même de
connaître un attentat commis par l'Etat islamique et l'Egypte aient très envie que tous ces gens restent chez
eux" , commente Marianne Dony. Contrairement à la politique d'accueil, souligne Quentin Michel, "le gros
avantage de faire en sorte que les réfugiés restent dans les pays voisins de l'Union, c'est que cette politique
fait consensus au niveau des Vingt-huit ".
3.3 Quelle est la responsabilité du monde musulman croyant?
"L'islam doit faire son autocritique"
Serge Vandaele, L'Echo, 17/01/2015, p. 22, 2082 mots
Philosophe et écrivain français (1), spécialiste des évolutions actuelles de l'islam et des mutations de la vie
spirituelle dans le monde contemporain, Abdennour Bidar estime qu'il est grand temps d'arrêter de parler
seulement d'économie et de croissance pour replacer le centre de gravité politique autour des valeurs
d'égalité, de liberté et de fraternité. Oui, l'Islam a été pris en otage par des fous. Mais pour lui l'indignation et
la colère ne suffisent pas : l'islam doit aujourd'hui faire son autocritique.
Comment qualifier ce que la France vit depuis plusieurs jours ? Et à cet égard, la réaction des
Français aux attentats vous a-t-elle surpris?
La réaction des Français ne me surprend pas. Elle correspond à la fois à une mythologie et à une réalité
historique et politique : nous sommes un peuple de mécontents qui se disputent continuellement quand tout
va bien, et un peuple qui se rassemble quand tout va mal. Or tout va mal.
Mais ce mal nous force à reprendre nos esprits, à nous reprendre en mains. A nous rendre compte
collectivement que nos valeurs ne sont pas mortes - contrairement à ce que beaucoup de cyniques et de
professeurs de désespoir nous ont répété ces dernières années en persuadant la France et l'Europe
qu'elles étaient un pays et un continent fatigués, épuisés, qui n'avaient plus rien à défendre ni à promouvoir.
Or on vient de faire l'expérience cruelle avec ces assassinats que nos valeurs humanistes, dont nous
n'avons évidemment pas le monopole mais qui sont partagées par de multiples peuples sur la planète, sont
plus que jamais vivantes et qu'il va être vital de les partager le plus possible à l'échelle de la planète si l'on
veut éviter d'une part le choc des civilisations et d'autre part le déchirement complet de nos sociétés
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multiculturelles.
Nous venons de réaliser qu'il va falloir aussi bien lutter pour nos valeurs que contre le terrorisme. La
question générale, maintenant, est donc de trouver tous les moyens, tous les espaces sociaux, dans
lesquels faire vivre, faire aimer, faire partager le goût et le sens de la liberté d'expression, de l'égalité, d'une
fraternité concrète et d'une laïcité qui permet à tous, non croyants et croyants, de vivre ensemble avec les
mêmes droits et devoirs - au-delà de la simple ambition, insuffisante, de seulement coexister ou cohabiter
les uns à côté des autres. Comment passer du " à côté de " au " avec " ? Comment passer de logiques
individualistes - dictées par le libéralisme - et de logiques communautaires à la pratique sociale d'une
fraternité vivante, élargie entre tous ? C'est devenu une nécessité de civilisation. A l'échelle française et
européenne.
Comment faire pour qu'émerge une spiritualité laïque dont la profession de foi serait vraiment
"liberté, égalité, fraternité ?"
Je crois que nous sommes enfin en train de sortir du XXe siècle et des désillusions qu'il nous a infligées en
termes de possibilité de l'humanisme. Car ce qu'on appelle " républicanisme " centré en France sur la
devise " liberté, égalité, fraternité " est l'expression d'un humanisme des Droits de l'Homme qui a besoin de
trouver un second souffle, une seconde jeunesse, un surcroît de sens et de mise en œuvre.
Nous prenons conscience qu'il est grand temps d'arrêter seulement de parler économie, croissance, et
qu'on replace le centre de gravité du politique du côté d'un véritable partage de ces valeurs. Ce qui implique
d'abord de reprendre dès l'Ecole leur pédagogie, donc en amont la formation des professeurs.
Notamment, j'y insiste, la fraternité qui est la grande oubliée au fin fond de notre devise républicaine et de
nos vies sociales : après le XI Xe siècle qui fut celui de la conquête de la liberté, le XXe siècle qui fut celui
de la conquête de l'égalité, le XXIe siècle doit être celui de la conquête de la fraternité - sachant, difficulté
supplémentaire, que beaucoup reste à faire pour les deux premières à l'échelle nationale et internationale.
A ceux qui me diraient que la fraternité est un rêve, pas l'objet d'une politique, je réponds qu'elle est une
capacité qui s'éduque dès le plus jeune âge. Si on ne veut pas qu'elle reste un idéal vide, abstrait,
impossible, ou la vertu exceptionnelle de quelques natures d'élite, alors il faut prendre pour but collectif de la
cultiver en chacun de nous, dès l'école et ensuite dans toutes nos pratiques sociales.
L'Islam a-t-il été pris en otage par les fondamentalistes ?
Oui, sans conteste l'islam a été pris en otage par ces fous. Leur barbarie l'a sali, bafoué, nié en tant que
civilisation et culture. C'est pour cela aussi que les musulmans de France et d'ailleurs doivent s'insurger
contre ce qui s'est passé : non seulement comme citoyens français ou comme humanistes mais aussi
comme musulmans conscients et dépositaires de l'islam comme culture et " humanité " au sens éthique du
terme. Il faut donc que les musulmans s'indignent du terrorisme djihadiste.
Que pensez-vous de la ligne de défense de la communauté musulmane vis-à-vis de ces actes
terroristes : "Ce n'est pas ça le vrai islam"?
Comme je l'ai dit dans une "Lettre ouverte au monde musulman" (ndlr: publiée dans plusieurs médias de
presse écrite française) cette indignation et cette colère ne suffisent pas : il faut passer du réflexe de
l'autodéfense à celui de l'autocritique. En quel sens ? Au sens où l'islam doit se demander comment certains
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de ses enfants peuvent se perdre à ce point de basculer ainsi dans la monstruosité ? Et ce d'autant plus
que ces actes isolés en France entrent en résonance avec ce que fait le prétendu " Etat islamique " en
Syrie, ou Boko Haram au Nigéria.
Cela doit fonctionner comme autant de signaux d'alarme pour la civilisation islamique que quelque chose ne
fonctionne plus très bien de son côté, dans son éducation, dans son rapport au religieux, etc.
C'est donc le moment crucial de se poser des questions beaucoup plus larges, plus profondes. C'est ce
qu'avaient initié les Printemps arabes, dans lesquels les sociétés civiles se demandaient toutes pourquoi le
monde musulman n'arrive toujours pas à faire de place réelle, suffisante, durable, à la liberté d'expression
vis-à-vis des dogmes de la religion, pourquoi la condition des femmes et des minorités religieuses reste
aussi problématique, voire s'aggrave par endroits, etc.
Il serait trop facile de dire que l'islam est seulement le bouc émissaire des Occidentaux. Certes il y a ici en
Europe une inquiétude autour de l'islam qui se nourrit de beaucoup de fantasmes, de préjugés, voire de
racisme, mais cela n'explique pas tout. Cela renvoie certes l'Occident à ses limites mais aussi l'islam aux
siennes. Pourquoi n'est-il pas mieux accepté ? Dans des pays comme les nôtres qui sont pourtant à
l'échelle mondiale ceux où règne pourtant la plus grande tolérance assurée par le droit ? Une raison est que
l'islam comme religion, comme culture, comme coutumes, a toutes les peines du monde à s'adapter, à se
renouveler dans le temps présent. Il souffre d'avoir eu pendant trop longtemps des certitudes absolues, sur
le sacré, sur le bien et le mal, etc.
Aujourd'hui donc il se crispe, se raidit, parce qu'il s'aperçoit que ces certitudes ne sont plus tenables et qu'il
va lui falloir faire un très gros effort de régénération ou même de dépassement de soi. Mais beaucoup de
ses sociétés et de ses consciences préfèrent encore rester dans le déni, ou la dissociation entre hyper
modernisme et archaïsme religieux.
Oui, en effet, le djihadisme n'est pas le "vrai islam" mais le "vrai islam" a lui aussi de sérieux problèmes ! Il
lui reste à apprendre à faire confiance à cette partie de lui-même - ici en Occident ou dans le monde
musulman - qui réclame une révolution non seulement politique et sociale mais spirituelle !
"Les gens ne supportent plus de vivre sans Dieu" répète l'écrivain Michel Houellebecq... Vous en
pensez quoi?
Dieu n'est que l'un des noms possibles de l'infini, de la transcendance. Pascal disait que c'est en l'homme
lui-même qu'il y a quelque chose qui dépasse infiniment l'homme. Que l'on dise donc " Dieu " ou autre
chose, nos sociétés matérialistes sont en train de se rendre compte - il était temps - que l'on ne fabrique pas
de la civilisation uniquement avec des droits politiques, et qu'on ne remplit pas une vie humaine, ni un cœur
d'homme, uniquement avec des biens de consommation.
La fonction de transcendance est en jachère dans nos sociétés. Ni les religions ni l'athéisme ne sont
adaptés : les religions parce qu'elles divisent les hommes entre ceux qui croient en dieu, ceux qui croient en
un autre dieu, et ceux qui ne croient en aucun ; l'athéisme parce qu'il ne propose qu'une existence plate et
morne, qui ne cultive pas l'infini qui est en nous.
Cela nous renvoie au défi que nos sociétés occidentales croyaient avoir laissé derrière elles :
peut-on faire société sans religion ?
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Il me semble que oui, encore faut-il trouver quelque chose qui remplace efficacement la religion, et qui
même fasse mieux que ce qu'elle a fait pendant des millénaires, sur deux plans : solidariser la société et
donner à la vie humaine de quoi assouvir son intuition qu'elle est faite pour une destination transcendante.
Si nous voulons réussir ces deux objectifs sans les dieux, et dans des sociétés où la religion n'est plus le
moteur de l'histoire mais seulement un fait social parmi d'autres, il faut s'inspirer des deux grandes intuitions
de l'humanisme - et on trouve une contribution à ces deux intuitions dans toutes les grandes sagesses de la
planète : il y a en l'homme une puissance créatrice, et les hommes sont faits pour fraterniser. Le lien à soi,
le lien aux autres : le lien à la transcendance en soi d'une capacité à créer - c'est-à-dire à devenir maître de
sa propre vie, dans laquelle on exprime ses talents - et la capacité de notre cœur à se transcender aussi
vers l'autre être humain, tout autre être humain sans limite de couleur ou de culture.
Aussi longtemps que nous n'aurons pas entrepris de cultiver en nous-mêmes la visée de ces deux
transcendances, la transcendance des dieux nous manquera.
C'est pourquoi le projet de civilisation que nous devons choisir aujourd'hui est celui-ci : apprendre à nous
passer de nos anciens dieux en donnant à nos vies l'inspiration spirituelle de ces transcendances
humanistes de la fraternité et de la créativité. Ce que nos "Droits de l'Homme" appellent "la dignité humaine"
est là, dans cette découverte et cet éveil en nous-mêmes de ces deux facultés. Comme le disait Erasme, le
Prince des humanistes de la Renaissance, " on ne naît pas homme on le devient " et notre humanité a
encore, sur le plan individuel et collectif, ce progrès d'humanisation à accomplir.
Derniers ouvrages parus: "L'islam sans soumission" (Albin Michel, 2012) et "Histoire de l'humanisme en
Occident" (Armand Colin, 2014).
Felice Dassetto, sociologue "C'est du monde musulman
croyant que doit venir l'effort"
Nathalie Bamps, L'Echo, 17/11/2015, p. 4, 1169 mots
Spécialiste de l'islam, Felice Dassetto, sociologue et professeur émérite à l'UCL, estime que les autorités,
belges comme musulmanes, n'ont pas pris la mesure du radicalisme religieux.
Les auteurs des attentats de Paris provenaient de Molenbeek. Pourquoi la Belgique est-elle devenue
cette plaque tournante de l'islam radical?
On exagère un peu en parlant de plaque tournante. Cela semble être un fil conducteur dans ces
événements, mais d'autres parties de l'Europe sont aussi des lieux de connexion avec l'islam radical. La
Belgique est-elle, plus que d'autres pays européens, un lieu de radicalisme? Je n'en suis pas convaincu. Y
a-t-il une police, une sûreté de l'État moins efficace chez nous? Jusqu'en 2012-2013, la police était pourtant
parvenue à étouffer toute tentative d'attentat
Quelle est la part de responsabilité des mosquées dans la radicalisation?
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Ce qui interpelle surtout, ce sont certains discours qui, sans prêcher le départ au djihad, prêchent le malaise
d'être dans un contexte belge, non musulman. Il y a aussi le discours de victimisation - profondément erroné
- donné aux jeunes intellectuels musulmans, et qui affirme l'existence d'une islamophobie généralisée dans
l'UE. Ces discours préparent un terrain de mal-être sur lesquels peuvent se greffer des discours plus
radicaux qui pousseront certains jeunes à se dire que la seule chose à faire est de prendre les armes et de
partir combattre, ou alors de prendre les armes contre ce monde "mauvais pour les musulmans".
On évoque souvent la dimension économique pour justifier le ralliement aux causes de l'EI: le
chômage, la marginalisation. Or avec Salah Abdeslam, cela n'a pas l'air d'être le cas.
Beaucoup mettent en effet en avant le fait que le chômage serait la cause de cela. Je ne dis pas que ce
malaise économique n'existe pas. Mais c'est une explication un peu courte. Il y a des tas de jeunes
musulmans au chômage, et seuls quelque-uns partent au djihad Si l'automatisme était là, tout le monde
partirait. Dans ceux qui partent, tous ne sont pas dans un profil d'exclusion, loin de là. Moi je donne
beaucoup d'importance à la dimension religieuse.
A-t-on trop longtemps fermé les yeux sur les influences des discours extrémistes?
Il n'y a pas grand-chose que l'on peut faire. D'un point de vue répressif, il y a une liberté d'expression qu'il
faut respecter. Je pense que les musulmans eux-mêmes ne se rendent pas compte dans quelle voie ils sont
entraînés. Cette voie est erronée. Elle peut amener à des conséquences graves, comme les attentats, mais
aussi à la désillusion, au constat qu'il n'y a rien de bon pour eux. Et cela ne les aide évidemment pas à se
retrousser les manches pour s'en sortir malgré la situation économique difficile.
La solution pour lutter contre le radicalisme ne vient-elle pas des musulmans eux-mêmes?
Oui. C'est de l'intérieur du monde croyant que doit venir un effort gigantesque de réinterprétation, car ce ne
sont pas les laïques qui arriveront à convaincre les religieux. Il y a une élite musulmane qui a une vision
réformatrice de l'Etat musulman, mais elle n'ose pas sortir du bois pour affirmer clairement la nécessité d'un
autre islam. Ces réformistes ne parviennent pas à s'organiser, mais les Salafistes, les Frères musulmans,
eux, sont très organisés. Or quand on est organisé on a plus d'impact
N'est-on pas trop hypocrite face au problème de l'islam radical?
Oui, je pense qu'on n'a pas voulu voir les choses en face. La classe politique a fort tardé à prendre en
compte le côté explosif et l'impact de certaines idéologies religieuses, en les niant de peur de susciter des
réactions d'hostilité. Idem du côté musulman. Certains disent "Ce n'est pas l'islam" Mais si, c'est aussi
l'islam! Il y a une forte autocritique à faire, les musulmans ont une grande réflexion à mener.
Faut-il plus de contrôle des mosquées?
Je crois qu'elles sont déjà bien contrôlées. Mais il y a des limites, car on est dans un État de droit. Un
discours radical, on n'a pas les moyens de l'arrêter. C'est davantage un auto contrôle des autorités
religieuses musulmanes qu'il faut. Des attentats ont déjà été éventés, des imams expulsés, et la Belgique,
comme les autres États européens, fait ce qu'elle peut. Mais la police ne peut pas être derrière chaque
citoyen, et les réseaux informels de tous ces jeunes sont très difficiles à pénétrer.
Les familles ont une responsabilité?
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Oui, on a un problème dans la régulation familiale. Ces parents qui se réveillent et qui se mettent à pleurer
une fois que le fils est parti ne se demandent pas assez ce qui est en train de se passer. D'autant qu'on ne
parle plus des parents de la 1ère génération, qui étaient peut-être dépassés. Les jeunes qui partent sont
des jeunes de la troisième génération. Leurs parents ont les outils culturels, ils possèdent la langue.
Comment peut-on éviter les amalgames?
Pour qu'il n'y ait pas d'amalgame, il faut que les musulmans se prononcent plus clairement, aient le courage
d'assumer ces réalités et ne jouent pas sur un discours mi-figue mi-raisin, en proclamant que "l'islam est
paix". C'est le fait peut-être de ne pas assumer cette responsabilité qui exaspère les gens.
Cela étant, je pense que le tournant a déjà eu lieu le 11 septembre 2001. On a alors fait la distinction entre
cet islam radicalisé, combattant, et un islam qui ne cherche pas le combat. Il y aura toujours quelques
groupes extrémistes qui feront ces amalgames. Mais ce ne sont pas eux qui donnent le ton.
« Nous avons contribué à salir une religion »
Soraya Ghali, Le Vif/L'Express, 23/01/2015, p. 50-51, 1734 mots
Farid Abdelkrim parle vrai. Ancien président des Jeunes musulmans de France, il jouissait d'une réelle
écoute dans les banlieues et était perçu comme un « dur » de l'Union des organisations islamiques de
France. Durant quinze ans, il a joué les prédicateurs, avant d'effectuer un demi-tour surprenant. Il raconte
son étrange itinéraire de délinquant islamiste, et enfin, de repenti. « Celui qui a été endoctriné l'a été parce
qu'il était endoctrinable. »
Le Vif/L'Express : Comment un adolescent élevé par des parents dont la vie est rythmée par un
islam « populaire et tranquille » devient-il islamiste ?
Farid Abdelkrim : Mes parents se sont montrés trop discrets dans la transmission de l'islam. Le seul acte
de dévotion que je leur connaissais était le ramadan. Comme de nombreux parents de cette génération, ils
avaient gardé le réflexe de leur pays d'origine : confier cette transmission de l'islam à l'imam de la mosquée.
Puis, il y le petit délinquant choqué par la mort de Rédouane.
C'était avant l'avènement des paraboles, des réseaux sociaux et du Net. A 13 ans, je tenais des petits rôles
de caïd, je fumais un peu d'herbe et de shit. Ensuite, il y a eu les cambriolages et les braquages. Mais, en
1985, la mort de Rédouane, figure emblématique de cette délinquance de quartier, tué par un gendarme, va
profondément me bouleverser. Je me suis rendu à la cérémonie organisée en hommage au défunt, à la
mosquée de Nantes. J'avais 18 ans, j'étais en recherche de divin, de sacré. En pareilles circonstances, on
se sent musulman. L'imam de la mosquée, un Irakien, un Frère musulman, nous a dressé un réquisitoire
contre l'Etat d'Israël. Son discours me culpabilisait : « Celui qui ne se soucie pas des affaires des
musulmans ne peut, par conséquent, prétendre être des leurs. » Et quand on culpabilise un individu, il
devient fragile et perméable aux endoctrinements. C'était ma première rencontre avec les Frères
musulmans.
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Un profil impressionnable qui ressemble à celui de jeunes djihadistes ?
Ce profil n'est pas bien compliqué. Il s'agit de jeunes issus essentiellement de l'immigration maghrébine.
Sont-ils Français, Belges ou pas ? A cette question s'ajoutent des résidus historiques mal digérés, comme
la guerre d'Algérie. Pour parler de mon cas, de cet ado plein de complexes, j'avais une fascination pour
Tony Montana ( NDLR : personnage joué par Al Pacino dans Scarface). Et Hassan al-Banna, fondateur des
Frères musulmans, une sorte de Tony Montana nouvelle tendance, m'a subjugué. Je venais d'apprendre
son existence. Je m'identifiais aux deux. Ils étaient mes mentors, mes modèles.
La première chose que l'on vous a enseignée, c'est la pensée de Hassan al-Banna ?
Oui, tout est allé très vite. Il s'agissait d'une rencontre fortuite, après avoir rencontré l'imam de la mosquée
de Nantes. A 20 ans, je venais de me rendre compte que les Frères musulmans existaient en France. Cela
m'avait impressionné et qu'ils me choisissent pour être l'un de leurs disciples était un prestige. J'ai prêté
allégeance à la confrérie, avec beaucoup d'honneur et de fierté.
Votre conversion à l'islam se fait dans la « clandestinité ».
Du jour au lendemain, les filles, la cigarette, la consommation de stupéfiants, le vol, les bagarres... Terminé !
Vœux de chasteté jusqu'au mariage et apprentissage de l'arabe grâce aux CD des Frères musulmans. Mais
je n'ai pas tout de suite révélé ma nouvelle identité de musulman pratiquant. Avec ce que j'avais fait endurer
à ma mère, elle n'y aurait pas cru. Alors, cela s'est fait dans la clandestinité.
Cette allégeance à la confrérie, est-ce le début de votre carrière d'islamiste ?
A peine âgé de 25 ans, j'ai commencé à donner des conférences, à jouer le théologien, le prédicateur sans
bagages. Au début, les jeunes étaient timides et peu nombreux. Il fallait agir plus largement. Notre défi,
c'était la lutte contre l'échec scolaire de ces jeunes dont la France n'avait rien à faire, disions-nous. Nous
avons donc créé des associations de soutien scolaire. Le but était évidemment politique : en faire des
intellectuels qui pèsent sur l'échiquier politique et intervenir dans les décisions qui nous concernaient. Sans
violence, car les Frères musulmans est une structure réformiste et légaliste. Ce faisant, je me suis installé
dans la peau de celui qui possédait la Vérité et qui se croit missionné pour transmettre. Je me suis pris pour
un prophète.
Face à eux, quels étaient vos propos ?
Je disais, par exemple, que la société dans laquelle nous vivions était permissive, que la France ne s'était
pas repentie devant l'Algérie, qu'elle détestait l'islam, qu'il s'y commettait des crimes racistes... Un chaudron
brûlant ! Ce discours était servi n'importe comment et suscitait de la frustration. Bref, au lieu de leur apporter
de la clarté, des solutions, d'éviter les raccourcis, j'augmentais leur malaise et leur proposait l'islam comme
réponse.
C'est aussi simple que cela, l'endoctrinement ?
Dans mes prêches, mes propos, je me suis retrouvé à leur construire un monde où il y a « eux » et « nous
». Eux, la France, les non-musulmans. Nous, les musulmans. Tout nous opposait. Il y avait incompatibilité.
Je leur disais encore qu'ils savaient la force que nous représentions. Raison pour laquelle ils n'avaient
cessé de nous combattre par le passé. Et qu'ils continuaient de le faire et le feraient jusqu'à la fin des
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temps. Nous étions devenus faibles, il fallait se relever.
Etes-vous passé alors par une forme de déradicalisation ?
Oui. Ce fut un long processus. Dans la confrérie, si vous ne parlez pas arabe, vous restez un frère de
seconde zone. Ne parlant pas arabe, je revivais cette situation que j'avais connue comme citoyen de
seconde zone. Par ailleurs, la déradicalisation fonctionne sur une infantilisation très lourde. Au sein même
de la confrérie, il y avait des dysfonctionnements qui entravaient son efficacité. Chez les Frères, l'idéologie a
pris le dessus sur le religieux. Puis il y a eu ce voyage à Auschwitz auquel j'ai participé, aux côtés du prêtre
de Nazareth, Emile Shoufani, et de l'imam de Bordeaux, Tareq Oubrou. Certains m'ont alors accusé de
haute trahison, de « vendu ». Mais si j'ai pu entreprendre ce voyage, c'est parce que j'ai rencontré des gens
comme eux. Eux ne sont pas des détourneurs, mais des aiguilleurs. L'imam de Bordeaux propose une
lecture beaucoup plus spirituelle et canonique de la religion. Je me suis surtout rendu compte qu'un tel état
d'esprit laisse peu de place à la quête ultime, celle de Dieu. Je m'étais perdu. J'ai tout plaqué, dégoûté.
Vous sentez-vous responsable de n'avoir pas pu contrer la radicalisation de certains jeunes ?
Mélanger islam et politique est une erreur. L'islam est une religion qui se vit de l'intérieur, dans l'intimité avec
Dieu. Mais ce faisant, nous avons contribué à salir une religion. Je veux me désolidariser de ça. L'idée d'une
solidarité aveugle du musulman pour le musulman seulement parce qu'il est musulman m'est insupportable,
mais surtout contraire aux enseignements de l'islam.
Y a-t-il une responsabilité généralisée de la société ?
Oui, mais il faut hiérarchiser les responsabilités. Les musulmans sont les premiers responsables. Beaucoup
succombent à la victimisation et se disent toujours agressés. Il n'y a pas d'islamophobie en France, il y a
des racistes mais en tant que nation, la France ne l'est pas. Ils doivent faire un sérieux travail d'autocritique
et de remise en question. Ils doivent être capables de courage politique, d'avoir une approche de l'islam
adaptée à notre réalité et une pratique en phase avec le monde dans lequel nous vivons. Je m'inscris ainsi
dans la vision de Tareq Oubrou, qui propose une théologie préventive à un islam contextualisé. Par
exemple, lorsqu'il dit qu'il est plus important de terminer ses études que de porter le voile. Ou lorsqu'il
explique que l'islam comme civilisation est décadent et que ce qu'il faut sauver, c'est l'islam de la spiritualité.
Depuis quatre ans, vous ne faites plus de conférences. Vous êtes devenu écrivain humoriste. Votre
spectacle a été mal accueilli en Belgique.
Aujourd'hui, j'ai choisi d'aborder les sujets qui fâchent le double appartenance, les intégrismes par l'humour.
C'était ma première bruxelloise. Durant mon one-man-show, je caricature mon parcours. Ce spectacle, je
suis venu le présenter à la Foire musulmane, qui se tient chaque année à Bruxelles. J'ai dû arrêter mon
spectacle car quelques personnes dans la salle m'ont accusé de blasphème. Visiblement, d'aucuns n'ont
pas fait l'effort d'expliquer au public que la soirée était consacrée à l'humour et au second degré.
Que dites-vous aux jeunes qui ne sont pas Charlie ?
Durant ce débat post-spectacle, je discute du concept de fascination. Devant un terrorisme spectacle, il faut
à tout prix dialoguer avec ces jeunes qui ne sont pas Charlie. De nombreux jeunes sont en quête de
fascination. Mais elle doit demeurer inaccessible. Si le jeune comprend qu'il peut être lui-même l'objet de sa
fascination, on peut alors avoir des passages à l'acte. Ainsi, ces jeunes qui ne sont pas Charlie ont dû voir
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en Coulibaly un genre de Tony Montana.
Pourquoi j'ai cessé d'être islamiste. Itinéraire au cœur de l'islam en France, par Farid Abdelkrim, Les points
sur les i Editions, 258 p.
3.4 Comment le professeur peut-il influencer le comportement des élèves?
3.4.1 L'éducation à la citoyenneté, une réponse face au radicalisme religieux?
Site de la Plateforme Apprentis Citoyens
"Apprentis Citoyens" propose aux jeunes de 5e et 6e années de l'enseignement secondaire d'en rencontrer
d'autres qui ont fait de l'engagement politique un de leurs moyens d'expression. Sur simple demande, des
jeunes représentants de chaque organisation de jeunesse politique reconnue par la Fédération
Wallonie-Bruxelles se rendront dans votre école afin de présenter leurs valeurs, leur engagement et de
débattre de grands thèmes de société.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-la-plateforme-apprentis-cito
yens
Site des Journaux francophones belges
L'opération "Ouvrir mon quotidien" a pour principaux objectifs d'éduquer les élèves à la citoyenneté, de
développer leur esprit critique. Via quelques exercices, l'élève pourra s'approprier la presse et mieux
comprendre sa structure, ses fonctions, le parcours de l'information et le métier de journaliste. Enfin, les
diverses fiches pédagogiques proposées sur le site permettent à l'enseignant d'aller plus loin dans sa
démarche d'éducation à la citoyenneté en abordant des thèmes tels que: les élections, la démocratie,
l'intégration...
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-des-journaux-francophones-belge
s
Radicalisation : la faute à l'école ?
Jacques Liesenborghs, La Libre Belgique, 17/01/2015, p. 60, 1046 mots
Après l'indignation devant l'inqualifiable, après la surenchère médiatique, après l'émotion et le sursaut
populaires, l'heure est venue de chercher plus activement des remèdes à la radicalisation de centaines de
jeunes en déshérence. Je laisse à d'autres plus compétents l'analyse des mesures sécuritaires envisagées.
Parlons un peu éducation.
"Ils l'ont bien cherché !"
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Expression qu'on a souvent entendue ces derniers jours et pas seulement dans la bouche de jeunes
musulmans. Beaucoup de citoyens "bleu-blanc-belge" pensent et, petit à petit, osent dire la même chose !
Le travail à faire autour de la fameuse "liberté d'expression" (et de ses limites ?) est donc colossal et il
concerne l'ensemble de la société.
Pour ma part, je partage avec tant d'autres la formule de Voltaire : "Je n'aime pas ce qu'ils disent, mais je
me battrai pour qu'ils puissent le dire". Mais ce n'est pas facile à expliquer et à faire entendre quand on se
trouve par exemple avec une bande d'ados et qu'un fort en gueule proclame : "Ils le méritaient et votre
minute de silence, je ne la respecterai pas" (traduction polie).
Des cours de citoyenneté ?
Certains politiques sont rapidement montés au créneau pour "vendre" leur solution : des cours de
citoyenneté. Encore des cours en plus. Les programmes seraient-ils à ce point cadenassés ? On ne pourrait
donc pas faire l'indispensable travail de formation citoyenne dans les cours d'histoire, de géographie, de
français, de langues modernes, de sciences ? Il me semble que tout enseignant devrait avoir pour mission
de s'en préoccuper et de faire découvrir la dimension citoyenne de la plupart des sujets abordés en classe.
Ou encore d'organiser des projets interdisciplinaires avec des collègues et, pourquoi pas, des élèves actifs.
Et donc de favoriser la liberté d'expression le plus souvent possible. Toute école devrait faire le point. Qui
fait quoi en la matière ? Quelles initiatives nouvelles prendre ? Avec quels partenaires ?
Au quotidien
Mais cela ne suffit pas. Pour moi, l'essentiel d'une éducation citoyenne passe par le vécu quotidien. A côté
de la transmission des savoirs, l'école a une mission de socialisation et d'émancipation qui requiert du
temps, beaucoup de temps. Bien plus que dans des cours supplémentaires (qui n'auront pas plus de succès
que les autres), il faudrait consacrer beaucoup d'énergie et d'attention à tout ce qui, dans la vie quotidienne
des élèves, relève de la citoyenneté. A commencer par les règlements, les procédures disciplinaires, les
sanctions et leurs liens avec les principes de base de nos démocraties (par exemple : "Nul n'est juge et
partie"). Découvrir le sens de la loi (qui protège d'abord le faible) dans la classe, à la cantine, dans la cour
de récréation, etc. En débattre, l'améliorer, l'amender.
Dès l'école maternelle, et tout au long de la scolarité, on devrait s'arrêter à tous les incidents qui heurtent,
blessent les uns ou les autres. En parler, prendre du recul, écouter tous les points de vue, toutes les
justifications bonnes ou mauvaises. Instaurer des rites, respecter des procédures qui ont du sens pour les
élèves, qui libèrent et émancipent. Pour la liberté d'expression, rien de tel par exemple que le journal d'école
qui soulève tous les problèmes sensibles (censure, respect, sources, etc.).
Au-delà des belles théories, une recherche patiente de cohérence et de sens dans la vie quotidienne. Il ne
s'agit évidemment pas de faire la morale à tout bout de champ. Mais de mettre en place des institutions où
les élèves sont acteurs, voire même juges quand il le faut. Des procédures de médiation, de conciliation, de
réparation ou de sanction qui ont du sens. En s'inspirant de Dolto, de Freinet, de la pédagogie
institutionnelle. Sans oublier ce qui est au cœur de la "radicalisation" de certains jeunes : l'échec,
l'humiliation à répétition, le sentiment d'être rejeté. Le manque de coopération entre élèves, le manque
d'attention à leurs difficultés, le sentiment que l'école n'a pas tout fait pour les aider à sortir des ornières. Et
les a même parfois enfoncés !
Quelles finalités ?
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Ce travail éducatif doit être inscrit au premier rang dans les finalités de l'école. En conséquence, il faudra lui
donner les moyens de le réaliser. Cela passera en premier lieu par une formation des enseignants et de tout
le personnel (directeurs, éducateurs, etc.) dans ce sens. Cela passera aussi par un allègement de la
pression des directions, inspections, parents trop préoccupés par l'avancement dans les programmes
d'ailleurs trop chargés. Cela passera par des projets d'établissement où la qualité du vivre ensemble est
vérifiée avec autant de vigilance que le "niveau des études".
A force de pressions utilitaristes, de recherche de l'efficacité et de la performance, de pratiques
compétitives, nous avons petit à petit sacrifié le vivre ensemble. Des horaires qui ne permettent ni aux
élèves, ni aux éducateurs de souffler, des ambiances de cantine qui désapprennent à respecter la nourriture
et les voisins, la disparition d'un éventail d'activités créatives et ludiques, etc.
C'est donc bien plus sur la citoyenneté au quotidien qu'il faut miser. Et ça ne coûte pas cher ! Sinon en
temps à y consacrer. Mais cela demande une vigilance permanente et parfois des changements de
pratiques, voire de mentalité.
L'école a certainement une responsabilité importante dans l'éducation à la citoyenneté. Mais la famille aussi.
Et pèsent encore plus lourdement dans la balance les conditions de logement, la misère dans certains
quartiers, le chômage de nombreux parents, le culte de l'argent-roi et l'absence de perspectives d'avenir. Ce
serait trop facile et bien trop simple de tout attendre de l'école.
Parole aux jeunes: «Ça vaut quoi ce qu'on dit, nous?»
Elodie Blogie, Le Soir, 29/05/2015, p. 27, 851 mots
Un grand domaine en pleine campagne. Une route sinueuse au milieu des champs et des bois. Dans le
grand parc, plusieurs belles bâtisses en briques rouges, à l'ancienne. De l'une à l'autre, des sentiers
circulent entre les enclos des chevaux. On pourrait croire à un grand camp de vacances si l'on n'apercevait
pas les murs qui délimitent le domaine, surmontés de ce qui ressemble à de petites clôtures, comme autour
des prisons. Nous sommes à l'IPPJ (Institution publique de protection de la jeunesse) de Saint-Servais,
entre Namur et Gembloux. Ici, des jeunes filles mineures, prises en charge par les services d'aide à la
jeunesse, sont placées en section semi-ouverte (elles rentrent dans leur famille le week-end) ou, pour une
faible minorité, en section fermée. C'est ici que le délégué général aux Droits de l'enfant a choisi de
proposer la cinquième édition de son projet «Parlons jeunes». Le concept? Donner la parole aux jeunes et
leur permettre, en collaboration avec de grands médias, de s'exprimer, en les aidant à se forger une
position, un esprit critique, et à élaborer un discours audible.
« Les États signataires garantissent à l'enfant le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question
l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son
degré de maturité ». Tel est l'article 12 de la Convention internationale relative aux Droits de l'enfant, tandis
que l'article 13 consacre aux plus jeunes le droit à la liberté d'expression. Dans des pays riches et
démocratiques comme la Belgique, qui a ratifié la Convention, ce droit n'est pourtant que très peu appliqué,
comme le dénonce le délégué général aux Droits de l'enfant (voir ci-dessous). Depuis 2013, son équipe a
mis en place des ateliers d'expression et de formation aux médias. Le projet belge, pionnier en la matière,
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est cette année implémenté simultanément dans onze pays. Le thème général? La violence. Donner la
parole aux jeunes des IPPJ prend dès lors un sens fort.
«C'est bien gentil qu'il vienne nous voir le ministre, mais...»
Ce jour-là, elles sont une vingtaine à intégrer le local où les attend l'équipe éducative du projet. Au
programme: la préparation des interviews que les jeunes filles vont mener avec, entre autres, le ministre de
l'Aide à la jeunesse, Rachid Madrane. Maëlle (prénom d'emprunt) a préparé une longue liste de questions. «
Pourquoi les délégués nous enfoncent-ils plutôt que de nous aider ?», en est une. Caroline réagit: « Mais il
ne faut pas lui demander ça! Il va sortir son beau discours Parce que franchement, c'est bien gentil qu'il
vienne nous voir, mais qu'est-ce que ça va changer? Ça vaut quoi ce qu'on dit, nous? » C'est peut-être
quelque chose à dire à Rachid Madrane aussi, suggère David Lallemand, le responsable communication du
délégué général, qui anime l'exercice. « Il y a eu de vrais moments d'échange avec le ministre , nous
expliquera-t-il quelques jours plus tard. Les filles l'ont confronté à leurs expériences personnelles avec leurs
délégués. Au final, elles étaient contentes qu'il se soit déplacé jusque-là. »
Les jeunes filles s'essaient aussi à la radio et à la télé. Dans une petite cour, elles se filment et se
questionnent mutuellement sur la violence. Pendant ce temps-là, trois autres ados parcourent le domaine,
micro à la main. L'animatrice radio leur a demandé de présenter des endroits qui incarnent des aides d'une
part, des freins d'autre part. Elles se prennent au jeu, la voix bien posée et le discours clair: « Ici, nous
arrivons près des chevaux. L'hypo (hypothérapie), ça nous fait beaucoup de bien. Avec les animaux, il n'y a
pas de jugement, pas de remarques » Les adolescentes terminent la visite par la grande grille d'entrée,
symbole négatif. « Beaucoup de filles fuguent» , explique l'une d'elle. « Mais ce sont celles qui ne veulent
pas s'en sortir , reprend une autre. Moi, je veux faire un travail sur moi-même, pour sortir dignement. Par la
grande porte ».
A Saint-Servais, l'activité s'est terminée la semaine dernière. Actuellement, l'équipe du délégué travaille
avec des garçons au centre fermé de Wauthier-Braine. A la fois auteurs et victimes de violences, les jeunes
livrent une parole forte (lire ci-dessous). Par écrit ou à l'oral, en poésie comme en slam...
De Vos «Utilisons plus leur clairvoyance!»
Bernard De Vos est le délégué général aux Droits de l'enfant, initiateur du projet «Parlons Jeunes» depuis
juin 2013.
Comment a commencé le projet «Parlons Jeunes»?
Il a commencé au moment des premiers départs très médiatisés en Syrie. Le principe est de permettre aux
enfants et aux jeunes de donner leur avis en les aidant tout d'abord à se construire une opinion et un
discours. La plupart du temps, lorsqu'on leur demande leur avis, on leur tape un micro sous le nez et ils
n'arrivent pas à s'exprimer correctement car ils ne sont pas formés à cela. Pour le premier Parlons Jeunes
sur la Syrie, nous avons travaillé avec des jeunes des quartiers où ces questions se posaient directement.
Ensuite, nous avons organisé de tels ateliers sur la politique, la liberté et la pauvreté, dans des maisons de
jeunes, dans des écoles
Ce «Parlons Jeunes» est un peu particulier: c'est désormais «Let's talk young»...
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Depuis le début du projet, mes homologues du réseau ENOC (Réseau européen des Défenseurs des
Enfants) se montraient envieux. En général, quand les jeunes s'expriment, ils le font via des canaux
restreints, entre eux, avec leurs parents. L'idée de leur donner la parole dans les grands médias a séduit.
L'ENOC a donc souhaité étendre le projet et cette fois-ci, «Let's talk Young» a lieu simultanément dans
onze pays différents. A la fin, chaque pays produit un contenu vidéo et un film européen sera présenté.
On parle peu du droit à l'expression des jeunes. C'est un droit oublié?
Le droit à la participation et à l'expression n'est en effet pas très effectif. Pourtant c'est le droit le plus original
de la Convention relative aux Droits de l'enfant de 1989. On n'avait pas attendu cette année-là pour garantir
aux enfants les droits élémentaires d'avoir un toit, une famille, de quoi manger Je suis persuadé que le
monde adulte n'utilise pas assez la clairvoyance des jeunes pour améliorer notre société. Lorsqu'on les
forme à s'exprimer, ils produisent des réflexions très intéressantes!
Et pour eux, quels bénéfices?
Symboliquement, ça leur ouvre des portes. Que ce qu'ils disent soit publié et valorisé est essentiel. C'est ma
responsabilité de Délégué de faire en sorte ensuite que leur parole soit exploitée et prise en compte par les
adultes, par les politiques
La baffe éducative reste, les paroles s'envolent
Depuis toujours, la violence fait partie de nous. Elle est devenue une habitude. Quand on fait une bêtise et,
souvent c'est pour la petite qu'on a osé avouer, on se ramasse une gifle des parents. «Ça nous apprendra»,
apparemment. On nous dit souvent qu'il faut apprendre à résoudre ses problèmes autrement que par la
violence. Sauf que, pour moi, les paroles s'envolent, on les oublie. Par contre, les coups, on les retient. Je
me souviens bien des baffes que je me suis ramassées de mon père, je ne les oublie pas. Je ferai la même
chose avec mes enfants (Fantôme, IPPJ de Wauthier-Braine, section fermée)
A la lueur du soir , Je fais le vide / A l'heure du noir, Je fume la weed / J'ai besoin de m'évader, j'en crie /
Je le cache, mais je l'écris / A l'extérieur, je te souris / Mais dans ma tête, je péris / La rue, la drogue, la
purge / La fuite, l'envie, la lutte / Ma vie, mon son de brute (E., IPPJ de Saint-Servais)
On est tous pris pour cibles Ils disent que c'est un problème d'égalité / Moi je dirais plutôt que c'est une
couleur de peau / Rejetés par cette sale société / La jeunesse hurle / la jeunesse brûle / Elle se perd / la rue
nous récupère / Ma génération est sans repère (Slam collectif des filles de l'IPPJ de Saint-Servais)
Les productions écrites, radio et vidéo des jeunes sont visibles sur violenceparlonsjeunes.tumblr.com
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Une année avec les jeunes du service citoyen
Elodie Blogie, Le Soir, 25/06/2015, p. 10, 576 mots
Un événement tragique, comme Charlie Hebdo, et il revient au-devant de la scène. Le service citoyen est
soudainement convoqué par tous comme l'outil miracle pour répondre aux défis de plus en plus criants du
«vivre-ensemble». Et puis souvent, plus rien. Salué à l'unanimité, le service citoyen a fait l'objet, en
Belgique, d'une kyrielle de propositions de loi. Aucune n'a abouti à ce jour (voir ci-contre).
L'associatif n'a cependant pas attendu le politique et a développé quatre projets qui permettent aux jeunes
de s'impliquer entre six mois et un an dans un service citoyen. Parmi ceux-ci, le projet Solidarcité , que nous
avons suivi pendant un an. Les jeunes du projet, rassemblés par petits groupes de huit encadrés par un
éducateur, enchaînent les «chantiers» (remise à neuf de locaux d'une ASBL, animation d'enfants, etc.) et
les semaines thématiques (précarité, environnement, démocratie, etc.).
Un des principes phares du service citoyen? La mixité sociale. Le projet Solidarcité s'adresse ainsi à des
jeunes entre 16 et 25 ans de tous les milieux. On y retrouve de nombreux jeunes en décrochage scolaire.
D'autres dépendant de l'aide à la jeunesse. Certains volontaires souffrent de troubles d'ordre psychologique.
Et puis, bien sûr, il y a aussi des jeunes «sans histoire», qui sortent de rhéto ou d'une première année d'unif
peu concluante. En réalité, tous cherchent à mieux se connaître et à se construire un projet pour l'année qui
suit. D'ailleurs, les derniers mois du service citoyen Solidarcité sont davantage centrés sur la « maturation
personnelle ». Chaque jeune a la possibilité de défendre un dossier lors de la «bourse à projets» de fin
d'année. S'ils se révèlent convaincants, ils obtiennent un financement de 750 euros pour leur projet: prendre
des cours d'auto-école, reprendre une formation ou des études
Ces projets sont néanmoins de plus en plus contrôlés, les budgets de plus en plus serrés. Comme le
service citoyen n'a jamais été institutionnalisé, des projets pilotes se sont développés pendant trois ans et
continuent de vivoter, en fonction des subsides qu'ils parviennent à dénicher, ici de la Région, là de la
Fédération Wallonie-Bruxelles, etc. Le réseau Solidarcité compte 8 antennes: deux à Bruxelles, une à
Braine-l'Alleud, une à Jodoigne, une à Namur, une à Ottignies, une à Charleroi et une à Liège. Mais en
septembre prochain par exemple, l'antenne de Namur sait déjà qu'elle sera dans l'incapacité de monter le
projet. « Le dispositif de l'année citoyenne a été reconnu comme projet innovant par la Fédération , défend
Benoît De Decker, directeur de l'ASBL Solidarcité. Mais il a du mal à être financé car c'est un projet
transversal, hybride et que nous sommes dans des logiques de guichets. Tout le monde se renvoie la
balle... »
Ce jeudi, une cérémonie de clôture de l'année Solidarcité se tiendra au parlement de la Fédération
Wallonie-Bruxelles, en présence du ministre de l'aide à la jeunesse, Rachid Madrane.
Tarik 18 ans
«Au quartier, on dit que je traîne avec les Flamands, les bourgeois»
« Avant Solidarcité, j'étais à l'école, en quatrième plomberie , explique Tarik prononcez Tarek , 18 ans. J'ai
arrêté parce que ça m'a saoulé. Le côté cadrant de l'école, tout ça » Pendant des années, Tarik essuie les
échecs. L'école vire au cauchemar. Alors, il lâche tout et prend rendez-vous chez sa médiatrice scolaire,
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avec qui il tombe sur le projet Solidarcité. « J'étais complètement perdu, je ne savais pas quoi faire de ma
vie. Ici, c'est école, diplôme, diplôme, travail. Et on nous dit que sans ça, tu n'as rien » Le projet a
directement plu à Tarik. Ce qui l'a le plus séduit? « Le côté mélange culturel , répond-il spontanément. Dans
mon quartier, à Saint-Gilles, ce sont toujours les mêmes personnes, avec les mêmes mentalités, qui restent
entre eux. » S'ouvrir, mûrir, avoir plus de responsabilités et trouver sa voie: tels étaient les objectifs
ambitieux de Tarik à l'arrivée. A la sortie, c'est un sans-faute
Tarik s'est rapidement intégré à l'équipe du projet: « Je me fais des amis facilement. Et puis, j'ai bien aimé la
complicité avec les chefs d'équipe. Ils nous traitent comme des adultes, pas comme des gosses. On nous
confie des responsabilités. » Au fil de l'année, Tarik s'est éloigné de ses potes de quartiers « Ils me disaient
que je ne tiendrais pas deux semaines. Ils disent que les personnes comme nous ne peuvent pas réussir de
toute façon. Que la seule solution, c'est de casser, ou de vendre en bas de l'immeuble. Maintenant, ils me
disent que je traîne avec des Flamands Nous, quand on dit Flamands, c'est pas juste pour les Flamands,
hein , explique Tarik. Ça veut dire les bourgeois J'ai encaissé. Je me suis dit Si je réussis, je pourrai leur
montrer! »
C'est au début de l'année que Tarik a eu le déclic. Les volontaires ont en effet passé le Beps, le brevet
européen de premiers secours. Séduit, il a décidé de devenir ambulancier, lui qui s'était toujours senti attiré
par le médical. Il y a quelques mois, épaulé dans ses démarches par les animateurs de Solidarcité, Tarik est
passé à la vitesse supérieure: il a suivi une formation plus complète de secouriste (12 heures). Cet été, il
s'est inscrit pour être bénévole à la Croix rouge: il attend encore son planning pour connaître ses
affectations. Et puis, il y aura le permis. Tarik a obtenu la bourse Solidarcité de 750 euros pour prendre des
cours d'autoécole. Prochaine étape: prendre rendez-vous pour les cours. Une fois son permis en poche,
Tarik devra attendre 3 ans pour pouvoir prétendre à un poste d'ambulancier. Il compte trouver des petits
boulots d'ici là.
Pour Tarik, l'année Solidarcité, « franchement, c'est une des plus belles de ma vie! J'ai eu mes 18 ans en
plus, donc je passe dans la grande cour! J'ai changé physiquement aussi, et je suis plus mature. Ma famille
est super contente. » Une chose, finalement, à retenir? « Quand on commence quelque chose, on doit aller
jusqu'au bout , affirme Tarik. Et ne pas écouter les gens...»
Mélina, 19 ans
«Des facettes de moi que je ne connaissais pas»
Quand nous avons rencontré Mélina en octobre, elle avait 18 ans et sortait d'une rhéto en Arts à l'école
Decroly. Très timide, elle nous confiait qu'elle ne savait pas dans quelles études se lancer. Alors, pourquoi
ne pas prendre une année de pause? « Faire de l'humanitaire m'a toujours intéressée. Mais il y a déjà plein
de choses à faire dans son propre pays! L'idée de Solidarcité, c'est un peu qu'on aide les autres en s'aidant
soi-même aussi. » Pour Mélina, le principal défi était de s'affirmer. Avec l'envie aussi de se confronter à la
différence: « On croit qu'on est ouvert parce qu'on n'est pas raciste, etc. Mais au fond, on juge très vite
l'autre » Une dizaine de mois plus tard, Mélina a changé: « Demander à n'importe quel éducateur ici, il vous
dira que je ne suis plus la même fille! , lance-t-elle, enthousiaste. J'ai découvert des facettes de moi-même
que je ne connaissais pas: la fille à l'aise, qui va parler aux gens sans souci » La jeune fille a rapidement été
considérée comme l'artiste de la bande. Et elle s'est décidée: elle entamera en septembre des études pour
devenir institutrice maternelle. Une façon de concilier l'artistique et son envie de travailler avec les enfants...
- 79 -
Bill, 25 ans
«Ici, on sait que les ados qui ont des problèmes doivent être aidés»
Bill, c'est son surnom. En vrai, il s'appelle Vassilis, il est grec et il a 25 ans. C'est le doyen de l'édition
Solidarcité 2015. Bill prend pas mal de médicaments. En 2006, on lui a diagnostiqué d'importants problèmes
de psychose. Pour cet ado sans histoire issu d'une famille aisée, c'est un choc. Depuis lors, Bill a terminé
ses humanités avec peine et a tenté, l'an dernier, une première année au Vesalium College, de la VUB. En
juin 2014, on lui signifie qu'il ne peut pas continuer ses études; sa moyenne est trop basse. C'est en octobre
qu'il passe un entretien puis est admis à l'année citoyenne Solidarcité: « Je voulais être occupé, rencontrer
des gens, vivre des expériences , explique le jeune homme. Au début, c'était difficile. Il fallait s'intégrer.
Dans l'équipe, tout le monde est très différent. Mais ça aide beaucoup: il y a des échanges qui n'existent
plus dans les écoles » . Bill nous révèle la fresque qu'il vient de réaliser, qui reprend mois par mois son
parcours. Avant Solidarcité, Bill est « déprimé» , les smileys tirent une triste gueule. Au fur et à mesure, Bill
se sent mieux: «J e me sentais mieux parce que je faisais partie d'un groupe, qui a des horaires, des lois,
des buts. C'est très bien pour moi, j'ai des pensées plus positives. Être volontaire, ça aide: on se sent utile,
on peut aider les gens. Et puis, ici tout le monde se respecte. Il y a une très grande sensibilité aux gens. On
sait que les ados qui ont des problèmes doivent être aidés.» En septembre prochain, il aimerait entamer des
études en psychologie: « Mes difficultés m'ont aidé à mieux comprendre les autres» . Et de tirer ses propres
enseignements de son année Solidarcité: « Ce qui m'a aidé beaucoup, c'est de savoir que chacun est
différent...»
Des propositions qui peinent à aboutir
Si l'année 1994 marque la fin du service militaire et l'enterrement de son équivalent civil, la première
proposition de loi en faveur d'un service citoyen volontaire est déposée dès 1999 par le CDH André du Bus.
Les propositions (CDH, MR) se multiplient ensuite. En 2003, une loi est même votée Mais les arrêtés
d'application se perdent d'un ministre à l'autre (de Flahaut à De Crem) et la loi ne sera donc jamais
appliquée. En 2011, le CDH André du Bus redépose sa proposition, qui est alors portée au parlement. Puis
le gouvernement tombe!
Depuis les attentats de Charlie Hebdo, les partis se sont à nouveau saisis de la question, comme ils
l'avaient fait au lendemain de l'assassinat de Joe Van Olsbeeck La Plateforme pour un service citoyen, qui
regroupe 200 associations, a tenté de fédérer les différents acteurs, en publiant une carte blanche qui
plaidait pour la création d'un service citoyen fédéral. Le texte était notamment soutenu par des ténors de
pratiquement chaque parti politique (de Laurette Onkelinx à Louis Michel, en passant par Isabelle Durant,
Herman De Croo, Wouter Beke, Didier Gosuin, etc.) Reste que « certains partis ont voulu récupérer cette
dynamique », glisse-t-on dans le milieu. Le CDH a redéposé une proposition. Tandis que le PS, qui ne
s'était jamais emparé du dossier, a lui aussi déposé sa propre proposition Alors que les libéraux avaient
invité les deux partis de l'opposition à déposer une proposition commune, nous confie-t-on de source sûre.
Une attitude politicienne qui en énerve plus d'un du côté de l'associatif: « C'est mettre une épine dans le
pied du service citoyen , nous une source du secteur. Il est clair que, dans un tel climat de tensions, si cela
vient de l'opposition et a priori plus encore du PS, ça ne passera jamais! L'initiative doit venir de la majorité!
- 80 -
» En l'occurrence, le député MR, Philippe Goffin, a mis en place un groupe de travail sur l'instauration d'un
service civique ou citoyen, avec le centre Jean Gol. A suivre...
Etre et devenir citoyen
Contributions - enseignement.be, , p. 1-204
"Si l’enseignement initie à la citoyenneté de manière transversale, il nous a semblé important que les
enseignants ayant en charge des élèves de la fin du secondaire puissent disposer aussi d’un outil qui leur
présente, de manière succincte et attractive, une série de notions, de valeurs, d’institutions sur lesquelles se
fondent notre société, une société dont ils seront bientôt des acteurs à part entière. Cette brochure rédigée
par d’éminents spécialistes, et les pistes didactiques qui l’accompagneront, est un viatique : celui qui devrait
leur permettre d’entrer mieux informés, c’est-à-dire plus libres, dans le monde complexe qui s’offrira à eux
demain."
http://www.cedes.be/ressources/articles-gratuits-23-04-08/Etre%20et%20devenir%20
citoyen%20-ressource%208119.pdf
3.4.1.1 S'approprier les réseaux sociaux pour en parler avec les élèves
Site de Autour du Tuto
Présente 10 tutoriels pour apprendre Facebook. Comment créer une Fan Page Facebook? Comment
partager automatiquement ses articles sur Facebook et Twitter? Comment éditer un commentaire sur
Facebook? Comment sauvegarder ses données sur Facebook?...
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-autour-du-tuto-1
Site de Autour du Tuto
Comment s'inscrire sur Twitter? Comment sécuriser un compte Twitter? Comment partager
automatiquement ses articles sur Facebook et Twitter? Comment supprimer une application sur Twitter?
Comment utiliser Twitter et Wordpress? Ce guide, très complet, livre tous les trucs et astuces pour une
utilisation optimale de Twitter.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-autour-du-tuto
- 81 -
Site de Mondoblog
Propose un dossier sur l'utilisation des réseaux sociaux avec de nombreuses captures d'écran permettant
une meilleure compréhension des outils. Grâce à ce tutoriel, vous saurez ce qu'est Twitter, comment s'y
inscrire, comment tweeter, comment intéragir avec quelqu'un, comment créer une Fan Page sur
Facebook,...
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-mondoblog
Site de Twoutils
Propose divers tutoriels pour débuter sur Twitter ainsi que de multiples astuces pour en faciliter l'usage.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-twoutils
Site de PMTIC
Via ce module d'auto-apprentissage en ligne, l'élève sera capable d'effectuer des recherches efficaces sur
Internet.: ouvrir un navigateur web, appliquer les règles permettant de choisir des mots clés efficaces pour
une recherche, appliquer les critères d’analyse de fiabilité d’un site.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-pmtic-9
Site de PMTIC
Via ce module d'auto-apprentissage en ligne, découvrirez comment publier et partager des informations sur
la toile via des blogs, wikis ou sites spécialisés dans l'hébergement de photos, vidéos ou musiques. Vous
apprendrez également à identifier les traces que vous laissez sur la toile.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-pmtic-7
Site de PMTIC
Donne accès à un ensemble de modules qui permettent un auto-apprentissage en ligne pour une meilleure
approche de la navigation sur le Web: se diriger dans un site web, utiliser les moteurs de recherche afin de
trouver les informations que vous cherchez, remplir un formulaire, se protéger sur la toile.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-pmtic-8
Site de PMTIC
Donne accès à un ensemble de modules qui permettent un auto-apprentissage en ligne pour une approche
des médias sociaux: Twitter, Skype, Facebook, LinkedIn, Twitter.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-pmtic-6
3.4.1.2 Initier les élèves à un usage réflexif, citoyen et responsable d’Internet et des
réseaux sociaux
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Internet et les jeunes: guide à l'usage des enseignants du
1er degré
Jessica Dallapicolla, Sarah Gallez, Françoise Navarre, Amélie Pierre, , p. 1-204
Ce guide a pour objectif d'initier les élèves à un usage réflexif, citoyen et responsable d’Internet tout en
s’amusant ; susciter une réflexion sur les usages des jeunes en termes d’opportunités et de risques ;
envisager un bon usage de l’outil Internet sans le diaboliser ; apprendre aux jeunes à maîtriser l’outil sans
se laisser maîtriser.
http://www.cedes.be/ressources/articles-gratuits-23-04-08/Internet%20et%20les%20
jeunes%20-%20guide%20a%20l%20usage%20des%20enseignants%20du%201er%20degre%20-res
source%207005-1.pdf
Site de Je décide
Le site a pour objectifs de sensibiliser et responsabiliser les jeunes par rapport à la protection de leurs droits
fondamentaux. Le site vise quatre groupes cibles : les enfants, les adolescents, les parents et les
professionnels de l’éducation et délivre pour chacun des informations sur un usage des nouvelles
technologies respectueux de la vie privée. Le site contient des mises en situation concrètes, conseils et
fiches pratiques pour prolonger la réflexion mais également d'articles de presse et d'un glossaire.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-je-decide
Site Internet sans crainte.fr
Propose des pistes pour une exploitation pédagogique du jeu sérieux 2025Exmachina dont l'objectif
consiste à sensibiliser les jeunes aux notions de responsabilité individuelle et collective des actions sur les
réseaux sociaux.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-lacademie-de-toulouse-5
Site de PIPSA (Pédagogie Interactive en Promotion de la
Santé)
"Réseaux sociaux, parlons-en" est un outil pédagogique,facilitateur de débat, consacré à l'usage des
réseaux sociaux. Il se compose d’un DVD et d’un carnet pédagogique et fournit des informations utiles, des
repères, des conseils, afin d’acquérir un comportement responsable sur les réseaux sociaux.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-pipsa-pedagogie-interactiveen-promotion-de-la-sante
Site de Child Focus
Propose diverses vidéos d'animations sur l'usage sûr et responsable d'Internet. Le site est découpé en 4
volets correspondant à 4 publics: enfants, adolescents, parents et professionnels.Le but de ce site est
d'aider les adolescents à protéger leur vie privée sur la toile, à avoir un esprit critique et à comprendre le
phénomène de cyber-harcèlement, à l'aide de jeu pédagogique et conseils concrets.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-child-focus
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Site de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et
des libertés)
Cette nouvelle rubrique est destinée aux enseignants et aux professionnels de l'Education. La CNIL met à
leur disposition: a) La version interactive de l’édition spéciale « enseignant » de l’ACTU, sur le thème de la
géolocalisation et de la vie privée; b) La version interactive de l’édition spéciale « enseignant » de l’ACTU, le
journal des 14-18 ans, sur le thème de la protection de la vie privée sur Internet; c) 12 fiches
méthodologiques résumant "l’essentiel à retenir" et des astuces sur un thème donné, comme par exemple:
"Créer un blog ou un site web", "Surfer en toute sécurité", "S'inscrire sur un réseau social", etc.; d)13 fiches
pédagogiques, pour animer des ateliers ou proposer des idées de débats ou d'exposés, comme par
exemple: "Les données personnelles", "Le cyberhacèlement", "Le teen-marketing", etc.; e) Un guide «
informatique et libertés » pour l'enseignement du second degré. Destiné aux chefs d’établissement, il
rappelle les règles à respecter lors de la création de fichiers ou de dispositifs de surveillance tels que la
biométrie dans les cantines scolaires ou la vidéosurveillance.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-la-cnil-commission-nationale
-de-linformatique-et-des-libertes
Site de l'Isoloire.net
Alors que notre société vit une "transformation numérique" dont la portée et les conséquences sont loin
d'être comprises et maîtrisées, L’Isoloir / Citoyenneté & Numérique se propose de mettre en débat avec les
jeunes quelques-unes des grandes questions auxquelles même les adultes n’ont pas encore trouvé toutes
les réponses: quelle liberté d'expression voulons-nous sur Internet? Quel type d'enseignement privilégier
pour que tous maîtrisent le numérique? Quelle(s) identité(s) voulons-nous en ligne? Internet défie les
frontières. Qui doit décider comment le réguler? Quelle position adopter vis-à-vis de la géolocalisation ?
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-lisoloire.net
Site de Scoop - L'actualité dans votre classe
Activités pédagogiques sur les attentats terroristes à Paris. Au travers de différentes fiches pédagogiques et
via l'exploitation de la presse, l'élève sera capable de: - Expliquer les attentats en répondant à 5 questions; Nommer et situer les endroits ciblés par les attentats de Paris; - Colliger des informations sur les 6 endroits
ciblés lors du 13 novembre 2015; - Constater les réactions des gens sur les médias sociaux; - Résumer les
propos de différents chefs d’État; - Observer différents moyens utilisés pour soutenir le peuple français; Réfléchir sur les impacts et les répercussions sur la société suite à des attentats.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-scoop-lactualite-dans-votreclasse
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Site de la RTBF-Education aux médias
Un site web qui a pour objectif de nous donner des clés pour utiliser les médias de manière active, réactive,
créative et critique, et ainsi nous permettre d'exercer pleinement nos droits au quotidien. Le site donne
accès à quelques programmes audiovisuels, à un Agenda (qui vous informe des programmes, activités ou
événements à venir),... ainsi qu'à une rubrique permettant d'améliorer notre sens critique face au contenu
de la presse. Le site permet également aux élève de jouer un rôle dans la production et la création de
médias, dans des émissions comme "Libre échange", mais également de découvrir la RTBF, de collaborer à
des ateliers, assister à des émissions,etc.
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-la-rtbf-education-aux-medias
3.4.2 Apaiser les tensions en ouvrant le dialogue: comprendre l'Autre pour
adopter, à son égard, une attitude respectueuse et tolérante
Site de Francetv éducation
Un dossier multimédia sur les trois religions monothéistes pour apprendre sur la manière dont l'Autre vit sa
croyance et pour évoluer vers une attitude plus respectueuse et tolérante...
http://www.cedes.be/ressources/siteinternet/site-de-francetv-education-5
Dialoguer toujours plus avec les musulmans
Christian Laporte, La Libre Belgique, 16/11/2015, p. 28, 668 mots
Samedi soir, à la messe dominicale anticipée à Louvain-la-Neuve, le P.Philippe Henne, op, proche du
mouvement Solidarité Orient très préoccupé par le destin des chrétiens sur place et le diacre permanent
Jacques Bihin ont d'emblée marqué leur proximité avec les victimes des attentats, mais aussi avec les
musulmans qui vivent leur religion de manière pacifique. Une prise de position non équivoque à l'instar des
propos tenus dans la majorité des lieux du culte chrétien où on s'apprêtait plutôt à marquer la Fête du Roi. Il
n'en alla pas autrement aux "Te Deum" de Bruges et de Bruxelles où NN SS Jozef De Kesel et
André-Joseph Léonard, le nouvel et l'archevêque sortant ont focalisé leur intervention sur la nécessité de
construire ensemble un monde plus juste basé sur la miséricorde et le respect. Dix mois après l'attaque
contre Charlie Hebdo, les catholiques comme les représentants d'autres cultes et la laïcité organisée ont
très vite redit leur solidarité et leur refus de condamner tout l'Islam. Mais la teneur et la gravité de leur
propos sont encore plus engagés.
Les terroristes, des blasphémateurs
Lors de son Angélus, dimanche midi, sur la place St-Pierre, le pape François a tenu à "réaffirmer avec force
que le chemin de la violence et de la haine ne pourra jamais résoudre les problèmes de l'humanité !" Et
d'ajouter qu' "utiliser le nom de Dieu pour justifier ce chemin, ces choix, c'est un blasphème" . Du sommet
de l'Eglise à la base, l'heure est plus que jamais au maintien sinon à l'accentuation du dialogue avec les
musulmans pour aller à contre-courant des amalgames qui ont repointé le bout de leur nez.
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Le hasard a voulu que les violences de Paris aient eu lieu alors que débutait l'édition 2015 de la Semaine de
rencontres islamo-chrétiennes.
Une "Semaine" plus que jamais utile
Cette initiative qui remonte à une bonne quinzaine d'années a été lancée en France à l'entame de ce siècle
à Evry. Depuis lors, pareil événement se tient aussi au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et chez nous, à la fois
dans la région bruxelloise et à Louvain-la-Neuve. Philippe de Briey, une des chevilles ouvrières de l'initiative
en Brabant wallon ne cache pas un certain désarroi même s'il cite le Dalaï Lama qui invite tous les hommes
de bonne volonté à ne pas se décourager.
"Certes, précise Philippe de Briey, des efforts énormes devront être accomplis si on veut éviter une
aggravation de cette spirale de guerre. Il faudra combattre tout ce qui favorise le fossé entre "eux" et "nous"
car c'est dans cette idée qu e germe et gran dit le rejet mutuel, le repli ou le mépris, et la haine enfin" . Et de
lancer aussi un appel aux décideurs politiques : "Nous devrions pousser nos dirigeants à rechercher
activement la paix et la justice, tant au niveau international que national, plutôt que de penser seulement
aux moyens militaires et sécuritaires. Ce sera sans doute encore plus difficile qu'avant, mais aussi plus
nécessaire que jamais".
Ne pas se laisser envahir par des réflexes de repli sur soi, c'est aussi l'appel lancé par le doyen de Liège
Eric de Beukelaer sur son blog : "La meilleure réplique à leur violence, est de fortifier notre colonne
vertébrale intérieure. Et ceci que nous soyons croyants, agnostiques ou athées... Faisons mentir la
caricature d'un Occident jouisseur et matérialiste que nous sommes parfois, mais pas exclusivement.
Montrons-leur le visage d'un Occident qui jardine son intériorité. Un Occident qui prie. Que cette prière soit
religieuse s'adressant à Dieu ou laïque se tournant vers l'humanité."
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Musulmans, non-musulmans, la peur, ironiquement, nous
unit
B.Dx, Le Soir, 17/11/2015, p. 16-17, 81 mots
Alors que j'étais en train d'écrire ce texte, ma femme et mes deux filles se préparaient pour aller se
promener en ville, et soudain, j'ai ressenti une seule émotion: la Peur.
J'ai eu peur qu'alors qu'elles seraient dans le métro, ou qu'elles profiteraient du nouveau piétonnier dans la
ville, ou qu'elles seraient assises à la terrasse d'un café, un terroriste de Daesh, aveuglé par la haine et une
idéologie fasciste, ouvre le feu et tue ma famille. J'ai eu peur que quelques militants d'extrême droite voient
ma famille au look arabe et décident de se venger des attaques de Paris. La peur est le sentiment qui
domine dans la communauté musulmane en Europe. Nous pourrions être tués par les terroristes comme
n'importe quel autre citoyen; nous pourrions être tués dans des actes de représailles. Nous pourrions être
arrêtés, humiliés et même tués par la police pour avoir, à leurs yeux, une «tête de terroriste». Et, où que
nous allions, nous avons à répondre des actes d'une secte meurtrière qui tue surtout et avant tout des
musulmans et détruit leur pays. La peur, résultat logique du terrorisme, prend même des formes plus
subtiles; j'ai peur que mes enfants soient harcelés à l'école, qu'ils ne puissent plus être capables de vivre
leur innocence. Mes enfants ne savent pas encore ce qu'est leur religion: leur identité est leur innocence. En
janvier dernier, après les attaques de Charlie Hebdo , un professeur a demandé à ma fille de 5 ans si elle
voulait bien manger du porc en solidarité avec les gens qui avaient été tués par deux méchants
«Messieurs» à Paris. Hormis le fait que ma fille était horrifiée en entendant parler de méchantes personnes
tuant d'autres personnes dans la vraie vie, elle était aussi perturbée par l'étrange question de son
professeur. Ma fille n'a aucune idée de ce qui est Halal et Haram. Et pourtant elle a répondu « non »!
Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle m'a dit: « Je ne mange pas de cochons, car les cochons comme
Peppa Pig, sont mes amis. » Mon cœur s'est brisé. Mes enfants ont changé d'école cette année, et j'espère
que le nouvel établissement aura une approche différente de la solidarité que celle qui consiste à
tourmenter les enfants. Mais l'idée que mes filles devraient encore avoir à répondre pour les actes de
quelques fanatiques me terrifie.
Musulmans, laïcs: il faut changer de paradigme
Nous vivons dans des mondes séparés, nous nous regardons de loin, et de temps en temps, nous
prétendons que nous vivons ensemble, que nous sommes les mêmes. Mais aujourd'hui, ironiquement,
quelque chose nous lie: nous avons tous peur. Et croyez-moi, parmi ceux qui ont peur, ce sont les
musulmans, que ce soit en raison de leur foi ou de leur culture, pratiquants ou non, qui ont le plus de
raisons d'être inquiets. Le plus important est de ne pas capituler devant cette peur, de ne pas céder à
l'urgence de créer de nouveaux murs de séparation et des clôtures. Ce dont nous avons besoin aujourd'hui
est un leadership courageux. Nous avons besoin de mesures de sécurité contre les terroristes, et au même
moment, d'une police plus soft, plus inspirée démocratiquement et plus sympathique envers le citoyen. La
police ne devrait pas nous effrayer mais nous protéger. Nous avons aussi besoin d'un changement de
paradigme dans la manière dont nous comprenons notre religion comme musulmans. Nous ne pouvons pas
déshumaniser les gens en les appelant «Kafir» et en adhérant aux enseignements de prédicateurs de haine
comme Ibn Baz et Ibn Taymiyya, et au même moment attendre de la tolérance. Nous, les laïcs, avons aussi
besoin d'un changement de paradigme dans la manière dont nous comprenons notre «laïcité». Nous ne
pouvons pas attendre d'avoir une religion plus tolérante sans avoir une approche plus tolérante du
sécularisme qui ne soit pas anti-religieuse. Poussez les gens continuellement dans un coin, et non
seulement ils seront défensifs et conservateurs, mais certains d'entre eux seront aussi des proies faciles
pour les recruteurs extrémistes. Nous avons aussi besoin d'un changement de paradigme dans la manière
dont nous gérons notre diversité. Nous ne pouvons pas avoir des sociétés harmonieuses alors que nous
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protégeons les privilèges de certains, au-dessus des droits des autres. Nous avons besoin d'une politique
étrangère plus équilibrée et éthique. Nous ne pouvons pas soutenir des guerres, bombarder des peuples,
avoir des alliés violents, coloniaux et dictatoriaux, et ensuite espérer être pris au sérieux quand nous
prêchons le pluralisme, la justice et la paix chez nous. Aujourd'hui, nous sommes encore dans le même
bateau; nous sommes encore ensemble dans ce combat contre les terroristes. Ma plus grande crainte est
que la répression aveugle et les politiques populistes que certains sont en train de préparer pour nous tous
vont nous diviser, et vont vite se sauter à la gorge, chacun de notre côté, chacun sur notre barricade. Alors,
il sera trop tard. Et cela pourrait être notre plus grande peur.
Dyab Abou Jahjah
Il a fondé dans les années 90 la Ligue arabe européenne. Personnage controversé à l'époque, il se définit
comme activiste, vit à Bruxelles et est le créateur de Mouvement X, mouvement citoyen regroupant
quelques personnalités, surtout flamandes, et qui avait organisé une manifestation à Anvers après les
propos de Bart De Wever désignant les Berbères comme groupe rétif à l'intégration. Il tient une chronique
dans De Standaard .
4 En conclusion, est-il impératif d'enseigner l'histoire des religions, de la
laïcité ainsi que celle des guerres de religion? Cours de religion, stop ou
encore?
La religion à l'école?
Après l’attentat contre Charlie Hebdo, une question est vite arrivée sur la table. Et si tout cela était de la
faute de l’école? Selon certains, celle-ci n’aurait pas assez enseigné de notions telles que le vivre
ensemble. D’autres ont repris des propositions antérieures portant sur l’ajout de cours de citoyenneté dans
le cursus scolaire. D’où l’idée de réaliser un grand débat sur la place du cours de religion à l’heure actuelle.
Pour le réaliser, "Le Soir" réuni un grand panel d’invités venus d’horizons différents: parents, professeurs,
élèves, politiques,… (125 min)
http://www.cedes.be/ressources/k7video/la-religion-a-lecole
De l'Islam à l'islamisme
Jacques Sojcher, La Libre Belgique, 21/01/2015, p. 55, 1086 mots
Je ne suis pas un spécialiste du Coran. Je l'ai lu dans la traduction d'Edmond Montet, avec la belle préface
de Malek Chebel (Ed. Petite Bibliothèque Payot). J'ai vite compris qu'on pouvait facilement, en isolant
certains versets d'une sourate, glisser de l'Islam à l'islamisme.
Il est ainsi écrit et répété dans le Coran qu'"Allah n'aime pas les incroyants" (II, 29), qu'il "les maudit et qu'un
supplice ignominieux" leur est réservé (II, 83, 84), qu'il est le "Maître de la vengeance" (III, 3), que les "pires
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bêtes, aux yeux d'Allah, sont ceux [] qui ne veulent pas croire" (VIII, 57). Que les enfants d'Israël ne croient
pas à la nouvelle révélation et ont faussé les écritures qui avaient prédit l'Islam (II, 38). Enfin que "ceux qui
se sont tués dans la voie d'Allah", ce ne sont pas des morts, "ce sont des vivants" (II, 149).
Des imams peuvent aisément, avec la violence de tels versets, fanatiser des musulmans qui n'ont souvent
pas lu le Coran et qui connaissent encore moins les commentaires des savants théologiens. Ce qui aurait
pu nourrir et éclairer leur foi risque de faire d'eux des obscurantistes.
Le regretté Mohammed Arkoun, professeur d'histoire de la pensée islamique à la Sorbonne et auteur de
nombreux essais sur l'Islam a toujours plaidé pour un enseignement universitaire de l'Islam dans un cours
d'anthropologie des religions. L'ignorance peut conduire au radicalisme de l'inculture. La non-connaissance
des religions est, il faut le reconnaître, assez générale. Un cours d'histoire des religions et de la laïcité
devrait voir le jour de toute urgence du primaire aux classes terminales du lycée et être suivi par tous les
élèves. Il permettrait à chacun de mieux connaître sa tradition cultuelle et culturelle et celles des autres. Il
ouvrirait à une communauté des différences et à une plus grande tolérance.
Ce n'est pas un hasard si les tueurs jihadistes français ont voulu détruire Charlie Hebdo, symbole de l'esprit
d'irrévérence et de la liberté totale de pensée. Pas un hasard s'ils ont tué des juifs, poussés par un
antisémitisme omniprésent dans l'islamisme et aussi trop souvent chez des musulmans modérés.
Antisémitisme nourri et fortifié par le conflit israélo-palestinien comme si les juifs de France et de Belgique
étaient tous des complices de la politique de Netanyahou.
Pas un hasard enfin si la France, pays des libertés et du combat contre les jihadistes d'Al Qaïda et du
Daech, fut choisie pour perpétrer ces crimes.
Le projet est clair : la destruction du vivre-ensemble dans une société démocratique laïque et plurielle. La
haine, la volonté de vengeance, le culte des martyrs, la mise à mort des mécréants, des juifs et des
musulmans tolérants.
Comment dialoguer avec ces fanatiques ? Comment dialoguer avec un intégriste qui refuse l'altérité ? C'est
en amont qu'il faut ici et maintenant parler, écouter, éduquer, ouvrir le débat. Cela passe par l'école, par les
médias, par la rencontre avec les musulmans qui se sentent sujets de suspicion, victimes d'amalgame,
d'exactions et d'une islamophobie grandissante. Ces jeunes parfois mal intégrés, sans instruction, sans
travail, sans reconnaissance sociale, sans perspective d'avenir, ne se sentent pas citoyens à part entière.
Stigmatisation et rejet peuvent entraîner la fuite vers le jihad qui peut donner l'illusion de l'héroïsme alors
qu'il n'est que barbarie.
Ici intervient le travail du politique. Même en période de crise et d'austérité, il faut donner des moyens pour
plus d'éducateurs, d'entraîneurs sportifs, de lieux de dialogue, de possibilités d'insertion et de
reconnaissance sociale et aussi plus de sécurité pour que le vivre-ensemble ne soit plus menacé. Cela
suffira-t-il, quand l'on sait que des musulmans apparemment bien intégrés peuvent aussi se radicaliser et
sombrer dans le terrorisme.
La tâche est immense, elle est à mener par chacun citoyen, qui est responsable du regard qu'il porte sur
l'autre : le musulman, le juif, le catholique, l'athée.
Se pose le problème des prisons où des gourous islamistes endoctrinent des petits délinquants et les
préparent au jihad. L'isolement des instructeurs intégristes, l'envoi d'aumôniers modérés et éclairés dans les
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prisons est sans doute un début de solution.
On ajoutera bien sûr le problème des sites Internet qui font de la propagande, diffusent des propos racistes
antisémites mais aussi islamophobes.
Reste la guerre contre le fondamentalisme terroriste en Syrie, en Irak, au Yemen, en Libye, dans le centre
Afrique le long combat contre la barbarie qui aujourd'hui porte le drapeau noir de l'islamisme.
Ici une question. Des milliers de musulmans ont manifesté dans les pays musulmans contre la couverture
du dernier numéro de Charlie Hebdo représentant une caricature du prophète pas pour les deux mille morts
musulmans massacrés par les jihadistes nigérians de Boko Haram à Baga, une localité du nord-est du
Nigéria. La représentation du prophète (nullement interdite par le Coran) serait donc plus importante que le
massacre de milliers de musulmans modérés ?
Quand les ismes auront disparu, le monde ira peut-être mieux. Quand l'Islam pourra vaincre ses difficultés à
accepter la laïcité, la séparation du religieux et du temporel (cela vaut pour les juifs intégristes en Israël),
quand l'homme sera aussi important, sinon plus que Dieu, l'Islam sera guéri de l'intégrisme. Mais je crois
que chaque religion porte en elle une forme d'intolérance, en prétendant détenir la Vérité révélée ( "Via
Veritas" dit saint Jean en parlant de Jésus). Sans questionnement, voire sans remise en question, les
intégristes, quels qu'ils soient, radicaliseront la religion.
Seule la libre pensée pourra empêcher la religion de devenir un absolu qui isole, oppose et bientôt
déshumanise.
Cours de religion: stop ou encore?
Eric Burgraff, William Bourton, Philippe De Boeck, Corentin Di Prima, J.-F. Lws,
X.c., Le Soir, 22/01/2015, p. 19-21, 540 mots
Quelques rafales mortelles de Kalachnikov en plein cœur de Paris. Des journalistes caricaturistes sacrifiés
sur l'autel de la liberté d'expression. Des Juifs assassinés en raison de leur seule judaïté. Des policiers
menacés. Puis des millions de personnes dans les rues pour dénoncer la barbarie, pour afficher résolument
l'impérieux respect de nos libertés fondamentales.
Quelques rafales mortelles de Kalachnikov en plein cœur de Paris et le monde bascule dans un modèle
plus dual que jamais opposant, pour faire bref, musulmans et non-musulmans.
Et si tout cela était la faute de l'école? Et s'il suffisait, comme on l'a lu çà et là sur des calicots, de «
combattre les cons par l'éducation »? A questions simplistes, réponses simplistes. Un, si des cons ont tué,
ce n'est pas la faute d'une institution scolaire volontiers accusée de tous les maux. Deux, quelques cours
supplémentaires de «citoyenneté» ou de «vivre ensemble» l'appellation a peu d'importance en fait ne
suffiront pas à régler le problème. Par contre, ils pourraient le prévenir C'est dans cet esprit qu'une
controverse fait rage entre politiques, philosophes, religieux, partisans de la morale laïque C'est dans cet
esprit que Le Soir a pris l'initiative de rassembler autour d'une même table les protagonistes de l'affaire.
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Pour charger l'école? On sait trop bien dans ce journal que la barque de l'institution scolaire est déjà fort
lourde, qu'entre les langes des maternelles, les conflits d'ados, les joints qui circulent discrètement et les
exigences de parents envahissants les enseignants cherchent parfois du temps pour enseigner. On sait trop
aussi que si l'école n'est pas responsable de la montée des extrémismes on radicalise plus en prison que
dans les cours de récré , elle a une mission essentielle: éduquer. Et du temps pour le faire, occupé
aujourd'hui par la religion ou la morale laïque. Eduquer en latin, c'est «Educare», ce qui signifie «instruire»
mais aussi «conduire hors de soi-même», «faire éclore». Contextualisant «educare» dans L'héritage de la
liberté , Albert Jacquart explique: «L'objectif premier de l'éducation est évidemment de révéler à un petit
d'homme sa qualité d'homme, de lui apprendre à participer à la construction de l'humanitude». Dans un
cours de citoyenneté, éduquer pourrait devenir «conduire les étudiants hors de leur cadre de vie»,
«s'éclore», s'ouvrir à la culture du voisin, y compris à sa religion ou son engagement laïque. Un cours de
citoyenneté pourrait permettre de «participer à la construction de l'humanitude» .
Possible dans un pays où même la Constitution se mêle de ces questions? Alors qu'une déclaration
gouvernementale avait ouvert la porte bien avant que ne tirent les Kalachnikov c'est sans doute moins
impossible que jamais. Et c'est ce que Le Soir a voulu vérifier.
Edouard Delruelle «Les lignes bougent»
Faut-il maintenir, réformer, supprimer, remplacer les cours philosophiques à l'école? La question était au
cœur du grand débat organisé hier, à la rédaction du Soir . Nous avons demandé à Edouard Delruelle,
professeur de philosophie politique à l'ULg, de tirer les grands enseignements de la soirée.
Qu'est-ce qui vous a frappé dans notre débat?
Ce qui m'a frappé, c'est d'abord la mise en cause des cours dits «philosophiques» parce qu'ils séparent les
élèves. L'autre grand reproche fait à ces cours, c'est leur manque de consistance. Ainsi, quand on parle de
citoyenneté, est-ce qu'on fait vraiment du droit? En ce qui concerne le fait religieux, en tant que professeur
d'université, je pourrais vous parler de l'ignorance totale des élèves, y compris de leur propre religion. Pour
ne rien dire de la philosophie, qui n'est quasiment pas enseignée Et là, on voit bien la quadrature du cercle.
Soit on continue à faire des cours relativement cloisonnés, assez lourds en termes de connaissances, avec
le risque de dogmatisme. Soit on est complètement ouvert, complètement pluraliste et on peut tomber dans
le relativisme; ou on saupoudre on fait un petit peu de citoyenneté, un petit peu de droits de l'homme, un
petit peu de religion, etc. et dans ce cas-là, le cours devient inconsistant et inintéressant. Bref, on voit qu'on
ne sait pas très bien sur quel pied danser.
On a tout de même le sentiment que les lignes bougent...
J'ai effectivement le sentiment que les lignes bougent un petit peu et qu'il y a vraiment une remise en cause
de ces cours tels qu'ils se donnent aujourd'hui. D'un autre côté, je n'ai pas senti que le débat est encore
suffisamment mûr pour qu'on sache exactement ce qu'on doit faire pour remplacer les cours actuels. La
critique a été faite et personne ne remet en cause les enseignants: il ne s'agit pas de ça mais on ne sait pas
exactement ce qu'on veut assigner comme objectifs à de nouveaux cours.
Est-ce qu'on n'attend pas trop de ces nouveaux cours?
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Si. En fait, on leur demande de transmettre des valeurs. Je suis très circonspect par rapport à cela. Je
pense que la première mission de l'école, ce n'est pas de transmettre des valeurs mais de transmettre des
savoirs. C'est la fameuse querelle entre Condorcet «transmission de savoirs» et Jules Ferry «transmission
de valeurs». Instruction versus éducation. Je pense que même dans ces cours-là, il faut d'abord se
concentrer sur les savoirs. Et là, si tout le monde semble d'accord sur la question de l'éducation éducation
civique, philosophie, critique, la question de l'instruction ce qu'on va véritablement apprendre, «apprendre
par cœur», serai-je tenté de dire reste entière. On n'y est pas encore.
Au fond, est-ce qu'une réforme des cours philosophiques est vraiment la priorité de l'école,
connaissant l'immensité de ses défis et son manque de moyensafférents?
Je pense que si on se focalise sur ces cours de religion, c'est parce qu'ils sont l'abcès de fixation de deux
problèmes qui sont totalement étrangers l'un l'autre: l'enfermement des différentes cultures et des
différentes convictions, et l'échec fondamental de l'école dans toutes ses fonctions: du calcul à l'éducation
physique. Et s'il y a bien un cours qui apparaît comme un cours «d'eau tiède», c'est le cours de religion ou
de morale Ces deux questions viennent en quelque sorte surdéterminer le problème. Maintenant, et cela a
été dit lors de votre débat, il ne faut pas attendre de l'école qu'elle règle les problèmes de géopolitique, de la
place de l'islam en Europe aujourd'hui, ou des extrémistes et des radicaux! Par contre, une chose est
d'empêcher qu'émergent des Kouachi et des Coulibaly ça, ce n'est pas le problème de l'école mais autre
chose est que ces Kouachi et ces Coulibaly soient comme des poissons dans l'eau dans l'école Et ça, je
pense que c'est le rôle de l'école que de tels personnages ne soient pas comme des poissons dans l'eau
dans leur propre religion et leur propre culture.
Et les politiques là-dedans?
Je pense que les politiques ont bien pris la mesure que les lignes avaient bougé. J'ai été surpris du peu de
«politisation» lors des échanges politiques en tant que tel.
1. L'école doit-elle parler de religion?
Faut-il maintenir des cours de religion ou des cours de morale laïque à l'école? En France, il n'y en a plus
depuis longtemps.
Les avis sont partagés, même si beaucoup ne se posent même pas la question. Le seul qui a un avis très
clair s'appelle Carlo De Pascale. Animateur culinaire à la RTBF, il se bat contre le principe de devoir choisir
dans l'enseignement officiel. Après avoir épuisé tous les recours possibles contre cette obligation, son cas
est en traitement à la Cour constitutionnelle.
« Je me bats pour un non-choix , explique-t-il. Comme on ne peut pas refuser, j'ai décidé de me battre
contre ce principe. Ce que je demande est très clair, c'est que nos enfants aient un cours sur le vivre
ensemble ou la citoyenneté. Ne les séparons plus. Car plus on sépare nos enfants, plus on crée des
ghettos. Cela se fait déjà dans certaines écoles du libre comme à Decroly où ça se passe très bien. »
« Dans une étude que nous avons réalisée sur le sujet, il ressort très clairement que les parents veulent
autre chose à la place: un cours de citoyenneté ou d'histoire des religions. En tant qu'association, nous
estimons que la religion relève de la sphère privée », explique le président de la Fapeo, Luc Pirson. « Les
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parents veulent une approche globale de l'éducation, ils souhaitent surtout moins d'inégalités et de
désespérance », ajoute Delphine Chabbert (Ligue des familles).
Le cours de religion, une chance ou un problème? Pour Etienne Michel, du Segec, le problème se situe
surtout dans l'enseignement officiel où il faut choisir et où les enfants sont séparés en fonction des choix: «
Ce n'est pas le cas chez nous où il n'y a que le cours de religion catholique que tout le monde suit. » Et les
cours philosophiques? « La bonne solution, c'est d'introduire des nouveautés dans le cours de religion
catholique », précise Etienne Michel.
Côté politique, Olivier Maingain estime qu'on peut très bien s'en sortir sans changer la Constitution pour
l'enseignement officiel. Comment? En rendant le cours de religion optionnel et en le remplaçant par un
cours obligatoire sur nos valeurs communes. « Dans l'officiel, il faut choisir et je reconnais que ce n'est pas
idéal », conclut Joëlle Milquet en attendant l'arrêt de la Cour constitutionnelle.
2. Qu'enseigne-t-on au juste, en religion et en morale?
Jésus, Marie, Joseph, d'un côté. Combat anticlérical de l'autre. Les cours philosophiques suivent-ils toujours
le bon vieux clivage de la société belge du Pacte scolaire de 59? Que nenni! D'abord parce que depuis 55
ans, d'autres religions ont fait leur chemin dans nos régions. Ensuite parce que le prosélytisme a vécu.
Étudiants, professeurs et représentants de réseaux sont au moins d'accord sur ce point: ces cours se
profilent désormais comme des lieux de débat.
Ikram, élève de religion islamique à l'athénée Gatti de Gamond, l'assure: «Le cours évolue avec l'âge: plus
on avance, plus le débat prend de l'espace.» Elliot, inscrit en morale laïque à l'athénée Jean Absil, évoque
quant à lui les notions de philosophie abordées dans le cursus. Les deux se rejoignent très vite sur «un
cours commun qui leur permettrait de mieux connaître l'autre».
Thomas Gillet, professeur de morale laïque à l'Inraci, ne dit pas autre chose: «On fait de l'interculturalité et
non de la multiculturalité, on pose les grands enjeux de société liés à l'actualité. L'important est de favoriser
l'esprit critique, de faire preuve de libre examen, sans rejeter la foi.»
Côté catholique, on ne rejette évidemment pas la foi mais on n'en fait pas non plus son fonds de commerce:
«Ce cours n'est pas de la catéchèse, c'est une recherche sur le sens de l'existence, dit l'inspecteur
Desmedt. La catéchèse s'adresse aux croyants, nous, on est confrontés à des élèves pratiquants ou non,
croyants ou non, catholiques ou non.»
Radouane Attiya, professeur de religion islamique à l'athénée Rogier de Liège, complète: «Je n'enseigne
pas de vérité, mon cours tourne autour de trois axes: questionnement philosophique, dialogue
interconvictionnel et exploration des fondements théologiques et philosophiques de la citoyenneté.» Trois
axes qui fondent d'autres cours philosophiques. Pas étonnant puisqu'ils constituent le socle commun sur
lequel se sont un jour entendus les chefs de culte et de morale.
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3. Un cours qui réunit tous les élèves plutôt que de les séparer?
Avant même de parler du contenu des cours, un obstacle se pose de manière criante: « Ce qui est
important, c'est de connaître les autres religions » (Ikram Raahli); « La religion ne s'apprend pas au cours
mais en privé. Ce qui doit s'apprendre à l'école, c'est plutôt celle des autres» (Eliott Van Oeteren).
Clairement, c'est la question de la séparation qui est en question: cela « est de moins de moins bien vécu »
(Delphine Chabbert, Ligue des familles), «on ne veut plus de cette séparation » (Caroline Sägesser, ULB).
Les acteurs de terrain sont moins convaincus: « Cela fait dix ans que je suis inspecteur et que j'entends
cela. Du temps de Marie Arena (PS), nous avons demandél'autorisation de faire des activités en commun.
Rien ne s'est fait», rappelle Michel Desmedt, inspecteur de religion catholique. Pour Radouane Attiya,
professeur de religion islamique à Liège, c'est « inopiné, car le cadre légal existe déjà pour se rencontrer et
travailler ensemble dans le cadre des cours ».
Thomas Gillet est professeur de morale à Bruxelles: « Pour moi, effectivement, le vrai problème, c'est qu'à
partir de 6 ans, les enfants sont séparés. Il y a deux heures pour créer un cours spécifique où les élèves ne
seraient pas séparés. Cela ne se ferait peut-être pas facilement, mais la gestion des conflits fait aussi partie
de la société. »
Christian Leclercq, président du CECP (enseignement des communes et des provinces), va dans le même
sens: « Ces cours philosophiques sont dépassés et il est dommage qu'il ait fallu les événements des
derniers jours pour arriver à cette réflexion. Je pense que, dans l'officiel, il faut effectivement rapidement
changer une des deux heures de cours philosophiques en un cours commun. Le vivre ensemble commence
par là. »
La déclaration gouvernementale de la Communauté française, défendue par Joëlle Milquet et que le MR se
dit prêt à soutenir tout en souhaitant aller plus loin, prévoit, on l'a dit, d'aller dans ce sens: la substitution
d'une des deux heures de cours de religion/morale dans l'officiel par un cours d'éducation à la citoyenneté.
Cela ne concerne donc que la moitié des élèves. Etienne Michel, directeur général du Segec (Enseignement
catholique), rappelle en effet que « cette problématique de la séparation ne concerne que l'enseignement
officiel. Dans le libre, par conviction et par dispositions réglementaires, il n'y a qu'un seul cours de religion
que suit chaque élève, même musulman ou athée, mais qui ne pose pas de problème puisqu'il ne se donne
pas dans un esprit prosélyte. »
4. Un cours de citoyenneté ou de philosophie à la place?
Remettre les cours de religion en question est une chose, mais pour les remplacer par quoi? «Nous
poussons au remplacement de ces cours par deux heures de citoyenneté. On y mettrait l'histoire et le fait
religieux, mais aussi on y replacerait l'élève comme citoyen de l'Etat, il y apprendrait son fonctionnement» ,
propose Luc Pirson, président de la Fapeo.
Les uns parlent de cours de philosophie, d'autres d'éducation à la citoyenneté. Edouard Delruelle
(ULg)tranche: «Dans les actuels cours philosophiques, on fait tout sauf de la philosophie, au contraire de la
France. Citoyenneté ou philosophie? Les droits, les devoirs, le droit subjectif, mais aussi la vraie
philosophie, pas lire Kant dans le texte, mais l'esprit critique, apprendre à penser par soi-même.»
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A ce stade, on le sait, l'accord de gouvernement de la Communauté française prévoit le remplacement
d'une heure de cours confessionnel par une heure d'éducation à la citoyenneté dans l'officiel. Joëlle Milquet
(CDH), ministre de l'Education: «Si ça doit évoluer vers 2 heures, on doit en discuter avec le PS. Je suis
ouverte à cette discussion mais ce n'est pas dans l'accord de gouvernement et l'article 24 de la Constitution
dit qu'on doit donner des cours des différentes religions.»
Olivier Maingain (FDF) balaie l'argument: «La laïcité à la française, que je partage, c'est que la loi collective,
ou le droit, l'emporte sur la loi personnelle, les convictions, la religion. L'égalité hommes-femmes, par
exemple, est au cœur d'un cours de citoyenneté. Il faut un cours obligatoire expliquant comment on est
arrivé à nos valeurs. La Constitution n'interdit pas l'instauration de ce cours obligatoire ni que les cours de
religion deviennent des cours en option.» Richard Miller (le MR soutiendra la proposition) plaide, on le sait,
«pour un cours obligatoire qui montre, à travers la philosophie, ce que sont les valeurs de notre société
démocratique. Et c'est toujours le PS qui s'y est opposé» ...
5. L'école n'est-elle pas dépassée par le Net?
Que peut l'école face aux théories du complot qui se sont inévitablement propagées comme une traînée de
poudre au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo? Lors d'un reportage réalisé dans une école du
centre de Bruxelles, le malaise des enseignants face à certains discours véhiculés était perceptible ( Le Soir
du 9 janvier). Comment agir, en classe, pour peser sur l'influence du milieu social et d'internet quand ces
derniers poussent à la dérive, voire au terrorisme?
Radouane Attiya, professeur de religion islamique à l'Athénée royal Charles Rogier à Liège, le confirme: «
Dans le cadre de mes fonctions, dans une classe de 25élèves, quand on aborde l'actualité et ce qui s'est
passé à Charlie Hebdo, j'ai 24 bras qui se lèvent pour dire qu'il y a des zones d'ombre dans ce qui s'est
passé et qu'ils croient aux théories du complot. Il y a effectivement beaucoup de travail à faire sur ce plan
dans le cadre de l'école. » Thomas Gillet, qui enseigne la morale laïque à l'Inraci, a également été témoin
dans ses cours de ce phénomène qui, selon lui, est plutôt minoritaire. Il tient à nuancer: «Cette aspiration
aux théories du complot traverse toutes les confessions et n'est pas propre aux élèves musulmans.»
S'il est vrai que «les vérités révélées passent de plus en plus par le web» , analyse Louis-Léon Christians
(UCL), il n'y a pas de raison que l'école démissionne: «Énormément de travaux scientifiques existent et
prennent la mesure du phénomène. Des études sont en cours pour étudier les techniques psychologiques
de défondamentalisation. L'éducation a une prise sur ce phénomène, mais la solution ne passe
certainement pas par la privation d'une parole dans l'espace public, mais en construisant un moment
commun de dialogue.» La question qui se pose au niveau de l'école, résume Edouard Delruelle, c'est
«comment construire ensemble quelque chose qui est l'objectivité?».
Alors, comment? Pour Olivier Maingain (FDF), «la construction de la réflexion doit l'emporter sur
l'immédiateté de l'information non critique, pas mise en perspective, que l'on trouve sur internet et qui induit
des comportements utilitaires» , voire pire. S'appuyant sur son expérience scolaire, il souligne l'importance
du rôle de l'enseignant: «C'est parce qu'on a eu des professeurs qui éveillaient l'esprit critique qu'on a
résisté à certaines sirènes, radicales, mercantiles.» Cet éveil doit être cultivé «dès la 1re primaire» ,
estime-t-il. Joëlle Milquet (CDH) ajoute: «C'est comme ça qu'on forgera des comportements de vigilance
humaine. On le voit en France, ne pas avoir de cours convictionnels n'est pas forcément la solution.»
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Pierre Kroll- "Les politiques ont tout en main pour changer la donne"
Depuis l'attentat contre Charlie Hebdo , Pierre Kroll est sollicité tous les jours par des écoles pour venir
parler de la liberté d'expression et du vivre ensemble. C'est ce qui lui a donné l'idée d'une proposition
originale: remplacer le cours de religion ou de morale par un cours d'histoire des religions commun à tous
les réseaux.
« Je suis apolitique et je n'ai jamais enseigné, mais je me dis que la meilleure chose à faire pour réussir le
vivre ensemble, ce serait justement d'expliquer les différentes religions, la morale laïque et la philosophie
aux uns et aux autres. Cela permettrait aussi de parler de l'évolution du monde en général. Aujourd'hui, les
catholiques ne savent pas ce qui se passe chez les musulmans et vice-versa. Quel paradoxe!» , explique
notre caricaturiste qui a fréquenté les différents réseaux en primaire et en secondaire.
Si on en est arrivé à des cours séparés en fonction des choix des uns et des autres, c'est à la suite du Pacte
scolaire de 1959. « Ce système remonte à une époque où les catholiques et les laïcs refusaient de voir
leurs enfants endoctrinés par l'autre. Il y avait bien quelques juifs à traiter avec bienveillance mais il ne
devait pas y avoir beaucoup de musulmans à l'époque. Aujourd'hui, la donne a changé. Que fera-t-on
demain pour les kimbanguistes congolais ou pour les bouddhistes et les sikhs? Les politiques ont tout en
main pour changer les choses. Je sais que cela nécessitera une révision de la Constitution, mais si on n'y
arrive pas maintenant, on n'y arrivera jamais », poursuit Pierre Kroll, estimant que Joëlle Milquet a tous les
atouts en main pour tenter l'affaire.
Concrètement, que propose-t-il? « Ces cours pourraient être étalés sur douze ans, de la première primaire à
la dernière secondaire. Ils seraient donnés par des diplômés en philosophie formés spécialement à ça via
une option universitaire spécifique lors de leur agrégation , estime Pierre Kroll. Quant aux religieux qui sont
actuellement mandatés pour donner les cours de religion, ils viendraient donner leur cours de leur religion
mais devant tous les élèves et dans tous les réseaux. Il ne s'agit pas de convertir à une autre religion
puisque personne ne prétend le faire dans les écoles. Je ne parle pas de supprimer les cours de religion,
mais de donner la possibilité à tous les enfants d'entendre la même chose. Ce qui n'est pas possible
aujourd'hui puisque tout est séparé. A qui faudra-t-il s'adresser pour voir avancer un tel projet? »
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«Ne pas séparer les élèves selon leur croyance»
Sur lesoir.be et la page Facebook du Soir , des centaines de commentaires sont venus témoigner du
caractère sensible du débat. Nous en avons sélectionné six. Eric Gelard: «La religion est du domaine
privé. Les écoles officielles ne devraient pas les enseigner, ni séparer les élèves selon leur
croyance, même pour quelques heures. Un cours de citoyenneté, de civisme, de vivre ensemble
devrait remplacer les cours de religion.» Gwénaëlle Scuvie: «Les cours de religion à l'école sont les
seuls lieux où le discours sur les religions est soumis à une autorité publique. Pour cela, et non
pour leur contenu ou leur portée, je pense qu'il faut les conserver. Ces cours sont soumis à des
programmes scolaires, dûment contrôlés, et ne sont donc pas des lieux d'endoctrinement.»
Jean-Pol: «Plus de 720 heures de cours philosophiques entre la 1re année primaire et la 6e
secondaire: soit une année scolaire complète. Il faut réduire cela. Les heures libérées seront utiles à
des cours de citoyenneté réels: droit, économie, sciences, langues modernes.» Maxime Martin: «Je
pense que le problème vient d'un manque de cours de religion. Si les djihadistes étaient au courant
de ce qu'est l'islam, nous aurions moins de soucis. Mais pensons aussi à donner un emploi et une
vie décente à chacun, une école de qualité. Sans débouchés, cela ne sert à rien.» Shanan Khairi:
«Les cours de religion/morale sont le résultat d'un compromis entre laïcs et parti chrétien datant de
la guerre scolaire. Ils n'ont plus de justification et doivent être supprimés. Quant à introduire un
cours de philo à la place, pourquoi pas. Mais l'histoire des religions a sa place au programme des
cours d'histoire. Et un cours de philo ne doit pas avoir pour but proclamé l'endoctrinement des
enfants aux valeurs sociales défendues par l'Etat (qu'elles soient justes ou non n'est pas la
question).» Jiphi: «Le cours de religion a plus que jamais tout son sens dans nos écoles. Mais pas
de dogmatisme ou de prédicateur avisé. Un cours de religion est et doit être autant philosophique,
qu'éthique et religieux. On doit y aborder sous le prisme de notre foi, la tolérance à la différence de
l'autre tout en ayant un regard critique sur nous-mêmes et notre histoire. N'avons-nous pas
combattu au nom de la Sainte-Croix contre ces mêmes musulmans que nous décrions aujourd'hui?
Est-ce cela la tolérance et le vivre ensemble? Il faut apprendre à nos enfants à poser les vraies
questions et à regarder les événements sous des angles différents.»
Morin rassembleur
Point commun entre Joëlle Milquet et Olivier Maingain: ils sont tous deux amateurs d'Edgar Morin,
philosophe français de 93 ans.
Durant le débat, Olivier Maingain a confié qu'un père jésuite lui avait fait lire Morin à l'école. «Un
remarquable petit bouquin où il dit qu'il faut enseigner l'histoire de la pensée philosophique.» Joëlle Milquet
a les mêmes lectures. «Il faut lire Edgar Morin. Il a un bouquin magnifique que j'ai lu pendant mes vacances,
qui s'appelle Apprendre à vivre. » Précision: Apprendre à vivre est signé Luc Ferry. Le dernier ouvrage de
Morin s'intitule Enseigner à vivre .
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Libres ensemble : Libres pensées sur la laïcité
Comment définir la laïcité? Quels sont ces rapports avec la religion et les droits de l'homme? Comment vivre
en société? Pour favoriser le vivre-ensemble, il faut trouver des valeurs communes, quelles sont ces valeurs
communes que l'on retrouve dans les religions et dans la laïcité? (09:30)
http://www.cedes.be/ressources/k7video/libres-ensemble-libres-pensees-sur-la-lai
cite
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