Séance 3 : Échange épistolaire entre deux philosophes, 1758

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Séance 3 : Échange épistolaire entre deux philosophes, 1758
Classe de Quatrième
Séquence 3 Le genre épistolaire
Séance 3 : Échange épistolaire entre deux philosophes, 1758
Etudier les composantes de la situation d’énonciation
Le contexte
Il s’agit de deux lettres que se sont respectivement envoyé Voltaire et Diderot, deux philosophes (penseurs) du
XVIIIe siècle. Ils évoquent les difficultés rencontrées par Diderot pour réaliser un grand projet scientifique et
philosophique : la constitution de l’Encyclopédie. De nombreux écrivains ont participé à la rédaction de cet
ouvrage qui avait pour fonction d’« éclairer » (instruire) les hommes mais ils rencontrèrent beaucoup d’obstacles.
Leurs ennemis firent interdire la publication des différents volumes de l’Encyclopédie et les philosophes
attendirent presque quinze ans pour voir leur projet mené à bien, puisque le premier volume fut publié en 1751
et les derniers en 1765.
Voltaire, qui a rédigé plusieurs articles pour l’Encyclopédie, était révolté par les obstacles que rencontrait la
noble entreprise dirigée par Diderot et d’Alembert (avant que celui-ci n’abandonne ce travail). C’est ce qui
explique le ton de la lettre adressée à Diderot.
Lausanne, le 6 janvier 1758
Est-il bien vrai, Monsieur, que tandis que vous rendez service au genre humain,
et que vous l’éclairez, ceux qui se croient nés pour l’aveugler aient la permission
de faire un libelle1 périodique contre vous et contre ceux qui pensent comme vous ?
Quoi ! On permet aux Garasses2 d’insulter les Varrons et les Plines3 !
Quelques ministres de Genève ont eu la rage, en dernier lieu, de vouloir justifier
l’assassinat juridique de Servet : le magistrat leur a imposé le silence ; les plus sages
ministres ont rougi pour leurs confrères bafoués ; et il sera permis à je ne sais quels
pédants4 jésuites5 d’insulter leurs maîtres ?
N’êtes-vous pas tenté de déclarer que vous suspendrez l’Encyclopédie jusqu’à ce
qu’on vous ait fait justice ? Les Guignards6 ont été pendus, et les nouveaux Garasses2 devraient être mis au pilori7.
Mandez-moi, je vous prie, les noms de ces malheureux.
Je les traiterai selon leur mérite dans la nouvelle édition qui se prépare de l’Histoire
générale.
Que je vous plains de ne pas faire l’Encyclopédie dans un pays libre ! Faut-il que
ce dictionnaire, cent fois plus utile que celui de Bayle8, soit gêné par la superstition9,
qu’il devrait anéantir ; qu’on ménage10 encore des coquins11 qui ne ménagent rien ;
que les ennemis de la raison, les persécuteurs des philosophes, les assassins de nos
rois, osent encore parler dans un siècle tel que le nôtre ? […]
Votre admirateur et votre partisan jusqu’au tombeau,
Le Suisse libre
Notes :
1. « libelle » : texte critique et polémique.
2. « Garasse » : religieux du XVIIe siècle qui a attaqué tous ceux qui, selon lui, avaient des idées contraires à la religion.
3. « Varron, Pline » : philosophes romains et premiers auteurs à chercher à rassembler les connaissances de leur époque. Varron
a publié plus de 600 ouvrages et Pline est l’auteur de la première encyclopédie naturelle, Histoire naturelle.
4. « pédants » : qui étalent leur savoir avec prétention.
5. « jésuites » : religieux de l’ordre du même nom.
6. « Guignard » : religieux du XVIe siècle hostile aux rois Henri III et Henri IV ; il a été pendu.
7. « mettre au pilori » : désigner comme coupable.
8. « Bayle » : auteur du XVIIe siècle qui a écrit un dictionnaire dont s’est inspiré Voltaire pour écrire son Dictionnaire
philosophique.
9. « superstition » : Voltaire désigne ainsi la religion catholique, religion officielle de l’État français.
10. « qu’on ménage » : qu’on traite avec égards, qu’on épargne.
11. « coquins » : terme injurieux.
Séquence 3 – Le genre épistolaire
Séance 3 Echange épistolaire entre deux philosophes
1
A) Repérer les composantes de la situation d’énonciation
1- a) Qui écrit cette lettre ?
b) Relève les différents pronoms utilisés pour désigner l’émetteur.
2- a) Qui est le destinataire de la lettre ?
b) Relève le pronom utilise pour désigner le destinataire.
L’énonciation est la production d’un message (d’un énoncé).
La situation d’énonciation est la situation dans laquelle ce message est produit. Elle répond aux questions
suivantes : qui parle ? à qui ? où ? quand ?
Deux personnes sont impliquées dans une situation d’énonciation :
– le destinateur/l’auteur (celui qui parle ou qui écrit). Il est désigné par les pronoms et les déterminants à la
première personne mais aussi par la signature de la lettre.
– le destinataire (celui qui ecoute ou qui lit). Il est désigné par les pronoms et les déterminants à la deuxième
personne.
destinateur
→
celui qui parle ou écrit
message
le contenu :
ce qui est dit ou écrit
→
destinataire
celui qui écoute ou qui lit
Voir les indices spatio-temporels en fin de fiche.
B) Comprendre la lettre de Voltaire
1- a) Dans le premier paragraphe, quelle image Voltaire donne-t-il de son destinataire ?
b) Dans quelle entreprise est impliqué le destinataire de la lettre ?
c) Quel est le mérite de cette entreprise selon Voltaire ? Explique-le avec tes propres mots avant de souligner en
bleu les expressions qui justifient ta réponse.
2- a) Contre qui Voltaire est-il en colère ?
b) Souligne en rouge les expressions qui témoignent de la colère de Voltaire.
3- a) Quel conseil Voltaire donne-t-il à Diderot dans la première phrase du troisième paragraphe ?
b) Que regrette Voltaire dans la première phrase du quatrième paragraphe et quel conseil implicite donne-t-il a
Diderot ?
c) En t’aidant de la signature, dis dans quel pays Diderot pourrait aller.
C) Comprendre la réponse de Diderot
Voici la réponse que Diderot adressa à Voltaire. Diderot lui rédigea une longue lettre. Tu ne vas lire que le début.
Je vous demande pardon, monsieur et cher maître, de ne vous avoir pas répondu
plus tôt. Quoi que vous en pensiez, je ne suis que négligent.
Vous dites donc qu’on en use avec nous d’une manière odieuse, et vous avez
raison. Vous croyez que j’en dois être indigné, et je le suis. Votre avis serait que nous
quittassions tout à fait l’Encyclopédie ou que nous allassions la continuer en pays
étranger, ou que nous obtinssions justice et liberté dans celui-ci.
Voilà qui est à merveille ; mais le projet d’achever en pays étranger est une chimère. Ce
sont les libraires qui ont traité avec nos collègues ; les manuscrits qu’ils ont acquis ne nous
appartiennent pas, et ils nous appartiendraient, qu’au défaut des planches, nous n’en ferions
aucun usage. Abandonner l’ouvrage, c’est tourner le dos sur la brèche, et faire ce que désirent
les coquins qui nous persécutent. Si vous saviez avec quelle joie ils ont appris la désertion
de d’Alembert, et toutes les manœuvres qu’ils emploient pour l’empêcher de revenir ! Il ne
faut pas s’attendre qu’on fasse justice des brigands auxquels on nous a abandonnés, et il ne
nous convient guère de le demander : ne sont-ils pas en position d’insulter qui il leur plaît
Séquence 3 – Le genre épistolaire
Séance 3 Echange épistolaire entre deux philosophes
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sans que personne s’en offense ? Est-ce à nous à nous plaindre, lorsqu’ils nous associent
dans leurs injures avec des hommes que nous ne vaudrons jamais ?
Que faire donc ? Ce qui convient à des gens de courage : mépriser nos ennemis, les
poursuivre, et profiter, comme nous avons fait, de l’imbécillité de nos censeurs. Faut-il que,
pour deux misérables brochures, nous oubliions ce que nous devons à nous-mêmes et au
public ? Est-il honnête de tromper l’espérance de quatre mille souscripteurs, et n’avons-nous
aucun engagement avec les libraires ? Si d’Alembert reprend et que nous finissions,
ne sommes-nous pas vengés ? Ah ! mon cher maître, où est le philosophe ? […]
1- Dans le 2e paragraphe, souligne le passage dans lequel Diderot résume les trois conseils qu’il a retenus de la
lettre de Voltaire.
2- Dans le 3e paragraphe, comment Diderot justifie-t-il l’impossibilité de suivre chacun des trois conseils de
Voltaire ?
3- Quelle victoire les ennemis de l’Encyclopédie ont-ils remportée?
4- Selon Diderot, comment les encyclopédistes peuvent-ils se venger de leurs ennemis ? Cite le texte pour justifier
ta réponse.
La lettre philosophique
Les lettres échangées entre les philosophes sont l’occasion de défendre et de partager leurs idées. Elles sont
aussi l’occasion de trouver réconfort et appui lorsque les philosophes sont menacés ou harcelés par leurs
détracteurs.
Au XVIIIe siècle, de nombreux philosophes ont fait de la lettre un espace d’expression libre et non censurée, au
point que la lettre est devenue un genre littéraire pour véhiculer leurs idées.
Ainsi, le XVIIIe siècle voit apparaitre des traités philosophiques qui ont la forme d’une lettre (Lettre sur les
aveugles de Diderot, Lettres philosophiques de Voltaire).
Les indices spatio-temporels et la situation d’énonciation
Certains indices spatio-temporels n’ont de sens que par rapport à la situation d’énonciation :
– les indices de lieu comme ici, là-bas, à quelques mètres, au coin de la rue… ne peuvent être compris que si
l’on sait où se trouve l’émetteur. Ainsi, ici renvoie au lieu de l’énonciation.
– les indices de temps comme aujourd’hui, hier, demain, maintenant, à l’instant, tout à l’heure, ce soir… ne
peuvent être compris que si l’on sait quand l’émetteur produit son message. Par exemple, maintenant est le
moment de l’énonciation.
Les temps des verbes n’ont aussi de sens que par rapport à la situation d’énonciation : le présent correspond à la
situation d’énonciation, alors que l’imparfait et le passé composé, par exemple, renvoient à des évènements
antérieurs tandis que le futur renvoie à des évènements postérieurs.
moment de l’énonciation
hier
aujourd’hui
demain
maintenant
--------------X-----------------------------X-----------------------------X-------------passé composé
présent
futur
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