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Champignons et odeurs
par Catherine Vautier-Péanne
L'odorat est un de nos systèmes sensoriels le plus ancien, avec le goût, dans l'histoire de l'évolution, le plus primitif et
aussi le plus mal connu. C'est aussi celui dont la connexion entre le système olfactif et le cerveau est la plus courte. Il
suffit souvent d'une seule odeur pour ranimer un souvenir ancien que l'on croyait perdu, voir la célèbre « petite madeleine » de notre grand écrivain Marcel Proust. Quand on sait que le nombre d'odeurs différentes que l'homme peut
sentir serait estimé à plus de 400 000... cela semble phénoménal. Et pourtant ce nombre est insignifiant en regard des
performances de certains animaux comme le chien par exemple, dont le nombre de cellules sensorielles est quarante
fois supérieur à celui de l'homme.
La perception d'une odeur commence dans les fosses nasales où plusieurs molécules odorantes, constituant l'odeur en
question, se lient à des récepteurs spécifiques. Chacun de ces récepteurs va par la suite servir de relais et transmettre
le message « odorant » plus loin. Respirer une odeur déclenche la formation d'un signal spécifique par les neurones.
Celui-ci sera alors traité par notre cerveau, ce qui aboutira à la perception de l'odeur et à la création des sensations
qu'elle suscite.
Toute perception d'odeur se fait donc en deux temps : notre nez se charge de transcrire le message olfactif apporté par
l'odeur. Puis notre cerveau le décrypte et permet son identification en intégrant son lot d'émotions et de souvenirs associés.
La pratique de l'olfaction est coulogues. En plus des formes et des
souvent la détermination des champisard des sorties. Elle constitue un travail de
connaissance et donc de la reconnaissance.
Le dessin et la photographie sont de peu d'utilité
« Le nez des champignons » (1986, éditions Jean
quin et Lenoir) où l'on trouvait une collection
d'échantillons d'odeurs fongiques à l'intérieur
pour la première fois d'illustrer les comlogues. Mais dans ce domaine les mots
meilleur moyen pour transcrire les signaux orla rencontre d'un champignon. L'odeur fait
culturel qui reste intime : il n'y a pas de
reste étroitement lié à la vie insde chaque individu.
rante chez les mycocouleurs, elle permet
gnons rencontrés au hala mémoire olfactive, de la
dans ce domaine :
Lenoir, de MM. Locde
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flacons
d'un coffret permettait
mentaires des mycosont
encore
le
ganoleptiques lors de
référence à un bagage
norme et l'odorat
tinctuelle et affective
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Dans la plupart des cas l'odeur d'un champignon est plus nette dans les lames ou les tubes. Les mycologues retournent
le carpophore, l'enferment dans leurs mains repliées formant une caverne pour aspirer son odeur dans les lames et le
haut du pied.
Il ne faut pas aspirer à pleins poumons mais procéder par à-coups, par brèves aspirations répétées.
Les livres de mycologie indiquent souvent une « odeur fongique » lorsque l'on ne sait pas comment caractériser
l'odeur dégagée par un champignon. Lorsque l'odeur est désagréable, on peut trouver « odeur terreuse » mais il faut
savoir qu'il y a une bonne part de subjectivité dans la perception et surtout la description des odeurs par les mots. En
fait la plupart des champignons dégagent en général une odeur complexe, résultat de plusieurs notes odorantes agglomérées : elle rappelle l'humus humide, ou la farine avec des relents de musc et d'ambre. Elle est plus marquée chez les
jeunes sujets, et tend à s'altérer à l'âge adulte. Parfois elle n'est perceptible que lorsque le champignon commence à se
dessécher voire à pourrir.
Russula Xerampelina ne donne sa puissante odeur de crevette qu'à la cuisson et Russula Lepida embaume sur le feu.
Les parfums peuvent même varier après la dessication, comme pour Lactarius piperatus. L'odeur d'anis du fameux
Clitocybe odora est une surprise pour celui ou celle qui ne l'a jamais senti, l'ail dans le bien nommé Marasmius alliaceus. Les odeurs recèlent autant de fantaisie et d'inventivité dans les mots pour le dire : « odeur de gâteau congolais
fraîchement sorti du four », « odeur de gant de toilette mouillé oublié pendant deux semaines dans une valise fermée »
emplissent d'admiration.
On distingue plusieurs types d'odeurs :
Les odeurs suaves, agréables et non violentes : de fleurs comme la rose ou le jasmin, de fruits comme l'abricot,
l'amande amère, la noix de coco, la poire (Inocybe piriodora), de légumes comme la carotte (Lactarius deterrimus), le
chou, le fenouil, le persil, les épices et les herbes comme le safran (Russula emetica), etc.
Les odeurs vives, nettes et très marquées : la rave (Mycena pura), la pomme de terre crue coupée (Amanita citrina),
l'anis et l'ail cités plus haut ou encore la farine fraîche (Calocybe gambosa ou Clitopilus prunulus), la bougie (Mycena
inclinata), etc.
Les odeurs fétides, désagréables, plus ou moins marquées : la palme d'or revient au Phallus impudicus qui sent une
odeur de charogne qui permet de le reconnaître à cinq mètres sans le voir ! Le gaz soufré, de savon (Tricholoma saponaceum) – encore que depuis l'invasion de la chimie dans la savonnerie certains préfèrent dire odeur de lessive - de
poisson (Russula Xerampelina), odeur spermatique chez de nombreux inocybes, d'amoniaque, etc. Il y en a un grand
nombre qui sentent le chou pourri, la corne brûlée, le bouc (Cortinarius traganus), la viande brûlée, la suie, le beurre
rance, le moisi, le phénol … Arrêtons-là cette énumération pénible !
Restent les odeurs de fond, odeurs mêlées, difficiles à définir … Chaque amateur doit exercer son odorat car bien
souvent c'est par là que commencent les déterminations.
Si vous ne sentez rien, si vous avez le nez bouché, que vous êtes sujet à la rhinite ou à la sinusite chronique, c'est
peut-être que vos voies aériennes abritent l'Alternaria ? Cette moisissure présente dans l'air que nous respirons
semble en effet responsable de certains problèmes de santé humaine et animale.
Voir à ce sujet le site https://www.inspq.qc.ca/moisissures/fiches/alternaria-alternata
Le site spécifique en matière d'odeurs des champignons que nous cueillons dans nos forêts,
http://www.mycodb.fr/guide_odeur.php, rassemble plus de 750 membres affiliés à des sociétés mycologiques françaises et européennes qui contribuent aux échanges de connaissances dans ce domaine.
Voir aussi les articles sur le même sujet parus dans le Mycélien 102 de novembre 2012 de la même auteure et dans le
Mycélien 136 de mars 2014 de Daniel Marin.