Brève Vigie, 10 décembre 2010 Enjeux du
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Brève Vigie, 10 décembre 2010 Enjeux du
Brève Vigie, 10 décembre 2010 Enjeux du développement de la finance islamique en France Depuis le 24 août 2010, la France dispose d’un cadre juridique, fiscal et réglementaire pour le développement de la finance islamique. Elle entend devenir une place forte de la finance islamique en Europe, et ainsi concurrencer Londres. Le gouvernement estime à 120 milliards d’euros le potentiel d’attraction de capitaux à l’horizon 2020. La finance islamique entend proposer des services bancaires et des produits financiers compatibles avec la loi coranique, c’est-à-dire respectant cinq principes que sont l’interdiction de l’intérêt, de l’incertitude et de la spéculation, le principe du partage des pertes et profits et l’obligation d’adosser tout placement à un actif réel 1. Les mécanismes proposés par les banques islamiques sont les suivants : SUKUKS Titres financiers dont la rémunération et le capital sont indexés sur la performance d’un ou plusieurs actifs détenus par l’émetteur. MUDARABAH Contrat liant un détenteur de capital et un entrepreneur dont le profit est distribué entre les parties selon un ratio prédéterminé. Les pertes financières éventuelles ne sont subies que par les financiers. MUSHARAKAH Opération de financement à 90 % de l’achat d’un bien immobilier par la banque, avec apport du reliquat par le particulier. Le montant remboursé par ce dernier, sous forme de loyer, correspond au total du capital principal et des bénéfices tirés par la banque de l’opération. IJARAH Opération similaire à du leasing, où le bénéficiaire bénéficie de l’usufruit de biens ou équipements achetés par la banque qui en conserve la propriété. ISTINA Mode de financement à moyen terme pour l’achat de biens en fonction d’un contrat de fabrication définissant les délais et le prix. L’objectif principal de ces nouveaux mécanismes, adoptés au terme de trois années de discussions et de négociations, est d’attirer les capitaux des fonds souverains des pays du Golfe, ce qui permettra de renforcer la place financière de Paris. Selon un rapport du Sénat, le total des actifs gérés dans le monde par les banques et compagnies d’assurances s’élevait à 500 milliards de dollars fin 2007, et environ 700 milliards de dollars en 2008 en tenant compte des actifs hors bilan et des fonds conformes à la loi coranique. La Grande-Bretagne, véritable pionnier européen en matière de finance islamique, est devenue en l’espace d’une dizaine d’années un hub mondial de la finance islamique, alors que ce marché connaît un taux de croissance annuel estimé entre 10 % et 15 % par an. Les montants investis à Londres sont estimés à 18 milliards de dollars US. La première banque de détail entièrement islamique, IBB (Islamic Bank of Britain), a été établie en 2004, au terme d’un long processus de deux années, alors même que la population musulmane ne représente que 3 % de la population britannique (environ 2,5 millions de personnes). La banque IBB a depuis développé des filiales dans huit villes à forte population musulmane, et déclarait en 2007 (derniers chiffres disponibles) plus de 50 000 comptes ouverts pour 42 000 clients. Il y a aujourd’hui quatre banques islamiques en Grande-Bretagne. 1 Voir DESAUNAY Cécile. La finance de demain sera-t-elle islamique ? Brève Vigie, 24 mars 2009. © Futuribles, Système Vigie, 10 décembre 2010 1 La France compte toutefois de nombreux atouts qui pourraient permettre à Paris d’être un sérieux concurrent de la City. En premier lieu, les nouvelles règles ont fait disparaître le désavantage fiscal de Paris. Ensuite, les banques françaises comme la Société Générale, BNP Paribas ou encore le groupe Crédit Agricole ont déjà une longue pratique de la finance islamique au niveau mondial, avec des filiales spécialisées dans la banque d’investissement et de financement. Enfin, avec la première population musulmane en Europe, estimée en 2010 par le ministre de l’Intérieur à 5-6 millions de musulmans 2, soit 9 % de la population, l’attractivité de la France est forte. Même si l’ouverture de banques islamiques de détail sur le territoire français pourrait prendre du temps, le marché potentiel est très important, puisque le recours à l’emprunt classique basé sur l’intérêt est interdit par le coran aux musulmans pratiquants. Le développement de la finance islamique en France pourrait également avoir des répercussions dans d’autres pays francophones, et spécifiquement au Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc et Libye), où le marché de la finance islamique n’a connu jusqu’ici qu’un essor modéré. Selon Arnaud de Brosses, qui a participé au forum sur la finance islamique organisé à Bercy le 28 octobre 2010, la première banque islamique de détail tunisienne a commencé ses activités en mai 2010, et il est probable qu’elle cherche à se développer en France, dans le cadre d’un partenariat 3. La Qatar Islamic Bank a d’ailleurs signé en avril 2010 un accord avec le groupe Banque Populaire-Caisse d’Épargne en vue de l’ouverture d’une banque islamique en 2011. L’année 2011 devrait donc marquer l’essor de la finance islamique en France. Le gouvernement estime à 120 milliards d’euros le potentiel d’attraction de capitaux à l’horizon 2020. Le financement de grands travaux publics français via la finance islamique (notamment via l’émission de sukuks), régulièrement évoquée, pourrait donc être à l’ordre du jour prochainement. Maxime Roclore Sources : AINLEY Michael, MASHAYEKHI Ali, HICKS Robert, RAHMAN Arshadur, RAVALIA Ali. Islamic Finance in the UK: Regulation and Challenges. Londres : FSA (Financial Services Authority), novembre 2007, site Internet : http://www.fsa.gov.uk/pubs/other/islamic_finance.pdf ; ARTHUIS Jean (sous la dir. de). Rapport d’information sur la finance publique. Paris : Sénat, mai 2008, site Internet : http://www.senat.fr/rap/r07-329/r07-3291.pdf ; COCHEZ Pierre. « La Place de Paris s’ouvre à la finance islamique », La Croix, 26 août 2010. 2 Voir « Entre 5 et 6 millions de musulmans en France ». Le Point, 28 juin 2010, site Internet : http://www.lepoint.fr/politique/entre-5-et-6-millions-de-musulmans-en-france-28-06-2010471071_20.php. 3 Voir « 2011, l’année de la finance islamique en France ». Le Cercle des Échos, 2 novembre 2010, site Internet : http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/la-coulisse-des-marches/221131670/2011lannee-de-la-finance-islamique-en-France. © Futuribles, Système Vigie, 10 décembre 2010 2