Corbeaux et renards

Transcription

Corbeaux et renards
Corbeaux et renards : quelques réécritures
PHÈDRE (Ier siècle)
Qui se laudari gaudet verbis subdolis,
vere dat poenas turpi paenitentia.
Cum de fenestra corvus raptum caseum
comesse vellet celsa residens arbore,
vulpes, ut vidit, blande sic coepit loqui:
«O qui tuarum, corve, pennarum est nitor!
Quantum decorem corpore et vultu geris!
Si vocem haberes, nulla prior ales foret.»
At ille stultus, dum vult vocem ostendere,
emisit ore caseum, quem celeriter
dolosa vulpes avidis rapuit dentibus.
Tum demum ingemuit corvi deceptus stupor.
Hac re probatur, quantum ingenium polleat;
virtute semper praevalet sapientia.
Celui qui aime les flatteries perfides en est généralement
puni par le repentir et la confusion.
Alors qu’un corbeau s’apprêtait à manger un fromage volé
sur une fenêtre, un renard, quand il le vit, se mit à le flatter
ainsi : « Ô corbeau, que ton plumage a d’éclat ! Que de
beauté sur ton corps et ta figure ! Si tu avais de la voix,
aucun oiseau ne te serait supérieur. » Le stupide animal, en
voulant montrer sa voix, laissa de son bec tomber le
fromage, que le renard rusé s’empressa de saisir de ses
dents avides. Alors la déception du corbeau stupéfait
s’exprime par des gémissements.
Cette fable prouve combien l’intelligence est puissante; la
sagesse prévaut toujours sur la force.
PHÈDRE, auteur latin, 1er siècle après J.-C. Fables,
livre IV
(Traduction : Mireille Ko, Marie-Françoise DelmasMassouline & Paul Boehrer, 1996).
ROMAN DE RENARD (XIIe siècle)
Tiécelin, le corbeau, vient tout droit au lieu où était sire Renard. Les voilà réunis à cette heure, Renard dessous, l’autre
sur l’arbre. La seule différence, c’est que l’un mange et l’autre bâille. Le fromage est un peu mou; Tiécelin y frappe de
si grands coups, du bout du bec, qu’il l’entame. Malgré la dame qui tant l’injuria quand il le prit, il en mange, et du
plus jaune et du plus tendre. Il frappe de grands coups, avec force ; à son insu, une miette tombe à terre, devant Renard
qui l’aperçoit. Il connaît bien pareille bête et hoche la tête. Il se dresse pour mieux voir : il voit Tiécelin, perché làhaut, un de ses vieux compères, le bon fromage entre ses pattes. Familièrement, il l’interpelle : « Par les saints de
Dieu, que vois-je là ? Est-ce vous, sire compère ? Bénie soit l’âme de votre père, sire Rohart, qui si bien sut chanter !
Maintes fois je l’ai entendu se vanter d’en avoir le prix en France. Vous-même, en votre enfance, vous vous y
exerciez. Ne savez-vous donc plus vocaliser ? Chantez-moi une rotrouenge ! » Tiécelin entend la flatterie, ouvre le
bec, et jette un cri. Et Renard dit : « Très bien ! Vous chantez mieux qu’autrefois. Encore, si vous le vouliez, vous
iriez un ton plus haut. » L’autre, qui se croit habile chanteur, se met derechef à crier. « Dieu ! dit Renard, comme
s’éclaire maintenant, comme s’épure votre voix ! Si vous vous priviez de noix, vous seriez le meilleur chanteur du
monde. Chantez encore une troisième fois ! »
L’autre crie à perdre haleine, sans se douter, pendant qu’il peine, que son pied droit se desserre ; et le fromage tombe à
terre, tout droit devant les pieds de Renard.
JOSEPH BENSERADE (XVIIe siècle)
Le renard du corbeau loua tant le ramage,
Et trouva que sa voix avait un son si beau,
Qu’enfin il fit chanter le malheureux corbeau,
Qui de son bec ouvert laissa cheoir un fromage.
Ce corbeau qui transporte une vanité folle,
S’aveugle et ne s’aperçoit point
Que pour mieux le duper, un flatteur le cajole:
Hommes, qui d’entre vous n’est corbeau sur ce point.
CHARLES PERRAULT (XVIIe siècle)
Un Renard voyant un fromage dans le bec d’un Corbeau, se mit à louer son beau chant. Le Corbeau voulut chanter, et
laissa choir son fromage que le Renard mangea.
On peut s’entendre cajoler,
Mais le péril est de parler.
Corbeaux et renards : quelques réécritures. Page 1 sur 3
JEAN DE LA FONTAINE (XVIIe siècle)
Maître corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître renard par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
«Et bonjour Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois»
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec laisse tomber sa proie.
Le renard s’en saisit et dit: «Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute.»
Le corbeau honteux et confus
Jura mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
VERSION EN ARGOT (XXe siècle)
Un pignouf de corbac sur un touffu planqué
S’enfilait par la gueule un coulant baraqué.
Un p’tit mec de renard, alléché par l’odeur du from’ton
Qui s’mectait a cent lieues à la ronde,
Lui tint a peu près cette jactance :
« Eh, du Corbac, si tu jactes aussi bien qu’t’es nippé,
T’es l’mecton à la r’tourne de tous les pt’its mecs du
quartier ! »
Le corbac qu’était pas mariolle
Lui fila l’from’ton à travers la fiolle.
Moralité : méfiez-vous des p’tits mecs qui vous en
foutent plein l’mourron !
Benoît et Laura Jacquet
VERSION ÉTAMPOISE EN VERLANT (XXe siècle)
LE BAUCOR ET LE NAREU
Daron Baucor sur un brehar chépert
Tenait dans son quebé un magefro.
Daron Nareu par l’odeur kifé
Lui péoch à près peu ce gagelan
«Ah ziva gosse beau, que t’es styli
Sans mitoner, si ta tchache
Se rapporte à ton styli
T’es le plus gosse beau des squatters d’la téci».
A ce barratin Corbac ne se sent plus sep
Et pour se la péter
S’open un big kébé et laisse béton son géman.
Le Nareu le pécho et lanceba «Mon bon Daron,
Fous-toi dans la teuté que tout mac
Vit aux basks du narco qui l’esgourde.
Cette galère vaut bien un magefro sans quedé.
Le Baucor téhon et faut-cul
Jura sur sa reum qu’on le péta plus.
Maison Familiale Horticole d’Étampes.
Cette première série de textes est consultable sur le site suivant : http://www.corpusetampois.com/cae-20-deluollafontaine.html
Le corbeau et le renard, en argot par Pierre Perret (s.d. ?)
Maître Corbeau sur un chêne mastard
Tenait un from'ton dans le clapoir.
Maître Renard reniflant qu'au balcon
Quelque sombre zonard débouchait les flacons
Lui dit: "Salut Corbac,
c'est vous que je cherchais.
A côté du costard que vous portez, mon cher,
La robe du soir du Paon est une serpillière.
De plus, quand vous chantez, il paraîtrait sans charre
Que les merles du coin en ont tous des cauchemars."
A ces mots le Corbeau plus fier que sa crémière,
Ouvrit grand comme un four son piège à ver de terre.
Et entonnant "Rigoletto" il laissa choir son calendo.
Le Renard le lui pique et dit: "Apprends mon gars
Que si tu ne veux point tomber dans la panade
N'esgourde point celui qui te passe la pommade ..."
Moralité:
On doit reconnaître en tout cas
Que grâce à Monsieur La Fontaine
Très peu de chanteurs d'opéra
Chantent aujourd'hui la bouche pleine.
Corbeaux et renards : quelques réécritures. Page 2 sur 3
LE CROA ET L’ARNAR
Alors le Croa, il est dans son sapin de Noël.
Il mange son Kiri.
L’Arnar y dit : « Hum ça sent bon, hum ça pue pas… » - Il se frotte son bidon…
Alors il parle, mais il dit pas des vilains mots, non, parce que sa maman, elle dit :
« Non, mon petit Arnar, pas de vilains mots à table. »
Alors il dit : « Bonjour Monsieur du Croa,
t’as lavé les mimines, dessus et dessous, fais voir…
Moi, je dis pas des gros mensonges, surtout à la maîtresse.
Tu chantes la chanson de Lori ? Gentil Croa ? »
Alors là, le Croa, il est bébête, il est petit, y le croit, y rigole, y rigole encore, il aime
bien rigoler,
y fait : croa croa croa…
Alors y fait un petit rendu dans son assiette.
Alors, l’Arnar y mange le rendu, en faisant des grimaces passeque ça le dégoûte un
peu…
Alors, y dit : « Vilain Croa, j’ai mangé tes croûtes,
fallait pas cracher, maman elle est très fâchée,
tu prends Bambi et tu vas au coin,
alors la prochaine fois, tu seras sage avec la maîtresse. »
Et pis, l’Arnar y recrache le rendu, passeque c’est pas bon,
mais en se cachant pour qu’on le gronde pas.
Alors, le Croa y pleure, passequ’il est encore petit.
Alors y va voler un Flanby au frigidaire.
Alors y va le manger sous son lit, pour pas se faire gronder,
Et y dit que c’est Bambi qu’a mangé le Flanby.
Enfantin (Exercice de style), Patrice Minet, Le dictionnaire des papous dans la tête, 2007, coéditions Gallimard –
France-Culture.
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