Sabine, la « Dame d`Izieu

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Sabine, la « Dame d`Izieu
mémoire
LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 912 - octobre 2016
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Sabine, la « Dame d’Izieu »
Vingt ans après la disparition de Sabine Zlatin, la Maison d’Izieu s’est saisie des Journées du patrimoine pour présenter une exposition
numérique, réalisée en hommage à cette grande dame.
© Maison d'Izieu / Coll. succession Sabine Zlatin
sous le nom de Jeanne Verdavoire. A la
Libération, elle dirige l’accueil des déportés au centre Lutétia, apprenant le
sort de son mari en juillet 1945. Dès fin
1945, en sa mémoire et en celle des enfants, elle témoigne sur la déportation.
Sabine s’est installée à Paris. Elle fréquente l’atelier de Gromaire, expose régulièrement aux Salons d’Automne et
des Indépendants. Parallèlement, elle
ouvre une librairie spécialisée en arts
et spectacle, tout en continuant de reconstituer la vérité des faits, concernant le sort de son mari et des enfants,
et de témoigner. Le 7 avril 1946, la première cérémonie de commémoration
inaugure la plaque apposée sur la maison d’Izieu. A Brégnier-Cordon sur la
route menant à Izieu, un monument
est érigé, dont Sabine dessine les basreliefs. On y lit cette phrase de John
Donne (1572-1631) : « La mort de tout
homme me diminue car je fais partie
du genre humain ».
En juin 1987, Sabine a choisi pour
­avocat Maître Rappaport. Elle s’est
constituée partie civile, face à Klaus
Barbie, enfin jugé pour crime contre
© Maison d'Izieu / Eric Ressort
S
on père n’aimait pas son prénom.
troupes nazies. Depuis 1940, le psyfondé son circuit : cachés dans des insIl décida de l’appeler Yanka. Ce
chanalyste Eugène Minkowski gère
titutions chrétiennes ou des familles
l’organisation avec Valentine Cremer,
françaises avec l’aide de Monseigneur
sera son nom de peintre. Sabine
Chwast, dernière des douze enfants
Saliège, nombre d’enfants trouveront
fondant un réseau de patronages et de
d’une famille juive polo­refuge en Suisse.
naise, naît en 1907 à Varsovie.
En septembre 1943, l’ItaRefusant le traditionalisme
lie a capitulé. Les Allemands
comme l’anti­s émitisme, elle
occupent la région. Sabine
quitte son pays sans bagage
se débat pour sauver les enfants. Ne rencontrant que
dès le milieu des années 20.
Arrivée à Nancy, elle obtient
lâcheté et conformisme à la
une carte de séjour et ennorme pétainiste, elle finit
treprend des études d’hispar s’adresser au jeune soustoire de l’art à l’université
préfet de Belley, Pierre Marcel
de Nancy. Elle y rencontre
Wiltzer. Sans hésiter, il trouve
Miron Zlatin, étudiant en
une maison à Izieu qu’il bapagronomie venu de Russie.
tise Colonie d’enfants réfuIls se marient à Varsovie en
giés de l’Hérault : « ici, vous
1928. Ingénieur agronome,
serez ­t ranquilles ! » Il préMiron ouvre avec Sabine une
sente à Sabine sa collaboferme avicole dans le Nord, Miron et Sabine Zlatin. Au verso, mention manuscrite en
ratrice, aide précieuse pour
bientôt célèbre pour sa nou- polonais : «  A mon bien aimé Miron, Ta Yanka - Nancy,
l’organisation de la colonie.
velle race, issue du croisement 22 janvier 1927. »
Personnellement, celui que
d’une poule blanche et d’une
l’on surnommera « l’antipoule noire. La « Bleue-Hollande » sera
Papon » ira chercher quarante cartes
familles pour accueillir des centaines
remarquée à l’exposition agricole en
d’alimentation à Bourg en Bresse, arrid’enfants juifs en attente d’un refuge
1938 par le président Albert Lebrun.
en Suisse ou aux Etats-Unis. Fondée
vant les bras remplis de cadeaux pour
Le couple est naturalisé français.
en novembre 1941 par Vichy, l’Union
Noël 1943.
Une fois la guerre déclarée, Sabine s’engénérale des Israélites de France est
Avec Miron, Sabine dirige la cogage à la Croix-Rouge. Elle en deviendra
chargée de regrouper l’ensemble des
lonie. Toujours assistante sociale à
infirmière à Lille. En mai 1940, deassociations juives de France. L’OSE en
Montpellier, elle assure les liaisons avec
vant l’avancée des troupes allemandes,
devient la troisième direction « santé »
l’extérieur. En janvier 1944, le médecin
Sabine rejoint Paris. Sur ordre de la
dès mars 1942. L’UGIF patronne les
de Sabine est arrêté par les Allemands.
Croix-Rouge, elle se rend à l’hôpital
maisons d’enfants de l’OSE. Depuis le
En février, la Gestapo perquisitionne les
d’Argentan, puis ­décide avec Miron de
locaux de l’UGIF à Chambéry, dont dé11 décembre 1942, un décret de Laval
partir vers Montpellier. Miron ouvre
impose le tampon « juif » sur les cartes
pend financièrement la colonie d’Izieu.
d’identité et les cartes d’alimentation
un nouvel élevage. Sabine devient infirmière à l’hôpital militaire de Lauwe.
Crime contre l’humanité
dans toute la France.
Fin octobre 1940, plus de 6 500 juifs
Miron et Sabine restent en relation
Ce 6 avril 1944, Sabine est allée voir
avec leur famille. La mère de Miron vit
­l’abbé Prévost, directeur de l’institut
alle­m ands, hommes, femmes, enfants
sont arrivés au camp de Gurs chasen Lithuanie. Son père habite Varsovie,
Saint-François à Montpellier pour lui
sés de Sarre, de Bade et du Palatinat.
comme la mère de Sabine. Depuis 1940,
demander de l’aide, lorsqu’elle apprend
ils sont dans le ghetto, la corresponpar un télégramme de la sous-préfecCongédiée comme juive après la promulgation des lois de Vichy, Sabine
dance étant maintenue grâce à la Croixture de Belley, qu’une rafle est commise
propose ses services à la préfecture de
Rouge. En juillet 1942, les déportations
à Izieu. Dénoncés, les 44 enfants venus
l’Hérault pour travailler dans les camps.
à Treblinka ont commencé. Ils n’auront
d’Allemagne, de Belgique, de France,
Elle sera assistante sociale pour l’œuvre
plus de ­nouvelles.
d’Algérie, d’Autriche et leurs 7 encade secours aux enfants (OSE). Sabine
drants, dont Miron, sont emmenés par
réussira, avec son uniforme de la Croix« Ici, vous serez
la Gestapo aux ordres de Klaus Barbie.
tranquilles !  »
Rouge, à faire sortir nombre d’enfants
Tandis qu’ils sont conduits à la prides camps d’Agde et de Rivesaltes, les
En mars 1942, Sabine a pris la direcson de Montluc puis à Drancy, Sabine
cachant au besoin sous sa cape. Elle est
tion d’un home d’enfants à Palavasse démène. Elle se rend à Vichy, puis à
aidée par trois hauts fonctionnaires :
les-Flots. Il accueille des enfants juifs
Paris où elle contacte la Croix-Rouge.
John Benedetti, préfet délégué de l’Hésortis des camps en attendant un autre
En vain. Tous sont déportés en plurault, Camille Ernst, secrétaire généhébergement.
sieurs convois. 42 enfants furent gazés
Après la raf le du Vel d’Hiv, depuis
à Auschwitz dès leur arrivée. Miron et
ral de la préfecture et Roger Fridrici,
chef de division, dont le bureau des afl’été 1942, les maisons d’enfants sont
deux adolescents disparurent à Tallin
faires juives n’est pas avare en certifide possibles souricières ; le mot d’ordre
(Estonie)…
à l’OSE est devenu « sauvons les enfants
Sabine trouvera la force de revenir
cats d’hébergement.
Organisation de solidarité avec les
et dispersons-les ». En mars-avril 1943,
dans la maison vide pour recueillir
enfants juifs fondée en 1912 par des
les époux Zlatin quittent Montpellier
leurs traces. Dessins et lettres des enmédecins à Saint-Pétersbourg, l’OSE
fants seront finalement déposés à la
et gagnent Chambéry, zone d’occupaavait installé son siège à Berlin en 1923
tion italienne, avec une quinzaine d’enBibliothèque nationale de France. Mais
sous la présidence d’Albert Einstein.
fants juifs. Sabine continue son travail
pour l’heure, Sabine monte à Paris.
Emigré à Paris en 1933, son siège s’est
à Montpellier. Partout, les raf les se
Elle travaillera au Service social du
replié à Montpellier après l’arrivée des
multiplient. A l’OSE, Georges Garel a
Mouvement de libération nationale
Bas-relief de la stèle de BrégnierCordon dessiné par Sabine Zlatin.
l’humanité. Co-fondatrice de l’association destinée à faire de la maison d’Izieu
un lieu de vie, elle est l’un des artisans de
l’inauguration du Musée-mémorial des
enfants d’Izieu par François Mitterrand
en avril 1994.
« La Dame d’Izieu » a voulu faire de ce
lieu un symbole de la dénonciation des
crimes contre l’humanité, de vigilance,
de résistance aux idéologies fanatiques,
ouvert à tous. Sabine Zlatin est morte
à Paris en septembre 1996, elle a laissé
tous ses biens à la Maison d’Izieu. H.A.
n
our en savoir plus :
P
www.memorializieu.eu

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