L`évolution des positions environnementales de l`Indonésie sur le
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L`évolution des positions environnementales de l`Indonésie sur le
PROGRAMME GOUVERNANCE GLOBALE note L’évolution des positions environnementales de l’Indonésie sur le climat et les forêts : contradictions, changements, ou calculs ? Note rédigée par Frédéric Durand, Maître de Conférences-HDR à l’Université Toulouse II-Le Mirail, Chercheur à l’Institut de Recherches Asiatiques, IrAsia-UMR 7306 Décembre 2013 Sujet de la note : Climat – Indonésie : Pourquoi l’Indonésie est beaucoup plus souple que la Chine et l’Inde sur les questions climat alors qu’ils sont tous les trois des pays en très fort développement ? Quels facteurs expliquent la position indonésienne ? Est-ce que sa forêt joue un rôle (troisième plus grande zone de forêts tropicales mais avec une forte déforestation) ? Introduction 71 boulevard Raspail 75006 Paris - France Tel : +33 1 75 43 63 20 Fax : +33 1 75 43 63 23 www.centreasia.eu [email protected] siret 484236641.00029 La République d’Indonésie s’était caractérisée dans les années 1970-1990, et jusqu’au début des années 2000, par une attitude très défensive sur les questions d’environnement, qualifiant la plupart des attaques à propos de sa gestion forestière ou de sa contribution au réchauffement global d’exagérées voire d’infondées, et présentant ces critiques comme la marque d’une volonté de nuire à ses intérêts ou de l’empêcher de se « développer ». Depuis quelques années, la position indonésienne a changé de manière assez radicale, du moins dans les discours et les annonces. C’est ainsi qu’en 2011, le gouvernement a instauré un moratoire sur la coupe de certaines forêts denses et qu’en juin 2012 le président Susilo Bambang Yudhoyono a été jusqu’à déclarer à un représentant de Greenpeace que cette ONG et son gouvernement « étaient dans le même bateau et partageaient le même rêve ». On peut alors se demander s’il s’agit d’un réel changement d’attitudes, de contradictions internes ou de calculs opportunistes, notamment liés au fait que le pays a été identifié depuis 2007 comme le 3e émetteur de gaz à effet de serre mondial, après la Chine et les États-Unis. Ce revirement peut être analysé à travers plusieurs angles majeurs : le constat d’une fragilité réelle de nombreuses composantes naturelles et humaines de l’archipel ; la difficulté à continuer de nier l’existence de problèmes de plus en plus patents ; l’identification d’opportunités de bénéfices matériels ou en terme d’image internationale. Ces éléments justifient l’adoption par le pays d’une attitude plus ouverte, au moins en apparence, tant sur la question du réchauffement climatique que sur la gestion de la déforestation. des océans aient été sous-estimées, les autorités indonésiennes se sont inquiétées2. 1. La rançon réchauffement de l’archipélagisme face au 1.1. Les risques liés à la montée du niveau des océans Une des raisons ayant amené l’Indonésie à prendre conscience de l’impact potentiel du réchauffement climatique est sa situation archipélagique. En effet, à la différence d’autres grands pays, dits « émergents », comme la Chine ou l’Inde, dont le territoire est plus massif et présente un caractère largement continental, l’Indonésie est marquée par son morcellement en plus de 17 000 îles. Cette donnée mérite toutefois des précisions. En effet, même si l’archipel compte de nombreuses « petites îles » et que seules 6 000 îles sont officiellement déclarées « peuplées », les plus vastes comme Bornéo ou Sumatra sont d’une taille équivalente à la France métropolitaine et quatorze îles ont une superficie supérieure à 9 000 km², c’est-à-dire plus grande que la Corse (carte n°1). Depuis l’indépendance du pays en 1945, et même avant cela pendant la colonisation néerlandaise, cette particularité de morcellement en archipel s’est traduite par des avantages et des inconvénients. En termes d’aménagement du territoire et de transport par exemple, cela induit des contraintes et des surcoûts non-négligeables, même si les très fortes disparités démographiques (plus de 60 % de sa population vivant sur l’île de Java, soit 7 % du territoire national) limitent d’une certaine manière cette contrainte. En revanche, la proximité de la mer a de longue date favorisé le commerce et l’exploitation des ressources marines. De son côté, le droit de la mer et surtout l’intégration du concept de « nation archipélagique » à partir de la convention de Montego Bay en 1982 a permis à l’Indonésie d’étendre largement son territoire. Aux 1,9 million km² de zones émergées s’ajoute désormais une aire de contrôle maritime via sa Zone économique exclusive (ZEE) de 5,8 millions km², soit plus du triple des terres émergées. Cette configuration archipélagique induit un certain nombre de caractéristiques en partie liées à la longueur du littoral de 81 000 km, qui en fait le deuxième pays au monde pour la longueur de ses côtes1. Ainsi, la capitale Jakarta et presque toutes les capitales provinciales se trouvent sur le littoral, sachant que les trente-quatre provinces ont une façade maritime. Selon l’inventaire national des communes de 2011 (Potensi desa), 11 884 d’entre elles se situaient en bord de mer, soit 15 % des 79 000 communes du pays. Dès le 4e rapport du GIEC en 2007, et bien que les projections avancées à propos de la future montée Le calcul de la longueur des côtes varie selon des méthodes de mesures. Différents chiffres sont disponibles à propos de l’Indonésie, allant de 81 000 km (chiffre officiel indonésien) à 55 000 km par exemple selon le CIA Fact Book. En se référant à cette dernière source, la France se situe à la 27ème place avec 4 850 km. Dans tous les cas, quel que soit le mode de calcul, l’Indonésie occupe la deuxième place après le Canada et devant la Russie, les Philippines et le Japon. 1 Le 4ème rapport du GIEC en 2007 annonçait une fourchette d’élévation des océans de +18 à +59 cm à l’horizon 2100. Ces valeurs étaient considérées à cette époque comme notoirement sous-évaluées car le GIEC n’avait pris en compte que la dilatation de l’eau des océans, mais pas l’apport de la fonte des glaciers ni des calottes du Groenland ou de l’Antarctique. Les nouvelles valeurs annoncées par 5ème le rapport de 2013 qui vont de +26 à +98 cm à l’horizon 2081-2100 sont également considérées comme sousévaluées. Compte-tenu des émissions probables de CO2, la montée des océans pourrait se situer plutôt aux alentours de 1,5 à 2 mètres (Durand (F.), 2007). 2 2 Inde République Populaire de Chine Îles Ogasawara (Japon) Îles Ryukyu (Japon) Myanmar Hong Kong Macao Laos Taiwan Okino-Tori (Japon) Îles Mariannes Thaïlande Vietnam Philippines Cambodge Îles Marshall Guam (USA) 10° Etats Fédérés de Micronésie Malaisie Palau Brunei Kalimantan Su matra Océan Pacifique Célèbes/ Su lawesi Singapour Indonésie Moluqu es Papua Occidentale PapouasieNouvelle-Guinée Bali Nauru Îles Salomon Petites îles de la S onde Java E quateur Timor-Est 10° Île Christmas (Australie) Océan Indien Vanuatu 0 500 1000 km Australie Nouvelle-Calédonie (France) Carte n°1 : L’Indonésie dans la région Asie-Pacifique 1.2. Une prise de conscience indonésienne à partir de 2007 National Development Planning: Indonesian Responses to Climate Change. Outre la publication du 4e rapport du GIEC en 2007, deux faits majeurs ont contribué à faire de cette année celle de la prise de conscience par l’Indonésie de l’importance de la question climatique : un rapport d’une société de consultance nationale déclarant que le pays était le 3e émetteur de gaz à effet de serre de la planète (après les États-Unis et la Chine), et la tenue de la 13e Conférence des Parties (COP) de la Convention de l’ONU sur le Réchauffement climatique à Bali. L’année suivante, en 2008, le gouvernement indonésien a indiqué officiellement qu’une vingtaine de ses îles avaient déjà disparu et annoncé que 2 000 des 17 000 îles de l’archipel risquaient d’être submergées à l’horizon 20302040. Même s’il s’agit pour la plupart d’ilots de petite taille, qui sont peu voire pas peuplés, cela a amené le pays à envisager des déplacements massifs de populations, car les zones côtières des grandes îles sont aussi concernées par la montée des eaux. En mars 2007, un rapport de la société PT. Pelangi Energi Abadi Citra Enviro (PEACE), sur financements de la Banque Mondiale a en effet établi que, compte tenu de tous les facteurs (y compris la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre des tourbières), l’archipel avait relâché en 2005 l’équivalent de plus de 3 milliards de tonnes (Gt) de CO23. C’était deux fois plus que ce qui était jusqu’alors déclaré, mais aussi deux fois plus que l’Inde, pourtant cinq fois plus peuplée. C’est d’ailleurs de l’année 2008 que date le décret présidentiel n°46 qui a créé le Conseil National sur le Changement Climatique : DNPI (Dewan Nasional Perubahan Iklim), dont les missions principales sont à la fois nationales (coordonner et évaluer les actions sur le territoire en relation avec les transformations climatiques) et internationales (renforcer la position de l’Indonésie dans les réunions internationales et convaincre les pays du Nord de faire des efforts pour lutter contre le changement climatique) (Cf. infra). La tenue à Bali de la 13e COP en décembre 2007 a aussi contribué à cette prise de conscience. La conférence n’est pas parvenue à réaliser son objectif majeur à l’échelle planétaire qui visait à préparer l’après-Protocole de Kyoto, mais elle a été l’occasion du lancement par la Norvège d’un programme intitulé REDD (Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation) doté de trois milliards de couronnes norvégiennes (environ 360 millions d’Euros) pour soutenir des projets forestiers en relation avec la limitation des émissions de CO2. Dans le contexte de cette annonce, l’Indonésie avait préparé en novembre 2007, la mise en place d’un plan national d’action face au changement climatique (National Action Plan on Climate Change (RAN-PI)) et en décembre 2007, l’Agence nationale de planification a publié un document intitulé : PEACE, Executive Summary: Indonesia and Climate Change. Working Paper on Current Status and Policies, 2007. 3 1.3. Les problèmes induits par l’augmentation de la température et de l’acidification des océans Au problème de la montée des océans, qui menace directement les populations et l’intégrité territoriale indonésienne, s’est ajoutée la prise de conscience des mécanismes complexes qui commencent à affecter les océans et notamment l’augmentation de la température des mers et leur acidification. Ces problèmes sont notamment ressortis lors de la conférence mondiale sur les Océans qui s’est tenue à Manado (Sulawesi-Nord) du 11 au 14 mai 2009. Les conclusions de cette conférence, à laquelle l’Indonésie a activement participé en tant que pays-hôte, ont souligné la gravité des phénomènes en cours. De fait, les coraux sont particulièrement sensibles à la température. Des accroissements de seulement +1 à +2°C peuvent causer 3 la mort de la plupart des espèces, alors que l’objectif d’éviter un réchauffement planétaire inférieur à +2°C à la fin du XXIe siècle paraît de plus en plus compromis. À ce titre, les relevés contemporains des eaux indonésiennes indiquent un réchauffement de +0,020 à +0,023°C par an. Cela laisse craindre une augmentation supérieure à +2°C à l’horizon 21004. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) considérait au milieu des années 2000 que 30 % des formations coralliennes étaient déjà sérieusement endommagées et que 60 % pourraient être perdues d’ici 2030. Plusieurs des espèces de la grande barrière de corail paraissent à leur limite supérieure de tolérance thermique, comme l’attestent les blanchissements de vastes zones lors des étés 1998 et 2002. Les implications sont considérables en raison du rôle crucial des coraux dans la préservation de la biodiversité marine. Ce dépérissement est renforcé par l’acidification des océans. Depuis le milieu du XIXe siècle avec les rejets de CO2 liés à la Révolution industrielle, le pH (qui mesure l’acidité) a diminué d’un dixième, de 8,2 à 8,1, sur les cents premiers mètres des océans. Avec le réchauffement en cours, il devrait sans doute baisser encore d’au moins deux dixièmes à l’horizon 2100. Même si le phénomène peut paraître modéré, cela risque d’induire de profondes modifications de la chaîne alimentaire marine, en entravant la formation des coquilles de nombreux micro-organismes, avec de graves conséquences sur la pêche, qui constitue une source importante de revenu et de subsistance pour beaucoup d’Indonésiens. C’est dans ce contexte qu’a été décidé en mai 2009 lors de la conférence de Manado l’établissement du Triangle du Corail (Segitiga Terumbu Karang), une zone transnationale de 6,5 millions de km², qui réunit sept pays5. L’Indonésie s’est en effet associée à : Brunei, la Malaisie, les Philippines, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon et TimorLeste (carte n°2). La constitution de ce Triangle international confirme la capacité des pays de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-est) à envisager de gérer collectivement les questions environnementales, alors que la Chine ou l’Inde ont plus tendance à rejeter les contraintes internationales6. Outre la mise en place d’une gestion durable des ressources pour les 120 millions de personnes vivant dans cette zone, un des buts du Triangle est de renforcer la conservation et la connaissance de ces espaces maritimes qui comprennent 500 espèces de coraux et 3 000 espèces de poissons déjà identifiées, mais où des dizaines de milliers d’autres sont encore à découvrir, l’étude de ces régions restant très lacunaire. réchauffement global des océans. 1.4. Une inquiétude modérée face aux cyclones, mais des risques d’inondations Plusieurs rapports du GIEC évoquent la menace de l’augmentation du nombre et de l’intensité des cyclones. Il est certes délicat de trancher sur l’ « origine » des manifestations exceptionnelles qui ont eu lieu au cours des dernières années, comme le cyclone Hayian aux Philippines en novembre 2013 dont le bilan est évalué à 10 000 morts, mais aussi le cyclone Phailin en Inde en octobre 2013. Ce dernier a fait nettement moins de victimes, mais a forcé les autorités indiennes à déplacer plus de 850 000 personnes. En tout état de cause, il n’est plus vraiment contesté que le réchauffement climatique va favoriser ce type d’événements. De fait, les cyclones se forment dans l’hémisphère nord pendant une période allant de la fin de l’été jusqu’au mois de novembre (et à contre-saison dans l’hémisphère austral), lorsque la température de surface des eaux océaniques est d’au moins 26,5°C sur 60 mètres de profondeur. Plus l’eau est chaude, plus le cyclone peut être violent, atteignant des vitesses supérieures à 250 km/ heure pour ceux de force 5. À ce titre, le cyclone Hayian aux Philippines a dépassé les 300 km/heure. L’Indonésie est moins inquiète par rapport à ces phénomènes que ses voisins philippins, vietnamiens ou chinois, dans la mesure où peu de cyclones se forment dans une zone de 10° nord et sud de part et d’autre de l’équateur, en raison de la faiblesse de la force de Coriolis (Cf. carte n°1). Cependant, même si l’Indonésie est moins exposée, de tels cyclones sont historiquement répertoriés et pourraient devenir plus fréquents. Ainsi, en mars-avril 2003, le cyclone Inigo a pris naissance au large de l’île de Tanimbar (dans les Moluques) avant de traverser les îles de la Sonde, puis de frapper l’Australie. Ses vents moyens étaient de 250 km/heure avec des rafales mesurées à 335 km/heure. Outre d’importants dégâts matériels, Inigo a causé la mort de 58 personnes en Indonésie. Si le risque de cyclone reste a priori modéré, la crainte de la perturbation de la pluviométrie est en revanche grande, car elle peut se traduire par des excès de pluies causant des inondations ou bien des sécheresses prolongées ayant un impact sur les zones urbaines (de nombreux quartiers inondables, y compris à Jakarta), sur l’agriculture et sur les feux de forêts. On notera toutefois que l’établissement de cette zone peut réduire les pressions directement anthropiques (pollutions, surpêche…), mais qu’elle ne pourra pas intervenir sur le Republic of Indonesia, Indonesia Climate Change Sector Raodmap, ICCSR, Scientific Basis: Analysis and Projection of Sea Level Rise and Extreme Weather Event, Jakarta, March 2010, p.25. 5 CTI-CFF (Coral Triangle Initiative on Coral Reefs, Fisheries and Food Security), en partenariat avec le WWF. 6 Durand (F.), 2004, « Crises environnementales et espaces forestiers transnationaux en Asie du Sud-est ». 4 4 Inde République Populaire de Chine Zone de protection du triangle de corail Taiwan Myanmar Laos Thaïlande Philippines Cambodge Viêt-nam Océan Pacifique Sabah Source : WWF, 2012. Malaisie Papouasie Nouvelle-Guinée Océan Indien 0 Indonésie TimorLeste 1000 km Australie Îles Salomon Carte 2 : La zone de protection du Triangle de Corail, créée en 2009 2. Des forêts moins « inépuisables » que ce qui a longtemps été prétendu 2.1. Une mise en exploitation non-durable à partir des années 1960 En dehors de l’île de Java, qui a été largement déboisée dès l’époque coloniale, l’exploitation et la dégradation massives des forêts indonésiennes a débuté en 1967, un an après l’arrivée du général Suharto à la tête du pays. À l’époque, l’Indonésie avait désespérément besoin de devises pour relancer son économie et les forestiers déclaraient qu’avec 120 millions d’hectares de forêts denses (la deuxième de la planète après l’Amazonie brésilienne), le pays aurait disposé d’une ressource « inépuisable ». Ce sentiment était renforcé par les affirmations internationales de la FAO selon laquelle l’exploitation du bois n’aurait jamais été destructrice. L’Indonésie a donc ouvert ses forêts à l’exploitation étrangère. Cette décision a remporté un vif succès, d’autant que les ressources en bois tropicaux des Philippines (qui pourvoyaient jusqu’alors les marchés américains et japonais) commençaient à s’épuiser. La superficie sous concession a rapidement augmenté, jusqu’à atteindre 62 millions d’ha au début des années 1990, soit un tiers du territoire national et une superficie supérieure à la France métropolitaine (tableau n°1). Ces concessions ont permis à l’Indonésie de devenir dans les années 1970/1980 le plus important producteur mondial de bois tropical puis le plus grand exportateur de contreplaqué tropical. Cependant, en dépit de déclarations rassurantes et de la création d’un système de coupe censé être « durable », les forêts se sont dégradées en quelques décennies. La superficie sous concession a baissé à partir du milieu des années 1990, soit moins de trente ans après le début de l’exploitation, et elle est désormais inférieure à son niveau de 1974. Cette mise en concession a contribué à la dégradation des forêts denses, dont l’étendue est passée de 119 millions d’ha, soit 63 % de la surface du pays au moment de l’arrivée au pouvoir du général Suharto à 46 millions d’ha, soit un quart du pays dans les années 2010 (tableau n°2). On notera ici qu’il s’agit de forêts « denses » peu ou pas perturbées. La superficie officielle sous contrôle du ministère des Forêts s’élève en 2012 à 110 millions d’ha, dont 98 sont déclarés forestiers (46 millions en forêts « denses » et 52 en formations « dégradées »). Les dirigeants indonésiens de la période Suharto portent une part de responsabilité dans cette dégradation, mais ils ont aussi été conseillés par des forestiers internationaux qui ont relayé le discours « officiel » sur le caractère nondestructeurs de l’exploitation forestière, en rejetant la majeure partie de la faute de ce recul sur les « agriculteurs itinérants ». L’inanité de ces accusations n’a commencé à être remis en question qu’à partir de 1990 dans un rapport de la Banque Mondiale qui a montré que les principaux responsables de la déforestation étaient en réalité à l’époque les défrichements permanents des petits planteurs, les plantations agroindustrielles privées, les grands programmes publics d’essor agricole (Transmigration), ainsi que l’exploitation forestière7. Cette situation tend à rapprocher progressivement World Bank, 1990, Indonesia, sustainable development of forests, land, and water, Washington, xi-190 p. 7 5 l’Indonésie de grands pays comme l’Inde et la Chine, dont la superficie forestière s’est dégradée dès le XIXe et le XXe siècles, pour ne plus couvrir officiellement que respectivement 23 % et 18 %. Il faut cependant souligner la très grande confusion qui règne dans les chiffres. Ainsi, au cours des années 1980/1990, l’Indonésie a régulièrement déclaré une superficie forestière « officielle » de 143 millions d’ha (alors qu’elle n’était déjà plus que de 120 millions dans les années 1940 au moment de l’indépendance). Dans les années 2010, l’Indonésie indique encore souvent une superficie forestière « officielle » de 131 millions d’ha8, tandis que la FAO évoque environ 94 millions d’ha couverts de forêts9. Une grande part de l’ambiguïté réside dans la prise en compte ou non de vastes zones largement déboisées ou seulement couvertes d’une végétation de broussailles ou d’arbustes. Tableau n°1 : Superficie en concessions forestières 1967-2011 (millions d’hectares et %) 1967 1970 1974 1978 1985 1993 1998 2000 2002 2008 2011 9 13 26 36 53 62 52 39 28 26 23 5% 7% 14 % 19 % 28 % 33 % 28 % 21 % 15 % 14 % 12 % Superficie (M ha) % du pays Sources : Durand F., 1994 et 1998 ; Menteri Kehutanan Indonesia, 2012. Tableau n°2 : L’évolution des forêts denses en Indonésie 1940-2010 Superficie (millions ha) % du territoire 1940 121 64 % 1966 119 63 % 1990 78 41 % 2010 46 25 % Sources : Durand F., 1994 et 1998 ; Menteri Kehutanan Indonesia, 2012. 2.2. La prise de conscience de la fragilité des forêts et la course en avant industrielle Deux grands facteurs ont mis en lumière la rapide fragilisation des forêts : d’une part, le constat à partir du début des années 1990 que le pays ne parvenait pas à alimenter ses usines de contreplaqué et risquait d’être obligé d’importer du bois ; d’autre part, une succession de graves incendies, dont le plus étendu en 1991/1992 a détruit plus de 3 millions ha de forêts, soit l’équivalent de la Belgique. Il est apparu alors que dans les zones exploitées, les feux s’étaient facilement propagés, provoquant une destruction de 80 à 90 %, contre seulement 10 à 20 % dans les forêts non-exploitées10. De surcroît, ces incendies ont été associés à des années où le phénomène El Niño était particulièrement intense, amenant une grave sécheresse dans l’archipel indonésien. Menteri Kehutanan Indonesia, 2012, Statistik Kehutanan Indonesia, Jakarta, x-300 p. (p.11). 9 FAO, Global Forest Resources, Assessment 2010, Country Report, Indonesia, FRA2010/095, Rome, 2010, 67 p. (p.7). 10 Bertault (J.-G.), 1991, « Quand la forêt tropicale s’enflamme, près de trois millions d’hectares détruits à Kalimantan », in Bois et Forêts des Tropiques, n°230, pp. 5-14. 8 Cela a contribué à faire comprendre au gouvernement indonésien que le changement climatique pouvait avoir des conséquences néfastes sur son secteur forestier. En une boucle de rétroaction négative, les incendies contribuent de leur côté à relâcher du carbone. Ainsi, les grands feux indonésiens de 1997 qui se sont étendus sur environs 11,6 millions ha auraient relâché 1,45 milliard de tonnes de CO2, soit l’équivalent de 5 % des émissions mondiales11. Toutefois, au lieu de susciter l’apparition d’une meilleure gestion, ce constat a dans un premier temps incité à plus de spéculation, notamment dans le secteur de la production de pâte à papier. Dans les années 1990, les projets d’usines se sont multipliés en proposant de réaliser des plantations forestières d’espèces à croissance rapide. Ces projets étaient cependant largement biaisés. D’abord les plantations d’espèces à croissance rapide (surtout acacias, albizzias et eucalyptus) ne reconstituaient en rien la biodiversité des forêts originelles ; ensuite la plupart des projets se sont avérés fictifs et ont surtout visés à obtenir des autorisations de coupe dans des forêts naturelles, le temps que les plantations (fictives) arrivent (théoriquement) Murdiyarso (D.) & Adiningsih (E.S), 2007, « Climate anomalies, Indonesian vegetation fires and terrestrial carbon emissions », in Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change, vol 12.1, pp. 101-112. 11 6 à maturité. Ce pseudo-reboisement, qui cachait en réalité un moyen d’obtenir des permis d’exploitation, a fait l’objet d’une grande spéculation avant de montrer ses limites dans les années 2000. Il a débouché sur la tentation de favoriser une nouvelle filière, celle du palmier à huile et des agro-carburants, dont la place est également ambiguë dans les discussions sur le réchauffement climatique. 3. Des enjeux pour les populations et sur l’avenir politico-économique du pays 3.1. Les conséquences de l’expansion agricole et de l’assèchement des tourbières Devant l’échec des politiques forestières et le constat que le pays ne pourra pas à brève échéance restaurer une production de bois à la hauteur de ses objectifs de croissance économique, beaucoup d’entrepreneurs se sont tournés vers le palmier à huile, qui a contribué à la réussite agricole de la Malaisie. Toutefois, un autre problème est rapidement apparu. Une majeure partie des terres forestières accessibles et facilement défrichables à Sumatra et à Kalimantan sont situées sur des sols tourbeux qui contiennent une grande quantité de carbone. L’extension du palmier à huile ne cause donc pas seulement la destruction de portions de forêts tropicales et le rejet dans l’atmosphère de leur carbone, mais également l’émission de grandes quantités de CO2 (et de méthane) stockées dans les sols. Les tourbières tropicales planétaires contiendraient au moins 89 milliards de tonnes (Gt) de carbone, dont les deux tiers sont situés en Indonésie, soit l’équivalent de trois fois les émissions mondiales annuelles12. Ainsi par exemple, la plus grosse concentration de tourbe à Sumatra qui se situe dans la province de Riau correspond à 4 millions d’ha (la taille de la Suisse). Elle contiendrait 15 Gt de carbone, soit l’équivalent de plus de la moitié des émissions annuelles planétaires de CO2. Chaque année l’assèchement et les brûlis dans les forêts sur tourbes causent 40 % des émissions du pays (1,8 milliard de tonnes d’équivalent CO2). Comme on l’a vu, cela fait désormais de l’Indonésie le 3e émetteur mondial de gaz à effet de serre après les États-Unis et la Chine, avec 5 % des émissions mondiales, alors que l’archipel n’a ni le niveau de vie des premiers, ni la population du second13. Cette situation est une des clés de l’évolution de la position indonésienne en matière forestière et climatique. En effet, dans le contexte des difficultés internationales de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire, l’Indonésie est en position de monnayer le gel de ces destructions au titre de la déforestation évitée, ou des « rejets de carbone » évités, alors que les revenus agricoles générés par ces défrichements ne contribueraient qu’à Moore (S.) et al., 2013, « Deep instability of deforested tropical peatlands revealed by fluvial organic carbon fluxes ». 13 Le PIB/habitant de l’Indonésie est d’environ 3 000 $ contre 48 000 $ pour les États-Unis. La population indonésienne est évaluée à 250 millions contre 1,35 milliard pour la Chine. 1 % du PIB national. 3.2. L’Indonésie au premier rang du « ressenti » climatique En se basant sur les dernières modélisations du cinquième rapport du GIEC, un article paru en 2013 dans la revue Nature s’est interrogé sur l’année à partir de laquelle les régions commenceraient à « ressentir » le réchauffement climatique (c’est-à-dire, que le changement dépasserait la « variabilité naturelle historique »)14. Cette étude considère qu’une des premières villes de la planète où le phénomène devrait devenir perceptible est Manokwari, en Papouasie occidentale. Cette ville le ressentirait dès 2020 (carte n°3). Elle précéderait la capitale Jakarta de peu, puisque les effets y seraient perceptibles à partir de 2029. Il faut bien sûr rester très prudent vis-à-vis de ce genre de prévisions qui comptent une part de subjectivité et prolongent des tendances, alors que le changement climatique a de fortes chances d’être non-linéaire. On notera néanmoins que contrairement à ce qui est souvent avancé de manière un peu spécieuse, les pays du Nord ne seraient pas forcément moins touchés que les pays du Sud15. En tout cas, selon cet article, les États-Unis « percevraient » les effets du réchauffement climatique à la fin des années 2040 et les capitales européennes dans les années 2040/2050. Pour l’Indonésie, un des enjeux majeurs des prochaines décennies se situe au niveau de l’autosuffisance alimentaire. En effet, le riz, qui est l’aliment de base de la population, voit son rendement chuter en moyenne de 9 % par degré de hausse de température. D’autres produits agricoles sont susceptibles de voir également leur rendement baisser comme le maïs ou le blé. L’enjeu est de taille car même avec une croissance démographique de seulement 1 % par an, le pays voit sa population augmenter de 2,5 millions d’habitants par an. Entre 1995 et 2005, 1,9 million d’ha de terres agricoles auraient subi des inondations entraînant une perte totale de récolte sur 470 000 ha. Sur la même période, la sécheresse aurait touché 2,1 millions d’ha détruisant l’équivalent de 330 000 ha, à raison d’une moyenne de 4,6 tonnes par hectare. Pour la seule année 2010 (au cours de laquelle plusieurs régions ont connu des sécheresses ou des inondations), les pertes ont été évaluées à 300 000 tonnes de riz, soit 1 % de la production nationale. Les pertes pourraient en outre s’accroître en parallèle avec la montée des mers qui tend à provoquer la salinisation des plaines littorales où se concentre une part importante des rizières de l’archipel. 12 Mora (C.) et al., 2013, « The projected timing of climate departure from recent variability ». 15 Durand (F.), 2012, « Réchauffement climatique : le Nord n’est pas moins concerné que le Sud ». 14 7 Reyk javik, 206 6 M oscou , 206 3 Lo ndres, 20 56 S an F rancs ico, 20 49 Ro me, 20 44 N ew Yo rk, 20 47 Pékin, 20 46 O rlan do, 20 46 To kyo, 204 1 Le Cair e, 20 36 Mu mbay, 20 34 M exico , 2031 Bog ota, 2033 Mora (Camilo) et al., 2013. A nchor ag e, 20 71 B an gkok, 20 46 Lagos, 20 29 M anokw ari 20 20 J akarta, 20 29 Rio de Janeiro, 205 0 P reto ria, 20 43 S an tiago, 2043 P er th , 204 2 5000 km 0 Sur l’équateur Carte n°3 : Estimation du début du « ressenti climatique » Le ministre Indonésien de l’Économie, Hatta Rajasa, l’a d’ailleurs reconnu dans un discours en août 2013 en déclarant : « Le réchauffement climatique n’est pas quelque chose qui va arriver dans dix ou vingt ans. Ce phénomène est déjà devant nous et nous le ressentons déjà. Cela va menacer nos approvisionnements alimentaires »16. De son côté, le ministère de la Santé s’est inquiété officiellement en mars 2013 de l’augmentation de certaines maladies et particulièrement de la dengue et de la malaria17. L’accroissement des températures pourrait également causer des problèmes de santé publique liés à des canicules. Ainsi, en mars 2013, la province de Jambi (centre de Sumatra) a expérimenté une température de 40° alors que la température maximale jamais enregistrée jusqu’alors était de seulement 35°. Laos Outre les effets globaux des défrichements forestiers et des tourbières, les brûlis ont également un effet négatif direct sur la pollution de l’air local, mais aussi régional pour ses deux principaux voisins : la Malaisie et Singapour. Depuis 1997, face à la récurrence des pollutions liées aux fumées qui se sont parfois propagées sur des milliers de kilomètres, l’ASEAN a adopté un plan d’action relatif aux pollutions transfrontalières18. Selon les années, en fonction des pluies et des vents dominants, le problème s’avère plus ou moins grave. L’année 1997, les fumées ont constitué une nuisance qui s’est étendue sur des milliers de kilomètres, bloquant le trafic aérien et entravant même certains jours le trafic maritime dans le détroit de Malacca (carte n°4). Chine Thaïlande Cambodge Vietnam Philippines Inde Malaysia Brunei PapouasieNouvelleGuinée Source : d'après Earth Probe TOMS / NASA - 1998 Myanmar 3.3. Des relations délicates avec ses voisins Indonésie fumée s d ense s fumée s mo déré es 0 50 0 10 00 Km TimorEst Australie F.DURAND, 1998 Carte n°4 : Les fumées des incendies de forêts en septembre 1997 Kompas, 30 août 2013. Putro Agus Harnowo, « Di Indonesia, Demam Berdarah dan Malaria Akrab dengan Pemanasan Global », Detik, 27 mars 2013. 16 17 Durand (F.), 2004, « Crises environnementales et espaces forestiers transnationaux en Asie du Sud-est », p.427. 18 8 En juin 2013, l’indice synthétique de pollution de l’air de Singapour a atteint un record historique et dépassé le niveau 400, alors qu’un niveau supérieur à 300 est déjà considéré comme « dangereux ». Pour la même raison, à la même époque, de nombreuses écoles ont aussi été contraintes de fermer à Kuala Lumpur, la capitale fédérale malaisienne. Par-delà l’impact négatif qu’ont ces pollutions sur l’image de l’Indonésie chez ses voisins, la presse malaisienne et singapourienne fait néanmoins régulièrement remarquer que les feux sont souvent liés à des investisseurs de chez eux, qui vont planter du palmier à huile dans l’archipel. Dans tous les cas, l’Indonésie, qui est soucieuse de ses bonnes relations avec ses voisins asiatiques et particulièrement de l’ASEAN, ne peut plus désormais fermer les yeux sur ces problèmes ni nier sa part de responsabilité. L’Indonésie pouvait également espérer tirer profit de l’ouverture de son grand voisin l’Australie. En effet, en 2011, le gouvernement travailliste australien avait amorcé une politique d’ouverture sur les questions climatiques, envisageant des coopérations dans le domaine des marchés du carbone avec l’Europe. Cela pouvait avoir des répercussions sur la création de puits de carbone, notamment à travers le reboisement. Cet espoir s’est toutefois estompé depuis septembre 2013, avec l’arrivée au pouvoir du conservateur Tony Abbott, qui compte arrêter tous les projets dans ce domaine. 4. Des opportunités de bénéfices matériels ou en terme d’image internationale 4.1. L’Indonésie dans une situation plus délicate que l’Inde et la Chine ? Même si l’Inde et la Chine ne sont pas forcément moins exposées que l’Indonésie aux aléas climatiques (comme l’ont montré les inondations et les cyclones de 2013), l’archipel a certainement mieux pris la mesure des menaces. De fait, alors que beaucoup d’analystes présentent régulièrement l’Indonésie comme un nouveau « grand dragon », le pays a aussi conscience de sa fragilité par-delà ses réels potentiels. De nombreux éléments ont fait comprendre cela aux autorités depuis une quinzaine d’années et notamment les effets désastreux de la crise asiatique de 1997/1998, la dégradation de ses forêts, ou l’obligation de quitter l’OPEP en 2008 car l’archipel était passé de la situation d’exportateur à celle d’importateur net de pétrole… En même temps l’Indonésie a senti qu’une position de blocage ou de refus pouvait être moins profitable à la fois en terme d’image internationale et de capacité à drainer des fonds. 4.2. Des espoirs de gains médiatiques et surtout d’aide internationale Un des arguments qui a sans doute été déclencheur en Indonésie a été la promesse faite par les pays du Nord, lors de la conférence sur le climat de Copenhague en 2009, de verser 10 milliards de dollars par an sur la période 20102012 au titre de l’aide financière accordée aux pays du Sud pour les aider à lutter contre le changement climatique, et d’accroître cette aide à hauteur de 100 milliards de dollars par an après 2020. Les débats houleux de la conférence de Varsovie en novembre 2013 montrent que rien ne garantit que ces promesses seront vraiment respectées à la hauteur des annonces. Reste que plusieurs centaines de milliards de dollars devraient néanmoins être disponibles pour des projets, et que l’Indonésie a compris qu’elle pouvait faire d’une pierre trois coups : redorer son image internationale, récupérer des fonds et réaliser des projets qu’elle ne peut pas financer elle-même. C’est dans ce sens que le président Susilo Bambang Yudhoyono a annoncé lors du sommet du G-20 en septembre 2009 que son pays s’engageait unilatéralement à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 26 % d’ici 2020, soit l’équivalent de 767 millions de tonnes de CO2. Il a ajouté qu’il pouvait pousser cet effort jusqu’à 41 %, soit 442 millions de tonnes de CO2 si son pays obtenait un soutien international. On notera à ce propos un certain flou dans les valeurs. En effet, le calcul des émissions indonésiennes est délicat à établir de manière certaine dans la mesure où une part importante est liée à la déforestation et aux émissions de gaz des tourbières qui sont bien plus difficiles à chiffrer que les émissions dues aux carburants fossiles. Ainsi, pour 2010, la base de données européenne EDGAR (Emissions Database for Global Atmospheric Research), place l’Indonésie seulement en 5ème position avec 1,9 Gt de CO2, derrière la Chine, les États-Unis, l’Inde et la Russie ; et juste devant le Brésil et le Japon19. En tout état de cause, même si le président a signé un décret en 2011 pour aller dans le sens d’une réduction de 26 %, il n’est pas sûr que l’Indonésie sera capable de réaliser sa part de l’effort par elle-même. Si les fonds nationaux affectés par le gouvernement à cet objectif se maintiennent au niveau de ceux du budget 2012, cette enveloppe permettra sans doute une réduction de seulement 116 millions de tonnes (soit une baisse unilatérale de 4 % au lieu de 26 %)20. Cela pourrait avoir un impact sur le reste de l’effort : les 15 % des émissions qui sont censés être financés internationalement. 4.3 Les objectifs de réduction de gaz à effet de serre de l’Indonésie Le décret présidentiel N°61/2011 a établi 123 programmes dans cinq à six secteurs prioritaires : les forêts, les tourbières, les transports, l’industrie, l’agriculture et les déchets. Les deux premiers (qui sont parfois fusionnés dans certains documents) apparaissent clairement comme les plus importants car ils correspondent à 87 % des objectifs (tableau n°3). http://edgar.jrc.ec.europa.eu/overview.php?v=GHGts19902010&sort=des9 En 2005, EDGAR indique 2,88 Gt de CO2 pour l’Indonésie, alors que pour la même année PEACE mentionnait 3,014 Gt. 20 ICCTF Newsletter, n°11, Indonesia Climate Change Trust Fund, April-June 2013. 19 9 Tableau n°3 : les objectifs de réduction des gaz à effet de serre par secteur Secteurs Objectif de réduction (Gt CO2) Objectif : 26 % Objectif : 41 % (26+15 %) % Forêts et tourbe 0,672 1,039 87 Déchets 0,048 0,078 6,5 Energie et transports 0,036 0,056 5 Agriculture 0,008 0,011 1 Industrie 0,001 0,005 0,5 Total 0,767 1,189 100 % Source : Décret présidentiel n°64, 2011 (les sommes peuvent présenter de légères différences dues à des arrondis). Ces objectifs surinvestissent les activités forestières et la tourbe, même celles-ci elles jouent un rôle important puisqu’elles seraient responsables de 62 % des émissions de gaz à effet de serre (tableau n°4). En revanche, l’énergie, l’agriculture et l’industrie sont nettement moins concernées. C’est en cohérence avec la stratégie du pays qui souhaite réduire ses émissions tout en conservant une croissance économique de 7 % par an. Tableau°4 : Contributions des secteurs à l’effet de serre en Indonésie Défrichements et activités forestières Tourbe Énergie Déchets Agriculture Industrie Source : Republic of Indonesia, 2010. % 36 % 26 % 22 % 9% 5% 2% Dans ce contexte, le gouvernement indonésien a également mis en place un groupe de travail REDD+ pour s’occuper plus spécialement des questions forestières et de tourbe. Les enjeux sont considérables car si l’on prend en compte l’ensemble des émissions des forêts et des défrichements à l’horizon 2029, on parvient à 15,8 Gt de CO2, soit environ la moitié des émissions mondiales annuelles actuelles. La conversion monétaire de ces milliards de tonnes peut aboutir à des financements de plus de 60 milliards de dollars d’ici 2029 (tableau n°5). Il s’agit d’une somme considérable quand on sait que l’aide internationale totale reçue par l’Indonésie en 2012 s’élevait à 4,2 milliards $, pour un PIB national de 878 milliards $. Tableau n°5 : Coût des émissions évitées dans les secteurs forestier et de la tourbe à l’horizon 2029 Secteur Gt CO2 US $ / t. CO2 Tourbe 6,4 4,2 Gestion durable des forêts 5,3 1,0 RED “Dry land” 2,8 2,0 Plantations 1,3 19,0 Total 15,8 Source : ICCRS (Indonesia Climate Change Roadmap), 2010. Milliards US $ 26,8 5,3 5,5 24,1 61,7 Cet argent correspondrait pour 43 % à des émissions évitées des tourbières (c’est-à-dire un gel plus ou moins temporaire de projets de défrichements) et pour 39 % à des plantations. Dans ce dernier cas, l’Indonésie ferait financer par l’aide des activités de reboisement qu’elle n’a pas su mener de manière satisfaisante depuis plusieurs décennies, et qui ont même parfois provoqué des coupes rases pour alimenter des usines de pâtes à papier. À noter également que 5 milliards de dollars seraient utilisés pour financer une exploitation censée être « durable » du bois. 10 La durabilité de cette activité est cependant très discutable pour au moins deux raisons. D’une part, à ce jour, il n’existe aucun système de gestion durable des espaces forestiers tropicaux dans leur complexité éco-systémique. D’autre part, comme on l’a vu, l’exploitation du bois fragilise structurellement les forêts face au risque d’incendie, dont la probabilité d’aggravation est forte avec le réchauffement climatique. Le moratoire présidentiel du 20 mai 2011 (PI n°10/2011) s’inscrit dans la perspective de ce programme REDD+. Il vise à suspendre pendant deux ans les nouvelles concessions dans les forêts primaires et sur tourbe. Ses modalités ont cependant suscité d’importantes réserves. 21 Il s’agit en effet d’une suspension limitée, tant dans sa durée (seulement deux ans), que dans les activités et les zones concernées. Ainsi, les projets miniers ou d’extension de certaines cultures (riz et canne à sucre) pourraient continuer en forêts denses, de même que les dossiers « en cours d’instruction dans d’autres domaines », sans que ceux-ci n’aient été précisés. concrétisation des promesses internationales. Après les tensions de la conférence de Varsovie en novembre 2013, les autorités indonésiennes ne sont sans doute pas dupes du fait que les financements à venir seront probablement sensiblement moins importants que ce qui avait été promis à Copenhague en 2009. Dans tous les cas, même si les sommes en jeu s’avèrent considérables, elles permettront seulement de gérer quelques-uns des immenses problèmes que va susciter le réchauffement climatique dans toutes les régions du monde au cours des prochaines décennies. Pour l’instant, les sommes reçues par l’Indonésie sont loin d’être à la hauteur de ses attentes. Le fonds indonésien pour le climat (ICCTF-Indonesia Climate Change Trust Fund) créé en septembre 2009 et placé sous la tutelle de l’agence de planification nationale (Bappenas) a pour objectif de gérer jusqu’à 1,65 milliard de dollars sur la période 2012-2020. En juillet 2013, après quatre ans d’existence, ils n’avaient reçu que 11,2 millions $, principalement de l’Australie (AusAid), de la Suède (SIDA) et du Royaume-Uni (UKCCU- UK Climate Change Unit). Conclusion Depuis les années 2000, l’Indonésie a pris conscience de sa fragilité environnementale, tant par rapport à ses forêts, dont les ressources en bois s’avèrent épuisables, que par rapport au changement climatique qui menace à la fois son intégrité territoriale, ses populations et son économie. Dans ce contexte, tout en continuant à craindre que les débats environnementaux ne soient utilisés pour critiquer leur mauvaise gestion forestière ou introduire des contraintes pouvant nuire à leur « développement » économique, les autorités ont compris que de l’argent allait être disponible dans les circuits internationaux, sous réserve d’accepter un certain nombre de contraintes de forme et de garanties légales. L’Indonésie ne disposant pas du poids politique ou économique de la Chine ou de l’Inde, et compte tenu de ses problèmes présents et à prévoir, il est donc probable que l’archipel va préférer continuer à jouer la carte du pragmatisme, en s’efforçant de tirer un profit maximum des aides disponibles. Si les montants s’avéraient vraiment décevants, il est possible que l’Indonésie infléchisse sa politique, à l’instar de l’Équateur, qui a renoncé à sanctuariser le parc naturel de Yasuni en août 2013 en constatant le manque de Wells (P.) & Paoli (G.), 2011, An Analysis of Presidential Instruction No. 10, 2011, Daemeter Consulting, Jakarta, 10 p. 21 11 Republic of Indonesia, Indonesia Climate Change Sector Raodmap, ICCSR, Scientific Basis: Analysis and Projection of Sea Level Rise and Extreme Weather Event, Jakarta, March 2010, xvi-70 p. 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