Le futur de la justice pénale internationale.

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Le futur de la justice pénale internationale.
PORTAIL JUDICIAIRE DE LA HAYE
Le futur de la justice pénale internationale.
Carsten Stahn*
I. Le Status quo
Plus tôt cette année, lors de la réunion intersession organisée par Crimes against Humanity
Initiative1 en juin 2009, le lauréat du prix de La Haye, Cherif Bassiouni, a fait ne remarque
frappante au sujet de la justice internationale. Il a déclaré: « dans cinq ans, nous aurons
essentiellement la Cour pénale Internationale (CPI) dans le paysage des institutions
internationales. Les deux tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda vont fermer
leurs portes avec certainement plusieurs questions en suspend relatives à la transition. D’autres
institutions devront remplir leurs mandats. »
Que cela signifie-t-il pour le futur de la justice internationale ? Cela veut-il dire qu’elle n’a pas
de réel futur, exception faite de la CPI ? Ou que l’avenir de la justice internationale est
« national », comme prédit par la spécialiste des relations internationales Anne-Marie Slaughter,
qui il y a quelques années écrivait, dans un article pour le Revue de droit international de
Harvard, « le futur du droit international est national2.»
Le tableau actuel semble être plus nuancé. La réalité des conflits fait qu’il est peu probable que la
justice internationale perde de sa pertinence. Les institutions actuelles ont déjà de la difficulté à
faire face au nombre d’affaires et des situations existantes. Les premières années de
fonctionnement de la CPI donnent tord aux septiques qui ne croient pas en l’arbitrage
international.
* Dr. jur., LL.M. (NYU), LL.M. (Cologne-Paris), professeur agrégé de droit pénal international, Université de
Leiden, Directeur de programme, Centre Grotius pour les études juridiques internationales. Ces remarques sont
basées sur l’Opening of the Academic Year at Campus Den Haag, Université de Leiden. Remerciements à Mme.
Ruth Shaikh pour son aide à la rédaction. Traduction de l’anglais par Meralli Ballou Ange-Valérie.
1
Pour plus d’information sur cette « initiative », voir :
<http://law.wustl.edu/crimesagainsthumanity/index.asp?id=7111>.
2
Voir Anne-Marie Slaughter & William Burke-White, The Future of International Law is Domestic (or, The
European Way of Law) (en anglais), Journal de droit international de Harvard, Vol. 47 (2006), 327.
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Les premières affaires devant la CPI avec « l’auto-saisine » (self-referrals) de la République
démocratique du Congo, de l’Ouganda, de République centrafricaine et l’acceptation de la
compétence de la Cour par la Côte d’Ivoire sont autant de témoignages frappants du désir des
gouvernements nationaux (certains même trop désireux) de déléguer des responsabilités et de
voir les enquêtes et la poursuite d’affaires importantes se dérouler sur le plan international plutôt
que national.
Il est de notoriété publique que les pays de l’Union africaine restent très critiques à l’égard du
mandat d’arrêt international délivré à l’encontre du président soudanais M. Al-Bashir.
Cependant, les déclarations relatives à M. Al-Bashir3se sont vues accompagnées de promesses
enthousiastes de soutien quant à l’engagement de la Cour à traiter des situations existantes ou
potentielles, telle que la situation au Kenya.
Nous sommes donc de facto encore très loin de la vision idéaliste du procureur de la CPI, M.
Moreno-Ocampo, qui lors de sa prise de fonction en 2003 exprimait son rêve de voir une Cour
pénale internationale sans aucune affaire à traiter en raison de l’efficacité du fonctionnement des
juridictions internes4.
Où en est la justice internationale aujourd’hui? Elle semble être en transition. Ayant connu des
années glorieuses jusqu’à la fin de la guerre froide, il semble que la vision idéaliste et la foi en un
système multilatéral, qui prévalait dans les années 90, se soient érodées. L’engagement pour la
cause de la justice internationale est toujours présent mais on observe que les réponses
alternatives augmentent à mesure que les débats au sujet de son efficacité se multiplient.
En 2004, l’ancien Secrétaire général adjoint des Nations Unies, Ralph Zacklin, a fait valoir que
les tribunaux ad hoc illustrent une « approche qui n’est plus politiquement et financièrement
viable5.» Certains aspects des procès internationaux ont subi de vives critiques. Ils coûtent trop
chers (les tribunaux ad hoc coûtent 10 % du budget annuel de l’ONU), ils n’ont que peu de
résultats, ils sont loin des scènes de crimes, sont autant de critiques adressées aux tribunaux.
3
Voir Union Africaine, Decision on the Meeting of African States Parties to the Rome Statute of the International
Criminal Court (en anglais), 19 juillet 2009, disponible ici :
< http://www.haguejusticeportal.net/Docs/Court%20Documents/ICC/African%20Union%20Press%20Release%20%20ICC.pdf >
4
Voir Élection du procureur, déclaration par M. Luis Moreno-Ocampo, ICC-OTP-20030502-10, New York, 22 avril
2003 : « L’efficacité de la Cour pénale internationale ne devrait être mesurée ni par le nombre d’affaires qu’elle aura
à connaître ni par la teneur des jugements qu’elle rendra. Au contraire, en raison du caractère exceptionnel de cette
institution, ce qui constituerait la plus grande réussite de la présente serait l’inexistence de procès instruits par celleci du fait du bon fonctionnement des institutions nationales ».
5
Voir Ralph Zacklin, The Failings of the Ad Hoc Tribunals (en anglais), Journal of international Criminal Justice,
Vol. 2 (2004), p. 641.
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Toutes ces critiques ne sont pas forcement justifiées. Il faut cependant les mettre en perspective.
Il peut être trompeur d’évaluer les tribunaux pénaux internationaux simplement sur la quantité
d’affaire traitée et le nombre de jugement rendus. En réalité, la Cour de district de La Haye traite
plus d’affaires en un an que les deux tribunaux internationaux réunis.
Mais la nature des crimes, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, sont d’autant
plus particuliers qu’ils sont liés à des atrocités et la longue histoire d’un conflit. Cela rend les
investigations et les poursuites, en termes d’acteur impliqué, de collecte et de sélection des
preuves, plus complexes que lorsque l’on est confronté à une procédure classique nationale. Les
effets de la justice ne peuvent, de plus, pas être mesurés uniquement par ce qui se passe dans les
salles d’audience. Il faut également prendre en considération ses impacts internationaux et
nationaux. Pourtant, il est temps de procéder à une analyse plus nuancée des forces et faiblesses
de la justice internationale actuelle.
Jusqu’à présent, la justice internationale est largement basée sur la présomption qu’elle produit
des effets bénéfiques, elle améliore la responsabilisation et promeut la « création d’un état de
droit international ». Cette affirmation reste à plusieurs égards d’avantage une hypothèse qu’une
réalité empirique établie. Dans la plus part des cas, la justice internationale est une partie et fait
partie intégrante d’un plus large processus de construction de la paix. L’étude, qu’elle soit à long
terme ou à court terme, des effets de la justice internationale n’est encore qu’une exception. Dans
le contexte de leurs stratégies d’achèvement, les tribunaux ad hoc commencent doucement à
s’engager dans cette voie. À mon avis, le principal défi de ces prochaines décennies est double.
Premièrement, il faut examiner plus attentivement et avec réalisme ce que la justice
internationale peut accomplir, son impact sur les auteurs de crimes, les victimes et les sociétés
touchées. L’analyse des fondements de la justice internationale est nécessaire pour maintenir la
crédibilité même de la discipline et établir un équilibre entre approche universelle, régionale et
alternative de la justice. L’analyse de la justice internationale doit aller au-delà du « cadre » de
La Haye pour être intégrée à une plus vaste construction juridique et à la façon d’aborder la
justice internationale.
Deuxièmement, il faut se pencher sur les moyens susceptibles d’améliorer les interactions entre
justice internationale et les systèmes juridiques internes pour les rendre plus efficaces.
Les effets de la justice ne sont durables que s’ils sont intégrés et suivis par des actions
nationales6. Si les tribunaux pénaux internationaux souhaitent laisser une empreinte durable sur
6
C’est une leçon apprise après des dizaines d’années d’expériences onusiennes en matière de construction de la
paix. Voir e.g., rapport du Secrétaire général sur l’état de droit et la justice transitionnelle dans les sociétés en proie à
un conflit ou sortant d’un conflit, 3 août 2004 (« Ultimately, no rule of law reform, justice reconstruction, or
transitional justice initiative imposed from the outside can hope to be successful or sustainable. The role of the
United Nations and the international community should be solidarity, not substitution […] The most important role
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les sociétés nationales, ils doivent se doter de stratégies de développement à l’égard des
institutions nationales. Cela requiert une façon nouvelle d’aborder les interactions entre les cours,
tribunaux internationaux et les juridictions nationales dans chaque situation en termes
d’assistance juridique mutuelle, de coopération et de partage des responsabilités.
II. D’une justice basée sur la foi à une justice basée sur les faits.
Durant les deux dernières décennies, les recherches empiriques l’ont démontré, le nombre de
procès internationaux et de procès internes en matière de droit de l’homme n’ont cessé
d’augmenter de manière exponentielle7. La question centrale est de savoir quels sont les effets
qu’ils produisent?
Les recherches sur les droits de l’homme aboutissent généralement à trois réponses.
Les procès internationaux sont considérés comme (i) ayant un certain « effet d’alerte ». Ils
attirent l’attention sur des faits, des crimes et provoquent une « alerte sociale ». (ii) Par ailleurs,
on leur accorde un certain « effet de démonstration » de la justice. «On voit agir» la justice. En
outre, ils accroissent la responsabilisation et la mise en application de la justice internationale
(iii) qui, comme l’a fait remarquer le juge Buergenthal, a plus de « dents » et favorise
l’application des obligations en matière de droits de l’homme8.
Ces réponses générales pourraient être satisfaisantes dans une perspective de droit de l’homme.
Cependant, elles suffisent difficilement à combler les attentes des victimes et le droit
international pénal en tant que discipline. Des questions fondamentales subsistent :
(i) Comment et dans quelle mesure les investigations et les poursuites peuvent-elles contribuer à
la dissuasion dans les pays en conflit et les autres communautés affectées par les conflits?
we can play is to facilitate the processes through which various stakeholders debate and outline the elements of their
country’s plan to address the injustices of the past and to secure sustainable justice for the future, in accordance with
international standards, domestic legal traditions and national aspirations. In doing so, we must learn better how to
respect and support local ownership, local leadership and a local constituency for reform, while at the same time
remaining faithful to United Nations norms and standards.»)
7
Voir e.g., Phuong Pham & Patrick Vinck, Empirical Research and the Development and Assessment of
Transitional Justice Mechanisms (en anglais), International Journal of Transitional Justice, Vol. 1 (2007), 231;
Hunjoon Kim, Why and when do countries seek to address past human rights violations after transition? An event
history analysis of 100 countries covering 1980-2004 (en anglais), International Studies Association, Chicago
(2007); Oskar N. T. Thoms, James Ron & Roland Paris, Does Transitional Justice Work? Perspectives from
Empirical
Social
Science
(2008) (en
anglais),
SSRN
Working
Paper,
disponible
ici :
< http://ssrn.com/abstract=1302084 >.
8
Voir Thomas Buergenthal, The Contemporary Significance of International Human Rights Law (en anglais),
Journal de droit international de Leiden, Vol. 22 (2009), 217.
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(ii) Dans quelle mesure la justice internationale peut-elle contribuer non seulement à la
« réparation » des victimes mais aussi plus largement à une « neutralisation » des auteurs de
crimes et à l’élimination de l’implantation des causes de conflits?
(iii) Comment les poursuites entrent-elles en corrélation avec les intérêts des victimes de crimes
spécifiques ou les victimes de conflits?
(iv) Dans quelle mesure les procès internationaux ont-ils communiqué un sens de l’impartialité
ou même facilité la réconciliation sociale ?
Ces questions ont pendant longtemps été laissées à l’arrière-plan de la justice internationale. La
justice internationale s’est davantage focalisée sur comment « aller vers les institutions », plutôt
que sur l’analyse de ses propres points forts et limites.
La question de l’impact et de l’héritage des tribunaux internationaux est maintenant peu à peu
abordée dans le cadre des stratégies d’achèvement des tribunaux ad hoc, les tribunaux se
concentrant plus sur leurs missions et leurs places dans l’histoire. Un poste d’agent en charge des
questions liées à « l’héritage » a même été crée au sein de la présidence.
Mais le « bœuf » doit être place avant la « charrue ». Les analyses sur les buts et les effets
propres des procédures internationales devraient être au premier plan et se concentrer sur toutes
les réponses institutionnelles. Ceci requiert de nouvelles méthodes et de nouvelles approches9.
En Europe continentale, les avocats sont souvent critiqués pour leurs manques de méthode et
d’engagement dans leurs recherches empiriques. L’un des défis majeurs du droit pénal
international en tant que discipline est de s’engager davantage dans la recherche empirique et les
sciences sociales dans le but de développer un cadre conceptuel capable de faire le lien entre les
buts de la justice pénale et les indicateurs, et de développer une méthodologie qui évaluerait son
impact.
Que cela signifie-t-il concrètement? Nous dirons qu’en plus de la diversification grandissante des
institutions judiciaires, et du développement des mécanismes de justice alternative, il est vital de
se demander ce que chaque institution peut apporter et dans quelle mesure le système de justice
internationale dans son ensemble est prêt à répondre à ses objectifs.
Tout au long des siècles, nous avons assisté à cette diversification des rôles et des mandats au
niveau national. Il est désormais temps d’étendre cela à la justice internationale. J’illustrerais
mes propos par quelques exemples.
9
Voir aussi N.O.M. projet de recherche sur « Post-Conflict Justice and Local Ownership’ »(en anglais), disponible
ici : < http://www.grotiuscentre.org/com/doc.asp?DocID=436 >.
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Dissuasion et prévention
Les grandes réponses aux atrocités de masse, tel que Nuremberg, la Convention sur le génocide,
les tribunaux au Cambodge ou les réponses à la situation au Darfour sont toutes apparues après
les faits. Lorsque les fonctionnaires de l’ONU ont élaborés le statut des tribunaux ad hoc, au
début des années 1990, l’accent a clairement été mis sur le jugement pénal. Cette approche
contraste avec les devoirs des États de prévenir la commission de crimes en vertu des droits de
l’homme et de la Convention contre le génocide.
Récemment, un professeur de l’Université de Yale, Michael Reisman, a souligné ce dilemme. Il a
suggéré que « l’action de prévention avant les faits, par opposition à agir pour punir après les
faits » devrait être la principale approche utilisée par le droit international pour faire face aux
meurtres de masse10. » M. Reisman a fait valoir que « agir avant que les victimes ne deviennent
des victimes » devrait être le cœur de l’action de la justice internationale.
Ceci pose une délicate question: quelle contribution la justice internationale peut-elle
réalistement apporter en matière de dissuasion?
La dissuasion pose un problème particulier. Elle part de l’hypothèse que les acteurs de conflits
prennent leurs décisions en ce basant sur un calcul coût avantage rationnel. À la lumière des
contextes politiques sous-jacents, cette hypothèse est souvent une fiction.
Les crimes internationaux sont pour la plus part liés à une idéologie. Si vous interrogez les
« clients » du centre de détention de Scheveningen, ils vous répondront: « nous ne sommes pas
des auteurs ordinaires de crimes, nous agissons par réelle conviction. » Ce qui veut dire qu’il
existe un risque d’immunisation à la dissuasion, car ils sont déterminés à agir quelque soit le prix
qu’ils devront payer dans l’intérêt de leurs causes.
De plus, pour que la dissuasion fonctionne, les auteurs de crimes doivent identifier leurs actions
comme potentiellement mauvaises et être conscients d’une possible sanction. Ce qui représente
particulièrement un défi.
Dans le cas de l’Ouganda, une équipe d’avocats, qui a finalement réussi à retrouver Joseph Kony
dans le parc Garamba au Congo, a dû expliquer la teneur des accusations à l’Armée de résistance
du Seigneur. Mais il s’agit là d’une exception. Les gens sont en général au courant du système
juridique local car ils y sont confrontés quotidiennement. En revanche, ils sont moins familiers
des normes internationales qu’ils ne comprennent pas toujours pleinement.
10
Voir W. Michael Reisman, Acting Before Victims Become Victims: Preventing and Arresting Mass Murder (en
anglais), Case Western Reserve Journal of International Law, Vol. 40 (2008), 57, at 59.
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L’affaire contre Joseph Kony présente des particularités. Pour M. Kony les mandats d’arrêt
n’étaient pas légitimes en raison du fait qu’il n’avait pas été entendu préalablement à leurs
émissions. De plus, selon M. Kony, il n’y avait pas de réelle distinction entre les « civils »
innocents et les cibles légitimes dans le cadre du conflit au Nord de l’Ouganda.
Il n’est pas surprenant que le rapport d’expert préparé dans le cadre de l’Open Justice Initiative
en 2008 n’arrive à poser une conclusion claire (non liquet) concernant l’évaluation de l’effet
dissuasif du Tribunal11. Les experts ont reconnu ne pas pouvoir « parvenir à des conclusions sur
l’impact de dissuasion général du TPIY. » Il y est déclaré : « [N]ous savons certaines choses
avec certitude qui donnent à réfléchir: on a pu souvent noter que la création du TPIY n'a pas en
soi mis fin aux atrocités dans les Balkans. Le génocide de 1995 à Srebrenica a eu lieu deux ans
après la création du TPIY, tandis que les atrocités au Kosovo ont fait un bond au cours de 199899. » C'est une triste réalité historique, certains accusés étaient déjà dans les registres et quatorze
suspects avaient déjà été inculpés au moment du massacre de Srebrenica.
La dissuasion d’autre part a également joué un rôle sur le contexte des affaires actuelles de la
CPI. Certains ont affirmés que les menaces de poursuites du Procureur de la CPI ont empêché, en
Côte d’Ivoire, une nouvelle escalade dans le conflit12. Il a en outre été avancé que l’intervention
de la CPI a réduit le niveau de violence en Ouganda. Le développement des négociations de paix
a illustré la fragilité de l’argument dissuasion :
Lorsque les négociations de paix étaient en cours, la dissuasion a été saluée comme un des
facteurs qui avait motivé l’engagement des négociations. Cependant, lorsque l’Armé de
résistance du Seigneur a refusé de signer et de respecter l’accord de responsabilité, l’argument a
été renversé. Il a été avancé que l’engagement dans les pourparlers avait surtout été utilisé par
Joseph Kony dans le but de gagner du temps pour se réarmer.
11
Open Justice Initiative, Shrinking the Space for Denial: The Impact of the ICTY in Serbia, (2008). Dans le
premier rapport annuel adressé au Conseil de Sécurité de l’ONU, le président du TPIY a noté : « One of the main
aims of the Security Council [in establishing the ICTY] was to establish a judicial process capable of dissuading the
parties to the conflict from perpetrating further crimes. It was hoped that, by bringing to justice those accused of
massacres and similar egregious violations of international humanitarian law, both belligerents and civilians would
be discouraged from committing further atrocities. In short, the Tribunal is intended to act as a powerful deterrent to
all parties against continued participation in inhuman acts ».
12
Le procureur a défendu la faisabilité d’une action de la CPI en Côte d’Ivoire sur la base de son effet préventif sur
les crimes haineux en général. Il a fait expressément ce lien dans son allocution de Nuremberg où il a déclaré:
« the beneficial impact of the ICC, the value of the law to prevent recurring violence is clear: Deterrence
has started to show its effect as in the case of Cote d’Ivoire where the prospect of prosecution of those using
hate speech is deemed to have kept the main actors under some level of control ». Voir: Building a Future on
Peace and Justice, allocution. Nuremberg, 24/25 juin 2007, disponible ici : < http://www.icccpi.int/NR/rdonlyres/4E466EDB-2B38-4BAF-AF5F005461711149/143825/LMO_nuremberg_20070625_English.pdf >
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Carsten Stahn
Logiquement une seule de ces deux versions peut être vraie. Si les négociations de paix ont
uniquement constitué un prétexte, on ne peut dire que les mandats d’arrêt actuellement
prononcés produisent en premier lieu un effet dissuasif.
Cela signifie qu’il nous faut des outils et des instruments plus fiables pour déterminer comment
et dans quelles circonstances les tribunaux pénaux peuvent produire un effet dissuasif durable.
La neutralisation13
La justice internationale peut elle apporter une contribution à la neutralisation?
Quelques exemples fournissent des preuves de cet effet. Le plus probant est celui de
M. Karadicz qui, en raison de l’acte d’accusation déposé contre lui par le TPIY, n’a pu participer
aux pourparlers de Dayton de 1995.
L’expertise de 2008 sur l’impact du TPIY est arrivée à la conclusion que la plus importante
contribution du TPIY a été de délégitimer certains effets politiques. Le rapport a constaté que le
système de la procédure et de la preuve de La Haye a sensiblement « réduit l’espace public »
dans lequel chaque leader politique peut de manière crédible nier des faits essentiels relatifs à des
atrocités notoires. Exemple est fait avec la clarification du nombre de victimes tuées à
Srebrenica. Par conséquent, le rapport a été intitulé « Shrinking the place for denial14. »
Cependant, une plus grande clarté s’impose. La théorie est simple : la condamnation publique
des atrocités et la démonstration de l’illicéité des actions vont contribuer à délégitimer les
anciennes élites politiques et les « héros » nationaux.
Mais, il y a souvent des effets secondaires compromettants. Les avis divergent sur le fait de
savoir si l’expulsion physique de M. Milosevic et du leader du Parti radical serbe, M. Seselj de la
région vers La Haye avait eu un effet positif. Pour certains le transfert vers La Haye n’a en fait
aidé qu’à les « mystifier ».
En outre, il est difficile d’établir une ligne claire de causalité. La « délégitimisation » d’une élite
politique ne peut que rarement être attribuée qu’au seul impact de la justice, ni a ce qui se produit
sur place. Elle est souvent due à un processus graduel lié à un ensemble de raisons telles que des
avantages socio-économiques. Dans cette pluralité de cause, la contribution propre de la justice
est difficile à localiser. Il existe par ailleurs un risque intrinsèque de « dépendance » envers les
tribunaux internationaux et les activités des donateurs qui peuvent entraver ou conditionner les
efforts de la justice interne.
13
14
« Incapacitation » dans le texte anglais.
Voir : Open Justice Initiative, Shrinking the Space for Denial: The Impact of the ICTY in Serbia, (2008).
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Le futur de la justice pénale internationale.
La réconciliation
Si la justice pénale internationale contribue efficacement à la réconciliation, savoir dans quelle
mesure elle y parvient est probablement une question à laquelle il est difficile de répondre.
Si l’on compare les procédures pénales, il y a une tendance croissante au soutien de la
participation de victimes et à la favorisation de leurs droits d’accès à la justice. Pour les
partisans de la justice réparatrice, cette participation est bénéfique : l’injustice qui leur a été faite,
reconnue publiquement leur permet de surmonter leurs traumatismes, elles ont l’opportunité de
faire entendre leurs histoires et d’apprendre davantage de détails sur la façon dont les
évènements se sont déroulés.
Mais la réalité est plus complexe. Les « victimes » ont un large éventail d’intérêts divergents.
L’intérêt immédiat des « victimes de crimes » ne coïncide pas nécessairement avec les intérêts
plus larges des « victimes de la situation ». Les deux parties ont en réalité des prérogatives
contradictoires. Les premières procédures devant la CPI l’ont bien démontrées. La
responsabilisation est souvent une priorité pour les premiers tandis qu’elle ne constitue pas une
priorité immédiate pour les derniers. Ceci est clairement illustré dans la pratique par la situation
au Darfour. Dans cette situation, différents groupes de victimes ont déposé à la fois des motions
contre et pour le mandat d’arrêt devant la Cour 15 . Ceci ajoute une nouvelle dimension aux
procédures pénales et requiert des juges qu’ils tranchent des questions à la frontière entre la paix
et la justice.
Les enquêtes et les poursuites des cours et tribunaux internationaux se concentrent généralement
sur la responsabilité du leadership. Les victimes immédiates des crimes souhaitent, cependant,
souvent voir leurs voisins poursuivis autant que leurs dirigeants16. Elles n’ont généralement que
peu d’explications lorsqu’il s’agit de savoir pourquoi la préférence est donnée à la
responsabilisation du leadership ce qui n’est d’ailleurs pas soumis à leur choix. Cette
considération est largement déterminée par la stratégie de poursuite qui est davantage déterminée
par des motifs de dissuasion et de « neutralisation » en plus de l’intérêt de la victime.
De plus, un impact collectif présuppose que chaque groupe a la volonté de se demander dans
quelle mesure elle porte une responsabilité dans l’action de ses membres et en particulier de ces
dirigeants. Il n’y a pas de garantie qu’un tel processus ait en effet lieu. L’exemple de
l’Allemagne, ou de la Serbie, montre que la société prend souvent très longtemps à reconnaitre la
faute morale commise et à condamner sa propre participation.
15
Voir CPI, Application on behalf of Citizens’ Organisation of The Sudan in relation to the Prosecutor’s
Applications for Arrest Warrants of 14 July 2008 and 20 November 2008, No: ICC-02/05-170 (en anglais),
Chambre de première instance I, (11 janvier 2009).
16
Voir Eric Stover & Harvey Weinstein, My Neighbour, My Enemy, Service de presse de l’Université de
Cambridge, 2005.
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9
Carsten Stahn
De nombreux experts estiment, par conséquent, à juste titre, que le rôle et l’impact des procès
internationaux sur la réconciliation est modeste17, et qu’il devrait y avoir plus d’espace pour des
réponses institutionnelles et juridiques adéquates supplémentaires.
III. Donner plus de pouvoir aux systèmes juridiques internes
Cela m’amène au deuxième défi majeur pour le futur de la justice internationale, à savoir les
relations avec les systèmes juridiques internes.
Pendant longtemps, il existait un décalage entre la justice internationale et la justice interne18. La
justice internationale et la justice interne étaient perçues comme des forces opposées tel le ying et
le yang, deux systèmes autonomes.
Aujourd’hui les deux systèmes travaillent de plus en plus en tandem. Le principe de
complémentarité s’est progressivement ancré dans l’exercice des juridictions internes. La
compétence interne est de plus en plus exercée lorsqu’un État où des crimes ont été commis, ou
lorsque l’État dont l’auteur du crime a la nationalité ne veut pas ou n’a pas la capacité d’agir.
Les tribunaux internationalisés ont eu tendance à faire valoir qu’ils étaient « internationaux »
plutôt que « nationaux » car cette qualification leur permet une meilleure action en matière
d’immunité et de coopération19. Mais il a été progressivement reconnu que ce qui fait le succès
de la justice pénale internationale c’est son effet catalyseur et également son impact sur les
systèmes juridiques internes.
Les cours, comme le tribunal de Yougoslavie ou le tribunal spécial pour la Sierra Leone, ont
commencé à partager l’idée que la justice n’est pas seulement un outil pour combler les lacunes
au niveau national mais qu’il est aussi un instrument pour renforcer les efforts de la justice
interne.
Dans les tribunaux ad hoc, cette initiative est née d’une nécessité. Elle résulte du besoin de traiter
les affaires en retard impliquant des auteurs de crimes d’un plus bas niveau. Les trois organes
17
Voir Laurel E. Fletcher & Harvey M. Weinstein, Violence and Social Repair: Rethinking the Contribution of
Justice to Reconciliation (en anglais), Human Rights Quarterly Vol. 24 (2002), 573;. Victor Peskin, International
Justice in Rwanda and the Balkans (en anglais), Cambridge University Press (2008), 243 et seq; David Mendelhoff,
Truth-Seeking, Truth Telling, and Postconflict Peacebuilding: Curb the Enthusiasm? (en anglais), International
Studies Review, Vol. 6 (2004), 355.
18
Dans Rights of War and Peace (1625), Grotius envisageait une forme précoce du principe « aut dedere aut
judicare » (extrader ou poursuivre). Il a fait valoir que les auteurs de certains crimes devraient être jugés pas les
États qui en ont la garde ou par la partie lésée.
19
Voir e,g, SCSL, Procureur c. C. Taylor, Decision on Immunity from Jurisdiction (en anglais), arrêt, 31 mai 2004,
paras. 37 et seq.
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10
Le futur de la justice pénale internationale.
des tribunaux ont convenu de la création d’un mécanisme de transfert des affaires des tribunaux
internationaux vers les tribunaux nationaux, sous réserve de garanties d’un procès équitable20.
Ce processus prend progressivement son envol. Le tribunal de Yougoslavie a jusqu’à présent
transféré 10 affaires vers la nouvelle Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie. Le Rwanda a
quant à lui aboli la peine de mort afin d’être éligible à la réception des affaires.
Cependant, des paradoxes et des curiosités subsistent. La règle de transfert des affaires des
tribunaux ad hoc prévoit que seules les affaires impliquant un auteur de crimes de moyen ou
faible niveau peuvent être transférées vers la Bosnie ou la Serbie. Certains des accusés devant le
TPIY ont été détenus durant une période considérable, d’autres préfèrent être jugés à La Haye
plutôt qu’au niveau national. Afin d’éviter les transferts, certains ont fait valoir devant le tribunal
qu’ils n’étaient finalement pas des petits poissons mais des personnes qui portent une grande
responsabilité.
Le Statut de Rome contient une tournure plus systémique de l’interaction entre les systèmes
juridiques internationaux et nationaux : il ne crée pas uniquement un tribunal mais établit aussi
un nouveau système de justice21. Il régit les interactions entre la Cour et le rôle des juridictions
internes dans la lutte contre l’impunité.
Il y a plus de dix ans que les dispositions du Statut ont été rédigées. Il est opportun de se
demander si les interprètes du Statut sont fidèles aux intentions des rédacteurs du traité ou si
nous prenons une nouvelle direction.
Certains prétendent que les « secrets » du Statut et sa complexité ne se sont pas encore
pleinement révélés 22 . Par conséquent, nous devrions nous concentrer à révéler le véritable
« sens » de l’article 17, ou à analyser de plus près la façon dont la notion de complémentarité a
été abordée dans le passé, et quelles sont les idées fausses qui prévalent dans l’actuelle
perception. D’autres font valoir qu’il est nécessaire d’aller dans une nouvelle direction, et d’avoir
au regard des nouveaux objectifs un regard critique sur les dispositions du Statut.
Mais nous sommes confrontés à un changement de paradigme : dans le futur, la justice
internationale ne sera pas mesurée par ses propres performances, mais par sa capacité réelle à
résoudre des problèmes. Sa capacité de participation au fonctionnement des juridictions
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Voir le désormais fameux article 11 bis du Règlement de procédure et de preuve du TPIY.
Pour une analyse, voir Carsten Stahn, Complementarity: A Tale of Two Notions (en anglais), Criminal Law
Forum, Vol. 19 (2008), 87 -113.
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Voir la récente décision de la chambre d’appel de la CPI dans l’affaire contre Katanga, Judgment on the Appeal of
Mr. Germain Katanga against the Oral Decision of Trial Chamber II of 12 June 2009 on the Admissibility of the
Case (en anglais), ICC-01/04-01/07-1497, 25 septembre 2009, paras 75 e seq., disponible ici : < http://www.icccpi.int/iccdocs/doc/doc746819.pdf >. 21
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Carsten Stahn
nationales de même que la mesure de cette participation sera jugée. Certains appellent cela « la
complémentarité positive ». En réalité il s’agit d’avantage de la « résolution de problème ».
Ce à quoi font face les tribunaux dans le cadre des stratégies d’achèvement est aussi pertinent
pour chaque situation unique présente à la CPI. Cela nécessite une nouvelle créativité.
Cela signifie qu’il ne suffit pas de rester immobile et de déplorer le manque de coopération par
un régime rebelle. C’est la tâche du système de Rome que de développer des stratégies pour
surmonter ces réticences.
De même, il est trop simple de se cantonner à reconnaître la compétence internationale sur la
base de l’incapacité de l’État national. En fin de compte, la tâche de la Cour est d’aider à
surmonter les incapacités internes. Rien de cela ne figure dans les manuels. Elle exige une
interprétation et une politique pénale créative dans le futur.
IV. Conclusion
J’ai essayé d’exposer dans quelle mesure la justice à La Haye n’est plus une voie à sens unique.
C’est un dialogue entre les institutions et les juridictions internationales et surtout un dialogue
avec les juridictions internes. Cela veut-il dire que le futur de la justice internationale est interne?
Pour l’instant la réponse est : pas encore. Cela prendra au moins une autre génération pour
trouver des réponses précises.
Mais nous sommes à un tournant important de l’histoire de la justice internationale. Une analyse
critique de ce que peut raisonnablement réaliser la justice internationale et de ce que sont ses
liens avec les parties internes, doit être à la pointe de notre pensée contemporaine.
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