éditions Les Moutons Electriques – 2015

Transcription

éditions Les Moutons Electriques – 2015
UN
(1992)
P
as un seul avion sur le tarmac mais des camions, ça oui. De
pompiers, surtout. Sirènes et gyrophares. Ça grouille dans tous
les sens. Pire que le centre de Rome à une heure de pointe, se dit
la fille. Pourquoi Rome plutôt que, au hasard, New Delhi par exemple ?
Parce que la fille s’emmerde comme un rat mort, alors pour tromper
le temps elle invente des ressemblances, des échos entre le présent et
ses souvenirs les plus proches. Déformation professionnelle, en quelque
sorte. Mémoriser les détails les plus anodins, ça fait partie de son boulot.
Là, mine de rien, c’est bien ce qui, faute de mieux, lui occupe l’esprit.
Le nez contre la vitre crasseuse, elle laisse les images pénétrer en elle. La
Suzuki noire qui slalome entre les véhicules rouges ou vert-de-gris des
services d’incendie ou de sécurité, personne ne s’en soucie, personne ne
s’en souviendra, sauf elle. Non que cette voiture ait la moindre importance dans un scénario sans intérêt, mais elle est à présent gravée dans
sa mémoire. Que la fille doive, pour une raison improbable, se retrouver
ici et maintenant, et ce sera ce petit 4X4, surgissant tout à coup à la
surface de ses pensées, qui lui en fournira le moyen.
« Le jet du président », clame quelqu’un pas très loin d’elle, du ton
important de ceux qui ont accès à des informations hautement confidentielles. « Il a raté son décollage, est allé se vautrer sur le bas-côté de
la piste. Aucun dégât, apparemment, et le président Iliescu n’était pas
dans l’appareil, mais… C’est l’avion présidentiel, alors… »
Voilà qui explique tout, la paralysie de l’aéroport, les manœuvres
browniennes des camions de pompiers. Les Roumains ne se consolent
toujours pas de ne même plus figurer dans les journaux de CNN, après
en avoir occupé la Une avec Timişoara ou l’exécution des Ceauşescu,
alors ils font ce qu’ils peuvent, pour essayer de créer l’événement avec
rien ou pas grand-chose. Là, juge la fille avec objectivité, c’est perdu
d’avance. Un Tupolev hors d’âge qui s’en va folâtrer dans les prés sans
exploser ni même briser son train d’atterrissage, fût-il présidentiel,
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ça n’intéresse personne. D’ailleurs, dans la minute qui suit, le tarmac
commence à se vider, comme si une constatation identique était simultanément venue à l’esprit des responsables des services d’incendie et
de sécurité. Voilà, pense la fille, cette fois plus rien ne devrait retarder
encore l’arrivée de Goggelaye. Pas de pot. Des missions tordues, elle en
a accomplies souvent, toujours pour le compte de Basil, mais celle-ci lui
déplaît particulièrement, elle ignore pourquoi. Ou plutôt si bien sûr, elle
le sait, mais elle sait aussi qu’il lui faut éviter de réfléchir aux raisons de
cette aversion, alors elle se force à penser à autre chose.
Quelques minutes plus tard. Le cours des événements s’est accéléré.
Coup de chance, comme l’affichent ceux des écrans qui veulent bien
fonctionner, le vol TA415 en provenance de Paris a été autorisé à atterrir, second parmi tous ceux qui tournaient en rond depuis une bonne
heure autour de l’aéroport d’Otopeni. La fille cherche la position stratégique qui lui permettra d’examiner les personnes venues attendre un
passager ; très vite elle repère, un peu en retrait, un jeune homme à la
mine blasée muni d’une affiche format A4 identique en tous points à
celle que renferme le mince classeur serré sous son bras. Un unique coup
d’œil lui permet de le jauger. Aucune motivation, un frimeur inconsistant. Surtout, qu’il reste à l’écart, ça lui évitera de graves ennuis.
Rassurée, elle se faufile au premier rang et sort son affiche du classeur. Quelques minutes encore, et un premier groupe franchit la porte
coulissante, au sein duquel Gabriel Goggelaye. En habitué des voyages
aériens, et comme elle l’avait supposé, il n’est muni que d’un bagage de
cabine, il a ainsi pu gagner une bonne demi-heure. Comme les autres, il
s’est immobilisé au seuil du hall, l’air incertain, scrutant la foule massée
derrière la grille qui lui fait face. Cheveux châtain clair un peu dégarnis
sur les tempes, gibbosité due à une scoliose non soignée pendant l’enfance, elle le reconnaît sans hésitation pour avoir mémorisé une photo
de lui remise par Basil. Le regard de l’homme glisse cependant sur elle
sans s’arrêter au nom inscrit sur la feuille qu’elle brandit au-dessus de
sa tête, mais elle se met à l’agiter dans tous les sens et elle voit ses yeux
effectuer un retour en arrière. Une courte hésitation et il s’avance, traînant derrière lui sa petite valise à roulettes. Son expression ressemble à
présent à de la perplexité.
« Bienvenue, Monsieur Goggelaye ! » lui lance-t-elle. « Rejoignez-moi
à la sortie. » Sans attendre, elle se fond dans la foule. Un accueil sans
fioritures, mais Basil ne lui avait pas spécifié de se conduire en hôtesse
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professionnelle. En passant, elle s’assure que le grand dadais est toujours à la même place, toujours à attendre sans la moindre conviction
un Goggelaye qui vient de lui passer sous le nez. D’une encoignure
proche de la grande porte du hall, elle surveille la progression de son
hôte à qui elle trouve une allure un peu empruntée, mais il finit tout de
même par la rejoindre après avoir repoussé les offres de service d’une
dizaine au moins de chauffeurs de taxis professionnels, ou prétendus
tels – à Bucarest, en 1992, il faut se méfier de tout.
Au passage, son œil exercé lui permet de noter la présence d’un
homme au visage dur et inexpressif, fondu dans la foule. Leurs regards
se croisent brièvement, mais aucun signe ne lui permet de penser qu’il
l’a reconnue. Tu parles, s’il l’a reconnue ! En fait, il n’est là que pour elle,
peut-être aussi pour Goggelaye. Berenski – et si Berenski est ici, Atlan
ne doit pas se trouver très loin. En un sens, leur présence lui semble
plutôt rassurante : ils veillent à ce que rien ne contrarie leurs plans, enfin
ceux de leur commanditaire. Il est comme ça, Basil. Pas du genre à faire
confiance. Si ça se trouve, Atlan et Berenski sont surveillés, eux aussi.
Drôle de mise en abyme : de proche en proche, tout le monde espionne
tout le monde. Remarque bien, c’est un peu ce qui se passait ici, en
Roumanie, il y a seulement trois ans de ça.
Mais c’est vrai, Berenski n’est pas un homme comme les autres –
d’ailleurs ce n’est peut-être même pas un homme du tout. Rien ne doit
lui paraître anormal, ou alors il n’a pas apprécié que sa présence soit
perçue, car il disparaît – pas en se dissimulant derrière les autres, mais
à la manière d’un fondu-enchaîné, en perdant peu à peu de sa substance, jusqu’à n’être plus qu’une forme brumeuse dispersée par une
brise insignifiante.
Bye, bye, pense-t-elle, sûre de le voir se rematérialiser avant que sa
rencontre avec Goggelaye ne se termine.
En sortant, un geste vers le parking réservé aux véhicules officiels,
mais Dan, le chauffeur de Basil, a anticipé son ordre, la grosse Opel
noire quitte déjà son emplacement et vient s’immobiliser devant eux.
Dan enfourne la valise de Goggelaye dans le coffre, ouvre la portière
arrière droite et d’un geste invite le Français à prendre place. Elle tend
la main vers la portière avant, mais Goggelaye devine son intention de
s’installer à côté du conducteur. Il lui saisit le poignet : « Pas question !
Asseyez-vous à côté de moi, vous me servirez de guide… C’est censé être
mon premier séjour à Bucarest, vous savez. » La fille obtempère. Que
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pourrait-elle faire d’autre ? D’ailleurs, à tout prendre, elle préfère jouer
les guides touristiques plutôt que… À la pensée du rôle que la Voix lui a
assigné, elle a envie de tout plaquer, de jaillir hors de l’Opel et d’envoyer
tout le monde se faire foutre. L’envie, juste l’envie. Un ordre de la Voix –
pas même un ordre, tout au plus un souhait – ça ne se discute pas, alors
elle demeure assise dans l’Opel, le visage impénétrable.
Et puis ça se gâte à nouveau. Dès la sortie de l’aéroport, ils sont pris
dans un encombrement provoqué par un camion dont l’essieu avant a
cédé dans une ornière. Rien de bien grave, il faut attendre qu’il soit halé
sur le bas-côté. Son voisin de banquette tend la main afin de baisser sa
vitre. « Je vous le déconseille », dit-elle sans pour autant détourner ses
yeux obstinément fixés sur la nuque de Dan. « Risques d’intoxication
aux gaz d’échappement. Nos carburants ne sont pas très bien raffinés. »
En fait, les gaz d’échappement, son passager n’en a rien à foutre, c’est
évident. Il a la tête ailleurs, comme on dit. Elle décide d’agir comme
s’il n’existait pas, fait mine de s’intéresser aux efforts dérisoires d’un
groupe d’hommes qui se sont mis en tête de tirer, à mains nues, le camion accidenté hors de la chaussée, mais le regard de Goggelaye est
tellement pesant qu’elle peut le sentir explorer chaque centimètre carré
de son visage.
« Aurora… » murmure-t-il.
Pas de réaction, pas même un battement de cils. La politique de l’autruche. Contre toute logique, elle doit espérer qu’il se lassera ou pensera
s’être trompé. Tu parles !
« Vous êtes bien Aurora, n’est-ce pas ? »
Et elle, toujours murée dans son autisme, comme si de rien n’était.
En fait, elle bout de colère. Contre Goggelaye mais surtout contre Basil.
Saloperie d’Ouzbek ! Toujours à faire de la rétention d’informations,
même avec elle qui a toujours exécuté ses ordres sans discuter.
Il soupire. « Oui, c’est évident. Vous êtes bien Aurora. Une Aurora
différente, peut-être plus jeune que celle que j’ai laissée à Sinaia hier
soir, mais… Vous ne vous souvenez pas de moi, vraiment ?
— Me souvenir… ? » Elle hausse les épaules : « On ne s’est jamais
rencontrés, alors… » De son point de vue à elle, c’est la stricte vérité,
mais elle sait que les paroles de Goggelaye reflètent également la vérité,
une autre vérité, sa vérité à lui. Elle parle avec peine. Chaque mot lui
coûte. Laisse-le parler, pense-t-elle. Ce qu’il dit n’a aucune importance,
il n’appartient pas à ton monde. Mieux vaut s’intéresser à, je sais pas
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moi, par exemple à ces hommes qui s’agitent autour du camion. De
parfaits inconnus, eux aussi.
Enfin non, à bien y regarder, certains éléments du groupe paraissent moins inconnus, moins affairés aussi que les autres. Un
peu à l’écart, ils se contentent d’observer. Deux hommes au regard
inexpressif, les mains enfoncées dans les poches de leurs trenchs.
A et B, Atlan et Berenski. Bon, se dit la fille, ils vont prendre les
choses en mains.
Goggelaye ne se laisse pas décourager par la froideur de la fille. « Vous
savez ce qu’on attend de moi ? » Elle sait en quoi consiste sa mission,
oui, mais ça n’est pas à elle de le lui dire, alors elle recommence à faire
comme s’il n’existait pas.
« Ce voyage, je l’ai déjà effectué », dit-il comme pour lui-même. « Il
y a longtemps, enfin pas mal de temps. Trois ou quatre ans, je ne
sais plus exactement… Je me souviens de cette attente interminable,
à tourner autour d’Otopeni… Mais à l’arrivée, j’ai été pris en charge
par des fonctionnaires du ministère des finances, pas… » Il lui jette
un regard furtif : « Pas par vous, je m’en souviendrais. Pourquoi cette
altération du passé ? »
Elle avait raison : A et B ont été efficaces, comme toujours. Une
dépanneuse fait son apparition, précédée d’une voiture de police, ce
qui crée une diversion inespérée. En dix minutes à peine une voie est
dégagée, l’Opel peut s’élancer vers le centre de Bucarest, vers l’hôtel
Herăstrău, vers l’Ouzbek qui doit commencer à se demander où ses
plans ont bien pu foirer. Dans d’autres circonstances, cette pensée la
ferait sourire. Elle se rencogne dans l’angle de la banquette, sort des
écouteurs de la poche de son manteau, se les plaque sur les oreilles et
ferme les yeux. Gabriel Goggelaye va pouvoir accomplir sa mission,
même s’il ignore encore en quoi elle consiste. Et elle va également
devoir mener la sienne à bien. Mais elle, elle sait de quoi il s’agit et
ça ne la fait pas rire du tout.
Never mind the darkness
We still can find a way
‘Cause nothing lasts forever
Even cold November rain
Don’t you think that you need somebody ?
Don’t you think that you need someone ?
Everybody needs somebody
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You’re not the only one
You’re not the only one 1
*
Dix-sept heures et des poussières. La fille arpente l’un des interminables corridors de l’hôtel Herăstrău. Basil est parti le premier, dès qu’il
a eu l’assurance que la réputation de Goggelaye n’était pas usurpée et
que sa protégée était tirée d’affaire. Des infirmiers munis d’un brancard
sont ensuite venus chercher Zuzana qui dormait d’un sommeil de bébé.
La fille corrige pour elle-même : Zuzana est vraiment un bébé, un bébé
de vingt ans, peut-être plus, peut-être moins, mais rongé par le mal,
son cerveau n’est guère plus efficace que celui d’un bébé. Son visage
reposé ne portait aucun stigmate de la souffrance qui, une heure plus
tôt, déformait encore ses traits. Le médecin s’est ensuite esquivé après
avoir administré une piqûre à Goggelaye, effondré sur le lit désormais
vacant. Une sieste d’une heure, et le Français devrait se réveiller, parfaitement dispos. La fille a confié sa garde à l’assistante du médecin, également chargée de faire disparaître toute trace de ce qui a pu se passer
dans cette chambre, puis elle est sortie à son tour, la main refermée sur
le micro d’un petit magnétophone caché dans sa poche. Basil le lui a
demandé, elle doit relater la guérison de Zuzana avec le maximum de
précisions avant d’avoir tout oublié, comme les autres témoins de cette
scène – pour eux, il n’y a pas eu de guérison, la tumeur de Zuzana n’a
jamais existé.
Malgré les apparences, il est cependant difficile de trouver un endroit
où ses propos ne pourront pas être surpris. Sous l’ère Ceauşescu, l’hôtel
Herăstrău était fort prisé des apparatchiks à cause de son isolement
au sein d’un vaste parc : le lieu idéal pour organiser des parties fines et
ourdir de sombres machinations. Enfin, à ce qu’ils croyaient, car bien
sûr les apparatchiks se trompaient, bien sûr l’établissement était truffé
de micros des caves jusqu’aux poutres faîtières, et Ceauşescu était toujours tenu informé des dernières manœuvres de couloir avant qu’elles
n’aient commencé. Exit Ceauşescu, mais les apparatchiks sont toujours
1. November rain (Matt Sorum, Duff Rose Mc Kagan, W Axl Rose, Izzy Stradlin,
Darren A. Reed Copyright : Guns N’ Roses Music).
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là, même si leurs costards ont une coupe plus démocratique, à l’intérieur c’est toujours de la couenne stalinienne un peu rance. Et les micros
idem, toujours là eux aussi, planqués un peu partout dans la profusion
des moulures. À savoir si à l’autre bout, il y a toujours quelqu’un pour
écouter… Elle, elle ne peut pas s’empêcher d’y penser, à ce quelqu’un
qui, non content de l’écouter, suit peut-être le moindre de ses mouvements sur un écran, mais comme Basil a l’air de s’en ficher comme de
l’An Quarante…
Un coin de fenêtre au bout d’un corridor. La fille fait mine de regarder
les grands arbres qui bordent le lac Herăstrău et se hâte de tout consigner
en quelques phrases précises et sèches, la main sur la bouche comme si
elle méditait. Elle maîtrise pourtant ses souvenirs mieux que quiconque,
pourtant, elle les sent déjà s’effilocher, refluer devant ses tentatives d’en
donner une description conforme à la réalité telle qu’elle l’a vécue.
Comme un rêve au sortir du sommeil. Lorsqu’elle parvient au terme de
ce rapport, elle ne sait plus très bien si ce qu’elle vient d’enregistrer reflète
fidèlement la réalité ou n’est plus que le fruit de son imagination. Malade
ou pas, Zuzana n’est qu’un légume. Un légume ! Tu parles d’une vie.
*
Dix-huit heures et treize minutes. Le moment que la fille redoutait est
arrivé : Goggelaye vient de se réveiller. L’infirmière qui n’attendait que
ça se précipite pour lui prendre la tension. 12/7. Parfait. Elle referme
son sac et s’esquive en bredouillant un vague au revoir.
À ce moment, la fille décèle une présence dans un recoin de la pièce,
comme une tache sur sa rétine, un nuage flou dont la consistance s’affirme peu à peu. Un homme au visage de marbre, évidemment ; son rôle
était sans doute d’enregistrer toute la scène de son regard impavide.
Il quitte la pièce sur les talons de l’assistante, avec une ostentation à
l’évidence destinée à lui faire comprendre que Goggelaye et elle sont
désormais seuls. Quel tact ! pense-t-elle, non sans ironie.
*
Les yeux de la fille croisent ceux de Gabriel Goggelaye ; elle y lit la
même interrogation qu’un peu plus tôt dans la voiture. « Tout de même,
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dit-il comme s’il se parlait à lui-même. Je vous préférais avec les cheveux longs. »
Ils sont seuls dans la chambre. C’est donc le moment que la fille devrait mettre à profit pour mener à bien la seconde mission, celle que la
Voix lui a confiée. Mais les doutes de Goggelaye la troublent ; elle ouvre
elle-même la porte pour le laisser sortir. Elle parvient à se ressaisir dans
la minute qui suit. La porte de l’ascenseur vient de se refermer sur eux.
Très vite, elle le bloque alors qu’il entame à peine la descente, se laisse
tomber à genoux et dégrafe le pantalon d’un Goggelaye d’abord paralysé par la surprise avant de s’abandonner très vite au plaisir. Lorsqu’elle
sent celui-ci monter, elle se redresse, se pend au cou de l’homme et lui
entoure la taille de ses jambes, les épaules prenant appui contre la paroi.
*
Dix-huit heures vingt-sept. Elle enfourne le Français dans un taxi
et disparaît derrière un groupe de hauts fonctionnaires des ministères
proches tandis qu’il indique sa destination à un chauffeur plus intéressé
par cette fille aux allures distantes que par son passager. Quoique rapide,
sa démarche doit sembler étrangement empruntée à un improbable observateur. Combien de milliers de spermatozoïdes une seule éjaculation
libère-t-elle ? Dix mille, cent mille, beaucoup plus peut-être, et il suffit
d’un seul pour… Normalement, les statistiques sont en sa faveur, mais
elle continue de marcher, les cuisses serrées, le ventre contracté. Un seul,
mais pourquoi pas celui-là, justement, qui aurait la mauvaise idée de
vouloir s’évader ? Dans ce cas, c’est sûr, tout serait à recommencer. Ça,
il n’en est pas question.
Quand même plusieurs semaines à attendre avant le prélèvement. Le
temps de faire des milliers de fausses couches. Il y a des jours comme ça
où elle aimerait bien être un peu plus vieille.
Elle lisse une mèche dont les pointes peinent à atteindre le menton,
examine son reflet dans une vitrine. Se laisser pousser les cheveux…
après tout, c’est peut-être pas une si mauvaise idée.