Plongée au pays desconcombres de mer
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Plongée au pays desconcombres de mer
Pesée des concombres de mer ramassés par chaque fermier. Seuls ceux qui font plus de 450 grammes seront gardés pour être envoyés à Tulear puis exportés en Chine. Deux fois par mois, la récolte se fait de nuit à marée basse, à un quart d’heure de marche du rivage environ. Chaque concombre rapporte environ 1 € au fermier. FORBES AFRIQUE PETITE ENTREPRISE - GRAND PROJET 2 / 5 : MADAGASCAR Plongée au pays des concombres de mer La Grande Ile est depuis toujours un pays exportateur de concombres de mer, cet animal invertébré qu’on a longtemps trouvé à profusion au large des côtes malgaches, mais qui disparaissait peu à peu. Dans le sud du pays, une technique de reproduction scientifique inédite a été mise au point par la société Indian Ocean Trepang (IOT). En quelques années, elle est devenue la première entreprise d’aquaculture industrielle exportatrice de concombres de mer vers l’international, notamment la Chine. PORTFOLIO DE JOAN BARDELETTI/PICTURETANK Dans les laboratoires d’IOT. IOT est une PME malgache, située à Tuléar, qui réalise une aquaculture industrielle de concombres de mer basée sur une technologie de reproduction inédite, développée localement par une équipe scientifique. IOT est une entreprise soucieuse de défendre l’environnement et d’amener un développement durable. Elle a été crée en 2012 par Jaco Chan Kit Waye, un entrepreneur aux multiples réussites entrepreneuriales, et Olivier Méraud, avec l’appui technique et financier de l’impact-investisseur Investisseurs & Partenaires. C’est la première entreprise d’aquaculture industrielle exportatrice de concombres de mer vers l’international. Agé d’une quarantaine d’années, Jaco Chan Kit Waye est l’un des promoteurs et l’actuel directeur général de IOT, il est aussi directeur général de Copefrito SA et président du groupement des exportateurs de produits de la mer à Madagascar (GEXPROMER). Olivier Méraud, qui fait commerce des produits de la mer depuis douze ans, travaille depuis 2004 avec Copefrito. En parallèle à ses fonctions à Copefrito, il a cofondé la société Madagascar Seafood (MSF) en 2005. La société travaille avec quatre usines de transformation à Madagascar et exporte ses produits – crabes, poulpes, calamars, langoustes… – vers la France et l’Italie. Les deux hommes ont ainsi décidé d’investir dans le sud de Madagascar, l’une des régions les plus pauvres et enclavées de l’île où plus de 92 % de la population vit avec moins de 2 $ par jour. 1 2 PÉRENNISER L’EXPLOITATION DU CONCOMBRE DE MER De son nom savant «holothurie», le concombre de mer est un animal au corps mou et cylindrique, mesurant généralement entre 10 à 30 cm. Il vit posé dans les fonds marins et se nourrit en filtrant l’eau. Il ingurgite les détritus, les digère et les rejette en un sédiment plus fin et plus homogène. Il tient donc un rôle important dans le processus biologique des fonds marins et l’oxygénation des océans. Il fait partie des espèces classées en danger de disparition par l’UICN. A Madagascar, sa pêche, bien que réglementée, est surexploitée par la présence de centaines de braconniers. Ici, on ne mange pas de concombre de mer, on le pêche pour le vendre en Asie où il est une nourriture appréciée. La demande en holothurie augmente sans cesse et les prix montent. Selon le ministère de l’Outre-mer, les prix de gros pour ces animaux varient de 50 à 400 $ le kilo, en fonction de l’espèce pêchée. L’holothurie de sable, de haute qualité, peut dépasser les 1000 $ au kilo au marché de Hong Kong. En une dizaine d’années, le nombre de concombres de mer dans les eaux de Madagascar a dramatiquement chuté. Cela signifie évidemment une perte économique pour le pays. Mais pas seulement. L’holothurie joue un rôle très important sur le récif. En effet, certaines espèces sont capables de nettoyer plusieurs centaines de tonnes de sable par kilomètre carré et par an! Lorsqu’il n’y a plus d’holothuries, le récif est en mauvais état : les algues se développent, les animaux marins fuient. Et les pêcheurs se retrouvent sans ressources. C’est là où interviennent Jaco Chan Kit Waye et ses équipes. En devenant la première aquaculture industrielle de concombres de mer basée sur une technologie de reproduction inédite – développée à Madagascar par une équipe scientifique malgache. Les larves sont cédées aux pêcheurs des villages environnants qui les revendent à bon prix à IOT une fois arrivées à maturité. L’entreprise les conditionne (séchage, emballage) pour les revendre à l’international. Ce type d’élevage génère un impact environnemental non 3 4 1• Les équipes d’IOT ramassent les concombres juvéniles dans les bassins de l’entreprise. Le ramassage se fait de nuit car, de jour, les concombres s’enfouissent sous le sable. IOT emploie prés de 51 personnes et 20 de plus pour la construction de nouveaux bassins de grossissement. 2• Les juvéniles sont stockés dans des sachets remplis d’eau. Ils sont ensuite transportés pendant six à huit heures de route sur une piste jusqu’aux différents villages partenaires d’IOT. Un tiers de la récolte d’IOT est ainsi cédée à des pêcheurs pour qu’ils suivent leur croissance. 3• Dans les enclos d’IOT dans un lagon près de Tuléar. Les femmes des villages environnant sont recrutées pour entretenir ces enclos et éviter les dépôts d’algues. IOT a 6 enclos de 6,5 hectares environ. L’objectif est d’atteindre 150 hectares rapidement. 4• Récolte des concombres de mer dans le village de Tampolove. La récolte est suivie par une ONG, Blue Venture, partenaire locale d’IOT. Chaque famille, environ 30 en tout, récolte environ 20 concombres par nuit. La pêche dans les villages persiste car elle est culturellement importante pour les Vezo (nomades) mais les familles gagnent plus avec les concombres. 5• Nettoyage des concombres de mer par les femmes le lendemain après la récolte. Ils sont ensuite cuits avant d’être ré-acheminés à Tuléar pour être séchés et exportés vers la Chine. 10 5 6• Un couple réalise des boutures d’algues dans un lagon de la côte ouest de Madagascar. IOT leur fournit les algues et les rachète une fois qu’elles ont grandi. C’est une nouvelle activité qu’IOT développe. Elle évite le braconnage d’algues sauvages qui dévaste les côtes. 7• Ensachage des algues dans le village de Sarodrano au sud de Tuléar. Environ 30 tonnes d’algues sont ainsi récoltés et achetés dans ce village par IOT chaque mois. Cela représente un surcroît de revenu d’environ 20 euros pour chacun des 265 habitants de Sarodrano. 8• Une jeune fille pose fièrement sur la récolte d’algues du jour. Ces algues sont ensuite exportées et servent de compléments alimentaires. 9• Dans l’école de Tampolove. Les revenus tirés des concombres permettent notamment aux familles de scolariser leurs enfants. En outre, la mortalité a baissé car les pêcheurs n’utilisent plus de bouteilles de plongée périmées pour récolter les concombres comme auparavant. 10• Cours de gestion pour les pêcheurs devenus fermiers. IOT et l’ONG Blue Venture forment les villageois partenaires aux techniques d’épargne et d’investissement afin qu’ils puissent valoriser au mieux les nouveaux revenus générés par la culture des concombres de mer. 11• Séraphine a commencé la culture du concombre de mer il y a un an. Grâce à celle-ci, elle a notamment pu acheter des chaises pour équiper sa maison et plusieurs chèvres. Ses enfants sont maintenant scolarisés. 6 5• Agrisatch a lancé le programme 3P (Poules prêtes à pondre) en soutien aux aviculteurs locaux. Ils vendent des poules matures, en age de pondre à ces petits fermiers qui n’ont pas assumer les risques (mortalité, vaccins) liés aux poussins. 1 7 8 négligeable. Il ne nécessite pas d’apports de nourriture ou d’antibiotiques qui déséquilibreraient la qualité de l’eau, mais celle-ci est améliorée au contraire par sa nature filtrante. TROUVER DES SOLUTIONS L’activité d’IOT s’étend à celle des poulpes– pêche importante dans la région. L’IOT, en collaboration avec des ONG locales, a pu instaurer une période de fermeture de pêche de quatre-vingt-dix jours, en plus de la fermeture nationale. Afin de compenser la perte de revenus des pêcheurs, IOT leur propose des activités alternatives qui sont l’aquaculture d’algues et de concombres de mer. L’équipe permanente d’IOT est aujourd’hui constituée de 76 personnes, dont six femmes, sous CDI. 62 employés temporaires travaillent également sur le chantier des bassins d’aquaculture. Les cadres de l’entreprise gagnent en moyenne le triple du SMIC local et le salaire le plus bas est 10 % supérieur au SMIC soit 122 000 Ar (41 €). «Mon idée de départ était d’utiliser des pelles mécaniques pour construire les bassins d’aquaculture, mais un cyclone est passé et certains villageois ont tout perdu. J’ai donc “priorisé” leur recrutement pour leur permettre de générer des revenus», explique Jaco Chan Kit Waye. D’un autre côté, IOT a initié les villageois à l’aquaculture et travaille actuellement avec 30 pêcheurs issus des villages environnants et en vise 150 à terme. Les larves leur sont cédées pour qu’ils puissent les revendre à bon prix à IOT une fois arrivées à maturité. Cela leur permet ainsi d’avoir une source de revenus stable. IOT a lancé un programme de formation en techniques d’aquaculture animée par quatre cadres. Ce programme a permis de former 24 personnes à l’aquaculture. IOT est une entreprise formelle qui paye ses impôts et charges sociales. En 2013, son activité a généré 98 591 801 Ar (32 038,83 €) d’impôts et taxes. Mais en plus de ses impôts, l’entreprise contribue au soutien de la population locale en versant, sans en avoir l’obligation, une «ristourne» aux communautés locales dont la valeur varie entre 1 et 3 % du prix, auquel IOT rachète les concombres de mer aux villageois. VIVIANE FORSON 9 10 11 RETROUVEZ NOTRE PROCHAIN THÈME DANS NOTRE NUMÉRO DE MARS