Le Canada, un important marché
Transcription
Le Canada, un important marché
LA PRESSE AFFAIRES LA PRESSE MONTRÉAL MARDI 23 SEPTEMBRE 2014 9 llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll PORTFOLIO INDUSTRIE DE LA TRADUCTION PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE « Le gouvernement et la plupart des entreprises d’ici ne peuvent pas se permettre d’obtenir n’importe quoi en traduction », estime Christine York, chargée d’enseignement au département d’études françaises à l’Université Concordia. Le Canada, un important marché SAMUEL LAROCHELLE COLL ABOR ATION SPÉCIALE À l’échelle mondiale, les organisations offrant des services langagiers devraient générer 3 8 ,9 6 m i l l ia rd s en 2 014 , selon une étude du Bureau de la traduction du gouvernement du Canada. Même si le Canada ne compte que 0,5 % de la population mondiale, il représente environ 10 % de cet imposant marché, en raison de la présence de deux langues officielles et du profil démographique de sa population. Le Québec tire son épingle du jeu, lui qui possède la moitié des effectifs canadiens en traduction. En sachant que 17 % de la traduction canadienne vient du secteur public, on comprend que la Charte de la langue française (loi 101) et la Loi sur les langues officielles assurent du travail à bon nombre de traducteurs. «Au fédéral, ils sont obligés de faire traduire presque tout, dont les trois quarts vers le français, soutient Réal Paquette, président de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). Au Québec, lorsqu’une entreprise étrangère veut s’implanter, elle doit le faire en français, ce qui ouvre la porte à beaucoup de traduction.» Cette particularité mettrait le milieu québécois en partie à l’abri de la concurrence internationale, dont la qualité laisse parfois à désirer, selon Christine York, chargée d’enseignement au département d’études françaises à l’ Université Concordia. « Plusieurs agences internationales font appel à des travailleurs dans au rabais. Dans le monde, près de 80 % des fournisseurs exigent moins de 0,15 $ par mot, contre 0,20 $ à 0,25 $ le mot au Canada, en moyenne. « En Chine, on peut même obten i r de la t raduc tion à 3 sous le mot, souligne le traducteu r pigiste A lex Gauthier. Ça crée une sorte d’effet Walmart, car les clients sont toujours à la recherche des plus bas pri x , ce qu i entraîne forcément une baisse de la qualité de traduction. Moins un client paye, plus « Une des façons de sortir d’une crise économique, c’est de se maintenir dans le marché avec une marque bien visible, ce qui inclut inévitablement de la traduction. » — Réal Paquette, président de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec des pays où le coût de la vie est moins élevé et qui demandent moins pour leur travail. Par contre, le gouvernement et la plupart des entreprises d’ici ne peuvent pas se permettre d’obtenir n’importe quoi en traduction. » Traduction « made in China » Ces agences emploient des centaines, voire des milliers de personnes qui se disent traducteurs et qui travaillent il a de chance que le traducteur ne soit pas compétent ou qu’il travaille peu sur le document. Malheureusement, un gestionnaire ne voit pas la différence entre la traduction au Québec et en Chine, car il n’a aucune connaissance langagière spécialisée. » Réal Paquette abonde dans le même sens. « On ne peut pas offrir une traduction dans toutes les langues et dans tous les domaines, avec autant de collaborateurs. C’est impossible d’assurer la qualité du travail de 5000 traducteurs et d’être spécialisé en tout.» Le président de l’OTTIAQ a vu ses propres tarifs comparés aux bas prix demandés à l’étranger. «Un ami m’a demandé de traduire un document imposant pour son entreprise. Quand je lui ai donné mon prix, il a presque fait une crise cardiaque et il a confié le travail à une agence qui a redirigé la traduction en Inde. Quand le texte est revenu, la qualité n’était pas là. Il a passé un temps fou à récupérer un travail pourri, alors qu’il n’est pas langagier! S’il avait fait affaire avec un traducteur agréé, la qualité aurait été garantie. Généralement, les entreprises se font avoir une fois et comprennent.» Les aléas de l’économie La situation économique des dernières années a également eu une incidence sur les budgets alloués à la traduction. « Certains secteurs, tels le juridique et le financier, suivent les aléas des cycles économiques, confirme Réal Paquette. Quand il y a moins de placements, il y a moins de contrats et de documentation à traduire. Mais durant les années où l’économie est vigoureuse, on peut manquer de pigistes dans le secteur. » Évidemment, une entreprise ne peut pas supprimer toute la traduction de son budget. Même que cette dernière peut être un signe de succès. «Une des façons de sortir d’une crise économique, c’est de se maintenir dans le marché avec une marque bien visible, ce qui inclut inévitablement de la traduction.» EN CHIFFRES 2045 Nombre de traducteurs agréés à l’OTTIAQ (70,4 % de femmes, 29,6 % d’hommes) 50 000 $ Revenu annuel moyen 7 Nombre de programmes universitaires reconnus par l’OTTIAQ au Québec : Concordia, Université de Montréal, McGill, UQAM, Sherbrooke, UQTR, Laval et UQO. Sources : OTTIAQ, Service Canada et Bureau de la traduction du gouvernement du Canada Soignez ig votre français Correcteur avancé avec filtres intelligents C Dictionnaires riches et complets Guides linguistiques clairs et détaillés Antidote est l’ars l’arsenal complet du parfait rédacteur. Que vous rédigiez une lettre, un courriel, courriel un rapport ou un essai, cliquez sur un bouton et voyez s’ouvrir un des ouvrages de référence parmi les plus riches et les plus utiles jamais produits. Si S vous écrivez en français à l’ordinateur, Antidote est fait pour vous. Pour Windows, Mac OS X et Linux. Pour les compatibilités et la revue de presse, consultez www.antidote.info. Dictionnaires et guides aussi offerts sur iPhone et iPad. 10 L A PRESSE AFFAIRES LA PRESSE MONTRÉAL MARDI 23 SEPTEMBRE 2014 llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll PORTFOLIO INDUSTRIE DE LA TRADUCTION Les machines au service des traducteurs SAMUEL LAROCHELLE COLL ABOR ATION SPÉCIALE Elle est bien loin, l’époque où les traducteurs passaient leurs journées le nez dans les livres. Avec les logiciels de traduction automatique et de mémoire de traduction, leur pratique est en train de changer de façon spectaculaire. Pour le meilleur et pour le pire. Traduction automatique PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE « Par souci d’économie, certains donneurs d’ouvrage demandent de traduire des extraits, sans donner accès au reste du contexte. C’est très dangereux en termes de résultats », juge Réal Paquette, président de l’OTTIAQ et chargé de cours à l’Université de Montréal. Inventés il y a 50 ans, les systèmes de traduction automatisée ont été perfectionnés par les Américains durant la guerre froide, afin de traduire les communications russes, en se basant sur les règles de syntaxe. Avec le temps, ces programmes ont été « peaufinés » à l’aide de statistiques. Par exemple, une machine évaluait le nombre de fois qu’u n verbe était accompagné d’un mot (son cooccurrent) et le traduisait automatiquement. « Ça donnait des phrases cocasses qui semblaient bonnes sur le plan syntaxique, mais dont le sens était manquant », explique Stéphane Gervais, du cabinet Adéquat, services linguistiques. Selon une étude menée en 2009 par Common Sense Advisory, la traduction automatique assistée a doublé le volume de traduction que les humains pouvaient produire seuls. Google Translate w w w. l a n g u e s c a n a d a . c o m Les 21 programmes accrédités d’enseignement du français langue seconde au Québec rejoignent plus de 12 500 étudiants par année et génèrent des retombées directes d’exportation de 44 millions $ sans compter la reconnaissance du français et du Québec de par le monde. Nous souhaitons poursuivre et partager notre passion et contribuer à l’essor de notre nation. Découvrez-en davantage en participant à notre Forum d’échange sur le français langue seconde qui aura lieu à Montréal le 2 octobre 2014 Pour connaître quels sont nos programmes d’enseignement du français accrédités, voici quelques-uns d’entre eux : LANGUAGE SHCOOLS La traduction automatique a pavé la voie à Google Translate, service surtout utile pour monsieur et madame Tout-le-Monde. « Si quelqu’un tombe sur un texte en langue étrangère et qu’il veut comprendre les grandes lignes, même si la syntaxe est étrange, Google Translate peut être correct, souligne M. Gervais. Mais je le déconseille pour un usage professionnel. Les traducteurs ont accès à des outils beaucoup plus performants. On peut même entraîner la traduction automatique en la corrigeant au fur et à mesure. » Si l’internet le dit... Les apprentis traducteurs, qui sont pratiquement nés avec un ordinateur sous les yeux, n’ont pas toujours le réflexe de remettre en question les réponses de l’internet. « On sent chez eux une espèce d’assujettissement à ce qui s’affiche à l’écran, comme si ça devait être vrai parce que ça se trouvait sur l’internet, explique Réal Paquette, chargé de cours au département de linguistique et de traduction à l’ Université de Montréal. Il faut leur apprendre à juger ce qu’ils trouvent. » Mémoire de traduction Autre technologie qui fait couler beaucoup d’encre : les mémoires de traduction. Il s’agit d’une encyclopédie de textes traduits, alignés ligne par ligne aux textes d’origine. Avec chaque nouveau texte, le logiciel consulte sa mémoire de traduction pour trouver des passages similaires ou identiques. Il utilise ensuite « Si quelqu’un tombe sur un texte en langue étrangère et qu’il veut comprendre les grandes lignes, même si la syntaxe est étrange, Google Translate peut être correct. Mais je le déconseille pour un usage professionnel. » — Stéphane Gervais, du cabinet Adéquat, services linguistiques la traduction de ce passage da ns sa mémoire pour tenter de donner une réponse correcte. « Ce type de logiciel est pa rticulièrement utile lorsqu’on traduit des textes redond a nt s ou ave c de s for mu la t ion s figées qu i se répètent beaucoup, comme dans un rapport annuel ou des textes juridiques, explique le traducteu r pigiste A lex Gauthier. Grâce au logiciel, seules les sections modifiées ou celles qui n’ont pas encore été traduites sont envoyées aux traducteurs. » Les avantages de cette technologie sont nombreux : gains de productivité et de temps, possibilité de faire des choix terminologiques très précis qui seront appliqués à tout le document, meilleure cohérence pour un texte dont la traduction est réalisée par plusieurs personnes. LOIN DE FAIRE L’UNANIMITÉ Cette technologie est pourtant loin de faire l’unanimité, puisque de nombreux professionnels n’apprécient pas la traduction par morceaux. « Par souci d’économie, certains donneurs d’ouvrage demandent de traduire des extraits, sans donner accès au reste du contexte, indique Réal Paquette. C’est très dangereux en termes de résultats. » Pour certains, ces outils contribuent à l’automatisation et à la banalisation de la traduction, qui représente pour eux un exercice créatif. « Traditionnellement, on pouvait fusionner deux phrases anglaises vers une phrase française, ou les diviser en plusieurs petites phrases françaises, illustre Stéphan Gervais. Mais le logiciel nous enlève cette latitude. On devient des traducteurs d’unités, avec un manque de recul visà-vis du texte dans sa globalité. C’est pire lorsque des informaticiens nous envoient des fichiers Excel avec des mots placés en ordre alphabétique. Ils font ça pour économiser des sous, sans égard à la qualité de la traduction. » Les traducteurs ont souvent accès au texte en entier pour avoir un aperçu du contexte global, mais les outils de mémoire de traduction ont d’autres effets insidieux. « À force de travailler segment par segment, le cerveau s’habitue à se concentrer sur une phrase à la fois et peut, parfois, oublier l’ensemble du paragraphe, affirme M. Gervais. Ça se sent dans la rythmique et dans plusieurs aspects techniques de l’écriture. C’est le combat des années 2010 en traduction. » EN CHIFFRE 575 millions Valeur du marché des logiciels de traduction en 2010. Les recettes devraient atteindre 3 milliards d’ici 2017. Source : étude du Bureau de la traduction du gouvernement du Canada Pour plus d’information: Langues Québec (514) 778-6283 Protégez votre image ! Faites affaire avec un membre de l’Ordre. www.ottiaq.org LA PRESSE AFFAIRES LA PRESSE MONTRÉAL MARDI 23 SEPTEMBRE 2014 11 llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll PORTFOLIO INDUSTRIE DE LA TRADUCTION Une profession aux visages multiples SAMUEL LAROCHELLE COLL ABOR ATION SPÉCIALE La traduction repose sur la maîtrise ultra spécialisée de la langue, mais son industrie n’en demeure pas moins fascinante de diversité. Qu’il soit question de traduction littéraire, financière, juridique, pharmaceutique, publicitaire ou gouvernementale, les défis sont aussi nombreux que les spécialités. Edgar Né en 2006, le cabinet Edgar compte parmi ses clients des sociétés d’État fédérales et des administrations provinciales, en plus de ses nombreux clients au privé. Le cabinet prend des moyens extrêmes pour assurer la qualité : sélection rigoureuse des candidats (taux de réussite de l’examen de présélec tion d ’env i ron 15 %), révision de toutes les traductions, suivi de la qualité de presque chaque traduction à l’interne, contrôle mensuel de la qualité. Le recours aux pigistes est d’ailleurs contraire à sa politique d’encadrement de la qualité. « Nous n’engageons des pigistes qu’exceptionnellement, sur demande express de nos clients, pour certaines langues étrangères, et à l’issue d’un processus de sélection rigoureux », explique François Lavallée, vice-président à la formation et à la qualité. Cossette L’équipe linguistique d’une agence de publicité ne traduit pas des slogans, mais bien les sections informatives de documents publicitaires, en partenariat avec les concepteurs. «On traduit et on adapte le texte en fonction du marché, des objectifs des clients et des nuances culturelles du public, souligne Sylvie Giroux, vice-présidence gestion, création et production chez Cossette. Parfois, il reste PHOTO FOURNIE PAR EDGAR Les installations du cabinet de traduction Edgar, à Montréal. assez peu du contenu original.» Évidemment, traduire un document publicitaire exige bien plus qu’une expertise pour transiter d’une langue à une autre. «Il faut savoir jouer avec les mots, aller droit au but et attirer l’attention, explique Anne-Marie Gauthier, chef de l’équipe linguistique. Nos traducteurs doivent posséder les connaissances techniques, une souplesse de la langue et un niveau rédactionnel supérieur.» TRSB Fondé il y a 25 ans, le cabinet TRSB emploie 125 personnes et génère un chiffre d’affaires oscillant entre 15 et 20 millions. «Depuis cinq ans, notre chiffre d’affaires a crû de 15 % par année et on pense maintenir ce rythme, souligne le président Serge Bélair. Je suis convaincu qu’on n’a pas encore fait le plein des possibilités en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. » Spécia lisée da ns plusieurs domaines (financier, pharmaceutique, aéronautique, ferroviaire, etc.) et évoluant dans plusieurs langues, l’entreprise mise sur une formation accrue de son personnel. «Nous sommes un important pourvoyeur de stages et nous avons mis sur pied l’Académie TRSB, afin de former de façon pratique les diplômés des universités pendant deux ans, pour les rendre pleinement autonomes.» Banque TD En 2009, la Banque T D a cessé de faire traduire ses doc u ments à l’exter ne, en créant son propre service de traduction. « Nos besoins ne cessaient de croître et nous voulions assurer un meilleur contrôle de la qua lité, en employant un langage plus uniforme », explique JeanSébastien Charron, directeur du service de traduction. En 2012, la T D a d’ailleurs reçu un prix Mérite du français de l’Office québécois de la langue française. Une reconnaissance saluant le travail accompli da ns u n sec teu r très spécialisé. « Les sujets peuvent s’avérer complexes dans le domaine bancaire. Comme le système canadien est hautement réglementé, cela nécessite une expertise assez pointue et un processus de révision rigoureux. » ATTLC Roma ns, poèmes, pièces de théâtre, essais, doublage et sous-titrage cinématographiques sont le quotidien des traducteurs littéraires, qui se battent pour une reconnaissance dans le domaine culturel. « Ce ne sont pas des techniciens, mais des artistes », affirme Yves Dion, directeur de l’Association des traducteurs et des traductrices littéraires du Canada (ATTLC). Comme bien des artistes, les traducteurs littéraires doivent conjuguer avec une rémunération précaire : 0,18 $ le mot pour un roman, 0,20 $ pour une pièce et 0,25 $ pour un poème. Une moyenne de 11 000 $ par livre traduit, qui demande de 6 à 12 mois de travail.